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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 838 - octobre 1985

 

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N° 838 - octobre 1985

Parallèles   (Afficher article seul)

1985   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

Cancer généralisé   (Afficher article seul)

Les années lourdes   (Afficher article seul)

Lettre ouverte à Mikhail Gorbatchev   (Afficher article seul)

Actualité de l’Abondancisme : l’utopie   (Afficher article seul)

Ne nous laissons pas miniaturiser !   (Afficher article seul)

Aujourd’hui une révolution monétaire, Demain une révolution économique ?   (Afficher article seul)

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Editorial

Parallèles

par M.-L. DUBOIN
octobre 1985

Il devient très difficile de trouver un quotidien qui n’annonce pas de nouvelles suppressions d’emplois, au point que la grande relève de l’homme par le robot, dans pratiquement toutes les tâches, commence à être un fait reconnu. Mais quand, partant de ce fait, on explique qu’il va bien falloir qu’on s’organise pour travailler moins (et nous, nous ajoutons : pour que les robots travaillent pour nous tous), on se heurte à des habitudes séculaires, voire millénaires, qui ont fait du travail une raison d’être  !... Qu’il est difficile alors dé faire admettre que ne plus être oblige, pour gagner son pouvoir d’achat, d’aller tous les jours accomplir une tâche précise et imposée, ne signifie pas n’avoir plus rien à faire !
Ceci est tellement nouveau, et parait donc si étrange, que beaucoup de gens répliquent avec conviction que dans une economie distributive, (c’est-à-dire gérée de façon à partager le travail qui reste entre tous, et en donnant à tous un pouvoir d’achat croissant avec la production,) tout le monde s’ennuierait abominablement et, par conséquent, se mettrait à boire ou à se droguer.
Evidemment, rien ne prouve de telles affirmations. On peut montrer, au contraire, qu’il existe une foule d’activités, susceptibles de procurer d’immenses et saines satisfactions, mais qui nous sont actuellement interdites dans ce système economique, parce que « non rentables ». Il est d’autre part fort probable que le nombre et la diversité de ces occupations ne pourraient que croître dans une societe qui pourrait se donner les moyens de consacrer à l’enseignement et à la recherche une part de son activité beaucoup plus importante qu’aujourd’hui.
Mais n’essayons même pas de spéculer sur ce qui serait ou ne serait pas dans d’autres condi tions. Regardons la réalité.

***

Côté Est, on vient d’apprendre que le gouvernement de l’URSS a pris d’énergiques et sévères mesures pour essayer de diminuer la consommation d’alcool. Je n’ai plus en mémoire les chiffres publies alors sur la consommation de Vodka par les soviétiques, mais cela ne m’a pas semble être l’indice que la majorité d’entre eux soient tellement «  bien dans leur peau ».
Côte Ouest, est-ce mieux ? Un hebdomadaire americain, FORTUNE, a publie en juin dernier une enquête édifiante de huit pages sur un aspect trop méconnu de cette société qui s’enorgueillit d’avoir des cadres tellement dynamiques et si hautement compétitifs... Sous le titre « Traînée de poudre à Wall Streat », LE MONDE du 16 Août a resumé cette enquête :
« Cocaïne, médicaments divers, voire héroïne, les drogues ont frappé le monde des affaires comme une tempête », dit le directeur d’une chaîne d’hôpitaux spécialisés dans la désintoxication. Il assure avoir constaté depuis cinq ans une augmentation de 100 du nombre des dirigeants de haut niveau venus le consulter.
Les raisons de cette traînée de poudre ?... Dans leurs fonctions, les qualités prêtées notamment à la cocaïne - « défonce » favorite des boursiers et des managers - leur paraissent d’autant plus attirantes : confiance en soi accrue, absence de scrupules, résistance au stress, etc...  »
Ces qualités tant recherchées font donc l’affaire des revendeurs de drogue qui se « recrutent, eux aussi, précise l’hebdomadaire américain, dans les rangs des managers de très haut niveau. Ainsi du Président d’une des cinq cents premières entreprises cotées à la Bourse de New-York. Il organise, selon un témoin cité par la revue, après ses réunions de travail, à l’hôtel Plaza, pour des clients privilégiés des parties décrites en trois mots : limos, bimbos and lines (limousines, filles et lignes (de cocaïne)...
Enfin, la pratique s’est à ce point répandue... qu’on trouve à Manhatta, dans les boutiques spécialisées dans les articles pour drogués ( !) la panoplie de parfait cocaïnomane... vendue dans une élégante pochette ».
L’enquête explique qu’il n’est pas facile de déceler, au début, les cadres qui se droguent, car « le premier symptôme, la paranoïa, ne les distinguent pas toujours aisément de leurs pairs ». LE MONDE rapporte que cette situation devient désastreuse pour l’entreprise qui emploie ces cadres. Et pas seulement à cause de la difficulté de les déceler au début, puis de les amener à accepter une cure de désintoxication. Non, l’embarras de ces entreprises, explique l’enquête, est que « cette défonce n’a pas pour elle que des inconvénients. Les cadres drogués à la cocaïne sont aussi souvent, du moins jusqu’à un certain point, des intoxiqués du boulot. Certains employeurs, surtout à la Bourse, note FORTUNE non sans quelque embarras, ont une attitude ambiguë face à ce problème, redoutant de voir leurs meilleurs éléments, une fois désintoxiqués, perdre leurs « qualités ».

***

Voici donc la réalité : deux systèmes actuellement existent ; dans l’un, la population noie sa peur du goulag dans la vodka, dans l’autre, on se « défonce » pour être plus compétitifs. Allons, ces deux systèmes qui s’opposent ne nous apportent-ils pas la preuve qu’un autre, fort différent des deux, pourrait difficilement être pire !

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1985

par R. JULLIEN
octobre 1985

Date anniversaire. Chaque année nous avons de nombreuses dates à commémorer. Et pas des moindres pour le 40e anniversaire. 8 Mai : fin de la guerre en Occident ; 26 Juin  : signature de la Charte des Nations Unies ; 2 Septembre : fin de la guerre dans le Pacifique ; 24 Octobre : création des Nations Unies.
Et bien sûr les deux dates fatidiques pour lé monde entier, les 6 et 9 août 1945. Les bombardements atomiques d’Hiroshima et Nagasaki par les Américains ont commencé une ère nouvelle. Ce fut le début de la course.
Ce sont les Américains qui sont partis les premiers, suivis de près par les Russes (premier essai en 1949). La France vient en troisième position (13 février 1960) et la Chine qui la talonne (16 octobre 1964) en quatrième place. L’Angleterre lance son premier sous-marin en 1966. D’autres Etats se lancent dans la course : l’Inde le 17 mai 1974 fait son premier essai ; Israël a sans doute la bombe mais mystère... Quant à l’Afrique du Sud toutes les suppositions sont possibles après les observations soviétiques (1977) et américaines (1979). Ces dernières

