Plan du site
   Association pour l’Économie Distributive
 
 
AED _Archives_ Articles > N° 758 - juillet 1978

 

Le site est passé à sa troisième version.

N'hésitez-pas à nous transmettre vos commentaires !
Merci de mettre à jour vos liens.

Si vous n'êtes pas transferé automatiquement dans 7 secondes, svp cliquez ici

 

 

< N° Précédent | | N° Suivant >

N° 758 - juillet 1978

La répartition du travail : II. A l’étranger   (Afficher article seul)

Fièvre de croissance   (Afficher article seul)

Sainte-Anne des ondes au bûcher   (Afficher article seul)

L’irrésistible ascension du chômage   (Afficher article seul)

Politique-fiction   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

Réformer les mentalités   (Afficher article seul)

Nature humaine et économie distributive   (Afficher article seul)

Chômage, porte entr’ouverte des loisirs   (Afficher article seul)

Nous voulons mourir aveugles   (Afficher article seul)

^


21 mars 1978, date historique

La répartition du travail : II. A l’étranger

par M.-L. DUBOIN
juillet 1978

A la suite de la publication du projet de «  répartition du travail » examiné par la C.E.E., nous avons entrepris (1) d’étudier les causes qui ont amené la Commission Européenne à rejoindre nos propositions. Ayant déjà rappelé quelques chiffres et statistiques relatifs à la France, nous analysons aujourd’hui la situation à l’étranger, dans les pays semblablement développés.
« En octobre 1977, on a enregistré dans les pays de la CEE 5,9 millions de chômeurs, soit 5,60% de la population active civile. Face à ce chiffre nouveau très élevé, les espoirs naguère placés dans une reprise durable et une solution au problème du chômage se sont complètement évanouis » estime un expert allemand (2) qui poursuit : « Loin de diminuer, le nombre de chômeurs déclarés augmente dans la plupart des pays membres, le taux de cette croissance se situant entre 9 % au Royaume Uni et 25 % au Danemark par rapport à l’année précédente... De plus, à moyen terme, il faut réviser à la baisse les perspectives d’emploi jusqu’à présent admises... La croissance du nombre des actifs n’avait jusqu’à la crise actuelle posé de problèmes d’embauche sérieux qu’à quelques pays. Depuis 1975, elle se conjugue à une diminution du nombre des emplois offerts, et cette fois dans tous les pays de la CEE. Certaines catégories professionnelles subissent plus gravement le chômage. Dans beaucoup de pays membres, il s’agit d’abord de la métallurgie et du travail des métaux, du commerce de gros et de détail, des emplois de bureau et enfin du bâtiment ».
Dans sa rubrique consacrée à l’étranger, Pierre Simon nous apporte plus loin (3) des chiffres significatifs. Donnons ici seulement quelques exemples pris au hasard.
En Grande-Bretagne, le gouvernement a alloué 850 millions. de livres (soit 7,2 milliards de francs) à la British-Leyland, premier constructeur national de voitures, pour financer son plan de redressement. Ce plan prévoit des investissements d’un montant de 1,3 milliards de livres d’ici à 1981 afin d’améliorer la productivité (la production de voitures par ouvrier devant passer de 5,4 en 1977 à 6,4 cette année puis à 8 au cours des prochaines années). 10 000 suppressions d’emplois seront réalisées cette année (4) .
En Italie, la nouvelle Fiat, la « Ritmo » est fabriquée à Rivalta, près de Turin, et à Cassino. Dans ces deux usines, des armadas de palettes glissent sur des chemins magnétiques à l’intérieur d’usines quasi-désertes. Elles transportent des squelettes d’automobiles auxquels des robots anthropomorphes donnent leur rigidité, poste après poste, soudure après soudure, grâce à des bras monstrueux (5).
Les entreprises allemandes procèdent, depuis déjà un certain temps, à d’importants programmes de rationalisation et d’automatisation. Il en est ainsi même des firmes remarquablement florissantes comme Daimler-Benz (Mercédès) et les syndicats allemands estiment « que l’évolution technologique met en péril de nombreux emplois (6) ». Globalement l’industrie allemande a allégé ses effectifs de 10 % entre 1973 et 1976. De plus, le taux d’utilisation des capacités de production y reste encore de 6 % au-dessous de la normale (7).
On parle de la constitution d’un grand groupe sidérurgique belgo-luxembourgeois qui aurait une capacité de 18 à 19 millions de tonnes. Ce qui en ferait le 5e producteur mondial. Le tout se traduirait par la suppression en 1978 de 7 000 emplois sur 55 000 et l’octroi d’une aide importante des pouvoirs publics (8).
Il importe de souligner en face de ces exemples relatifs au chômage dans la CEE que le produit intérieur brut de la communauté n’a pas pour autant cessé de croître. Les derniers chiffres connus de cette croissance ont été publiés dans « Le Monde » du 21 mars : le produit intérieur brut pour l’ensemble de la CEE a augmenté en 1977 entre 2 et 3 %. La prévision pour 1978 approche de 3 %. Et tous les experts s’accordent pour annoncer une croissance du chômage. Dans le textile, par exemple, le Bureau International du Travail estime qu’un travailleur sur trois risque de perdre son emploi d’ici à 1985 en Europe occidentale (7).
Cette situation n’est pas l’apanage des pays de la CEE. Etudiant récemment l’élargissement de la communauté par l’entrée de la Grèce, de l’Espagne et du Portugal, la Commission Européenne a noté que « les restructurations industrielles et agricoles provoqueront des dégagements de main d’oeuvre qui aggraveront notablement le chômage dans la Communauté (5). Déjà le taux de chômage dans la population active en Espagne atteint plus de 5 %. Pour faire face à un des défis majeurs des années 80, la Commission estime « qu’il faut de toute urgence définir une politique de l’emploi audacieuse ».
Enfin, au Japon, la situation est semblable. Nous en avons pour preuve cette conclusion d’une étude récente publiée par le journal « Le Monde » (9) : « Dans les succès commerciaux des Japonais, encore illustrés par un excédent record en février de leur balance commerciale, il faut d’abord voir le résultat d’un effort désespéré pour trouver à l’extérieur des débouchés permettant de limiter le chômage ».
Cette recherche d’une clientèle solvable pour absorber la production croissante étant désespérée, et les gros efforts d’investissements se révélant aussi décevants, des palliatifs de moindre ampleur ont été essayés un peu partout. Pierre Simon (3) en cite quelques-uns. Nous les passerons en revue dans la troisième partie de cette étude. Nous savons déjà que c’est parce qu’aucun de ces moyens n’est susceptible de résoudre le problème du chômage croissant que le Comité Permanent de l’emploi de la CEE vient de reprendre une idée de J. Duboin en proposant à la Communauté la « répartition du travail ». Nous en analyserons ensuite les conséquences prévisibles.

(1) Voir « Grande Relève » n°  757.
(2) Bernardt Seidel, « D.I.W. - Wochenbericht » (Berlin), 21 décembre 1977,
(3) Voir page 5.
(4) « Le Monde » du 5-4-1978.
(5) « Le Monde » du 21-4-1978.
(6) « Le Monde » du 29-3-1978.
(7) « Le Monde » du 4-4-1978.
(8) « Le Monde » du 31-3-1978.
(9) « Le Monde » du 1-4-1978.

