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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 757 - juin 1978

 

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N° 757 - juin 1978

La distribution du travail : I. En France   (Afficher article seul)

La peau de chagrin   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

Onze ans après   (Afficher article seul)

L’aimez-vous froide ou chaude ?   (Afficher article seul)

Socialisme et économie distributive   (Afficher article seul)

Le prix de l’avenir ou l’enjeu de la liberté   (Afficher article seul)

La grande révolution monétaire   (Afficher article seul)

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21 mars 1978, date historique

UN FAIT CAPITAL S’EST PRODUIT LE 21 MARS DERNIER : LA PROPOSITION DUBOINISTE DE LA DISTRIBUTION DU TRAVAIL A FAIT SON APPARITION DANS LES TRAVAUX DE LA COMMISSION EUROPEENNE. UN DOCUMENT DE TRAVAIL PRESENTE CE JOUR-LA AU COMITE PERMANENT DE L’EMPLOI PROPOSE PUREMENT ET SIMPLEMENT « LA REPARTITION DU TRAVAIL ET L’EGALITE DE TRAITEMENT  » (1).

La distribution du travail : I. En France

par M.-L. DUBOIN
juin 1978

C’EST donc juste deux ans après sa mort, et plus de quarante ans après qu’il les ait exposées, que les propositions de Jacques Duboin sont envisagées par la Communauté Européenne, dans l’impossibilité où elle est de trouver une autre solution à la crise économique. Ce très grand pas en avant vers l’économie distributive est évidemment pour nous une immense joie. En lisant le rapport publié par le Bureau des Liaisons Sociales, on a envie de crier « Hourrah !  ».
C’est aussi un sujet de réflexion que nous ne sommes pas près d’épuiser.
La première idée qui vient à l’esprit est qu’en citant cette étude de la C.E.E. nous avons désormais la meilleure réponse possible à opposer à ceux qui depuis trop longtemps qualifient nos propositions d’utopiques.
Et puis, on doit bien constater que J. Duboin a eu raison sur un autre point, qui a suscité bien des polémiques. Même contre l’avis de certains de ses collaborateurs, qui se disaient (et se disent encore), plus zélés que lui, ce n’est pas sous l’effet d’une soi-disant « action » au plan politique que l’économie distributive s’impose. C’est bel et bien, comme il l’a si souvent souligné, sous la pression de la nécessité engendrée par un chômage inéluctable que la Communauté Européenne en arrive à ses conclusions.
Cette nouvelle sensationnelle, dont les journaux d’actualité n’ont pas su voir l’importance, ne va pas manquer d’enthousiasmer nos lecteurs, qui vont du même coup avoir bien des occasions d’exposer nos thèses. Ils me pardonneront donc, je l’espère, de leur fournir une abondance de chiffres et de statistiques, fastidieux certes, mais nécessaires quand on veut rester objectifs.
Nous étudierons d’abord dès aujourd’hui le problème français. Nous aborderons dans de, prochains numéros le cas des autres pays industrialisés et les palliatifs imaginés ça et là pour lutter contre le chômage. Enfin, nous analyserons les propositions étudiées par la C.E.E. et leurs conséquences prévisibles.

LE point de départ des analyses de J. Duboin remonte à l’observation, publiée entre autres par le National Bureau Research des EtatsUnis (2), que depuis 1920, la production, tant industrielle qu’agricole, peut augmenter tout en nécessitant de moins en moins de travail humain. Au lieu de tirer parti des progrès techniques pour permettre à l’homme de mieux s’épanouir en profitant de ses loisirs, on s’est cramponné au vieux système des prix-salaires-profits qui veut que celui qui n’a pas d’emploi ou qui n’a pas trouvé dans son berceau un capital suffisant, est un parasite. Ce manque d’adaptation des esprits aux possibilités offertes a tellement faussé les jugements qu’il a été admis partout qu’il fallait, coûte que coûte, créer des emplois. Ceci a permis un abominable et honteux développement des armements (3), source de profits pour certains, et de mort pour les autres, et l’instauration d’une société de consommation irraisonnée, qu’une publicité intéressée développe au mépris de la personnalité humaine.
Heureusement, la fuite en, avant qu’est la croissance pour le profit contient en elle ce qui fait sa perte : la recherche du profit conduit à réduire la main-d’oeuvre plus que la croissance ne l’augmente. On commence enfin à s’en apercevoir un peu partout.
Citons au hasard :
- « le volume des livraisons agricoles s’accroît de 2,5  % l’an avec une diminution de l’emploi de 5 % l’an (4) » ;
- « pour améliorer sa compétitivité, Renault- Véhicules industriels investira quatre milliards de francs en cinq ans et réduira de 40 000 à 35 000 le nombre de ses salariés (5) ;
- « dans l’imprimerie, « la direction du groupe S.D.F.-Néogravure a informé le comité central d’entreprise qu’un plan de redressement comportant 48 millions de francs d’investissements avait été mis au point. La restructuration du groupe et sa modernisation technique entraînera une diminution des effectifs (800 personnes sur un total de 2 700) (6) » ;
- « le gouvernement français a accordé en juillet dernier une aide exceptionnelle de 800 millions de francs pour les chantiers navals... qui ne survivent encore que grâce aux commandes passées depuis plusieurs années. Mais cela ne représente plus que dix-huit mois de travail et d’autres commandes ne viennent pas prendre le relais. La construction navale française connaîtra sûrement une crise encore plus grave et les licenciements, à peine commencés, vont s’amplifier (7) » ;
- « dans l’industrie de la pâte à papier, le redressement sera lent et là aussi on envisage des compressions d’effectifs (7) » ;
- dans les textiles, « le groupe Boussac a présenté aux pouvoirs publics un plan de survie dans lequel il demande une subvention de 200 millions de francs (à fonds perdus) . Si cette subvention n’est pas accordée, le plan de survie ne pourra être appliqué... Un seul point est acquis : des milliers de licenciements frapperont les ouvriers du textile (8) » ;
- un nouveau « plan acier » vient d’être mis au point  : il prévoit la suppression supplémentaire de 10 à 15 000 emplois. (Rappelons qu’il y a un an, un premier plan destiné à rétablir la compétitivité des aciéries françaises prévoyait la fermeture des installations vétustes ou mal adaptées, la suppression de 16 000 emplois et, bien entendu, l’octroi d’une nouvelle aide de l’Etat de 1,3 milliards de francs... L’exercice 1977 a été encore plus désastreux que les précédents, très largement déficitaires) (9) ».
On a beaucoup dit que les suppressions d’emplois dans les secteurs tels que ceux que nous avons cités et qui sont dues à l’automatisation, étaient compensées puisque, ces automatismes, «  il faut bien les fabriquer ». Ainsi le développement de l’électronique et de l’informatique faisaient figure d’ultime recours contre le chômage. Pierre Simon nous apporte (10) les chiffres nécessaires pour détruire toute illusion sur ce sujet. Même la vaste diffusion des microprocesseurs qui est commencée ne fera qu’aggraver le problème. Voici la conclusion pertinente qu’on lit dans un journal professionnel : « en 1977, la progression en volume des industries électroniques a été de 12 %... Quant aux emplois, on commence à savoir que nos industries ne sont plus créatrices d’emplois (11) ».

