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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 648 - avril 1968

 

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N° 648 - avril 1968

La gageure du plein emploi   (Afficher article seul)

Quelques réflexions à propos du chômage   (Afficher article seul)

L’économie distributive et le commerce international   (Afficher article seul)

Aux confins de la démence et de la raison   (Afficher article seul)

Vers le revenu social   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

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La gageure du plein emploi

par J. DUBOIN
avril 1968

M. Raymond Marcellin, notre ministre du Plan, promet de résorber le chômage et de réaliser le plein-emploi. On est désolé de lui reprocher son ambition ; elle est aussi démesurée que l’était celle de Napoléon. Il oublie que le chômage n’est ni une épidémie ni une catastrophe naturelle comme le tremblement de terre ou les inondations. Le chômage est la conséquence logique des progrès techniques qui permettent de produire davantage avec toujours moins de travail humain. Bien que les comparaisons soient souvent boiteuses, il m’en vient une à l’esprit : l’invention du moteur à-explosion permit de faire rouler les automobiles. En conséquence les voitures hippomobiles disparurent de la circulation. Des milliers de chevaux furent condamnés au chômage. Personne ne réclama le plein-emploi des chevaux.

Rappelons à M. Raymond Marcellin que les techniques, c’est-à-dire l’ensemble des, procédés utilisés par les sciences appliquées dans la production des biens de tous genres, sont d’incontestables bienfaits que nous devons au labeur acharné de toutes les générations qui nous ont précédés. Or le résultat de tous ces efforts a surgi brusquement au XXe siècle, un peu comme éclate le bouquet d’un gigantesque feu d’artifice. Nous avons le droit d’en être éblouis mais pas au. point de fermer les yeux sur leurs conséquences, les faits étant beaucoup plus forts que nos volontés.

Prenons un exemple, celui de l’agriculture : Au début du siècle, les agriculteurs et leurs familles représentaient 50 % de la population de la France. Aujourd’hui, un peu moins de 10 %, alors que notre production agricole a plus que quintuplé depuis 1900. Et n’oublions pas que le paysan d’autrefois était farouchement hostile au progrès.

Dans l’industrie les progrès furent plus sensationnels encore depuis ce qu’on appelle la première révolution mécanicienne, celle de la machine-à- vapeur. Or voici ce que Pirelli écrit aujourd’hui de cette magnifique’ conquête de nos aïeux « C’était une bien belle machine, massive, puissante, quelquefois dangereuse. Sa beauté un peu fanée est émouvante, parce que cette machine est la dernière de sa génération... de la dernière génération d’avant la cybernétique... »

Car nous vivons aujourd’hui la deuxième révolution mécanicienne, celle de la cybernétique, laquelle n’est rien de moins que l’usine sans ouvriers !

C’est que la cybernétique permet l’automation des usines, ce qui signifie qu’elles se gouvernent elles-mêmes grâce à des circuits réflexes. Au lieu d’obéir aux ordres qu’on leur donne, elles travaillent conformément au but qu’on leur assigne, ce que les Anglais appellent le « feed-back » autrement dit la machine dont les effets réagissent sur leur cause.

En réalité la cybernétique est née à la fin du XVllle siècle lorsque Watt découvrit le principe de la machine-à-vapeur « à double effet ». Rappelons que le régulateur Watt permet, comme son nom l’indique, de régulariser l’activité d’une machine-à-vapeur. On sait en effet que si la charge de celle-ci diminue, sa vitesse augmente. Grâce au dispositif de Watt la vapeur en excès agit sur un levier qui interrompt momentanément son arrivée, ou, au contraire, permet son retour. On obtient ainsi une vitesse constante. En définitive la machine est devenus son propre guide.

A mesure qu’on perfectionna cet auto-guidage, Ici machine devint cybernétique, en ce sens qu’au lieu de travailler selon un programme rigide qu’on lui impose, elle s’adapte à toutes les situations et se comporte ainsi comme un être vivant.

L’importance de cette deuxième révolution mécanicienne est considérable, car, grâce à la cybernétique, on construit désormais une chaîne de machines en liaison avec une machine-pilote, laquelle dirige l’activité des machines qui lui sont subordonnées : elle augmente ou diminue leur action selon le plan auquel la machine-pilote est elle-même assujettie. Le plan relève d’une science toute nouvelle, l’informatique ; elle nous dote d’ordinateurs de plus en plus puissants.

En résumé la cybernétique supprime les travailleurs qui surveillaient le fonctionnement d’une chaîne de machines : la cybernétique encadre la chaîne de façon que l’usine produit automatiquement ce qu’on lui demande.

Il est donc évident qu’un nombre grandissant de travailleurs seront nécessairement licenciés ; car beaucoup ne sont que le rouage de la machine qu’on inventera demain. Il devient même oiseux de chercher à ralentir ces licenciements puisqu’ils sont dans la logique des choses.

A cet égard une statistique nous renseigne elle intéresse l’Allemagne fédérale et remonte à 1965. Elle nous est fournie par « Welt der Arbeit » (Le Monde du Travail) et concerne la métallurgie : en six années (1960v1966) l’emploi a diminué d’un million d’unités. La production a-telle fléchi dans ce laps de temps ? Nullement, elle a augmenté de 24,5 %. Les travailleurs ont- ils travaillé davantage ? Au contraire, leur temps de travail a diminué de 114 heures dans l’année.

De 1958 à 1966, le nombre de travailleurs qui extraient du pétrole a diminué de 32 %. A l’inverse, la production a augmenté de 111 %.

Dans l’industrie du tabac, le nombre des travailleurs diminua de 47 % perdant que ’a production augmentait de 43 %.

