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21 mars 1978, date historique
UN FAIT CAPITAL S’EST PRODUIT LE 21 MARS DERNIER : LA PROPOSITION DUBOINISTE DE LA DISTRIBUTION DU TRAVAIL A FAIT SON APPARITION DANS LES TRAVAUX DE LA COMMISSION EUROPEENNE. UN DOCUMENT DE TRAVAIL PRESENTE CE JOUR-LA AU COMITE PERMANENT DE L’EMPLOI PROPOSE PUREMENT ET SIMPLEMENT « LA REPARTITION DU TRAVAIL ET L’EGALITE DE TRAITEMENT » (1).
C’EST donc juste deux ans après sa mort, et
plus de quarante ans après qu’il les ait exposées, que
les propositions de Jacques Duboin sont envisagées par la Communauté
Européenne, dans l’impossibilité où elle est de
trouver une autre solution à la crise économique. Ce très
grand pas en avant vers l’économie distributive est évidemment
pour nous une immense joie. En lisant le rapport publié par le
Bureau des Liaisons Sociales, on a envie de crier « Hourrah !
».
C’est aussi un sujet de réflexion que nous ne sommes pas près
d’épuiser.
La première idée qui vient à l’esprit est qu’en
citant cette étude de la C.E.E. nous avons désormais la
meilleure réponse possible à opposer à ceux qui
depuis trop longtemps qualifient nos propositions d’utopiques.
Et puis, on doit bien constater que J. Duboin a eu raison sur un autre
point, qui a suscité bien des polémiques. Même contre
l’avis de certains de ses collaborateurs, qui se disaient (et se disent
encore), plus zélés que lui, ce n’est pas sous l’effet
d’une soi-disant « action » au plan politique que l’économie
distributive s’impose. C’est bel et bien, comme il l’a si souvent souligné,
sous la pression de la nécessité engendrée par
un chômage inéluctable que la Communauté Européenne
en arrive à ses conclusions.
Cette nouvelle sensationnelle, dont les journaux d’actualité
n’ont pas su voir l’importance, ne va pas manquer d’enthousiasmer nos
lecteurs, qui vont du même coup avoir bien des occasions d’exposer
nos thèses. Ils me pardonneront donc, je l’espère, de
leur fournir une abondance de chiffres et de statistiques, fastidieux
certes, mais nécessaires quand on veut rester objectifs.
Nous étudierons d’abord dès aujourd’hui le problème
français. Nous aborderons dans de, prochains numéros le
cas des autres pays industrialisés et les palliatifs imaginés
ça et là pour lutter contre le chômage. Enfin, nous
analyserons les propositions étudiées par la C.E.E. et
leurs conséquences prévisibles.
LE point de départ des analyses de J. Duboin
remonte à l’observation, publiée entre autres par le National
Bureau Research des EtatsUnis (2), que depuis 1920, la production, tant
industrielle qu’agricole, peut augmenter tout en nécessitant
de moins en moins de travail humain. Au lieu de tirer parti des progrès
techniques pour permettre à l’homme de mieux s’épanouir
en profitant de ses loisirs, on s’est cramponné au vieux système
des prix-salaires-profits qui veut que celui qui n’a pas d’emploi ou
qui n’a pas trouvé dans son berceau un capital suffisant, est
un parasite. Ce manque d’adaptation des esprits aux possibilités
offertes a tellement faussé les jugements qu’il a été
admis partout qu’il fallait, coûte que coûte, créer
des emplois. Ceci a permis un abominable et honteux développement
des armements (3), source de profits pour certains, et de mort pour
les autres, et l’instauration d’une société de consommation
irraisonnée, qu’une publicité intéressée
développe au mépris de la personnalité humaine.
Heureusement, la fuite en, avant qu’est la croissance pour le profit
contient en elle ce qui fait sa perte : la recherche du profit conduit
à réduire la main-d’oeuvre plus que la croissance ne l’augmente.
On commence enfin à s’en apercevoir un peu partout.
