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21 mars 1978, date historique
A la suite de la publication du projet de «
répartition du travail » examiné par la C.E.E.,
nous avons entrepris (1) d’étudier les causes qui ont amené
la Commission Européenne à rejoindre nos propositions.
Ayant déjà rappelé quelques chiffres et statistiques
relatifs à la France, nous analysons aujourd’hui la situation
à l’étranger, dans les pays semblablement développés.
« En octobre 1977, on a enregistré dans les pays de la
CEE 5,9 millions de chômeurs, soit 5,60% de la population active
civile. Face à ce chiffre nouveau très élevé,
les espoirs naguère placés dans une reprise durable et
une solution au problème du chômage se sont complètement
évanouis » estime un expert allemand (2) qui poursuit :
« Loin de diminuer, le nombre de chômeurs déclarés
augmente dans la plupart des pays membres, le taux de cette croissance
se situant entre 9 % au Royaume Uni et 25 % au Danemark par rapport
à l’année précédente... De plus, à
moyen terme, il faut réviser à la baisse les perspectives
d’emploi jusqu’à présent admises... La croissance du nombre
des actifs n’avait jusqu’à la crise actuelle posé de problèmes
d’embauche sérieux qu’à quelques pays. Depuis 1975, elle
se conjugue à une diminution du nombre des emplois offerts, et
cette fois dans tous les pays de la CEE. Certaines catégories
professionnelles subissent plus gravement le chômage. Dans beaucoup
de pays membres, il s’agit d’abord de la métallurgie et du travail
des métaux, du commerce de gros et de détail, des emplois
de bureau et enfin du bâtiment ».
Dans sa rubrique consacrée à l’étranger, Pierre
Simon nous apporte plus loin (3) des chiffres significatifs. Donnons
ici seulement quelques exemples pris au hasard.
En Grande-Bretagne, le gouvernement a alloué 850 millions. de
livres (soit 7,2 milliards de francs) à la British-Leyland, premier
constructeur national de voitures, pour financer son plan de redressement.
Ce plan prévoit des investissements d’un montant de 1,3 milliards
de livres d’ici à 1981 afin d’améliorer la productivité
(la production de voitures par ouvrier devant passer de 5,4 en 1977
à 6,4 cette année puis à 8 au cours des prochaines
années). 10 000 suppressions d’emplois seront réalisées
cette année (4) .
En Italie, la nouvelle Fiat, la « Ritmo » est fabriquée
à Rivalta, près de Turin, et à Cassino. Dans ces
deux usines, des armadas de palettes glissent sur des chemins magnétiques
à l’intérieur d’usines quasi-désertes. Elles transportent
des squelettes d’automobiles auxquels des robots anthropomorphes donnent
leur rigidité, poste après poste, soudure après
soudure, grâce à des bras monstrueux (5).
Les entreprises allemandes procèdent, depuis déjà
un certain temps, à d’importants programmes de rationalisation
et d’automatisation. Il en est ainsi même des firmes remarquablement
florissantes comme Daimler-Benz (Mercédès) et les syndicats
allemands estiment « que l’évolution technologique met
en péril de nombreux emplois (6) ». Globalement l’industrie
allemande a allégé ses effectifs de 10 % entre 1973 et
1976. De plus, le taux d’utilisation des capacités de production
y reste encore de 6 % au-dessous de la normale (7).
On parle de la constitution d’un grand groupe sidérurgique belgo-luxembourgeois
qui aurait une capacité de 18 à 19 millions de tonnes.
Ce qui en ferait le 5e producteur mondial. Le tout se traduirait par
la suppression en 1978 de 7 000 emplois sur 55 000 et l’octroi d’une
aide importante des pouvoirs publics (8).
Il importe de souligner en face de ces exemples relatifs au chômage
dans la CEE que le produit intérieur brut de la communauté
n’a pas pour autant cessé de croître. Les derniers chiffres
connus de cette croissance ont été publiés dans
« Le Monde » du 21 mars : le produit intérieur brut
pour l’ensemble de la CEE a augmenté en 1977 entre 2 et 3 %.
La prévision pour 1978 approche de 3 %. Et tous les experts s’accordent
pour annoncer une croissance du chômage. Dans le textile, par
exemple, le Bureau International du Travail estime qu’un travailleur
sur trois risque de perdre son emploi d’ici à 1985 en Europe
occidentale (7).
Cette situation n’est pas l’apanage des pays de la CEE. Etudiant récemment
l’élargissement de la communauté par l’entrée de
la Grèce, de l’Espagne et du Portugal, la Commission Européenne
a noté que « les restructurations industrielles et agricoles
provoqueront des dégagements de main d’oeuvre qui aggraveront
notablement le chômage dans la Communauté (5). Déjà
le taux de chômage dans la population active en Espagne atteint
plus de 5 %. Pour faire face à un des défis majeurs des
années 80, la Commission estime « qu’il faut de toute urgence
définir une politique de l’emploi audacieuse ».
Enfin, au Japon, la situation est semblable. Nous en avons pour preuve
cette conclusion d’une étude récente publiée par
le journal « Le Monde » (9) : « Dans les succès
commerciaux des Japonais, encore illustrés par un excédent
record en février de leur balance commerciale, il faut d’abord
voir le résultat d’un effort désespéré pour
trouver à l’extérieur des débouchés permettant
de limiter le chômage ».
Cette recherche d’une clientèle solvable pour absorber la production
croissante étant désespérée, et les gros
efforts d’investissements se révélant aussi décevants,
des palliatifs de moindre ampleur ont été essayés
un peu partout. Pierre Simon (3) en cite quelques-uns. Nous les passerons
en revue dans la troisième partie de cette étude. Nous
savons déjà que c’est parce qu’aucun de ces moyens n’est
susceptible de résoudre le problème du chômage croissant
que le Comité Permanent de l’emploi de la CEE vient de reprendre
une idée de J. Duboin en proposant à la Communauté
la « répartition du travail ». Nous en analyserons
ensuite les conséquences prévisibles.
(1) Voir « Grande Relève » n°
757.
(2) Bernardt Seidel, « D.I.W. - Wochenbericht » (Berlin),
21 décembre 1977,
(3) Voir page 5.
(4) « Le Monde » du 5-4-1978.
(5) « Le Monde » du 21-4-1978.
(6) « Le Monde » du 29-3-1978.
(7) « Le Monde » du 4-4-1978.
(8) « Le Monde » du 31-3-1978.
(9) « Le Monde » du 1-4-1978.
Réflexions
Médecins perplexes
LORSQUE j’étais gamin, il m’arrivait souvent,
comme aux autres gosses, de présenter des symptômes pathologiques
tels qu’accès de température (parfois élevée),
maux de tête, courbatures plus ou moins générales,
etc..., sans qu’aucune véritable maladie puisse en fournir la
justification immédiate ou ultérieure. Le médecin,
lorsqu’il était appelé, confirmait le plus souvent le
diagnostic des parents : fièvre de croissance. Aucune médication,
un peu de repos ou de fortifiant, et tout rentrait dans l’ordre en quelques
jours.
Dans nos sociétés modernes, la croissance est aussi à
l’ordre du jour. Mais ses accès de fièvre sont loin d’être
aussi anodins que ceux de notre enfance ; et nombreux sont les ausculteurs
économiques cherchant à la fois un diagnostic et des remèdes.
C’est ainsi que dans « Le Monde » du 7 février 1978,
M. Bruno-Dethomas essayait d’analyser ces problèmes et leurs
relations avec ceux concernant les programmes énergétiques.
Relations pour le moins apparemment inconciliables puisque certains
milieux politiques hostiles aux techniques nucléaires se proclament
néanmoins partisans d’une forte croissance économique
justifiant une production accrue d’énergie, laquelle nécessite
dans l’état actuel des choses un large appel aux dites techniques.
