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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 646 - février 1968

 

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N° 646 - février 1968

Bilan de nos efforts communs - 2ème partie   (Afficher article seul)

Au banc des accusés    (Afficher article seul)

Ca bouge.   (Afficher article seul)

De la guerre à la paix   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

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Résumé du chapitre I : la première guerre mondiale (14-18) ruina la France dont dix de ses plus riches départements furent dévastés. Nos « experts » expliquèrent qu’un siècle serait nécessaire pour reconstruire nos régions libérées. Or, 10 années suffirent à tout remettre en état et déjà la grande crise mondiale des années 30 éclatait. Les « experts » prétendirent qu’il ne s’agissait que d’une surproduction « généralisée » (sic). Les gouvernements des IIIe, IVe et Ve Républiques « assainissent » depuis lors les marchés pour en retirer les « excédents » invendables. Une campagne de presse favorisa la création du M.F.A. qui dénonce inlassablement l’abominable combat livré à l’Abondance, alors que, même dans notre pays, la misère est loin d’être vaincue.

Bilan de nos efforts communs - 2ème partie

par J. DUBOIN
février 1968

Quelques mots maintenant sur l’attitude des économistes à l’égard de la campagne du M.F.A. Il ne s’agit évidemment pas des professeurs Antonelli et Mossé, pour n’en citer que deux, car ils se sont toujours libérés des doctrines du passé, mais de ceux qui se prétendent modestement « dépositaires de la science économique », ou encore « économistes officiels », leurs avis étant toujours respectueusement suivis par tous les gouvernements de droite, du centre ou de gauche. Nous nous attendions à leur hostilité, notre grand ami Albert Bayet nous ayant prévenus : Quoi ! vous avez la prétention de les prier de refaire leurs cours ? Mais c’est impossible, ils sont ronéotypés, souvent même édités aux frais de l’Etat !

Il est tout de même amusant de noter quelques unes de leurs réactions qui furent assez variées.

Pour l’éminent professeur Raymond Aron, oracle du « Figaro », l’abondance est une sottise. C’est clair ; dommage que ses livres et. articles le soient beaucoup moins.

L’illustre François Perroux, du Collège de France, me prend à partie : « C’est un ignare ne connaissant même pas les rudiments de la science économique ». Dans son livre L’Economie du XXe siècle, (page 528), il résume sa doctrine dans un admirable raccourci : « Aucun mécanisme économique, ni aucun mécanisme social lisible dans le présent n’engendre l’économie de demain ou du surlendemain. »

C’est nier l’évolution : l’esclavage ne s’est pas transformé en servage, le servage en salariat. C’est à se demander si François Perroux ne serait pas aussi ignare que moi !

M. Bernard-Lavergne, professeur honoraire de la Faculté de Droit de Paris, a une opinion originale sur les crises économiques. Elles n’ont rien à voir avec la surproduction ni avec la sous-consommation. En effet, on lit dans son livre « La crise et ses remèdes (pages 42 et 60) : « Les crises économiques ont des causes psychologiques... Les crises sont en un sens des phénomènes naturels comme la pluie et le beau temps... Elles tiennent à la débilité de la nature humaine... La psychologie humaine, mère de tous les crises, ne changera pas. » Comme c’est curieux ! De même qu’il fait beau temps ou qu’il pleut, les producteurs vendent ou ne vendent pas, les clients achètent ou n’achètent pas.

L’économiste classique, Paul Leroy-Beaulieu prévoyait au contraire l’avenir. On lit dans son livre « Essai sur la répartition des richesses » (page 552) : « Le travailleur manuel va devenir le favori de la civilisation. » Hum !

Une dernière citation : celle de l’éminent Murat, professeur d’économie politique à la Faculté de Droit de Lyon. Dans son livre « Renaître », il consacre tout un chapitre aux « Doctrines de l’Abondance ». On lit, page .105 : « A-t-on remarqué combien de doctrines nouvelles se nourrissent de paradoxes ? Quel substantiel aliment que celui de la misère résultant de l’Abondance ! Et voilà nos publicistes - je n’ose pas dire nos économistes, le terme sans doute ne leur plaira pas, lancés au grand galop avec une monture qui boit l’obstacle ! Rappellerai-je leurs succès ? Si les économistes officiels (sic) ne leur témoignaient pas beaucoup d’estime, le bon peuple de France, et surtout peut-être de Paris, en était emballé. Ces « théoriciens » siégeaient au Parlement, de grands journaux accueillaient avec empressement leurs articles, les éditeurs se disputaient la faveur de leurs ouvrages, leurs conférences étaient applaudies par un public nombreux. C’est ainsi que je fus un jour pris à partie dans un des derniers tramways parisiens (que l’on me pardonne l’anecdote, elle est courte mais vraie) par une dame qui n’avait rien d’un suffragette et qui prétendait me convertir à l’abondance !

Telle est la force de pareilles « doctrines ». Elles font des prosélytes et rebutent les docteurs (sic). Elles empruntent à la science ce qu’il faut pour plaire et lui laissent tout ce qui n’enflamme pas l’imagination, tout ce qui n’est pas simple et frappant, tout ce qui n’est pas d’une évidence apparente, tout ce qui exige un trop gros effort : la Science du Musée de la Découverte !

Suivent une vingtaine de pages de cet économiste qui se qualifie lui-même d’ « officiel », et voici sa conclusion :

« Le règne de l’abondance est, dans l’absolu du terme, incompatible avec la nature humaine. Une humanité fainéante et satisfaite est impensable ! Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front est une malédiction divine. »

Qui ne s’écroulerait sous un argument aussi écrasant ?

Plus positif, l’honorable M. Pisani, au cours du Congrès Agricole d’Angers, prévient charitablement les agriculteurs accourus pour l’entendre « Si vous attendez que la crise arrive, que l’abondance provoque l’effondrement des cours, c’est que vous n’êtes pas conscients des vrais problèmes. »

Et dans une autre circonstance, il s’écriait : « Il faut savoir maîtriser l’Abondance ! » A la bonne heure, c’est franc ! Cet homme n’a pas peur des mots...