^


Réflexions

Fièvre de croissance

par M. DUBOIS
juillet 1978

Médecins perplexes

LORSQUE j’étais gamin, il m’arrivait souvent, comme aux autres gosses, de présenter des symptômes pathologiques tels qu’accès de température (parfois élevée), maux de tête, courbatures plus ou moins générales, etc..., sans qu’aucune véritable maladie puisse en fournir la justification immédiate ou ultérieure. Le médecin, lorsqu’il était appelé, confirmait le plus souvent le diagnostic des parents : fièvre de croissance. Aucune médication, un peu de repos ou de fortifiant, et tout rentrait dans l’ordre en quelques jours.
Dans nos sociétés modernes, la croissance est aussi à l’ordre du jour. Mais ses accès de fièvre sont loin d’être aussi anodins que ceux de notre enfance ; et nombreux sont les ausculteurs économiques cherchant à la fois un diagnostic et des remèdes.
C’est ainsi que dans « Le Monde » du 7 février 1978, M. Bruno-Dethomas essayait d’analyser ces problèmes et leurs relations avec ceux concernant les programmes énergétiques. Relations pour le moins apparemment inconciliables puisque certains milieux politiques hostiles aux techniques nucléaires se proclament néanmoins partisans d’une forte croissance économique justifiant une production accrue d’énergie, laquelle nécessite dans l’état actuel des choses un large appel aux dites techniques.
Et l’auteur, après avoir rappelé qu’une centrale nucléaire de gauche serait tout aussi nocive que son homologue de droite, de se demander si nos sociétés ne devraient pas rechercher une adaptation qualitative plutôt qu’une croissance quantitative dont il affirme qu’elle deviendra bientôt physiquement impossible.
Dans le même journal, un autre économiste, M. Fred Hirsch, soulignait que la croissance économique n’est plus un étalon adéquat pour apprécier le bien-être de la société, bien qu’elle ait, dans le passé, provoqué une bien plus grande expansion de ce bien-être que la redistribution des revenus n’aurait jamais pu en apporter.

La fuite en avant

Cette remise en cause de la croissance n’est pas nouvelle, et chacun se souvient des fracassantes conclusions des experts du club de Rome proclamant, voici quelques années, la nécessité de la croissance zéro pour sauvegarder ce qui peut l’être encore de notre environnement et des ressources de la planète en énergie et en matières premières. Mais nous avons, depuis bien longtemps également (voir notamment GR nos 637 et 645 : « Les condamnés ») expliqué à nos lecteurs que dans le système économique actuel, il n’y a d’autre choix que celui d’une vertigineuse fuite en avant, ne pouvant aboutir qu’à un véritable suicide de l’humanité sous le double effet de l’explosion démographique et de l’épuisement des ressources.
Toutes les études actuelles reflètent bien, malheureusement, la véracité des dangers dénoncés alors. Mais il est absolument indispensable de rappeler aux chercheurs de bonne volonté, quelle que soit leur appartenance politique, combien l’Economie des Besoins ouvrirait de voies nouvelles dans la quête de ces nouveaux équilibres tant souhaités entre un mieux-être généralisé et une gestion rationnelle des patrimoines naturels.
Voies nouvelles d’abord dans la mise en oeuvre des énergies dites douces, trop souvent bloquées dans l’économie de marché, par des considérations essentiellement mercantiles.
Voies nouvelles également grâce à la suppression des gaspillages et des productions inutiles ou nuisibles n’ayant pour seul objet que le profit ou la création d’emplois. Au premier rang, évidemment, les armements, et rappelons que, selon l’hebdomadaire « Match » :
« L’année dernière le monde a dépensé pour s’armer 330 milliards de dollars. Soit l’équivalent du produit national brut annuel de toutes les nations réunies d’Amérique latine, d’Afrique et du Moyen-Orient ; des dépenses nationales pour l’éducation dans le monde entier ; du double des dépenses mondiales pour la santé ; de 15 fois l’aide étrangère aux pays en voie de développement. Dans les pays industrialisés, 400 000 chercheurs travaillent à des fins militaires... ».

Cherchons ensemble

Voies nouvelles enfin grâce à la possibilité, en économie des Besoins, de mettre un terme au malentendu le plus néfaste de notre époque. C’est le professeur J.-K. Galbraith qui, dans une interview accordée au journal «  Le Monde » et publiée dans le numéro du 7 février 1978, dénonçait à son tour la confusion savamment entretenue entre libéralisme économique et libéralisme politique, le second étant presque toujours invoqué pour justifier la survie du premier, pourtant générateur des pires totalitarismes depuis les révolutions mécanicienne et cybernétique. Avec le Revenu Social et la monnaie de consommation, il devient possible de proposer à tous les hommes épris à la fois de justice et de liberté un autre choix que celui d’un statu quo inacceptable ou d’un collectivisme inopérant.
Sans doute faudra-t-il encore bien des recherches et des efforts pour mettre en place ces « nouvelles » solutions préconisées pourtant depuis près d’un demi-siècle par J. Duboin. Mais c’est dans cette voie que nous cesserons de tourner en rond, telles des épaves désemparées, irrésistiblement aspirées vers le gouffre fatal.

^


Sainte-Anne des ondes au bûcher

par P.-N. ARMAND
juillet 1978

IL ne faut jamais désespérer de la canaillerie capitaliste. Cette saloperie est capable de belles prouesses !
Une des toutes dernières est d’avoir épinglé à son palmarès une jolie brune douée d’un tempérament éruptif.
Depuis sept ans on écoute sur « France-Inter » cet ange exterminateur qui a nom Anne Gaillard.
Armée de la foudre radiophonique, elle transperce à coups de micros vengeurs tout ce qui grouille, magouille et tripatouille en tous temps et en tous lieux.
Sainte-Anne des Ondes a mis k.-o. technique : la fripouillerie des contrats d’assurance imprimés de façon microscopique, le mic-mac des voitures neuves payables au prix du jour de livraison (au lieu de celui de la commande), le décryptage de la datation des conserves Champollion, les colorants alimentaires, l’exploitation des «  nègres » pour écrire des bouquins, pour ne citer que ses plus remarquables résultats.
Bien sûr, cette hécatombe ne s’est pas produite sans douleurs. « Radio-France » lui doit quelques procès. Heureusement tous gagnés. Mais plaidez, plaidez, il en restera toujours quelque chose ! En Correctionnelle, sept ans écoulés, tout le monde confond le nom de la victime avec celle du délinquant.
Bref, les tenants du Veau d’or joufflu, les crapauds nocturnes, fédérés aux cloportes caverneux, sont parvenus à leurs fins. Désormais, la faune des marécages pourra maquiller tranquillement. A la rigueur, on trouvera à Anne Gaillard un strapontin et on lui procurera un éditeur (régulier) pour son livre : «  Un combat perdu d’avance ? ». Un titre sans illusion. Le principal c’est qu’elle ne vitupère plus, le micro entre les dents.
Que l’on continue à jouer au bonneteau économico-financier en toute sérénité. Ce n’est pas le Service de la répression des fraudes qui assurera la Grande Relève d’Anne Gaillard.

^


Étranger

L’irrésistible ascension du chômage

par P. SIMON
juillet 1978

EN 1974 et 1975, alors que l’économie de nombreux pays traversaient la crise que nous connaissons, la réduction des échanges et de la production a poussé les entreprises à comprimer leurs frais, en licenciant une partie de leurs salariés. Elles n’avaient guère d’autre solution, ne pouvant agir sur les autres facteurs du coût de production qui sont, essentiellement, le coût de l’énergie et celui des matières premières.
Depuis lors, une « reprise » s’est amorcée. On pouvait en attendre des créations d’emploi, mais le total des chômeurs n’a cessé de croître comme le montre le tableau suivant, à l’exception des Etats-Unis.
En % de la population active :

 
1973
1974
1975
1976
1977
Autriche
1,6
1,5
2,1
2
1,7
Belgique
2,3
2,6
4,5
5,8
6,5
Grande-Bretagne
2,8
2,9
4,4
7
7,5
France
2,6
2,7
4,1
4,6
5,2
Rép. Fédérale
0,9
1,5
3,6
3,6
3,5
Italie
3,7
3,1
3,6
6,4
7,2
Hollande
 ?
3,3
4,7
5,1
4,9
Espagne
2,2
2,3
4,1
5,1
5,3
Suède
2,5
2
1,6
1,6
1,7

Bien sûr, l’offre de main d’oeuvre sur le marché de l’emploi n’est pas stable et varie avec le taux de natalité. C’est ainsi que, juste après 1960, la population active a fortement augmenté à la suite du baby boom des années d’après-guerre pour décroître puis croître à nouveau vers 1975 avec la forte natalité des années 1960. Depuis 1965, les taux de natalité baissent de façon générale mais les effets ne se feront pas sentir avant au moins 1980. Et encore  ! car, en même temps, le nombre des départs à la retraite va diminuer en raison du faible taux de natalité des années 20. De sorte que, faute d’action, on ne peut s’attendre à une contraction de l’offre de main d’oeuvre.