*

POUR résumer tout ceci, et pour couper court à toute objection du type « ces diminutions d’emplois ne concernent que certains secteurs, mais d’autres se développent car il s’agit d’une mutation industrielle », voici le résultat global pour la production industrielle française au cours des dix dernières années : les courbes ci- dessous, reproduites par le Secrétariat Général du Gouvernement, dans la revue « Problèmes Economiques » et dues à J.-C. Vassal, de l’Université Nancy II (12), montrent de façon frappante que le chômage a crû plus que la production et plus que les investissements productifs. La « relance » amorcée en 1976 qui a amené une augmentation de 5,2 % de la production intérieure brute, ne s’est traduite, dans l’ensemble de l’industrie, que par une augmentation de 0,5 % des effectifs (13).
Nous n’en sommes plus au temps où les professeurs d’économie niaient les prévisions de J. Duboin : citons A. Fourcans, professeur d’Economie et Finances à l’E.S.S.E.C. et J.-J. Rosa, professeur agrégé de Sciences Economiques à l’Université Paris II et à l’Institut d’Etudes Politiques, qui après avoir traité du « mirage du plein emploi » (14) concluent plus récemment : « La relance n’est pas susceptible, comme nous l’avons montré, de diminuer durablement le taux de chômage (15) ».

*

CE sont de tels faits économiques qui ont enfin amené la Communauté Européenne à comprendre la nécessité de la distribution du travail. Trente syndicats ont participé le 5 avril à une « journée européenne de lutte pour l’emploi et la reprise de la production  » : « Ils estiment qu’une réduction de la durée du travail sous des formes très diverses est incontestablement une nécessité impérative. Tous les partenaires européens savent désormais qu’une éventuelle reprise de la croissance n’est pas suffisante pour combattre le chômage (16) ».
Même le patronat est obligé de reconnaître que, comme le dit Y. Chotard, Président de la Commission Sociale du CNPF, lors de l’Assemblée Générale du 17 janvier dernier  : « Les nouvelles données économiques interdisent d’attendre de la seule croissance la création d’emplois à un rythme suffisant ».
Et les partis politiques ? Loin d’être en pointe sur ces sujets cruciaux, ceux de gauche commencent pourtant à... flairer quelque chose. Un effluve, très léger, les atteint. Il y a tout juste un an, je relevais ici même (17) la thèse avancée par Michel Bosquet tendant à pénaliser les entreprises qui utilisent des machines conçues pour remplacer le travail humain. Je lui suggérais de donner l’exemple en remplaçant l’imprimeur du « Nouvel Observateur » par des milliers de copistes. Ayant eu la politesse de lui envoyer ces remarques par lettre, avant de lui adresser aussi un exemplaire du journal, je dus constater que, chose curieuse, ma suggestion n’eut pas de réponse ! Comme elle n’eut pas non plus droit de cité au courrier des lecteurs, je concluai que le courant d’opinion qu’on dit « socialiste » et que reflète le « Nouvel Obs », refusait de faire l’effort nécessaire à repenser les fondements du système des Prix-Salaires-Profits.
Oh surprise ! Il semble tout au contraire que l’évidence de nos analyses commence à ébranler M. Bosquet car il remarque maintenant « l’investissement lui-même, si vigoureux qu’il devienne, ne supprime-t-il pas, depuis plus de dix ans déjà, plus d’emplois qu’il n’en crée ? » et il reconnaît enfin (18) que le plein emploi « appartient définitivement au passé. II n’est plus nécessaire. Sa disparition ne sera pas un mal » : elle pourrait être un moyen de libérer l’homme des tâches ingrates ! Voici une nette évolution que nous sommes heureux d’applaudir.
La gauche va-t-elle s’unir sur notre programme économique ? Voici en écho ce qu’écrivait Jacques Frémontier dans sa lettre de démission de ses fonctions de rédacteur en chef du journal « Action », organe du secteur « entreprises  » du Parti Communiste : « Nous nous sommes trompés sur la prise du pouvoir... Nous nous sommes trompés sur le programme commun. Nous avons feint d’y voir un programme anticapitaliste (ouvrant la voie, disions- nous parfois, à une transition vers le socialisme) ... Comment ne pas s’apercevoir que dans le cadre du capitalisme monopoliste, la marge de choix économique se révélait singulièrement étroite ? (19) ».

(1) « Intersocial », mars 1978.
(2) « Les yeux ouverts » de J. Duboin, page 32.
(3) Les dépenses d’armement sur l’ensemble de la planète avoisineraient 350 milliards de dollars d’après le Président Pérez (Vénézuéla), « Le Monde » du 30 mars. Le rôle joué par les gouvernements dans le commerce des armes est bien montré dans le dernier film d’André Cayatte (voir page 7).
(4) Rapport professionnel « Etudes » de février 1978.
(5) « Le Monde » du 31 mars.
(6) « Le Monde » du 1" avril.
(7) « Le Nouvel Observateur » n° 703.
(8) « Le Monde » du 22 avril.
(9) « Le Monde » du 29 mars.
(10) Voir « la peau de chagrin », page ??.
(11) « Electronique Actualités » du 13 janvier.
(12) Publiées dans la revue « Banque » en mars 1978.
(13) U.N.E.D.I.C. statistique citée par Jean de Bodman, «  Droit Social » n° 2, février 1978.
(14) « Problèmes Economiques » n° 366 d’octobre 1977.
(15) « Banque », mars 1978.
(16) « Le Monde » du 5 avril.
(17) « La Grande Relève », n° 747.
(18) « Une pastille contre le travail », article paru dans le n` 702 du « Nouvel Observateur ». (19) « Le Monde  » du 21 avril.