Dans l’industrie de la céramique, la main d’oeuvre diminua de 12 % alors que la production augmentait de 28 %. Il en est à peu près de même tans tous les autres secteurs. Mais en revanche, observera-t-on, il s’est créé de nouvelles industries. C’est vrai ; elles résorbent des chômeurs que j’appellerai à compétence étendue, ce qui n’est malheureusement le cas que d’un petit nombre des travailleurs. De plus il arrive souvent qu’une industrie nouvelle supprime une industrie existante ou simplement ralentit son activité provoquant ainsi de nouveaux licenciements.

***

Revenons au plein-emploi Pourquoi le réclame- t-on avec tant d’insistance ? Pourquoi tous les partis politiques l’inscrivent-ils dans leur programme, même les partis d’extrême-gauche ? Ces derniers font d’ailleurs preuve de peu de suite dans les idées, car ne dénoncent-ils pas véhémentement l’exploitation de l’homme par l’homme ? Or le chômeur est un travailleur qu’on n’a plus intérêt à exploiter.

Réclame-t-on le plein-emploi dans l’intérêt bien entendu des travailleurs ? - Non, car il est difficile d’admettre que celui qui, huit heures par jour, fore les mêmes trous, serre les mêmes boulons, sur ces pièces que la chaîne fait défiler devant lui, a le temps d’exercer son intelligence, son habileté, sa volonté. Passer sa vie à la gagner n’a rien d’exaltant. Est-ce pour éviter que l’ouvrier s’ennuie ? Dans les abattoirs de Chicago, on citait le cas d’une vieille ouvrière qui avait passé Sa vie à donner le même coup de tampon sur le ventre des milliers de cochons sanguinolents qui avaient indéfiniment défilé devant son escabeau. Croit-on sérieusement qu’elle ne se soit jamais ennuyée ?

Réclame-t-on le plein-emploi pour se conformer à la loi sacrée du travail inscrite dans la Genèse tu mangeras ton pain à la sueur de ton front (ch.3 verset 17) ? - Non, car, quelques siècles plus tard, le chrétien récitant le Pater, prie Dieu de lui donner son pain quotidien. Jamais son travail quotidien...

Le plein-emploi équivaut au travail obligatoire lequel a toujours eu mauvaise presse : on condamnait l’esclave au travail, de même que l’ennemi vaincu. De nos jours, ce sont les criminels qu’on condamne aux « travaux forcés ».

Posons la question : si les consommateurs avaient les moyens d’acheter tout ce qu’on offre dans les magasins et sur les marchés, eut-on jamais réclamé le plein-emploi ? - Non, puisque les gens assez chanceux pour trouver une fortune dans leur berceau, sont dispensés de se mettre à la recherche d’un emploi. M. Marcellin ne se préoccupe jamais d’eux.

A la vérité, le plein-emploi n’a qu’une justification : comme le dit notre camarade Gonderlier, son but est de permettre la distribution d’un salaire, donc de créer les clients dont manque notre économie...

Ainsi s’expliquent les contradictions stupides dans lesquelles nous nous débattons.

Les perfectionnements apportés aux techniques de la production étant à l’origine des licenciements, et ces perfectionnements ne s’arrêtant jamais, voilà M. Raymond Marcellin transformé en une nouvelle Pénélope, laborieuse et vertueuse. Il est condamné à créer indéfiniment de nouveaux emplois de manière à fabriquer de nouveaux clients. Bon courage !

Mais sa tâche ne s’arrête pas là : Qu’il lise le beau livre de Pierre-M. de la Gorce, la France pauvre. L’auteur recense dans notre pays quelque 12 millions de pauvres gens dont beaucoup dans la misère. Que notre ministre du Plan crée un emploi pour chacun d’eux, et voilà les 12 millions de clients dont nos producteurs ont le plus grand besoin ! Remarquez encore qu’au lendemain des licenciements, magasins et marchés regorgent d’autant de marchandises que la veille. Et même de plus, les travailleurs licenciés étant remplacés par des machines. On a tellement produit que les producteurs réclament instamment l’assainissement des marchés. Ils exigent que ?’Etat achète les « excédents », c’est-à-dire tout ce qu’on n’a pu vendre faute de client !

Enfin on n’ose penser aux dimensions de la tuile que recevrait le crâne de M. Raymond Marcellin, si par malheur... je n’ose achever... la Paix s’instaurait dans le monde. Le ministre aurait à « reclasser » les millions de travailleurs qui fabriquent des armements toujours plus meurtriers... et aussi les militaires obligés de déserter les drapeaux. Mesurez-vous l’étendue de la catastrophe ? Mieux vaut n’y jamais penser...

En définitive, la pire des contradictions du plein-emploi est que nous substituons au travail de l’homme celui de la machine, en décrétant que seul le travail de l’homme lui donne droit aux produits. C’est qu’on ne s’est pas encore aperçu que la machine ne consomme pas ce qu’elle fabrique ! Ainsi on promet aux travailleurs qu’ils n’auront droit au bien-être que s’ils retroussent bien haut leurs manches, et dès que l’abondance apparaît on se hâte de l’escamoter. Cette manière de faire n’est pas seulement contradictoire, elle est encore teintée d’un soupçon d’hypocrisie.

***

Concluons que le travail qui assure les moyens d’existence n’est pas le sens profond de la vie, ni la raison d’être de l’homme, ni le but de son activité. C’est une nécessité qui, logiquement, doit absorber toujours moins de son temps et réclamer toujours moins de peine. Lorsque les licenciements s’opèrent en masse, c’est signe que les hommes ont remporté une grande victoire sur la nature : ils devraient pavoiser, sonner les cloches, illuminer au lieu d’avoir à courir se faire inscrire au chômage.