ont révélé un éventuel essai. Parmi les autres concurrents potentiels, on trouve deux groupes : ceux qui ont la possibilité mais qui ne souhaitent pas, pour l’instant, participer, parmi lesquels on peut citer le Canada, le Japon, l’Autriche, les Pays-Bas et la plupart des pays européens de l’Est comme de l’Ouest. Le second groupe étant formé de ceux qui ont la possibilité et qui s’échauffent pour pouvoir sprinter. Ces pays sont tous issus du Tiers-Monde et certains d’entre eux sont en guerre depuis longtemps  : l’Iran et l’Irak entre autres auxquels s’ajoutent les Philippines, le Pakistan, Taïwan, la Corée du Sud pour l’Asie, le Brésil et l’Argentine pour l’Amérique du Sud et la Libye pour le continent africain.
Vous voyez bien que malgré l’atrocité des conséquences d’une guerre nucléaire le monde est prêt. Il est prêt à finir sa course dans un bouquet final rayonnant non pas de joie mais de particules de mort.
Pourquoi les Etats se lancent-ils dans cette horreur ? Pourquoi les peuples cautionnent-ils par leur silence la possible destruction de l’humanité toute entière ?
Peut-être ont-ils oublié ? Peutêtre sont-ils inconscients  ? Alors il est important de leur rappeler quel est encore le sort de nombreux Hibakusha, les survivants, quarante ans après. Quelle fut la réalité de cet événement dont on n’a peur de recueillir des informations que trente ans après  ? Les Japonais ont acheté mètre par mètre les pellicules des archives américaines. C’est ce rôle d’information que s’est donné l’Institut Hiroshima-Nagasaki.
Pour cette année, il commémorera cette date par la publication en octobre d’un livre album anniversaire dans lequel artistes ; écrivains, scientifiques, philosophes, vont écrire sur ce thème historique. (Une souscription est ouverte pour aider au financement de cet ouvrage).

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Au fil des jours

par J.-P. MON
octobre 1985

Les vacances n’ont pas arrange nos economistes de choc  !
Le « premier » tout d’abord (vous avez reconnu Raymond Barre, j’en suis sûr !) a déclaré à « Nice Matin » le 9 septembre : « Les Français paient aujourd’hui ces idees fausses selon lesquelles on peut gagner plus en travaillant moins et réduire le chômage en partageant le travail...
Les pays où il y a le moins de chômage, le Japon ou la Suisse, sont ceux où la durée du travail demeure la plus longue... Le meilleur moyen de faire reculer le chômage, c’est que les Français travaillent plus. » L’autre rigolo, bien connu lui aussi, c’est Alain Minc qui a péremptoirement déclaré au cours de l’Université d’été organisée par St Gobain sur le thème « Jeunes d’aujour
d’hui et Entreprises de demain » « Nous ne sommes pas près de retrouver une croissance digne de ce nom parce que nous vivons une crise de la productivité, du fait de la part de plus en plus importante des services dans le PNB et que nous enregistrons un coût prohibitif de travail. Une baisse de 10 % du pouvoir d’achat pourrait nous faire repartir. » (Où ? il ne nous le dit pas !). L’un et l’autre oublient, ou plutôt n’osent pas penser, qu’on n’a presque plus besoin de travail humain pour produire des biens agricoles ou industriels et qu’il en faudra de moins en moins dans les services grâce aux progrès de la bureautique. (C’est pourtant au cours de cette même Université d’été que l’ancien ministre de Giscard, André Giraud, soulignait l’apparition d’un changement important, la multiplication des « esclaves » - après les esclaves mécaniques, les esclaves électroniques et bientôt biologiques - un ministre japonais lui aurait même dit que « demain, un logiciel permettra de fabriquer des logiciels  »). Comme quoi nos economistes distingués « ont des yeux mais ne voient point ! »

***

L’été a aussi été fertile en catastrophes de toutes sortes, et notamment aériennes. On peut d’ailleurs se demander si la « déréglementation  » si chère aux soi-disant libéraux n’y est pas pour quelque chose. C’est ainsi qu’on vient d’apprendre que la FAA (Federal Air Agency), un organisme officiel americain qui serait en gros l’équivalent de notre Direction du transport aérien, mène depuis le mois de juin une enquête afin d’examiner les procédures de maintenance et de sécurité en usage à American Airlines (deuxième compagnie américaine). Cette initiative a été prise à la suite de divers incidents mettant en cause des avions de cette compagnie (perte d’un moteur en vol par un Boeing 727 et découverte dans l’aile d’un DC-10 de pièces en plastique substituées aux éléments métalliques d’origine). La FAA a requis une pénalité de 375.000 $ pour ce remplacement « ose ». Elle n’écarte pas la possibilité que les conditions d’entretien de la flotte d’American aient pû être affectées par la très rapide croissance (de 18 à 25 % par an) de la compagnie depuis la mise en vigueur de la déréglementation, croissance qui lui vaut les faveurs de Wall-Street. Résultats de l’enquête fin septembre.
Toujours aux Etats-Unis, un avion de la compagnie Vieques Air Links s’est abimé en mer au décollage de Porto-Rico, causant la mort du pilote et des passagers. La Commission Nationale de Sécurité des Transports a note que : - l’organisation des vols par la compagnie était inadaptée, - le pilote qui était aux commandes n’était pas qualifie et ne possédait pas de licence de transport, - les employés de l’aéroport de Porto-Rico n’avaient pas suivi les procédures pour s’assurer qu’il n’y avait pas d’eau dans le fuel, - enfin que le contrôle de la compagnie par la FAA était inefficace. La Commission de Sécurité estime que la compagnie Vieques Air Links a commis ces négligences pour des raisons de profits.
En Grande Bretagne, selon le Sunday Express, des pilotes ayant utilise précédemment le Boeing 737 qui s’est écrasé à Manchester auraient signale certains ennuis techniques et, d’après l’Observer, une inspection inadéquate du matériel serait à l’origine de l’accident. La compagnie British Airways dont la British Airtours, propriétaire de l’avion qui s’est écrasé, est une filiale et qui vient d’être récemment dénationalisée, n’a fait aucun commentaire.

