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Éditorial
La Directrice de la Grande Relève étant
en mission aux Etats-Unis, j’ai la redoutable mission de préparer
cet éditorial. Je l’entreprends donc ce Dimanche 17 juin. Comment
en un tel jour ne pas penser avec le battage fait par la radio, la presse,
la télé,... que c’est demain le cinquantième anniversaire
du célèbre appel lancé de Londres par de Gaulle.
Belle occasion pour tous ses thuriféraires (et ils sont nombreux !)
de rivaliser de zèle pour nous chanter ses mérites, quitte
quelquefois à bousculer un peu la réalité, certain
n’hésitant même pas à truquer des photos dans le
plus pur style stalinien (voir l’article de Suzanne Bidault dans le
Monde du 16 Juin).
Moi, quoi qu’aît pu dire Malraux "tout le monde est, a été
ou sera un jour gaulliste’) je n’ai jamais aimé de Gaulle. Car
comme le dit un chant bien connu, mais qui actuellement sent le soufre,
"il n’est pas de Sauveur Suprême, ni Dieu, ni César,
ni Tribun..."Bien sûr, le génie militaire du grand
homme est mis en avant. N’est-ce pas lui qui , en effet, avait proposé
dans son livre "Vers l’armée de métier" l’emploi
massif des chars ?
De Gaulle est un plagiaire. L’idée n’est pas de lui mais du général
Estienne, relayé dès 1922 à la Chambre des Députés
par un jeune parlementaire qui avait servi sous ses ordres à
la fin de la "Grande Guerre"., Jacques Duboin.
La séance du 14 Mars 1922 était consacrée à
la discussion du projet de loi sur le recrutement de l’armée
proposé par le Ministre de la Guerre, André Maginot (celui
de la Ligne !). Après l’exposé du rapporteur général,
Jacques Duboin pris rapidement la parole : "Vous nous demandez
donc, monsieur le ministre, un crédit d’hommes, mais vous ne
nous dites pas quel effort vous avez accompli jusqu’ici pour économiser
ces hommes, ni celui que vous projetez pour économiser éventuellement
leur sang. Avez-vous tout au moins essayé de moderniser l’armée ?’
Il ne saurait être question de donner ici l’intégralité
des débats. Je me bornerai à en rappeler les points forts.
(Ceux que cela intéresse pourront consulter le Journal Officiel,
Débats parlementaires n° 30 du 15 Mars 1922., p. 784 à
788.) " II faut que la guerre puisse aussi rapidement que possible
être transportée sur le territoire de ceux qui nous attaquent,
....
Une grande transformation domine la dernière guerre : l’intervention
du moteur mécanique dans les transports d’abord, puis, par l’emploi
de la chenille sur le champ de bataille comme arme de combat. C’est
cette arme puissante et nouvelle qui a permis de terminer la guerre
un an plus tôt. Ce sont les Allemands eux mêmes qui le disent.
Je demande où est l’effort du gouvernement pour moderniser l’armée.
Comment expliquer dans le projet de loi la présence encore de
157.000 chevaux et de 67 régiments de cavalerie. Je ne vois même
pas la création d’une direction de cette arme nouvelle : les
chars de combat."
A un certain M. de Rougé qui lui demande comment on fera passer
les armées quand les routes et les ponts auront sauté,
J. Duboin répond : "A travers champs, mon cher collègue.
Mais je vois que vous suivez mal,la discussion, car c’est précisément
pour cela qu’il faut des véhicules à chenilles affranchis
des routes."
Après avoir fait allusion à la marine à voile et
à son remplacement par la marine à vapeur, vient la réplique
célèbre : "Vous m’avez demandé ce qu’était
une armée moderne. Je vais essayer de vous en donner une définition.
Une armée moderne, c’est une armée qui se reconnait à
l’odorat : elle sent le pétrole et ne sent pas le crottin. C’est
une armée où le moteur mécanique joue le principal
rôle."
Mr le rapporteur général : "Les idées exposées
par notre collègue Duboin méritent d’être écoutées.
II peut apparaitre ici peut-être comme unprécurseur, mais
ce sera le seul reproche que l’on pourra lui adresser. 11 va beaucoup
trop vite. Le problème qu’il signale à votre attention
est difficile à résoudre. Vous ne pouvez pas faire des
transformations brutales du jour au lendemain, supprimer le cheval et
ne plus employer que des machines sans passer par une période
de transition..."
Comme on le voit , J. Duboin que l’on voulait bien considérer
comme un précurseur, était tout de même accusé
d’aller trop vite. L’histoire lui a pourtant donné raison. C’est
encore ce qu’on lui reprochera plus tard dans le domaine de l’économie !
Mais revenons au débat du 14 Mars 1922. Après avoir rappelé
que les Allemands sont, eux, tout à fait conscients de la nécessité
de disposer de chars pouvant se déplacer très rapidement,
J. Duboin demande que l’armée française dispose surtout
d’une grande mobilité, "parce que c’est la mobilité
qui permet la surprise ; ’
Nous noterons au passage ce que certains appelleront encore le penchant
"utopiste" de J. Duboin, lorsqu’il déclare : "Je
demande également que nous fassions tous nos efforts pour que,
si nous possédons cette force, nous arrivions à l’internationaliser
et à la mettre à la disposition de la Société
des Nations, car alors, messieurs, la paix du monde est assurée."
Et enfin sa conclusion : "Quand on veut moderniser une industrie,
la première modification que l’on opère consiste à
la "moteuriser". Eh bien, pour l’armée, c’est la même
chose. La moderniser, c’est la "moteuriser"."
Tout cela a certainement dû interesser fortement le capitaine
de Gaulle qui, en 1922, était stagiaire à l’Ecole Supérieure
de Guerre, après avoir été, en 1 921 , professeur-adjoint
d’histoire à Saint-Cyr. Comment en effet supposer qu’il n’ait
pas eu connaissance, dans les fonctions qui étaient, à
ce moment les siennes, du débat sur le projet de loi sur le recrutement
de l’armée et l’organisation de la Défense Nationale ?
II ne fait donc aucun doute que de Gaulle connaissait ce texte lorsqu’il
écrivit "Vers l’armée de métier".
Reconnaitre le rôle de précurseur de J. Duboin n’aurait
pas porté trop ombrage à la gloire du grand Charles !
Les grands ont décidément de ces mesquineries...
A l’heure où investisseurs et journalistes ont
les yeux rivés sur ce "Nouvel Eldorado" qu’est l’Europe
Orientale, les récents événements d’Amérique
Latine sont passés quasiment inaperçus. Pourtant, une
chose est claire : les Etats-Unis renforcent leurs positions en Amérique
Latine.
