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Editorial
Il devient très difficile de trouver un quotidien
qui n’annonce pas de nouvelles suppressions d’emplois, au point que
la grande relève de l’homme par le robot, dans pratiquement toutes
les tâches, commence à être un fait reconnu. Mais
quand, partant de ce fait, on explique qu’il va bien falloir qu’on s’organise
pour travailler moins (et nous, nous ajoutons : pour que les robots
travaillent pour nous tous), on se heurte à des habitudes séculaires,
voire millénaires, qui ont fait du travail une raison d’être
!... Qu’il est difficile alors dé faire admettre que ne plus
être oblige, pour gagner son pouvoir d’achat, d’aller tous les
jours accomplir une tâche précise et imposée, ne
signifie pas n’avoir plus rien à faire !
Ceci est tellement nouveau, et parait donc si étrange, que beaucoup
de gens répliquent avec conviction que dans une economie distributive,
(c’est-à-dire gérée de façon à partager
le travail qui reste entre tous, et en donnant à tous un pouvoir
d’achat croissant avec la production,) tout le monde s’ennuierait abominablement
et, par conséquent, se mettrait à boire ou à se
droguer.
Evidemment, rien ne prouve de telles affirmations. On peut montrer,
au contraire, qu’il existe une foule d’activités, susceptibles
de procurer d’immenses et saines satisfactions, mais qui nous sont actuellement
interdites dans ce système economique, parce que « non
rentables ». Il est d’autre part fort probable que le nombre et
la diversité de ces occupations ne pourraient que croître
dans une societe qui pourrait se donner les moyens de consacrer à
l’enseignement et à la recherche une part de son activité
beaucoup plus importante qu’aujourd’hui.
Mais n’essayons même pas de spéculer sur ce qui serait
ou ne serait pas dans d’autres condi tions. Regardons la réalité.
***
Côté Est, on vient d’apprendre que le
gouvernement de l’URSS a pris d’énergiques et sévères
mesures pour essayer de diminuer la consommation d’alcool. Je n’ai plus
en mémoire les chiffres publies alors sur la consommation de
Vodka par les soviétiques, mais cela ne m’a pas semble être
l’indice que la majorité d’entre eux soient tellement «
bien dans leur peau ».
Côte Ouest, est-ce mieux ? Un hebdomadaire americain, FORTUNE,
a publie en juin dernier une enquête édifiante de huit
pages sur un aspect trop méconnu de cette société
qui s’enorgueillit d’avoir des cadres tellement dynamiques et si hautement
compétitifs... Sous le titre « Traînée de poudre
à Wall Streat », LE MONDE du 16 Août a resumé
cette enquête :
« Cocaïne, médicaments divers, voire héroïne,
les drogues ont frappé le monde des affaires comme une tempête »,
dit le directeur d’une chaîne d’hôpitaux spécialisés
dans la désintoxication. Il assure avoir constaté depuis
cinq ans une augmentation de 100 du nombre des dirigeants de haut niveau
venus le consulter.
Les raisons de cette traînée de poudre ?... Dans leurs
fonctions, les qualités prêtées notamment à
la cocaïne - « défonce » favorite des boursiers
et des managers - leur paraissent d’autant plus attirantes : confiance
en soi accrue, absence de scrupules, résistance au stress, etc...
»
Ces qualités tant recherchées font donc l’affaire des
revendeurs de drogue qui se « recrutent, eux aussi, précise
l’hebdomadaire américain, dans les rangs des managers de très
haut niveau. Ainsi du Président d’une des cinq cents premières
entreprises cotées à la Bourse de New-York. Il organise,
selon un témoin cité par la revue, après ses réunions
de travail, à l’hôtel Plaza, pour des clients privilégiés
des parties décrites en trois mots : limos, bimbos and lines
(limousines, filles et lignes (de cocaïne)...
Enfin, la pratique s’est à ce point répandue... qu’on
trouve à Manhatta, dans les boutiques spécialisées
dans les articles pour drogués ( !) la panoplie de parfait cocaïnomane...
vendue dans une élégante pochette ».
L’enquête explique qu’il n’est pas facile de déceler, au
début, les cadres qui se droguent, car « le premier symptôme,
la paranoïa, ne les distinguent pas toujours aisément de
leurs pairs ». LE MONDE rapporte que cette situation devient désastreuse
pour l’entreprise qui emploie ces cadres. Et pas seulement à
cause de la difficulté de les déceler au début,
puis de les amener à accepter une cure de désintoxication.
Non, l’embarras de ces entreprises, explique l’enquête, est que
« cette défonce n’a pas pour elle que des inconvénients.
Les cadres drogués à la cocaïne sont aussi souvent,
du moins jusqu’à un certain point, des intoxiqués du boulot.
Certains employeurs, surtout à la Bourse, note FORTUNE non sans
quelque embarras, ont une attitude ambiguë face à ce problème,
redoutant de voir leurs meilleurs éléments, une fois désintoxiqués,
perdre leurs « qualités ».
***
Voici donc la réalité : deux systèmes actuellement existent ; dans l’un, la population noie sa peur du goulag dans la vodka, dans l’autre, on se « défonce » pour être plus compétitifs. Allons, ces deux systèmes qui s’opposent ne nous apportent-ils pas la preuve qu’un autre, fort différent des deux, pourrait difficilement être pire !
Date anniversaire. Chaque année nous avons
de nombreuses dates à commémorer. Et pas des moindres
pour le 40e anniversaire. 8 Mai : fin de la guerre en Occident ; 26 Juin
: signature de la Charte des Nations Unies ; 2 Septembre : fin de la
guerre dans le Pacifique ; 24 Octobre : création des Nations
Unies.
Et bien sûr les deux dates fatidiques pour lé monde entier,
les 6 et 9 août 1945. Les bombardements atomiques d’Hiroshima
et Nagasaki par les Américains ont commencé une ère
nouvelle. Ce fut le début de la course.
Ce sont les Américains qui sont partis les premiers, suivis de
près par les Russes (premier essai en 1949). La France vient
en troisième position (13 février 1960) et la Chine qui
la talonne (16 octobre 1964) en quatrième place. L’Angleterre
lance son premier sous-marin en 1966. D’autres Etats se lancent dans
la course : l’Inde le 17 mai 1974 fait son premier essai ; Israël
a sans doute la bombe mais mystère... Quant à l’Afrique
du Sud toutes les suppositions sont possibles après les observations
soviétiques (1977) et américaines (1979). Ces dernières
ont révélé un éventuel essai. Parmi les
autres concurrents potentiels, on trouve deux groupes : ceux qui ont
la possibilité mais qui ne souhaitent pas, pour l’instant, participer,
parmi lesquels on peut citer le Canada, le Japon, l’Autriche, les Pays-Bas
et la plupart des pays européens de l’Est comme de l’Ouest. Le
second groupe étant formé de ceux qui ont la possibilité
et qui s’échauffent pour pouvoir sprinter. Ces pays sont tous
issus du Tiers-Monde et certains d’entre eux sont en guerre depuis longtemps
: l’Iran et l’Irak entre autres auxquels s’ajoutent les Philippines,
le Pakistan, Taïwan, la Corée du Sud pour l’Asie, le Brésil
et l’Argentine pour l’Amérique du Sud et la Libye pour le continent
africain.