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ETRANGER

La peau de chagrin

par P. SIMON
juin 1978

PENDANT longtemps, le marché de l’emploi a assez bien résisté à l’arrivée des ordinateurs, les techniques nouvelles créant de nouveaux emplois à mesure qu’elles en supprimaient d’autres. Mais cet équilibre est resté précaire et l’apparition de la micro-électronique va bientôt faire pencher la balance dans un sens défavorable aux travailleurs. Et d’abord aux travailleurs de l’industrie de l’électronique. La revue THE ECONOMIST du 4 mars 1978 raconte la triste histoire d’un fabricant de mini-ordinateurs qui a si bien réussi qu’il a dû quitter ses installations pour en prendre... de plus petites.

*

REGARDONS plus en détail les progrès de cette industrie. Sans augmenter ses effectifs IBM produit actuellement 10 fois plus de circuits intégrés qu’en 1970. En 10 ans, ces circuits sont devenus cent fois plus puissants pour une même taille. En Grande-Bretagne, alors que l’industrie électronique est en plein essor, ses effectifs pont baissé de près d’un cinquième depuis 1971.
La fabrication d’un ordinateur gros et cher (5 millions de francs, par exemple) entraîne des frais élevés de conception et de vente qui représentent les deux-tiers du prix de revient de la machine et un bon nombre d’emplois. La production d’un mini- ordinateur de 2 500 francs représente, par contre, les quatre cinquièmes de son prix de revient, si bien qu’il ne reste qu’un cinquième de frais annexes et donc moins d’emplois.
Actuellement, l’ordinateur est encore souvent enfermé au plus profond du département informatique de l’entreprise mais il va bientôt en sortir sous la forme de mini-ordinateurs qui vont envahir l’atelier, le bureau et même la maison. C’est déjà chose faite dans le domaine des calculatrices, des montres et des machines électroniques qui ont été vidées des centaines de pièces mécaniques que des ouvriers autrefois fabriquaient.
Le central électronique qui remplace progressivement le central électro-mécanique se contente, pour sa construction, d’une main-d’oeuvre réduite de 70 % environ. Ainsi, la filiale britannique de ITT a pu diminuer ses effectifs de 20 % en 1976.

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D’AUTRES marchés vont être touchés à leur tour. Celui des récepteurs de télévision approche de la saturation et ne reprendra vigueur que si on lui demande de construire en grand nombre des écrans de visualisation sur lesquels Monsieur Toulemonde pourra, de son fauteuil, et à sa demande, lire les cours de la Bourse, les résultats sportifs ou des recettes de cuisine qu’une banque centrale constamment mise à jour lui enverra.
Dans le domaine de l’automobile, le contrôle de la carburation se fera électroniquement et le garagiste, à l’aide de détecteurs, pourra, sans lever le capot, déceler les incidents de fonctionnement. Tant pis pour les mécaniciens.
Les bureaux nu sont pas davantage à l’abri. Selon certains experts, d’ici 1982, les deux-tiers des 500 premières industries américaines seront dotées d’un système de courrier électronique qui simplifiera leurs échanges d’information. Les machines à écrire nouvelles, munies de mémoires magnétiques, frappent toutes seules des textes préparés. Tant pis pour les dactylos. La transmission par photocopie de documents à distance devient chose courante et nos PTT veulent passer commande de un million de ces appareils. A quoi servira donc le facteur ?
Les transports publics ou privés, et singulièrement ceux à rentabilité élevée, pourraient bien souffrir du dernier-né des télécommunications appliquées à l’entreprise. Dans les grands centres urbains s’installent des centres de conférence à distance. Plus besoin pour un directeur de sauter dans l’avion ou le Mistral pour discuter avec des collègues d’un problème quelconque. Il les verra sur grand écran dans la salle de conférences, leur parlera et la caméra viendra se braquer automatiquement (sans cameraman) sur celui qui prendra la parole (voir l’article de J.P. Mon dans la G.R. n° 751).
Les banques réduiront leur personnel lorsque les consommateurs seront munis de cartes magnétiques comme celles qui leur permettent déjà de retirer de l’argent dans les distributeurs. Ils s’en serviront pour régler leurs achats et le commerçant, à l’aide de son terminal, débitera leur compte et créditera le sien.
Dans certains supermarchés, une machine à rayon laser lit le prix des articles achetés, établit la note à payer, tient le stock et passe les commandes de réassortiment.

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QUI ne voit que ce progrès ne peut que diminuer le nombre des emplois ? II faudra bien que les gouvernements réagissent, par exemple, en réduisant fortement le nombre d’heures de travail s’ils veulent que chacun ait un emploi. Autrement, ils devront verser des indemnités de chômage de plus en plus lourdes pour la collectivité des actifs. Ils pourront également se lancer dans une fuite en avant en stimulant la production de biens peu ou pas utiles. Ce qui leur permettra de tenir encore quelque temps. Mais, un jour prochain, il faudra bien qu’ils acceptent de revoir tout le problème. L’Economie Distributive s’impose.

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Au fil des jours

par J.-P. MON
juin 1978

La science économique, admirable dans l’analyse du passé, devient balbutiante dès qu’il s’agit de prévoir l’avenir et de proposer des solutions ».
C’est un bel aveu ! Et il sort de la bouche d’un connaisseur M. CHEVALLAZ, chef du département fédéral suisse des finances.

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Plus de morue pour les Portugais : afin de pouvoir bénéficier d’aides financières diverses, le gouvernement portugais (social-démocrate !) a accepté toutes les conditions du Fonds Monétaire International. Entre autres : maintien à 15 % du taux de chômage, augmentation de l’eau, du gaz, de l’électricité, des transports de 25 à 50 % ; augmentation moyenne de 22 % du pain, du riz, des farines, de l’huile, du sucre et de la viande de porc. La morue, plat national, atteint d’ores et déjà des prix prohibitifs pour la plupart des foyers et est condamnée à disparaître purement et simplement du marché.
Qui plus est, les experts du F.M.I. insistent sur la nécessité de dévaluer à nouveau la monnaie portugaise et de rendre l’accès au crédit plus difficile en portant de 13 à 20 % le taux d’escompte. Ce qui aura pour effet de faire fermer leurs portes à un grand nombre de petites et moyennes entreprises qui ont déjà de grosses difficultés de trésorerie.
C’est un moyen comme un autre de « restructurer » l’industrie ou de la mettre entre les mains des multinationales.
Pourquoi le F.M.I. n’a-t-il jamais pu imposer de semblables mesures aux Etats-Unis qui, pourtant, connaissent un sérieux déficit de leur balance commerciale ?

