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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 647 - mars 1968

 

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N° 647 - mars 1968

Bilan de nos efforts communs - 3ème partie   (Afficher article seul)

A l’ouest du nouveau   (Afficher article seul)

Le joyeux cow-boy de la télévision   (Afficher article seul)

Au palmarès de la démence   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

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Résumé du chapitre I : la première guerre mondiale (14-18) ruina la France dont dix de ses plus riches départements furent dévastés. Nos « experts » expliquèrent qu’un siècle serait nécessaire pour reconstruire nos régions libérées. Or, 10 années suffirent à tout remettre en état et déjà la grande crise mondiale des années 30 éclatait. Les « experts » prétendirent qu’il ne s’agissait que d’une surproduction « généralisée » (sic). Les gouvernements des IIIe, IVe et Ve Républiques « assainissent » depuis lors les marchés pour en retirer les « excédents » invendables. Une campagne de presse favorisa la création du M.F.A. qui dénonce inlassablement l’abominable combat livré à l’Abondance, alors que, même dans notre pays, la misère est loin d’être vaincue.

Le chapitre II reproche aux économistes « officiels » leur hostilité à l’égard de l’économie distributive de l’Abondance. Ils enseignent que notre libéralisme économique est éternel parce qu’il obéirait à des lois naturelles (sic). En conséquence ils ne protestent jamais contre l’assainissement des marchés, ni. même contre la fabrication intensive des armements, laquelle atteint aujourd’hui 168 milliards (anc.fr.) par jour pour l’ensemble des nations dites civilisées. Mais c’est que cette fabrication, pièce maîtresse du « plein emploi » donc du libéralisme, distribue salaires et profits sans rien apporter à vendre sur les. marchés déjà saturés.

Bilan de nos efforts communs - 3ème partie

par J. DUBOIN
mars 1968

Faisons maintenant le bilan de nos efforts communs : est-il positif ou négatif . Avant la deuxième guerre mondiale il eut été largement positif. Mais il est clair que 5 années d’occupation d’abord partielle puis totale, brisèrent l’élan du Mouvement Français pour l’Abondance. Son organe « La Grande Relève » se saborda, beaucoup de camarades se dispersèrent, nos sections s’évanouirent toute réunion étant sévèrement interdite. Après l’armistice, il fallut repartir à zéro, et, ne l’oubliez jamais : l’Abondance avait disparu ! Ici une parenthèse n’êtes vous pas stupéfait de la rapidité avec laquelle elle est revenue ? Trois ou quatre ans à peine après une longue période de pénurie, voilà qu’on se plaint à nouveau de la surproduction !

Quoi qu’il en soit le grain semé par le M.F.A. n’avait pas été complètement perdu. Une partie germa et nous aurions récolté une belle moisson si, comme on l’a rappelé dans le chapitre précédent, les gouvernements des IVe et Ve Républiques n’avaient estimé dangereuse la propagande pour l’Abondance. Ne pouvant décemment la déclarer illicite, ils privèrent le M.F.A. des moyens modernes d’information, la radio et la télévision.

Ceci dit, avons nous lieu d’être satisfaits des résultats obtenus ? Pour le savoir, consultons nos camarades.

Les pessimistes répondent non. Pour eux, les Français sont en pleine décadence. Beaucoup sont en proie à la passion du jeu. Alors que la loterie était autrefois interdite, elle est aujourd’hui élevée à la dignité d’institution nationale. Ayant paru encore insuffisante, on la doubla du tiercé. Les casinos où l’on joue ne furent jamais plus prospères. Sans vergogne l’Etat alimente son budget des produits d’un vice ! La criminalité ne cesse d’augmenter de même que la délinquance juvénile ce qui est beaucoup plus grave. Certes un grand nombre de Français se préoccupent de l’instabilité de leurs moyens d’existence, mais sans jamais prendre la peine d’en démêler les raisons.

Sans nier ces constatations, les optimistes n’en tirent pas d’aussi sombres conclusions. Ils observent en effet qu’une grande préoccupation a surgi : celle des loisirs, c’est-à-dire du temps dont chacun peut disposer en dehors de ses occupations ordinaires. Ne parle-t-on pas constamment de la civilisation des loisirs ? On songe même à les organiser, et, avec beaucoup de suite dans les idées, leurs futurs organisateurs entendent que ces loisirs soient « rentables » pour eux ! Il va de soi que les loisirs entrevus sont ceux dont bénéficient aujourd’hui les gens riches : belles croisières, séjours délicieux dans les plus agréables sites de la planète. Qui sait ! peut être bien la chasse à courre démocratique ? Quoi de plus réjouissant que la vue du cerf aux abois ? Epuisé, il se rend à la meute qui le harcèle, et donne enfin le spectacle de son agonie saluée par la sonnerie des cors !

Rares sont nos contemporains qui se doutent, que pour jouir de ses loisirs, il faudra d’abord apprendre à les cultiver, sans quoi autant la condamnation à l’ennui à perpétuité. Pourtant dans l’opinion générale lie loisir de demain ne sera plus le loisir de notre chômeur. On sait qu’il consiste à user ses derniers souliers à courir lire à la porte des usines « Pas d’embauche ». Demain, le loisir sera « payé ». On ne sait par qui ni comment. Les moyens financiers tomberont peut-être du ciel ! Mais n’est-ce pas déjà soupçonner, vaguement j’en conviens, que quelque chose de nouveau se dessine à l’horizon : « Le revenu social » ? C’est donc bien la preuve que l’économie de l’abondance a fait des progrès !

Sans doute, admettent honnêtement les pessimistes, mais c’est encore bien confus dans les cervelles moyennes. Croyez nous, la partie ne sera .gagnée que le jour où l’économie de l’Abondance sera assez répandue dans le grand public pour figurer dans le dictionnaire. C’est absurde, mais ce qu’on ne trouve pas dans le dictionnaire est inexistant. Dans l’esprit de beaucoup de gens, c’est irréel, ou n’existe tout au moins que dans l’imagination.