Vous voyez bien que malgré l’atrocité des conséquences
d’une guerre nucléaire le monde est prêt. Il est prêt
à finir sa course dans un bouquet final rayonnant non pas de
joie mais de particules de mort.
Pourquoi les Etats se lancent-ils dans cette horreur ? Pourquoi les
peuples cautionnent-ils par leur silence la possible destruction de
l’humanité toute entière ?
Peut-être ont-ils oublié ? Peutêtre sont-ils inconscients
? Alors il est important de leur rappeler quel est encore le sort de
nombreux Hibakusha, les survivants, quarante ans après. Quelle
fut la réalité de cet événement dont on
n’a peur de recueillir des informations que trente ans après
? Les Japonais ont acheté mètre par mètre les pellicules
des archives américaines. C’est ce rôle d’information que
s’est donné l’Institut Hiroshima-Nagasaki.
Pour cette année, il commémorera cette date par la publication
en octobre d’un livre album anniversaire dans lequel artistes ; écrivains,
scientifiques, philosophes, vont écrire sur ce thème historique.
(Une souscription est ouverte pour aider au financement de cet ouvrage).
Les vacances n’ont pas arrange nos economistes de choc
!
Le « premier » tout d’abord (vous avez reconnu Raymond Barre,
j’en suis sûr !) a déclaré à « Nice
Matin » le 9 septembre : « Les Français paient aujourd’hui
ces idees fausses selon lesquelles on peut gagner plus en travaillant
moins et réduire le chômage en partageant le travail...
Les pays où il y a le moins de chômage, le Japon ou la
Suisse, sont ceux où la durée du travail demeure la plus
longue... Le meilleur moyen de faire reculer le chômage, c’est
que les Français travaillent plus. » L’autre rigolo, bien
connu lui aussi, c’est Alain Minc qui a péremptoirement déclaré
au cours de l’Université d’été organisée
par St Gobain sur le thème « Jeunes d’aujour
d’hui et Entreprises de demain » « Nous ne sommes pas près
de retrouver une croissance digne de ce nom parce que nous vivons une
crise de la productivité, du fait de la part de plus en plus
importante des services dans le PNB et que nous enregistrons un coût
prohibitif de travail. Une baisse de 10 % du pouvoir d’achat pourrait
nous faire repartir. » (Où ? il ne nous le dit pas !).
L’un et l’autre oublient, ou plutôt n’osent pas penser, qu’on
n’a presque plus besoin de travail humain pour produire des biens agricoles
ou industriels et qu’il en faudra de moins en moins dans les services
grâce aux progrès de la bureautique. (C’est pourtant au
cours de cette même Université d’été que
l’ancien ministre de Giscard, André Giraud, soulignait l’apparition
d’un changement important, la multiplication des « esclaves »
- après les esclaves mécaniques, les esclaves électroniques
et bientôt biologiques - un ministre japonais lui aurait même
dit que « demain, un logiciel permettra de fabriquer des logiciels
»). Comme quoi nos economistes distingués « ont des
yeux mais ne voient point ! »
***
L’été a aussi été fertile
en catastrophes de toutes sortes, et notamment aériennes. On
peut d’ailleurs se demander si la « déréglementation
» si chère aux soi-disant libéraux n’y est pas pour
quelque chose. C’est ainsi qu’on vient d’apprendre que la FAA (Federal
Air Agency), un organisme officiel americain qui serait en gros l’équivalent
de notre Direction du transport aérien, mène depuis le
mois de juin une enquête afin d’examiner les procédures
de maintenance et de sécurité en usage à American
Airlines (deuxième compagnie américaine). Cette initiative
a été prise à la suite de divers incidents mettant
en cause des avions de cette compagnie (perte d’un moteur en vol par
un Boeing 727 et découverte dans l’aile d’un DC-10 de pièces
en plastique substituées aux éléments métalliques
d’origine). La FAA a requis une pénalité de 375.000 $
pour ce remplacement « ose ». Elle n’écarte pas la
possibilité que les conditions d’entretien de la flotte d’American
aient pû être affectées par la très rapide
croissance (de 18 à 25 % par an) de la compagnie depuis la mise
en vigueur de la déréglementation, croissance qui lui
vaut les faveurs de Wall-Street. Résultats de l’enquête
fin septembre.
Toujours aux Etats-Unis, un avion de la compagnie Vieques Air Links
s’est abimé en mer au décollage de Porto-Rico, causant
la mort du pilote et des passagers. La Commission Nationale de Sécurité
des Transports a note que : - l’organisation des vols par la compagnie
était inadaptée, - le pilote qui était aux commandes
n’était pas qualifie et ne possédait pas de licence de
transport, - les employés de l’aéroport de Porto-Rico
n’avaient pas suivi les procédures pour s’assurer qu’il n’y avait
pas d’eau dans le fuel, - enfin que le contrôle de la compagnie
par la FAA était inefficace. La Commission de Sécurité
estime que la compagnie Vieques Air Links a commis ces négligences
pour des raisons de profits.
En Grande Bretagne, selon le Sunday Express, des pilotes ayant utilise
précédemment le Boeing 737 qui s’est écrasé
à Manchester auraient signale certains ennuis techniques et,
d’après l’Observer, une inspection inadéquate du matériel
serait à l’origine de l’accident. La compagnie British Airways
dont la British Airtours, propriétaire de l’avion qui s’est écrasé,
est une filiale et qui vient d’être récemment dénationalisée,
n’a fait aucun commentaire.
***
Le gouverneur de l’etat du Maryland a décidé le 23 août dernier une suspension de soixante jours des retraits effectues dans une nouvelle caisse d’épargne de l’etat, suite à une vague de retraits massifs. C’est le quatrième établissement bancaire de l’etat du Maryland qui connait des suspensions de retraits. Mais ce n’est là qu’une péripétie à côte de la crise qui affecte le système bancaire agricole americain. Selon un correspondant du « Monde » aux Etats-Unis (Le Monde du 10 septembre), « le système fédéral americain de credit agricole, détenteur de la plus grande partie de la dette des fermiers des Etats-Unis, réputé depuis l’entre-deux-guerres comme etant un système financier « plus solide que l’or », est dans une situation telle qu’il appelle à l’aide l’administration fédérale... Les difficultés que connait le Federal Farm Credit System dépassent de beaucoup celles qu’a connues en 1984 la banque Continental Illinois de Chicago qui n’a dû son salut qu’à une aide du gouvernement fédéral de 4,5 milliards de dollars. Alors que les actifs de cette banque étaient de l’ordre de 40 milliards de dollars, ceux du credit agricole sont environ de 74 milliards en prêts dont au moins 15% peuvent d’ores et déjà être considérés comme non recouvrables ; c’est donc pour une somme de 11 milliards de dollars que le Federal Farm Credit System fait appel au gouvernement. » C’est une belle épine dans le pied de Reagan qui veut toujours réduire les subventions accordées à l’agriculture au nom du libéralisme economique. Ce n’est pas ça qui va arranger le déficit americain. Le secrétaire d’etat à l’agriculture déclare : « toutes les options sont ouvertes, nous gérons le système au jour le jour en attendant
de disposer de tous les éléments nécessaires pour
prendre une décision. » Certains experts estiment qu’il
y a dans l’endettement excessif des agriculteurs, incapables d’honorer
leurs engagements après quatre années de mévente,
un risque plus grand pour le système americain de credit que
celui représenté par la dette du tiers-monde.