Et l’auteur, après avoir rappelé qu’une centrale nucléaire
de gauche serait tout aussi nocive que son homologue de droite, de se
demander si nos sociétés ne devraient pas rechercher une
adaptation qualitative plutôt qu’une croissance quantitative dont
il affirme qu’elle deviendra bientôt physiquement impossible.
Dans le même journal, un autre économiste, M. Fred Hirsch,
soulignait que la croissance économique n’est plus un étalon
adéquat pour apprécier le bien-être de la société,
bien qu’elle ait, dans le passé, provoqué une bien plus
grande expansion de ce bien-être que la redistribution des revenus
n’aurait jamais pu en apporter.
La fuite en avant
Cette remise en cause de la croissance n’est pas nouvelle,
et chacun se souvient des fracassantes conclusions des experts du club
de Rome proclamant, voici quelques années, la nécessité
de la croissance zéro pour sauvegarder ce qui peut l’être
encore de notre environnement et des ressources de la planète
en énergie et en matières premières. Mais nous
avons, depuis bien longtemps également (voir notamment GR nos
637 et 645 : « Les condamnés ») expliqué à
nos lecteurs que dans le système économique actuel, il
n’y a d’autre choix que celui d’une vertigineuse fuite en avant, ne
pouvant aboutir qu’à un véritable suicide de l’humanité
sous le double effet de l’explosion démographique et de l’épuisement
des ressources.
Toutes les études actuelles reflètent bien, malheureusement,
la véracité des dangers dénoncés alors.
Mais il est absolument indispensable de rappeler aux chercheurs de bonne
volonté, quelle que soit leur appartenance politique, combien
l’Economie des Besoins ouvrirait de voies nouvelles dans la quête
de ces nouveaux équilibres tant souhaités entre un mieux-être
généralisé et une gestion rationnelle des patrimoines
naturels.
Voies nouvelles d’abord dans la mise en oeuvre des énergies dites
douces, trop souvent bloquées dans l’économie de marché,
par des considérations essentiellement mercantiles.
Voies nouvelles également grâce à la suppression
des gaspillages et des productions inutiles ou nuisibles n’ayant pour
seul objet que le profit ou la création d’emplois. Au premier
rang, évidemment, les armements, et rappelons que, selon l’hebdomadaire
« Match » :
« L’année dernière le monde a dépensé
pour s’armer 330 milliards de dollars. Soit l’équivalent du produit
national brut annuel de toutes les nations réunies d’Amérique
latine, d’Afrique et du Moyen-Orient ; des dépenses nationales
pour l’éducation dans le monde entier ; du double des dépenses
mondiales pour la santé ; de 15 fois l’aide étrangère
aux pays en voie de développement. Dans les pays industrialisés,
400 000 chercheurs travaillent à des fins militaires... ».
Cherchons ensemble
Voies nouvelles enfin grâce à la possibilité,
en économie des Besoins, de mettre un terme au malentendu le
plus néfaste de notre époque. C’est le professeur J.-K.
Galbraith qui, dans une interview accordée au journal «
Le Monde » et publiée dans le numéro du 7 février
1978, dénonçait à son tour la confusion savamment
entretenue entre libéralisme économique et libéralisme
politique, le second étant presque toujours invoqué pour
justifier la survie du premier, pourtant générateur des
pires totalitarismes depuis les révolutions mécanicienne
et cybernétique. Avec le Revenu Social et la monnaie de consommation,
il devient possible de proposer à tous les hommes épris
à la fois de justice et de liberté un autre choix que
celui d’un statu quo inacceptable ou d’un collectivisme inopérant.
Sans doute faudra-t-il encore bien des recherches et des efforts pour
mettre en place ces « nouvelles » solutions préconisées
pourtant depuis près d’un demi-siècle par J. Duboin. Mais
c’est dans cette voie que nous cesserons de tourner en rond, telles
des épaves désemparées, irrésistiblement
aspirées vers le gouffre fatal.
IL ne faut jamais désespérer de la canaillerie
capitaliste. Cette saloperie est capable de belles prouesses !
Une des toutes dernières est d’avoir épinglé à
son palmarès une jolie brune douée d’un tempérament
éruptif.
Depuis sept ans on écoute sur « France-Inter » cet
ange exterminateur qui a nom Anne Gaillard.
Armée de la foudre radiophonique, elle transperce à coups
de micros vengeurs tout ce qui grouille, magouille et tripatouille en
tous temps et en tous lieux.
Sainte-Anne des Ondes a mis k.-o. technique : la fripouillerie des contrats
d’assurance imprimés de façon microscopique, le mic-mac
des voitures neuves payables au prix du jour de livraison (au lieu de
celui de la commande), le décryptage de la datation des conserves
Champollion, les colorants alimentaires, l’exploitation des «
nègres » pour écrire des bouquins, pour ne citer
que ses plus remarquables résultats.
Bien sûr, cette hécatombe ne s’est pas produite sans douleurs.
« Radio-France » lui doit quelques procès. Heureusement
tous gagnés. Mais plaidez, plaidez, il en restera toujours quelque
chose ! En Correctionnelle, sept ans écoulés, tout le
monde confond le nom de la victime avec celle du délinquant.
Bref, les tenants du Veau d’or joufflu, les crapauds nocturnes, fédérés
aux cloportes caverneux, sont parvenus à leurs fins. Désormais,
la faune des marécages pourra maquiller tranquillement. A la
rigueur, on trouvera à Anne Gaillard un strapontin et on lui
procurera un éditeur (régulier) pour son livre : «
Un combat perdu d’avance ? ». Un titre sans illusion. Le principal
c’est qu’elle ne vitupère plus, le micro entre les dents.
Que l’on continue à jouer au bonneteau économico-financier
en toute sérénité. Ce n’est pas le Service de la
répression des fraudes qui assurera la Grande Relève d’Anne
Gaillard.
Étranger
EN 1974 et 1975, alors que l’économie de nombreux
pays traversaient la crise que nous connaissons, la réduction
des échanges et de la production a poussé les entreprises
à comprimer leurs frais, en licenciant une partie de leurs salariés.
Elles n’avaient guère d’autre solution, ne pouvant agir sur les
autres facteurs du coût de production qui sont, essentiellement,
le coût de l’énergie et celui des matières premières.
Depuis lors, une « reprise » s’est amorcée. On pouvait
en attendre des créations d’emploi, mais le total des chômeurs
n’a cessé de croître comme le montre le tableau suivant,
à l’exception des Etats-Unis.
En % de la population active :
1973 |
1974 |
1975 |
1976 |
1977 |
|
Autriche | 1,6 |
1,5 |
2,1 |
2 |
1,7 |
Belgique | 2,3 |
2,6 |
4,5 |
5,8 |
6,5 |
Grande-Bretagne | 2,8 |
2,9 |
4,4 |
7 |
7,5 |
France | 2,6 |
2,7 |
4,1 |
4,6 |
5,2 |
Rép. Fédérale | 0,9 |
1,5 |
3,6 |
3,6 |
3,5 |
Italie | 3,7 |
3,1 |
3,6 |
6,4 |
7,2 |
Hollande | ? |
3,3 |
4,7 |
5,1 |
4,9 |
Espagne | 2,2 |
2,3 |
4,1 |
5,1 |
5,3 |
Suède | 2,5 |
2 |
1,6 |
1,6 |
1,7 |
Bien sûr, l’offre de main d’oeuvre sur le marché de l’emploi n’est pas stable et varie avec le taux de natalité. C’est ainsi que, juste après 1960, la population active a fortement augmenté à la suite du baby boom des années d’après-guerre pour décroître puis croître à nouveau vers 1975 avec la forte natalité des années 1960. Depuis 1965, les taux de natalité baissent de façon générale mais les effets ne se feront pas sentir avant au moins 1980. Et encore ! car, en même temps, le nombre des départs à la retraite va diminuer en raison du faible taux de natalité des années 20. De sorte que, faute d’action, on ne peut s’attendre à une contraction de l’offre de main d’oeuvre.
