Recherche
Plan du site
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 838 - octobre 1985 > Cancer généralisé

 

Le site est passé à sa troisième version.

N'hésitez-pas à nous transmettre vos commentaires !
Merci de mettre à jour vos liens.

Si vous n'êtes pas transferé automatiquement dans 7 secondes, svp cliquez ici

Cancer généralisé

par A. PRIME
octobre 1985

Ce n’est pas du nez de Reagan qu’il s’agit, mais bien du régime dont le Président du plus puissant et plus riche pays du monde s’est fait le champion - à vrai dire rétrograde - : le capitalisme en crise.
« Faites vos jeux... rien ne va plus », comme à la roulette.
La Grande Relève le démontre constamment dans ses colonnes. Mais, au sortir des vacances, après que l’affaire Grégory, le Tour de France, la querelle Jospin- Fabius, le sida, le Greenpeace, la cohabitation, la Nouvelle- Calédonie, l’apartheid aient occupé en force les médias, il n’est pas indifférent de faire le point de l’économie dans le monde : la réalité, têtue, s’avère de plus en plus différente de ce qu’espéraient encore il n’y a guère longtemps les chantres du capitalisme, alias les experts, les hommes politiques ou les chefs d’entreprise eux-mêmes.
A tout seigneur,- tout honneur les Etats-Unis.
Après deux années d’euphorie - 2 années seulement  ! où sont les 30 glorieuses ? - c’est à nouveau le pessimisme.
" La croissance, de plus de 10% au premier trimestre 1984, était tombée à 0,3 % au premier semestre 1985. Le 2e trimestre a été « meilleur » : 2 % (en rythme annuel 1,1 %) mais grâce - voir Le Monde du 2 août - à l’augmentation des commandes militaires en juin : + 25 %. Meilleur quantitativement, car, qualitativement, c’est moins bon : le profit des entreprises a diminué. C’est sans doute pour cela qu’ATT s’apprête à supprimer 24 000 emplois.
L’objectif pour l’année (4 % au budget) déjà revu en baisse à 3 %, ne sera pas atteint, selon les experts qui tablent sur 2 %. A ce niveau - problématique - il manquera donc 2 points sur les prévisions qui ont servi à calculer les recettes budgétaires. Les dépenses 1985 n’étant pas réduites, le déficit pourrait, selon R. Priouret, atteindre 220 milliards de dollars. Dans ces conditions, il est peu probable que les taux d’intérêt baissent de manière significative, car le gouvernement US devra continuer à drainer l’épargne dans le monde entier pour subvenir à ses emprunts, l’épargne américaine étant depuis des années insuffisante. Mais le résultat devient de plus en plus aléatoire depuis la baisse du dollar (20 %) amorcée en février 1985. Les capitaux recherchent des monnaies plus stables pour éviter les pertes en capital : mark, yen, voire livre.
" Le commerce extérieur : l’effet boomerang d’un dollar cher atteint cette année son point culminant. Le déficit du commerce extérieur sera de 150 milliards de dollars, peut-être 170, contre 120 en 1984 et 2T seulement en 1981, chiffre fantastique jamais atteint. Bravo pour votre politique monétariste M. Reagan  : on doute que les « reaganomies » passent à l’histoire comme un coup de génie.
Le marché US absorbe actuellement 35 % des exportations du Japon, ce qui fragilise l’économie de ce pays : le boomerang pourrait s’inverser. Mais la baisse du dollar, si elle perdure, ne permettra de renverser la vapeur que dans 2 ans au mieux. Présentement, du fait du niveau élevé des importations (pour la première fois, en 1984, dans le pays de la « High technology » - ô scandale, ô stupeur - la balancé des matériels électroniques est déficitaire), la croissance industrielle stagne, malgré les fabuleux marchés militaires. Si le flux s’inverse avec la baisse du dollar, ce sont les pays qui exportent aux USA qui seront touchés. On tourne en rond. Le capitalisme mondial ne peut sortir des filets de ses contradictions.
" Les agriculteurs. D’ores et déjà, les agriculteurs US connaissent une crise grave : tous les médias s’en sont faits l’écho. Mais ce n’est qu’un début
- l’abondance des récoltes dans le monde entier en 1984, puis 1985, a fait chuter les cours. Les stocks vont atteindre 135 millions de tonnes, soit 25 % de la production.
- Reagan, des qu’il a été réélu, a supprimé nombre d’aides à l’agriculture.
- Durant les années fastes, les agriculteurs se sont endettés au point que leur dette globale représente pour certains 2 fois leurs avoirs ; et, de surcroît, la réduction de l’inflation rend les taux d’intérêts des emprunts antérieurs exorbitants.
Le nombre des faillites ne cesse de croître entraînant celles des banques : 22 ont fermé dans l’Iowa, la Californie, le Nebraska. Alors que les producteurs de céréales ne cessent de réclamer des aides à l’exportation, les viticulteurs de Californie réclament, eux, des mesures protectionnistes.
Bref, l’abondance, une fois de plus, s’avère désastreuse.
Le Matin du 26 août titrait en première page : «  Moissons : un record dangereux. Les prix risquent de s’effondrer ».
Et tant pis pour les millions d’êtres humains qui meurent de faim  : ce n’est pas le problème des fermiers.
" Le protectionnisme : pour essayer d’enrayer les « dégâts  » des importations, les industriels ont obtenu de l’Etat champion du superlibéralisme des mesures protectionnistes pour l’acier, le textile, les chaussures. Les secteurs de l’électronique, inquiets des importations japonaises, réclament protection ; des mesures sont à l’étude.
" Heureusement, il y a l’industrie militaire pour venir au secours d’une économie à nouveau en crise : la « guerre des étoiles » vient à point pour relancer la machine. Etant donné « le retard pris par les USA dans ce domaine par rapport aux Russes » (sic refrain classique), l’adoption d’un tel programme passera aisément. Tant pis si cela absorbe des richesses phénoménales et indispensables aux populations dans le besoin et provoque un jour l’anéantissement de la planète.