***

Le gouverneur de l’etat du Maryland a décidé le 23 août dernier une suspension de soixante jours des retraits effectues dans une nouvelle caisse d’épargne de l’etat, suite à une vague de retraits massifs. C’est le quatrième établissement bancaire de l’etat du Maryland qui connait des suspensions de retraits. Mais ce n’est là qu’une péripétie à côte de la crise qui affecte le système bancaire agricole americain. Selon un correspondant du « Monde » aux Etats-Unis (Le Monde du 10 septembre), « le système fédéral americain de credit agricole, détenteur de la plus grande partie de la dette des fermiers des Etats-Unis, réputé depuis l’entre-deux-guerres comme etant un système financier « plus solide que l’or  », est dans une situation telle qu’il appelle à l’aide l’administration fédérale... Les difficultés que connait le Federal Farm Credit System dépassent de beaucoup celles qu’a connues en 1984 la banque Continental Illinois de Chicago qui n’a dû son salut qu’à une aide du gouvernement fédéral de 4,5 milliards de dollars. Alors que les actifs de cette banque étaient de l’ordre de 40 milliards de dollars, ceux du credit agricole sont environ de 74 milliards en prêts dont au moins 15% peuvent d’ores et déjà être considérés comme non recouvrables ; c’est donc pour une somme de 11 milliards de dollars que le Federal Farm Credit System fait appel au gouvernement. » C’est une belle épine dans le pied de Reagan qui veut toujours réduire les subventions accordées à l’agriculture au nom du libéralisme economique. Ce n’est pas ça qui va arranger le déficit americain. Le secrétaire d’etat à l’agriculture déclare : « toutes les options sont ouvertes, nous gérons le système au jour le jour en attendant

de disposer de tous les éléments nécessaires pour prendre une décision. » Certains experts estiment qu’il y a dans l’endettement excessif des agriculteurs, incapables d’honorer leurs engagements après quatre années de mévente, un risque plus grand pour le système americain de credit que celui représenté par la dette du tiers-monde.
Si j’étais un agriculteur français, avant de voter pour Giscard, Barre ou Chirac, tous plus grands admirateurs les uns que les autres de Reagan et de sa soi-disant economie libérale, je réfléchirais un peu !

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Cancer généralisé

par A. PRIME
octobre 1985

Ce n’est pas du nez de Reagan qu’il s’agit, mais bien du régime dont le Président du plus puissant et plus riche pays du monde s’est fait le champion - à vrai dire rétrograde - : le capitalisme en crise.
« Faites vos jeux... rien ne va plus », comme à la roulette.
La Grande Relève le démontre constamment dans ses colonnes. Mais, au sortir des vacances, après que l’affaire Grégory, le Tour de France, la querelle Jospin- Fabius, le sida, le Greenpeace, la cohabitation, la Nouvelle- Calédonie, l’apartheid aient occupé en force les médias, il n’est pas indifférent de faire le point de l’économie dans le monde : la réalité, têtue, s’avère de plus en plus différente de ce qu’espéraient encore il n’y a guère longtemps les chantres du capitalisme, alias les experts, les hommes politiques ou les chefs d’entreprise eux-mêmes.
A tout seigneur,- tout honneur les Etats-Unis.
Après deux années d’euphorie - 2 années seulement  ! où sont les 30 glorieuses ? - c’est à nouveau le pessimisme.
" La croissance, de plus de 10% au premier trimestre 1984, était tombée à 0,3 % au premier semestre 1985. Le 2e trimestre a été « meilleur » : 2 % (en rythme annuel 1,1 %) mais grâce - voir Le Monde du 2 août - à l’augmentation des commandes militaires en juin : + 25 %. Meilleur quantitativement, car, qualitativement, c’est moins bon : le profit des entreprises a diminué. C’est sans doute pour cela qu’ATT s’apprête à supprimer 24 000 emplois.
L’objectif pour l’année (4 % au budget) déjà revu en baisse à 3 %, ne sera pas atteint, selon les experts qui tablent sur 2 %. A ce niveau - problématique - il manquera donc 2 points sur les prévisions qui ont servi à calculer les recettes budgétaires. Les dépenses 1985 n’étant pas réduites, le déficit pourrait, selon R. Priouret, atteindre 220 milliards de dollars. Dans ces conditions, il est peu probable que les taux d’intérêt baissent de manière significative, car le gouvernement US devra continuer à drainer l’épargne dans le monde entier pour subvenir à ses emprunts, l’épargne américaine étant depuis des années insuffisante. Mais le résultat devient de plus en plus aléatoire depuis la baisse du dollar (20 %) amorcée en février 1985. Les capitaux recherchent des monnaies plus stables pour éviter les pertes en capital : mark, yen, voire livre.
" Le commerce extérieur : l’effet boomerang d’un dollar cher atteint cette année son point culminant. Le déficit du commerce extérieur sera de 150 milliards de dollars, peut-être 170, contre 120 en 1984 et 2T seulement en 1981, chiffre fantastique jamais atteint. Bravo pour votre politique monétariste M. Reagan  : on doute que les « reaganomies » passent à l’histoire comme un coup de génie.
Le marché US absorbe actuellement 35 % des exportations du Japon, ce qui fragilise l’économie de ce pays : le boomerang pourrait s’inverser. Mais la baisse du dollar, si elle perdure, ne permettra de renverser la vapeur que dans 2 ans au mieux. Présentement, du fait du niveau élevé des importations (pour la première fois, en 1984, dans le pays de la « High technology » - ô scandale, ô stupeur - la balancé des matériels électroniques est déficitaire), la croissance industrielle stagne, malgré les fabuleux marchés militaires. Si le flux s’inverse avec la baisse du dollar, ce sont les pays qui exportent aux USA qui seront touchés. On tourne en rond. Le capitalisme mondial ne peut sortir des filets de ses contradictions.
" Les agriculteurs. D’ores et déjà, les agriculteurs US connaissent une crise grave : tous les médias s’en sont faits l’écho. Mais ce n’est qu’un début
- l’abondance des récoltes dans le monde entier en 1984, puis 1985, a fait chuter les cours. Les stocks vont atteindre 135 millions de tonnes, soit 25 % de la production.
- Reagan, des qu’il a été réélu, a supprimé nombre d’aides à l’agriculture.
- Durant les années fastes, les agriculteurs se sont endettés au point que leur dette globale représente pour certains 2 fois leurs avoirs ; et, de surcroît, la réduction de l’inflation rend les taux d’intérêts des emprunts antérieurs exorbitants.
Le nombre des faillites ne cesse de croître entraînant celles des banques : 22 ont fermé dans l’Iowa, la Californie, le Nebraska. Alors que les producteurs de céréales ne cessent de réclamer des aides à l’exportation, les viticulteurs de Californie réclament, eux, des mesures protectionnistes.
Bref, l’abondance, une fois de plus, s’avère désastreuse.
Le Matin du 26 août titrait en première page : «  Moissons : un record dangereux. Les prix risquent de s’effondrer ».
Et tant pis pour les millions d’êtres humains qui meurent de faim  : ce n’est pas le problème des fermiers.
" Le protectionnisme : pour essayer d’enrayer les « dégâts  » des importations, les industriels ont obtenu de l’Etat champion du superlibéralisme des mesures protectionnistes pour l’acier, le textile, les chaussures. Les secteurs de l’électronique, inquiets des importations japonaises, réclament protection ; des mesures sont à l’étude.
" Heureusement, il y a l’industrie militaire pour venir au secours d’une économie à nouveau en crise : la « guerre des étoiles » vient à point pour relancer la machine. Etant donné « le retard pris par les USA dans ce domaine par rapport aux Russes » (sic refrain classique), l’adoption d’un tel programme passera aisément. Tant pis si cela absorbe des richesses phénoménales et indispensables aux populations dans le besoin et provoque un jour l’anéantissement de la planète.