Ces pelés, ces galeux
Dans l’euphorie économique qui a succédé à la guerre, les grands pays européens ont laissé leur main d’oeuvre s’accroître grâce à l’immigration de travailleurs dont beaucoup venaient d’Europe. Si bien que, lorsque ces travailleurs immigrés ont fait les frais de la récession, lis sont retournés chez eux, exportant ainsi le chômage à un autre continent.
La lutte contre le sous-emploi
On a diminué le nombre d’heures de travail
dans les années 50 et même 60, amélioré les
avantages sociaux favorisant la retraite, allongé la scolarisation
obligatoire, encouragé la poursuite des études au-delà
de cette période. D’après l’OCDE, le nombre d’heures de
travail qu’accomplit un travailleur dans sa carrière a baissé
d’environ un tiers depuis 1950.
Depuis cette même date, le taux d’activité, c’està-dire
le pourcentage de la population adulte qui recherche un emploi, ne représente
plus, en moyenne, que les 2/3 de la population en âge de travailler
(80 % en Suède mais 55 % en Italie). A partir de 1970, le nombre
de femmes mariées cherchant un emploi a crû, si bien que
la baisse du taux d’activité s’est trouvée freinée.
Il semble baisser à nouveau, parce que le nombre des chômeurs
découragés, qui passent dans la catégorie des inactifs,
augmente.
Les jeunes
Rapport entre les taux de chômage des moins de 25 ans et des adultes.
1970 |
1976 |
|
Autriche | 1,6 |
1,4 |
Belgique | ? |
1,7 |
Grande-Bretagne | 1,2 |
3,4 |
France | 1,3 |
2,6 |
Rép. Fédérale | 0,8 |
1,7 |
Italie | 0,9 |
3,3 |
Hollande | 6,8 |
9 |
Espagne | 3,3 |
3,8 |
Suède | 2,2 |
3 |
La liste des mesures adoptées pour leur venir
en aide est longue et témoigne de quelque imagination. Mais quels
résultats ? C’est ainsi que les gouvernements dispensent les
employeurs de cotisations de sécurité sociale (France),
fixent un quota de jeunes travailleurs par entreprise (Autriche), accordent
une subvention à l’employeur (G.B., Suède), favorisent
les mises à la retraite pour employer un jeune (Belgique, France),
accordent des contrats de formation (Italie, Australie), organisent
des stages de formation (Etats-Unis, France, G.B.), suscitent une coopération
école-patrons (Etats-Unis, Japon), prolongent la scolarité
obligatoire (Pays-Bas), créent des emplois (Etats-Unis, G.B.,
Canada, Danemark), versent des aides financières aux jeunes,
même s’ils n’ont jamais occupé d’emploi (Suède,
Etats-Unis, Canada, Belgique).
Ces mesures sont coûteuses, transfèrent la charge des employeurs
aux contribuables et n’ont pas d’effets durables.
On en parle de plus en plus : il n’y a plus d’emplois pour tout le monde
et il n’y en aura sans doute plus. Il est temps de repenser le problème
dans sa totalité.*
* Cet article doit beaucoup à « The Economist ».
Soit dit en passant
C’est en fredonnant le « Chant du Départ
», ce matin-là, et d’un pas décidé, que le
Président Giscard d’Estaing entra dans son bureau élyséen.
A cette heure encore matinale tout était calme dans la maison
et l’huissier de service qui somnolait dans l’antichambre ne s’était
même pas réveillé à son passage.
Giscard était de bonne humeur. La victoire en chantant lui avait
une fois de plus ouvert la barrière. Mais dès qu’il eut
ouvert la porte il s’arrêta de chanter et les dernières
notes du refrain allèrent se perdre sous les lambris Pompadour,
quand il vit, installé dans son propre fauteuil, les deux pieds
nonchalamment posés sur la table, un personnage au teint basané
qui l’accueillait avec un large sourire et, d’un geste de la main, l’invitait
à prendre un siège.
Le Président se frotta les yeux. Il s’était couché
tard, après avoir fêté sa réélection
et il n’était pas très sûr d’être très
bien réveillé.
- Où ai-je déjà vu cette tête- là
? se demandait-il en regardant l’intrus : avec mon copain Hassan, chez
Castel, au bal des Auvergnats de la rue de Lappe, ou au petit déjeuner
des éboueurs ?
- Je vous attendais, dit l’homme toujours souriant, en lui offrant un
cigare. Mais asseyez-vous donc.
- Vous m’attendiez ? sursauta Giscard. Elle est bien bonne... Mais d’abord,
qu’est-ce que vous foutez ici ?
- Ici ?... Mais je suis chez moi.
- Vous... vous êtes chez vous ? Et depuis quand ?
- Depuis hier. Mais vous étiez tellement occupé avec la
campagne électorale que vous n’avez pas prêté attention
à ce petit évènement local, pas plus, d’ailleurs,
qu’à tout ce qui se passait dans le reste du monde. Toutefois,
rassurez-vous, les choses ont été faites régulièrement,
par devant notaire, comme il se doit, et avec l’accord du gouvernement.
Et j’ai réglé cash... Il y a longtemps que je rêvais
de me payer l’Elysée.
- L’Elysée, monsieur, n’était pas à vendre.
- Aujourd’hui tout se vend, mon cher, vous le savez aussi bien que moi,
les palais, les titres de noblesse, les honneurs, les suffrages, et
même les consciences. Rien ne résiste aux pétro-dollars.
- Mais enfin... s’écria Giscard... l’Elysée... pourquoi
pas le Palais-Bourbon ?
- Vous me donnez une idée.
Intrigué, le Président se demandait s’il avait affaire
à un mauvais plaisant manipulé par Chirac, ou à
un fou, quand il eut soudain une illumination. L’homme qui était
devant lui, il le reconnaissait enfin, n’était autre que le milliardaire
saoudien Akram Oppeh. Celui qui, depuis longtemps déjà
parcourait la France qu’il aimait bien en faisant main-basse, son carnet
de chèques à la main, sur toutes les entreprises en difficulté,
les canards boîteux, comme les appelle Raymond Barre, condamnées
par le plan de redressement du meilleur économiste français
à faire faillite ou à se donner au plus offrant. Au point
que notre beaujolais commence à avoir un goût de pétrole..
Giscard soupira
- Le paquebot France ne vous suffisait donc pas ?
- Au contraire, cela m’a mis en appétit. J’ai racheté,
avec mon argent de poche, de nombreuses affaires que la dureté
des temps avait mises en difficulté, pour les renflouer. Je suis
très sollicité et je me découvre chaque jour de
nouveaux amis.
- En somme, vous êtes un grand philanthrope.
- Comme tout milliardaire qui se respecte. C’est pourquoi, afin de ne
pas disperser mes efforts et me rendre finalement plus efficace, j’ai
acheté l’Elysée. J’avais pensé d’abord à
la Maison-Blanche, mais c’est au-dessus de mes moyens. Et puis, j’aime
bien la France. Au fond, voyez-vous, je suis un grand sentimental.
- Je veux bien vous croire, mais j’aimerais savoir, si je ne suis pas
indiscret, ce que vous comptez faire maintenant.
- Ce que je compte faire ? Mais ce que vous avez, fait vous- même,
ce qu’ont fait vos prédécesseurs, tous les gouvernements
qui se sont succédés depuis plus d’un demi-siècle
pour sauver la France, je veux dire l’économie française,
atteinte, comme vous le savez, d’une grave crise de croissance, en appliquant
à la malade un traitement miracle appelé redressemment
définitif. Ce traitement, accompagné parfois d’une opération
chirurgicale consistant à amputer le franc d’une partie de sa
valeur et à serrer la vis au contribuable, a été
tellement définitif que, depuis Poincaré l’innovateur,
on doit en être au 27e à l’heure présente. De sorte
que tous les espoirs restent permis.
- Et vous pensez réussir ?