Mais, répartissent les optimistes, l’économie de l’Abondance figure dans le Dictionnaire des Sciences Economiques. L’éminent économiste Alfred Sauvy en a même noirci deux pages aux fins de l’exorciser. En revanche, dans le même dictionnaire (page 1077) Le professeur M. Cépède, réhabilite -l’économie de l’Abondance à l’article « Surproduction ». Je cite textuellement « En même temps qu’on constatait l’existence des « surplus » (excédents des produits invendus) on devait convenir que les besoins n’étaient Pas satisfaits dans la mesure où ils n’étaient pas « solvables », qu’il existait une demande potentielle non effective en période de « surproduction », et que la demande effective pouvait fort bien se trouver réduite par la « surproduction » même : c’est là le phénomène de la misère dans l’Abondance, de la misère par l’Abondance. »

La misère par l’Abondance ! Vous rappelez vous (chapitre ll) les ricanements du professeur Murat, de la Faculté de Droit de Lyon, qui écrit que « l’abondance est un des exemples les plus purs. de l’aberration et de la décadence des esprits dans l’entre-deux guerres. C’est une des plus parfaites poudres de perlinpinpin qui aient ébloui et achevé d’abrutir un peuple oui n’en avait pas besoin (sic). On trouve cet aimable couplet page 118 du livre Renaître, publié avec la collaboration de M. François Perroux. Et M. A. Murat s’intitule, lui-même et très modestement, « docteur » des sciences économiques, alors qu’il n’est guère qu’un économiste sous-développé. Les optimistes ajoutent que l’Economie distributive de l’Abondance est exposée dans le Précis de la classe de Philosophie de MM. Denis Huisman et André Vergès où on lit que « les directives générales de la doctrine : sont fort intéressantes, et l’analyse du libéralisme économique paraît remarquablement lucide et fondée sur une documentation très approfondie. »

De cela les pessimistes conviennent en regrettant que le Dictionnaire des Sciences Economiques ne soit consulté que par les spécialistes, et que les élèves de philo ne représentent qu’une minorité infinitésimale de la population française.

En ce qui concerne les dictionnaires usuels, il faut dissiper une équivoque. Tout le monde sait que le nombre des mots d’une langue n’est pas immuable. De vieux mots tombent en désuétude des mots nouveaux font leur apparition. Ceux- ci sont spontanément créés par le grand public par la seule raison qu’ils lui sont devenus indispensables. Mais comment un mot nouveau fait-il son entrée dans les dictionnaires ? C’est l’Académie française qui en décide. Elle a conquis tacitement ce privilège en créant son propre dictionnaire vers la fin du XVIIe siècle. Plus tard elle devait en donner un petit nombre d’éditions. C’est ainsi que la vieille dame du quai Conti décide si tel mot est français, car, dès qu’elle l’introduit dans son dictionnaire, il entre ipso facto dans tous les autres. Il ne faut pas croire que cela alla tout seul ; les « puristes » de l’époque ayant considéré les nouveaux mots comme d’indésirables intrus. Ils les réunirent même en un petit livre qu’ils baptisèrent « Dictionnaire des Halles » en signe de protestation.

Le dictionnaire usuel est donc le recueil des mots d’une langue à l’exception des termes supra- techniques qui font l’objet de dictionnaires spéciaux. Il range le plus souvent les mots par ordre alphabétique faisant suivre chacun de son orthographe, de sa prononciation, de son origine et de sa signification. Mais de plus, il donne encore les différents sens du mot, beaucoup en ayant plusieurs.

Prenons pour exemple le mot Abondance. Il nous apprend qu’il vient du latin abundantia (ab undare, couler à flot) et qu’il signifie : possession de tout ce dont on a besoin ; que l’abondance diffère de la richesse en ce que celle-ci emporte l’idée de luxe, de superflu, tandis que l’abondance se rapporte plutôt à l’utile, au nécessaire ; elle est une source de bonheur ; on dit que l’abondance règne là où les subsistances affluent.

Ce n’est pas tout : abondance a encore un autre sens : on dit ainsi qu’on parle d’abondance quand on parle facilement, correctement, sans sécheresse ni stérilité. « Parler d’abondance » est donc une acception nouvelle du mot Abondance. Comment a-t-elle pénétré dans le dictionnaire ? Cette fois ce n’est pas le dictionnaire de l’Académie française qui en a pris l’initiative, sa nouvelle édition étant constamment en chantier.

Un exemple : l’abondance a donné récemment naissance à une théorie que des gens de bonne volonté s’efforcent de répandre. Iront-ils solliciter son admission des rédacteurs du dictionnaire ?

Impossible, on ne les connait pas, ils gardent l’anonymat. S’adresseront-ils au directeur de l’entreprise qui édite le dictionnaire ? Ils seraient curieusement reçus !

A la vérité, le nouveau sens d’un mot doit s’imposer. Il faut qu’on en parle couramment, qu’on le lise dans la presse, dans les livres. Bref qu’il appartienne déjà au domaine public. C’est pourquoi je fus agréablement surpris à la nouvelle que la théorie de l’Abondance figurait dans le nouveau petit Larousse illustré. Et un peu inquiet, je l’avoue, sur la définition qu’il en donnait. La voici : Théorie qui considère que les moyens techniques modernes permettent de produire une quantité de biens très supérieure aux moyens d’achat du consommateur et estime que, dans ces conditions, les problèmes économiques se résument en la mise en place de procédés de distribution tenant compte des besoins de chacun. » Pouviez vous imaginer une définition aussi concise, complète et claire ? Pour ma part elle est supérieure à toutes celles qui me sont venues à l’esprit.

Mais nos pessimistes ne se déclareront peutêtre pas encore satisfaits, car ils prétendent que nous ne sortirions pas vainqueurs d’un sondage d’opinion ! Tout le monde ne sait donc pas que le sondage d’opinion est la forme la plus perfectionnée du mensonge politique ?