En définitive le plein-emploi fait penser à Sisyphe. On se souvient qu’en punition de ses iniquités, ce vilain monsieur fut plongé aux enfers, où il était condamné à pousser des pieds et des mains, au faîte d’une montagne, un gros rocher qui retombait aussitôt. Il devait recommencer indéfiniment cet ingrat travail. Sisyphe est le symbole du plein-emploi !

L’embauchage général étant la négation du progrès, c’est le plein-emploi des machines que nous devrions réaliser : qu’en pense M. Raymond Marcellin ? Il faudra bien qu’il s’y décide.

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Quelques réflexions à propos du chômage

par R. CURIE
avril 1968

« La machine crée plus d’emplois qu’elle n’en supprime. » Combien de fois avons-nous entendu cette affirmation, péremptoire et surprenante, énoncée comme un axiome ? Nous en étions parfois ébranlés, vaguement inquiets, cherchant la faille dans notre logique, l’erreur dans nos déductions habituelles.

Mais, désormais, les faits sont là, indiscutables et désolants. Le chômage s’installe et s’amplifie, parallèlement à l’emprise de la machine, devenue tellement perfectionnée et efficace...

On chiffre à 500.000, ou légèrement plus, le nombre des chômeurs officiellement reconnus. Chaque jour en voit apparaître quelques dizaines ou centaines de plus. Tous les secteurs d’activité sont touchés, y compris le bâtiment où il reste cependant tellement à faire... Parmi les victimes du chômage grandissant, on n’inscrit pas les épouses « sans profession », les enfants mineurs, écoliers, étudiants ou apprentis, les travailleurs intermittents, rétribués à l’heure ou à la journée, sans profession bien définie, toujours à la recherche de quelque bricolage, jardiniers ou peintres occasionnels, plus ou moins compétents, concurrents déloyaux des artisans et entreprises patentées.

Le recensement en cours de toute la population apportera sans doute quelques compléments d’informations, notamment en ce qui concerne les étudiants. Ce vocable, au sens de plus en plus étendu, s’applique maintenant, non plus seulement aux élèves des Facultés et Grandes Ecoles, mais à tous les jeunes fréquentant un quelconque établissement scolaire ou technique, tous nourris de projets et d’illusions, comme il est normal à cet âge, convaincus de leur valeur potentielle, et plus encore, de leur droit à la vie et à toutes les séductions qu’elle offre à leurs appétits juvéniles.

Une sourde rancoeur les habite ; ils ont bien le sentiment que la société actuelle est un échec, un amas d’injustices et de contradictions dont ils pensent, à tort ou à raison, être les principales victimes.

Pour un jeune, doué, bûcheur et bien dirigé, qui parvient à se faire une place au soleil, dix autres, moins doués, plus indolents, peu ou mal conseillés, végètent et ruminent leurs griefs qui éclatent un beau jour en manifestations bruyantes et stériles.

L’allocation d’études, qu’ils réclament depuis plusieurs années, apaiserait leurs courroux et leurs craintes. Pour nous Abondancistes, elle préfigure le Revenu Social accordé à tous. En contrepartie, elle exige des bénéficiaires qu’ils se plient à certaines disciplines, fournissent l’effort nécessaire pour accéder à un poste d’activité utile à la collectivité qui les prend en charge, adapté aussi à leurs vocations personnelles, révélées par les classes d’orientation. Et nous pensons, tout naturellement au Service Social qui figure aussi dans notre doctrine. Le misérable secours servi aux chômeurs totaux ou partiels s’apparente aussi au Revenu Social, dissocié du travail momentanément ou durablement interrompu. Il en est de même de l’allocation aux vieillards et aux infirmes, des allocations familiales, de celle de la mère au foyer, des récentes dispositions prises en faveur des agriculteurs âgés, etc.

Les paysans suffoquent d’indignation quand M. Mansholt propose d’abaisser le prix du lait pour en restreindre la production en même temps que celle du beurre ; c’est cependant une des lois habituelles de l’Economie de Marché ou de Profit. Par contre, ils accueilleraient bien volontiers une allocation compensatrice.

La proposition de M. Mansholt peut inspirer encore bien des réflexions d’un ordre différent car nous sommes de plus en plus obsédés par l’image de millions d’enfants mourant de faim en des pays à l’économie inorganisée.

Les statistiques relatives au chômage révèlent que les femmes privées de leur travail sont particulièrement nombreuses. La proportion des chômeurs y est plus importante que parmi les hommes ; elles perçoivent, comme eux, le secours de chômage.

De secours en allocations, on s’achemine rapidement vers le Revenu Social tendant à remplacer le Salariat. Ces secours et allocations sont dérisoires et ne permettent même pas de résorber toute la production déclarée excédentaire (produits laitiers, végétaux, textiles, etc). Il devient indispensable et urgent d’établir un lien entre cette production et les besoins qu’on en a. La planification s’impose ; elle est redoutée de ceux qui, dans le régime actuel, fondent encore leurs ressources sur le maintien de la rareté qui les enrichit. Mais, ils sont et deviendront de moins en moins nombreux. Touchés l’un après l’autre par la stagnation et la mévente, ruinés par l’abondance de la production et l’insuffisance des pouvoirs d’achat, déjà ils appellent la collectivité à leur secours en demandant des allocations compensatrices. Comment les leur refuser quand elles sont accordées à toutes les autres victimes du régime ?

Pour payer ces innombrables allocations, il faudra bien créer une monnaie de consommation basée sur la production actuelle et potentielle.