L’hostilité des économistes « officiels » se manifesta par quelques petites mesquineries. Le M.F.A. n’eut plus le droit de louer le grand amphithéatre de la Sorbonne qu’il remplissait trop facilement. Pas plus que la belle salle de conférences de la rue Pierre-ler-de-Serbie, lorsque le Patronat Français en reprit possession. L’entrée de la Cité Universitaire demeure encore interdite à « La Grande Relève ». Même offerte gracieusement, l’Institut du Pétrole la refuse. Elle risquerait d’y mettre-le feu ! Des librairies du quartier latin furent menacés de boycottage s’ils continuaient à mettre en vitrine des livres traitant de l’Abondance, etc.

Mais, infiniment plus grave : depuis l’avènement des IVe et V’ Républiques, les « abondancistes » n’ont plus accès à la radio, ni à la télévision. L’aimable Edgar Faure, alors président du Conseil avait bien répondu à l’« Officiel » (21 nov. 1955) que « des instructions ont été données afin qu’une fois par an un représentant du M.F.A. soit invité à participer à l’émission de la Tribune de Paris et soit mis en mesure ; de faire connaître sa doctrine aux auditeurs. » Le président du Conseil ne fut même pas obéi. Peut-être estimait-on que 5 minutes par an était beaucoup trop pour exposer la plus grande « mutation » de tous les temps...

***

Revenons à la crise mondiale des années 30. Quand se termina-t-elle ? Jamais ! répond le célèbre économiste américain John Kenneth Galbraith : elle s’est contentée de disparaître dans la grande mobilisation de la seconde guerre mondiale... Plusieurs millions d’individus qui désespéraient de jamais trouver un emploi, trouvèrent enfin une situation. (Le capitalisme américain, page 87 de la traduction française).

Ce que confirma le général Eisenhower dans son discours du 30 octobre 1952 à Pretoria « C’est la guerre qui a mis fin au chômage : c’est la guerre qui a permis de maintenir un degré élevé d’activité économique (sic).

Or, ces déclarations sont incomplètes. La crise mondiale des années 30 a fait beaucoup mieux elle déchaîna la seconde guerre mondiale !

J’ai rappelé (chapitre I) la déclaration désabusée du bourgmestre de Hambourg à ’’économiste italien G. Ferrero au sujet de la faim et du froid dont allaient souffrir ses chômeurs à l’entrée de l’hiver : « Je ne puis hélas rien faire pour eux ! »

Mais quelqu’un les prit en charge : Adolf Hitler ! Il en fit des soldats avec lesquels il envahit la Pologne, puis la Hollande, la Belgique et la France. Après avoir bombardé l’Angleterre pendant deux années, il se précipita sur l’U.R.S.S où l’attendait la défaite. Cette seconde guerre mondiale, battant le record de la première, dura un peu plus de 5 années et s’étendit en Afrique.

Sans doute, remarque finement l’idiot du village, mais la crise mondiale des années 30 n’a pas encore reparu. C’est vrai, mais réfléchissons :

La seconde guerre mondiale accumula beaucoup plus de ruines que la première,. et comme la première aussi, épargna les Etats-Unis, aucun obus n’ayant chu sur leur territoire. Mais toutes ces ruines n’ont elles pas été relevée en un petit nombre d’années ?

Cependant pour remettre en marche l’économie de tous les belligérants, ne fallait-il pas réaliser le plein emploi ? N’oublions jamais qu’il est la pièce maîtresse de notre système économique. Certes on se doutait bien que ce serait un peu plus difficile, la seconde guerre mondiale, comme la première encore, ayant fait accomplir à la production des progrès gigantesques.

En définitive, le problème était de découvrir une activité économique réalisant deux conditions :

1°) elle distribuerait une masse de salaires et de très gros profits ;

2°) elle n’apporterait rien à vendre sur les marchés puisqu’ils sont constamment sursaturés.

Or, ce problème n’était pas nouveau, car nous l’avions déjà très élégamment résolu. Sa solution consistait à fabriquer des armements toujours plus perfectionnés, toujours plus meurtriers : créant des emplois, ils distribuent salaires et profits, et, jusqu’à nouvel ordre, on ne vend pas aux enchères un sous-marin atomique, ni une bombe nucléaire. En bref il suffisait de préparer la troisième guerre mondiale !

Et voilà pourquoi, les armements devinrent l’industrie la plus prospère dans toutes les nations dites civilisées !

Ils sont le moyen patriotique de relancer l’économie. Aucun parlement ne lésinera jamais sur l’importance des crédits à consentir au gouvernement dès qu’il s’agit de défendre le sol sacré de la patrie contre quelque ennemi « héréditaire » que ce soit. C’est le principe de la défense tous azimuts. Et l’on sait si les armements se démodent facilement, s’ils sont vite surclassés ! Enfin, les armements favorisent un très grand nombre d’électeurs... n’est-ce pas magnifique ?

Les commandes d’armements sont en effet une véritable manne : elle tombe généreusement-dans presque tous les secteurs : bâtiment, génie civil, métallurgie, industrie mécanique, tôlerie, emboutissage, aéronautique, automobile, aviation, cuirs, textiles etc. etc. Et n’oublions pas l’énergie électronique puisqu’elle permet de fabriquer des bombes atomiques... Combien de milliards permettent- elles de dépenser ? On n’a jamais pu le savoir.

A cet égard, le lecteur désire-t-il connaître l’ordre de grandeur des sommes que les nations hautement industrialisées affectent chaque année à leurs armements ? Rien de plus simple, les statistiques américaines étant à la disposition du public. Nous savons ainsi qu’en 1962, le total des sommes consacrées à la guerre et à sa préparation atteignait le chiffre de 120 milliards de dollars. On fit mieux l’année suivante, car le total s’éleva à 140 milliards de dollars.