En l’espace de quelques mois, la Maison Blanche y a semé (directement
ou indirectement) le chaos, sans pour autant provoquer l’indignation
de l’ONU ou des Gouvernements Européens... La doctrine de Monroë
(l’Amérique aux Américains ! ) semble être rede-venue
une des principales préoc-cupations du gouvernement Bush (qui
suit d’ailleurs une politique similaire à celle de R. Reagan
à ce sujet). C’est ainsi qu’après avoir contribué
à l’endiguement sanglant de l’offensive du FMLN (Front Farabundo
Marti de Liberation Nationale du Salvador), les Etats-Unis renversent
le Général Noriega au Panama. Motif : trafic de stupéfiant.
Mais la raison de cette intervention militaire (du très joli
nom de "Juste Cause" - sic -) est à chercher ailleurs.
Les Etats-Unis tenaient à ce que le Canal de Panama reste entre
leurs mains (il devait revenir aux Panaméens en 1999) pour pouvoir
y maintenir leurs bases militaires et contrôler ainsi une grande
partie de l’Amérique Latine !!
Parallèlement, les "Tuniques Bleues" déclenchent
une vaste opération antidrogue en Colombie ... Mais cette lutte
contre les Narco-trafiquants n’est qu’un prétexte pour nettoyer
le pays de la "peste marxiste" : Gauche Unie et M 19 (Mouvement
de Guerilla Gevariste) deviennent alors les cibles privilégiées
de la police et des militaires colombiens...
Pourtant, la grande victoire des Etats-Unis demeure sans contexte la
défaite des Sandinistes aux élections de février
1990. Ce résultat est le fruit de dix ans de guerre menée
par les Etats-Unis contre le Gouvernement Sandiniste (minage des ports,
armement de la Contras, blocus économique). Le Nicaragua a voté
UNO (Union Nationale d’Opposition qui est favorable à l’interventionnisme
des EtatsUnis) pour tenter d’arrêter l’hémorragie humaine
et écono-mique du pays .. La Maison Blanche est ainsi débarrassée
d’un pays qui contestait sa suprématie en Amérique Latine.
Mais les autorités NordAméricaines ne sont pas pour autant
satisfaites. Un écueil demeure : le bastion cubain résiste
toujours, malgré les nombreuses difficultés qui le frappent
de plein fouet...
Après un blocus économique de plus de trente ans, !es
Etats-Unis viennent de mettre au point une chaine de télévision
(TV Marti) qui émet illégalement à Cuba. Face à
cette agression médiatique, Fidel Castro réaffirme son
inquiétude face à un éventuel conflit et avoue
qu’il "sait quand commence une telle aventure, mais ne sait pas
comment cela peut finir. Tout peut arriver, même lorsque l’on
voit l’absurdité de tout cela" (conférence de presse
du 3 avril 1990).
II semble désormais que l’intégration latinoaméricaine
soit le seul rempart face à "l’Impérialisme Yankee".
L’OEA (Organisation des Etats Américains) doit redoubler de vigilance
si elle veut sauvegarder sa souveraineté, et par là même
son identité...
Simon Bolivar ’Révolutionnaire du XIXe siècle qui tenta de fédérer les peuples d’Amérique Latine) avait vu juste quand il écrivait : "Les Etats-Unis semblent avoir été désignés par la Providence pour accabler l Amérique de misère au nom de la Liberté"...
Dans notre article de Juin, la Relève, nous
avons évoqué le livre de J. Julliard. Nous en donnons
ciaprès un panorama plus vaste, car il s’agit d’une réflexion,
d’une analyse souvent lucides et pertinentes sur le monde politique,
économique, social et culturel des deux derniers siècles,
et singulièrement, sur le monde actuel.
Quelques lignes directrices Julliard, éditorialiste au Nouvel
Obs est aussi directeur d’études à l’Ecole des Hautes
Etudes en Sciences Sociales. II est anticommuniste sans réserve,
Mendésiste hier, Rocardien aujourd’hui c’est logique - ; partisan
affiché de l’économie de marché, et cependant contre
le capitalisme et le libéralisme en ce sens qu’ils ne permettent
pas l’épanouissement de l’homme. Car Julliard est un humaniste,
comme beaucoup d’intellectuels de gauche à l’heure actuelle.
Mais comme tous ceux qui pensent que l’économie de marché
est incontournable et qui sont progressistes, au moment de proposer
des solutions, de conclure, sa pensée est peu convaincante. Et
pour cause.
Nous laisserons le lecteur juger à travers de larges extraits.
Mentionnons que l’auteur consacre quelques lignes à Jacques Duboin
(page 172) qu’il a dû connaitre à travers André
Gorz, son excollègue au Nouvel Obs : "La machine dont le
but est d’économiser du travail se trouve aujourd’hui accusée
précisément de faire ce pour quoi elle a été
faite. C’est ce que Jacques Duboin, théoricien de l’abondancisme
(sic) avait bien mis en valeur dans les années trente".
Introduction : comment Julliard pose le problème.
Nous vivons la fin d’une époque. Commencé
le 1 er août 1914 avec le déclenchement de la Première
Guerre mondiale, le XXe siècle s’est terminé vers Noël
1989 à Bucarest, avec la liquidation de l’ordre européen
et international issu de la Seconde. Désormais, à l’exception
de l’Albanie, l’Europe est libre ou sur le point de l’être. Le
communisme agonise. La guerre froide est liquidée.
Soixante-quinze ans : c’est peu pour le siècle qui s’achève
sous nos yeux dix ans avant la date prescrite. Surtout si on le compare
à celui qui l’a précédé : le XIXe. Celui-là
avait commencé en avance, le 5 mai 1789, avec l’ouverture des
états généraux, et ne s’est terminé qu’avec
le début du premier conflit mondial, en 1914. Le XIXe a été
gratifié d’un quart de siècle supplémentaire. II
le méritait. II fut une ère de progrès scientifiques
gigantesques, de paix relative et d’extension de la liberté.
Le XXe, lui, a été amputé de la même durée.
II ne l’a pas volé... Jamais comme au XXe, on n’avait dépensé
autant d’énergie et d’intelligence à des oeuvres de mort
et de déshumanisation. Nous avons connu depuis soixantequinze
ans, c’est vrai, un progrès scientifique et technique ininterrompu
; un accroissement sans précédent des niveaux de vie dans
la partie industrialisée du monde. Cela, on ne l’enlèvera
pas à notre époque. Pour le reste, elle restera dans l’Histoire
comme une formidable régression de la conscience des civilisés..
Le génie de la liberté : alors que le
socialisme réel, le seul qui mérite le commentaire politique,
a basculé tout entier du côté du collectif, qu’il
n’a jamais été capable de sécréter en son
sein les anticorps qui lui auraient permis de résister à
sa pente naturelle, la démocratie, elle, est restée toujours
présente dans le siècle. Elle en a parfois accompagné
les excès, mais c’est en son nom que les constestataires montent
à l’assaut des Bastilles qu’elle a contribué à
élever.