Et la machine, tournant actuellement au ralenti, retrouvera une allure accélérée pour alimenter la nouvelle et fructueuse Economie de Besoins, ou Economie Distributive de l’Abondance. Le chômage redouté fera place à une juste répartition des efforts encore nécessaires.

Nous nous rangeons parmi les optimistes.

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L’économie distributive et le commerce international

par J. D.
avril 1968

Des lecteurs demandent ce que devient le Commerce International en Economie distributive. La Grande Relève a souvent répondu à cette question, mais revenons-y une fois de plus.

C’est simple : sous sa forme actuelle, le Commerce International disparait. Cependant une nation ne produit-elle pas rarement tout ce dont elle a besoin ? Sans nul doute, mais elle se procurera ce qui lui manque au moyen du troc : marchandise contre marchandise. Notre Commerce international s’inspire encore du « mercantilisme », imaginé par Colbert (1619-1683), à l’époque où il établissait en France des douanes régulières. C’est pourquoi le « mercantilisme » est souvent appelé « Colbertisme » en hommage à son inventeur. Quelques mots sur son fonctionnement :

Il repose sur le principe que la monnaie, alors or et argent, est la vraie richesse d’un pays. En foi de quoi, le Commerce International doit lui en procurer. D’où la conséquence qu’une nation doit exporter plus de marchandises qu’elle n’en importe, parce que l’excédent des exportations sur l’importation lui sera payé en or ou en argent, ce qui augmentera la richesse de la nation. Ainsi, pour prendre un exemple, si la France exporte en Angleterre pour 3 milliards de marchandises et n’en importe que pour 2 milliards, l’Angleterre lui versera 1 milliard en or ou en argent. On dit alors que la balance commerciale de la France est favorable puisque la France s’est procurée 1 milliard d’or ou d’argent.

Si au contraire les exportations de la France ne couvrent qu’en partie ses importations, nos « experts » poussent des cris de paon.

Et cependant la nation n’étant qu’un agrégat de famille, qui oserait soutenir qu’une famille s’enrichit s’il sort de chez elle plus de marchandises qu’il n’en rentre ? Avec ce beau raisonnement, il faut souhaiter qu’il sorte de la France tout ce qu’elle a produit. Elle serait alors riche comme Crésus, mais les Français crèveraient de faim et de froid.

En réalité ce sont de ses importations qu’un pays ne peut se passer. Sans elles, la France serait privée de cuivre, de coton, de laine, de café, de thé, de citrons d’oranges, de bananes, de poivre, de cannelle etc. Que deviendraient la Suisse et l’Italie qui ne possèdent ni fer ni charbon ? N’avons nous pas souffert au cours des deux guerres mondiales, de la privation presque complète de la plupart de nos importations ? Et le blocus de l’Allemagne n’a-t-il pas largement contribué à sa défaite ? Or notre grand souci est aujourd’hui d’exporter le plus possible de nos produits, au point que l’Etat subventionne, avec l’argent des contribuables, la plupart des produits que nous réussissons à exporter, ce qui revient à fournir gracieusement aux étrangers jusqu’à 50 % de la somme qu’ils auront à dépenser s’ils daignent consommer nos produits.

Le bon de l’affaire, c’est que les « espèces » précieuses, or et argent, ne circulent plus dans aucune nation industrialisée !

Le Commerce International a réussi jusqu’ici à conserver la monnaie or pour les règlements de pays à pays, mais voici que l’or n’existe plus en quantité suffisante. Les Américains cherchent bien à lui substituer leur dollar, mais c’est montrer un peu trop le bout de l’oreille... Supposons l’Economie Distributive en vigueur dans les principales nations du monde. Comment s’effectueront les échanges de pays à pays ? Tout simplement par la voie du troc : marchandises contre marchandises.

Il est alors nécessaire que chacun des deux pays ait besoin d’une certaine quantité des produits de l’autre. Dans ce cas, chaque pays ouvrira à l’autre le crédit correspondant à la valeur des produits qu’il souhaite recevoir de l’autre. Si la France et l’Italie s’entendent pour troquer une certaine quantité de leurs marchandises réciproques, la France ouvrira un crédit en francs à l’Italie, et l’Italie ouvrira un crédit en lires à la France. Il ne suffira donc que ces deux pays se mettent d’accord sur le taux du change de leurs deux monnaies et le tour est joué.

Précisons que cette procédure n’est pas nouvelle. Elle a été employée avec le plus grand succès par le Docteur Schacht à la fin de la seconde guerre mondiale. C’est grâce à elle qu’il a pu reconstituer l’économie allemande avec un si beau succès que l’Allemagne de Bonn a pu reconstituer la plus puissante armée de l’Europe occidentale... alors que la France n’a encore signé avec elle qu’une simple convention d’armistice. Bien joué, n’est-il pas vrai ?

N’oublions pas que dans les contrats de troc que signa le Docteur Schacht avec toutes les nations dont il avait besoin des marchandises, la monnaie allemande prit une dizaine de valeurs différentes.

Est-il besoin d’ajouter que, pour pratiquer cette politique, une nation est obligée d’établir le contrôle des changes ?

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Aux confins de la démence et de la raison

par M. DIEUDONNÉ
avril 1968

Une photo : insérée dans la « Dépêche du Midi » du 27 février dernier montre trois pêcheurs du littoral à côté d’un tas de poissons frais qu’ils viennent d’arroser de mazout. Il n’y a pas de quoi être fiers d’un tel exploit, véritable acte de barbarie... Mais il faut bien lutter contre l’abondance du poisson qui fait effondrer les cours et supprime le profit, il faut bien organiser la rareté des biens de consommation, afin de faire remonter les cours et ressusciter le profit !...