- Pourquoi pas ? C’est ça le changement dans la continuité,
comme vous dites. Mais entre nous, surtout ne le répétez
pas, je ne me fais pas plus d’illusions que vous-même. L’économie
de marché ayant pour unique moteur le profit est dépassée
par les foudroyants progrès des sciences et des techniques modernes.
Le système capitaliste est foutu. Mais ça durera ce que
ça durera. Aussi longtemps qu’un modèle de vrai socialisme,
adapté aux réalités du XXe siècle ne sera
pas proposé en exemple à tous les exploités aspirant
à plus de bonheur, de liberté et de justice.
- Bon, dit Giscard en se levant, mais qu’est-ce que je deviens, moi,
dans cette histoire ?
- N’ayez aucune inquiétude, on ne vous a pas oublié. Je
serais le premier navré de vous savoir réduit à
aller pointer au chômage. Que diriez-vous d’une place de garde-champêtre
à Chamalières ?
- Chamalières a déjà son garde-champêtre,
et je ne voudrais pas, par un coup de piston, lui faire perdre son gagne-pain.
- Ce scrupule vous honore, mon cher Président, dit Akram en se
levant à son tour. Dans ce cas, il ne me reste plus à
vous proposer qu’un emploi de pompiste sur la route nationale de votre
choix. De quoi attendre sans problème la retraite. Et croyez-moi,
dans les temps difficiles que nous traversons, quoiqu’en disent les
jaloux, le pétrole, et pour longtemps encore, c’est plus sûr.
L’absurdité de notre système économique devient chaque jour plus évidente à un nombre croissant d’observateurs. C’est ainsi qu’on pouvait lire dans le n° 78 de « Contact », mensuel de la F.N.A.C. : « Il est bien naturel que la conscience humaine se révolte devant la destruction ici de produits qui manquent là. Lorsque des agriculteurs mécontents jettent sur la voie publique des dizaines de tonnes de primeurs, chacun pense en secret que le système économique doit être une machine bien vicieuse pour qu’un tel gâchis soit inévitable alors qu’à quelques heures d’avion des enfants meurent de faim. »
*
Si, comme on le voit tous les jours, nos idées
sur la répartition du travail font de spectaculaires progrès,
les solutions que nous proposons aux problèmes monétaires
ne sont pas encore évoquées par la science économique
officielle. Ce qui n’empêche pas les choses de bouger : c’est
ainsi que sans tambours ni trompettes, l’or, en tant qu’étalon
monétaire international, a vécu : depuis le 1er avril
dernier, date à laquelle l’accord de Bretton Woods a officiellement
été définitivement abandonné, l’or n’a plus
aucune valeur monétaire.
N’est-ce pas là un grand pas de franchi ?
*
En République Fédérale Allemande
la base bouge : contre l’avis de ses dirigeants, le congrès de
la Confédération des Syndicats Ouest Allemands, réuni
à Hambourg, s’est prononcé le 25 mai en faveur de la semaine
de 35 heures et pour six semaines de vacances pour tous les travailleurs.
Gageons que nos ministres et les dirigeants du patronat français
vont rapidement cesser de nous vanter les mérites et le «
sens des responsabilités » des syndicats d’outre-Rhin.
*
Le slogan « exporter ou mourir », cher
à Hitler et à nos dirigeants (et repris par le Crédit
Lyonnais sous la forme « Exporter c’est vital ») va-t-il
être contesté par ceux là mêmes qui en profitent
?
C’est ainsi qu’analysant les difficultés de l’industrie chimique,
M. Malat, président du directoire d’ATO-chimie, filiale d’Elf-Aquitaine
et de Total, dénonçait récemment les échanges
intracommunautaires « qui sont un commerce artificiel, entretenu
et développé à dessein par chacun des pays de la
Communauté Economique Européenne dans le seul but de pousser
les exportations... C’est davantage une source d’appauvrissement qu’une
source de richesses ».
Les chimistes européens se plaignent d’autre part de la concurrence
de plus en plus efficace des pays du COMECON (association économique
des pays de l’Est) qui assurent plus de 22 % de la production mondiale
(l’Amérique du Nord atteint 26 %).
Le plus drôle de l’histoire, c’est que les pays du COMECON ont
été équipés et même suréquipés
par les pays occidentaux eux-mêmes !
*
Pareille mésaventure ne va pas tarder à
arriver à d’autres industriels dans d’autres domaines : c’est
que, dans nombre de milieux pensants ( ???) gouvernementaux et industriels,
la dernière mode est de prôner l’exportation de matière
grise et de haute technologie. Il y a là, paraît-il, un
« créneau » à prendre !
Tout esprit moyennement constitué peut cependant imaginer que
les pays (en voie de développement ou non) dans lesquels des
usines ultra-perfectionnées auront été installées
vont les utiliser pour produire ce pour quoi elles ont été
conçues. Mais comme, pour payer ces usines, les pays concernés
devront vendre la plus grande partie de leur production aux pays mêmes
qui les auront équipés, ils le feront à des prix
défiant toute concurrence puisqu’ils bénéficieront
de la très haute productivité que leur conféreront
leurs usines ultra sophistiquées et leur main d’oeuvre à
bas prix. De sorte que les p a y s industriels deviendront totalement
dépendants des pays qu’ils auront équipés.
C’est ce qui se passe déjà pour le textile et qui commence
à se manifester pour la télé couleur dont Taiwan
(Formose) a exporté plus de 124 000 postes en février
dernier, devançant ainsi le Japon. Tout cela grâce aux
investissements allemands et hollandais.
*
L’abondance tue le profit, c’est pourquoi tout le
monde s’organise pour tuer l’abondance :
- Les chimistes européens demandent une révision des règlements
communautaires qui leur permette « d’unir leurs efforts et d’harmoniser
leurs politiques tant en ce qui concerne les investissements que la
REDUCTION des capacités de production ;
- La capacité de production des panneaux d’aggloméré
de bois excédant de 30 % la demande, les prix de vente ont chuté
de 15 % entre 1974 et 1978 aussi pour « améliorer »
ses résultats, la société Isorel vient- elle de
procéder à une réduction de 25 % de ses capacités
de production en espérant être imitée par ses concurrents
;
- Après plusieurs mois de discussions engagées avec la
bénédiction des instances communautaires, les grands producteurs
européens de fibres chimiques, Hoeshst, Bayer, Rhône- Poulenc,
ICI, Courtaulds, AKSO, Montédison, SIR, ANIC, SNIA Viscosa) se
sont mis d’accord pour limiter leurs productions et leurs ventes pendant
au moins trois ans.
L’accord prévoit une réduction globale d’environ un tiers
des capacités de production et la suppression de 12 000 à
15 000 emplois (7 % des effectifs) .
Il n’est pas exclu qu’un accord analogue soit conclu pour les plastiques.
Tribune libre
Nous tenons à publier ici le témoignage d’un militant de la première heure, mais à qui l’éloignement semble avoir fait perdre de vue certaines bases essentielles de nos thèses que nous rappelons ensuite.
... Je me posais déjà, il y a 40 ans,
la question
Pourquoi nos idées ne progressent-elles pas ?
En effet, pensais-je alors, quelle meilleure solution que de devenir
tous fonctionnaires, grassement payés, de faire un temps de plus
en plus réduit de « Service Civil » et de jouir dans
un âge de moins en moins avancé d’une confortable retraite
? Fonctionnaire. enfant de fonctionnaire, j’attendais avec passion ce
monde de fonctionnaires unifié, et sans heurts. L’Enseignement,
les Postes, les Chemins de fer, ne nous montraient-ils pas l’exemple
d’une marche très satisfaisante ? d’une humanité consciente
de ses devoirs et les remplissant scrupuleusement, sans attendre pour
sou dévouement un quelconque supplément de rémunération
?
C’était il y a 40 ans. Depuis, j’ai vécu et vis encore
l’expérience socialiste en Algérie, un socialisme très
modéré, très limité, et je crois avoir trouvé
la réponse à la question que je nie posais.