Le socialisme, quant à lui, est né de la démocratie,
nul n’en peut douter ....
Alors que les socialistes sont au pouvoir...
"Telle est la difficulté de tout gouvernement socialiste. Elu par les classes populaires, il commence inévitablement par dialoguer et par négocier avec les couches bourgeoises. C’est aux hommes d’affaires, aux cadres, aux publicitaires, plus qu’aux ouvriers, aux employés et aux fonctionnaires, que le gouvernement Rocard, venant après celui de Laurent Fabius, propose des perspectives d’avenir. C’est avec les premiers que le socialisme gouvernemental, à travers une multitude de canaux officieux et de contacts informels, discute de la politique de la nation. Le forum de l’Expansion, les dîners du Siècle, les multiples colloques réunissant presque en permanence les mêmes personnages, hommes d’affaires, journalistes, intellectuels de renom, avec des ministres, membres de cabinets ministériels ou de la haute administration sont des lieux de concertation plus importants que les congrès des partis ou l Assemblée nationale ellemême...
Quant aux syndicalistes ... au lieu d’en faire les porte-parole des travailleurs, on les transforme en otages du pouvoir...
Parmi les nombreuses raisons qui expliquent les succès
actuels du Front national, et son installation durable sur la scène
politique française, figure l’incapacité du Parti socialiste
de se substituer au Parti communiste là où celui-ci s’effondre
...Là où le PCF disparait, on dirait que la banlieue retourne
à l’état sauvage. Présent dans les centres de vote
et les isoloirs, le PS ne l’est guère dans les cités HLM,
les quartiers, les immeubles, les escaliers et les cours. II n’a pas
de presse à y vendre, pas de militant à y envoyer... A
Dreux, lors du deuxième tour de l’élection législative
partielle du 3 décembre 1989, trois ouvriers sur quatre ont voté
Le Pen.
Où sont dans tout cela, les classes populaires ? Nulle part.
Que sont les ouvriers devenus ? Rien du tout. Voyez le pouvoir socialiste.
II n’a rigoureusement rien à dire aux ouvriers, aux employés,
aux fonctionnaires, sinon qu’il leur faut voter pour lui, pratiquer
la grève avec modération, et n’attendre d’amélioration
de leur sort que de l’accélération de la croissance économique.
Voici bien la grande régression sociale de notre société
moderne ; les prolétaires y sont redevenus des pauvres. Ils ont
cessé de faire peur. Dans le meilleur des cas, ils font pitié.
Dans le pire, on leur fait honte de leur improductivité, de la
charge qu’ils représentent pour le budget social de la nation.
Quand a déferlé le libéralisme des années
quatrevingt-cinq, il ne faisait pas bon gagner moins de 8.000 francs
par mois. On était automatiquement soupçonné de
coûter cher au pays.
Depuis qu’elles ont déserté leurs syndicats
et porté au pouvoir leurs représentants politiques, les
classes populaires ont payé bien cher les nouveaux droits qu’elles
se sont acquis : du devoir de se taire ! D’acteurs qu’ils étaient
jadis, les travailleurs sont devenus des assistés. Où
vit-on jamais socialistes délibérer avec les classes populaires
de l’avenir de la nation ? Dans le meilleur des cas, on négocie
avec eux leurs salaires.. Le plus souvent, désormais, on le leur
octroie ; et les ministres socialistes, forts de leur légitimité
sociale et de leur aisance à tutoyer les syndicalistes, oublient
de les consulter à la veille des grandes décisions sociales.
Avec l’atténuation des luttes de classes et le refroidissement
du débat politique, les clivages ont changé de nature
: le principal d’entre eux n’est pas celui qui sépare le capital
du travail, mais celui qui sépare les élites dirigeantes
des classes laborieuses. On ne fera désormais croire à
personne qu’un ministre socialiste est plus proche d’un ouvrier socialiste
que d’un ancien ministre UDF Entre un membre de la classe politique
et un travailleur, il y a différence de condition : c’est beaucoup.
Entre deux membres de la classe poilitique, il n’y a différence
que d’opinions, c’est-à-dire pas grand chose".
Communisme et capitalisme vus par Julliard
Bien sûr, il s’agit d’un jugement se référant
à la concomitance de l’effondrement du communisme et du triomphe
du capitalisme.
"Même moribond, le communisme reste désastreux. D’abord,
pour ceux qui le subissent encore. Comme résidu politique, il
peut en effet survivre longtemps à sa mort intellectuelle et
sociale...
Quant à nous autres Occidentaux, nous n’en avons pas encore fini
avec le vieux cadavre puant. La gauche européenne en particulier
devra continuer à exorciser la mémoire de ceux qui l’ont
compromise. Mais la pire pollution posthume que continue de produire
le communisme, c’est le discrédit durable qu’il a jeté
sur toute critique du capitalisme. Dans les pays de l’Est, les intellectuels
et les économistes n’arrivent pas à trouver le moindre
défaut à l’économie de marché. Ou, s’ils
en trouvent, c’est pour en rejeter la faute sur les circonstances.
Or, nous avons grand besoin d’une critique du capitalisme. En le privant de toute contestation, on lui rend le pire des services. Voilà un étrange paradoxe : le système fondé sur la
concurrence n’a plus de concurrent ! Le régime
fondé sur la discussion n’est plus discuté ! Faute d’adversaires,
le système libéral ne sait que faire de sa liberté
! parce qu’il est demeuré seul sur scène, le capitalisme
s’imagine qu’il est en bonne santé. Tel n’est pas le cas. L’ironie
de l’Histoire est qu’il voit ses ennemis expirer au moment où
il se trouve devant des problèmes qu’il est incapable de résoudre
par ses propres moyens.
Les matamores de Mai 68 et les "marxistes" d’Epinay sont devenus
sans le moindre effort des admirateurs inconditionnels du capitalisme,
rebaptisé depuis peu "économie de marché"
pour faciliter les conversions. Si nécessaire qu’elle fût
-comment la récuserais-je après l’avoir si longtemps appelée
de mes voeux ? -, cette conversion au réalisme n’en reste pas
moins un chapitre sans grandeur dans l’histoire de la gauche française...
Sur quatre points au moins, le système fondé sur l’initiative
privée et la libre entreprise se révèle incapable
d’affronter spontanément les problèmes qui se posent à
lui. Ce sont : le dérèglement du système monétaire
international et les menaces de crise boursière à l’échelle
mondiale, dont "l’accident" de l’automne 1987 a montré
qu’il ne s’agissait pas d’une vaine imagination ; le retard économique
du tiers monde et les risques d’explosion qu’entraine l’endette-ment
d’un certain nombre de pays ; l’incapacité de doter les pays
industriels d’équipements collectifs suffisants (hôpitaux,
écoles, loge-ments, urbanisme) ; enfin, le massacre de la nature
et le gaspillage des ressources naturelles...