Ces pelés, ces galeux

Dans l’euphorie économique qui a succédé à la guerre, les grands pays européens ont laissé leur main d’oeuvre s’accroître grâce à l’immigration de travailleurs dont beaucoup venaient d’Europe. Si bien que, lorsque ces travailleurs immigrés ont fait les frais de la récession, lis sont retournés chez eux, exportant ainsi le chômage à un autre continent.

La lutte contre le sous-emploi

On a diminué le nombre d’heures de travail dans les années 50 et même 60, amélioré les avantages sociaux favorisant la retraite, allongé la scolarisation obligatoire, encouragé la poursuite des études au-delà de cette période. D’après l’OCDE, le nombre d’heures de travail qu’accomplit un travailleur dans sa carrière a baissé d’environ un tiers depuis 1950.
Depuis cette même date, le taux d’activité, c’està-dire le pourcentage de la population adulte qui recherche un emploi, ne représente plus, en moyenne, que les 2/3 de la population en âge de travailler (80 % en Suède mais 55 % en Italie). A partir de 1970, le nombre de femmes mariées cherchant un emploi a crû, si bien que la baisse du taux d’activité s’est trouvée freinée. Il semble baisser à nouveau, parce que le nombre des chômeurs découragés, qui passent dans la catégorie des inactifs, augmente.

Les jeunes

Rapport entre les taux de chômage des moins de 25 ans et des adultes.

 
1970
1976
Autriche
1,6
1,4
Belgique
 ?
1,7
Grande-Bretagne
1,2
3,4
France
1,3
2,6
Rép. Fédérale
0,8
1,7
Italie
0,9
3,3
Hollande
6,8
9
Espagne
3,3
3,8
Suède
2,2
3

La liste des mesures adoptées pour leur venir en aide est longue et témoigne de quelque imagination. Mais quels résultats ? C’est ainsi que les gouvernements dispensent les employeurs de cotisations de sécurité sociale (France), fixent un quota de jeunes travailleurs par entreprise (Autriche), accordent une subvention à l’employeur (G.B., Suède), favorisent les mises à la retraite pour employer un jeune (Belgique, France), accordent des contrats de formation (Italie, Australie), organisent des stages de formation (Etats-Unis, France, G.B.), suscitent une coopération école-patrons (Etats-Unis, Japon), prolongent la scolarité obligatoire (Pays-Bas), créent des emplois (Etats-Unis, G.B., Canada, Danemark), versent des aides financières aux jeunes, même s’ils n’ont jamais occupé d’emploi (Suède, Etats-Unis, Canada, Belgique).
Ces mesures sont coûteuses, transfèrent la charge des employeurs aux contribuables et n’ont pas d’effets durables.
On en parle de plus en plus : il n’y a plus d’emplois pour tout le monde et il n’y en aura sans doute plus. Il est temps de repenser le problème dans sa totalité.*

* Cet article doit beaucoup à « The Economist  ».

^


Soit dit en passant

Politique-fiction

par G. LAFONT
juillet 1978

C’est en fredonnant le « Chant du Départ  », ce matin-là, et d’un pas décidé, que le Président Giscard d’Estaing entra dans son bureau élyséen. A cette heure encore matinale tout était calme dans la maison et l’huissier de service qui somnolait dans l’antichambre ne s’était même pas réveillé à son passage.
Giscard était de bonne humeur. La victoire en chantant lui avait une fois de plus ouvert la barrière. Mais dès qu’il eut ouvert la porte il s’arrêta de chanter et les dernières notes du refrain allèrent se perdre sous les lambris Pompadour, quand il vit, installé dans son propre fauteuil, les deux pieds nonchalamment posés sur la table, un personnage au teint basané qui l’accueillait avec un large sourire et, d’un geste de la main, l’invitait à prendre un siège.
Le Président se frotta les yeux. Il s’était couché tard, après avoir fêté sa réélection et il n’était pas très sûr d’être très bien réveillé.
- Où ai-je déjà vu cette tête- là  ? se demandait-il en regardant l’intrus : avec mon copain Hassan, chez Castel, au bal des Auvergnats de la rue de Lappe, ou au petit déjeuner des éboueurs ?
- Je vous attendais, dit l’homme toujours souriant, en lui offrant un cigare. Mais asseyez-vous donc.
- Vous m’attendiez ? sursauta Giscard. Elle est bien bonne... Mais d’abord, qu’est-ce que vous foutez ici ?
- Ici ?... Mais je suis chez moi.
- Vous... vous êtes chez vous ? Et depuis quand ?
- Depuis hier. Mais vous étiez tellement occupé avec la campagne électorale que vous n’avez pas prêté attention à ce petit évènement local, pas plus, d’ailleurs, qu’à tout ce qui se passait dans le reste du monde. Toutefois, rassurez-vous, les choses ont été faites régulièrement, par devant notaire, comme il se doit, et avec l’accord du gouvernement. Et j’ai réglé cash... Il y a longtemps que je rêvais de me payer l’Elysée.
- L’Elysée, monsieur, n’était pas à vendre.
- Aujourd’hui tout se vend, mon cher, vous le savez aussi bien que moi, les palais, les titres de noblesse, les honneurs, les suffrages, et même les consciences. Rien ne résiste aux pétro-dollars.
- Mais enfin... s’écria Giscard... l’Elysée... pourquoi pas le Palais-Bourbon ?
- Vous me donnez une idée.
Intrigué, le Président se demandait s’il avait affaire à un mauvais plaisant manipulé par Chirac, ou à un fou, quand il eut soudain une illumination. L’homme qui était devant lui, il le reconnaissait enfin, n’était autre que le milliardaire saoudien Akram Oppeh. Celui qui, depuis longtemps déjà parcourait la France qu’il aimait bien en faisant main-basse, son carnet de chèques à la main, sur toutes les entreprises en difficulté, les canards boîteux, comme les appelle Raymond Barre, condamnées par le plan de redressement du meilleur économiste français à faire faillite ou à se donner au plus offrant. Au point que notre beaujolais commence à avoir un goût de pétrole..
Giscard soupira
- Le paquebot France ne vous suffisait donc pas ?
- Au contraire, cela m’a mis en appétit. J’ai racheté, avec mon argent de poche, de nombreuses affaires que la dureté des temps avait mises en difficulté, pour les renflouer. Je suis très sollicité et je me découvre chaque jour de nouveaux amis.
- En somme, vous êtes un grand philanthrope.
- Comme tout milliardaire qui se respecte. C’est pourquoi, afin de ne pas disperser mes efforts et me rendre finalement plus efficace, j’ai acheté l’Elysée. J’avais pensé d’abord à la Maison-Blanche, mais c’est au-dessus de mes moyens. Et puis, j’aime bien la France. Au fond, voyez-vous, je suis un grand sentimental.
- Je veux bien vous croire, mais j’aimerais savoir, si je ne suis pas indiscret, ce que vous comptez faire maintenant.
- Ce que je compte faire ? Mais ce que vous avez, fait vous- même, ce qu’ont fait vos prédécesseurs, tous les gouvernements qui se sont succédés depuis plus d’un demi-siècle pour sauver la France, je veux dire l’économie française, atteinte, comme vous le savez, d’une grave crise de croissance, en appliquant à la malade un traitement miracle appelé redressemment définitif. Ce traitement, accompagné parfois d’une opération chirurgicale consistant à amputer le franc d’une partie de sa valeur et à serrer la vis au contribuable, a été tellement définitif que, depuis Poincaré l’innovateur, on doit en être au 27e à l’heure présente. De sorte que tous les espoirs restent permis.
- Et vous pensez réussir ?
- Pourquoi pas ? C’est ça le changement dans la continuité, comme vous dites. Mais entre nous, surtout ne le répétez pas, je ne me fais pas plus d’illusions que vous-même. L’économie de marché ayant pour unique moteur le profit est dépassée par les foudroyants progrès des sciences et des techniques modernes. Le système capitaliste est foutu. Mais ça durera ce que ça durera. Aussi longtemps qu’un modèle de vrai socialisme, adapté aux réalités du XXe siècle ne sera pas proposé en exemple à tous les exploités aspirant à plus de bonheur, de liberté et de justice.
- Bon, dit Giscard en se levant, mais qu’est-ce que je deviens, moi, dans cette histoire ?
- N’ayez aucune inquiétude, on ne vous a pas oublié. Je serais le premier navré de vous savoir réduit à aller pointer au chômage. Que diriez-vous d’une place de garde-champêtre à Chamalières ?
- Chamalières a déjà son garde-champêtre, et je ne voudrais pas, par un coup de piston, lui faire perdre son gagne-pain.
- Ce scrupule vous honore, mon cher Président, dit Akram en se levant à son tour. Dans ce cas, il ne me reste plus à vous proposer qu’un emploi de pompiste sur la route nationale de votre choix. De quoi attendre sans problème la retraite. Et croyez-moi, dans les temps difficiles que nous traversons, quoiqu’en disent les jaloux, le pétrole, et pour longtemps encore, c’est plus sûr.