Si j’étais un agriculteur français, avant de voter pour
Giscard, Barre ou Chirac, tous plus grands admirateurs les uns que les
autres de Reagan et de sa soi-disant economie libérale, je réfléchirais
un peu !
Ce n’est pas du nez de Reagan qu’il s’agit, mais bien
du régime dont le Président du plus puissant et plus riche
pays du monde s’est fait le champion - à vrai dire rétrograde
- : le capitalisme en crise.
« Faites vos jeux... rien ne va plus », comme à la
roulette.
La Grande Relève le démontre constamment dans ses colonnes.
Mais, au sortir des vacances, après que l’affaire Grégory,
le Tour de France, la querelle Jospin- Fabius, le sida, le Greenpeace,
la cohabitation, la Nouvelle- Calédonie, l’apartheid aient occupé
en force les médias, il n’est pas indifférent de faire
le point de l’économie dans le monde : la réalité,
têtue, s’avère de plus en plus différente de ce
qu’espéraient encore il n’y a guère longtemps les chantres
du capitalisme, alias les experts, les hommes politiques ou les chefs
d’entreprise eux-mêmes.
A tout seigneur,- tout honneur les Etats-Unis.
Après deux années d’euphorie - 2 années seulement
! où sont les 30 glorieuses ? - c’est à nouveau le pessimisme.
" La croissance, de plus de 10% au premier trimestre 1984, était
tombée à 0,3 % au premier semestre 1985. Le 2e trimestre
a été « meilleur » : 2 % (en rythme annuel
1,1 %) mais grâce - voir Le Monde du 2 août - à l’augmentation
des commandes militaires en juin : + 25 %. Meilleur quantitativement,
car, qualitativement, c’est moins bon : le profit des entreprises a
diminué. C’est sans doute pour cela qu’ATT s’apprête à
supprimer 24 000 emplois.
L’objectif pour l’année (4 % au budget) déjà revu
en baisse à 3 %, ne sera pas atteint, selon les experts qui tablent
sur 2 %. A ce niveau - problématique - il manquera donc 2 points
sur les prévisions qui ont servi à calculer les recettes
budgétaires. Les dépenses 1985 n’étant pas réduites,
le déficit pourrait, selon R. Priouret, atteindre 220 milliards
de dollars. Dans ces conditions, il est peu probable que les taux d’intérêt
baissent de manière significative, car le gouvernement US devra
continuer à drainer l’épargne dans le monde entier pour
subvenir à ses emprunts, l’épargne américaine étant
depuis des années insuffisante. Mais le résultat devient
de plus en plus aléatoire depuis la baisse du dollar (20 %) amorcée
en février 1985. Les capitaux recherchent des monnaies plus stables
pour éviter les pertes en capital : mark, yen, voire livre.
" Le commerce extérieur : l’effet boomerang d’un dollar
cher atteint cette année son point culminant. Le déficit
du commerce extérieur sera de 150 milliards de dollars, peut-être
170, contre 120 en 1984 et 2T seulement en 1981, chiffre fantastique
jamais atteint. Bravo pour votre politique monétariste M. Reagan
: on doute que les « reaganomies » passent à l’histoire
comme un coup de génie.
Le marché US absorbe actuellement 35 % des exportations du Japon,
ce qui fragilise l’économie de ce pays : le boomerang pourrait
s’inverser. Mais la baisse du dollar, si elle perdure, ne permettra
de renverser la vapeur que dans 2 ans au mieux. Présentement,
du fait du niveau élevé des importations (pour la première
fois, en 1984, dans le pays de la « High technology » -
ô scandale, ô stupeur - la balancé des matériels
électroniques est déficitaire), la croissance industrielle
stagne, malgré les fabuleux marchés militaires. Si le
flux s’inverse avec la baisse du dollar, ce sont les pays qui exportent
aux USA qui seront touchés. On tourne en rond. Le capitalisme
mondial ne peut sortir des filets de ses contradictions.
" Les agriculteurs. D’ores et déjà, les agriculteurs
US connaissent une crise grave : tous les médias s’en sont faits
l’écho. Mais ce n’est qu’un début
- l’abondance des récoltes dans le monde entier en 1984, puis
1985, a fait chuter les cours. Les stocks vont atteindre 135 millions
de tonnes, soit 25 % de la production.
- Reagan, des qu’il a été réélu, a supprimé
nombre d’aides à l’agriculture.
- Durant les années fastes, les agriculteurs se sont endettés
au point que leur dette globale représente pour certains 2 fois
leurs avoirs ; et, de surcroît, la réduction de l’inflation
rend les taux d’intérêts des emprunts antérieurs
exorbitants.
Le nombre des faillites ne cesse de croître entraînant celles
des banques : 22 ont fermé dans l’Iowa, la Californie, le Nebraska.
Alors que les producteurs de céréales ne cessent de réclamer
des aides à l’exportation, les viticulteurs de Californie réclament,
eux, des mesures protectionnistes.
Bref, l’abondance, une fois de plus, s’avère désastreuse.
Le Matin du 26 août titrait en première page : «
Moissons : un record dangereux. Les prix risquent de s’effondrer ».
Et tant pis pour les millions d’êtres humains qui meurent de faim
: ce n’est pas le problème des fermiers.
" Le protectionnisme : pour essayer d’enrayer les « dégâts
» des importations, les industriels ont obtenu de l’Etat champion
du superlibéralisme des mesures protectionnistes pour l’acier,
le textile, les chaussures. Les secteurs de l’électronique, inquiets
des importations japonaises, réclament protection ; des mesures
sont à l’étude.
" Heureusement, il y a l’industrie militaire pour venir au secours
d’une économie à nouveau en crise : la « guerre des
étoiles » vient à point pour relancer la machine.
Etant donné « le retard pris par les USA dans ce domaine
par rapport aux Russes » (sic refrain classique), l’adoption d’un
tel programme passera aisément. Tant pis si cela absorbe des
richesses phénoménales et indispensables aux populations
dans le besoin et provoque un jour l’anéantissement de la planète.
***
Et la France... « socialiste » ?
" En France, la croissance est faible, quasi nulle. Comment s’en
étonner, les socialistes au pouvoir ayant réussi ce que
les capitalistes n’avaient pas osé faire : baisse du pouvoir
d’achat de 1,5 % en 1984 et ça continue. A cela s’ajoutent les
360 000 chômeurs supplémentaires en un an : ça fait
un sacré manque à la consommation, surtout lorsqu’on sait
comment ils sont « secourus ». Sans compter, corollairement,
le trou qui se prépare à nouveau à la Sécurité
Sociale, dont les recettes ont forcément diminué, trou
qu’il faudra combler par des impôts, lesquels ne s’investiront
évidemment pas dans la consommation et donc ne relèveront
pas la production. La boucle est bouclée. Pendant ce temps-là,
les chômeurs ne recevront pas - sans mauvais jeu de mots - les
tomates qu’on est en train de détruire (puisque la récolte
est surabondante !) après lait, viande, vin, etc... Histoire
de fous. Toujours la même, hélas, depuis 55 ans !