*

Dans le dernier numéro de « La Grande Relève », H. MULLER analysait l’ouvrage de Charles LEVINSON intitulé « Vodka- Cola ». Voici une nouvelle illustration de la collusion capitaliste-socialiste dénoncée dans le livre : après avoir obtenu l’exclusivité de la vente des boissons non alcoolisées aux futurs jeux olympiques de Moscou, Coca-Cola va fabriquer du thé instantané pour les soviétiques. La firme américaine proposera ensuite la construction par ses filiales d’une usine en U.R.S.S. pour la fabrication de thé instantané. A plus long terme, Coca-Cola envisage la construction en U.R.S.S. d’usines de fabrications d’aliments et de conservation de légumes.

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M. GOELTER, ministre des Affaires sociales de Rhénanie- Westphalie (R. F. A.), estime qu’il y a en République Fédérale Allemande environ un million de personnes qui, à cause du chômage, sont entraînées en deça du seuil de pauvreté. Les quelque 19 % de chômeurs qui ne trouvent pas d’emploi au bout d’un an et ne perçoivent plus que l’aide aux chômeurs sont particulièrement frappés par la pauvreté, surtout s’ils ont des enfants.
M. Goelter fait remarquer que cette nouvelle pauvreté ne touche pas un cercle marginal mais des travailleurs « normaux » qui exerçaient auparavant des métiers « normaux  » avec des qualifications « normales ».
Qui parlait du miracle économique allemand ?

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Partout dans le monde industrialisé la lutte contre l’abondance s’organise :
- En Grande-Bretagne, la British Steel Corporation, entreprise géante nationalisée, a décidé d’abandonner tous les projets d’investissements destinés à accroître les capacités de production d’ici à 1983. Ce qui permettra du même coup de supprimer 45 000 emplois en cinq ans dont 15 000 en 1978.
- Pendant quelques jours au mois de mars dernier la France a bloqué les importations de porcs en provenance du Bénélux sous le fallacieux prétexte qu’une épizootie de fièvre porcine sévissait au Bénélux. La véritable raison était que le cours du porc en France était tombé au dessous de sept francs le kilo.
- La Commission Economique de Bruxelles vient de proposer de réduire la part de production sucrière produite à prix garantis. D’après les betteraviers, cette mesure aurait pour conséquence en France une diminution supplémentaire de 60 000 hectares des surfaces cultivées et la production sucrière, qui doit « normalement » baisser de 500 000 tonnes, baisserait de 400 000 tonnes supplémentaires.
- M. Méhaignerie, ministre français de l’agriculture, vient de déclarer que « l’assainissement » (on sait ce que cela veut dire) du marché européen des produits laitiers n’était pas réalisé et que, par conséquent, le prélèvement de la taxe de coresponsabilité (taxe qui pénalise ceux qui produisent trop) serait maintenue au moins jusqu’en septembre 1978.
- A la Réunion (c’est encore un département français) les Sucreries Bourbon ont annoncé la fermeture d’un de leurs établissements.
Depuis que le plan de « modernisation des structures » de l’industrie sucrière a été mis en vigueur, cinq usines sur les douze que comptait l’île ont été fermées. Ce qui a permis de ramener la production à 32 000 tonnes de sucre par an.
En France même, sept usines ont fermé en 1977.
On ne va bientôt plus pouvoir se sucrer !

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Onze ans après

par M. DUBOIS
juin 1978

« Il paraît que le ridicule ne tue plus  : quelle chance ! Car nous étions comme d’habitude fin prêts. II ne manquait plus une virgule dans les pages du plan ORSEC, et si ces pauvres Anglais avaient eu le malheur d’être surpris, pareille mésaventure était impensable au pays de Descartes... Vous connaissez la suite : des dizaines de kilomètres de côtes et d’estuaires pollués par des couches de 8 à 15 cm d’épaisseur de mazout, les parcs à huîtres et les moulières atteints, la mobilisation hâtive des civils pour nettoyer à la main sables et rochers, les barrages de bottes de paille improvisés en dernière minute... bref une véritable catastrophe provinciale dans une atmosphère de panique à peu près complète  ».
Le texte ci-dessus est la reproduction intégrale d’un article intitulé SOMBRE MAREE, écrit le 14 avril 1967 à la suite du naufrage du Torrey-Canyon, et paru dans le n° 639 de notre journal en juin 1967.
Et recherchant les causes de cette catastrophe, j’écrivais alors, références à l’appui, que la tragédie bretonne résultait d’un choix délibéré basé sur un bilan financier comparatif du coût des mesures de protection possibles avec celui des indemnisations et réparations nécessaires. J’ajoutais : « Pour les technocrates qui nous gouvernent, toute décision est dictée Par les seuls impératifs financiers. La peine des hommes ? le respect des sites ? La protection de la Nature ? Autant de foutaises Pour les amateurs de discours électoraux, ou pour les journalistes en quête de papiers ! Peu importe que des dizaines de milliers d’oiseaux meurent lentement de faim ou de paralysie sur les grèves noircies, agitant désespérément leurs Pauvres ailes engluées : Peu importe que le chant de vie de la saison des nids devienne un affreux cri d’agonie dans cette réserve nationale des Sept Iles où les représentants ries espèces difficilement sauvegardées jusqu’à maintenant, tels les macareux- moines, risquent de disparaître à tout jamais. Dans ce monde chaque four plus éc-Surant, tout se traduit et se ramène à la comparaison de deux colonnes de chiffres. Une opération quelconque est financièrement rentable, ou elle ne l’est pas. Et si elle ne l’est pas. elle n’a pas lieu ».
Et je concluais en prédisant que les organismes de protection de la Nature, dans notre économie de marché, se heurteraient encore aux implacables intérêts des compagnies pétrolières et, qu’en conséquence, les pollutions et marées noires continueraient, à moins qu’elles ne nuisent un jour à d’autres intérêts financiers encore plus puissants.