Nous n’en finirions pas de citer de tels faits, dont certains ont été relaté dans la presse. En bref, les producteurs et le gouvernement s’efforcent d’organiser délibérément et systématiquement la rareté du beurre, du lait et du fromage ; du poisson, de la viande, des oeufs et des poulets ; des tomates, des choux-fleurs et des pommes de terre ; du blé, des abricots, des poires, etc... alors que tant de personnes sont sous-alimentées et que les deux-tiers de l’humanité sont littéralement affamés !...

Avec l’organisation de la rareté des biens de consommation, nous sommes aux confins de la démence et de la raison démence relativement aux hommes qui sont les victimes du malthusianisme économique, raison relativement au profit, car il faut bien recréer la rareté pour procurer un profit aux pêcheurs et à tous les hommes. Le profit a forcément la priorité sur l’homme !...

On ne peut donc pas reprocher à quelqu’un de recréer la rareté de. biens de consommation, puisqu’il n’est pas possible d’agir autrement si l’on veut sauvegarder le profit indispensable à chacun pour vivre dans notre économie présente.

Mais ce que l’on pourrait reprocher à tous, aussi bien aux organisateurs, aux dirigeants, aux dirigés, aux politiciens. de « droite’ » et de « gauche », c’est d’accepter passivement le sauvetage du profit par de scandaleuses et imbéciles mesures de malthusianisme économique - au lieu d’envisager et d’exiger le remplacement du profit par un revenu social grâce auquel la production, même poussée au maximum, pourrait être répartie entre tous.

Ce n’est pas tout. A l’heure où les syndicats de salariés de « gauche » et les hommes d’Etat de « droite » sont d’accord pour déclarer en toute occasion qu’il faut créer des emplois nouveaux, bien des jeunes gens, des régions de l’Est en particulier, se précipitent vers les emplois encore disponibles dans la marine nationale ou dans l’armée.

A défaut de travail utile ; il faut bien. faire n’importe quel travail inutile pour subsister : A défaut d’un profit obtenu sous forme de salaire ; il faut bien s’en procurer un sous forme de solde, de nourriture prise dans un réfectoire, de logements dans une caserne, de vêtements uniformes. Fabriquer des armements ou apprendre à s’en servir sont devenus un bienfait économique, puisque ces activités fournissent 100 millions d’emplois dans le monde ! ...

Avec le travail inutile imposé aux hommes à défaut de travail utile, nous sommes à nouveau aux confins de la démence et de la raison : démence par rapport aux hommes qui mènent une activité inutile au lieu de disposer de plus de loisirs, raison par rapport au profit qui est maintenu en vie grâce au travail inutile.

On ne peut pas reprocher à des salariés pacifistes de fabriquer des armements pour obtenir un salaire, sans lequel ils ne pourraient plus subsister. On ne peut pas reprocher à quelqu’un de se livrer à une activité inutile pour vivre. Mais ce que l’on pourrait reprocher à tous, c’est de se laisser enfermer passivement dans l’obligation de préparer la guerre, ou d’exercer une activité inutile, au lieu de préparer et de revendiquer la distribution d’un revenu social qui les libérerait de cette obligation. S’ils disposaient d’un revenu social, les hommes pourraient répartir entre eux le travail vraiment utile, sans avoir recours au travail inutile, nuisible, parasitaire, pléthorique ou immoral, comme c’est actuellement le cas pour plus de la moitié de nos compatriotes actifs.

Bref, un revenu social distribué à tous les individus leur permettrait de se partager : et la production de plus en plus abondante, et le travail utile de plus en plus remplacé par le travail automatique. Bien-être et liberté, voilà ce que nous offrent le progrès technique, l’abondance et l’automatisme... mais à condition de laisser mourir le profit et de le remplacer par un revenu social - au lieu de le ressusciter par l’organisation de la rareté et le travail inutile.

Etant donné le nombre effarant de personnes qui mènent une activité inutile dont le seul but est de leur procurer un profit ; étant donné les possibilités immenses d’abondance et de liberté offertes aux hommes par la technique - le revenu social distribué à tous les individus en remplacement des profits serait actuellement supérieur à 200.000 anciens francs et le service social aurait une durée inférieure à 10 ans...

- C’est trop merveilleux pour être vrai !...

- Ce qui est merveilleux, ce sont les esclaves mécaniques de plus en plus nombreux qui sont à la disposition des hommes pour leur procurer toujours plus de liberté et de bien-être... Voilà le fait économique le plus important de notre siècle, et peut-être de tous les siècles passés et futurs. Mais si MM. Sauvy, Fourastié, Rueff, Pisani, Jeanneney, Debré, Drancourt, Sédillot et autres diplomés ès sciences économiques, gardent un silence quasi absolu sur le plus grand fait économique de tous les temps, c’est parce qu’il débouche sur le remplacement : et du profit par un revenu social, et de l’économie du profit par une économie distributive. Ces « experts » économiques ne veulent pas entendre parler de cette économie nouvelle, dans laquelle leur science périmée serait définitivement classée aux archives de l’histoire... Pour un individu sain d’esprit, l’important, c’est l’homme, et non le profit. Pour les économistes distingués, c’est le profit qu’ils sauvent de l’effondrement par des mesures inhumaines qui sacrifient les, hommes et les vouent à la misère ou à la pauvreté dans l’abondance jugulée, aux travaux inutiles, aux conflits sociaux et internationaux.