Pour l’année en cours, un nouvel accroissement ,est prévu : le total des dépenses d’armement sera d’environ 168 milliards de dollars, dont 72 milliards pour les Etats-Unis seuls, ce oui représente un peu plus de la moitié de leur budget fédéral. Ainsi quand un citoyen américain verse 2 dollars a l’Etat, 1 dollar est destiné à massacrer, le cas échéant, quelques contemporains. Ce qui n’empêche nullement les Américains d’être le peuple le plus pacifique de l’univers.

Les nations les plus évoluées consacrent donc chaque année 168 milliards de dollars à préparer la troisième guerre mondiale. Ce chiffre astronomique étant peu suggestif, ramenons le à une échelle plus accessible au contribuable moyen. A la dépense annuelle en dollars, substituons la dépense horaire en monnaie française. Nous dirons alors que chaque heure : du four et de la nuit (dimanches et fêtes compris) les peuples les plus industrialisés du monde dépensent !milliards (anc. francs) pour le massacre éventuel des hommes, des femmes et des enfants ; soit 168 milliards par jour !...

Si pareil effort était accompli pour faire la guerre à la misère, n’aurait-elle pas depuis longtemps disparu ?

***

Reste à examiner si la campagne du M.F.A. a quand même porté quelques fruits ?

(à suivre)

P.S. Dans le chapitre précédent j’ai fait allusion à notre brillante section de Saint-Nazaire. On me rappelle que son succès est dû à notre camarade E. Pilard qui n’habite plus la ville. Je sais qu’il habite Saint-Gratien près de Paris où il a déjà fondé une section, qui organise ce mois-ci une grande réunion contradictoire. Notre ami Pilard est un des plus solides piliers du M.F.A.

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Au banc des accusés

(suite)
par M. DIEUDONNÉ
février 1968

L’économie devrait être au service des hommes, et non les hommes sacrifiés à l’économie, comme c’est le cas dans notre économie du profit, où le progrès technique, l’abondance et l’automatisme imposent aux hommes l’austérité, le chômage et la guerre au lieu de leur prodiguer le bien-être, la liberté et la sécurité.

Nos économistes distingués sont parfaitement conscients de ces anomalies préjudiciables à tous, mais ils se gardent bien de les évoquer, pour ne pas mettre en cause l’économie du profit.

L’attitude de ces menteurs par omission serait certainement différente s’ils devaient assurer leur subsistance uniquement avec le S.M.I.G., une indemnité de chômage ou une allocation de vieillard - vivre dans un taudis en face de logements modernes désespérément vides - être privés des marchandises qualifiées par eux d’excédentaires, connaître la faim pendant qu’on « assainit » sur leurs conseils ou sous leurs ordres les marchés du lait, du beurre, des légumes, des céréales, des fruits, de la viande et du vin, etc.

S’ils devaient subir eux-mêmes ce régime d’austérité (effarant à notre époque d’automatisme et d’abondance !) qu’ils imposent aux autres, sans doute témoigneraient-ils d’une plus saine compréhension des faits économiques !...

Ces experts dans l’art de plonger les gens dans la misère, agrégés ou docteurs ès sciences économiques, professeurs d’économie politique, inspecteurs des finances, conseillers économiques, etc. poussent la société dans le désordre et l’incohérence, car le but unique de leur activité est de sauvegarder le profit qui est précisément la cause des maux dont la société est accablée.

Par exemple, il ne fait pas de doute que l’alcoolisme sert le profit des producteurs et des vendeurs de boissons alcooliques. Plus leurs clients boiront d’alcool, plus élevé sera leur profit... On se demande d’ailleurs quelle autre activité pourraient bien mener les personnes qui vivent de la vente de l’alcool, puisqu’il y a déjà 500.000 chômeurs à la recherche d’un emploi. Le fléau de l’alcoolisme est devenu un grand bienfait économique, puisqu’il fournit 2 millions « d’occasions d’emploi » ! Organisez donc des croisades anti-alcooliques quand 2 millions de personnes doivent nécessairement vendre de l’alcool pour vivre, vendre le plus possible d’alcool, pour vivre le plus confortablement possible...

Autre exemple. La guerre du Vietnam sert le profit de 10 millions d’Américains producteurs d’armements et de marchandises de toute nature, dont la consommation est assurée par 500.000 combattants américains et 1 million de soldats sud-vietnamiens. « L’atroce guerre » est nécessaire à la prospérité relative actuelle de l’économie (du profit) américaine.

Bref, pour un profit, le sous-sol est pillé, le sol saccagé, les matières premières gaspillées, la nourriture sophistiquée, l’air pollué, l’eau empoisonnée, l’homme trompé, exploité, sacrifié, martyrisé.

Nous n’en finirons pas de citer et de commenter de tels faits, devant lesquels les économistes distingués restent aussi muets que des carpes. Ils ferment pudiquement les yeux sur l’étendue des désastres humains provoqués par leur cher profit, alors que leur rôle, serait précisément d’alerter l’opinion publique et le Pouvoir. N’est-ce pas stupéfiant ? Les causes économiques des fléaux sociaux ne seraient-elles pas de la compétence des économistes ?

En défendant et en sauvant le profit de la mort, nos « médecins de l’économie » et autres « guérisseurs des monnaies » entretiennent les maladies sociales, l’alcoolisme et tous les vices, la politique des armements, la guerre, la misère ou l’austérité dans l’abondance, le chômage, le travail inutile, nuisible, pléthorique, parasitaire ou immoral, etc. C’est pourquoi ces charlatans sont mille fois plus dangereux que les malfaiteurs de droit commun, dont les méfaits sont localisés à quelques victimes, tandis que les leurs sont généralisés à l’humanité tout entière.

C’est un étudiant en sciences économiques qui m’a fourni dernièrement la clé du comportement de, ces véritables malfaiteurs. Après lui avoir développé les cas ci-dessus de l’alcoolisme et de la guerre du Vietnam, auxquels il opposa les habituelles sornettes chères à M. Alfred Sauvy, il finit par conclure :

- « Si je vous suivais sur une telle voie, je serais recalé à mes examens. Or, j’apprends l’économie politique pour me faire une situation... et elle me serait refusée si j’exposais des idées contraires à la tradition et à l’opinion commune... »

Eh oui... il faut vivre ! Le plus confortablement possible, bien entendu !... Alors, gardons-nous bien de heurter la tradition et d’informer l’opinion !...