^


Au fil des jours

par J.-P. MON
juillet 1978

L’absurdité de notre système économique devient chaque jour plus évidente à un nombre croissant d’observateurs. C’est ainsi qu’on pouvait lire dans le n° 78 de « Contact », mensuel de la F.N.A.C. : « Il est bien naturel que la conscience humaine se révolte devant la destruction ici de produits qui manquent là. Lorsque des agriculteurs mécontents jettent sur la voie publique des dizaines de tonnes de primeurs, chacun pense en secret que le système économique doit être une machine bien vicieuse pour qu’un tel gâchis soit inévitable alors qu’à quelques heures d’avion des enfants meurent de faim.  »

*

Si, comme on le voit tous les jours, nos idées sur la répartition du travail font de spectaculaires progrès, les solutions que nous proposons aux problèmes monétaires ne sont pas encore évoquées par la science économique officielle. Ce qui n’empêche pas les choses de bouger : c’est ainsi que sans tambours ni trompettes, l’or, en tant qu’étalon monétaire international, a vécu : depuis le 1er avril dernier, date à laquelle l’accord de Bretton Woods a officiellement été définitivement abandonné, l’or n’a plus aucune valeur monétaire.
N’est-ce pas là un grand pas de franchi ?

*

En République Fédérale Allemande la base bouge : contre l’avis de ses dirigeants, le congrès de la Confédération des Syndicats Ouest Allemands, réuni à Hambourg, s’est prononcé le 25 mai en faveur de la semaine de 35 heures et pour six semaines de vacances pour tous les travailleurs.
Gageons que nos ministres et les dirigeants du patronat français vont rapidement cesser de nous vanter les mérites et le «  sens des responsabilités » des syndicats d’outre-Rhin.

*

Le slogan « exporter ou mourir », cher à Hitler et à nos dirigeants (et repris par le Crédit Lyonnais sous la forme « Exporter c’est vital ») va-t-il être contesté par ceux là mêmes qui en profitent  ?
C’est ainsi qu’analysant les difficultés de l’industrie chimique, M. Malat, président du directoire d’ATO-chimie, filiale d’Elf-Aquitaine et de Total, dénonçait récemment les échanges intracommunautaires « qui sont un commerce artificiel, entretenu et développé à dessein par chacun des pays de la Communauté Economique Européenne dans le seul but de pousser les exportations... C’est davantage une source d’appauvrissement qu’une source de richesses ».
Les chimistes européens se plaignent d’autre part de la concurrence de plus en plus efficace des pays du COMECON (association économique des pays de l’Est) qui assurent plus de 22 % de la production mondiale (l’Amérique du Nord atteint 26 %).
Le plus drôle de l’histoire, c’est que les pays du COMECON ont été équipés et même suréquipés par les pays occidentaux eux-mêmes !

*

Pareille mésaventure ne va pas tarder à arriver à d’autres industriels dans d’autres domaines : c’est que, dans nombre de milieux pensants ( ???) gouvernementaux et industriels, la dernière mode est de prôner l’exportation de matière grise et de haute technologie. Il y a là, paraît-il, un « créneau » à prendre !
Tout esprit moyennement constitué peut cependant imaginer que les pays (en voie de développement ou non) dans lesquels des usines ultra-perfectionnées auront été installées vont les utiliser pour produire ce pour quoi elles ont été conçues. Mais comme, pour payer ces usines, les pays concernés devront vendre la plus grande partie de leur production aux pays mêmes qui les auront équipés, ils le feront à des prix défiant toute concurrence puisqu’ils bénéficieront de la très haute productivité que leur conféreront leurs usines ultra sophistiquées et leur main d’oeuvre à bas prix. De sorte que les p a y s industriels deviendront totalement dépendants des pays qu’ils auront équipés.
C’est ce qui se passe déjà pour le textile et qui commence à se manifester pour la télé couleur dont Taiwan (Formose) a exporté plus de 124 000 postes en février dernier, devançant ainsi le Japon. Tout cela grâce aux investissements allemands et hollandais.

*

L’abondance tue le profit, c’est pourquoi tout le monde s’organise pour tuer l’abondance :
- Les chimistes européens demandent une révision des règlements communautaires qui leur permette « d’unir leurs efforts et d’harmoniser leurs politiques tant en ce qui concerne les investissements que la REDUCTION des capacités de production ;
- La capacité de production des panneaux d’aggloméré de bois excédant de 30 % la demande, les prix de vente ont chuté de 15 % entre 1974 et 1978 aussi pour « améliorer » ses résultats, la société Isorel vient- elle de procéder à une réduction de 25 % de ses capacités de production en espérant être imitée par ses concurrents  ;
- Après plusieurs mois de discussions engagées avec la bénédiction des instances communautaires, les grands producteurs européens de fibres chimiques, Hoeshst, Bayer, Rhône- Poulenc, ICI, Courtaulds, AKSO, Montédison, SIR, ANIC, SNIA Viscosa) se sont mis d’accord pour limiter leurs productions et leurs ventes pendant au moins trois ans.
L’accord prévoit une réduction globale d’environ un tiers des capacités de production et la suppression de 12 000 à 15 000 emplois (7 % des effectifs) .
Il n’est pas exclu qu’un accord analogue soit conclu pour les plastiques.

^


Tribune libre

Nous tenons à publier ici le témoignage d’un militant de la première heure, mais à qui l’éloignement semble avoir fait perdre de vue certaines bases essentielles de nos thèses que nous rappelons ensuite.