Et pourtant il peut arriver que, malgré toutes les précautions prises dans le choix des questions posées, les réponses de l’opinion soient diamétralement opposées au désir des organisateurs du sondage. C’est justement ce qui s’est produit lors d’un des derniers concernant l’an 2000. Il s’agissait de savoir comment les « sondés » l’entrevoyaient dans leur petite jugeote. L’une dies questions était celle-ci : le chômage aura-t-il disparu ? Non, ont répondu 72 % des personnes interrogées. Or, si le chômage n’a pas disparu en l’an 2000, c’est que le plein-emploi dont on nous rebat les oreilles n’est qu’une « fumisterie » pour employer le langage châtié de M. Georges Pompidou.

Au reste notre Premier ministre est-il bien convaincu que rien ne doit changer dans notre système économique et social ? A plusieurs reprises il a fait allusion à certaines « mutations » en cours, en précisant même certain jour qu’elles étaient indispensables. Or qu’est-ce qu’une « mutation » ? C’est un des mots de notre langue ayant plusieurs sens que donne le dictionnaire. Celui qui correspond à la pensée de M. Georges Pompidou ne peut être que celui-ci : « modification brusque et héréditaire apparaissant chez les êtres vivants et qui est à l’origine d’une nouvelle race. »

Or les hommes sont des êtres vivants dont l’économie de l’Abondance changera infailliblement le comportement. N’ayant plus à gagner leur vie, ils cesseront d’être des concurrents pour devenir d’excellents copains...

Un homme politique s’est exprimé beaucoup plus nettement que notre Premier ministre, c’est M. André Malraux. Rappelons que dans une séance de l’Assemblée nationale (9 novembre dernier) il a déclaré : « Notre civilisation implique la rupture avec le passé la plus brutale que le monde ait jamais connue. Il y a déjà eu de grandes ruptures et en particulier la chute de Rome. Mais jamais elles ne se sont produites en une seule génération... Nous sommes, nous, la génération oui aura vu le monde se transformer au cours d’une vie humaine. »

Au cours d’une vie humaine ! Comme on estime en général sa durée à 30 années, reste à savoir à quel moment la rupture a commencé : est-ce à partir du jour où le M.F.A. l’a signalée, ou du jour où M. André Malraux s’en est rendu compte ? Qu’importe, car la suite du discours mérite d’être souligné : « Pour la première fois, nous assistons à un développement autonome de la machine. Il repose sur un fait très simple : la machine et ses dépendances sont d’une telle importance que statistiquement tout ce qui est argent se dirige inévitablement vers elle. Lorsqu’une grande entreprise réalise des bénéfices énormes, que peut- elle en faire ? Quel qu’il soit le luxe déployé est sans commune mesure avec la grandeur des bénéfices des entreprises modernes : on n’achète pas des châteaux tous les matins. En conséquence, ou bien l’entreprise se développe, c’est-à-dire que la maison Peugeot, par exemple, qui a réussi dans le cycle, fait de l’automobile et que, si elle réussit dans l’automobile, elle fera de l’avion ; ou alors ces bénéfices vont à la banque, laquelle banque investit dans les machines l’argent dont elle dispose. »

« C’est pourquoi nous voyons le machinisme prendre cette puissance extraordinaire et les investissements atteindre des proportions colossales et se diriger exclusivement vers les industries de pointe, contraignant tous les pays à se soumettre à la loi de la civilisation machiniste. »

« Or, pour la première fois, cette civilisation ne sait pas quelle est sa raison d’être. Celles qui nous ont précédées savaient ce qu’elles étaient, et le savaient si bien - je l’ai déjà dit - qu’une conversation entre un pharaon et Napoléon était parfaitement concevable ; c’était le temps des grandes civilisations agraires. Mais déjà une conversation entre Napoléon et un chef d’Etat moderne ne serait plus possible parce que les données ont complètement changé. » Qu’une conversation entre Napoléon et un chef d’Etat moderne ne soit pas possible, c’est l’évidence même, mais que les chefs d’Etat modernes ne s’accordent que pour préparer la guerre est vraiment affligeant.

Comment les députés accueillirent-ils le discours de M. Malraux ? Ne venait-il pas de donner le sens exact de la « mutation » annoncée par son chef de file ? Quelques membres de la majorité manifestèrent leur satisfaction comme si, grâce à eux, la « mutation » était déjà réalisée. Consistait-elle donc à « muter » l’U.N.R, pour en faire l’U.D.V ?

***

Quoi qu’il en soit et tout compte fait, les « abondancistes » n’ont pas lieu d’être mécontents. Aujourd’hui les faits se précipitent dans la voie qu’ils avaient prévue. Le chômage augmente en France, en Angleterre, en Allemagne fédérale, en Italie... même en Espagne !

En vue de l’ouverture prochaine du Marché commun de nouvelles concentrations d’entreprises provoqueront de nouveaux licenciements, et lorsque le Marché commun s’ouvrira en juillet, que de grosses surprises !

Est-ce tout ? Non, on découvre enfin que les jeunes n’ont plus d’avenir, à l’exception du petit nombre dont le bagage scientifique sera très lourd. Que fera-t-on des autres ?

Et les mythes se volatilisent, le défi américain de J.-J. Servan-Schreiber n’est plus à relever, les Américains étant condamnés à l’austérité. Et le dollar se trouve mal... Et le nazisme reparaît en Bavière...

Enfin les techniques de la production progressent à une allure ahurissante !

L’Abondance est en marche, seule une guerre nucléaire pourrait l’arrêter !

(Fin)

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A l’ouest du nouveau

par P. MONTREUX
mars 1968

Les Etat-Unis sont engagés dans une guerre interminable et meurtrière au Vietnam et ne semblent pas vouloir tenir compte de la malheureuse campagne de la France, qui a pris fin après le désastre de Dien-Bien Phu.

Il est bien certain que les Etats-Unis disposent de puissants moyens pour mener une guerre, à la condition que celle-ci ait lieu en rase campagne. Ses adversaires le savent et ne tentent pas de livrer une bataille rangée ; ils se contentent de coups de main, d’embusquades ; finalement, ils ont déclenché une bataille de rues dans les principales villes du Sud- Vietnam, mettant l’armée américaine en mauvaise posture. Celle-ci semble avoir perdu l’initiative et sur bien des points, elle doit se contenter de résister avec plus ou moins de succès.