Dire la vérité, pour un économiste professionnel, c’est se condamner à ne plus gagner d’argent, ou à se « reclasser », c’est-à-dire à se déclasser. Il faut être un homme, un Jacques Duboin, pour franchir le Rubicon. Les nabots qui le dénigrent sacrifient la vérité pour réaliser un profit. Ils vendent leur silence : prostitution de l’esprit. Que des centaines de millions de personnes en souffrent, c’est sans importance, ces affameurs sont à l’abri du besoin...

Quand ils ont « réussi » dans leur profession et gagné beaucoup d’argent, ils pourraient alors exprimer librement la réalité, mais leur cerveau s’est cristallisé, ou l’orgueil les empêche d’affirmer le contraire de ce qu’ils ont appris, répété et enseigné au fil des années passées.

L’économie politique classique, dépassée par le progrès technique et amputée de ce qui pourrait nuire au sacro-saint profit, n’a plus d’autre utilité que de fournir à des milliers d’économistes l’occasion de gagner de l’argent en occupant une chaire universitaire, un poste, de haut fonctionnaire, un emploi de conseiller, un fauteuil ministériel, etc. Ces personnages prétentieux sont soumis, comme nous tous, à l’implacable loi du profit : l’argent dont ils ont besoin pour vivre est tiré de la poche d’autrui. En échange, ils trahissent les contribuables qui les rétribuent, en refusant de remplir leur rôle d’informateur et en sauvant le profit au prix de l’épanouissement des maux et des fléaux sociaux.

Puissent-ils prendre conscience à temps que notre économie actuelle fait d’eux des esclaves du profit et non des hommes libres, des traîtres à leur mission de novateurs économiques, des faux-bergers du malheureux troupeau parqué sur notre petite boule que le profit transforme en lieu de séjour infernal et en champ de batailles économiques, sociales et internationales.

Ils deviendront des hommes et des savants dignes de ce nom quand un revenu social les aura libéré du souci de réaliser un profit et de l’obligation de se prostituer - comme des salariés pacifistes se prostituent nécessairement pour vivre en fabriquant des armements, ou des commerçants en abreuvant leurs clients d’alcool. Qu’un revenu social soit distribué aux uns et aux autres, et l’on verra le désarmement et la lutte anti-alcoolique progresser à pas de géant.

En ce début de l’année 1968, c’est la « conjoncture » qui se détériore à pas de géant avec la dévaluation de la livre, la fragilité du dollar, le renforcement de l’austérité, l’aggravation du chômage, l’intensification de la guerre économique, la détérioration rapide des relations internationales, etc. Les économistes distingués, pris de panique, sont-ils encore capables d’interpréter correctement cet ensemble de faits négatifs, qui rappellent dangereusement le début des années 30... ? Ils sont ici « sur le banc des accusés »... mais en réalité, ce sont les peuples qui sont condamnés, répétons-le, à l’austérité, au chômage et à la guerre.

Il y a beaucoup à faire pour nous tirer de ce mauvais pas, pour franchir favorablement notre époque de transition, la plus périlleuse de l’histoire de l’humanité. « La moisson est grande et il y a peu de moissonneurs »... mais beaucoup d’imposteurs et de « profiteurs »...

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Ca bouge.

par P. MONTREUX
février 1968

Depuis la publication de l’encyclique « Populorum progressio », l’opinion publique mondiale a été influencée. Les possédants ont été invités à reviser leurs conceptions vis-à-vis des travailleurs. Il y a toujours des résistants, mais ils ne peuvent s’opposer ouvertement à une réorganisation du monde, en vue d’aboutir à une véritable justice sociale.

Ce n’est pas encore l’économie distributive, mais chaque échelon gravi nous en rapproche davantage. Il ne faut donc pas dédaigner les appels à la justice provenant de tous les milieux et de tous les pays.

C’est ainsi que nous relevons dans le journal espagnol « El Correo Catalan », un appel de l’évêque de VICH (province de Barcelone), à la suite des renvois massifs de travailleurs, des fermetures d’entreprises, crise dans, l’industrie, l’agriculture et le commerce. Ce journal reproduit un résumé en 6 points des déclarations de l’évêque :

1° - Un travailleur n’est pas un outil que l’on peut rejeter dès qu’on n’en a plus l’usage. Personne ne peut s’élever contre ce fait, mais en réalité il existe différentes manières,. plus ou moins dissimulées, de tomber dans cette erreur, aux dépens de la dignité humaine.

2° - L’argent doit être au service de l’homme. Dans la pratique, cependant, il- arrive le contraire et c’est l’homme qui est au service de l’argent. Et qui dit argent, dit production, organisation, économie, etc.

3° - Le travailleur peut difficilement se défendre s’il est isolé. A cet effet, les encycliques sociales affirment clairement le droit des ouvriers à constituer librement des associations pouvant les représenter véritablement et contribuer à organiser équitablement la vie économique, tout en ayant le droit de participer à l’élaboration d’une nouvelle réglementation, sans risque de représailles. (Constitution pastorale de l’Eglise dans le monde d’aujourd’hui).

4° - Il n’est pas suffisant de voter des lois protectrices. Il est indispensable que celles-ci soient appliquées intégralement. Ni l’argent, ni les groupes de pression ne doivent étouffer la justice.

5° - Le droit au travail doit prévaloir. Une société ne peut être juste, et par conséquent chrétienne, si elle ne procure à chaque homme désirant travailler, le moyen de le faire dignement. Aux yeux des croyants, l’existence des chômeurs est un scandale.

6° - Dans notre région (la Catalogne) il est possible de créer de nouvelles sources de richesse et il ne serait pas juste de les utiliser uniquement en vue de spéculations égoïstes, dans un but de conservation personnelle. Nous conserverions alors la forme d’avarice que l’encyclique « Populorum progressio » définit comme l’existence évidente du sous-développement moral.