Réformer les mentalités

par M.-L. DUBOIN
juillet 1978

... Je me posais déjà, il y a 40 ans, la question
Pourquoi nos idées ne progressent-elles pas ?
En effet, pensais-je alors, quelle meilleure solution que de devenir tous fonctionnaires, grassement payés, de faire un temps de plus en plus réduit de « Service Civil » et de jouir dans un âge de moins en moins avancé d’une confortable retraite  ? Fonctionnaire. enfant de fonctionnaire, j’attendais avec passion ce monde de fonctionnaires unifié, et sans heurts. L’Enseignement, les Postes, les Chemins de fer, ne nous montraient-ils pas l’exemple d’une marche très satisfaisante ? d’une humanité consciente de ses devoirs et les remplissant scrupuleusement, sans attendre pour sou dévouement un quelconque supplément de rémunération  ?
C’était il y a 40 ans. Depuis, j’ai vécu et vis encore l’expérience socialiste en Algérie, un socialisme très modéré, très limité, et je crois avoir trouvé la réponse à la question que je nie posais.
Non ! cette stagnation de nos idées n’est pas plus l’effet d’une « conspiration du silence » que les échecs agricoles russes n’étaient celui de « vipères lubriques ».
Nos idées n’avancent pas parce que l’Economie Distributive est une idée toute théorique et qui ne tient pas compte de l’humain.
Parce que pour qu’une société soit viable, il faut qu’elle emporte l’adhésion d’une large majorité de ses membres et que, malheureusement, il n’y a qu’une petite minorité de citoyens qui soient faits pour être fonctionnaires ; des fonctionnaires, c’est-à-dire des gens aux ambitions modestes, d’une honnêteté foncière, aimant leur travail pour lui-même et s’y consacrant sans l’espoir d’autre récompense que celle d’une conscience satisfaite. Car c’est cela un instituteur, un postier, un cheminot... C’est cela et c’est très beau. et c’est assez rare. La très grande majorité des gens. - s’ils se sentent quelque valeur - et même s’ils n’en ont guère - ne travaillent que motivés par l’appât d’un gain, d’un profit, d’un bénéfice. Supprimer cette possibilité de profit, c’est paralyser la « machine humaine », c’est amener la société à la faillite.
Quelques exemples pris sur le vif ?
Il y a deux ans, j’ai su que les services compétents, ici, n’avaient pas débloqué les fonds nécessaires à l’achat de vaccins contre la fièvre aphteuse : « S’il y a une épidémie en ce moment, me disait alors une sommité médicale, c’est tout le bétail bovin de l’Algérie qui va périr  ». L’épidémie n’a pas eu lieu... Heureusement !
Cette année, les vaches du secteur nationalisé sont .si maigres qu’on ne peut que les conduire à l’abattoir qui parfois les refuse !
Tout le commerce de gros est aux mains de l’Etat... aussi reste-t-on parfois des mois sans pommes de terre puis, miracle ! elles apparaissent, par innombrables sacs, aux yeux émerveillés des ménagères... Las ! un seul marchand par marché est approvisionné et de longues queues se forment, jusqu’au jour où, sans qu’on sache pourquoi, tous les marchands en out. et les queues disparaissent. Insouciance  ?, oui et mauvaise organisation parce que « j’m’en fichisme complet  ».
Il faut avoir son ascenseur en panne dans une maison de 15 étages pour apprécier pleinement le socialisme ! Appels téléphoniques. lettres, démarches... on se heurte à une inertie complète.
Jadis, aux Auto-Cars Blidéens, société privée, me disait récemment un Algérien, quand un chauffeur avait eu plus d’un accident dans l’année, il était remercié. Aujourd’hui les chauffeurs sont fonctionnaires, ils ont la sécurité de l’emploi, et les nouveaux cars urbains ne sont pas encore rôdés que beaucoup sont hors d’usage.
« ... On mettra des surveillants » me rétorquait un partisan des nationalisations à outrance. Bien sûr... mais je m’étonnais un jour qu’un ouvrier de l’Administration. petit entrepreneur à son compte aux heures de loisirs, ne fut pas à son travail aux heures ouvrables ; il sourit : «  je glisse la pièce au surveillant, et il me laisse libre... ».
On refait à neuf les cages d’escalier des immeubles : 3 mois après tout est sale, souillé, dévasté par les enfants dont les parents se moquent : les immeubles sont « Biens d’Etat  », c’est-à-dire « Biens de personne ».
Suis-je donc devenu partisan du capitalisme ? Ah ! certes non ! Le capitalisme agonise, tuons-le avant qu’il nous tue. Mais entre l’accumulation des capitaux permettant la puissance des individus et une société l’Egalité Economique. voire seulement de fonctionnarisation générale, même hiérarchisée, il y a une solution à trouver qui tienne compte de ce fait indéniable : la majorité des gens a besoin de la promesse d’un bénéfice pour travailler avec conscience. Et puis, il y a tous ceux qui se sentiraient à l’étroit dans un cadre administratif, à qui il faut une possibilité d’initiative. d’oeuvre de longue haleine ; ceux-là aiment leur travail s’ils se sentent leur maître et peuvent y consacrer leur vie ; ils n’ont que faire d’un Service Civil qui limiterait leur activité et les renverrait en pleine maturité à des loisirs prématurés ! Imagine- t-on des artistes, des docteurs, des agriculteurs voués au Service Civil ?
L’Economie Distributive telle que l’a conçue Jacques Duboin, est une idée géniale, mais une idée abstraite ; on doit s’en inspirer, y tendre, sachant qu’on ne l’atteindra pas.

Si l’on me permet une comparaison, je l’assimilerais à la «  mécanique rationnelle », mécanique toute théorique qui ne tient pas compte du frottement. Pour pouvoir construire, créer la machine, il a fallu, à côté de la « mécanique rationnelle », créer la r mécanique appliquée  » qui, elle, tient compte de l’existence des frottements.
De même les successeurs de Jacques Duboin devront- ils inventer l’Economie Distributive appliquée, adaptée à la psychologie humaine et qui offrira le schéma d’une société viable.
Ce jour-là, je pense, et ce jour-là seulement, nos idées prendront un essor nouveau et trouveront un large écho dans les masses. »

NOTRE REPONSE :