***

Et la France... « socialiste » ?
" En France, la croissance est faible, quasi nulle. Comment s’en étonner, les socialistes au pouvoir ayant réussi ce que les capitalistes n’avaient pas osé faire : baisse du pouvoir d’achat de 1,5 % en 1984 et ça continue. A cela s’ajoutent les 360 000 chômeurs supplémentaires en un an : ça fait un sacré manque à la consommation, surtout lorsqu’on sait comment ils sont « secourus ». Sans compter, corollairement, le trou qui se prépare à nouveau à la Sécurité Sociale, dont les recettes ont forcément diminué, trou qu’il faudra combler par des impôts, lesquels ne s’investiront évidemment pas dans la consommation et donc ne relèveront pas la production. La boucle est bouclée. Pendant ce temps-là, les chômeurs ne recevront pas - sans mauvais jeu de mots - les tomates qu’on est en train de détruire (puisque la récolte est surabondante !) après lait, viande, vin, etc... Histoire de fous. Toujours la même, hélas, depuis 55 ans !
" Notre franc se tient. Pour combien de temps ? En 30 mois, le différentiel d’inflation avec nos principaux partenaires - les Allemands de l’Ouest - atteint près de 12 %. Dévaluer ? Pas question à 6 mois des élections : on laisse cela à la droite. Mais les détenteurs de capitaux en France, pour se garantir d’une perte de capital en cas de dévaluation, commencent à rechercher le mark, le yen, le franc suisse, le dollar étant, lui, devenu suspect depuis qu’il chute.
" Certains, tel Jean Poperen au PS, insistent pour une relance de la consommation. Il est peu probable que le gouvernement suive cet appel. La Banque de France, dans son bulletin trimestriel du 7 avril, insiste : « Il faut que l’évolution de la demande interne continue d’être maîtrisée et que soit poursuivie la modernisation de l’appareil productif, car les fruits de ces efforts sont de plus en plus visibles ». Les fruits ? Quels fruits ? Les chômeurs. Ne croyez pas que c’est à-eux que pense la Banque de France en poursuivant : « Le succès du dispositif mis en place il y a 2 ans... est le préalable nécessaire de la restauration de notre capacité d’expansion économique et de notre aptitude à créer des emplois ». Oculos habent et non videbunt... à moins que ce ne soit tout simplement du cynisme. Et ce n’est pas la réponse de notre ministre du Travail, Monsieur Delebarre, à l’article d’Edmond Maire dans Le Monde du 20 août, qui peut nous rassurer. E. Maire écrivait : « Rien d’essentiel, du moins dans leur attitude face au chômage grandissant, n’apparaît distinguer la gauche rassembleuse et modernisatrice de la droite démocratique et intelligente. L’emploi, pour eux, c’est toujours pour après-demain, après le rétablissement des équilibres financiers ». A cela, Delebarre répond  : « Je crois que l’enjeu essentiel de ces élections est de savoir si, en même temps qu’on modernise la France, on est capable de moderniser la société française en empêchant les phénomènes d’exclusion sociale » (souligné par nous). En servant le capitalisme mieux que lui-même n’a su le faire, ce n’est pas possible, M. Delebarre : nous vous l’affirmons comme les faits vous le confirment depuis 1981. Malgré un traitement social du chômage efficace sous P. Mauroy, le chômage - SANS QUE LA PRODUCTION BAISSE - a augmenté de près de 50 %. Seule l’instauration d’un socialisme authentique - c’est-à-dire de type distributif - pouvait et pourrait « empêcher les phénomènes d’exclusion sociale ».
Or, autant sinon plus que sous la droite, les pages des journaux sont remplies d’entreprises qui ferment ou licencient ; mais c’est à la loupe qu’il faut chercher les créations d’emplois.

***

Pour terminer, un rapide coup d’oeil sur l’Angleterre, l’Allemagne, le Tiers-Monde.
" En Angleterre, les prévisions pour 1986 sont pessimistes  : croissance de 1,4 % au lieu de 3,6 cette année ; baisse des exportations ; croissance zéro de l’industrie manufacturière, comme aux USA. D’autre part, en Angleterre comme ailleurs, le développement technologique jetant à la rue des travailleurs, le chômage passera de 3 220 000 en 1985 à 3 310 000 personnes.
" En Allemagne, la croissance ne tient que grâce à l’exportation : le marché intérieur stagne. Au 1er semestre 1985, le nombre des faillites (9 377) a augmenté de 12 par rapport à 1984.
" Dans le Tiers-Monde, l’endettement est toujours un casse-tête insoluble : les interventions du FMI imposant des solutions drastiques ne résolvent rien sur le fond. Les pays endettés réduisent leurs importations ; leurs exportations servent à peine à payer le service de la dette, comme au Mexique, où 80 % du produit des exportations a été employé à payer les intérêts des emprunts. L’inflation atteint souvent des pourcentages fantastiques : 150 % au Pérou ; plus de 300 % en Argentine.
En résumé, rien n’indique, après ces quelques mois de « vacances », que la crise du capitalisme soit en voie de résorption. Le cancer se généralise : chômage accru, accentuation de la société duale, tant au niveau des pays riches, qu’au niveau Nord-Sud : les « exclus sociaux », n’en déplaise à M. Delebarre (il est piquant de se référer à son titre : « ministre du TRAVAIL ») sont de plus en plus nombreux, de plus en plus mal secourus et considérés.
Dans le monde où nous vivons, tout est bon pour gagner de l’argent  : depuis la fabrication et la vente d’armes jusqu’à la production, par « d’honnêtes citoyens » autrichiens, de vin capable de tuer ; sans oublier la « fabrication » - moyennant finances - de faux contrats de travail, pour un millier de chômeurs, par le directeur d’une agence de travail intérimaire. Nous aimerions savoir à quelle peine cet escroc inique sera condamné si on le pique. Affaire à suivre. Oui, vraiment, c’est un cancer généralisé.