Il m’a semblé que ce capitalisme faisait un bien mauvais usage de cette conjoncture exceptionnelle (2). Au lieu de se lancer dans l’aventure, il se vautre dans la satisfaction. Après les bourgeois conquérants, les bourgeois concupiscents. Au lieu de la morale du capital, l’immoralité du fric. Or le capitalisme n’est vainqueur que par forfait. Devant les grands défis du monde moderne, le désordre, la pauvreté, la violence, l’insignifiance, la dégradation de la biosphère, il est à peu près sans voix. Nous n’avons plus, pour nous abstenir de critiquer, l’excuse de voir en lui un moindre mal. Le communisme est mort. Le socialisme est impuissant. Le temps de l’an ticapitalisme commence. "
Solution Julliard : une socialdémocratie moderne
"Dans le précédent chapitre, j’ai examiné les chances d’un socialisme rénové de dessiner une voie originale entre les décombres du communisme et les grandes constructions vides du capitalisme. La social-démocratie n’a jamais été une spécialité française... II était assurément nécessaire que le Parti socialiste français se rapprochât de l’esprit social-démocrate. C’est d’ailleurs ce qu’il a entrepris de faire, sous l’empire de François Mitterrand... et de la nécessité. Existait-il un autre choix ? C’est ainsi que les socialistes ont accepté sans ambiguïté, et apparemment sans esprit de retour, l’économie de marché et la légitimité du profit, l’indexation des augmentations de salaire sur le rythme de l’expansion et non sur celui de l’inflation, la concertation sociale de préférence à la lutte des classes...
L’Histoire , pas plus que le temps, ne s’arrête. Si, aujourd’hui nous sommes tentés de dire qu’il n’y a pas d’au-delà de la démocratie, il y bel et bien un audelà de la socialdémocratie ; et, si nous sommes bien en peine d’imaginer un au-delà de l’économie de marché, nous devons pourtant concevoir un audelà de l’économie tout court.
II y a aujourd’hui pour les modernistes du PS, les
seuls capables d’offrir un avenir à ce parti, deux façons
de concevoir leur rôle. La première consiste à s’installer
confortablement au centre et à gouverner conformément
aux attentes des classes moyennes : en deçà de la social-démocratie.
La seconde consiste à renoncer à faire du neuf avec du
vieux et à se décider à faire du neuf avec du neuf.
Autrement dit, à gouverner audelà de la socialdémocratie,
audelà aussi de la tyrannie économique. C’est, dans l’ensemble,
la première voie qu’ont choisie successivement Laurent Fabius
et même Michel Rocard, le second en particulier, avec un succès
public évident que traduisent l’excellence des sondages et le
désarroi de la droite. Pour le moment, Michel Rocard n’a pas
ouvert à ses adversaires la moindre faille dans laquelle ceux-ci
pourraient s’engouffrer. Les leaders de la droite le confient en privé
: ils n’ont fondamentalement rien à reprocher à la politique
que poursuit le Premier Ministre".
Ces dernières réflexions marquent la limite de la pensée
de Julliard, souvent riche. Son attachement à l’économie
de marché le conduit forcément à une impasse, même
si dans la dernière page de son livre, il y a des considérations
d’ordre plus général qui, isolées, pourraient nous
le faire apparaitre comme un socialiste à part entière :
" J’exprime ici ma conviction que le crépuscule du communisme
marque aussi, pour le panéconomisme qu’est devenue la société
capitaliste, le commencement de la fin ".
Et après avoir remarqué que tous les plus grands théoriciens du système industriel et capitaliste en ont souligné le caractère transitoire, il conclut
"II est temps de faire à l’égard du capitalisme comme Auguste Comte en usait à l’égard du Dieu de la métaphysique : le renvoyer après l’avoir remercié des services rendus. Nous ne vivons pas la fin de l’histoire".
(1) J. JULLIARD, Editions du Seuil
(2) La mort du communisme
Parmi les innombrables réunions qui ont lieu aux quatre coins du monde, nous en avons retenu trois auxquelles nous avons assisté personnellement et où des questions qui intéressent, croyons-nous, les lecteurs de la Grande Relève ont été traitées. L’une était placée dans la perspective de l’Europe qui se fait, les deux autres avaient trait au monde en devenir.
Environnement et construction européenne
Un colloque s’est tenu sous ce titre, le 9 mai 1990,
à la Cité des Sciences et de l’Industrie de ParisLa Villette.
II a rassemblé plus de vingt intervenants choisis parmi des chercheurs,
des scientifiques, des décideurs et des politiques qui se sont
exprimés devant environ trois cents invités rassemblés
par Eurocité, centre de ressources et d’information sur l’Europe
fondé par les responsables de la Cité.
Le sujet fut divisé en trois parties animées chacune par
un journaliste, avec un invité d’honneur et quatre ou cinq spécialistes
disposant de quelques minutes pour exposer un problème précis.
Après chaque partie les auditeurs furent invités à
poser, par écrit, des questions aux orateurs de leur choix. Une
Tribune a réuni en fin d’après-midi la plupart des participants.
Brice Lalonde, secrétaire d’Etat chargé de l’environnement
et de la prévention des risques technologiques et naturels majeurs
a prononcé une allocation de clôture.
La première partie fut animée par Jacques Paugam, journaliste
à FR3, avec comme président de séance Francesco
di Castri, président du programme Scope-Comité scientifique
mondial sur les problèmes de l’environnement. Intitulée
"Recherche et écologie", elle eut comme but de faire
le point sur les progrès scientifiques résultant des grands
projets européens et de donner une vision globale des équilibres
planétaires. A ce propos, le président a bien expliqué
d’entrée que si l’Europe pollue, plus de la moitié des
grandes difficultés rencontrées présentent un caractère
extraeuropéen donc planétaire, puis il n’en fut plus parlé,
sauf pour constater qu’il n’existe aucune instance au plan mondial pour
s’occuper de régler ces urgences. D’autres seront plus conséquents
comme on le verra plus loin.
Toutes les grandes pollutions qui nous menacent furent répertoriées
et l’on fit état des travaux, en particulier des mesures scientifiques
exécutées sous les auspices du projet européen
Eureka, de la Commission des Communautés Européennes et
du Centre National d’Etudes Spatiales. Francesco di Castri déplora
l’insuffisance des rapports entre scientifiques et politiciens évaluant
à 3 ou 5 % les propositions des premiers qui sont suivies d’effet.