RIEN DE CHANGÉ

Onze ans ont passé, presque jour pour jour. Les Français ont voté... de nombreuses fois ! Des flots d’encre ont été répandus, les mouvements écologistes ont pris leur envol... et, la mort dans l’âme, j’ai regardé les atroces images télévisées de la catastrophe de l’Amoco-Cadiz. J’ai écouté avec colère et dégoût les mêmes agités préconiser les mêmes faux remèdes qu’il y a onze ans. Pour quels résultats ? Repousser au large le « rail » d’Ouessant est parfaitement inopérant puisque le Torrey Canyon croisait dans les eaux internationales lors de son naufrage sur les récifs des Sorlingues. La Vérité, hélas, n’a pas changé, et une fois de plus, pour ne pas être accusés de monomanie, nous empruntons au journal «  Le Monde » du 21 mars 1978, une analyse très lucide des causes profondes du sinistre et les remèdes possibles :
« Modifier la conception des pétroliers ? Cela non plus n’est pas au pouvoir de la France puisque la plupart de ces bateaux sont construits à l’étranger, au Japon notamment. Et lorsque, par chance, les chantiers de Saint-Nazaire reçoivent commande de « super-gros », dépassant cinq cent mille tonnes, personne - et surtout pas au gouvernement - ne souffle mot de ce qui leur adviendrait en cas de naufrage.
« On espère benoîtement que le « malheur » arrivera chez les autres.
« Pour rendre les pétroliers plus sûrs, il faudrait les doter comme on le fait pour les paquebots, de plusieurs machines, de deux hélices et, comme le demandent les Etats-Unis, d’une double coque. Seulement voilà, la construction des tankers modernes - une machine, une hélice, le maximum d’électronique pour économiser l’équipage et le plus gros tonnage possible - obéit strictement à la loi du profit maximum et non à celle de la sécurité maximum.
« Les armateurs vont répétant que l’augmentation du tonnage diminue le nombre des navires, et donc les risques d’accidents. Jour après jour, les faits leur donnent tort, car les géants sont aussi plus fragiles. Une banale avarie à la barre, qu’un équipage aurait autrefois réparé ou pallié en jouant des deux hélices, transforme aujourd’hui ces monstres, d’autre part très difficiles à remorquer, en épaves avant la lettre.
« La vérité, c’est que les Etats demeurent impuissants devant les chantiers navals, les armateurs et les grandes compagnies pétrolières. N’oublions pas que le pétrole du Torrey-Canyon appartenait à la British Petroleum et celui de l’Amoco-Cadiz à la Shell.
« En fait, même quand les Etats paraissent enfin décidés à « faire quelque chose », ça ne suit pas. Vingt conventions internationales, concernant la mer, ont été signées au cours de ces dernières années. Certaines attendent encore leur ratification par les Parlements des pays signataires, d’autres, ratifiées, ne sont guère appliquées et, quand elles pourraient l’être, leur application n’est assortie d’aucun contrôle. Au large, chacun fait encore ce qu’il veut, où il veut, quand il veut.
« Propos futiles donc que ces affirmations officielles assurant comme en mars 1967, qu’on « va tout faire pour que ça ne recommence pas ». En réalité, on peut se demander si, une fois encore, ce ne sont pas les écologistes qui posent correctement le problème lorsqu’ils soulignent les risques du gigantisme, les coûts croissants de la boulimie énergétique, les retombées de plus en plus négatives du « progrès  » ».

RECHERCHE OPERATIONNELLE

Certes ! mais on peut aussi se demander pourquoi les écologistes, après avoir posé le problème, ne soulignent-ils pas qu’aucune solution vraiment satisfaisante ne peut être appliquée dans le cadre économique actuel !
Une émission « Inter magazine » du 21 mars 1978 n’a-t-elle pas rappelé qu’en matière de construction et de sécurité des pétroliers, les décisions étaient prises par des méthodes de recherche opérationnelle n’utilisant que des critères de rentabilité pure. Et de comparer avec, par exemple, les décisions prises en matière de suppression de passages à niveau. Si un PN tue en moyenne x personnes tous les cinq ans, maintien du statu quo, car cela coûte moins cher que les investissements nécessaires à sa suppression. Si au contraire, le coût des indemnisations probables est estimé supérieur à ces investissements, la suppression devient rentable et est décidée. Or, disait « France-Inter  », des calculs analogues ont été faits pour les pétroliers et ont prouvé que la flotte actuelle de pétroliers géants était, compte tenu des probabilités d’accident, plus rentable que les 15 000 pétroliers de 80 000 tonnes nécessaires au même trafic.
Alors ? Eh bien le seul « espoir » est que les marées noires deviennent suffisamment fréquentes et coûteuses pour démentir les ordinateurs. Tant pis pour la faune et la flore marines : tant pis pour le plancton végétal victime de l’écran qui le sépare des radiations solaires ; tant pis pour le plancton animal paralysé et asphyxié ; tant pis pour les oeufs de poisson tombant sur le fond ; et surtout... tant pis pour l’Homme, victime d’un système économique générateur de catastrophes de plus en plus graves et de plus en plus irréversibles.
Il avait fallu 10 ans pour redonner un peu de vie aux côtes souillées par le Torrey-Canyon. Combien d’années faudra-t-il cette fois-ci  ? Et certaines espèces ne vont-elles pas être définitivement rayées de notre monde en folie ?
Je terminais mon article de 1967 en soulignant que, faute de réaliser rapidement l’Economie des Besoins, l’humanité tout entière allait à sa perte.
Que pourrais-je dire de plus ?