En accordant encore quelques crédits à ces ennemis de l’homme ; en luttant contre l’abondance ; en arrosant les poissons frais, avec du mazout ; en recréant la rareté ; en nous laissant condamner aux travaux inutiles ; en réclamant à cor et à cri des emplois nouveaux ; en refusant de mettre à profit les merveilleuses possibilités de bien-être et de liberté offertes par la technique moderne - nous nous conduisons comme de véritables crétins, nous nous laissons égarer par des bavards prétentieux et insolents, qui sont d’autant plus dangereux et malfaisants qu’ils sont plus hauts placés dans la hiérarchie des fausses valeurs sociales, d’où ils conduisent le monde à sa perte...

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Vers le revenu social

par G. ALBERT
avril 1968

Je me suis toujours glorifié, et cela jusque dans les colonnes de la Grande Relève, d’être considéré par l’opinion publique comme un utopiste, c’est-àdire, tout au moins dans ma pensée, comme un homme convaincu d’avoir raison quelques dizaines d’années avant ses contemporains toutes les fois qu’il leur demande d’abolir un régime économique qui a fait son temps, un régime à l’agonie que, bon gré mal gré, il nous faudra, tôt ou tard, remplacer par cette Economie Distributive autour de laquelle on s’obstine à, faire le silence. Or, dût-on m’accuser d’orgueil, ce n’est pas ce qui se passe sous nos yeux qui me fera changer d’avis sur la nécessité d’instaurer au plus vite un « Revenu Social » dont producteurs et consommateurs ont de plus en plus besoin, les uns pour écouler leur production sans cesse excédentaire faute d’acheteurs solvables et les autres pour ne plus connaître, faute d’emploi et de pouvoir d’achat, que la misère au sein d’une abondance qu’ils ont contribué, par leurs découvertes et par leur travail à faire régner dans le monde.

Je viens en effet de recevoir le dernier bulletin de la FE.NA.DUC. (Fédération nationale de défense des usagers et consommateurs - Réclame non payée), bulletin où je retrouve, à ma grande surprise, agréable d’ailleurs, quelques lignes de moi-même, jadis publiées par la Grande Relève, mais où je découvre également ce qui suit, extrait d’un article paru dans « France Observateur » et préconisant, ce qui ne manquera pas d’étonner nos lecteurs, le recours immédiat à un « revenu annuel garanti par la loi ! ! ». L’auteur a d’ailleurs totalement oublié de nous dire en quoi ce revenu annuel, garanti par la loi, pouvait bien différer de ce revenu social dont, trente ans avant lui, nous nous sommes faits les ’défenseurs. Inutile d’ajouter que, dans cet article, on ne fait aucune allusion à l’oeuvre de Jacques Duboin, oeuvre autour de laquelle il convient plus que jamais de faire le silence, cet économiste aux théories révolutionnaires ayant eu l’inconvenance d’avoir un peu trop tôt raison contre nos économistes officiels, défenseurs d’un capitalisme aux abois, qui le considèrent, lui aussi, comme un pauvre utopiste.

Je veux espérer que la FE.NA.DUC. m’excusera de reproduire après elle, cet intéressant article de « France Observateur » qui, pour la première fois dans la grande presse, milite en faveur de toutes les théories économiques qui nous sont chères. Le voici dans son intégralité, car n’importe lequel d’entre nous aurait pu le signer sans en changer un mot.

« Un autre phénomène nouveau est l’accueil reçu par un pamphlet diffusé, il y a quelques mois, par trente cinq écrivains, économistes, universitaires, parmi lesquels le sociologue Gunnar MYRDAL, le physicien Linus PAULING, deux fois prix NOBEL ; le directeur de « Scientific American », Gerard PIEL ; Michael HARRINGTON, auteur de « l’Autre Amérique », etc, etc.

Ce pamphlet sur « La triple Révolution » (l’automation, la revendication d’égalité, l’impossibilité d’envisager raisonnablement la guerre), conclut carrément : Notre système de production n’est plus viable... Jusqu’ici les richesses ont été attribuées aux hommes en rémunération de leur effort productif. Mais l’automation permet d’assurer une production virtuellement illimitée avec le concours d’une très faible quantité de travail humain.

Continuer de lier le droit à un revenu à l’accomplissement d’un travail productif, c’est condamner une portion croissante de la population à la pauvreté, souvent à la misère au moment même ou le potentiel disponible permettrait de satisfaire tous les besoins.

Le principal problème économique n’est plus de produire davantage mais de distribuer les produits. Notre optique et nos institutions devront être fondamentalement modifiés. La société n’a plus besoin d’astreindre l’individu à des besognes répétitives et absurdes. Elle doit garantir à chaque individu et à chaque famille, par des actes constitutionnels, le droit à un revenu convenable.

C’est là le seul moyen d’intégrer à la société de l’abondance ce quart de la nation qui se trouve démuni faute d’emploi... Ce ne sera que le premier pas vers le grand bouleversement de notre système des valeurs que l’automation rend nécessaire.

Personne, aux ETATS-UNIS, n’a osé lancer l’accusation de Marxisme ou de communisme contre les signataires de ce pamphlet, contre leur critique des valeurs capitalistes, leur esquisse d’une économie planifiée et d’une civilisation du temps libre permettant à un grand nombre d’individus dont le travail n’est plus nécessaire dans la production marchande de s’adonner à des activités créatrices considérées jusqu’ici comme dénuées de valeur économique.

En revanche, la proposition d’un revenu annuel garanti à tout citoyen par la loi a été reprise par Martin Luther KING en faveur du sous-prolétariat noir et discuté avec sérieux (quoique souvent avec réprobation) dans la grande presse.