Dans le monde entier, des voix s’élèvent pour demander la fin de cette guerre, dont l’objet reste obscur pour beaucoup d’honnêtes gens. Le président Johnson déclare à chaque instant qu’il désire la paix - mais - avant d’entamer des négociations, exige de l’adversaire une attitude de soumission qui, jusqu’à présent, n’a pas été prise en considération par Hanoï.

On ne voit pas ce que pourrait donner l’écrasement du Vietcong et du Nord-Vietnam. On nous dit que c’est une condition nécessaire pour empêcher l’expansion du communisme dans cette région. Nous ne voyons pas non plus comment les Etats-Unis seront capables de freiner Mao Tsé Toung, pas plus qu’ils n’ont pu empêcher l’U.R.S.S. de continuer l’équipement d’un territoire immense en dehors des méthodes capitalistes.

Alors, ne vaudrait-il pas mieux arrêter cette guerre ignoble, où le plus puissant des adversaires tente d’abattre la résistance d’un petit peuple par des méthodes qui ressemblent étrangement à la dératisation ?

Il vient de paraître, aux Etats-Unis, un livre de Robert Sherril, sous le titre . « Le Président provisoire ». Sherril est un journaliste qui, après avoir assuré la rédaction régionale de la revue « Time », au Texas, est devenu correspondant de nombreux journaux. Il a suivi de près la vie politique aux EtatsUnis et notamment la vie et l’action du Président Johnson, qu’il considère comme un homme particulièrement rusé et astucieux, et qui a peut-être été élu président en 1964 à la suite d’une négligence !

Il estime - et avec lui, de nombreux Américains - qu’il est avant tout un opportuniste, ayant plus d’ambition que de sens politique.

Un autre journaliste, Stan Cohen, a écrit dans le journal « The East Village Other », que Johnson est probablement un cas exceptionnel dans l’histoire de la présidence des U.S.A. On ne peut ajoute-t-il, imaginer quelque chose d’assez bas qu’il ne soit capable d’accomplir, ni paroles aussi fausses qu’il ne soit capable de prononcer. C’est une orgie croissante d’hypocrisies et de mesquineries qu’il a pu imaginer pour concentrer en sa personne, les pires éléments que l’on puisse rencontrer. Il est capable d’éprouver de la colère, mais non de la passion ; il est dévot, sans être vraiment religieux ; rude, sans être courageux ; sincère, sans honnêteté et vaniteux, mais sans orgueil.

De son côté, le journal « The Christian Century » déclare que Johnson est moins franc que Roosevelt et moins honnête que Kennedy... cet homme qui fait preuve de manies épouvantables et étale une tristesse pathétique peut, en une seule phrase, pulvériser sauvagement quiconque et envoyer, en un moment de crise, de jeunes Américains à la mort au Vietnam... jamais un président n’a tenté avec autant de désinvolture de se montrer sous un jour favorable avant les élections, pour être élu, mais aucun président, en même temps, n’a montré en public un tel manque de respect et provoqué une telle antipathie...

Et cela continue sur ce ton pendant des pages entières.

Un chapitre concerne le pétrole, dont le Texas est l’un des grands producteurs. L’auteur signale que Thomas Buchanan, dans son livre : « Qui a tué Kennedy ? » attribue la responsabilité de l’assassinat aux multimillionnaires du pétrole, mécontents de la politique fiscale de Kennedy. Un programme radiophonique intitulé « Style de vie », patronné par les compagnies pétrolières et d’autres industries, transmis par 331 postes d’émission, accusait l’administration tyrannique de Kennedy de suivre une ligne de conduite imposée par Moscou. Le matin même de l’assassinat, l’émission avertissait les auditeurs que si Kennedy réussissait à communiser le pays, on ne leur permettrait plus la possession d’armes à feu afin que les Américains ne puissent combattre leurs oppresseurs.

Cette campagne a été menée par H. L. Hunt, un banquier, le plus puissant propagandiste de l’extrême- droite, avec l’aide d’un nommé Booth Mooney, qui fut collaborateur de Johnson pendant une demi- douzaine d’années !

Les compagnies pétrolières ont toujours appuyé Johnson, mais en revanche elles ont réussi à obtenir une nouvelle réglementation qui les avantageait exclusivement, surtout les plus importantes. Johnson, appuyé par le sénateur Kerr, propriétaire de la Kerr McGee Oil Company, aurait favorisé le vote d’un nouveau programme d’importation de pétrole qui a permis une réduction de 1,25 à 1,5 dollar par bidon. Le chiffre des importations a atteint 2,5 millions de bidons par jour, soit un bénéfice supplémentaire annuel de 900 millions de dollars - 450 milliards d’anciens francs - le prix de vente aux usagers n’ayant pas été baissé.

En ce qui concerne les dépenses militaires, les généraux du Pentagone avaient comme devise : « Crédits et bombardements » et, en 1966, ils avaient à leur disposition 100 millions de dollars, c’est-à-dire le double de ce que le Congrès avait admis pour les dépenses civiles au cours du même exercice.

Déjà, en 1965, au cours d’une conférence de presse Johnson déclarait qu’il n’avait pas besoin de l’autorisation du Congrès pour employer l’armée américaine où et comment il le désirait.

En 1958, en raison du chômage, Johnson a proposé d’accélérer la production d’armements. Celle-ci devait être favorisée dans les zones où existait un chômage substantiel, et il n’était pas question de la limiter aux besoins réels de l’armée !

Il a également appuyé certaines entreprises participant aux travaux de la NASA - construction de bases de lancement des fusées spatiales. L’une d’elles, la société Brown et Root, en raison de l’amitié ancienne entre Brown et Johnson, a obtenu le contrat ne construction de la base spatiale de Houston (Texas), alors qu’il eut été logique de la construire en Floride où se trouvent les autres installations.