Dans d’autres régions d’Espagne, il existe encore d’importantes propriétés appartenant au clergé et les travailleurs agricoles demandent le droit d’acheter des terres leur permettant de travailler pour leur compte et non plus pour celui des propriétaires. Un certain nombre d’entre eux, rencontrant des difficultés pour obtenir satisfaction, ont envoyé au pape une réclamation motivée en raison de la résistance opposée par les possédants.

Il existe d’ailleurs encore en Espagne, et notamment en Andalousie, des propriétés immenses sur lesquelles les travailleurs vivent dans des conditions misérables. Ils demandent, à leur tour, un peu plus de justice et le droit de travailler dans des conditions meilleures.

Dernièrement, un journaliste, récemment élu membre des Cortès, se plaignait d’être l’objet de demandes pressantes venant de certains privilégiés, afin qu’il cesse de publier des articles pouvant éclairer la misse des travailleurs. On lui aurait offert un million de pesetas pour cesser ses critiques.

Le gouvernement espagnol, comme tous les gouvernements de pays capitalistes, ne voit pas d’autre issue à la crise actuelle, que dans l’établissement de plans dé développement de l’industrie, en premier lieu, et ensuite avec un certain retard, de dispositions d’ordre financier pour le développement de l’agriculture.

Il se, heurte, naturellement, à toutes les impossibilités rencontrées par les pays supérieurement équipés. Le développement du machinisme ne peut en effet aboutir qu’à un dégagement massif de la maind’oeuvre encore nécessaire. La diminution du pouvoir d’achat provoquée par le chômage, constitue un barrage infranchissable au progrès social et, par suite, au progrès économique tout court.

La dévaluation de la peseta, suivant celle de la livre sterling, devait permettre une augmentation des exportations. Mais il y a le revers de la médaille, car de nombreuses industries sont tenues de s’approvisionner en matières premières et en machines modernes à l’étranger. Pour les machines, leur paiement est généralement échelonné sur plusieurs années, donc les échéances seront majorées d’environ 15 % quand elles ont été vendues par des pays n’ayant pas dévalué leur monnaie.

D’autre part, le gouvernement espagnol a décrété la stabilisation des salaires et des prix. Mais les industriels, tout en assurant leur pleine adhésion aux mesures prises, demandent que des compensations d’ordre fiscal leurs soient accordées, en raison des hausses qui leur sont imposées pare la dévaluation. Sinon, certains d’entre eux pourraient être amenés à réduire leur personnel ou encore fermer leurs usines. Donc chômage accru et crise économique aigüe.

Il n’est plus possible de dire : « Nous voulons », comme au temps des rois : L’ère capitaliste est . à bout de course et il est indispensable de s’adapter rapidement aux nouvelles conditions économiques et sociales imposées par le progrès technique, si nous ne voulons pas risquer la guerre civile. Souhaitons donc que 1968 nous engage dans l’ère nouvelle tant attendue par tous ceux qui souffrent.

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De la guerre à la paix

par G. ALBERT
février 1968

Personne ne semble s’être encore demandé, pas plus dans la presse mondiale qu’à la radio ou à la télé, comment il se faisait que la nation la plus puissante et la plus riche du globe, forte de deux cent millions d’habitants et pourvue de moyens d’attaque et de défense mille fois supérieurs à ceux de son adversaire, n’était pas encore parvenue, après bientôt cinq ans de guerre, à venir à bout de ce petit Vietnam du nord qu’elle arrose, impunément pour son propre territoire, de napalm et de bombes. Elle en détruit pourtant chaque jour les usines, les routes et les ponts, voire les hôpitaux, et, pour en décimer la population, elle use, sans la moindre honte, de toutes les armes interdites par ces chiffons de papier où s’étale, parmi tant d’autres, sa signature au bas de prétendues lois de la guerre que son hypocrisie n’a jamais respectées. Soyons juste ; elles ne sont pas davantage respectées par ses co-signataires quand il leur arrive de faire également la guerre.

Pourquoi donc l’AMERIQUE s’obstine-t-elle à poursuivre celle-ci ? Car elle est tellement injuste et mal fondée qu’elle lui aliène l’ensemble de presque toutes les nations du globe, y compris quelques-uns de ses propres alliés, et une respectable partie de ses ressortissants. D’autre part cette guerre lui coûte déjà plus cher en argent et en hommes qu’aucune de celles auxquelles elle a été mêlée dans le passé. Aurait-elle donc une raison qui nous échappe ou qu’elle n’ose avouer, pour refuser d’y mettre fin ? Car il n’est pas douteux, ses scrupules moraux n’arrêtant ni ses hommes d’Etat, ni ses hommes de guerre, ni même ses princes de l’Eglise, qu’elle pourrait le faire quand bon lui semblera, et cela en un clin d’oeil, comme ce fut le cas pour le JAPON. Soyons bien assurés que ce n’est pas un HIROSHIMA de plus ou de moins qui l’arrête. Mr. FORRESTAL, Secrétaire d’Etat à la défense des Etats-Unis ne déclarait-il pas, le dix octobre 1948 : « Les soviets commencent à se rendre compte pour la première fois que les ETATS-UNIS utiliseraient vraiment la bombe atomique contre eux en cas de guerre. Pourquoi donc pas contre ces jaunes qui, de toute façon ne sauraient leur appliquer la moindre mesure de représailles ?

L’effort à faire pour comprendre n’est pourtant pas bien grand. En 1939, lorsque fut déclenchée une guerre dont personne n’osait déjà plus dire, comme en 1914, qu’elle serait la dernière, il y avait dans le monde, chez les nations qui furent entraînées à y participer, 33 millions de chômeurs bel et bien recensés, compte non tenu d’ailleurs de tous ceux, sans doute plus nombreux, qui ne touchaient aucune allocation et qui vivaient on ne sait comment. Or cette guerre mondiale a fait 50 millions de victimes, éliminant d’un seul coup la horde dangereuse de tous les sans-travail dont la révolte se faisait de jour en jour plus menaçante. La guerre n’avait été que cela une immense machine à faire le vide dans cette armée de chômeurs, un préventif contre la guerre civile. Or, pour éviter les odieuses tueries que celle-ci entraîne, il n’est pas de moyen plus radical que d’en lancer les futurs participants dans la guerre étrangère, qu’ils l’aient ou non voulue, en invoquant les contes bleus auxquels ils sont toujours sensibles, la justice, le droit, l’honneur, la liberté, voire l’amour de la patrie et cet espace vital qui lui est subitement devenu nécessaire, dût-on l’aller chercher jusque dans la lune.