Non ! cette stagnation de nos idées n’est pas plus l’effet d’une
« conspiration du silence » que les échecs agricoles
russes n’étaient celui de « vipères lubriques ».
Nos idées n’avancent pas parce que l’Economie Distributive est
une idée toute théorique et qui ne tient pas compte de
l’humain.
Parce que pour qu’une société soit viable, il faut qu’elle
emporte l’adhésion d’une large majorité de ses membres
et que, malheureusement, il n’y a qu’une petite minorité de citoyens
qui soient faits pour être fonctionnaires ; des fonctionnaires,
c’est-à-dire des gens aux ambitions modestes, d’une honnêteté
foncière, aimant leur travail pour lui-même et s’y consacrant
sans l’espoir d’autre récompense que celle d’une conscience satisfaite.
Car c’est cela un instituteur, un postier, un cheminot... C’est cela
et c’est très beau. et c’est assez rare. La très grande
majorité des gens. - s’ils se sentent quelque valeur - et même
s’ils n’en ont guère - ne travaillent que motivés par
l’appât d’un gain, d’un profit, d’un bénéfice. Supprimer
cette possibilité de profit, c’est paralyser la « machine
humaine », c’est amener la société à la faillite.
Quelques exemples pris sur le vif ?
Il y a deux ans, j’ai su que les services compétents, ici, n’avaient
pas débloqué les fonds nécessaires à l’achat
de vaccins contre la fièvre aphteuse : « S’il y a une épidémie
en ce moment, me disait alors une sommité médicale, c’est
tout le bétail bovin de l’Algérie qui va périr
». L’épidémie n’a pas eu lieu... Heureusement !
Cette année, les vaches du secteur nationalisé sont .si
maigres qu’on ne peut que les conduire à l’abattoir qui parfois
les refuse !
Tout le commerce de gros est aux mains de l’Etat... aussi reste-t-on
parfois des mois sans pommes de terre puis, miracle ! elles apparaissent,
par innombrables sacs, aux yeux émerveillés des ménagères...
Las ! un seul marchand par marché est approvisionné et
de longues queues se forment, jusqu’au jour où, sans qu’on sache
pourquoi, tous les marchands en out. et les queues disparaissent. Insouciance
?, oui et mauvaise organisation parce que « j’m’en fichisme complet
».
Il faut avoir son ascenseur en panne dans une maison de 15 étages
pour apprécier pleinement le socialisme ! Appels téléphoniques.
lettres, démarches... on se heurte à une inertie complète.
Jadis, aux Auto-Cars Blidéens, société privée,
me disait récemment un Algérien, quand un chauffeur avait
eu plus d’un accident dans l’année, il était remercié.
Aujourd’hui les chauffeurs sont fonctionnaires, ils ont la sécurité
de l’emploi, et les nouveaux cars urbains ne sont pas encore rôdés
que beaucoup sont hors d’usage.
« ... On mettra des surveillants » me rétorquait
un partisan des nationalisations à outrance. Bien sûr...
mais je m’étonnais un jour qu’un ouvrier de l’Administration.
petit entrepreneur à son compte aux heures de loisirs, ne fut
pas à son travail aux heures ouvrables ; il sourit : «
je glisse la pièce au surveillant, et il me laisse libre... ».
On refait à neuf les cages d’escalier des immeubles : 3 mois après
tout est sale, souillé, dévasté par les enfants
dont les parents se moquent : les immeubles sont « Biens d’Etat
», c’est-à-dire « Biens de personne ».
Suis-je donc devenu partisan du capitalisme ? Ah ! certes non ! Le capitalisme
agonise, tuons-le avant qu’il nous tue. Mais entre l’accumulation des
capitaux permettant la puissance des individus et une société
l’Egalité Economique. voire seulement de fonctionnarisation générale,
même hiérarchisée, il y a une solution à
trouver qui tienne compte de ce fait indéniable : la majorité
des gens a besoin de la promesse d’un bénéfice pour travailler
avec conscience. Et puis, il y a tous ceux qui se sentiraient à
l’étroit dans un cadre administratif, à qui il faut une
possibilité d’initiative. d’oeuvre de longue haleine ; ceux-là
aiment leur travail s’ils se sentent leur maître et peuvent y
consacrer leur vie ; ils n’ont que faire d’un Service Civil qui limiterait
leur activité et les renverrait en pleine maturité à
des loisirs prématurés ! Imagine- t-on des artistes, des
docteurs, des agriculteurs voués au Service Civil ?
L’Economie Distributive telle que l’a conçue Jacques Duboin,
est une idée géniale, mais une idée abstraite ;
on doit s’en inspirer, y tendre, sachant qu’on ne l’atteindra pas.
Si l’on me permet une comparaison, je l’assimilerais à la «
mécanique rationnelle », mécanique toute théorique
qui ne tient pas compte du frottement. Pour pouvoir construire, créer
la machine, il a fallu, à côté de la « mécanique
rationnelle », créer la r mécanique appliquée
» qui, elle, tient compte de l’existence des frottements.
De même les successeurs de Jacques Duboin devront- ils inventer
l’Economie Distributive appliquée, adaptée à la
psychologie humaine et qui offrira le schéma d’une société
viable.
Ce jour-là, je pense, et ce jour-là seulement, nos idées
prendront un essor nouveau et trouveront un large écho dans les
masses. »
NOTRE REPONSE :
Rappelons tout d’abord à notre camarade à
quel point il est devenu totalement faux de prétendre que nos
idées ne progressent pas. Partout, dans tous les milieux, et
jusqu’aux partis politiques les plus conservateurs, on voit admettre
que nous vivons une fin de civilisation, que tous les modes de vie doivent
être repensés. De plus en plus généralement
les experts reconnaissent que les progrès scientifiques bouleversent
nos économies. Et cette constatation vient d’atteindre un stade
déterminant puisque la Commission Européenne du travail
a mis à l’étude une nouvelle orientation de sa politique
qui la mènera forcément à l’économie distributive
: la distribution de ce qui reste de travail humain nécessaire.
Ce projet européen, aucun camarade n’osait l’espérer il
y a seulement quelques mois ! Un exemple frappant qui prouve bien cette
évolution nous a été donné récemment
par un excellent documentaire télévisé intitulé
: « Une révolution à l’anglaise » qui montrait
que quoi qu’en disent les journaux, les Anglais s’accommodent fort bien
du chômage et que ceux qui en sont victimes ne se considèrent
plus comme des parias, des exclus de la société, car ils
touchent maintenant des indemnités substantielles équivalentes
à un plein salaire. Ce qui leur permet de vivre une autre vie,
d’apprendre un autre métier, de recevoir une autre formation
ou simplement de bricoler ou de jardiner. En un mot, la vie a pour eux
une nouvelle qualité.
Mais cela les économistes capitalistes ne savent pas l’intégrer
dans leurs bilans. Il est triste que nos camarades ne s’en soient pas
aperçu.
Il nous faut d’autre part rappeler à notre vieil ami que la comparaison
qu’il fait entre le début d’un certain socialisme en Algérie
ressemble à l’Economie Distributive en France, comme une soupe
au potiron ressemble à une choucroute alsacienne. Et ceci essentiellement
parce que les conditions économiques en sont complètement
différentes. L’Algérie n’a pas, et de loin, atteint un
stade de développement qui la situe dans ce que J. Duboin appelait
un régime d’abondance, par opposition à celui antérieur
de rareté. Lors d’un voyage récent (en 1974) à
Oran. Alger et Constantine, j’ai eu l’occasion (le constater nui élan
formidable des Algériens. enthousiasmés par l’expérience
qu’ils vivent, et qui les amenaient à vouloir tout apprendre
et tout entreprendre à la fois.
Mais ce n’est pas fini, loin de là.