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Soit dit en passant

L’aimez-vous froide ou chaude ?

par G. LAFONT
juin 1978

M. Jimmy CARTER a bien des soucis en ce moment, allez. Depuis qu’il a laissé tomber le commerce des cacahuètes, après s’y être fait une solide réputation de businessman, pour prendre en main le destin des U.S.A., il connaît à son tour les petits enquiquinements de tous les chefs d’Etat de la planète aux prises avec les problèmes des temps modernes, l’inflation, le chômage et quelques autres que les économistes les plus distingués, même M. Raymond BARRE, ne sont pas encore parvenus à résoudre. Et ce doux farfelu, qui rêvait de paix, de liberté et de justice, tombe, aujourd’hui, de bien haut.
Jimmy CARTER, lorsqu’il est arrivé à la Maison-Blanche, plein d’idées généreuses, espérait bien amener les Soviétiques à de meilleurs sentiments au sujet des droits de l’homme quelque peu oubliés au pays de BREJNEV et des goulags. Et, par voie de conséquence, à créer un climat de détente dans le monde.
Eh bien, c’est raté. La conférence de Belgrade, qui s’est tenue au mois de mars dernier, a été un échec, ou tout comme, d e v a n t l’intransigeance des Soviétiques, sur le problème des libertés.
Du coup, le projet de limitation des armements stratégiques, dont il avait été un jour question à l’heure des toasts entre les deux partenaires, est renvoyé à des jours meilleurs. Ce qui n’a pas dû chagriner tout le monde dans le milieu des affaires. Certains même espèrent en secret que la guerre froide, de joyeuse mémoire, pourrait bien recommencer.
En attendant mieux.
Pauvre Jimmy, il a encore tout à apprendre du métier. Et son idée, arrivé au pouvoir, de réduire de façon spectaculaire les armements, ne pouvait germer que dans la cervelle d’un naïf ou d’un illuminé.
Qu’adviendrait-il, je vous le demande, si on laissait faire cet hurluberlu  ?
Imaginez - il n’est pas interdit de rêver - qu’un beau jour M.  BREJNEV, entre deux tournées de vodka, brusquement attendri devant la gentillesse de son hôte, et séduit par son idéal de paix et de liberté, tombe dans les bras de Jimmy CARTER en lui disant - en russe - sous l’oeil des caméras : « - Faisons la paix ! ».
Ça serait pas beau ?
Non, ça serait un coup dur, un coup dur pour les U.S.A., d’abord et pour tous les autres pays dits civilisés ensuite, qui vivent de la fabrication, du commerce et du trafic des armes de guerre. Un coup dur pour le système capitaliste dont l’apparente prospérité ne repose que sur la course aux armements, quelques points chauds savamment entretenus en divers lieux du globe permettent à des hommes d’affaires philanthropes - si, il y en a, voyez M. DASSAULT - de se faire un peu d’argent de poche en fournissant aux belligérants le matériel nécessaire pour s’entre-tuer allègrement, à l’industrie du cassepipes de tourner, et aux demandeurs d’emploi de trouver encore un peu de boulot.
Alors, pas de blagues. Si les deux grands se décident à faire la paix, c’est foutu. Le système économique prix-salaires-profits s’écroule.
Je disais, au début de cet article, que M. Jimmy CARTER est un illuminé, mais cela se soigne. Il doit bien y avoir aussi des hôpitaux psychiatriques aux U.S.A.

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Réponses aux objections

Socialisme et économie distributive

par R. THUILLIER
juin 1978

POURQUOI les partis ou Mouvements qui se réclament de la Gauche et du Socialisme n’adoptent-ils pas les théories de l’Economie Distributive ? Depuis les ouvrages de Jacques DUBOIN et la diffusion de ses conceptions économiques et sociales, on peut difficilement soutenir qu’elles leur sont inconnues. Il faut donc chercher les explications ailleurs.
En premier lieu, c’est parce que toute la gauche, et avec eux la presse, emploient le mot socialisme pour désigner des systèmes économiques ou théoriques qui n’en sont absolument pas car ils ont conservé le système marchand de l’échange. Cette fausse appropriation de terme étant entrée dans le langage courant présente de graves dangers. Appeler socialistes des Etats qui ont, peu ou prou, remplacé le capitalisme dit libéral par des capitalismes d’Etat, sous des formes diverses, risque d’imputer au socialisme des échecs dont il n’est nullement responsable. Comme il n’existe nulle part de pays vraiment socialiste, il n’a donc pas encore pu faire ses preuves.
Cependant, la droite, en France particulièrement, ne se prive pas d’imputer à la gauche les griefs légitimes ou non, résultant des erreurs des pays qui se disent socialistes (*).
En second lieu, la gauche a oublié ce qui devrait être vraiment le socialisme ou si elle s’en souvient, elle se sent incapable de l’instaurer. Elle ne considère le terme « socialiste  » que comme un mot de ralliement, de portée générale, qui n’engage pas à croire ni surtout à appliquer ses principes. Tout au plus, lui assigne-t-on un but très éloigné. Leur socialisme n’est donc qu’un drapeau rouge - ou rose - : la gauche estime que les esprits ne sont pas encore préparés à accepter les transformations économiques et sociales radicales qui résulteraient de l’instauration d’un véritable socialisme.

A QUI LA FAUTE ?

C’ETAIT à la gauche de former les mentalités des citoyens plutôt que de les entretenir, depuis si longtemps, uniquement de querelles qui, toutes (comme celles actuelles sur le Programme Commun de Gouvernement) ne sortent pas du régime capitaliste.
Nous avons toujours soutenu que le socialisme, tel qu’il avait été défini par ses précurseurs et théoriciens, Marx y compris, était difficilement applicable dans une économie de rareté. C’est le mérite de Jacques Duboin qui, le premier, a compris que la véritable révolution sociale ne pouvait s’instaurer qu’à la suite de la révolution mécanicienne, seule capable de créer l’abondance de biens et de services.
En posant les bases de l’Economie Distributive un Revenu Social pour tous avec, en contre-partie, un Service Social pour ceux qui sont aptes à l’effectuer, il appliquait la définition même du communisme (hélas ! bien oubliée aujourd’hui de ceux qui s’en réclament) : « De chacun selon ses capacités à chacun selon ses besoins ». Jacques Duboin a donc apporté au socialisme la base scientifique moderne qui lui manquait. On ne l’a pas écouté.
Le malheur a voulu aussi que le socialisme se soit instauré dans des nations sous-développées où l’on ne pouvait socialiser que la pénurie -voire la misère -. Une Economie Distributive, basée sur le machinisme, ne peut donc s’y construire. De ce fait, les dirigeants révolutionnaires de ces pays, et Lénine tout le premier, ont été obligés de rétablir, ou de conserver, une économie marchande, c’est-àdire le processus de l’achat et de la vente ; la véritable révolution se trouvant alors renvoyée à un futur que ces pays sont loin d’avoir encore atteint. Depuis, ils appliquent seulement des économies planifiées, certes, et nationalisées en grande partie, mais en conservant les mécanismes marchands. Et c’est ce qui devrait leur interdire de se dénommer socialistes et encore moins communistes.