En plein milieu d’un boom « sans précédent en temps de paix », comme dit Mr. JOHNSON, une partie de l’Amérique se trouve ainsi faire du Karl MARX sans oser le dire - ou sans le savoir cependant que son gouvernement fait du KEYNES sans l’avouer - et sans en faire trop. »

Soulignons au passage que le sous-prolétariat blanc a tout aussi besoin d’un revenu garanti par la loi que le sous-prolétariat noir, mais n’insistons pas. L’essentiel, c’est que ce pamphlet ait été produit et discuté sérieusement en Amérique où sa diffusion ne risque guère de rencontrer le silence.

J’avoue qu’à la lecture de cet article je me suis trouvé partagé entre des sentiments contraires et que je continue de m’interroger sur mon propre état- d’âme. Suis-je encore ou ne suis-je plus un utopiste, c’est-à-dire, s’il faut en croire le Larousse que je viens enfin de consulter, un homme « dont les conceptions et les projets imaginaires sont d’une réalisation impossible ? »

Quoi qu’il en soit, je suis convaincu qu’à la Grande Relève nous allons tous être fiers, mes camarades et moi-même, de ne plus nous sentir seuls et de nous retrouver en compagnie de ces trente cinq nouveaux utopistes, de ces trente cinq écrivains, économistes, universitaires, sociologues, physiciens, directeurs de revues scientifiques et prix NOBEL affirmant comme nous-mêmes qu’en bouleversant les conditions de l’emploi l’automation a bouleversé notre régime économique et qu’il n’est déjà plus « viable ».

Mais qu’est-ce qui va bien se passer dans le monde si ce revenu social, qualifié d’utopie par tous les SAUVY et tous les FOURASTIE de la terre, s’avérait enfin réalisable, comme osent le proclamer ces trente cinq écrivains et savants dont certains ont une réputation mondiale et au rang desquels j’aimerais volontiers pouvoir me compter ? Il sera tout de même assez difficile de les accuser en bloc de Marxisme et de communisme parce qu’ils réclament l’abolition d’une injustice sociale et le droit, pour toutes les classes de la société, de jouir au même titre et sans, distinction, d’une abondance qu’elles ont contribué, les unes comme les autres, celles des exploités comme celles des exploiteurs, à faire régner dans le monde.

L’heure est sans doute beaucoup plus proche que nous ne l’avons longtemps cru où, seul, ce revenu social nous permettra d’absorber une production excédentaire qui n’est plus capable, et ne l’a d’ailleurs jamais été, de dégager, comme on l’enseigne encore à nos fils, le pouvoir d’achat nécessaire à son absorption.

C’est qu’il va être en effet bien difficile d’interdire à ces utopistes dont le courage est égal à leur renommée, de poursuivre leur effort et de leur refuser, comme cela fut fait pour nous, l’usage de la radio et celui de la télé. La grande presse elle-même, si longtemps silencieuse, se fera bientôt un devoir d’imiter « France Observateur » et de leur ouvrir ses colonnes. Qui sait ? Peut-être même les ouvrira-telle à celui dont elle a si longtemps ignoré les efforts poursuivis sans relâche pour ouvrir les yeux de ses contemporains.

L’ECONOMIE DISTRIBUTIVE n’est déjà plus l’impossible rêve d’un utopiste puisque, dans un pays qui évolue plus rapidement que notre vieille EUROPE, on en discute « avec sérieux » l’adoption.

Tôt ou tard elle s’imposera à toutes les nations. Et, s’il est possible que notre génération n’en voit pas le triomphe, car les idées les plus généreuses ne progressent qu’avec lenteur, du moins, au « Mouvement Français de l’Abondance » aurons-nous eu la joie, avant de disparaître, de savoir que nous avions légué aux générations à venir le plus bel héritage qu’il nous était donné de pouvoir leur transmettre, celui d’un avenir meilleur devenu enfin réalisable, un avenir de justice sociale et, par suite, de PAIX.

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Au fil des jours

avril 1968

L’assassinat du pasteur Martin-Luther King portera-t-il le coup fatal à la discrimination raciale ? Espérons-le, car c’est la honte des hommes de peau blanche.

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Apprenant que les Vietnamiens saisissaient la perche que le Président Johnson leur tendait enfin, nos éminents « commentateurs » se déclarèrent stupéfaits. On est pourtant bien sûr qu’aucun de ces messieurs n’eût supporté trois années de bombardements. C’est dans l’attente du geste des EtatsUnis qu’un peuple accepta de vivre si longtemps en enfer.

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La ruée sur l’or s’est calmée : elle fut accompagnée d’une nuée de sottises. Tant que nous vivrons en économie capitaliste, le commerce international exigera une monnaie-marchandise, c’està-dire de valeur intrinsèque. Jamais un vendeur n’acceptera de livrer ses marchandises à l’étranger s’il doit être payé en monnaie-papier dont la valeur dépend de l’Etat qui l’émet. Ce sont les incontestables qualités de l’or qui font de lui la meilleure des monnaies capitalistes. S’il existe une crise de l’or, c’est que l’extraction de ce métal diminue, tandis que l’industrie et la thésaurisation en absorbent davantage. La décision des puissances représentées à Washington était excellente. Du moment que les Etats-Unis mettent en fait l’embargo ; sur l’or, la création d’un marché libre s’imposait. Si le prix de l’or y hausse comme c’est probable, les pays producteurs (Afrique du Sud, U.R.S.S., Australie) en extrairont davantage et tout s’arrange. Enfin si cela ne s’arrange pas, restent les accords de troc qui réussirent si bien au Dr. Schacht à la fin de la première guerre mondiale.