Notre ami met l’accent sur le rôle du comportement humain. Et
là encore, et comme tant d’autres, il oublie un élément
essentiel de nos thèses : nous ne prétendons pas réformer
la nature humaine jusqu’à obtenir l’adhésion d’une large
majorité. Nous disons que les événements économiques
tels que la diminution des besoins de main-d’oeuvre résultant
des progrès techniques, font de l’économie distributive
une nécessité vitale. Mais nous savons très bien
que, de tout temps, les hommes n’ont pris conscience des bouleversements
de leur histoire... qu’après coup. Et il n’est pas en notre pouvoir
de faire que le passage, même si les progrès scientifiques
pouvaient aider les hommes à prévoir et à comprendre
plus vite, puisse se faire sans... frottements. Ce n’est qu’ensuite
que les esprits et les comportements évoluent pour s’adapter.
L’histoire abonde d’exemples d’évolutions rapides des mentalités.
Cette façon d’affirmer que le fait que la majorité des
gens ne travaillent actuellement que motivés par l’appât
d’un gain, prouve qu’ils seraient incapables de faire quoi que ce soit
de bon dans d’autres conditions, rappelle ce qui se disait lorsque les
ouvriers ont obtenu le droit à un jour de repos par semaine.
On oublie trop à quel point ce droit fut considéré
comme un non-sens. On disait que jamais les ouvriers ne seraient capables
d’en profiter, qu’ils passeraient leurs journées à boire,
que toute leur paie y passerait, etc., etc... On a du mal à le
croire aujourd’hui et pourtant... cela s’écrivait au début
de notre siècle ! Et on parle maintenant sans crier au scandale
d’une cinquième semaine et même pour certains, d’une sixième
semaine de congé annuel. Voilà bien la preuve que les
mentalités s’adaptent très vite et tout naturellement.
Et les familles vivant dans des taudis puis qu’on a installées
un beau jour dans un appartement plus décent ? a-t-il fallu plusieurs
générations pour qu’elles prennent l’habitude d’un peu
de confort, qu’elles apprennent l’usage d’une salle d’eau ? La nature
humaine, au contraire, est douée d’une très grande faculté
d’adaptation, bien qu’elle apparaisse mutilée quand il s’agit
de faire admettre, au préalable, l’idée d’un changement
dans ces habitudes de pensée.
A l’heure actuelle, l’Algérie vit encore en économie de
marché. Comment s’étonner que les mentalités, façonnées
par l’habitude, ne soient pas adaptées à celles qui résulteraient
d’un socialisme distributif, c’est-à-dire débarrassé
du profit ? Rien ne les y a préparées. Personne même
ne l’imagine. Tout, dans la vie de tous et de tous les jours, implique
la recherche d’un salaire ou d’un profit. Il n’y a rien d’étonnant
à ce qu’une telle motivation ait toute l’apparence d’une nécessité.
Mais il est non moins évident qu’un enfant n’ayant jamais connu
cette mentalité pourrait parfaitement s’adapter à une
tout autre, sans être pour autant privé de l’envie d’entreprendre.
Et il est bien des artistes que jamais l’appât du gain n’a motivés !
M.-L. D.
Réponses aux objections
LORSQUE nous exposons les thèses de l’Economie
Distributive à des auditeurs sérieux, il est rare qu’ils
n’en admettent pas les principes tant ils sont évidents, simples
et clairs.
Cependant on nous objecte parfois des arguments d’ordre psychologique
qui méritent d’être pris en considération.
L’objet de cet article est d’en examiner quelques-uns.
Question n° 1 :
Un socialisme distributif, nous dit-on, tel que vous le concevez, bouleverse
fondamentalement les structures économiques et sociales actuelles.
Or, malgré ses imperfections, nous sommes tous plus ou moins
adaptés à ce mode de vie et, ceci, depuis des siècles.
Pour parvenir à l’édification d’une Economie Distributive
un changement total de nos mentalités ne serait-il pas nécessaire
? Et comment l’obtenir ?
*
Jacques Duboin, précisément, a toujours
écrit que l’obstacle le plus sérieux à l’instauration
de nos thèses était l’incrédulité à
leur égard de nos contemporains, y compris et surtout des intellectuels.
Ils pensent toujours à une économie que domine la rareté.
Nous sommes, sur ce point, tout à fait d’accord avec Karl Marx
qui disait que les mentalités ne se transformeront que lorsque
les conditions qui les déterminent à être ce qu’elles
sont seront différentes.
Mais comment y parvenir ? C’est tout le problème.
Si nous voulons sortir de ce cercle vicieux, il nous faut faire admettre
que l’emploi intensif du machinisme, et des techniques modernes de production
et de répartition, est susceptible de créer une abondance
telle qu’elle fera voler en éclat les principes mêmes du
capitalisme ; et changera aussi nos modes de vie.
C’est ce que nous disons depuis plus de 40 ans. Et c’est la base de
nos propositions.
Or, actuellement, les faits nous donnent raison.
On constate, en effet, que le capitalisme dont la « crise »
est structurelle, applique déjà des mesures sociales de
distribution gratuite.
Nous avons énuméré les principales (1).
Elles ont toutes pour effet de fournir du pouvoir d’achat dissocié
du travail. Or, c’est la première de nos propositions pratiques
pour asseoir une Economie Distributive. La mentalité de nos concitoyens
s’en trouve déjà modifiée.
Question n° 2 :
Mais le capitalisme, avec son économie marchande basée
sur le profit, même si sa « crise » est profonde, ne
change pas pour cela ses structures et c’est cependant la condition
primordiale pour l’établissement d’un socialisme véritable.
Que préconisons-nous à cet égard ?
*
La question de savoir comment y parvenir n’est pas
notre propos ni de notre ressort.
Quel que soit, à titre personnel, ce que nos militants puissent
en penser, nous ne discuterons pas des mérites respectifs de
la prise du pouvoir « en catastrophe », ou par la violence
ou encore, au fil des ans, par un réformisme à base électorale,
ou non.
Ce n’est pas l’objet de nos travaux.
D’autres mouvements que le nôtre s’y consacrent ou devraient sérieusement
s’y consacrer.
En ce qui nous concerne tout en dénonçant la faillite
du capitalisme, nous nous contentons de constater que les Partis, les
Syndicats et les Mouvements de gauche n’ont pas fait grand chose pour
transformer les mentalités de leurs adhérents afin de
leur créer un véritable esprit socialiste.
Et notre action doit consister à les pousser dans cette voie.
Nous devons aussi stigmatiser leur cécité devant les conséquences
du surgissement de l’abondance. Elle bloquera un système économique
qui n’est pas plus conçu pour elle que nos villes le sont pour
la circulation - trop abondante aussi - des voitures automobiles.
Question n° 3 :
En supprimant le salariat et en le remplaçant par un Revenu Social
égalitaire, ne fruste-t-on pas le sentiment de différenciation
qui constitue une loi naturelle et restera, de ce fait, une des composantes
profondes de nos mentalités ?
*
Jacques Duboin, qui était loin d’être
un utopiste, a écrit que l’Economie Distributive ne jaillira
pas d’un coup de baguette magique.
Il était convaincu qu’elle s’imposerait d’elle- même, car
les « faits sont têtus » comme disait Karl Marx.
Profondément opposé à l’emploi de la violence,
Jacques Duboin pensait qu’une période transitoire s’imposerait
également avant l’instauration d’une Economie Distributive intégrale.
Certaines de nos propositions pratiques pourraient y être insérées.
Ne parle-t-on pas déjà de l’application pour 1979 d’un
Revenu Familial de base pour les familles de trois enfants ?
Dans cette période transitoire, le Revenu Social égalitaire,
s’il était instauré, pourrait aussi être complété
comme l’ont proposé des disciples de l’Emulation récompensant
les services rendus à la collectivité.
Mais le Revenu Social égalitaire ne produira son plein effet
que lorsque l’Abondance réelle sera telle que ce Revenu, croissant
avec la production, constituera une pouvoir d’achat si important qu’il
nivellera les inégalités sociales. D’autant plus que la
gratuité de certains services y contribuera également.
En tous cas, les « lois naturelles » n’en seraient pas violées
!
