Recherche
Plan du site
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 891 - juillet 1990 > De Gaulle, le plagiaire

 

Le site est passé à sa troisième version.

N'hésitez-pas à nous transmettre vos commentaires !
Merci de mettre à jour vos liens.

Si vous n'êtes pas transferé automatiquement dans 7 secondes, svp cliquez ici

Éditorial

De Gaulle, le plagiaire

par J.-P. MON
juillet 1990

La Directrice de la Grande Relève étant en mission aux Etats-Unis, j’ai la redoutable mission de préparer cet éditorial. Je l’entreprends donc ce Dimanche 17 juin. Comment en un tel jour ne pas penser avec le battage fait par la radio, la presse, la télé,... que c’est demain le cinquantième anniversaire du célèbre appel lancé de Londres par de Gaulle. Belle occasion pour tous ses thuriféraires (et ils sont nombreux !) de rivaliser de zèle pour nous chanter ses mérites, quitte quelquefois à bousculer un peu la réalité, certain n’hésitant même pas à truquer des photos dans le plus pur style stalinien (voir l’article de Suzanne Bidault dans le Monde du 16 Juin).
Moi, quoi qu’aît pu dire Malraux "tout le monde est, a été ou sera un jour gaulliste’) je n’ai jamais aimé de Gaulle. Car comme le dit un chant bien connu, mais qui actuellement sent le soufre, "il n’est pas de Sauveur Suprême, ni Dieu, ni César, ni Tribun..."Bien sûr, le génie militaire du grand homme est mis en avant. N’est-ce pas lui qui , en effet, avait proposé dans son livre "Vers l’armée de métier" l’emploi massif des chars ?
De Gaulle est un plagiaire. L’idée n’est pas de lui mais du général Estienne, relayé dès 1922 à la Chambre des Députés par un jeune parlementaire qui avait servi sous ses ordres à la fin de la "Grande Guerre"., Jacques Duboin.
La séance du 14 Mars 1922 était consacrée à la discussion du projet de loi sur le recrutement de l’armée proposé par le Ministre de la Guerre, André Maginot (celui de la Ligne !). Après l’exposé du rapporteur général, Jacques Duboin pris rapidement la parole : "Vous nous demandez donc, monsieur le ministre, un crédit d’hommes, mais vous ne nous dites pas quel effort vous avez accompli jusqu’ici pour économiser ces hommes, ni celui que vous projetez pour économiser éventuellement leur sang. Avez-vous tout au moins essayé de moderniser l’armée ?’
Il ne saurait être question de donner ici l’intégralité des débats. Je me bornerai à en rappeler les points forts. (Ceux que cela intéresse pourront consulter le Journal Officiel, Débats parlementaires n° 30 du 15 Mars 1922., p. 784 à 788.) " II faut que la guerre puisse aussi rapidement que possible être transportée sur le territoire de ceux qui nous attaquent, ....
Une grande transformation domine la dernière guerre : l’intervention du moteur mécanique dans les transports d’abord, puis, par l’emploi de la chenille sur le champ de bataille comme arme de combat. C’est cette arme puissante et nouvelle qui a permis de terminer la guerre un an plus tôt. Ce sont les Allemands eux mêmes qui le disent.
Je demande où est l’effort du gouvernement pour moderniser l’armée. Comment expliquer dans le projet de loi la présence encore de 157.000 chevaux et de 67 régiments de cavalerie. Je ne vois même pas la création d’une direction de cette arme nouvelle : les chars de combat."
A un certain M. de Rougé qui lui demande comment on fera passer les armées quand les routes et les ponts auront sauté, J. Duboin répond : "A travers champs, mon cher collègue. Mais je vois que vous suivez mal,la discussion, car c’est précisément pour cela qu’il faut des véhicules à chenilles affranchis des routes."
Après avoir fait allusion à la marine à voile et à son remplacement par la marine à vapeur, vient la réplique célèbre : "Vous m’avez demandé ce qu’était une armée moderne. Je vais essayer de vous en donner une définition. Une armée moderne, c’est une armée qui se reconnait à l’odorat : elle sent le pétrole et ne sent pas le crottin. C’est une armée où le moteur mécanique joue le principal rôle."
Mr le rapporteur général : "Les idées exposées par notre collègue Duboin méritent d’être écoutées. II peut apparaitre ici peut-être comme unprécurseur, mais ce sera le seul reproche que l’on pourra lui adresser. 11 va beaucoup trop vite. Le problème qu’il signale à votre attention est difficile à résoudre. Vous ne pouvez pas faire des transformations brutales du jour au lendemain, supprimer le cheval et ne plus employer que des machines sans passer par une période de transition..."
Comme on le voit , J. Duboin que l’on voulait bien considérer comme un précurseur, était tout de même accusé d’aller trop vite. L’histoire lui a pourtant donné raison. C’est encore ce qu’on lui reprochera plus tard dans le domaine de l’économie ! Mais revenons au débat du 14 Mars 1922. Après avoir rappelé que les Allemands sont, eux, tout à fait conscients de la nécessité de disposer de chars pouvant se déplacer très rapidement, J. Duboin demande que l’armée française dispose surtout d’une grande mobilité, "parce que c’est la mobilité qui permet la surprise ; ’
Nous noterons au passage ce que certains appelleront encore le penchant "utopiste" de J. Duboin, lorsqu’il déclare : "Je demande également que nous fassions tous nos efforts pour que, si nous possédons cette force, nous arrivions à l’internationaliser et à la mettre à la disposition de la Société des Nations, car alors, messieurs, la paix du monde est assurée."
Et enfin sa conclusion : "Quand on veut moderniser une industrie, la première modification que l’on opère consiste à la "moteuriser". Eh bien, pour l’armée, c’est la même chose. La moderniser, c’est la "moteuriser"."
Tout cela a certainement dû interesser fortement le capitaine de Gaulle qui, en 1922, était stagiaire à l’Ecole Supérieure de Guerre, après avoir été, en 1 921 , professeur-adjoint d’histoire à Saint-Cyr. Comment en effet supposer qu’il n’ait pas eu connaissance, dans les fonctions qui étaient, à ce moment les siennes, du débat sur le projet de loi sur le recrutement de l’armée et l’organisation de la Défense Nationale ? II ne fait donc aucun doute que de Gaulle connaissait ce texte lorsqu’il écrivit "Vers l’armée de métier".
Reconnaitre le rôle de précurseur de J. Duboin n’aurait pas porté trop ombrage à la gloire du grand Charles !
Les grands ont décidément de ces mesquineries...

^

e-mail