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Est-il trop tard pour reparler des jeux olympiques de Grenoble ? Si non il semble que notre presse escamota un peu les résultats définitifs. Les voici :

La nation qui gagna la première place fut incontestablement la Norvège, avec six médailles d’or, six d’argent, 2 de bronze. La seconde place revient à l’U.R.S.S. avec 5 médailles d’or, 5 d’argent et 3 de bronze.

Les Etats-Unis sont loin derrière avec 1 médaille d’or, 5 d’argent, et 1 de bronze.

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Un ex-préfet, M. Picard, vient d’être arrêté, et l’on se demande pourquoi ? - Mystère - On chuchote qu’il aurait porté atteinte à la sûreté de l’Etat - Il aurait trahi son pays ? - Voilà qui nous rajeunit en nous rappelant l’affaire Dreyfus. Elle débuta de même, dans le plus complet mystère.

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Il existe peut-être un problème plus urgent à régler : c’est celui des jeunes. L’opinion n’est pas encore alertée sur sa gravité. Et pourtant on ne cache pas que les jeunes s’agitent partout : aux Etats-Unis, en Angleterre, en Amérique du Sud, en Espagne, en Italie... même en France !

On découvre qu’il n’y a pas de débouchés pour un très grand nombre d’entre eux. Alors seront-il sacrifiés ?

Quel curieux système économique que le nôtre, où l’on sacrifie à la fois les vieillards et les jeunes ! C’est mieux encore que le catoblépas...

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M. le Professeur Duverger a le privilège de pérorer à la télévision. On sait maintenant pourquoi ; discutaillant de la politique et de la motion de censure que l’opposition se propose de déposer à l’Assemblée Nationale, il s’est écrié mais c’est du chantage !

L’aimable professeur devrait purement et simplement réclamer la suppression du parlement, résidu de cette révolution de 89 de si triste mémoire. Il est inadmissible que les Français .éprouvent le besoin de ne payer que les impôts décidés. par leurs représentants. Au XXe siècle, c’est une prétention inimaginable !

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Les producteurs de pommes de terre du Nord et du Pas-de-Calais protestent énergiquement, car les pommes de terre arrivant de Belgique sont si abondantes que les prix baissent...

En cette occasion le Sénateur Deguise a émis une profonde pensée : Il est inadmissible qu’une année de surproduction soit une catastrophe pour les agriculteurs.

Bravo ! Mais alors, Monsieur le Sénateur, il faut enterrer le régime capitaliste où l’abondance porte le nom fâcheux de surproduction - Non ? Alors il faut avouer que vous ne savez pas très bien au juste ce que vous voulez.

Au Rotary-Club de Lille, on s’est préoccupé de la politique agricole européenne. Beaucoup plus avisé que le Sénateur Deguise, M. Deleau, Président de l’Association des producteurs de blé, n’y va pas par quatre chemins : il ne faut pas stimuler une production pour laquelle il n’existe pas de débouchés ! Il oublia d’ajouter : solvables, car, à ses yeux, les débouchés insolvables n’existent pas. M. Deleau feint d’ignorer que la France compte 12 millions de pauvres gens, dont beaucoup sont dans la misère. Du moment qu’ils n’ont pas d’argent, M. Deleau est persuadé qu’ils habitent la lune.

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Pour sacrifier au dogme désuet de la balance créditrice des paiements, le gouvernement travailliste condamne les Anglais à l’austérité. Une austérité dont les moines ont pourtant réussi à s’affranchir ! Le nouveau budget voté par les Communies est draconien. Les économistes classiques applaudissent ; la livre apparait plus solide...

Cependant le premier ministre Harold Wilson peut être fier de son palmarès de défaites : En 1960 il prend de sévères mesures économiques pour mâter la rébellion de la Rhodésie : elles doivent l’amener à composition. Aujourd’hui l’économie rhodésienne ne se porte pas trop mal bien que sa rébellion continue.

Lors des dernières élections, Harold Wilson blâma vertement ses adversaires de borgner du côté du marché commun. Maintenant il pose inutilement sa candidature à ce fameux marché commun qui doit absorber les excédents industriels du Royaume-Uni.

L’année dernière il insistait aux Communes sur la nécessité de maintenir des forces britanniques en Extrême- Orient.

Brusquement quelques mois plus tard, il les rappelle...

Enfin il jura qu’il ne dévaluerait jamais la livre sterling...

Quoi qu’il arrive, Harold Wilson jouit d’un heureux caractère : il chante toujours victoire !

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En ce qui concerne son désaccord avec la Rhodésie, il convient de reconnaître qu’il peut reprocher à la France d’armer et même de surarmer la Rhodésie : chars blindés, Mirages III, hélicoptères etc... Il y en aurait pour une centaine de millions de dollars... Les Anglais nous reprochent cette politique belliqueuse.

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Pourquoi notre grande presse passet-elle sous silence que le Sénat américain est sérieusement braqué contre la France à l’occasion de la ruée sur l’or ? Il est évident que la France a fait bande à part à Stockholm : ce qui risque de compliquer les choses.

Alors quelques Sénateurs mijotent une réplique fort désobligeante : la France serait mise en demeure de rembourser les 7 millions de dollars qu’elle doit aux Etats-Unis depuis la fin de la première guerre mondiale. Avant d’avoir apuré cette dette, Fort Knox ne lui livrerait pas d’or... si la France en réclamait !

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On se souvient peut-être que les Coréens du Nord s’emparèrent du « Pueblo », navire de guerre américain. Ils lui reprochèrent de faire de l’espionnage dans leurs eaux territoriales. Tout l’équipage fut interné et n’a pas encore été libéré.

En d’autre temps, c’eut été un casus belli.

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