Mais il fut bientôt question de convertir le Vietnam en « une plateforme de sable calciné, lisse comme la paume de la main ». Un consortium composé de quatre sociétés : la Raymond International of New York, Morris-Knudsen de Boise (Idaho), J. A. Jones, de Charlotte (N.C.) et Brown et Root, a obtenu un contrat de 900 millions de dollars à cet effet, pour des travaux à exécuter au Vietnam. Le dixième des travailleurs employés sur place - soit 4.500 - aurait appartenu au Vietcong ! Le Département d’Etat ne l’a pas démenti. Pour les bénéficiaires du contrat, cela n’avait aucune importance, les bénéfices étant aussi profitables avec le Vietcong qu’avec les autres travailleurs. Certains membres du Congrès ont estimé que le consortium avait perdu ou gaspillé - les Vietnamiens ayant dérobé une grande quantité de matériel - 125 millions de dollars.

Les compagnies de produits chimiques - nombreuses dans le voisinage de Houston - ont vendu jusqu’au milieu de 1966, pour plus de 10 millions de dollars de produits destinés à la défoliation des arbres au Vietnam - 85 % des arbres à caoutchouc ont été ainsi ravagés.

C’est sans doute ce qui permet au président Johnson de dire que les affaires n’ont jamais été aussi prospères !

Nous arrêtons les citations, car il est impossible de résumer un ouvrage aussi important et nous renvoyons les lecteurs au livre de R. Sherril, devenu un best seller aux Etats-Unis.

Nous laissons naturellement la responsabilité de telles déclarations à l’auteur du livre, mais nous pouvons tout de même nous demander duels sont les buts de guerre des U.S.A. : Ecraser l’adversaire, ou plus simplement assurer des commandes substantielles à l’industrie de guerre, dans le but de prolonger l’existence du régime capitaliste ?

Nous aurons peut-être la réponse à cette question dans un avenir prochain.

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Le joyeux cow-boy de la télévision

par M. PHELIPPOT
mars 1968

L’O.R.T.F. dans son émission du 9 janvier, intitulée Camera III, nous a présenté un nouveau grand magasin Carrefour qui venait de s’ouvrir à Chartres. Les auditeurs ont pu ainsi assister à son inauguration, mais ce n’était pas de la publicité. On vit et entendit les petits commerçants de la ville faire part de leurs doléances. Ils expliquèrent tout simplement qu’ils étaient condamnés à fermer leurs portes. Certes ils tiendraient le plus longtemps possible, mais la lutte n’était pas égale. A brève échéance, on assistarait à des licenciements et à des faillites. Il n’y a pas lieu de s’en étonner dans une économie de marché comma la nôtre, où la concurrence élimine les faibles au bénéfice des forts.

Tout ceci fut rappelé au cours de l’émission lorsqu’un certain bonhomme, à l’allure avantageuse, prit la parole, et se présenta comme un moderne cow-boy. Il fit entendre quelques vérités premières, à savoir qu’une production de masse exigeait une production de masse. Alors, magnifique toupet, il affirma que la concentration des entreprises favorisait cette consommation da masse : il suffisait de s’adapter (sic) ! Tout compte fait, ajouta-t-il avec un énergique mouvement de menton, tout le monde se réjouirait, à Chartres de ces magnifiques nouveaux magasins, car les prix baisseraient : il vaut mieux se contenter d’un bénéfice de 2% et patati et patata. N’est-ce pas se moquer du public ? Certes tout le monde en bénéficierait si nous étions en Economie Distributive, mais notre économie actuelle étant encore celle des salaires-prix-profits tout le monde ne jouit pas d’un revenu social qui augmente en même temps que la production : nous sommes encore dans une économie de marché où s’il y a des gagnants, c’est parce qu’il y a des perdants.

Notre cow-boy ignore-t-il que si le grand magasin baisse ses prix, c’est uniquement pour que disparaissent ses petits concurrents ? Une fois disparus, on peut être sûr qu’il relèvera ses prix dans toute la mesure du possible : c’est la règle du jeu capitaliste.

C’est la procédure classique. Que notre cow-boy ultra-moderne aille construire une fabrique de ciment dans quelque coin da France. Dès qu’elle commencera à tourner, le trust des cimentiers da France inondera ce coin de France de son ciment. Il le vendra à si bas prix qua la nouvelle fabrique fermera nécessairement ses portes. A ce moment là le trust des cimentiers relèvera le prix de son ciment... et achètera la fabrique fermée pour une bouchée de pain.

Mais entre l’économie de marché et l’Economie Distributive de demain, notre cow-boy de l’O.R.T.F. ne fait aucune différence.

Pour bien montrer sa crasse ignorance, et, tout compte fait, il a déclaré qu’il était enchanté de voir sa petite fille « jeter son peigne sale » plutôt que de le nettoyer ». Il paraît que c’est très élégant et probablement cela crée des emplois nouveaux. Cet olibrius est partisan du gaspillage. L’O.R.T.F. doit l’être aussi quand elle fait entendre son cow-boy.

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Au palmarès de la démence

par M. DIEUDONNÉ
mars 1968

Ci-dessous quelques extraits de deux articles parus côte à côte dans la « DEPECHE du Midi » du 24 janvier dernier :

1° - Les « six » et le problème du lait

Afin de remédier à la surproduction laitière qui pose un problème à la communauté européenne, M. Sicco Mansholt, vice-président de la commission exécutive, a proposé hier deux mesures importantes :

- Les exploitants agricoles possédant moins de cinq vaches devront renoncer entièrement à la production laitière.

- Le prix du lait sera bloqué à son niveau actuel.

D’autres suggestions ont été faites par la commission : le paiement d’une prime à l’abattage de jeunes animaux (...)

Ces mesures visent à réduire la production de beurre (...)

M. Mansholt a souligné que les stocks de beurre s’élèveraient à 140.000 tonnes en avril prochain et qu’en 1969, si l’on n’y portait pas remède, les produits laitiers coûteraient au Fond agricole du Marché commun 800 millions de dollars (...)

Il convient, dit-il, de rétablir un équilibre entre l’offre et la demande.