Citons au hasard :
- « le volume des livraisons agricoles s’accroît de 2,5
% l’an avec une diminution de l’emploi de 5 % l’an (4) » ;
- « pour améliorer sa compétitivité, Renault-
Véhicules industriels investira quatre milliards de francs en
cinq ans et réduira de 40 000 à 35 000 le nombre de ses
salariés (5) ;
- « dans l’imprimerie, « la direction du groupe S.D.F.-Néogravure
a informé le comité central d’entreprise qu’un plan de
redressement comportant 48 millions de francs d’investissements avait
été mis au point. La restructuration du groupe et sa modernisation
technique entraînera une diminution des effectifs (800 personnes
sur un total de 2 700) (6) » ;
- « le gouvernement français a accordé en juillet
dernier une aide exceptionnelle de 800 millions de francs pour les chantiers
navals... qui ne survivent encore que grâce aux commandes passées
depuis plusieurs années. Mais cela ne représente plus
que dix-huit mois de travail et d’autres commandes ne viennent pas prendre
le relais. La construction navale française connaîtra sûrement
une crise encore plus grave et les licenciements, à peine commencés,
vont s’amplifier (7) » ;
- « dans l’industrie de la pâte à papier, le redressement
sera lent et là aussi on envisage des compressions d’effectifs
(7) » ;
- dans les textiles, « le groupe Boussac a présenté
aux pouvoirs publics un plan de survie dans lequel il demande une subvention
de 200 millions de francs (à fonds perdus) . Si cette subvention
n’est pas accordée, le plan de survie ne pourra être appliqué...
Un seul point est acquis : des milliers de licenciements frapperont
les ouvriers du textile (8) » ;
- un nouveau « plan acier » vient d’être mis au point
: il prévoit la suppression supplémentaire de 10 à
15 000 emplois. (Rappelons qu’il y a un an, un premier plan destiné
à rétablir la compétitivité des aciéries
françaises prévoyait la fermeture des installations vétustes
ou mal adaptées, la suppression de 16 000 emplois et, bien entendu,
l’octroi d’une nouvelle aide de l’Etat de 1,3 milliards de francs...
L’exercice 1977 a été encore plus désastreux que
les précédents, très largement déficitaires)
(9) ».
On a beaucoup dit que les suppressions d’emplois dans les secteurs tels
que ceux que nous avons cités et qui sont dues à l’automatisation,
étaient compensées puisque, ces automatismes, «
il faut bien les fabriquer ». Ainsi le développement de
l’électronique et de l’informatique faisaient figure d’ultime
recours contre le chômage. Pierre Simon nous apporte (10) les
chiffres nécessaires pour détruire toute illusion sur
ce sujet. Même la vaste diffusion des microprocesseurs qui est
commencée ne fera qu’aggraver le problème. Voici la conclusion
pertinente qu’on lit dans un journal professionnel : « en 1977,
la progression en volume des industries électroniques a été
de 12 %... Quant aux emplois, on commence à savoir que nos industries
ne sont plus créatrices d’emplois (11) ».
*
POUR résumer tout ceci, et pour couper court
à toute objection du type « ces diminutions d’emplois ne
concernent que certains secteurs, mais d’autres se développent
car il s’agit d’une mutation industrielle », voici le résultat
global pour la production industrielle française au cours des
dix dernières années : les courbes ci- dessous, reproduites
par le Secrétariat Général du Gouvernement, dans
la revue « Problèmes Economiques » et dues à
J.-C. Vassal, de l’Université Nancy II (12), montrent de façon
frappante que le chômage a crû plus que la production et
plus que les investissements productifs. La « relance »
amorcée en 1976 qui a amené une augmentation de 5,2 %
de la production intérieure brute, ne s’est traduite, dans l’ensemble
de l’industrie, que par une augmentation de 0,5 % des effectifs (13).
Nous n’en sommes plus au temps où les professeurs d’économie
niaient les prévisions de J. Duboin : citons A. Fourcans, professeur
d’Economie et Finances à l’E.S.S.E.C. et J.-J. Rosa, professeur
agrégé de Sciences Economiques à l’Université
Paris II et à l’Institut d’Etudes Politiques, qui après
avoir traité du « mirage du plein emploi » (14) concluent
plus récemment : « La relance n’est pas susceptible, comme
nous l’avons montré, de diminuer durablement le taux de chômage
(15) ».