CE QUE NOUS DEVONS FAIRE

A nos contradicteurs nous devons démontrer que l’Economie Distributive constitue le véritable socialisme puisqu’il répond en tous points aux principes posés par ses théoriciens et précurseurs.
On rétorque que l’Economie Distributive est une utopie. Mais comme on ne peut pas prouver qu’elle n’est pas un socialisme authentique, nos contradicteurs, et avec eux toute la gauche, ne considéreraient-ils pas que le socialisme, le vrai, serait aussi une utopie ? Ils n’ont certes pas le courage de l’avouer, mais ils ont peur de cette vérité... et ils nous ignorent, c’est plus facile. Il est vrai qu’ils ne sont pas convaincus que le capitalisme a atteint un stade où il est enfin possible que ses structures soient remplacées par d’autres, plus conformes à l’état actuel des techniques.
Les faits, cependant, le leur démontrent tous les jours Mais aucun Parti de gauche n’est préparé à faire ce « saut » décisif et c’est pourquoi ils proposent, tous, des réformes ; mais en les dénommant socialistes.

LE VRAI SOCIALISME

Nous ne sommes pas de ceux qui, jetant le bébé avec le bain, refusent toutes réformes économiques ou sociales en attendant que, comme l’avait prévu MARX, le capital croûle sous l’effet de ses contradictions internes. Le réformisme a du bon. Nous demandons seulement qu’on ne continue pas à appeler socialisme ce qui n’est que du réformisme et que l’on ne s’obstine pas à considérer comme de doux rêveurs les partisans de l’Economie Distributive qui est le vrai socialisme moderne.
Souhaitons que les efforts que la gauche déploie pour consolider temporairement un capitalisme moribond soient compensés : en fixant aux militants, comme but principal de leur action, l’instauration d’un socialisme véritablement authentique qui ne peut être que celui que nous proposons.

(*) N.D.L.R. - Voir par exemple la confusion entretenue par A. Chalandon (cf. « Grande Relève » n° 756 p.13).

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Une conférence de F. de Closets

Le prix de l’avenir ou l’enjeu de la liberté

par R. KOPINSKI
juin 1978

LE 3 avril dernier, M. François de Closets a donné, sous ce titre, une conférence publique à ANTIBES. Malgré le beau temps la salle était bien remplie et personne n’a pu être déçu, ni par la forme, ni par le fond de l’exposé. M. de Closets, qui connaît admirablement bien son sujet, a analysé avec clarté et sans une note, pendant près d’une heure et demie, les bouleversements qui sont intervenus dans le monde par les progrès scientifiques et leurs applications techniques.
Il a montré que les énormes problèmes économiques qui apparaissent depuis peu ne peuvent être résolus que par des solutions politiques, le mot politique étant pris dans son sens le plus noble : d’administration de la Cité. Pour souligner l’impasse vers laquelle nous nous dirigeons si nous laissons les choses aller comme elles vont, il a donné l’exemple de la production automobile qui a entraîné des blocages de la circulation, malgré les efforts d’amélioration et de multiplication des routes, de sorte que souvent on ne circule pas plus vite qu’au moyen-âge.
François de Closets mériterait donc des félicitations pour être un des journalistes scientifiques les plus clairvoyants de son temps, s’il ne commettait dans ses conclusions une erreur considérable.
Lui qui se veut réaliste et qui l’est, ne s’est cependant pas rendu compte qu’il s’est laissé influencer par les économistes qui se disent scientifiques - bien que leurs conclusions et leurs prévisions se voient constamment contredites par les faits.
Il a repris, en effet, leur affirmation, sans l’avoir soumise au crible de sa propre raison, que les gains de productivité permettent de lutter efficacement contre le chômage, ce qui est en contradiction absolue avec la réalité.
En effet, comment pourrait-il expliquer le fait que dans tous les pays supérieurement équipés et quel que soit leur régime politique le chômage sévit et à tendance à progresser malgré les efforts que leurs gouvernements ont pu faire pour le réduire ?
Qu’il y ait un chômage endémique dans les pays pauvres qui ne peuvent donner du travail à tous leurs habitants, rien de plus compréhensible. Mais comment se fait-il que cet homme intelligent qu’est François de Closets ne se soit pas encore rendu compte que les inventions et leurs applications techniques ont toujours pour effet d’alléger la peine des hommes, de produire plus avec moins de travail humain, de produire plus pour un coût de production moindre à l’unité, que toute l’activité industrielle et agricole, que toute l’activité commerciale et de façon générale celle du secteur tertiaire a tendance à l’automaticité ?
De façon générale les économistes prétendent que l’élimination de main-d’oeuvre par le progrès technique est compensée par l’embauche de personnel par les nouvelles industries, surtout par le secteur tertiaire, et que cela oblige la mobilité des emplois et des orientations. Malgré une belle apparence de logique cela est évidemment faux.
En effet, toute nouvelle machine, toute nouvelle installation est vendue à un prix qui contient les rémunérations de tous ceux qui ont contribué, directement ou indirectement, à sa mise au point et à sa fabrication. Aucun industriel n’achèterait une nouvelle machine si son prix n’était pas inférieur au coût du personnel qu’elle doit remplacer. Aucun groupe financier n’investirait dans une activité dont la rentabilité ne serait pas hautement probable ; mais pour être rentable une nouvelle industrie, une nouvelle installation doit dégager des bénéfices. Pour cela il faut être assuré qu’un produit nouveau a toutes chances de se vendre, ou qu’un produit ancien peut être mis sur le marché à meilleur prix qu’auparavant.
Cela n’est possible que s’il y a économie de main-d’oeuvre, soit directement, soit indirectement par une productivité améliorée. Même dans le secteur tertiaire l’informatique est en train d’augmenter le rendement sans augmenter le nombre d’employés.
Ce raisonnement vient d’être corroboré par un article de Michel BOSQUET paru dans « le Nouvel Observateur » n°  702 du 23 avril 1978. Sous le titre : « Une pastille contre les travail » on peut lire : « l’industrie allemande assure actuellement la même production qu’en 1974 avec 12% de travailleurs (un million de personnes) en moins. Un rapport français demeuré confidentiel, et pour cause, estime que les microprocesseurs supprimeront, en l’espace de dix ans, 30% des emplois dans les banques, les assurances, les administration. Cette estimation est modérée. ...  ».
Dans le même ordre d’idées Claude HENRION écrivait, il y a plusieurs années déjà, dans la revue «  0 1 Informatique » : « 4 % de la population active des Américains suffiront (en l’an 2000) à pourvoir à la totalité des besoins en nourriture et en produits manufacturés des Etats-Unis  ».
Depuis la publication de cette prospective qui est-ce qui en a parlé, qui l’a reprise pour la discuter ? Comment peut-on imaginer que 96 % de la population des Etats-Unis pourront un jour trouver les moyens financiers pour vivre du travail de 4 % d’actifs ? Evidemment tout ce qui est prospective est sujet à erreurs. Mais même si en l’an 2000 il y a encore 8 ou même 16 % d’actifs, ou davantage, cette étude de l’évolution économique et sociale indique une tendance et pose de nouveaux problèmes.
Le fait est que les emplois créés par de nouvelles industries sont moins nombreux que ceux que les progrès techniques et la rationalisation suppriment. En conséquence ne faut-il pas avoir le courage de chercher un autre mode de rémunération des hommes que celui qui dépend uniquement de la participation évanescente à une production oui s’automatise ? Car le problème se pose déjà depuis un certain temps et il se pose actuellement avec une acuité qui laisse présager une situation catastrophique si d’ici, l’an 2000 il n’est pas résolu... et probablement déjà avant. Michel BOSQUET, dans l’article cité plus haut, rappelle à ce propos un slogan de Charles LEVINSON, le secrétaire de la Fédération internationale de la chimie : «  ... il faudra le droit au plein-revenu et non plus au plein- emploi  ».
François de Closets sait bien qu’il y a urgence à trouver une déviation à la route qui nous mène au désastre. Dans son livre « En Danger de Progrès » paru en 1970 il écrit : « L’automobile est en marche et l’humanité est emportée dans une course folle. Personne ne semble tenir le volant. Nous avons le choix : apprendre à conduire ou descendre de voiture. L’humanité est en danger de pro-grès. Il n’est que deux solutions : la diriger ou l’abandonner ».
Oui il faut la diriger. mais vers quoi ? Vers le mur que constitue l’impossible plein-emploi ou vers le fossé qu’est l’inflation inéluctable dans le cadre des structures actuelles ? Ce n’est pas seulement le conducteur de la voiture qui se fracassera mais aussi les voyageurs, c’est-à-dire l’humanité.
Les livres déjà publiés par François de Closets mettent en évidence son savoir et sa bonne foi. Aussi pouvons-nous rester persuadés que sa volonté de réalisme le conduira à admettre que l’apparition des composants électroniques des microsystèmes, rend caduque toute solution, même politique, qui ne tiendra pas compte du fait, inconnu jusqu’ici dans l’Histoire, que la production a tendance à augmenter plus vite que le nombre d’emplois - et que par conséquent l’écart ne peut que se creuser davantage entre le volume de la production offerte et le total des revenus distribués. Cela ne signifie-t-il pas que nous sommes entrés dans une crise économique et sociale définitive, à moins que nous ne trouvions des solutions nouvelles à des problèmes nouveaux ?
C’est avec le plus grand intérêt que nous attendons un prochain livre de François de Closets et nous espérons qu’il pourra nous montrer qu’il a su se dégager des derniers mythes de l’économie officielle.