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Les années lourdes

par M. DUBOIS
octobre 1985

Qui de nous ne connaît Albert Ducrocq ? Les vieux militants se souviennent peut-être des conférences que Jacques Duboin organisait, dans les années 50, à la Sorbonne. Au cours de l’une d’elles, un jeune savant déjà célèbre par ses écrits, et par son « renard » électronique, ancêtre de tous les robots actuels, était venu affirmer que les progrès de la technologie, déjà prévisibles à cette époque, allaient bien dans le sens des modifications du système économique préconisées par les « abondancistes », comme on les appelait alors. C’était Albert Ducrocq.
Bien des années plus tard, dans son célèbre ouvrage sur la conquête de la lune, Albert Ducrocq ne- craignait pas de récidiver, et de rendre à Jacques Duboin, nommément cité, un juste hommage dont nous nous étions fait l’écho (voir G.R. n° 586). Nous avions d’ailleurs été, à ma connaissance, le seul journal à le faire.
Nous voici en 1985, à 15 ans de l’an 2000. Avec toute l’autorité de sa maturité, Albert Ducrocq publie aux éditions Pion un nouveau livre intitulé « Le futur aujourd’hui », et précisément consacré à ces 15 années destinées à changer profondément notre vie quotidienne.
Sur le plan scientifique, c’est une étude marginale, richement documentée, et se voulant résolument pragmatique en dépit de ses prédictions d’avant-garde.
Sans vouloir en présenter ici une analyse exhaustive, d’ailleurs malaisée vu l’ampleur des sujets traités, nous signalerons tout de même plusieurs des grands problèmes de notre temps  : profondes modifications de la nature par l’informatique et l’électronique  ; révolution de l’industrie automobile par l’invasion des robots  ; création de nouveaux éléments chimiques, matériaux de l’industrie de demain ; révolutions dans l’agriculture grâce aux progrès du génie génétique et à la maîtrise des bactéries ; création de nouveaux médicaments, notamment dans l’apesanteur spatiale ; applications civiles et militaires du laser, des fibres et des capteurs otpiques  ; maisons « intelligentes » de l’an 2000, et nouveaux urbanismes  ; généralisation des ports, etc...
Mais une fois de plus, Albert Ducrocq ne se limite pas aux perspectives technologiques, aussi passionnantes soient-elles. Le centre d’intérêt essentiel reste pour lui l’homme, et ceci l’amène à consacrer plusieurs chapitres à des sujets nous concernant au premier chef  : l’emploi - la nouvelle économie - la monnaie.
Et là, Albert Ducrocq ne tergiverse pas, ne biaise pas. Jugez-en plutôt par les quelques extraits et résumés suivants :

sur l’emploi
Pages 165 et 166
« L’inanité de l’emploi pour l’emploi avait autrefois été dénoncé par Jacques Duboin. A ceux qui lui rapportaient l’interdiction faite par une municipalité à des terrassiers de recourir à des bennes, de sorte qu’il avait été possible d’employer beaucoup plus de travailleurs utilisant des pelles, l’inventeur de l’économie distributive avait fait remarquer, non sans un certain humour noir, que l’on aurait engagé des personnes en nombre plus grand encore si on leur avait donné des petites cuillères pour accomplir leur tâche. Vous souriez ? Or, au cours dés années écoulées, on a parfois distribué beaucoup de cuillères ».

sur la monnaie
Pages 273 à 287
Albert Ducrocq stigmatise d’abord l’erreur consistant à voir dans la monnaie une entité ayant une existence propre, indépendante de l’activité économique et industrielle : les réalités, dit-il, sont économiques. Dans l’absolu une société aussi évoluée que la nôtre pourrait fonctionner sans aucune monnaie.
« Comment ? Il suffirait d’imaginer que les hommes continueraient à exercer leur activité actuelle, à assurer les mêmes productions, leurs besoins étant satisfaits de la même manière mais sans aucun mouvement financier. Autrement dit la nourriture, les voyages, les objets de toute nature seraient gratuits. Nul ne toucherait de salaire et les Etats n’auraient aucune dépense interne - ils n’auraient pas à payer les fonctionnaires comme ils n’auraient aucune dépense externe dès l’instant où sur la planète tous les pays joueraient le jeu. Imaginez un instant une telle situation et posez-vous la question : qu’y aurait-il de changé ?
La réponse serait : rien. Si ce n’est que vous simplifieriez considérablement la situation, car tous ceux qui, à quelques titres, ont des professions touchant à la finance se trouveraient au repos. Il n’y aurait même pas d’allocation de chômageà leur verser puisqu’ils pourraient dans ce système prétendre continuer à bénéficier des mêmes avantages qu’aujourd’hui. De surcroît tous les individus seraient dégagés de toute préoccupation financière. Mais cela étant la machine économique pourrait tourner exactement de la même manière ».
Bien entendu, Albert Ducrocq n’emploie cette présentation que pour mieux nous faire saisir le véritable rôle de la monnaie, et ne cache pas qu’il faudrait postuler sur l’honnêteté des hommes. « C’est là, dit-il, un pieux contrat moral, peut-être concevable au sein d’une famille ou d’une collectivité dont tous les membres se connaissent, mais absolument utopique et inique à l’échelle de la planète, ou seulement d’un pays  ».
Rappelant ensuite que la somme a un sens comptable, mais est dépourvue de signification économique, il analyse le fonctionnement de la monnaie électronique et ses possibilités de décrire la vie économique en des termes suffisants pour la modéliser en direct, grâce à l’introduction dans l’ordinateur non seulement du prix de la marchandise, mais aussi du numéro de code qui la désigne.

la nouvelle économie
Pages 285 à 288
« Il y aura toutefois plus important dans la mesure où, avec la monnaie électronique, les économies devront abandonner l’actuelle formule de la redistribution au profit de la distribution.
En fait, une monnaie-jeton devrait être créée en même temps que les- biens et supprimée au moment de leur consommation.
La monnaie, notons-nous, entend exprimer la vie économique, comme le langage décrit le monde extérieur dont il constitue une représentation, indépendante de ce monde et ayant de ce fait sa vie propre. Ainsi, avec le temps, le langage parlé connut la transformation appelée dérive ; peu à peu la prononciation des mots changea dans le sens d’une loi du moindre effort. Or l’inflation est d’une certaine manière à la monnaie ce que la dérive est au langage. Et au même titre que l’imprimerie favorisa grandement le développement du langage écrit, figeant l’orthographe, on peut attendre que, devenue électronique, la monnaie échappe à ce mal de l’inflation, largement dû au fait que, dans les circuits financiers, la masse monétaire tournait hier en rond, gonflée à chaque cycle d’injections injustifiées.
Il pourrait ne plus en aller de même avec la substitution à ce modèle circulaire d’un modèle linéaire. Et justement, rien ne vous oblige à faire tourner en rond votre monnaie électronique. Dès l’instant où en regard de la monnaie vous mentionnez son affectation, vous partez d’une source : aussi longtemps que vous lui ajouterez de la valeur, vous aurez le droit de créer de la monnaie et cette dernière disparaîtra dans les puits de consommation.
Telles seront sans doute les bases de l’économie du XXIe siècle, une économie qui, en outre, présentera la caractéristique de faire de plus en plus payer les machines. Comment en serait-il autrement dès l’instant où les tâches des hommes vont relever de plus en plus du logiciel, la production étant le fait des machines ?
Si vous deviez conserver les bases actuelles, une installation vétuste qui emploierait une maind’oeuvre importante se trouverait fortement imposée. Les charges seraient au contraire insignifiantes pour une usine automatique dont la production serait considérable  : ainsi la monnaie électronique sera, dans l’avenir, conduite à partir du travail des machines pour être distribuée aux hommes.