On s’éleva jusqu’aux grandes interrogations philosophiques, pour
s’accorder sur la disparition des clivages entre physique et métaphysique
et l’on retomba ici et maintenant pour constater la difficulté
de contraindre les états de la CEE, par exemple à interdire
la fabrication de produits non biodégradables.
L’animateur de la seconde partie fut François Roche, rédacteur
en chef de "A pour affaires économiques", avec, comme
invitée d’honneur Simone Veil, ancienne présidente du
Parlement européen et actuelle présidente du Comité
Français pour l’environnement. On y parla d’une politique européenne
dans ce domaine ; pour conclure que, sur la centaine d’actes réglementaires
édictés depuis 1972-73, bien peu étaient réellement
appliqués. On y dressa le palmarès des bons élèves :
RFA, Pays-Bas et Danemark, des moyens dont la France, et des médiocres.
En réalité, le droit communautaire est ignoré de
la plupart des nations. Pour être applicables les directives européennes
doivent être ratifiées par les parlements nationaux. Dans
la situation présente, les sanctions ne sont nullement dissuasives.
II faudrait une Haute Autorité communautaire et un inspectorat
qui fonctionne, ce qui n’est pas le cas. Se référant aux
traditions différentes des états, notamment en matière
de démographie, Simone Veil se demanda si une synthèse
entre développement et environnement est possible ; pour se consoler
en plaidant que,sans la CEE, la situation serait pire...
Le début d’après-midi était consacré à
"Environnement : nouvel exercice de la démocratie"
et placé sous la présidence de notre ami Jacques Robin,
médecin, directeur de "Transversales Science-Culture"
(1). Les invités d’honneur étaient Michel Barnier député
RPR, rapporteur spécial du budget de l’environnement et Huguette
Bouchardeau député, ancien ministre, présidente
pour la France de l’Entente européenne pour l’environnement.
L’animateur fut André Dumas, journaliste à Europe 1. Robert
Picht, vice-président de la fondation européenne de la
culture à Amsterdam, reconnut la nécessité de revoir
nos modes de pensée. Hans Scheuer, de la Commission des Communautés
Européennes à Bruxelles, insista sur l’information et
l’éducation du citoyen européen. David Cabot, conseiller
spécial auprès du premier ministre irlandais, promit que
la présidence irlandaise de la CEE se terminerait avec une déclaration
majeure sur ces problèmes.
Jacques Robin ne manqua pas de s’interroger sur notre modèle
de croissance dont il craint le pire, surtout après 1992. II
fit bien la distinction entre l’écologie, science fondamentale,
et l’environnement, techno-science soumise aux aléas de la finance
et de la politique. Enfin, il évoqua l’exigence d’une écologie
planétaire et d’un changement économique, pour aller vers
une économie plus distributive.
Michel Barnier et Huguette Bouchardeau parlèrent des difficultés
de leur travail quotidien au Parlement. Le premier venait de déclarer
à la télévision, fin avril, que le combat contre
la pollution coûterait cher et que le pays ne pourrait pas le
mener sans un prélèvement important sur les dépenses
militaires.
Nous lui avons donc demandé s’il maintenait cette position, ce
qu’en pensaient ses amis politiques et ce qu’il pourrait faire concrètement.
A notre surprise, la question ne fut écartée ni par les
organisateurs, ni par l’intéressé. L’assistance fut sensible
au courage de Michel Barnier qui avoua s’être fait "engueuler"
par ses collègues de parti, mais se dit décidé
à poursuivre dans cette voie et prêt à proposer
un transfert de 5 % des crédits d’armement vers le budget de
l’environnement. Bravo, mais c’est une proposition malheureusement irréaliste
souvent avancée, jamais suivie d’effet.
Assises du mondialisme
Elles eurent lieu à la mairie de Tours, comme
nous l’avions annoncé, du 24 au 28 avril 1990. Au rythme de cinq
le matin et de cinq l’après-midi, une quarantaine de conférenciers
se sont succédé à la tribune. A partir de 18 heures
environ, un débat public clôturait la journée. Le
mardi 24 avril fut consacré à une conférence de
presse boudée par les journalistes, même locaux, puisque
seul Pierre Imbert de la "Nouvelle République du Centre-Ouest"
assista à la réunion. Aucun autre journal que celui-ci
et le "Courrier Français de Touraine" n’a assuré,
à notre connaissance une couverture convenable des réunions.
Claude Tellier, responsable du centrer tourangeau des Citoyens du Monde,
remarquable organisateur, remercia la municipalité menée
par Jean Royer de lui avoir donné l’hospitalité de la
Grande Salle des Fêtes de l’Hôtel de Ville. II prononça
une brillante allocution d’ouverture, mettant chacun des habitants de
cette planète devant ses responsabilités face aux menaces
de tous ordres qui l’assaillent.
Parmi les interventions du premier jour, citons celle du docteur Jacques
Mongnet de l’Association des Médecins français pour la
prévention de la guerre nucléaire, qui dénonça
la mainmise des militaires français sur l’économie de
la Polynésie. Yves Angelloz annonça que les prochains
"Jeux mondiaux de la Paix" qui doivent "vider les tribunes
et emplir les stades" auront lieu au Maroc, du 17 au 22 juillet
1990. Pierre Cochery du MURS (2) a traité de la responsabilité
des scientifiques, particulièrement en ce qui concerne l’arme
nucléaire. II s’est montré optimiste sur l’avenir des
relations entre les grandes puissances. Cette journée a été
marquée aussi par l’absence d’Edgar Morin qui devait traiter
de la "paix par la conscience planétaire" et surtout
la défection de Bernard Benson pour de regrettables raisons financières.
Roland Nivet du Mouvement de la Paix a dénoncé le maintien
des dépenses d’armement françaises. J.M. Lavieille de
l’Université de Limoges s’est attaqué au complexe scientificomilitaro-industriel
et a rappelé les sondages d’opinion favorables, en France, à
une réduction des crédits militaires. Bernard Maire a
évoqué la mémoire de son frère Gabriel,
prêtre et fondateur du Mouvement Populaire des Citoyens du Monde,
assassiné le 23 décembre 1989 à Vitoria (Brésil)
où il travaillait, dans sa paroisse, en faveur des déshérités.
II a demandé justice.
Le jeudi 26 était consacré au développement mondial.
Jean-Marie Fardeau, d’Agir ici, a parlé du sommet des sept pays
les plus pauvres et annoncé la fondation d’un observatoire international
permanent du développement et de la démocratie. Franco
Bettoli a rappelé l’existence d’EmmaüsInternational qui
a participé au financement des Assises.
Dorin Hehn, esperantiste roumain, s’est félicité de l’accession
de son pays à la démocratie et a fait part de sa crainte
d’une renaissance des nationalismes. Daniel Durand du Fonds Mondial
de Solidarité contre la Faim, création des Citoyens du
Monde et du Congrès des Peuples a précisé qu’il
s’agissait d’une institution transnationale et mutualiste d’aide ponctuelle
aux affamés du Tiers-Monde. Maribel Wolf de Terre des Hommes
a parlé de la démocratie en relation avec le sous développement.