Ce qui se passe au VIETNAM n’a rien à voir avec la prétendue guerre idéologique que nos bons apôtres d’outre - Atlantique affirment mener dans ce coin reculé de l’ASIE pour y défendre le monde entier contre l’invasion d’une idéologie qui s’oppose à la leur et qu’ils s’efforcent de combattre sur tous les continents. Or, lorsqu’elles renferment ne fut - ce qu’une infime parcelle de justice ou de vérité, nos idéologies n’ont jamais besoin de faire la guerre pour s’imposer et c’est au contraire celle qu’on leur fait qui, tôt ou tard, assure leur victoire. Nos dirigeants et nos économistes officiels ne l’ignorent pas qui s’efforcent de faire à tout prix le silence autour des thèses défendues par le M.F.A. afin d’en retarder le plus longtemps possible leur triomphe.

C’est en vain que, pendant près de trois siècles, les Romains jetèrent aux bêtes, dans le cirque, les disciples du doux Nazaréen qui leur avait promis qu’ils trouveraient dans le ciel la justice qui leur était refusée sur la terre. Vingt siècles après la mort du CHRIST, nous assistons, depuis que l’abondance a fait son apparition dans le monde, au même phénomène qui souleva les peuples sous les règnes de NERON, de TIBERE, de CALIGULA et de leurs successeurs. A tort ou à raison, des hommes s’inspirent aujourd’hui d’une nouvelle promesse qui leur fut faite par un de leur semblables. Celui-là ne fut pas crucifié, mais il n’en fut pas moins chassé de son pays natal et mourut en exil. Son « CAPITAL » est devenu la « BIBLE » de tous ceux qui ont faim et qui proclament, qu’il est souverainement inique, l’abondance régnant, qu’ils n’en aient pas leur part ici-bas et qu’on leur demande d’attendre que justice leur soit rendue dans un monde à venir « dont nul n’est revenu leur dire qu’il existe. » Les frontières à rectifier, les territoires à conquérir, les sauvages à civiliser, ne sont plus guère, à notre époque, que des prétextes et que des faux-semblants destinés à masquer la peur des responsables d’une inégalité sociale que rien ne justifie plus, mais dont ils entendent demeurer les seuls à profiter. Quand règne l’abondance dont M. FOURASTIE lui- même n’hésite plus à reconnaître qu’en moins de deux siècles nous pourrions l’accroître mille fois, la paix est une catastrophe et la guerre étrangère une nécessité.

Elle est une catastrophe, car c’est en temps de paix que les hommes multiplient leurs machines et leurs robots, qu’ils perfectionnent et qu’ils automatisent leurs usines dont la production ne cesse d’augmenter au fur et à mesure qu’augmente le nombre des chômeurs. La machine, en effet, prive de plus en plus ceux qu’elle chasse de l’usine ou des champs de leur gagne-pain et, à l’insoluble problème du plein emploi qu’on nous promet chaque jour pour demain, nos brillants hommes d’Etat ne connaissent toujours qu’un ultime remède : la guerre étrangère.

Car le chômeur, qu’il soit blanc, noir ou jaune, est toujours, plus ou moins, un être dangereux, un fauteur de troubles et d’émeutes, un révolutionnaire en puissance dont il faut se débarrasser avant même et surtout que ses meneurs ne lui ouvrent les yeux et qu’il ait pris conscience de la force destructrice que lui donne le nombre. C’est la guerre civile qu’il convient d’éviter avant qu’elle ne fasse à son tour le vide dans les rangs, cette fois, des exploiteurs. Or, le meilleur moyen de l’éviter c’est de se découvrir quelque part dans le monde un nouvel ennemi.

Soyons donc bien assurés que, si pour des raisons politiques pressantes, l’AMERIQUE décidait brusquement de rappeler ses troupes du VIETNAM, il lui faudrait, dans le plus bref délai possible, déclencher ailleurs une autre guerre, sa quatrième en moins de vingt cinq ans, en invoquant toujours le même prétexte, celui d’une idéologie qui s’oppose à la sienne et dont elle affecte de vouloir en préserver tous les peuples de la terre. Notons d’ailleurs au passage qu’avec l’INDOCHINE et l’ALGERIE nous avons fait presque aussi bien et que nous nous apprêtons à faire beaucoup mieux, notre force de dissuasion nous permettant désormais d’aller chercher nos ennemis sous tous les azimuts.

Mais la guerre étrangère n’abolit jamais le chômage que pour de trop courtes périodes. Souvenons- nous : avant même qu’elle ne se découvre au VIETNAM, après l’avoir combattu en COREE, ce nouvel ennemi idéologique, l’AMERIQUE comptait déjà sa large part de sans-travail. S’il ne reste plus, à cette heure, qu’un tout petit million de chômeurs au pays de ces croisés d’un nouveau genre, c’est que, pour un soldat mobilisé, il faut, rien qu’en temps de paix, le travail de dix hommes pour le loger, le vêtir, le nourrir et lui fournir toutes les munitions dont il a besoin pour s’entraîner. Mais, lorsqu’en temps de guerre, il faut encore le transporter à des milliers de kilomètres de ses propres frontières sur les lieux de ses futurs exploits, qui dira combien d’hommes et, par surcroît, de femmes et d’enfants seront condamnés à travailler pour lui, jour et nuit, dans les usines d’armement dont la production sera bel et bien distribuée gratuitement à l’adversaire.. En temps de guerre, pour peu qu’elle se prolonge, le chômage ne sévit plus. Et c’est l’unique raison pour laquelle les ouvriers américains font aujourd’hui partie des faucons qui soutiennent la politique de M. JOHNSON au VIETNAM ; mais il ne s’agit plus pour eux de voter démocrate ou républicain. Ils ont simplement compris qu’une fois la paix signée quelques millions d’entre eux redeviendraient chômeurs.