Oui, nous nous acheminons vers une économie distributive appelée à prendre d’abord pour critère de la répartition des richesses les besoins individuels et collectifs. Tout le mouvement actuel d’allocations, retraites, sécurité sociale, et aides de toute nature s’inscrit déjà dans une telle perspective. Mais également le téléphone relève de cette philosophie : le coût véritable d’une ligne est aujourd’hui voisin de 10 000 F. Les PTT vous font payer beaucoup moins parce qu’il y va de l’intérêt de la société que vous ayez le téléphone. Et de même lorsque vous achetez votre billet d’avion, comprenez que la collectivité a payé pour vous une somme du même ordre en finançant la construction de l’aéroport. Sur un plan économique, le fait nouveau est, à l’heure d’une large dématérialisation des valeurs commerciales, la perspective d’un lien toujours plus lâche entre la contribution des hommes à une production - dont nous savons qu’ils en seront de plus en plus déconnectés physiquement - et la destination de cette production.
A l’ère des logiciels, au demeurant, tout le travail ne se situe-t-il pas au niveau de la programmation ? Il vous faut d’une part concevoir les circuits, d’autre part conditionner les machines. Alors le prix de l’opération dépendra peu du volume de la production si cette dernière ne requiert guère de matières premières. Et dans ces conditions, une production étant lancée, on ne voit pas pourquoi on la stopperait après avoir satisfait ceux qui peuvent payer le système de distribution actuel. On pourra laisser la production se poursuivre pour assurer le bien à tous ceux qui le souhaitent et auxquels la possibilité de l’obtenir sera donnée dès l’instant où la création des biens s’accompagnera automatiquement de la monnaie nécessaire à leur acquisition. La notion, naguère chère aux économistes, de coût marginal est en tout état de cause caduque dès l’instant où le prix de revient d’une production consiste essentiellement en des créations d’équipements et de logiciels en amont de la fabrication elle-même.
Nombre de partisans de l’économie distributive nous la présentent « non marchande, sans salariat, ni monnaie ». Ce serait dans l’absolu possible, mais ce serait sans doute aussi théorique que notre modèle ci-dessus évoqué de société sans monnaie. La monnaie sera aussi nécessaire dans l’économie distributive que dans l’économie actuelle. La différence tiendra au caractère linéaire de la seconde avec, dans chaque tranche de temps, création d’une quantité de monnaie reflétant la production.
Très prometteuse dans la mesure où elle annonce une réconciliation - ou plus exactement une harmonieuse synthèse - du capitalisme et du socialisme, cette économie distributive ne saurait être attendue dans l’immédiat si- la monnaie électronique doit en être l’instrument ».
Après cette prise de position on ne peut plus catégorique, Albert Ducrocq développe sa théorie de la monnaie à deux dimensions :
- la monnaie de consommation proprement dite, à circulation horizontale dans toute l’économie, en ce sens que l’argent gagné dans l’année est dépensé dans l’année ;
- la monnaie d’investissement à circulation verticale, figée dans une branche de l’économie pour redevenir disponible seulement au bout d’un certain nombre d’années.
« C’est un peu comme dans nos immeubles où existent des canalisations d’eau froide et des canalisations d’eau chaude : pour alimenter les unes et les autres, on utilise la même eau, mais elles ont des fonctions différentes et on évitera de les mélanger ».
Nous arrêterons là les citations, mais sachez que nous pourrions reproduire des chapitres entiers à l’appui de nos propres analyses. Dans ce livre les jeunes pourront trouver bien des motifs pour réfléchir, peut-être même s’enthousiasmer et agir enfin-de manière constructive. Quant aux vieux compagnons de lutte de Jacques Duboin, parfois découragés devant l’échec apparent de leurs efforts et le spectacle de notre monde en folie, ils y puiseront, j’en suis certain, un grand réconfort et un renouveau de confiance. Je me souviens d’un soir d’automne où, à la terrasse du Terminus près -de la gare St Lazare, nous avions une fois de plus, Jacques Duboin et moi, « refait le monde » devant notre pot. Au moment de nous séparer, il me mit la main sur l’épaule et me dit : « Tu sais, en toute honnêteté, nous venons encore de rêver. Je ne verrai pas l’économie distributive, ni peut-être toi non plus. Mais tes enfants, eux, la verront... ou alors !!... ».
La réponse ? Ces années lourdes, lourdes de toutes les espérances, mais aussi des plus effrayantes menaces, vont nous la donner. Nous pouvons, nous devons peser sur les événements.

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Lettre ouverte à Mikhail Gorbatchev

par L. TISSOT
octobre 1985

Certains penseront qu’il y a beaucoup de vanité, de la part d’un simple citoyen français, de s’adresser directement à un chef d’Etat. Mais, c’est précisément parce que je ne suis qu’un humble inconnu sans titre, sans obligation diplomatique et sans prétention à gouverner qu’il m’est possible d’exprimer les craintes et les espoirs que se partagent mes compatriotes, sans autre souci que celui d’être sincère en restant impartial.
Il est évident que, rompant avec ce à quoi nous étions habitués, le fait qu’un homme jeune préside aujourd’hui aux destinées de l’URSS ait été célébré par la presse occidentale comme l’événement historique de l’année 1985, n’est contesté par personne.
La question que se pose l’homme du peuple, incité en cela par ses médias, est la réalité ou l’irréalité d’une intention agressive du bloc soviétique contre l’Europe occidentale.
Envahir l’Europe... Que viendriez-vous y faire ? Celle-ci ne vous procure-t-elle pas déjà les technologies qui vous font défaut, les céréales d’appoint nécessaires à vos populations ? Une guerre ne vous apporterait qu’un surcroît d’efforts inutiles, étant donné que vous n’avez pas besoin de ce ballon d’oxygène pour maintenir des emplois ou d’un adjuvant indispensable à relancer une économie de profits.
En outre, soyez assuré que, mis à part quelques fantoches, les Français, dans leur immense majorité, n’ont aucune raison ni envie d’engager un conflit contre le bloc soviétique et que les seuls uniformes soviétiques qu’il nous est agréable de voir et d’applaudir sont ceux des talentueux chanteurs composant le « Choeur de l’Armée Rouge ».
Quant aux conflits que vous avez en permanence avec les USA, il vous est facile de leur donner parfois une leçon sans avoir à tirer un coup de fusil. Négociez du dollar à contre-temps, cessez de leur acheter du blé, consacrez moins de crédits à vos militaires et plus à vos chercheurs et dans peu de temps ces fiers Yankees en rabattront. (Ce qui amuserait bien les Européens).
Nos pays capitalistes se sont empêtrés dans une crise dont on ne voit pas l’issue, parce que, de par leur nature, ils ne peuvent sortir d’une économie de marché. Ceci nous oblige à entretenir une « rareté artificielle » assurant le profit d’une minorité, avec toutes les conséquences désastreuses qui en découlent : chômage, austérité, destruction de denrées, augmentation de la délinquance, étouffement des initiatives non génératrices de profits, pollutions, gaspillage et pour couronner le tout, course aux armements.
Autre question, tout aussi importante que la première. L’URSS va-t-elle se décider à ouvrir la voie d’un changement apte à faire entrer l’humanité dans le XXIe siècle ? Autrement dit, êtes-vous déterminé à achever cette révolution commencée en 1917 ? Cette révolution, aspirant à satisfaire avec plus de justice les besoins de tous, qui a tant fait rêver, pendant un demi-siècle, les prolétaires du monde entier.
Ce changement consisterait à modifier les mécanismes économiques et monétaires, donnant ainsi la capacité aux consommateurs de profiter d’une production de plus en plus abondante réalisée avec de moins en moins de travail humain.
Soyez assurés que le modèle que représenterait, aux yeux du monde, cette nouvelle société soviétique constituerait votre plus efficace protection.
Il ne tient qu’à vous, Mikail Gorbatchev, si vous savez vous en donner les moyens, d’être, pour les générations futures, le plus grand homme de cette fin de siècle.
Une voix parmi d’autres.