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La grande révolution monétaire

par J. CARLESSE
juin 1978

A l’ère de la rareté la monnaie, logiquement, était basée sur le produit le plus rare ou estimé tel.
A l’ère de l’abondance, c’est l’abondance elle- même qui doit être l’étalon de sa propre mesure monétaire.
C’est avant tout dans le domaine monétaire que la grande révolution, qui permettra au progrès technique de donner tous ses fruits, doit s’accomplir.
Rien ne sert de rêver de vastes progrès sociaux si l’on ne peut les réaliser en domestiquant l’abondance née du machinisme et des progrès de la science.
Toutes les générosités des programmes politiques se heurtent toujours au mur des insuffisances budgétaires.
Nous savons désormais que la machine relève irréversiblement l’homme du travail qui devrait lui assurer sa solvabilité. Désormais cette solvabilité doit être recherchée ailleurs que dans la rémunération du travail puisque ce dernier se fait de plus en plus rare alors que la production devient de plus en plus abondante.
L’infrastructure économique de toute politique de progrès social doit donc postuler que le pouvoir d’achat de chacun doit être indépendant de la quantité de travail fourni. Ce qui veut dire que l’homme doit pouvoir travailler de moins en moins tout en bénéficiant de plus en plus de pouvoir d’achat.
Cette assertion fait sourire ceux qui continuent à dire que seul le travail est générateur de richesses parce qu’ils oublient que ce travail nécessaire à la production a été considérablement augmenté depuis que ce sont les machines qui le font à la place de l’homme. Il est donc inutile de priver l’homme de ses fruits sous prétexte qu’il ne peut participer que très peu à leur production.
L’infrastructure économique de la nouvelle politique sociale à instaurer doit donc comporter de très grandes diminutions des temps d’activité tout en conservant et même en accroissant les revenus de chacun.
Pour résorber définitivement ce qu’on appelle le chômage, il est vain de chercher de nouvelles occasions de travail, il serait plus logique, par exemple :
1°) de ne faire entrer les jeunes dans la vie active qu’à 25 ou 28 ans en rémunérant leur formation ;
2°) d’abaisser l’âge de la retraite à 60 ou même 55 ans ;
3°) de réduire la semaine de travail à 35 ou 30 heures, l’année à 9 ou 10 mois, etc...

- Mais qui paiera la note, s’écrieront les impénitents économistes de la rareté ?
- Les machines et la science, répondrons-nous. Il suffira de monnayer l’abondance, c’est-à-dire
de faire en sorte que chaque produit engendre la monnaie susceptible de l’acheter (*). De telle façon que plus la science crée de produits, plus il y aura de signes monétaires à distribuer  ; ce qui donnera une telle accélération à la production qu’on aura plus de revenus pour l’acheter qu’on ne pouvait l’espérer. Et cela sans craindre l’inflation puisque la demande ne sera jamais supérieure à l’offre.

(*) Voir page 16, le paragraphe : « La monnaie de consommation ».

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