***

Et la France... « socialiste » ?
" En France, la croissance est faible, quasi nulle. Comment s’en étonner, les socialistes au pouvoir ayant réussi ce que les capitalistes n’avaient pas osé faire : baisse du pouvoir d’achat de 1,5 % en 1984 et ça continue. A cela s’ajoutent les 360 000 chômeurs supplémentaires en un an : ça fait un sacré manque à la consommation, surtout lorsqu’on sait comment ils sont « secourus ». Sans compter, corollairement, le trou qui se prépare à nouveau à la Sécurité Sociale, dont les recettes ont forcément diminué, trou qu’il faudra combler par des impôts, lesquels ne s’investiront évidemment pas dans la consommation et donc ne relèveront pas la production. La boucle est bouclée. Pendant ce temps-là, les chômeurs ne recevront pas - sans mauvais jeu de mots - les tomates qu’on est en train de détruire (puisque la récolte est surabondante !) après lait, viande, vin, etc... Histoire de fous. Toujours la même, hélas, depuis 55 ans !
" Notre franc se tient. Pour combien de temps ? En 30 mois, le différentiel d’inflation avec nos principaux partenaires - les Allemands de l’Ouest - atteint près de 12 %. Dévaluer ? Pas question à 6 mois des élections : on laisse cela à la droite. Mais les détenteurs de capitaux en France, pour se garantir d’une perte de capital en cas de dévaluation, commencent à rechercher le mark, le yen, le franc suisse, le dollar étant, lui, devenu suspect depuis qu’il chute.
" Certains, tel Jean Poperen au PS, insistent pour une relance de la consommation. Il est peu probable que le gouvernement suive cet appel. La Banque de France, dans son bulletin trimestriel du 7 avril, insiste : « Il faut que l’évolution de la demande interne continue d’être maîtrisée et que soit poursuivie la modernisation de l’appareil productif, car les fruits de ces efforts sont de plus en plus visibles ». Les fruits ? Quels fruits ? Les chômeurs. Ne croyez pas que c’est à-eux que pense la Banque de France en poursuivant : « Le succès du dispositif mis en place il y a 2 ans... est le préalable nécessaire de la restauration de notre capacité d’expansion économique et de notre aptitude à créer des emplois ». Oculos habent et non videbunt... à moins que ce ne soit tout simplement du cynisme. Et ce n’est pas la réponse de notre ministre du Travail, Monsieur Delebarre, à l’article d’Edmond Maire dans Le Monde du 20 août, qui peut nous rassurer. E. Maire écrivait : « Rien d’essentiel, du moins dans leur attitude face au chômage grandissant, n’apparaît distinguer la gauche rassembleuse et modernisatrice de la droite démocratique et intelligente. L’emploi, pour eux, c’est toujours pour après-demain, après le rétablissement des équilibres financiers ». A cela, Delebarre répond  : « Je crois que l’enjeu essentiel de ces élections est de savoir si, en même temps qu’on modernise la France, on est capable de moderniser la société française en empêchant les phénomènes d’exclusion sociale » (souligné par nous). En servant le capitalisme mieux que lui-même n’a su le faire, ce n’est pas possible, M. Delebarre : nous vous l’affirmons comme les faits vous le confirment depuis 1981. Malgré un traitement social du chômage efficace sous P. Mauroy, le chômage - SANS QUE LA PRODUCTION BAISSE - a augmenté de près de 50 %. Seule l’instauration d’un socialisme authentique - c’est-à-dire de type distributif - pouvait et pourrait « empêcher les phénomènes d’exclusion sociale ».
Or, autant sinon plus que sous la droite, les pages des journaux sont remplies d’entreprises qui ferment ou licencient ; mais c’est à la loupe qu’il faut chercher les créations d’emplois.