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Actualité de l’Abondancisme : l’utopie

par M. PUJOLS
octobre 1985

Il est vrai qu’à quelques exceptions près (les marginaux), les hommes d’aujourd’hui n’osent plus rêver ; on comprend leur résignation ! A leur droite, les libéraux leur prouvent que, dans leur vie de tous les jours, ils sont soumis à des déterminismes incontournables, parfaitement indifférents au bonheur individuel ; à leur gauche, on leur propose des rêves spartiates, d’altruisme et de brouet partagé qui, là où ils se réalisent, tournent au cauchemar. Effectivement, il existe deux écueils pour l’utopie : l’impossibilité matérielle et l’absurdité morale. Sur le premier point, il faut bien reconnaître avec les libéraux que la vie économique est un réseau de milliards de contrats tacites dont l’exécution est nécessaire à la survie de l’espèce, qu’il est difficile de tout changer tout d’un coup, le risque étant alors de provoquer une énorme pagaille et une récession c’est comme donner un coup de pied dans une fourmilière ! Souvent irresponsables, automatiques, les comportements économiques relèvent de l’habitude ; leur mise en place a été laborieuse ; ils ressemblent à des lois. Pourtant ce sont des individus qui les fabriquent. Si bien qu’il est toujours possible d’imaginer que les choses soient autrement ! Par exemple, que les « libéraux » appellent « chômage » la réduction, grâce au progrès technique, de la peine des hommes, pourquoi pas ? C’est effectivement ainsi qu’ils détournent ce progrès de sa fin véritable  ! Mais il faudrait que d’autres voix s’élèvent pour donner au phénomène sa dimension véritable, à savoir que désormais l’homme n’a plus à s’épuiser comme autrefois pour subvenir à ses besoins, mais que, partiellement maître de son emploi du temps, il" n’est plus asservi au groupe. Au lieu de redouter l’automation, au lieu de gémir sur ce qui est en fait une victoire, il faudrait s’en réjouir ; le mal vient, non de la machine, mais de la façon dont, pauvres ou riches, nous réagissons devant cette diminution des contraintes imposées par le travail ; la solution d’avenir ne consiste pas à donner du travail à tout prix, n’importe lequel, pour-pouvoir payer les gens : mieux vaudrait alors les payer à ne rien faire  !... Ceci n’est qu’un exemple du décalage scandaleux qui existe dans nos sociétés entre les possibilités techniques et les réalisations ; le monde industriel d’aujourd’hui a besoin de nouveaux Saint-Simonniens, pour débloquer une production paralysée  : pourquoi pas les Abondancistes ?
Les utopies échouent quand elles sont moralement absurdes, quand elles ne tiennent pas compte de la nature psychologique et sociale de l’homme, quand elles traduisent en fait des fantasmes sadiques, ou masochistes C’est une forme de terrorisme que de vouloir « bouleverser les structures » ; ceux qui en parlent si facilement, ou bien ne savent pas ce qu’ils disent, ou bien se situent d’instinct dans le Comité d’Organisation ! C’est méconnaître les puissances de mort, les sentiments de haine qui existent dans les groupes humains, et que l’ordre social, si criticable qu’il soit, jugule tant bien que mal. Rien de ridicule que ces « révolutionnaires » qui commencent par dire que tout le monde est beau et gentil et qui, dans leur vieillesse n’ont pas de mots assez durs pour leurs semblables ! Il ne suffit pas de grouper les hommes pour qu’ils soient heureux ; la majorité peut fort bien se tromper ; le bonheur individuel doit être l’idéal des sociétés, parce que ce qui est collectif n’existe qu’incarné dans tel ou tel individu. La règle de la véritable utopie, de celle qui fait rêver, devrait être la Prudence ! Contre les risques toujours présents de tyrannie, il faut absolument donner aux individus des positions contractuelles de repli, une propriété privée, un domaine qui corresponde au territoire des animaux ; il faut préserver l’intérêt individuel ; car on voit mal à quoi-il pourrait être sacrifié  ! Précisément, l’originalité de l’abondancisme, c’est qu’il ose proposer un autre idéal que les privations, que le sacrifice des plaisirs individuels à un « intérêt collectif » ! Tandis que toutes les idéologies donnent à l’Etat un pouvoir démesuré, à droite comme à gauche (car l’Etat libéral est en fait aussi autoritaire que l’Etat socialiste), au moment où les hommes politiques s’arrogent le droit de déterminer pour tous les hommes ce qu’il faut croire ou ne pas croire, où les partis ont l’audace d’afficher un «  projet de société », il est extraordinaire que J. Duboin ait eu le courage de réduire le rôle de l’Etat à ce qu’il doit être : assurer le bien- être matériel -le plus large, c’est à peu près tout ! II fallait d’ailleurs à J. Duboin pas mal d’audace pour présenter l’Abondance comme un Idéal, quand toutes les morales sur lesquelles nous réglons notre conduite exaltent les privations, les sacrifices, dénoncent le bien- être comme dégradant, menacent l’Humanité de dégénérescence si elle atteint un jour le stade de l’abondance ! Il semble que cette lutte pour le bonheur sur terre, par lequel nous devenons vraiment hommes, à condition de lui donner sa véritable dimension, puisse être pour le monde d’aujourd’hui une nouvelle utopie. Il appartient aux abondancistes de montrer concrètement, sans tomber dans l’invraisemblance, sans faire appel au terrorisme du sacrifice, en se référant simplement à l’intérêt individuel humain bien compris,-que les choses pourraient se passer tout autrement, et même infiniment mieux, et que, la guerre terminée, les sociétés ne sont pas condamnées à la guerre économique. Une fois déterminées les fins, les moyens se trouveront sur le tas ; le passage à l’abondance se fera vraisemblablement, non par un décret pris au sommet, mais au coup par coup, à mesure que des groupes d’hommes comprendront qu’ils sont déjà en situation d’abondance et qu’au lieu de bouder leur bonheur, ou d’y consentir en gémissant, ils feraient mieux de le choisir carrément  !