" Notre franc se tient. Pour combien de temps ? En 30 mois, le
différentiel d’inflation avec nos principaux partenaires - les
Allemands de l’Ouest - atteint près de 12 %. Dévaluer ?
Pas question à 6 mois des élections : on laisse cela à
la droite. Mais les détenteurs de capitaux en France, pour se
garantir d’une perte de capital en cas de dévaluation, commencent
à rechercher le mark, le yen, le franc suisse, le dollar étant,
lui, devenu suspect depuis qu’il chute.
" Certains, tel Jean Poperen au PS, insistent pour une relance
de la consommation. Il est peu probable que le gouvernement suive cet
appel. La Banque de France, dans son bulletin trimestriel du 7 avril,
insiste : « Il faut que l’évolution de la demande interne
continue d’être maîtrisée et que soit poursuivie
la modernisation de l’appareil productif, car les fruits de ces efforts
sont de plus en plus visibles ». Les fruits ? Quels fruits ? Les
chômeurs. Ne croyez pas que c’est à-eux que pense la Banque
de France en poursuivant : « Le succès du dispositif mis
en place il y a 2 ans... est le préalable nécessaire de
la restauration de notre capacité d’expansion économique
et de notre aptitude à créer des emplois ». Oculos
habent et non videbunt... à moins que ce ne soit tout simplement
du cynisme. Et ce n’est pas la réponse de notre ministre du Travail,
Monsieur Delebarre, à l’article d’Edmond Maire dans Le Monde
du 20 août, qui peut nous rassurer. E. Maire écrivait :
« Rien d’essentiel, du moins dans leur attitude face au chômage
grandissant, n’apparaît distinguer la gauche rassembleuse et modernisatrice
de la droite démocratique et intelligente. L’emploi, pour eux,
c’est toujours pour après-demain, après le rétablissement
des équilibres financiers ». A cela, Delebarre répond
: « Je crois que l’enjeu essentiel de ces élections est
de savoir si, en même temps qu’on modernise la France, on est
capable de moderniser la société française en empêchant
les phénomènes d’exclusion sociale » (souligné
par nous). En servant le capitalisme mieux que lui-même n’a su
le faire, ce n’est pas possible, M. Delebarre : nous vous l’affirmons
comme les faits vous le confirment depuis 1981. Malgré un traitement
social du chômage efficace sous P. Mauroy, le chômage -
SANS QUE LA PRODUCTION BAISSE - a augmenté de près de
50 %. Seule l’instauration d’un socialisme authentique - c’est-à-dire
de type distributif - pouvait et pourrait « empêcher les
phénomènes d’exclusion sociale ».
Or, autant sinon plus que sous la droite, les pages des journaux sont
remplies d’entreprises qui ferment ou licencient ; mais c’est à
la loupe qu’il faut chercher les créations d’emplois.
***
Pour terminer, un rapide coup d’oeil sur l’Angleterre,
l’Allemagne, le Tiers-Monde.
" En Angleterre, les prévisions pour 1986 sont pessimistes
: croissance de 1,4 % au lieu de 3,6 cette année ; baisse des
exportations ; croissance zéro de l’industrie manufacturière,
comme aux USA. D’autre part, en Angleterre comme ailleurs, le développement
technologique jetant à la rue des travailleurs, le chômage
passera de 3 220 000 en 1985 à 3 310 000 personnes.
" En Allemagne, la croissance ne tient que grâce à
l’exportation : le marché intérieur stagne. Au 1er semestre
1985, le nombre des faillites (9 377) a augmenté de 12 par rapport
à 1984.
" Dans le Tiers-Monde, l’endettement est toujours un casse-tête
insoluble : les interventions du FMI imposant des solutions drastiques
ne résolvent rien sur le fond. Les pays endettés réduisent
leurs importations ; leurs exportations servent à peine à
payer le service de la dette, comme au Mexique, où 80 % du produit
des exportations a été employé à payer les
intérêts des emprunts. L’inflation atteint souvent des
pourcentages fantastiques : 150 % au Pérou ; plus de 300 % en
Argentine.
En résumé, rien n’indique, après ces quelques mois
de « vacances », que la crise du capitalisme soit en voie
de résorption. Le cancer se généralise : chômage
accru, accentuation de la société duale, tant au niveau
des pays riches, qu’au niveau Nord-Sud : les « exclus sociaux »,
n’en déplaise à M. Delebarre (il est piquant de se référer
à son titre : « ministre du TRAVAIL ») sont de plus
en plus nombreux, de plus en plus mal secourus et considérés.
Dans le monde où nous vivons, tout est bon pour gagner de l’argent
: depuis la fabrication et la vente d’armes jusqu’à la production,
par « d’honnêtes citoyens » autrichiens, de vin capable
de tuer ; sans oublier la « fabrication » - moyennant finances
- de faux contrats de travail, pour un millier de chômeurs, par
le directeur d’une agence de travail intérimaire. Nous aimerions
savoir à quelle peine cet escroc inique sera condamné
si on le pique. Affaire à suivre. Oui, vraiment, c’est un cancer
généralisé.
Qui de nous ne connaît Albert Ducrocq ? Les vieux
militants se souviennent peut-être des conférences que
Jacques Duboin organisait, dans les années 50, à la Sorbonne.
Au cours de l’une d’elles, un jeune savant déjà célèbre
par ses écrits, et par son « renard » électronique,
ancêtre de tous les robots actuels, était venu affirmer
que les progrès de la technologie, déjà prévisibles
à cette époque, allaient bien dans le sens des modifications
du système économique préconisées par les
« abondancistes », comme on les appelait alors. C’était
Albert Ducrocq.
Bien des années plus tard, dans son célèbre ouvrage
sur la conquête de la lune, Albert Ducrocq ne- craignait pas de
récidiver, et de rendre à Jacques Duboin, nommément
cité, un juste hommage dont nous nous étions fait l’écho
(voir G.R. n° 586). Nous avions d’ailleurs été, à
ma connaissance, le seul journal à le faire.
Nous voici en 1985, à 15 ans de l’an 2000. Avec toute l’autorité
de sa maturité, Albert Ducrocq publie aux éditions Pion
un nouveau livre intitulé « Le futur aujourd’hui »,
et précisément consacré à ces 15 années
destinées à changer profondément notre vie quotidienne.
Sur le plan scientifique, c’est une étude marginale, richement
documentée, et se voulant résolument pragmatique en dépit
de ses prédictions d’avant-garde.