Elle a très bien stigmatisé les informations partielles
ou fausses propagées dans les grands médias par des journalistes
carriéristes, donnant l’exemple du Panama où les bombardements
par les troupes des Etats-Unis avaient fait, proportionnellement à
la population, beaucoup plus de morts qu’en Roumanie, dans l’indifférence
presque générale des grands organes internationaux. Jeanne
Bisilliat a examiné la subordination des femmes en rapport avec
le sousdéveloppement.
Alexandre Marc a soutenu sa thèse fédéraliste intégrale
troisième voie nécessaire, d’après lui, entre le
capitalisme et le communisme. II a rappelé que Jacques Duboin
avait, le premier, dénoncé le régime économique
qui entraine la misère dans l’abondance, mais a cru nécessaire
de répéter ses préjugés contre le distributisme
(3). Thèses contre lesquelles nous nous sommes évidemment
élevés. Enfin Charles Loriant, président du Mouvement
vers une Autogestion Distributive a excellemment exposé aux mondialistes
pourquoi l’économie distributive était une alternative
crédible et incontournable. Au cours du débat et lors
d’une réunion des associations, le 29 avril, Charles Loriant
a fait état de son projet de banque de données interassociative
et interdisciplinaire avec un certain succès auprès des
responsables présents qui ont adopté une motion finale
de soutien.
Les interventions du 27 avril étaient placées sous le
titre général :"Sauvegarder la biosphère".
Alfreda Maruska, médecin lituanien, membre des "verts",
s’exprimant en esperanto a dit son opposition à l’industrie nucléaire
soviétique et aux bases aériennes. Pour "Nature et
progrès", Marc Trouilloud a dit son opposition à
l’agriculture chimique et Isabelle Totikaev d’Ecopora-France a déploré
la déforestation de l’Amazonie. La communauté Baha’ie
était représentée par Wytze Bos du Canada qui s’est
rallié au fédéralisme au nom de l’existence de
Dieu.
Un espérantiste de RFA, le docteur Günther, a rappelé
toutes les menaces qui pèsent sur notre terre et a lancé
un appel pour un meilleur contrôle global de l’environnement.
La présidente en exercice du Congrès des Peuples, Muriel
Saragoussi, chercheur à Manaus, a proposé un pacte amazonien
de sauvegarde.
Enfin Michel Beaud du groupe pour l’appel de Vézelay
a défini les réflexions du groupe sur les risques technologiques
majeurs, il a précisé les solutions à éviter
et les voies qui paraissent prometteuses. Michel Beaud tient aussi dans
"Le Monde" une rubrique intitulée "A travers les
revues". Malgré un échange de correspondances, il
n’a pas cru devoir faire la moindre allusion à notre publication.
Nous lui en avons demandé la raison et plus généralement
pourquoi les professionnels de l’information font le silence sur le
distributisme et le mondialisme. II nous a répondu qu’il n’était
pas journaliste mais universitaire, qu’il écrirait sur l’économie
distributive si, un jour, le thème général de sa
chronique s’y prête. II a ajouté qu’à son avis,
les journalistes attendent tous qu’un de leurs collègues aborde
les thèmes qui nous intéressent pour en parler eux-mêmes
!.. Cette réponse n’a pas modifié la piètre opinion
que nous avions déjà sur le sens de la responsabilité
des maîtres des médias dont le métier, capital en
régime démocratique, devrait être, en principe,
d’informer l’opinion aussi complètement que possible.
Le 28 avril, dernier jour des réunions publiques, nous avons
entendu Marie Serpereau du Groupe Français d’éducation
nouvelle parler de "Citoyenneté et savoir" et Alain
Raphestan, maire de Fussy (Cher), témoigner de son expérience
de premier magistrat de l’une des 950 communes mondialisées.
Badi Lenz a soutenu sa thèse d’une seconde chambre populaire
auprès de l’A.G. des Nations Unies. Alain Faure, président
d’Amnesty France, a expliqué la position de son association face
à la raison d’Etat.
L’après-midi, Guy Héraud, ancien candidat
à la présidence de la République, a donné
un aperçu théorique du fédéralisme, depuis
le maître Proudhon jusqu’à Denis de Rougement et des fédérations
locales jusqu’à la fédération mondiale. Les voies
et moyens du mondialisme furent dénombrés par Georges
Bernard, directeur honoraire de recherches au CNRS et membre du Mouvement
Universel pour une Fédération Mondiale. Et la séance
fut clôturée par Roger Wellhof, directeur du Registre International
qui a rappelé les raisons pour lesquelles l’enregistrement des
Citoyens du Monde reste nécessaire face aux dangers qui menacent
actuellement la vie sur Terre.
Mais celui qui retint évidemment l’attention des 450 personnes
présentes fut évidemment l’Abbé Pierre Grouès,
fondateur des Compagnons d’Emmaüs. II suscita l’émotion
parmi les plus anciens mondialistes, en rappelant la part prépondérante
qu’il prit au premier congrès de ce qui était alors le
Mouvement Universel pour une Confédération Mondiale à
Montreux, en 1947. II évoqua ses rencontres avec Lord Boyd Orr,
premier président de la FAO et avec Stringfellow Barr, auteur
de "Let’s join the human race" (Chicago 1950) ainsi qu’avec
Albert Einstein. II termina en stigmatisant les positions racistes,
face aux réalités de la démographie mondiale, et
en lançant un appel à la jeunesse pour qu’elle l’aide
à lutter contre la faim et la souffrance.
(à suivre)
(1) Voir nos blocs-notes
(2) Mouvement Universel pour la responsabilité scientifique. Président Jean Dausset Prix Nobel de médecine.
(3) Voir notamment "L’économie à l’Institut d’études mondialistes" GR n° 871 et Courrier des lecteurs, GR n° 874.
L’argent, mauvais maître
H.M. de Guérande (L.A.) est exaspéré d’entendre
répéter qu’il n’existerait aucun projet de société
susceptible de se substituer aux modèles connus et pratiqués.
Pour lui, cette absence de pensée novatrice vient de l’importance
donnée à l’argent dans toutes nos institutions.
"La civilisation de l’argent est et reste une civilisation de loups
furieux cherchant par la concurrence, à s’entretuer, où
l’homme entre en conflit constant avec autrui. Tout individu, s’il veut
survivre, a l’obligation de tromper son partenaire, de ruser avec sa
bonne conscience, de se faire courtisan, de prostituer son talent au
service de la plus pernicieuse des causes : celle de l’accumulation
des profits dans l’investissement, au bénéfice principal
d’une oligarchie.