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Ne nous laissons pas miniaturiser !

par D. DELCUZE
octobre 1985

En période de crise, l’obscurantisme semble resurgir (envers et contre toutes les études tangibles, concrètes, rationnelles... et par là même les plus partageables) venu d’une sorte d’inconscient historique, d’archétypes multi- millénaires, ou des voûtes sombres du Moyen Age...
Ces résurgences, destinées pour certains à brouiller la vue et l’entendement, surviennent à tous coups comme une «  défense » magique contre l’insécurité d’une société qui va à la dérive pour des motifs qui n’ont rien de mystérieux, ni d’extra-terrestres.
Les prosélytes acharnés de l’ « Ame » et de l’ « Aura » se disent spécialistes en générosité et fraternité. Ils se concoctent une « soupe » ésotérique où rentre évidemment une forte notion de « Père  », de Créateur, de Gourou... Tout badigeonnés d’un spiritualisme qui les distingue, ils ont recours aux croyances mystiques, aux paroles d’Evangiles, aux rôles (par ailleurs fort intéressants) distribués aux personnages bibliques.
Parfois ils vont chercher en Orient un peu de Pensée Zen, de souvenirs d’Ashram, de méditations fatalement transcendantales... Certains ayant été chats ou plutôt tigres se sont par la suite incarnés en hommes célèbres plutôt qu’en ménagères inconnues.
Cette « élite » est sujette à l’ « Inspiration  » ; on y a des apparitions, on entend des voix, on cause à son arrière-grand-père, on « communique » avec son défunt époux...
Ceci se tient - paradoxalement, pour des gens qui se disent pragmatiques, de gauche, voire marxistes - avec un goût pour les valeurs morales les plus réactionnaires, répressives, atrophiantes, qui sont bien une des victoires du « refoulé ».*
Ces CONSTRUCTIONS ARTIFICIELLES ne résisteraient d’ailleurs pas à une séance d’introspection honnête, tant elles sont les symptômes en creux de la « difficulté d’être  » des gens qui les utilisent comme une cuirasse** protectrice. Même cuirasse qui fait tenir debout jusqu’au jour de l’écroulement (souvent la retraite) ceux qui se sont voulus indispensables dans le système marchand et compétitif actuel !
Tout ceci relève de l’ « Impondérable », de la « Révélation » et de l’ « Impalpable  » qui habite certains plutôt que d’autres...
MAIS C’EST TRES DOMMAGEABLE car ces croyances SONT UN FREIN à une certaine COMMUNAUTÉ D’ANALYSE RATIONNELLE et donc à L’EFFICACITÉ qui seraient enfin possibles, à l’heure ou tant de disciplines ont justement démystifié ce qu’il en est :
" DU POLITIQUE : gestion... (sociale, culturelle, économique) de la Cité ;
" DU PRIVÉ (affectif***, psychologique, rôle de l’inconscient dans la vie quotidienne...).

LE PRIVÉ ETANT POLITIQUE

La vie privée des gens étant imprégnée de leur socio-culture, peut, à son tour, par des choix de comportements nouveaux modifier le Politique... Ici, - sur terre, aujourd’hui, à la portée de tous, pour peu qu’on en finisse avec le confusion, quand la réalité des vivants, organisés en société, est déjà très complexe et demande par conséquent un certain travail pour bien la cerner et en faire partager à tous une SYNTHESE COHERENTE.
NOUS N’AVONS PAS TOUS L’ÉTERNITÉ POUR ÉVITER (ici-bas) LA CATASTROPHE très prosaïquement orchestrée par des hommes qui n’ont que faire de la Foi ni de la Loi !

* Ce que le Surmoi social de chacun lui interdit de faire ou de penser.
** cf. la « cuirasse caractérielle » selon Wilhelm Reich.
*** J’entends par là, entre autres, les millions de déterminismes ACQUIS dans les mois qui précèdent et suivent la naissance d’un enfant, dans un milieu donné.

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Aujourd’hui une révolution monétaire, Demain une révolution économique ?

par H. MULLER
octobre 1985

Apparue il y a près d’un siècle dans le roman d’Edward Bellamy (1), reprise au cours des dernières décennies par divers auteurs, l’idée d’une carte de paiement porteuse d’un crédit positionnable au fur et à mesure des achats, n’est pas toute nouvelle, loin s’en faut. En 1970, les Américains inventaient la « carte codée ». La monnaie électronique était née. Dix années plus tard, les travaux de recherche et de mise au point de Roland Moreno allaient déboucher sur le procédé INNOVATRON utilisé dans la carte à mémoires.
Après une période d’expérimentation de quelque 18 mois à Lyon, Blois, Caen, puis à St-Etienne et Lille, la « carte à puce » aborde une seconde étape avec la mise en service prochaine de 12 millions de ces titres de paiement porteurs de monnaie électronique.
On doit envisager d’ores et déjà quel pourrait être le terme d’une troisième étape amorçant la plus étonnante révolution économique de tous les temps, avec la suppression des terminaux couplés aux lecteurs de cartes, celle des transferts d’argent qui, depuis toujours, servent à former les revenus.
Quand le public aura pris l’habitude de cette monnaie électronique, de cette carte que l’on approvisionne à la banque et qui se vide en fonction des paiements, alors naîtra la « monnaie de consommation ». Il suffira de neutraliser dans le lecteur de carte, le dispositif transfert débit-crédit et de munir chaque consommateur, salariés et non salariés, producteurs et distributeurs, de sa carte à mémoires. Ainsi seront supprimés les mouvements d’argent d’un compte à un autre, chaque personne adulte ayant le sien crédité périodiquement, selon un barème à définir à l’intérieur de chaque groupe socioprofessionnel, libre de « charger » sa carte à concurrence de ses besoins hebdomadaires ou mensuels, dans la limite de son revenu ou de son avoir.
Gagée par un ensemble de valeurs d’offres rendues indépendantes des coûts, la monnaie de consommation distribuée en guise de revenu, devient le revenu lui- même. Ce revenu, mis en place selon de nouvelles conventions, doit répondre à de nouveaux critères tenant compte, dans une plus large mesure, de l’âge, de l’ancienneté, de la qualification de l’individu, de la fonction qu’il remplit, de son utilité sociale, de sa compétence, de son efficacité, enfin de ses besoins individuels et familiaux, c’est-à-dire de son revenu antérieur. Il serait, en effet, maladroit et inutilement cruel, de transformer les mieux nantis assurant aujourd’hui des postes de responsabilité, en révoltés victimes d’une révolution qui se veut sans perdants, afin d’obtenir les meilleures chances de réussite, la maintenance à un rythme soutenu, d’une production abondante et de qualité.
On discerne les immenses simplifications apportées à la vie courante par l’usage d’une monnaie de consommation, celles découlant notamment de la disparition du profit en tant que source de revenus, de la suppression des emplois et organismes dont la seule fonction est, actuellement, d’assurer la circulation de l’argent, la formation des revenus. Gagés par les fruits du travail commun, la monnaie de consommation remplit un peu le rôle d’une monnaie- matière à usages polyvalents. Elle assure la sécurité des familles, moralise les activités, met un terme aux ruineuses concurrences, source de gaspillages, réduit la durée du travail au bénéfice du loisir sans perte de revenu, donne le feu vert à la qualité dans l’abondance. Otant à l’argent son pouvoir dominateur, oppresseur, la monnaie de consommation n’est- elle pas le Deus ex machina propre à se substituer aux expédients, aux solutions bâtardes, au sein d’une crise qui n’en finit pas.

(1) Loocking Backward (1888).

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