Rappelons tout d’abord à notre camarade à quel point il est devenu totalement faux de prétendre que nos idées ne progressent pas. Partout, dans tous les milieux, et jusqu’aux partis politiques les plus conservateurs, on voit admettre que nous vivons une fin de civilisation, que tous les modes de vie doivent être repensés. De plus en plus généralement les experts reconnaissent que les progrès scientifiques bouleversent nos économies. Et cette constatation vient d’atteindre un stade déterminant puisque la Commission Européenne du travail a mis à l’étude une nouvelle orientation de sa politique qui la mènera forcément à l’économie distributive  : la distribution de ce qui reste de travail humain nécessaire. Ce projet européen, aucun camarade n’osait l’espérer il y a seulement quelques mois ! Un exemple frappant qui prouve bien cette évolution nous a été donné récemment par un excellent documentaire télévisé intitulé  : « Une révolution à l’anglaise » qui montrait que quoi qu’en disent les journaux, les Anglais s’accommodent fort bien du chômage et que ceux qui en sont victimes ne se considèrent plus comme des parias, des exclus de la société, car ils touchent maintenant des indemnités substantielles équivalentes à un plein salaire. Ce qui leur permet de vivre une autre vie, d’apprendre un autre métier, de recevoir une autre formation ou simplement de bricoler ou de jardiner. En un mot, la vie a pour eux une nouvelle qualité.
Mais cela les économistes capitalistes ne savent pas l’intégrer dans leurs bilans. Il est triste que nos camarades ne s’en soient pas aperçu.
Il nous faut d’autre part rappeler à notre vieil ami que la comparaison qu’il fait entre le début d’un certain socialisme en Algérie ressemble à l’Economie Distributive en France, comme une soupe au potiron ressemble à une choucroute alsacienne. Et ceci essentiellement parce que les conditions économiques en sont complètement différentes. L’Algérie n’a pas, et de loin, atteint un stade de développement qui la situe dans ce que J. Duboin appelait un régime d’abondance, par opposition à celui antérieur de rareté. Lors d’un voyage récent (en 1974) à Oran. Alger et Constantine, j’ai eu l’occasion (le constater nui élan formidable des Algériens. enthousiasmés par l’expérience qu’ils vivent, et qui les amenaient à vouloir tout apprendre et tout entreprendre à la fois.
Mais ce n’est pas fini, loin de là.
Notre ami met l’accent sur le rôle du comportement humain. Et là encore, et comme tant d’autres, il oublie un élément essentiel de nos thèses : nous ne prétendons pas réformer la nature humaine jusqu’à obtenir l’adhésion d’une large majorité. Nous disons que les événements économiques tels que la diminution des besoins de main-d’oeuvre résultant des progrès techniques, font de l’économie distributive une nécessité vitale. Mais nous savons très bien que, de tout temps, les hommes n’ont pris conscience des bouleversements de leur histoire... qu’après coup. Et il n’est pas en notre pouvoir de faire que le passage, même si les progrès scientifiques pouvaient aider les hommes à prévoir et à comprendre plus vite, puisse se faire sans... frottements. Ce n’est qu’ensuite que les esprits et les comportements évoluent pour s’adapter.
L’histoire abonde d’exemples d’évolutions rapides des mentalités. Cette façon d’affirmer que le fait que la majorité des gens ne travaillent actuellement que motivés par l’appât d’un gain, prouve qu’ils seraient incapables de faire quoi que ce soit de bon dans d’autres conditions, rappelle ce qui se disait lorsque les ouvriers ont obtenu le droit à un jour de repos par semaine. On oublie trop à quel point ce droit fut considéré comme un non-sens. On disait que jamais les ouvriers ne seraient capables d’en profiter, qu’ils passeraient leurs journées à boire, que toute leur paie y passerait, etc., etc... On a du mal à le croire aujourd’hui et pourtant... cela s’écrivait au début de notre siècle ! Et on parle maintenant sans crier au scandale d’une cinquième semaine et même pour certains, d’une sixième semaine de congé annuel. Voilà bien la preuve que les mentalités s’adaptent très vite et tout naturellement. Et les familles vivant dans des taudis puis qu’on a installées un beau jour dans un appartement plus décent ? a-t-il fallu plusieurs générations pour qu’elles prennent l’habitude d’un peu de confort, qu’elles apprennent l’usage d’une salle d’eau ? La nature humaine, au contraire, est douée d’une très grande faculté d’adaptation, bien qu’elle apparaisse mutilée quand il s’agit de faire admettre, au préalable, l’idée d’un changement dans ces habitudes de pensée.
A l’heure actuelle, l’Algérie vit encore en économie de marché. Comment s’étonner que les mentalités, façonnées par l’habitude, ne soient pas adaptées à celles qui résulteraient d’un socialisme distributif, c’est-à-dire débarrassé du profit ? Rien ne les y a préparées. Personne même ne l’imagine. Tout, dans la vie de tous et de tous les jours, implique la recherche d’un salaire ou d’un profit. Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’une telle motivation ait toute l’apparence d’une nécessité. Mais il est non moins évident qu’un enfant n’ayant jamais connu cette mentalité pourrait parfaitement s’adapter à une tout autre, sans être pour autant privé de l’envie d’entreprendre.
Et il est bien des artistes que jamais l’appât du gain n’a motivés !

M.-L. D.

^


Réponses aux objections

Nature humaine et économie distributive

par R. THUILLIER
juillet 1978

LORSQUE nous exposons les thèses de l’Economie Distributive à des auditeurs sérieux, il est rare qu’ils n’en admettent pas les principes tant ils sont évidents, simples et clairs.
Cependant on nous objecte parfois des arguments d’ordre psychologique qui méritent d’être pris en considération.
L’objet de cet article est d’en examiner quelques-uns.

Question n° 1 :
Un socialisme distributif, nous dit-on, tel que vous le concevez, bouleverse fondamentalement les structures économiques et sociales actuelles. Or, malgré ses imperfections, nous sommes tous plus ou moins adaptés à ce mode de vie et, ceci, depuis des siècles.
Pour parvenir à l’édification d’une Economie Distributive un changement total de nos mentalités ne serait-il pas nécessaire  ? Et comment l’obtenir ?

*

Jacques Duboin, précisément, a toujours écrit que l’obstacle le plus sérieux à l’instauration de nos thèses était l’incrédulité à leur égard de nos contemporains, y compris et surtout des intellectuels. Ils pensent toujours à une économie que domine la rareté.
Nous sommes, sur ce point, tout à fait d’accord avec Karl Marx qui disait que les mentalités ne se transformeront que lorsque les conditions qui les déterminent à être ce qu’elles sont seront différentes.
Mais comment y parvenir ? C’est tout le problème.
Si nous voulons sortir de ce cercle vicieux, il nous faut faire admettre que l’emploi intensif du machinisme, et des techniques modernes de production et de répartition, est susceptible de créer une abondance telle qu’elle fera voler en éclat les principes mêmes du capitalisme ; et changera aussi nos modes de vie.
C’est ce que nous disons depuis plus de 40 ans. Et c’est la base de nos propositions.
Or, actuellement, les faits nous donnent raison.
On constate, en effet, que le capitalisme dont la « crise » est structurelle, applique déjà des mesures sociales de distribution gratuite.
Nous avons énuméré les principales (1).
Elles ont toutes pour effet de fournir du pouvoir d’achat dissocié du travail. Or, c’est la première de nos propositions pratiques pour asseoir une Economie Distributive. La mentalité de nos concitoyens s’en trouve déjà modifiée.

Question n° 2 :
Mais le capitalisme, avec son économie marchande basée sur le profit, même si sa « crise » est profonde, ne change pas pour cela ses structures et c’est cependant la condition primordiale pour l’établissement d’un socialisme véritable. Que préconisons-nous à cet égard ?

*

La question de savoir comment y parvenir n’est pas notre propos ni de notre ressort.
Quel que soit, à titre personnel, ce que nos militants puissent en penser, nous ne discuterons pas des mérites respectifs de la prise du pouvoir « en catastrophe », ou par la violence ou encore, au fil des ans, par un réformisme à base électorale, ou non.
Ce n’est pas l’objet de nos travaux.
D’autres mouvements que le nôtre s’y consacrent ou devraient sérieusement s’y consacrer.
En ce qui nous concerne tout en dénonçant la faillite du capitalisme, nous nous contentons de constater que les Partis, les Syndicats et les Mouvements de gauche n’ont pas fait grand chose pour transformer les mentalités de leurs adhérents afin de leur créer un véritable esprit socialiste.
Et notre action doit consister à les pousser dans cette voie. Nous devons aussi stigmatiser leur cécité devant les conséquences du surgissement de l’abondance. Elle bloquera un système économique qui n’est pas plus conçu pour elle que nos villes le sont pour la circulation - trop abondante aussi - des voitures automobiles.

Question n° 3 :
En supprimant le salariat et en le remplaçant par un Revenu Social égalitaire, ne fruste-t-on pas le sentiment de différenciation qui constitue une loi naturelle et restera, de ce fait, une des composantes profondes de nos mentalités ?

*

Jacques Duboin, qui était loin d’être un utopiste, a écrit que l’Economie Distributive ne jaillira pas d’un coup de baguette magique.
Il était convaincu qu’elle s’imposerait d’elle- même, car les « faits sont têtus » comme disait Karl Marx.
Profondément opposé à l’emploi de la violence, Jacques Duboin pensait qu’une période transitoire s’imposerait également avant l’instauration d’une Economie Distributive intégrale. Certaines de nos propositions pratiques pourraient y être insérées. Ne parle-t-on pas déjà de l’application pour 1979 d’un Revenu Familial de base pour les familles de trois enfants ?
Dans cette période transitoire, le Revenu Social égalitaire, s’il était instauré, pourrait aussi être complété comme l’ont proposé des disciples de l’Emulation récompensant les services rendus à la collectivité.
Mais le Revenu Social égalitaire ne produira son plein effet que lorsque l’Abondance réelle sera telle que ce Revenu, croissant avec la production, constituera une pouvoir d’achat si important qu’il nivellera les inégalités sociales. D’autant plus que la gratuité de certains services y contribuera également. En tous cas, les « lois naturelles » n’en seraient pas violées  !
Nous croyons avoir répondu, par cet article, à trois des questions « psychologiques » gui nous étaient posées. Mais il en est d’autres que nous évoquerons par la suite.
En attendant, nous ne pouvons que conseiller la lecture attentive - ou la relecture - des ouvrages de Jacques Duboin et de ses disciples. Ils répondent déjà d’ailleurs à la plupart des interrogations que l’on peut légitimement se poser sur les conséquences de l’instauration d’un socialisme distributif de l’Abondance.
... Et de diffuser « La Grande Relève », où toutes ces questions sont reprises au fil de l’actualité.