Sans vouloir en présenter ici une analyse exhaustive, d’ailleurs
malaisée vu l’ampleur des sujets traités, nous signalerons
tout de même plusieurs des grands problèmes de notre temps
: profondes modifications de la nature par l’informatique et l’électronique
; révolution de l’industrie automobile par l’invasion des robots
; création de nouveaux éléments chimiques, matériaux
de l’industrie de demain ; révolutions dans l’agriculture grâce
aux progrès du génie génétique et à
la maîtrise des bactéries ; création de nouveaux
médicaments, notamment dans l’apesanteur spatiale ; applications
civiles et militaires du laser, des fibres et des capteurs otpiques
; maisons « intelligentes » de l’an 2000, et nouveaux urbanismes
; généralisation des ports, etc...
Mais une fois de plus, Albert Ducrocq ne se limite pas aux perspectives
technologiques, aussi passionnantes soient-elles. Le centre d’intérêt
essentiel reste pour lui l’homme, et ceci l’amène à consacrer
plusieurs chapitres à des sujets nous concernant au premier chef
: l’emploi - la nouvelle économie - la monnaie.
Et là, Albert Ducrocq ne tergiverse pas, ne biaise pas. Jugez-en
plutôt par les quelques extraits et résumés suivants :
sur l’emploi
Pages 165 et 166
« L’inanité de l’emploi pour l’emploi avait autrefois été
dénoncé par Jacques Duboin. A ceux qui lui rapportaient
l’interdiction faite par une municipalité à des terrassiers
de recourir à des bennes, de sorte qu’il avait été
possible d’employer beaucoup plus de travailleurs utilisant des pelles,
l’inventeur de l’économie distributive avait fait remarquer,
non sans un certain humour noir, que l’on aurait engagé des personnes
en nombre plus grand encore si on leur avait donné des petites
cuillères pour accomplir leur tâche. Vous souriez ? Or,
au cours dés années écoulées, on a parfois
distribué beaucoup de cuillères ».
sur la monnaie
Pages 273 à 287
Albert Ducrocq stigmatise d’abord l’erreur consistant à voir
dans la monnaie une entité ayant une existence propre, indépendante
de l’activité économique et industrielle : les réalités,
dit-il, sont économiques. Dans l’absolu une société
aussi évoluée que la nôtre pourrait fonctionner
sans aucune monnaie.
« Comment ? Il suffirait d’imaginer que les hommes continueraient
à exercer leur activité actuelle, à assurer les
mêmes productions, leurs besoins étant satisfaits de la
même manière mais sans aucun mouvement financier. Autrement
dit la nourriture, les voyages, les objets de toute nature seraient
gratuits. Nul ne toucherait de salaire et les Etats n’auraient aucune
dépense interne - ils n’auraient pas à payer les fonctionnaires
comme ils n’auraient aucune dépense externe dès l’instant
où sur la planète tous les pays joueraient le jeu. Imaginez
un instant une telle situation et posez-vous la question : qu’y aurait-il
de changé ?
La réponse serait : rien. Si ce n’est que vous simplifieriez considérablement
la situation, car tous ceux qui, à quelques titres, ont des professions
touchant à la finance se trouveraient au repos. Il n’y aurait
même pas d’allocation de chômageà leur verser puisqu’ils
pourraient dans ce système prétendre continuer à
bénéficier des mêmes avantages qu’aujourd’hui. De
surcroît tous les individus seraient dégagés de
toute préoccupation financière. Mais cela étant
la machine économique pourrait tourner exactement de la même
manière ».
Bien entendu, Albert Ducrocq n’emploie cette présentation que
pour mieux nous faire saisir le véritable rôle de la monnaie,
et ne cache pas qu’il faudrait postuler sur l’honnêteté
des hommes. « C’est là, dit-il, un pieux contrat moral,
peut-être concevable au sein d’une famille ou d’une collectivité
dont tous les membres se connaissent, mais absolument utopique et inique
à l’échelle de la planète, ou seulement d’un pays
».
Rappelant ensuite que la somme a un sens comptable, mais est dépourvue
de signification économique, il analyse le fonctionnement de
la monnaie électronique et ses possibilités de décrire
la vie économique en des termes suffisants pour la modéliser
en direct, grâce à l’introduction dans l’ordinateur non
seulement du prix de la marchandise, mais aussi du numéro de
code qui la désigne.
la nouvelle économie
Pages 285 à 288
« Il y aura toutefois plus important dans la mesure où,
avec la monnaie électronique, les économies devront abandonner
l’actuelle formule de la redistribution au profit de la distribution.
En fait, une monnaie-jeton devrait être créée en
même temps que les- biens et supprimée au moment de leur
consommation.
La monnaie, notons-nous, entend exprimer la vie économique, comme
le langage décrit le monde extérieur dont il constitue
une représentation, indépendante de ce monde et ayant
de ce fait sa vie propre. Ainsi, avec le temps, le langage parlé
connut la transformation appelée dérive ; peu à
peu la prononciation des mots changea dans le sens d’une loi du moindre
effort. Or l’inflation est d’une certaine manière à la
monnaie ce que la dérive est au langage. Et au même titre
que l’imprimerie favorisa grandement le développement du langage
écrit, figeant l’orthographe, on peut attendre que, devenue électronique,
la monnaie échappe à ce mal de l’inflation, largement
dû au fait que, dans les circuits financiers, la masse monétaire
tournait hier en rond, gonflée à chaque cycle d’injections
injustifiées.
Il pourrait ne plus en aller de même avec la substitution à
ce modèle circulaire d’un modèle linéaire. Et justement,
rien ne vous oblige à faire tourner en rond votre monnaie électronique.
Dès l’instant où en regard de la monnaie vous mentionnez
son affectation, vous partez d’une source : aussi longtemps que vous
lui ajouterez de la valeur, vous aurez le droit de créer de la
monnaie et cette dernière disparaîtra dans les puits de
consommation.
Telles seront sans doute les bases de l’économie du XXIe siècle,
une économie qui, en outre, présentera la caractéristique
de faire de plus en plus payer les machines. Comment en serait-il autrement
dès l’instant où les tâches des hommes vont relever
de plus en plus du logiciel, la production étant le fait des
machines ?
Si vous deviez conserver les bases actuelles, une installation vétuste
qui emploierait une maind’oeuvre importante se trouverait fortement
imposée. Les charges seraient au contraire insignifiantes pour
une usine automatique dont la production serait considérable
: ainsi la monnaie électronique sera, dans l’avenir, conduite
à partir du travail des machines pour être distribuée
aux hommes.
Oui, nous nous acheminons vers une économie
distributive appelée à prendre d’abord pour critère
de la répartition des richesses les besoins individuels et collectifs.
Tout le mouvement actuel d’allocations, retraites, sécurité
sociale, et aides de toute nature s’inscrit déjà dans
une telle perspective. Mais également le téléphone
relève de cette philosophie : le coût véritable
d’une ligne est aujourd’hui voisin de 10 000 F. Les PTT vous font payer
beaucoup moins parce qu’il y va de l’intérêt de la société
que vous ayez le téléphone. Et de même lorsque vous
achetez votre billet d’avion, comprenez que la collectivité a
payé pour vous une somme du même ordre en finançant
la construction de l’aéroport. Sur un plan économique,
le fait nouveau est, à l’heure d’une large dématérialisation
des valeurs commerciales, la perspective d’un lien toujours plus lâche
entre la contribution des hommes à une production - dont nous
savons qu’ils en seront de plus en plus déconnectés physiquement
- et la destination de cette production.