2° - Les vieilles pierres

Le Centre de défense des intérêts des personnes âgées nous fait parvenir une lettre adressée à nos dirigeants et parlementaires. En voici quelques extraits :

(...) Nous sommes les ouvriers qui bâtirent jadis la société actuelle (...) Que l’on restaure les vieux édifices, d’accord, mais peut-on refuser en même temps le droit de vivre décemment à ceux qui les construisirent ? (...)

Les vieux ont peiné, épargné. Qu’ont-ils reçu en échange ? Leurs économies ont fondu comme cire au brasier des dévaluations, et la société pour laquelle ils ont, durant toute leur vie, travaillé, leur accorde à peine de quoi ne pas mourir de faim (...)

Monsieur Mansholt, ne mentiriez-vous pas sciemment quand vous appelez « excédents » le beurre que consommeraient avec la plus vive satisfaction les personnes âgées - si elles disposaient d’un revenu suffisant pour se le procurer ?

Votre langage serait certainement différent si vous ne disposiez que d’une indemnité de vieillard de six francs et quelques centimes par jour pour vous nourrir, vous vêtir, vous loger, vous chauffer, vous éclairer et vous distraire ! ...

Les dizaines le millions d’Européens âgés ou économiquement faibles sont des êtres humains qui ont les mêmes besoins physiologiques que vous-même. Vous pouvez satisfaire les vôtres, grâce à l’argent que vous procurent les contribuables européens, mais les premiers n’en ont pas assez pour satisfaire les leurs. Il convient donc do rétablir un équilibre entre l’offre et la demande en leur fournissant les moyens pécuniaires nécessaires pour augmenter la demande.

Ce n’est pas l’avis que vous avez formulé, Monsieur l’expert économique, bien repu et à l’abri du besoin ; vous voulez rétablir cet équilibre en diminuant l’offre, malgré les énormes besoins insatisfaits. Vous affamez les pauvres qui ont besoin d’une aide en ne leur permettant pas de consommer ce que vous appelez, par euphémisme, les « excédents ». Vous êtes sans doute indifférent à la détresse de vos contemporains les plus défavorisés, puisque vous ne tenez pas plus compte d’eux que s’ils n’existaient pas. Vous oubliez que les personnes agées ont, par leur travail effectif, nourri, vêtu, logé, chauffé, éclairé et distrait tous les bavards prétentieux dont la nullité, qui fait peine à voir, est telle qu’ils ne sont même pas capables de répartir les « excédents », dont ils ne savent plus que faire, entre ceux qui en ont le plus urgent besoin.

Pour diminuer l’offre et sauvegarder le profit, Monsieur l’affameur, vos congénères, Messieurs Sauvy, Fourastié, Rueff, Pisani, Jeanneney. Debré, Drancourt, Sélillot, etc. ont fait payer aux contribuables les dizaines de milliards d’anciens francs afin de retirer du marché cent millions de kilos de beurre (ce qui représente 16 plaquettes de 125 grammes pour chacun des 50 millions de Français !...) De sorte que les contribuables paient le beurre qu’ils ne consomment pas, afin que celui qu’ils consomment leur soit vendu à un prix élevé et « rentable », dans un marché « assaini » par ces démentiels organisateurs de la rareté.

Peut-être pensez-vous, Monsieur Mansholt, que tous ces diplômés ès sciences économiques ont perdu la raison, puisque vous ne voulez pas les imiter en faisant payer aux consommateurs européens 800 millions de dollars pour soutenir le cours des produits laitiers en 1969. Mais vous voulez quand même sauvegarder les profits et cette détermination vous fait perdre également la raison, car il faut l’avoir perdue pour raréfier la producion de lait, de beurre, de fromage - au milieu d’une Europe où tant de personnes sont privées lu nécessaire et dans un monde ou les 2/3 de l’humanité meurent littéralement de faim !...

Mes sieurs les économistes affameurs, vos méthodes barbares vous donnent mauvaise conscience, vous n’êtes pas fiers de votre inhumaine gestion des affaires économiques ; et si vous qualifiez « d’excédentaires » des aliments indispensables aux hommes, c’est pour tenter de justifier l’imbécile raréfaction de ces aliments, délibérément et systématiquement organisée par vous.

Si vous manquez de coeur, hélas ! ce n’est pas non plus l’intelligence et l’imagination qui vous étouffent !... En effet, l’interdiction faite aux petits exploitants de produire du lait les inciterait à se grouper et à créer des coopératives de production, ce qui aurait pour effet d’augmenter la production laitière au lieu de la diminuer !...

Quant au blocage des prix du lait à son niveau actuel, dans une conjoncture de hausse permanente des prix - traditionnelle et inévitable dans notre économie du profit - c’est une plaisanterie de mauvais goût qui conduirait fatalement les exploitants agricoles à l’émeute et à la révolte... à défaut le pouvoir produire plus pour conserver leur niveau de vie !...

Ainsi, vos inutiles efforts pour juguler l’abondance portent préjudice à tous, aussi bien aux personnes âgées qu’aux exploitants agricoles, tant aux consommateurs qu’aux producteurs !...

Messieurs les professeurs d’économie politique, une expérience de près de 40 ans montre que l’abondance renaît toujours de ses cendres, plus éclatante que jamais. Votre entêtement à la combattre, au lieu d’en faire bénéficier vos contemporains comme vous en bénéficiez vous-même, fait de vous des pitres inhumains et sinistres. Mais en dépit de tous vos forfaits, l’abondance continue à se manifester est à se développer, offrant aux hommes la possibilité toujours plus grande de les enrichir tous - tout en supprimant, il faut en prendre son parti, des occasions de réaliser un profit.

Ne serait-il donc pas plus sage de remplacer ce profit, inexorablement condamné, par un revenu social qui permettrait à tous de consommer l’abondante production moderne, au lieu de la combattre sans trêve ni répit ?