***

Pour terminer, un rapide coup d’oeil sur l’Angleterre, l’Allemagne, le Tiers-Monde.
" En Angleterre, les prévisions pour 1986 sont pessimistes  : croissance de 1,4 % au lieu de 3,6 cette année ; baisse des exportations ; croissance zéro de l’industrie manufacturière, comme aux USA. D’autre part, en Angleterre comme ailleurs, le développement technologique jetant à la rue des travailleurs, le chômage passera de 3 220 000 en 1985 à 3 310 000 personnes.
" En Allemagne, la croissance ne tient que grâce à l’exportation : le marché intérieur stagne. Au 1er semestre 1985, le nombre des faillites (9 377) a augmenté de 12 par rapport à 1984.
" Dans le Tiers-Monde, l’endettement est toujours un casse-tête insoluble : les interventions du FMI imposant des solutions drastiques ne résolvent rien sur le fond. Les pays endettés réduisent leurs importations ; leurs exportations servent à peine à payer le service de la dette, comme au Mexique, où 80 % du produit des exportations a été employé à payer les intérêts des emprunts. L’inflation atteint souvent des pourcentages fantastiques : 150 % au Pérou ; plus de 300 % en Argentine.
En résumé, rien n’indique, après ces quelques mois de « vacances », que la crise du capitalisme soit en voie de résorption. Le cancer se généralise : chômage accru, accentuation de la société duale, tant au niveau des pays riches, qu’au niveau Nord-Sud : les « exclus sociaux », n’en déplaise à M. Delebarre (il est piquant de se référer à son titre : « ministre du TRAVAIL ») sont de plus en plus nombreux, de plus en plus mal secourus et considérés.
Dans le monde où nous vivons, tout est bon pour gagner de l’argent  : depuis la fabrication et la vente d’armes jusqu’à la production, par « d’honnêtes citoyens » autrichiens, de vin capable de tuer ; sans oublier la « fabrication » - moyennant finances - de faux contrats de travail, pour un millier de chômeurs, par le directeur d’une agence de travail intérimaire. Nous aimerions savoir à quelle peine cet escroc inique sera condamné si on le pique. Affaire à suivre. Oui, vraiment, c’est un cancer généralisé.

^

e-mail