A l’ère des logiciels, au demeurant, tout le travail ne se situe-t-il
pas au niveau de la programmation ? Il vous faut d’une part concevoir
les circuits, d’autre part conditionner les machines. Alors le prix
de l’opération dépendra peu du volume de la production
si cette dernière ne requiert guère de matières
premières. Et dans ces conditions, une production étant
lancée, on ne voit pas pourquoi on la stopperait après
avoir satisfait ceux qui peuvent payer le système de distribution
actuel. On pourra laisser la production se poursuivre pour assurer le
bien à tous ceux qui le souhaitent et auxquels la possibilité
de l’obtenir sera donnée dès l’instant où la création
des biens s’accompagnera automatiquement de la monnaie nécessaire
à leur acquisition. La notion, naguère chère aux
économistes, de coût marginal est en tout état de
cause caduque dès l’instant où le prix de revient d’une
production consiste essentiellement en des créations d’équipements
et de logiciels en amont de la fabrication elle-même.
Nombre de partisans de l’économie distributive nous la présentent
« non marchande, sans salariat, ni monnaie ». Ce serait
dans l’absolu possible, mais ce serait sans doute aussi théorique
que notre modèle ci-dessus évoqué de société
sans monnaie. La monnaie sera aussi nécessaire dans l’économie
distributive que dans l’économie actuelle. La différence
tiendra au caractère linéaire de la seconde avec, dans
chaque tranche de temps, création d’une quantité de monnaie
reflétant la production.
Très prometteuse dans la mesure où elle annonce une réconciliation
- ou plus exactement une harmonieuse synthèse - du capitalisme
et du socialisme, cette économie distributive ne saurait être
attendue dans l’immédiat si- la monnaie électronique doit
en être l’instrument ».
Après cette prise de position on ne peut plus catégorique,
Albert Ducrocq développe sa théorie de la monnaie à
deux dimensions :
- la monnaie de consommation proprement dite, à circulation horizontale
dans toute l’économie, en ce sens que l’argent gagné dans
l’année est dépensé dans l’année ;
- la monnaie d’investissement à circulation verticale, figée
dans une branche de l’économie pour redevenir disponible seulement
au bout d’un certain nombre d’années.
« C’est un peu comme dans nos immeubles où existent des
canalisations d’eau froide et des canalisations d’eau chaude : pour
alimenter les unes et les autres, on utilise la même eau, mais
elles ont des fonctions différentes et on évitera de les
mélanger ».
Nous arrêterons là les citations, mais sachez que nous
pourrions reproduire des chapitres entiers à l’appui de nos propres
analyses. Dans ce livre les jeunes pourront trouver bien des motifs
pour réfléchir, peut-être même s’enthousiasmer
et agir enfin-de manière constructive. Quant aux vieux compagnons
de lutte de Jacques Duboin, parfois découragés devant
l’échec apparent de leurs efforts et le spectacle de notre monde
en folie, ils y puiseront, j’en suis certain, un grand réconfort
et un renouveau de confiance. Je me souviens d’un soir d’automne où,
à la terrasse du Terminus près -de la gare St Lazare,
nous avions une fois de plus, Jacques Duboin et moi, « refait
le monde » devant notre pot. Au moment de nous séparer,
il me mit la main sur l’épaule et me dit : « Tu sais, en
toute honnêteté, nous venons encore de rêver. Je
ne verrai pas l’économie distributive, ni peut-être toi
non plus. Mais tes enfants, eux, la verront... ou alors !!... ».
La réponse ? Ces années lourdes, lourdes de toutes les
espérances, mais aussi des plus effrayantes menaces, vont nous
la donner. Nous pouvons, nous devons peser sur les événements.
Certains penseront qu’il y a beaucoup de vanité,
de la part d’un simple citoyen français, de s’adresser directement
à un chef d’Etat. Mais, c’est précisément parce
que je ne suis qu’un humble inconnu sans titre, sans obligation diplomatique
et sans prétention à gouverner qu’il m’est possible d’exprimer
les craintes et les espoirs que se partagent mes compatriotes, sans
autre souci que celui d’être sincère en restant impartial.
Il est évident que, rompant avec ce à quoi nous étions
habitués, le fait qu’un homme jeune préside aujourd’hui
aux destinées de l’URSS ait été célébré
par la presse occidentale comme l’événement historique
de l’année 1985, n’est contesté par personne.
La question que se pose l’homme du peuple, incité en cela par
ses médias, est la réalité ou l’irréalité
d’une intention agressive du bloc soviétique contre l’Europe
occidentale.
Envahir l’Europe... Que viendriez-vous y faire ? Celle-ci ne vous procure-t-elle
pas déjà les technologies qui vous font défaut,
les céréales d’appoint nécessaires à vos
populations ? Une guerre ne vous apporterait qu’un surcroît d’efforts
inutiles, étant donné que vous n’avez pas besoin de ce
ballon d’oxygène pour maintenir des emplois ou d’un adjuvant
indispensable à relancer une économie de profits.
En outre, soyez assuré que, mis à part quelques fantoches,
les Français, dans leur immense majorité, n’ont aucune
raison ni envie d’engager un conflit contre le bloc soviétique
et que les seuls uniformes soviétiques qu’il nous est agréable
de voir et d’applaudir sont ceux des talentueux chanteurs composant
le « Choeur de l’Armée Rouge ».
Quant aux conflits que vous avez en permanence avec les USA, il vous
est facile de leur donner parfois une leçon sans avoir à
tirer un coup de fusil. Négociez du dollar à contre-temps,
cessez de leur acheter du blé, consacrez moins de crédits
à vos militaires et plus à vos chercheurs et dans peu
de temps ces fiers Yankees en rabattront. (Ce qui amuserait bien les
Européens).
Nos pays capitalistes se sont empêtrés dans une crise dont
on ne voit pas l’issue, parce que, de par leur nature, ils ne peuvent
sortir d’une économie de marché. Ceci nous oblige à
entretenir une « rareté artificielle » assurant le
profit d’une minorité, avec toutes les conséquences désastreuses
qui en découlent : chômage, austérité, destruction
de denrées, augmentation de la délinquance, étouffement
des initiatives non génératrices de profits, pollutions,
gaspillage et pour couronner le tout, course aux armements.
Autre question, tout aussi importante que la première. L’URSS
va-t-elle se décider à ouvrir la voie d’un changement
apte à faire entrer l’humanité dans le XXIe siècle ?
Autrement dit, êtes-vous déterminé à achever
cette révolution commencée en 1917 ? Cette révolution,
aspirant à satisfaire avec plus de justice les besoins de tous,
qui a tant fait rêver, pendant un demi-siècle, les prolétaires
du monde entier.
Ce changement consisterait à modifier les mécanismes économiques
et monétaires, donnant ainsi la capacité aux consommateurs
de profiter d’une production de plus en plus abondante réalisée
avec de moins en moins de travail humain.