Nous croyons avoir répondu, par cet article, à trois des
questions « psychologiques » gui nous étaient posées.
Mais il en est d’autres que nous évoquerons par la suite.
En attendant, nous ne pouvons que conseiller la lecture attentive -
ou la relecture - des ouvrages de Jacques Duboin et de ses disciples.
Ils répondent déjà d’ailleurs à la plupart
des interrogations que l’on peut légitimement se poser sur les
conséquences de l’instauration d’un socialisme distributif de
l’Abondance.
... Et de diffuser « La Grande Relève », où
toutes ces questions sont reprises au fil de l’actualité.
(1) Voir « La Grande Relève » n°755, avril 1978.
LE conservatisme déforme la cause du chômage
pour mieux jongler de palliatifs en palliatifs. Il est « conjoncturel
», « structurel » « frictionnel » (c’est
le tout dernier), il est dû à l’instabilité des
préposés au travail, à la lenteur de leur choix
d’un emploi, à leur manque de sens civique ; ah ! ces ouvriers
japonais qui refusent leurs vacances pour que leurs employeurs ne gagnent
pas moins d’argent ! Mais ne sont-ils pas aux antipodes ?..
Les leaders de l’opposition promettent l’emploi avec la même conviction
que Mme Soleil prédit le soleil pour les hôteliers et la
pluie pour les traqueurs d’escargots, sans plus, ce qui dispense de
toute analyse concrète. D’autres encore, exégètes
imprégnés des soulèvements révolutionnaires
passés, minimisent l’ampleur du chômage et son impact sur
l’économie. Ils font bonne mesure aux palliatifs du capitalisme,
espérant par là justifier la valeur de leurs théories
d’hier pour le contexte de demains. Toujours un peu de Mme Soleil.
« Enfoncez-vous bien ça dans la tête », la
formule, répétée par les antennes, par la presse,
s’imprègne dans les cerveaux :
PLEIN EMPLOI ! PLEIN EMPLOI ! ploa !.. ploa...
Leitmotiv du système d’économie échangiste, incantations,
litanies, croassements repris par les leaders de « gauche »
et transmis en écho lors des manifestations : ploa !.. ploa !..
Plein emploi ! mais pourquoi faire ? des produits que nous détruisons
(pardon « assainissons »), des gadgets, des armements-export.,
dans le cadre de l’échange-profit ?
Plein emploi de quoi ? du travail des hommes ou de celui des machines
qu’ils créent pour pouvoir accéder aux loisirs ? La réponse
n’est pas prévue ; resterait-elle tabou pour les Commissions
d’Etudes d’Economie Politique ?
A ce propos du plein emploi, l’O.C.D.E. apporte une information significative
: au cours d’une réunion d’experts elle constatait (dès
juillet 1977), l’aggravation du chômage en ces termes : - « Les
chômeurs de plus de 40 ans ont beaucoup de mal à retrouver
un emploi ; tandis que les jeunes qui atteignent un âge adulte
sans expérience professionnelle significative ont de plus en
plus de difficultés à se faire ouvrir les portes du marché
du travail. Les systèmes d’indemnisation qui étaient destinés
au départ à faciliter la recherche d’un emploi se transforment
progressivement, par la force des choses, en un moyen de faire supporter
leur situation à ceux qui sont en fait devenus « inemployables »
».
Les experts eussent pu ajouter que ce moyen concourait également
à conserver quelque profit aux détenteurs des biens que
pouvaient désormais acquérir ces « inemployables
».
« La force des choses » a conçu des indemnités
sans contre-partie de travail. Sera-t-il encore longtemps impensable
qu’on puisse aider la force des choses à généraliser
et rationaliser cet état de fait ? Et puisque la force des choses
réduit à 15 années la période active de
l’homme, les forces de gauche prôneront-elles longtemps encore
le plein emploi ou bien se résoudront-elles, avec nous, à
revendiquer le Service Social de Travail en fonction des besoins exprimés
et des techniques de production ?
Plein emploi !.. Plein emploi !..
Le problème est international. Gunter Weinert*, de Hambourg,
a fait le point de cette préoccupation majeure des pays équipés :
Après avoir rappelé la progression du chômage aussi
bien aux Etats-Unis qu’en Allemagne, en France, en Grande-Bretagne,
il observe que : « Si les économistes sont désemparés
face à l’ampleur du phénomène, c’est que depuis
1974, tout l’arsenal dé la politique économique semble
incapable d’en venir a bout ». Et plus loin il précisé
: « Il né s’agit plus là d’une simple inadaptation
qualitative dé l’offre à la demandé de travail,
mais bien d’une insuffisance persistante de l’offre de travail, comme
en témoigné la faible utilisation dés capacités
productives ».
*
Il passe ensuite en revue lés actions entreprises
pour diminuer lé chômage, et cité toutes lés
diverses allocations versées à l’aide dés fonds
publics.
Comment ces subventions octroyées (et n’oublions pas que c’est
pour la sauvegarde des salaires et des profits) par les gouvernements
des pays équipés, n’entraîneraient-elles pas la
galopante dévaluation dés monnaies ?
L’argent né tombé pas du ciel. L’Etat** s’en procure d’abord
par l’impôt, ce qui est un transfert. Mais quand il lui en faut
plus, il demande à la Banque de France d’en fabriquer pour le
lui prêter à intérêt. C’est donc là
une création de monnaie, qui se dévalue proportionnellement,
puisqu’elle correspond à une quantité de biens qui, elle,
est fixée par le seuil de rentabilité, donc ne varie pas.
Cette cavalerie monétaire déroute encore les postulants
à la gestion d’un néo-échangisme que les capitalistes
eux-mêmes ne parviennent pas à concevoir... Voilà
un des obstacles par lesquels la « Force des choses » constatée
par l’O.C.D.E. est tenue en échec.
*
Par sa nature même, la force des choses s’impose.
Un pays techniquement avancé, le Canada, s’y heurte. Depuis les
années 60 (1960-1975) sa croissance économique est montée
de 5 % et la croissance du chômage de 7 %***. Lé plein
emploi n’y est manifestement plus « au coin de la rue ».
Cette signification péremptoire des faits a amené ces
positifs citoyens à la lutte, non plus pour un utopique plein
emploi, mais à celle de la garantie du salaire.
Des mesures d’assurances chômage (loi de 1971) garantissant les
revenus se sont imposées : pour tout salarié cotisant,
huit semaines de travail au cours de l’année donnent droit à
la prestation des 2/3 du salaire antérieur durant 44 semaines.
L’année qui fait suite marque un autre exercice... Pour faciliter
les huit semaines de travail, l’Etat canadien crée directement
des emplois par le canal des Programmes d’initiatives Locales (P.I.L.)
qu’il finance ; là, les participants peuvent s’adonner à
des travaux variés : petites constructions (centre communautaire,
sportif), entretiens divers, etc..., durant les 8 semaines annuelles
imparties pour l’obtention de la prestation des 44 semaines suivantes.
Ce système d’assurance chômage garantissant le salaire
ou le revenu, en dehors de la contrepartie de travail, éclairé
le rôle social du chômage qui prend l’aspect : « ...d’une
allocation de temps payée par la Société à
l’individu pour qu’il utilise comme bon lui semble une sorte d’année
sabbatique, comme celle envisagée au Danemark ». (Qu’il
utilise le temps de repos que lui conquiert la machine qu’il créa,
dirons-nous). L’article cité ci-dessus se poursuit par . «
Ce serait l’amorce d’une nouvelle conception des relations entre individus,
travail et société, mais une conception qui en quelque
sorte se déguiserait sous les institutions encore existantes
».
Les yeux s’entrouvrent !
Au Canada, comme en tout pays équipé, le financement des
revenus par l’Etat sans possibilité de travail en contrepartie
posera, avec l’anéantissement de la monnaie thésaurisable,
la nécessité de la création d’une monnaie de consommation.