Dans l’affirmative, il conviendrait le ne plus nous laisser appauvrir et manoeuvrer par des égoïstes qui infligent contre toute raison à leurs contemporains des conditions qu’ils ne voudraient pas pour eux-mêmes, ni peut-être même pour leurs chiens ! Par des déments qui luttent contre l’abondance de lait, le beurre, de fromage, de céréales, de légumes, de viande, de fruits, etc. au milieu le la multitude des humains sous-alimentés ou affamés ! Par des faibles d’esprit incapables de répartir les « excédents » de toute nature à ceux qui en ont le plus impérieux besoin ! Par des aveugles, enfin, qui entretiennent la confusion, le désordre, la haine et qui poussent le monde vers de nouveaux conflits économiques, sociaux et internationaux.

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Au fil des jours

mars 1968

Mr. Marcellin, ministre du Plan, vient de faire une fière déclaration il entend supprimer le chômage. Bravo ! S’il y parvient il éliminera Hercule de l’histoire, car lui n’y serait jamais parvenu.

Ce qu’il y a encore de plus admirable dans la déclaration de M. Marcellin, c’est qu’il n’a pas révélé comment il entendait s’y prendre : c’est une surprise qu’il veut nous réserver.

Après son succès, il aura bien le droit de prendre un brevet. Se doute-il du prix qu’on lui offrira pour avoir une licence ?

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Une bonne nouvelle : on sait que le chômage augmente dans le Nord. Les charbonnages ferment les uns après les autres, l’utilisation du charbon ne cessant de diminuer puisqu’on possède le pétrole, l’énergie électrique, demain l’énergie atomique.

Il s’agit donc de reconvertir les mineurs pour réaliser le fameux plein emploi.

Or le problème ne tracasse plus M. Yvon Morandat, président des Houillères, car il explique, dans « Le Figaro », que les deux départements du Nord et du Pas-de-Calais possèdent, à eux seuls, un marché de 60 millions de consommateurs, donc 10 millions de plus que la France.

Si M. Yvon Morandat était un homme du Midi, on sourirait aimablement, mais ce n’est pas le cas. Il :est bel et bien un homme pondéré du Nord.

Où M. Yvon Morandat a-t-il découvert ces 60 millions de consommateurs ? Tout simplement en annexant ce qu’il appelle le triangle lourd : Paris - Londres - Bruxelles - La Haye - Luxembourg - Bonn - Anvers - Amsterdam - Rotterdam etc. bref tous les territoires possédant « un réseau dense de communications maritimes, fluviales, ferroviaires et routières avec les départements du Nord et du -Pas-de-Calais.

Mais ô vaillant précurseur ! ces 60 millions de consommateurs n’ont donc pas encore de producteurs ?

Il semble au contraire qu’ils en ont trop, le chômage augmentant sur tout ces territoires... Sur tous, les moyens de production marchent au ralenti, et Yvon Morandat veut en créer de nouveaux comme si ces territoires étaient sous-développés !

N’estimez vous pas que l’aimable M. Yvon Morandat abuse un peu de la crédulité de ses contemporains ?

Comme aussi l’éminent économiste du Figaro, M. Michel P. Hamelet, qui rapporte, avec le plus grand sérieux, les propos inconsidérés de Monsieur Y. Morandat ?

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Comment faire comprendre à ces petits plaisantins, que s’ils veulent créer des emplois nouveaux, il faut supprimer les machines, car nous ne les inventons que pour supprimer des emplois ?

Enfin l’objet de la production est de créer des richesses de toute nature et non des emplois.

Voilà plus de trente ans que la Grande Relève explique cela en long et en large, mais l’idée qu’un homme puisse vivre sans travailler qu’à condition de trouver une fortune dans son berceau, voilà ce que n’admettront jamais ni M. Yvon Morendat, ni M. Raymond Marcelin, ni bien d’autres.

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M. Pompidou s’étant parait-il faché, M. Michel Debré a sorti son plan de relance, M. Giscard d’Estaing a aussitôt sorti le sien. Tous deux n’étant que des enfantillages, l’opposition a timidement proposé le sien. Hélas ! si c’est ce qu’apporte Mitterand, cela ne serait plus la peine de changer de gouvernement.

La guerre à l’abondance est toujours mieux organisée. Ainsi la grande presse nous informe que l’année dernière, 17 millions de kilos de fruits et légumes ont été détruits parce qu’on n’a pas réussi à les vendre assez cher. En voici le détail :

7 millions et demi de kilos de pommes par les soins des comités de Montauban, Nîmes, Angers et Orléans.

Presque 7 millions de kilos de choux- fleurs par les comités de Saint-Pol-de Léon, Châteaurenard, Saint-Malo, Nîmes et Angers.

200.000 kilos de tomates en provence et Languedoc.

481.000 kilos de poires, par les comités d’Orléans, d’Angers, de Montauban, Valence.

Pour subventionner ces destructions la F.O.R.M.A. a versé quelques millions remboursés par les contribuables.

Ne contestez pas ces chiffres, ils ont paru à l’Officiel, dans une réponse de M. Edgar Faure à un député du Vaucluse. N’est-il pas admirable qu’on ait organisé systématiquement ces destructions au moyen de comités spéciaux ?

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En revanche, la grande presse reconnaît que nous n’avons pas trop d’ennuis avec notre blé, le gouvernement ayant réussi à en écouler 500.000 tonnes aux Chinois, soit 500 millions de kilos. Mais à quel prix ? Beaucoup plus bas que celui auquel l’Etat les avait achetés. Mais c’est sans importance puisque les contribuables font la différence.

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En ce qui concerne le lait, les six du futur Marché Commun se disputent farouchement.

Qu’en faire ? La catastrophe dénoncée par M. Mansholt prend des proportions folles. Avec du lait on fait du beurre et les six en stockent des millions de kilos. Alors un projet a vu le jour : Pourquoi ne pas en vendre à bas prix ? Mais tout de suite le Figaro nous avise qu’il est encore moins bon que la margarine !