Soyez assurés que le modèle que représenterait,
aux yeux du monde, cette nouvelle société soviétique
constituerait votre plus efficace protection.
Il ne tient qu’à vous, Mikail Gorbatchev, si vous savez vous
en donner les moyens, d’être, pour les générations
futures, le plus grand homme de cette fin de siècle.
Une voix parmi d’autres.
Il est vrai qu’à quelques exceptions près
(les marginaux), les hommes d’aujourd’hui n’osent plus rêver ;
on comprend leur résignation ! A leur droite, les libéraux
leur prouvent que, dans leur vie de tous les jours, ils sont soumis
à des déterminismes incontournables, parfaitement indifférents
au bonheur individuel ; à leur gauche, on leur propose des rêves
spartiates, d’altruisme et de brouet partagé qui, là où
ils se réalisent, tournent au cauchemar. Effectivement, il existe
deux écueils pour l’utopie : l’impossibilité matérielle
et l’absurdité morale. Sur le premier point, il faut bien reconnaître
avec les libéraux que la vie économique est un réseau
de milliards de contrats tacites dont l’exécution est nécessaire
à la survie de l’espèce, qu’il est difficile de tout changer
tout d’un coup, le risque étant alors de provoquer une énorme
pagaille et une récession c’est comme donner un coup de pied
dans une fourmilière ! Souvent irresponsables, automatiques,
les comportements économiques relèvent de l’habitude ;
leur mise en place a été laborieuse ; ils ressemblent
à des lois. Pourtant ce sont des individus qui les fabriquent.
Si bien qu’il est toujours possible d’imaginer que les choses soient
autrement ! Par exemple, que les « libéraux » appellent
« chômage » la réduction, grâce au progrès
technique, de la peine des hommes, pourquoi pas ? C’est effectivement
ainsi qu’ils détournent ce progrès de sa fin véritable
! Mais il faudrait que d’autres voix s’élèvent pour donner
au phénomène sa dimension véritable, à savoir
que désormais l’homme n’a plus à s’épuiser comme
autrefois pour subvenir à ses besoins, mais que, partiellement
maître de son emploi du temps, il" n’est plus asservi au
groupe. Au lieu de redouter l’automation, au lieu de gémir sur
ce qui est en fait une victoire, il faudrait s’en réjouir ; le
mal vient, non de la machine, mais de la façon dont, pauvres
ou riches, nous réagissons devant cette diminution des contraintes
imposées par le travail ; la solution d’avenir ne consiste pas
à donner du travail à tout prix, n’importe lequel, pour-pouvoir
payer les gens : mieux vaudrait alors les payer à ne rien faire
!... Ceci n’est qu’un exemple du décalage scandaleux qui existe
dans nos sociétés entre les possibilités techniques
et les réalisations ; le monde industriel d’aujourd’hui a besoin
de nouveaux Saint-Simonniens, pour débloquer une production paralysée
: pourquoi pas les Abondancistes ?
Les utopies échouent quand elles sont moralement absurdes, quand
elles ne tiennent pas compte de la nature psychologique et sociale de
l’homme, quand elles traduisent en fait des fantasmes sadiques, ou masochistes
C’est une forme de terrorisme que de vouloir « bouleverser les
structures » ; ceux qui en parlent si facilement, ou bien ne savent
pas ce qu’ils disent, ou bien se situent d’instinct dans le Comité
d’Organisation ! C’est méconnaître les puissances de mort,
les sentiments de haine qui existent dans les groupes humains, et que
l’ordre social, si criticable qu’il soit, jugule tant bien que mal.
Rien de ridicule que ces « révolutionnaires » qui
commencent par dire que tout le monde est beau et gentil et qui, dans
leur vieillesse n’ont pas de mots assez durs pour leurs semblables !
Il ne suffit pas de grouper les hommes pour qu’ils soient heureux ;
la majorité peut fort bien se tromper ; le bonheur individuel
doit être l’idéal des sociétés, parce que
ce qui est collectif n’existe qu’incarné dans tel ou tel individu.
La règle de la véritable utopie, de celle qui fait rêver,
devrait être la Prudence ! Contre les risques toujours présents
de tyrannie, il faut absolument donner aux individus des positions contractuelles
de repli, une propriété privée, un domaine qui
corresponde au territoire des animaux ; il faut préserver l’intérêt
individuel ; car on voit mal à quoi-il pourrait être sacrifié
! Précisément, l’originalité de l’abondancisme,
c’est qu’il ose proposer un autre idéal que les privations, que
le sacrifice des plaisirs individuels à un « intérêt
collectif » ! Tandis que toutes les idéologies donnent
à l’Etat un pouvoir démesuré, à droite comme
à gauche (car l’Etat libéral est en fait aussi autoritaire
que l’Etat socialiste), au moment où les hommes politiques s’arrogent
le droit de déterminer pour tous les hommes ce qu’il faut croire
ou ne pas croire, où les partis ont l’audace d’afficher un «
projet de société », il est extraordinaire que J.
Duboin ait eu le courage de réduire le rôle de l’Etat à
ce qu’il doit être : assurer le bien- être matériel
-le plus large, c’est à peu près tout ! II fallait d’ailleurs
à J. Duboin pas mal d’audace pour présenter l’Abondance
comme un Idéal, quand toutes les morales sur lesquelles nous
réglons notre conduite exaltent les privations, les sacrifices,
dénoncent le bien- être comme dégradant, menacent
l’Humanité de dégénérescence si elle atteint
un jour le stade de l’abondance ! Il semble que cette lutte pour le
bonheur sur terre, par lequel nous devenons vraiment hommes, à
condition de lui donner sa véritable dimension, puisse être
pour le monde d’aujourd’hui une nouvelle utopie. Il appartient aux abondancistes
de montrer concrètement, sans tomber dans l’invraisemblance,
sans faire appel au terrorisme du sacrifice, en se référant
simplement à l’intérêt individuel humain bien compris,-que
les choses pourraient se passer tout autrement, et même infiniment
mieux, et que, la guerre terminée, les sociétés
ne sont pas condamnées à la guerre économique.
Une fois déterminées les fins, les moyens se trouveront
sur le tas ; le passage à l’abondance se fera vraisemblablement,
non par un décret pris au sommet, mais au coup par coup, à
mesure que des groupes d’hommes comprendront qu’ils sont déjà
en situation d’abondance et qu’au lieu de bouder leur bonheur, ou d’y
consentir en gémissant, ils feraient mieux de le choisir carrément
!
En période de crise, l’obscurantisme semble
resurgir (envers et contre toutes les études tangibles, concrètes,
rationnelles... et par là même les plus partageables) venu
d’une sorte d’inconscient historique, d’archétypes multi- millénaires,
ou des voûtes sombres du Moyen Age...
Ces résurgences, destinées pour certains à brouiller
la vue et l’entendement, surviennent à tous coups comme une «
défense » magique contre l’insécurité d’une
société qui va à la dérive pour des motifs
qui n’ont rien de mystérieux, ni d’extra-terrestres.