(1) Voir « La Grande Relève » n°755, avril 1978.

^


Chômage, porte entr’ouverte des loisirs

par P. BUGUET
juillet 1978

LE conservatisme déforme la cause du chômage pour mieux jongler de palliatifs en palliatifs. Il est « conjoncturel  », « structurel » « frictionnel » (c’est le tout dernier), il est dû à l’instabilité des préposés au travail, à la lenteur de leur choix d’un emploi, à leur manque de sens civique ; ah ! ces ouvriers japonais qui refusent leurs vacances pour que leurs employeurs ne gagnent pas moins d’argent ! Mais ne sont-ils pas aux antipodes ?..
Les leaders de l’opposition promettent l’emploi avec la même conviction que Mme Soleil prédit le soleil pour les hôteliers et la pluie pour les traqueurs d’escargots, sans plus, ce qui dispense de toute analyse concrète. D’autres encore, exégètes imprégnés des soulèvements révolutionnaires passés, minimisent l’ampleur du chômage et son impact sur l’économie. Ils font bonne mesure aux palliatifs du capitalisme, espérant par là justifier la valeur de leurs théories d’hier pour le contexte de demains. Toujours un peu de Mme Soleil.
« Enfoncez-vous bien ça dans la tête », la formule, répétée par les antennes, par la presse, s’imprègne dans les cerveaux :
PLEIN EMPLOI ! PLEIN EMPLOI ! ploa !.. ploa...
Leitmotiv du système d’économie échangiste, incantations, litanies, croassements repris par les leaders de « gauche » et transmis en écho lors des manifestations : ploa !.. ploa !..
Plein emploi ! mais pourquoi faire ? des produits que nous détruisons (pardon « assainissons »), des gadgets, des armements-export., dans le cadre de l’échange-profit ?
Plein emploi de quoi ? du travail des hommes ou de celui des machines qu’ils créent pour pouvoir accéder aux loisirs ? La réponse n’est pas prévue ; resterait-elle tabou pour les Commissions d’Etudes d’Economie Politique ?
A ce propos du plein emploi, l’O.C.D.E. apporte une information significative  : au cours d’une réunion d’experts elle constatait (dès juillet 1977), l’aggravation du chômage en ces termes : - « Les chômeurs de plus de 40 ans ont beaucoup de mal à retrouver un emploi ; tandis que les jeunes qui atteignent un âge adulte sans expérience professionnelle significative ont de plus en plus de difficultés à se faire ouvrir les portes du marché du travail. Les systèmes d’indemnisation qui étaient destinés au départ à faciliter la recherche d’un emploi se transforment progressivement, par la force des choses, en un moyen de faire supporter leur situation à ceux qui sont en fait devenus « inemployables »  ».
Les experts eussent pu ajouter que ce moyen concourait également à conserver quelque profit aux détenteurs des biens que pouvaient désormais acquérir ces « inemployables  ».
« La force des choses » a conçu des indemnités sans contre-partie de travail. Sera-t-il encore longtemps impensable qu’on puisse aider la force des choses à généraliser et rationaliser cet état de fait ? Et puisque la force des choses réduit à 15 années la période active de l’homme, les forces de gauche prôneront-elles longtemps encore le plein emploi ou bien se résoudront-elles, avec nous, à revendiquer le Service Social de Travail en fonction des besoins exprimés et des techniques de production ?
Plein emploi !.. Plein emploi !..
Le problème est international. Gunter Weinert*, de Hambourg, a fait le point de cette préoccupation majeure des pays équipés :
Après avoir rappelé la progression du chômage aussi bien aux Etats-Unis qu’en Allemagne, en France, en Grande-Bretagne, il observe que : « Si les économistes sont désemparés face à l’ampleur du phénomène, c’est que depuis 1974, tout l’arsenal dé la politique économique semble incapable d’en venir a bout ». Et plus loin il précisé  : « Il né s’agit plus là d’une simple inadaptation qualitative dé l’offre à la demandé de travail, mais bien d’une insuffisance persistante de l’offre de travail, comme en témoigné la faible utilisation dés capacités productives ».

*

Il passe ensuite en revue lés actions entreprises pour diminuer lé chômage, et cité toutes lés diverses allocations versées à l’aide dés fonds publics.
Comment ces subventions octroyées (et n’oublions pas que c’est pour la sauvegarde des salaires et des profits) par les gouvernements des pays équipés, n’entraîneraient-elles pas la galopante dévaluation dés monnaies ?
L’argent né tombé pas du ciel. L’Etat** s’en procure d’abord par l’impôt, ce qui est un transfert. Mais quand il lui en faut plus, il demande à la Banque de France d’en fabriquer pour le lui prêter à intérêt. C’est donc là une création de monnaie, qui se dévalue proportionnellement, puisqu’elle correspond à une quantité de biens qui, elle, est fixée par le seuil de rentabilité, donc ne varie pas. Cette cavalerie monétaire déroute encore les postulants à la gestion d’un néo-échangisme que les capitalistes eux-mêmes ne parviennent pas à concevoir... Voilà un des obstacles par lesquels la « Force des choses » constatée par l’O.C.D.E. est tenue en échec.

*

Par sa nature même, la force des choses s’impose. Un pays techniquement avancé, le Canada, s’y heurte. Depuis les années 60 (1960-1975) sa croissance économique est montée de 5 % et la croissance du chômage de 7 %***. Lé plein emploi n’y est manifestement plus « au coin de la rue ».
Cette signification péremptoire des faits a amené ces positifs citoyens à la lutte, non plus pour un utopique plein emploi, mais à celle de la garantie du salaire.
Des mesures d’assurances chômage (loi de 1971) garantissant les revenus se sont imposées : pour tout salarié cotisant, huit semaines de travail au cours de l’année donnent droit à la prestation des 2/3 du salaire antérieur durant 44 semaines. L’année qui fait suite marque un autre exercice... Pour faciliter les huit semaines de travail, l’Etat canadien crée directement des emplois par le canal des Programmes d’initiatives Locales (P.I.L.) qu’il finance ; là, les participants peuvent s’adonner à des travaux variés : petites constructions (centre communautaire, sportif), entretiens divers, etc..., durant les 8 semaines annuelles imparties pour l’obtention de la prestation des 44 semaines suivantes.
Ce système d’assurance chômage garantissant le salaire ou le revenu, en dehors de la contrepartie de travail, éclairé le rôle social du chômage qui prend l’aspect : « ...d’une allocation de temps payée par la Société à l’individu pour qu’il utilise comme bon lui semble une sorte d’année sabbatique, comme celle envisagée au Danemark ». (Qu’il utilise le temps de repos que lui conquiert la machine qu’il créa, dirons-nous). L’article cité ci-dessus se poursuit par . «  Ce serait l’amorce d’une nouvelle conception des relations entre individus, travail et société, mais une conception qui en quelque sorte se déguiserait sous les institutions encore existantes  ».
Les yeux s’entrouvrent !
Au Canada, comme en tout pays équipé, le financement des revenus par l’Etat sans possibilité de travail en contrepartie posera, avec l’anéantissement de la monnaie thésaurisable, la nécessité de la création d’une monnaie de consommation.
Ainsi se profile LE GRAND SOIR DE LA FORCE DES CHOSES.
C’est en étudiant les transformations que subissent empiriquement nos institutions que nous découvrirons le rôle nouveau qu’elles s’apprêtent à jouer » écrivit Jacques Duboin.