N’est-ce pas, en conséquence, aller se perdre dans les voeux
pieux que d’en appeler après les idéaux de justice et
de paix, que de bâtir des plans de développement généreusement
humains, que d’espérer lutter de façon efficace et durable
contre la misère et la faim dans le monde en escamotant la nécessité
d’une opération chirurgicale dans les usages monétaires
datant de Babylone ? C’est le cadre économique, avec ses règles
défiant le sens commun, qui porte la responsabilité de
cette décadence de notre civilisation sur le plan morall et humain.
Infantilisé par les propagandes, absorbé par ses soucis
quotidiens, livré à un travail souvent sans attrait, l’individu
finit par se déspiritualiser, perdant toute chance de reconquérir
sa dignité. La finalité du progrès ne saurait être
ni la prospérité du commerce bancaire, ni l’enrichissement
d’une oligarchie, moins encore le règne d’une ploutocratie. Elle
doit viser avant tout la sécurité d’un revenu pour tous,
l’élévation constante du niveau des approvisionnements
utiles, après suppression des gaspillages et intelligente planisation
de l’emploi qualifié rendu à des tâches socialement
utiles et moralement saines, l’enrichissement du loisir, l’expansion
des activités libres, là où l’homme retrouve un
peu de sa dignité et l’occasion d’être considéré.
Enfin, une économie humaine, cela signifie encore l’établissement
d’un ordre hiérarchique fondé sur d’autres critères
que le gain, un ordre de valeurs honorables où le profit n’exerce
plus son dictat pardessus le besoin humain, où l’homme cultivé
acquiert la primauté sur le marchand analphabète, sur
le fripon enrichi.
C’est une civilisation où l’homme s’accomplit totalement, à
la fois pour luimême et au service du bien commun. Nous en sommes
fort loin.
(Ouest-France, 3 mai)
***
Redressement des grandes entreprises françaises
Les Grandes Entreprises auraient déniché la "recette
miracle" qui a permis une explosion de leurs bénéfices
depuis 1984. Pour l’essentiel, les mystérieux ingrédients
de cette panacée seraient : "Produire plus et gagner (beaucoup)
plus avec moins de salariés" ...
.. Conséquences : les bénéfices en 89 se chiffrent
à + 562 % (francs constants). La France est devenue troisième
investisseur mondial derrière la RFA. Le "Financial Times"
tresse une couronne de lauriers au président Mitterrand sacré
pour la circonstance "meilleur monétariste".(...) "Qui
a été le plus disposé à accepter un taux
de chômage élevé afin de débarrasser son
pays du fléau de l’inflation". (...) Entre 88 et 89 la masse
monétaire n’a augmenté que de + 53 % en France pour 142
% en GrandeBretagne. Le "Financial Times" souligne en outre
que : "Le gouvernement socialiste de Mitterrand n’a permis une
augmentation réelle des salaires que de moins de 6 %, pendant
la même période le gouvernement (ultra-libéraliste)
de Madame Thatcher aura concédé 20 %".
(Courrier Picard du 21 avril, transmis par J.M.N., Neuilly-sur-Seine)
***
Partager le travail, solution au chômage
Etienne Vignon n’en doute pas. Les économies occidentales sont
dans un cycle durable de sous-emploi, du fait de l’amélioration
constante de la productivité et des rigidités du marché
de l’emploi, notamment sur le plan salarial."On produit de plus
en plus d’exclus quand la richesse s’accroit’ note-t-il avec un certain
pessimisme.
Présent à Angoulême, ce week-end pour une conférence
devant le mouvement des cadres chrétiens, l’ingénieur
en retraite a défendu le point numéro un de sa thèse
: c’est par le partage et l’aménagement du temps de travail que
le pays peut sortir de la spirale négative qui condamne plus
de deux millions de personnes à l’inactivité.
Partager le travail implique une réflexion sur le rôle
social de chacun et son utilité dans l’entreprise. Etienne Vignon
n’hésite pas à dire qu’on peut souvent se passer du plus
indispensable des salariés ou des employeurs. Si le partage du
temps de travail implique aussi un partage des revenus "cela peut
être compris
de chacun" le gisement d’emplois à exploiter se trouve aussi
dans les services marchands et non marchands, dans les "aides à
la personne", les activités d’accompagnement scolaire, etc...
Pour l’auteur de "Le travail demain, un privilège ? ",
les blocages sociaux qui paralysent ce type de réforme nécessitent
"un vrai changement de mentalité" et un "acheminement
différent des revenus". A noter que Georges Chavanes, ancien
collègue d’école préparatoire de Georges Vignon,
a préfacé son ouvrage.
(Charente Libre du 14 mai, transmis par M. D. Angoulême)
NDLR : Partager le travail ne suffit pas. II faut aussi solvabiliser les consommateurs et décourager la spéculation.
***
Le Japon au secours du Baugeois
La signature en septembre dernier, dans la grande salle du château
de Baugé, de l’acte de vente, par la municipalité, de
200 hectares au groupe japonais Ogisaka, pour la réalisation
d’un golf, d’un plan d’eau et d’un complexe hôtelier, est lourde
de symboles et préfigure peut-être ce que nous réservent
les années à venir. Le Baugeois est le "pays"
de Maine-etLoire le plus menacé par la dépopulation et
la désertification. Région de tradition et d’élevage
extensif, son avenir agricole est condamné et la politique européenne
de `jachère" la menace particulièrement.
Par contre, géographiquement, le Baugeois a des atouts extraordinaires.
A mi-chemin entre la capitale et la côte atlantique, à
quelques lieues des châteaux de la Loire, il est traversé
par l’autoroute Océane, par le TGV qui s’arrête au Mans
et Angers, et, dans les années à venir, l’aéroport
de Seiches-Marcé sera à deux pas.
En achetant les 200 hectares des Bordes et du moulin de Fougère,
sur les communes de Baugé et Pontigné, au prix de 22.000
F. l’hectare, ce ne sont pas 60 hectares de terres agricoles et 140
de marais qui, au prix du marché, valaient beaucoup moins, que
le groupe Ogisaka a acquis, mais un espace dont la topographie convient
aux loisirs, et qui en même temps est magnifiquement desservi.
Nous sommes donc en présence d’un phénomène nouveau,
mais qui risque de se généraliser dans nos belles campagnes,
à savoir, le remplacement de l’espace agricole par des espaces
de loisirs. Et comme par hasard, c’est un groupe venu de la première
puissance financière du monde qui choisit de venir y investir.
Là où Angers vient d’échouer pour un projet industriel
(Subaru), Baugé réussit avec un projet de loisirs. Toute
une région applaudit.