Ainsi se profile LE GRAND SOIR DE LA FORCE DES CHOSES.
C’est en étudiant les transformations que subissent empiriquement
nos institutions que nous découvrirons le rôle nouveau
qu’elles s’apprêtent à jouer » écrivit Jacques
Duboin.
* Dans le n° de septembre 1977 de la revue «
Wirtschafsdienst ».
** Voir « Pourquoi manquons-nous de crédits ? »,
par Jacques Duboin.
*** Revue « Echange et Projets » n°13, 1977.
Réflexions
DANS un article intitulé : « Pas de désarmement sans contrôle », l’ancien délégué permanent de la France à la Conférence du Désarmement, M. Jules Moch, rappelle opportunément l’existence de cette conférence dès l’entre- deux guerres mondiales, puis à partir de 1951, il n’est pas osé d’affirmer que le résultat ne répond pas à de si longs efforts. Nous dirons plus loin pourquoi il n’y répondra jamais, même si était accepté le « contrôle » souhaité par l’auteur de l’article. (« Le Monde » du 27 avril 1977).
LA GUERRE REMEDE A LA CRISE
SOUS le titre « Une conjoncture internationale peu rassurante » on lit : (« Le Monde » du 6-9-77) que M. Jacob Javits, sénateur républicain des U.S.A., a déclaré le 29 août dernier qu’il fallait éviter à tout prix « un des plus grands dangers du siècle », le déclenchement, d’ici deux ou trois ans, d’une nouvelle grande dépression économique, laquelle, selon lui, pourrait durer encore plus longtemps que celle des années 30 » parce que on ne pourrait plus compter, de nos jours, sur la préparation d’une guerre pour la surmonter... », Admirons le franc cynisme de cet aveu rétrospectif sur les guerres passées, et découvrons plus loin que Paul FABRA, auteur de l’article, précise une des causes de l’inquiétude du sénateur : « La concurrence des produits étrangers apparaît de plus en plus comme insupportable. Les réactions de protectionnisme qui s’ensuivent pourraient, de proche en proche, désorganiser gravement des appareils de production conçus, un peu partout dans le monde, en fonction précisément des débouchés extérieurs ». Complétons, en rappelant que la recherche des débouchés extérieurs détermina beaucoup de guerres, coloniales ou non. Il semble qu’on se refuse à le voir clairement,
LES DEBOUCHES EXTERIEURS, NECESSITE VITALE
POURQUOI faut-il des débouchés extérieurs ? Il faut des débouchés extérieurs aux régimes économiques qui se sont donné pour moteur l’expansion, appelée aussi croissance, c’est-à-dire l’augmentation sans répit de la production, donc de la consommation. Lorsque la consommation intérieure est dite saturée, (parce que l’accroissement de la production provoquerait la chute des prix et des profits), il faut exploiter la consommation extérieure. D’où des expédients, tel le Marché Commun, qui propose aux « autres » d’acheter ce qu’ils ont déjà en suffisance ; le problème du vin en est un exemple lumineux. D’où aussi les nouveaux dumpings qui inondent de produits manufacturés à bas prix en Extrême-Orient le marché français, de textile en dernier lieu. On reparle donc de ce protectionnisme qu’on a connu il y a quelques décennies, avec l’usage des « canonnières ».
LES DEUX BLOCS IRRECONCILIABLES AD VITAM ?
LES canonnières se sont développées aux dimensions absurdes d’un armement conventionnel et nucléaire dix fois supérieur aux besoins de destruction de la planète entière. Parce que deux grandes puissances ou blocs de puissances sont en compétition. Sur quel plan ? Idéologique : ça semble vouloir dire collectivisme contre libéralisme. Ça semble pouvoir se traduire par : bonheur des hommes assuré par l’Etat omni-pensant, bonheur des individus assuré par la libre entreprise. Commercial : ça semble vouloir dire : l’autarcie ne suffit pas, donc nécessité de débouchés en vue des échanges ; production toujours accrue nécessaire à la survie de l’autre bloc, donc débouchés assurant cette croissance. Culturel : tout est commandé par l’intérêt politique du bloc ; tout est laissé à l’initiative des citoyens de l’autre bloc. Est-ce bien sérieux ? L’accord ne peut-il se faire entre les intéressés en vue de leur survie immédiate et de leur existence à venir ? Il semble qu’on se refuse à l’envisager clairement.
DESARMEMENT ? NON : TROP DE CHOMAGE
SI cet accord voyait le jour, si les blocs et les Etats
se refusaient à l’auto-destruction, le désarmement serait-il
alors possible ? Non, car la paix sur la terre, impliquant le désarmement
total, impliquerait aussi la mise au chômage d’un nombre très
important de travailleurs.
Envisager une reconversion serait proprement utopique, à une
époque et dans un régime où, depuis des années,
40 % des entreprises travaillent très au-dessous de leurs capacités
techniques de production. M. Jules Moch semble n’en avoir pas pris conscience
lorsqu’il déclara sereinement « que la reconversion »
a des fins pacifiques doit être menée progressivement pour
éviter des pointes de chômage. Alors que le chômage
s’affirme irréversible dans un régime économique
où la technique ne cessant de remplacer des hommes, on n’imagine
pas l’existence d’hommes qui ne travaillent pas, il est insensé
d’espérer la réinsertion de millions de travailleurs dans
le « marché du travail » déjà sursaturé.
DESARMEMENT ? NON : PERTE DES PROFITS
SI cet accord voyait le jour, les entreprises de fabrication
d’armement, et toutes celles chargées des transports, de l’équipement,
de l’habillement, de la nourriture, bref, de « l’intendance »,
ne procureraient plus : 1) les bénéfices astronomiques
réservés aux « actionnaires », 2) les éléments
indispensables à l’indispensable « balance commerciale
». Ce qui permet à Jacqueline Grapin et Jean-Bernard Pinatel
d’écrire : (La guerre civile mondiale) : « Demain la politique
étrangère se mettra au service des exportations d’armements
». Il semble qu’on se refuse à le voir clairement.
Si les crises économiques doivent être résolues
par la guerre, si le travail-qui-fait-vivre, le profit des entreprises,
la balance des échanges extérieurs s’opposent au désarmement,
c’est parce que le régime dit de l’économie de marché
ou de l’échange, en vigueur dans les deux blocs, n’offre pas
les solutions nécessaires. Il convient donc d’en changer. Il
semble qu’on se refuse à le voir clairement, et qu’on préfère,
la tête froide, le cataclysme nucléaire à l’invention
d’un système économique de notre temps. Il existe, mais
on se refuse à le connaître car il ne rapporterait... que
la paix.
P.S.- Concernant l’important problème du désarmement des esprits, nous ne pouvons laisser passer ces lignes de Monsieur BOUTHOUL, fondateur de l’Institut Français de Polémologie, dans un article intitulé « Le complexe de Damoclès » (« Le Monde ») : « La paix vit dans la fascination de la guerre, fascination ambivalente mêlée de nostalgie, car les nations qui se trouvent dans l’impossibilité de faire la guerre se sentent frustrées de ce suprême recours et déchues du privilège de faire l’histoire », et plus loin : « une génération sans guerre... est privée désormais de l’illusion que les tragiques bouleversements qui accompagnent les hostilités permettent de résoudre les conflits et d’instaurer de nouveaux équilibres plus stables ». Curieuse analyse digne de Barrès on Déroulède !
2e P.S. - Messieurs CARTER et BARRE s’entretiennent du désarmement. Les « Monde Diplomatique » de mars et novembre 1976 ont révélé leur commune appartenance à cette Commission Trilatérale qui a pris la relève des 200 familles et de la Synarchie. La presse et la radio françaises se refusent à divulguer cette information capitale. Pourquoi ? Pourquoi ont-elles ignoré l’Assemblée Mondiale des Bâtisseurs de la Paix tenue à Varsorie en mai 1977 ? Pourquoi leur a-t-on interdit la plus petite allusion à l’Economie Distributive ?