Car les ETATS-UNIS n’entretiennent pas seulement au VIETNAM et chez eux une armée de 500.000 soldats, aviateurs et marins, il leur faut encore subvenir aux besoins en munitions, en chars d’assaut et en avions du dernier modèle de toutes ses bases réparties dans le monde, de son armée d’occupation d’ALLEMAGNE (quelque 200.000 hommes), et du million de Chinois que TCHANG KAI TCHEC mobilise, depuis des années à FORMOSE, contre cet autre idéologue de MAO TSE TOUNG qu’il faudra bien un jour se résigner à combattre, lui, ou ses successeurs ! Le calcul est donc facile à faire ; il suffirait de multiplier ces chiffres par dix ou un multiple de dix pour connaître le nombre de chômeurs, c’est-à-dire de séditieux, d’émeutiers futurs, que compterait aujourd’hui l’AMERIQUE si elle mettait fin au génocide qu’elle poursuit et sur lequel trop d’entre nous ferment encore les yeux.

Grâces en soient rendues d’ailleurs à MM. JOHNSON et POMPIDOU, pour ne citer que ces deux-là ; les peuples n’auront plus désormais à combattre, comme autrefois, ces « ennemis héréditaires » dont on ne savait jamais lequel était le bon et qui variaient dans le temps. On nous les a transformés en ennemis idéologiques dont on sait toujours, ceux-là, où les trouver, encore qu’on ne nous ait jamais dit quelle pouvait bien être leur vraie nature.

S’agit-il des disciples attardés d’un Karl MARX, mort il y a près d’un siècle, ou de ceux d’un LENINE, d’un STALINE, d’un MAO TSE TOUNG ou d’un FIDEL CASTRO dont les doctrines se ressemblent à peu près autant que le christianisme d’un FRANÇOIS d’ASSISES ressemble à celui d’un cardinal SPELLMAN ? Où nous faut-il aller chercher ces ennemis ? Serait-ce au sein de cette RUSSIE devenue en moins de cinquante ans l’égale et l’adversaire des ETATS-UNIS, ou dans cette Chine, sortie à peine d’une affreuse misère et de ses luttes intestines, mais qui n’en rêve pas moins de régler leur compte à ses deux rivaux en moins de temps qu’il ne lui en a fallu pour passer de la bombe A à la bombe H ?

La vérité dont on n’ose se prévaloir, c’est qu’il nous faut dorénavant compter au nombre de nos ennemis idéologiques, quel que soit le coin du globe où ils se terrent, tous ceux qui ne pensent pas comme nous, tous ceux dont les enfants ont faim dans un monde où nous pouvons faire régner l’abondance quand bon nous semblera. Or l’U.N.I.C.E.F. nous apprend que, chaque année, il meurt dix millions de ces enfants dont les pères et les mères n’ont même plus la force de les soulever dans leurs bras pour demander l’aumône, dix millions d’innocentes victimes que nous pourrions sauver si nous leur consacrions ne fût-ce que le prix d’un seul jour de combat, d’un seul jour d’escalade !

Nos ennemis idéologiques, ce sont aussi ces utopistes qui réclament depuis toujours l’abolition des privilèges de la naissance et de la fortune et qui rêvent d’améliorer le sort de leurs frères avant qu’ils ne brandissent,

« Sur le pavé des villes » « Les rouges étendards de la guerre civile. »

Le subtil raisonnement de ces assoiffés de justice sociale, de ces songe-creux d’idéologues, ne varie jamais : la rareté que nos ancêtres ont connu avant l’apparition de la machine, était en quelque sorte un phénomène naturel et les plus forts et les plus riches pouvaient l’accaparer en abusant de leur force et de leur richesse. Ce n’est, fort heureusement, plus le cas d’une abondance qu’il dépend de nous seuls de pouvoir accroître presque indéfiniment. Quel que soit le prix que nous y mettrons, dans le régime désuet auquel nous nous accrochons, nous serons de plus en plus condamnés à brûler nos surplus de café dans nos locomotives, à rejeter en mer le poisson de nos chalutiers, à rendre impropres à la consommation pommes de terre et blé, comme à laisser pourrir les fruits et les légumes que nous n’aurons pu vendre à tous ceux d’entre nous à qui la machine n’apporte que des salaires de famine ou qu’elle réduit au chômage.

Voici pourtant que les riches eux-mêmes commencent à s’apercevoir que l’abondance n’est pas un mythe et que, si la machine produit et produira de plus en plus, elle n’achète pas cependant qu’elle prive chaque jour davantage de leur pouvoir d’achat les hommes dont elle n’a presque plus besoin pour fonctionner automatiquement. Or, ce ne sont ni les allocations de chômage, ni le smig ou le smag, pas plus que la sécurité sociale, les pensions de vieillards, de veuves de guerre ou d’anciens combattants, ce ne sont pas, dis-je, ces pauvres palliatifs que nous avons trouvés pour sauver le régime qui peuvent permettre à qui que ce soit de vivre dignement et d’élever une famille.

Qu’on le veuille ou non, aussi longtemps que durera ce régime des salaires, prix, profits, il faudra bien qu’un jour, et le plus tôt sera le mieux, on alloue aux hommes comme aux femmes, sous la forme d’un revenu social qu’ils toucheront de leur naissance à leur mort, tout le pouvoir d’achat dont ils auront besoin pour demeurer des acheteurs solvables, et dont le propriétaire de la machine aura lui- même besoin qu’on le leur serve afin de pouvoir écouler sa marchandise.

Un régime économique ou politique n’est jamais que l’expression des conditions de vie qui l’ont engendré. Le nôtre a pris naissance dans une rareté que nous ne connaissons déjà plus. C’est elle qui condamnait jadis le producteur à mettre sa marchandise aux enchères, afin de la vendre au plus offrant ou à l’imposer par la force, c’est-à-dire en fabriquant des armes de plus en plus perfectionnées et meurtrières.