*
CE sont de tels faits économiques qui ont enfin
amené la Communauté Européenne à comprendre
la nécessité de la distribution du travail. Trente syndicats
ont participé le 5 avril à une « journée
européenne de lutte pour l’emploi et la reprise de la production
» : « Ils estiment qu’une réduction de la durée
du travail sous des formes très diverses est incontestablement
une nécessité impérative. Tous les partenaires
européens savent désormais qu’une éventuelle reprise
de la croissance n’est pas suffisante pour combattre le chômage
(16) ».
Même le patronat est obligé de reconnaître que, comme
le dit Y. Chotard, Président de la Commission Sociale du CNPF,
lors de l’Assemblée Générale du 17 janvier dernier
: « Les nouvelles données économiques interdisent
d’attendre de la seule croissance la création d’emplois à
un rythme suffisant ».
Et les partis politiques ? Loin d’être en pointe sur ces sujets
cruciaux, ceux de gauche commencent pourtant à... flairer quelque
chose. Un effluve, très léger, les atteint. Il y a tout
juste un an, je relevais ici même (17) la thèse avancée
par Michel Bosquet tendant à pénaliser les entreprises
qui utilisent des machines conçues pour remplacer le travail
humain. Je lui suggérais de donner l’exemple en remplaçant
l’imprimeur du « Nouvel Observateur » par des milliers de
copistes. Ayant eu la politesse de lui envoyer ces remarques par lettre,
avant de lui adresser aussi un exemplaire du journal, je dus constater
que, chose curieuse, ma suggestion n’eut pas de réponse ! Comme
elle n’eut pas non plus droit de cité au courrier des lecteurs,
je concluai que le courant d’opinion qu’on dit « socialiste »
et que reflète le « Nouvel Obs », refusait de faire
l’effort nécessaire à repenser les fondements du système
des Prix-Salaires-Profits.
Oh surprise ! Il semble tout au contraire que l’évidence de nos
analyses commence à ébranler M. Bosquet car il remarque
maintenant « l’investissement lui-même, si vigoureux qu’il
devienne, ne supprime-t-il pas, depuis plus de dix ans déjà,
plus d’emplois qu’il n’en crée ? » et il reconnaît
enfin (18) que le plein emploi « appartient définitivement
au passé. II n’est plus nécessaire. Sa disparition ne
sera pas un mal » : elle pourrait être un moyen de libérer
l’homme des tâches ingrates ! Voici une nette évolution
que nous sommes heureux d’applaudir.
La gauche va-t-elle s’unir sur notre programme économique ? Voici
en écho ce qu’écrivait Jacques Frémontier dans
sa lettre de démission de ses fonctions de rédacteur en
chef du journal « Action », organe du secteur « entreprises
» du Parti Communiste : « Nous nous sommes trompés
sur la prise du pouvoir... Nous nous sommes trompés sur le programme
commun. Nous avons feint d’y voir un programme anticapitaliste (ouvrant
la voie, disions- nous parfois, à une transition vers le socialisme)
... Comment ne pas s’apercevoir que dans le cadre du capitalisme monopoliste,
la marge de choix économique se révélait singulièrement
étroite ? (19) ».
(1) « Intersocial », mars 1978.
(2) « Les yeux ouverts » de J. Duboin, page 32.
(3) Les dépenses d’armement sur l’ensemble de la planète
avoisineraient 350 milliards de dollars d’après le Président
Pérez (Vénézuéla), « Le Monde »
du 30 mars. Le rôle joué par les gouvernements dans le
commerce des armes est bien montré dans le dernier film d’André
Cayatte (voir page 7).
(4) Rapport professionnel « Etudes » de février 1978.
(5) « Le Monde » du 31 mars.
(6) « Le Monde » du 1" avril.
(7) « Le Nouvel Observateur » n° 703.
(8) « Le Monde » du 22 avril.
(9) « Le Monde » du 29 mars.
(10) Voir « la peau de chagrin », page ??.
(11) « Electronique Actualités » du 13 janvier.
(12) Publiées dans la revue « Banque » en mars 1978.
(13) U.N.E.D.I.C. statistique citée par Jean de Bodman, «
Droit Social » n° 2, février 1978.
(14) « Problèmes Economiques » n° 366 d’octobre
1977.
(15) « Banque », mars 1978.
(16) « Le Monde » du 5 avril.
(17) « La Grande Relève », n° 747.
(18) « Une pastille contre le travail », article paru dans
le n` 702 du « Nouvel Observateur ». (19) « Le Monde
» du 21 avril.