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A ce propos M. Mansholt a tenu un langage qui a jeté un froid. A Bruxelles, s’adressant aux agriculteurs hollandais dont la réputation est mondiale, il affirme que prétendre que le prix du lait doit couvrir les frais qu’il coûte (non pas aux vaches mais aux propriétaires des vaches) est une vieille balançoire. Pourquoi ? Parce que le nombre des agriculteurs va probablement diminuer. Il représente actuellement 7 % de la population de la Hollande. Il en représentera bientôt 2,5 %. Que deviendront les autres ? C’est un problème qui sort de l’épure de M. Mansholt. A ses yeux, l’unité de production sera prochainement : 400 vaches occupant 5 personnes.

On aimerait voir la tête que fait M. Alfred Sauvy.

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A la bonne heure, notre gouvernement créé des emplois. En vertu de la loi de finance rectificative pour 1966, et d’un décret du 7 décembre 1967, il vient de fonder l’Institut National de Consommation (sic). Qu’est-ce que cela veut bien dire ? Pour un rédacteur du Figaro, cet Institut National de Consommation sera : le bouclier des ménagères et des familles en leur permettant de bien acheter (sic) ! Avez- vous compris ?

Peu importe, ce nouvel organisme a un budget annuel de 360 millions d’anciens francs, soit un million par jour. Tel est le prix du bouclier en question. Et avec ça « il éclairera objectivement le consommateur sur les prix et les principales caractéristiques des biens de consommation courante ». Ce serait donc un gigantesque catalogue ? Peut-être. Ce qui est clair c’est que l’Institut aura un conseil d’administration comprenant 12 représentants des consommateurs, 6 professionnels ( ?), enfin 5 fonctionnaires. Il aura son autonomie et, ainsi que l’a déclaré son directeur (Fig. 20.2.68) « il fera ce qu’il a à faire ». En effet, vous admettez bien qu’avec 360 millions par an, on peut faire quelque chose. Ils ne seront certainement pas perdus pour tout le monde.

On crée aussi une fondation Nationale pour l’enseignement de la gestion des entreprises (sic) Sans commentaires ! Il faut bien créer des emplois.

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La grande conférence Internationale de New Delhi n’est-elle pas un modèle parfait d’hypocrisie ?

Il s’agit, on le répète à satiété, de courir au secours du tiers monde, celui des pays sous-développés. Les nations hautement industrialisées entendent faire leur devoir, car elles n’ont pas la conscience tranquille.

Ouverte au début de février, la conférence doit prendre fin le 25 mars. Elle réunit 1.300 délégués représentant 132 nations. La précédente s’était tenue eh 1964 .à Genève. On avait péroré infatigablement pour n’aboutir à rien.

De quoi s’agit-il ? De l’aide que les nations riches entendent apporter aux nations pauvres, mais elles s’en garderont comme de la peste. Pour permettre aux pays pauvres de se développer, il n’existe que deux moyens. Le premier consiste à leur fournir l’équipement qui leur manque, autrement dit à les industrialiser. Mais qui pourrait supposer que les nations industrialisées ayant déja tant de peine à écouler leurs produits, vont industrialiser les nations pauvres, pour grossir le nombre de leurs concurrents ? Le second moyen serait d’acheter plus cher, aux nations pauvres, les matières premières dont elles regorgent. Dans ce cas les nations riches augmenteraient le prix de revient de leurs propres marchandises, ce qui diminuerait leurs profits. Cette seule proposition ne fait- elle pas hausser toutes les épaules ?

Ce n’est pas tout. Les nations riches au bon coeur s’apitoient sur le nombre des économiquement faibles existant dans les nations sous-développées. Autrement dit elles voudraient diminuer la misère qui règne dans la plus grande partie du monde. Or sont-elles capables de la diminuer sur leur propre territoire ? La plus riche nation du monde, les Etats-Unis, compte 32 millions de pauvres gens ! Le président Johnson voudrait bien faire la guerre à la pauvreté, et a même déposé un projet de loi à cet effet. Mais il préfère encore faire la guerre au Vietnam...

Et de son côté le Congrès prétend que la pauvreté peut attendre... Ceux qui en souffrent en ont pris l’habitude.

Le plus curieux de l’histoire, c’est que les nations pauvres sont loin de ne compter que des miséreux. Il existe sur leur territoire des gens aussi riches, sinon plus riches encore que dans les nations industrialisées. En résumé, la pauvreté est la conséquence de la richesse dans tous les pays du monde. C’est donc partout que le système économique en rigueur a fait son temps.

L’interminable guerre > du Vietnam vient de révéler que l’armée,, américaine possédait des armes tactiques nucléaires : le fusil contient une mignonne cartouche atomique, le canon un petit obus nucléaire. Avez-vous lu que le grand Etat-Major de l’armée des Etats-Unis éprouvait, une grande tentation de s’en servir ? et ma foi si l’on était bien sûr que le Vietcong n’en possédât pas...

Alors n’écoutez plus les sinistres imbéciles qui écrivent qu’on ne se servira pas des bombes atomiques dans la prochaine guerre mondiale. Au début sûrement pas, mais le vaincu ne battra certainement pas en retraite avec ses bombes atomiques dans ses fourgons.

Mais dans la deuxième guerre mondiale on ne s’est pas servi des gaz asphyxiants ! Par la simple raison qu’on n’en avait plus besoin. La première guerre mondiale fut une guerre de position. Les adversaires s’étaient terrés -dans les tranchées. C’est pour les déloger qu’on inventa les gaz. La seconde guerre mondiale fut une guerre de mouvement. Elle gagna même l’Afrique. Les gaz n’étaient donc plus nécessaires.

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Dans l’hebdomadaire Newsweek, un lecteur dresse un fâcheux parallèle entre les Américains de la C.I.A. et les Allemands du temps de Hitler.

Les Allemands massacraient les Juifs. Les Américains de la C.I.A. font massacrer la population du Vietnam, de la Corée et d’autres pays asiatiques. Il faudrait réfléchir, écrit - il, que toute bombe qui tombe au Vietnam provoquera un jour la chute de plusieurs bombes sur le territoire des Etats-Unis. Alors il supplie les Américains de bonne volonté de faire, l’impossible pour ne pas augmenter le prix que leurs enfants auront un jour à payer.

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