Or, on ne fabrique pas d’armes pour ne pas s’en servir, et nos fils trouveront demain une bombe en miniature dans la hotte aux jouets du bonhomme NOEL comme nous y avons nous-mêmes trouvé les modèles réduits de sabres, de fusils, d’auto-mitrailleuses et de chars d’assaut dont nous avons commencé d’apprendre à nous servir au foyer paternel, hélas ! et dans la cour de l’école.

C’est afin d’assurer leur survie que nos lointains ancêtres ont fabriqué leurs armes et qu’ils ont fait la guerre,- mais voici que la bombe ne nous permet plus de la faire et qu’il nous faut apprendre à préparer la paix comme nous avons jadis appris à préparer la guerre. Nous n’avons plus le choix : ou nous entrerons dans la voie du désarmement général, ou nous disparaîtrons.

Nous n’avons su jusqu’à présent que produire pour détruire. Or, à tous les problèmes que soulève pour nous l’apparition de l’abondance, à celui de la guerre sous toutes ses formes comme à celui du pouvoir d’achat des masses ouvrières, l’humanité, au cours de sa lente évolution vers un monde meilleur, ne connaîtra un jour qu’une solution et qu’une seule, celle autour de laquelle nous nous obstinons à faire le silence, celle qui mettra fin à nos luttes de classes en comblant le fossé qui sépare les riches et les pauvres, l’ECONOMIE DISTRIBUTIVE.

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Au fil des jours

février 1968

Un sous-marin militaire ! Est-ce que cela devrait exister ?

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La France rappela à l’ordre les EtatsUnis coupables de ne pas équilibrer leur balance des paiements, M. Michel Debré leur fit sévèrement remarquer qu’en agissant ainsi, ils exportaient en France leur « inflation ». (sic)

Les Américains s’inclinèrent et prirent les mesures qui s’imposaient. Leur balance des paiements va prochainement s’équilibrer. Aussitôt, M. Michel Debré leur reproche, plus sévèrement encore, que les mesures prises vont leur permettre de nous exporter leur « déflation ».(sic)

Y comprenez-vous quelque chose ?

De son côté, M. Michel Debré affirmait que, grâce à ses bons soins, notre économie était en pleine expansion. Puis brusquement, du jour au lendemain, il annonça un plan de « relance de notre économie. » Ce plan fut accueilli par des cris de joie à la Bourse, les feux de Bengale lui étant interdits.

On affirme que cette relance aura beaucoup d’effet. Presque autant que le pet d’un moineau dans un cyclone...

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Les Américains ont la curieuse manie de promener leurs bombes atomiques dans le ciel, et, chose plus grave, de les laisser choir un peu partout, même au pôle nord. Ces bombes sont heureusement désamorcées. Alors à quoi riment ces ballades aériennes ? C’est, nous dit-on, pour intercepter l’aviation ennemie en route pour anéantir les EtatsUnis. Or il existe les plus grandes chances pour que cette « aviation ennemie » se précipite à l’allure supersonique. Les avions intercepteurs n’auront donc jamais le temps de réamorcer leurs bombes.

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Notre vieil ami Jean Fourastié a fait une conférence à Besançon. En sa qualité d’économiste « officiel » il a eu droit à la présence du préfet et des corps constitués. On avait grossi l’auditoire des étudiants et même des enfants des écoles. Un de nos camarades eut l’audace de poser une question bien anodine : En raison de nos moyens de production qui tournent au ralenti, ne pourrait-on pas augmenter le pouvoir d’achat de nos compatriotes ? N’avez- vous pas remarqué que nos magasins et nos marchés regorgent constamment de marchandises, même après les fêtes de la Noël et du Nouvel an ? M. Fourastié daigna reconnaître que le niveau d’existence des Français pourrait augmenter de 2 % (sic).

Or on sait comment il calcule le niveau d’existence des Français : en additionnant les revenus des économiquement faibles et ceux des milliardaires il fait ensuite la moyenne... Quel génie !

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On annonce que 30 sociétés d’assurances viennent de fusionner pour former 3 groupes. Le Figaro, expliquant cette combinaison, précisait que les clients n’avaient rien à redouter.

Sans doute, mais le personnel de ces 30 compagnies d’assurances ?

A qui fera-t-on croire que si ces 30 sociétés fusionnent, ce n’est pas dans l’intention de diminuer leurs frais et d’augmenter leurs profits ? Or diminuer les frais, c’est économiser du personnel.

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Il faut avoir quelque effronterie pour prétendre que les concentrations d’entreprises ne feront pas augmenter le chômage. M. P. Locardel reconnaît lui- même que ce serait déjà bien beau de le stabiliser.

Notre ami François-Poncet vient de découvrir un nouvel ennemi héréditaire : c’est la Chine. Il explique dans le Figaro que les 800 millions de Chinois n’attendent que le moment favorable pour ne faire qu’une bouchée de l’Europe. Heureusement les Américains les contiennent au Vietnam et en Corée. Braves Américains ! Nous ne leur serons jamais assez reconnaissants.

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Toujours dans le Figaro (23-1-68) Jean Domenge se lamente : comment se débarrasser de nos « excédents » de lait ! La production laitière, dans les six nations du marché commun, est une « avalanche catastrophique » s’est écrié M. Mansholt à Bruxelles. Les stocks de beurre atteignent 125 millions de kilos, et on en prévoit 250 millions dans deux ans.

Où est le temps où Hitler poussait son cri de guerre : du beurre ou des canons !

Nous avons trop de beurre et vraiment un peu trop de canons.

Ces Messieurs du Marché commun supplient les vaches de produire moins de lait.

Edgar Faure estime, lui,, qu’il faut produire plus de viande. Mais alors il faut que l’Europe des six ferme ses frontières, même à la viande congelée !

Quelle horreur que l’Abondance : on espère la détruire dans un coin, elle réapparaît dans un autre. Bref nous allons de catastrophes en catastrophes.

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