Les prosélytes acharnés de l’ « Ame » et de
l’ « Aura » se disent spécialistes en générosité
et fraternité. Ils se concoctent une « soupe » ésotérique
où rentre évidemment une forte notion de « Père
», de Créateur, de Gourou... Tout badigeonnés d’un
spiritualisme qui les distingue, ils ont recours aux croyances mystiques,
aux paroles d’Evangiles, aux rôles (par ailleurs fort intéressants)
distribués aux personnages bibliques.
Parfois ils vont chercher en Orient un peu de Pensée Zen, de
souvenirs d’Ashram, de méditations fatalement transcendantales...
Certains ayant été chats ou plutôt tigres se sont
par la suite incarnés en hommes célèbres plutôt
qu’en ménagères inconnues.
Cette « élite » est sujette à l’ « Inspiration
» ; on y a des apparitions, on entend des voix, on cause à
son arrière-grand-père, on « communique »
avec son défunt époux...
Ceci se tient - paradoxalement, pour des gens qui se disent pragmatiques,
de gauche, voire marxistes - avec un goût pour les valeurs morales
les plus réactionnaires, répressives, atrophiantes, qui
sont bien une des victoires du « refoulé ».*
Ces CONSTRUCTIONS ARTIFICIELLES ne résisteraient d’ailleurs pas
à une séance d’introspection honnête, tant elles
sont les symptômes en creux de la « difficulté d’être
» des gens qui les utilisent comme une cuirasse** protectrice.
Même cuirasse qui fait tenir debout jusqu’au jour de l’écroulement
(souvent la retraite) ceux qui se sont voulus indispensables dans le
système marchand et compétitif actuel !
Tout ceci relève de l’ « Impondérable », de
la « Révélation » et de l’ « Impalpable
» qui habite certains plutôt que d’autres...
MAIS C’EST TRES DOMMAGEABLE car ces croyances SONT UN FREIN à
une certaine COMMUNAUTÉ D’ANALYSE RATIONNELLE et donc à
L’EFFICACITÉ qui seraient enfin possibles, à l’heure ou
tant de disciplines ont justement démystifié ce qu’il
en est :
" DU POLITIQUE : gestion... (sociale, culturelle, économique)
de la Cité ;
" DU PRIVÉ (affectif***, psychologique, rôle de l’inconscient
dans la vie quotidienne...).
LE PRIVÉ ETANT POLITIQUE
La vie privée des gens étant imprégnée
de leur socio-culture, peut, à son tour, par des choix de comportements
nouveaux modifier le Politique... Ici, - sur terre, aujourd’hui, à
la portée de tous, pour peu qu’on en finisse avec le confusion,
quand la réalité des vivants, organisés en société,
est déjà très complexe et demande par conséquent
un certain travail pour bien la cerner et en faire partager à
tous une SYNTHESE COHERENTE.
NOUS N’AVONS PAS TOUS L’ÉTERNITÉ POUR ÉVITER (ici-bas)
LA CATASTROPHE très prosaïquement orchestrée par
des hommes qui n’ont que faire de la Foi ni de la Loi !
* Ce que le Surmoi social de chacun lui interdit de
faire ou de penser.
** cf. la « cuirasse caractérielle » selon Wilhelm
Reich.
*** J’entends par là, entre autres, les millions de déterminismes
ACQUIS dans les mois qui précèdent et suivent la naissance
d’un enfant, dans un milieu donné.
Apparue il y a près d’un siècle dans
le roman d’Edward Bellamy (1), reprise au cours des dernières
décennies par divers auteurs, l’idée d’une carte de paiement
porteuse d’un crédit positionnable au fur et à mesure
des achats, n’est pas toute nouvelle, loin s’en faut. En 1970, les Américains
inventaient la « carte codée ». La monnaie électronique
était née. Dix années plus tard, les travaux de
recherche et de mise au point de Roland Moreno allaient déboucher
sur le procédé INNOVATRON utilisé dans la carte
à mémoires.
Après une période d’expérimentation de quelque
18 mois à Lyon, Blois, Caen, puis à St-Etienne et Lille,
la « carte à puce » aborde une seconde étape
avec la mise en service prochaine de 12 millions de ces titres de paiement
porteurs de monnaie électronique.
On doit envisager d’ores et déjà quel pourrait être
le terme d’une troisième étape amorçant la plus
étonnante révolution économique de tous les temps,
avec la suppression des terminaux couplés aux lecteurs de cartes,
celle des transferts d’argent qui, depuis toujours, servent à
former les revenus.
Quand le public aura pris l’habitude de cette monnaie électronique,
de cette carte que l’on approvisionne à la banque et qui se vide
en fonction des paiements, alors naîtra la « monnaie de
consommation ». Il suffira de neutraliser dans le lecteur de carte,
le dispositif transfert débit-crédit et de munir chaque
consommateur, salariés et non salariés, producteurs et
distributeurs, de sa carte à mémoires. Ainsi seront supprimés
les mouvements d’argent d’un compte à un autre, chaque personne
adulte ayant le sien crédité périodiquement, selon
un barème à définir à l’intérieur
de chaque groupe socioprofessionnel, libre de « charger »
sa carte à concurrence de ses besoins hebdomadaires ou mensuels,
dans la limite de son revenu ou de son avoir.
Gagée par un ensemble de valeurs d’offres rendues indépendantes
des coûts, la monnaie de consommation distribuée en guise
de revenu, devient le revenu lui- même. Ce revenu, mis en place
selon de nouvelles conventions, doit répondre à de nouveaux
critères tenant compte, dans une plus large mesure, de l’âge,
de l’ancienneté, de la qualification de l’individu, de la fonction
qu’il remplit, de son utilité sociale, de sa compétence,
de son efficacité, enfin de ses besoins individuels et familiaux,
c’est-à-dire de son revenu antérieur. Il serait, en effet,
maladroit et inutilement cruel, de transformer les mieux nantis assurant
aujourd’hui des postes de responsabilité, en révoltés
victimes d’une révolution qui se veut sans perdants, afin d’obtenir
les meilleures chances de réussite, la maintenance à un
rythme soutenu, d’une production abondante et de qualité.
On discerne les immenses simplifications apportées à la
vie courante par l’usage d’une monnaie de consommation, celles découlant
notamment de la disparition du profit en tant que source de revenus,
de la suppression des emplois et organismes dont la seule fonction est,
actuellement, d’assurer la circulation de l’argent, la formation des
revenus. Gagés par les fruits du travail commun, la monnaie de
consommation remplit un peu le rôle d’une monnaie- matière
à usages polyvalents. Elle assure la sécurité des
familles, moralise les activités, met un terme aux ruineuses
concurrences, source de gaspillages, réduit la durée du
travail au bénéfice du loisir sans perte de revenu, donne
le feu vert à la qualité dans l’abondance. Otant à
l’argent son pouvoir dominateur, oppresseur, la monnaie de consommation
n’est- elle pas le Deus ex machina propre à se substituer aux
expédients, aux solutions bâtardes, au sein d’une crise
qui n’en finit pas.
(1) Loocking Backward (1888).