* Dans le n° de septembre 1977 de la revue «  Wirtschafsdienst ».
** Voir « Pourquoi manquons-nous de crédits ? », par Jacques Duboin.
*** Revue « Echange et Projets » n°13, 1977.

^


Réflexions

Nous voulons mourir aveugles

par F. LÉVY
juillet 1978

DANS un article intitulé : « Pas de désarmement sans contrôle », l’ancien délégué permanent de la France à la Conférence du Désarmement, M.  Jules Moch, rappelle opportunément l’existence de cette conférence dès l’entre- deux guerres mondiales, puis à partir de 1951, il n’est pas osé d’affirmer que le résultat ne répond pas à de si longs efforts. Nous dirons plus loin pourquoi il n’y répondra jamais, même si était accepté le « contrôle » souhaité par l’auteur de l’article. (« Le Monde » du 27 avril 1977).

LA GUERRE REMEDE A LA CRISE

SOUS le titre « Une conjoncture internationale peu rassurante » on lit : (« Le Monde » du 6-9-77) que M. Jacob Javits, sénateur républicain des U.S.A., a déclaré le 29 août dernier qu’il fallait éviter à tout prix « un des plus grands dangers du siècle  », le déclenchement, d’ici deux ou trois ans, d’une nouvelle grande dépression économique, laquelle, selon lui, pourrait durer encore plus longtemps que celle des années 30 » parce que on ne pourrait plus compter, de nos jours, sur la préparation d’une guerre pour la surmonter... », Admirons le franc cynisme de cet aveu rétrospectif sur les guerres passées, et découvrons plus loin que Paul FABRA, auteur de l’article, précise une des causes de l’inquiétude du sénateur : « La concurrence des produits étrangers apparaît de plus en plus comme insupportable. Les réactions de protectionnisme qui s’ensuivent pourraient, de proche en proche, désorganiser gravement des appareils de production conçus, un peu partout dans le monde, en fonction précisément des débouchés extérieurs  ». Complétons, en rappelant que la recherche des débouchés extérieurs détermina beaucoup de guerres, coloniales ou non. Il semble qu’on se refuse à le voir clairement,

LES DEBOUCHES EXTERIEURS, NECESSITE VITALE

POURQUOI faut-il des débouchés extérieurs  ? Il faut des débouchés extérieurs aux régimes économiques qui se sont donné pour moteur l’expansion, appelée aussi croissance, c’est-à-dire l’augmentation sans répit de la production, donc de la consommation. Lorsque la consommation intérieure est dite saturée, (parce que l’accroissement de la production provoquerait la chute des prix et des profits), il faut exploiter la consommation extérieure. D’où des expédients, tel le Marché Commun, qui propose aux « autres » d’acheter ce qu’ils ont déjà en suffisance ; le problème du vin en est un exemple lumineux. D’où aussi les nouveaux dumpings qui inondent de produits manufacturés à bas prix en Extrême-Orient le marché français, de textile en dernier lieu. On reparle donc de ce protectionnisme qu’on a connu il y a quelques décennies, avec l’usage des « canonnières  ».

LES DEUX BLOCS IRRECONCILIABLES AD VITAM ?

LES canonnières se sont développées aux dimensions absurdes d’un armement conventionnel et nucléaire dix fois supérieur aux besoins de destruction de la planète entière. Parce que deux grandes puissances ou blocs de puissances sont en compétition. Sur quel plan ? Idéologique : ça semble vouloir dire collectivisme contre libéralisme. Ça semble pouvoir se traduire par : bonheur des hommes assuré par l’Etat omni-pensant, bonheur des individus assuré par la libre entreprise. Commercial : ça semble vouloir dire : l’autarcie ne suffit pas, donc nécessité de débouchés en vue des échanges ; production toujours accrue nécessaire à la survie de l’autre bloc, donc débouchés assurant cette croissance. Culturel : tout est commandé par l’intérêt politique du bloc ; tout est laissé à l’initiative des citoyens de l’autre bloc. Est-ce bien sérieux ? L’accord ne peut-il se faire entre les intéressés en vue de leur survie immédiate et de leur existence à venir ? Il semble qu’on se refuse à l’envisager clairement.

DESARMEMENT ? NON : TROP DE CHOMAGE

SI cet accord voyait le jour, si les blocs et les Etats se refusaient à l’auto-destruction, le désarmement serait-il alors possible ? Non, car la paix sur la terre, impliquant le désarmement total, impliquerait aussi la mise au chômage d’un nombre très important de travailleurs.
Envisager une reconversion serait proprement utopique, à une époque et dans un régime où, depuis des années, 40 % des entreprises travaillent très au-dessous de leurs capacités techniques de production. M. Jules Moch semble n’en avoir pas pris conscience lorsqu’il déclara sereinement « que la reconversion » a des fins pacifiques doit être menée progressivement pour éviter des pointes de chômage. Alors que le chômage s’affirme irréversible dans un régime économique où la technique ne cessant de remplacer des hommes, on n’imagine pas l’existence d’hommes qui ne travaillent pas, il est insensé d’espérer la réinsertion de millions de travailleurs dans le « marché du travail » déjà sursaturé.

DESARMEMENT ? NON : PERTE DES PROFITS

SI cet accord voyait le jour, les entreprises de fabrication d’armement, et toutes celles chargées des transports, de l’équipement, de l’habillement, de la nourriture, bref, de « l’intendance », ne procureraient plus : 1) les bénéfices astronomiques réservés aux « actionnaires », 2) les éléments indispensables à l’indispensable « balance commerciale  ». Ce qui permet à Jacqueline Grapin et Jean-Bernard Pinatel d’écrire : (La guerre civile mondiale) : « Demain la politique étrangère se mettra au service des exportations d’armements  ». Il semble qu’on se refuse à le voir clairement.
Si les crises économiques doivent être résolues par la guerre, si le travail-qui-fait-vivre, le profit des entreprises, la balance des échanges extérieurs s’opposent au désarmement, c’est parce que le régime dit de l’économie de marché ou de l’échange, en vigueur dans les deux blocs, n’offre pas les solutions nécessaires. Il convient donc d’en changer. Il semble qu’on se refuse à le voir clairement, et qu’on préfère, la tête froide, le cataclysme nucléaire à l’invention d’un système économique de notre temps. Il existe, mais on se refuse à le connaître car il ne rapporterait... que la paix.

P.S.- Concernant l’important problème du désarmement des esprits, nous ne pouvons laisser passer ces lignes de Monsieur BOUTHOUL, fondateur de l’Institut Français de Polémologie, dans un article intitulé « Le complexe de Damoclès » (« Le Monde ») : « La paix vit dans la fascination de la guerre, fascination ambivalente mêlée de nostalgie, car les nations qui se trouvent dans l’impossibilité de faire la guerre se sentent frustrées de ce suprême recours et déchues du privilège de faire l’histoire », et plus loin : « une génération sans guerre... est privée désormais de l’illusion que les tragiques bouleversements qui accompagnent les hostilités permettent de résoudre les conflits et d’instaurer de nouveaux équilibres plus stables  ». Curieuse analyse digne de Barrès on Déroulède !

2e P.S. - Messieurs CARTER et BARRE s’entretiennent du désarmement. Les « Monde Diplomatique  » de mars et novembre 1976 ont révélé leur commune appartenance à cette Commission Trilatérale qui a pris la relève des 200 familles et de la Synarchie. La presse et la radio françaises se refusent à divulguer cette information capitale. Pourquoi ? Pourquoi ont-elles ignoré l’Assemblée Mondiale des Bâtisseurs de la Paix tenue à Varsorie en mai 1977 ? Pourquoi leur a-t-on interdit la plus petite allusion à l’Economie Distributive ?

^

e-mail