(article de la revue trimestrielle l’Anjou, transmis par J. G. , Tours)
L’article de Henri Muller (1) publié dans "Départements
et Communes" de l’Association des Maires de France a été
transmis à Alain Carignon, Maire de Grenoble, ancien Ministre,
par un de nos amis qui a reçu la réponse suivante
"J’ai pris connaissance avec beaucoup d’attention de votre correpondance
à laquelle était joint un article de presse très
intéressant exposant l’idée originale et conviviale de
Monsieur Henri Muller.
Comme vous-même, je suis extrêmement sensible aux nombreux
problèmes de notre société parmi lesquels figurent
celui des excédents alimentaires et du chômage ; et pour
apporter une solution à ces maux, il est important de coordonner
sur le plan pratique des initiatives positives telles que celles proposées
dans cet extrait.
J’ai donc transmis à mon Adjointe Chargée des Affaires
Sociales et de la Solidarité, Mademoiselle Geneviève Tchidemian,
copie de votre courrier et de la coupure de presse en la priant de bien
vouloir accorder une étude très sérieuse à
ces différentes réflexions.
En vous remerciant pour la confiance que vous me témoignez...
"
Nos camarades de l’Isère aideront certainement Alain Carignon
à se souvenir de cette lettre.
(1) Voir GR n° 889, page 13
Les bouleversements successifs qui ont eu lieu en URSS et dans les pays de l’Est ont pris de court nos politologues ou économistes distingués. Bien malin, en effet, serait celui qui pourrait prédire aujourd’hui comment vont évoluer ces pays sur lesquels souffle un vent de liberté. Car aux problèmes économiques s’ajoutent les conflits nationaux, religieux, culturels, lesquels sont parfois exacerbés par les difficultés quotidiennes qui incitent à chercher des boucs émissaires.
Souhaitons que M. Gorbatchev utilise ses pouvoirs présidentiels dans la bonne direction et ne sombre pas dans un dirigisme néostalinien. La façon de traiter le problème de l’indépendance de la Lituanie aura, à cet égard, valeur de test.
La mutation du communisme totalitaire vers une économie de marché, sans restauration d’une sorte de "capitalisme libéral", représente un difficile numéro d’équilibrisme. Et l’on peut être inquiet sur la remise à flot d’économies exsangues, sauf à envisager une sorte de nouveau plan Marshall. Car l’expérience de l’endettement des pays sousdéveloppés nous prouve qu’il ne suffit pas d’octroyer des crédits pour rétablir un sacro-saint équilibre. Les pays endettés peuvent déjà à peine rembourser les intérêts des emprunts contractés, au détriment du niveau de vie des peuples ainsi pressurisés par les financiers internationaux.
Mais cette situation interpelle aussi les distributistes, ou tous ceux qui dans la classe politique répètent à satiété comme des perroquets les mots "égalité, solidarité" et se donnent bonne conscience avec l’instauration du RMI qui n’est pourtant qu’une bien modeste aumône, et ne règle ni le problème de l’insertion, ni celui de la pauvreté. Les statistiques le prouvent, les inégalités s’accroissent.
Dans mon article sur "le communisme en question"
(1), je suggérais une évolution vers une économie
distributive mixte, et la rédaction de notre périodique
me demandait de préciser ma pensée.
Le problème qui nous est posé est simple. Les thèses
de l’économie distributive se résument brièvement
ainsi : remplacement du travail actuel par un service social pour tous,
abolition du salariat par l’octroi d’un revenu social égal pour
tous, remplacement de la monnaie actuelle par une monnaie de consommation
non thésaurisable gagée sur la production, financement
des investissements par les collectivités, suppression des impôts,
la monnaie étant émise proportionnellement à la
production, ce qui évite de prendre aux uns pour donner aux autres.
Or quand on connait la complexite des rouages économiques actuels et du système financier capitaliste marchés financiers, spéculation boursière, taux d’intérêt, taux de change, etc... croire qu’on pourra changer un système aussi complexe pour le remplacer immédiatement par une économie distributive idéale relève de l’utopie. Et c’est donc bien naturellement qu’il faut envisager une période transitoire où cohabiteront forcément des rouages de l’ancien système et des mesures distributistes qui permettraient de s’orienter progressivement vers l’économie distributive, d’où cette expression "économie distributive mixte".
La Grande Relève de juillet 1989 a inséré, par exemple, un article de Guy Denizeau sur la "monnaie verte" qui permettrait de distribuer les produits de consommation excédentaires. Nos camarades du Mouvement pour l’Autogestion Distributive ont publié en septembre/octobre 1987 un numéro spécial sur les alternatives monétaires, rappelant les expériences de Wôrgl (Autriche) en 1931/1932, et de Lignières-en-Berry en 1956/1957.
De même, les travaux de l’OURS (Office Universitaire de Recherche Socialiste) (2), publiés dans son n° 186 de janvier 1988 sur la "contribution à une réponse au défi du chômage" n’ont, à mon avis, pas reçu l’accueil qu’ils méritaient.
Partant de la nécessité du partage du travail, les auteurs abordaient le problème du partage des revenus. Les salariés acceptant le travail à mi-temps recevraient un salaire proportionnel à ce temps, plus un deuxième chèque représentant un salaire technologique d’environ 40 du salaire perdu, proportionnel au travail des machines. Le financement serait assuré par une redistribution du budget chômeur, complété par une contribution sociale. Selon les auteurs, 30 % de salariés à mi-temps permettraient de résorber le chômage. Sans doute, le passage à l’économie distributive serait préférable, mais pourquoi ne pas tenter, à titre transitoire et expérimental, cette formule de partage du travail et du deuxième chèque ?
Si l’on nie la nécessité de cette période
transitoire, qu’on indique alors clairement comment on peut passer subitement
d’une économie mercantile à une économie distributive
? J’avais déjà écrit un plaidoyer "pour une
adaptation de nos thèses" qui n’a rencontré qu’incompréhension
(3). Mais je n’ai reçu aucune réponse satisfaisante sur
les modalités transitoires d’un passage à l’économie
distributive. Puisque nous sommes à l’époque des sondages
d’opinion, je joins ciaprès un questionnaire destiné aux
lecteurs et abonnés de la Grande Relève. Je souhaite qu’ils
soient nombreux à y répondre.
Je crois que si nous voulons progresser et développer nos thèses
dans l’opinion publique, il faut absolument pouvoir répondre
aux questions sur cette période transitoire inévitable
(4).
(1) Voir GR n° 887
(2) OURS, 86, rue de Lille 75007 Paris,tél. 45 55 08 60
(3) Voir GR n° 838
(4) NDLR - La G.R. n’ a jamais esquivé ce débat, comme
en témoignent de nombreux articles.et il n’a jamais été
question d’instaurer l’E.D. tout de suite. Le sondage est en ce sens
un peu piégé par son auteur.