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Éditorial
Si, contrairement à ce qu’affirmait «
La Grande Relève », dont la couverture du n° 764 était
intitulée : « Le bluff sur le pétrole », vous
avez cru à une époque que la grande crise économique
que nous vivons avait pour cause une crise catastrophique et définitive
de production de pétrole (car c’est alors ce que tous les experts
en économie affirmaient) vous avez aujourd’hui les moyens de
faire le point : avec la même unanimité, les médias
expliquent que les pays industrialisés ont si bien su s’adapter
à cette « crise » que la catastrophe qui nous menace
aujourd’hui est celle de SOUS-CONSOMMATION de pétrole ! Pourquoi
? Mais parce que les producteurs ne pouvant plus vendre au prix qu’ils
espèrent, celà signifie pour eux une baisse de revenus.
Bien entendu, ce n’est pas vraiment celà qui inquiète
nos experts. Ce qui les affole, c’est que ces producteurs ayant été
de si bons clients à l’époque où le renchérissement
du prix du pétrole fut pour eux un pactole, ils ont fait l’objet
de toutes les prévenances de la part des plus grosses banques
américaines, européennes ou japonaises. Celles-ci ont
alors consenti de très gros crédits à tout ce qui
était lié à la production de pétrole (au
Mexique, par exemple) parce qu’elles en attendaient d’énormes
profits. Et maintenant que le pétrole se vend moins bien, ce
qui inquiète l’opinion c’est de penser que ces malheureuses banques
vont avoir du mal à toucher les intérêts qu’elles
espéraient. Donc : consommez du pétrole, adieu les économies
d’énergie, il y va de l’avenir du système du marché
capitaliste !
Cette démonstration flagrante des perversions de l’économie
de marché a une retombée inespérée : un
éclair de lucidité de la part de P. Fabra qui écrit
dans « Le Monde » du 9 Juillet :
Une chose est en effet constamment oubliée dans les rapports
officiels, et notamment ceux qui émanent du Fonds Monétaire
: c’est qu’un fournisseur ne peut impunément tripler ou quadrupler
son prix de vente qu’à la condition d’être assuré
que ses clients trouveront l’argent pour le payer... C’est la permissivité
du système financier international qui a fourni au double coup
de force de l’OPEP les moyens pour réussir. Selon le schéma
popularisé par les experts du FMI, la hausse brutale du prix
du pétrole accroissait dans la même proportion les recettes
des pays producteurs, et comme ceux-ci ne pouvaient dans un laps de
temps aussi court augmenter leurs importations... il en résultait
l’accumulation à leur profit d’énormes excédents
financiers. Ces surplus furent déposés auprès des
banques... Celles-ci ont alors entrepris de les prêter aux pays
importateurs, dont les déficits ont ainsi pu être financés
pour le plus grand bien de l’économie internationale. Cette opération
dénommée de « recyclage » a valu aux banques
qui en ont extraordinairement profité les louanges publiques
du FMI jusqu’en 1981.
Et si nos experts ou au moins le journaliste du Monde, en profitaient pour oser imaginer ce qui se passerait pour l’humanité si les échanges internationaux ne pouvaient plus se faire que sans les intérêts monétaires des banques, sur la base de simples contrats d’échanges de biens ou de services, éventuellement à terme, mais toujours « au comptant » ?
Il devient de plus en plus difficile d’obtenir des
données numériques exactes dans la presse non spécialisée.
Très souvent les articles sont accompagnés de tableaux
du genre de celui-ci :
Les Grands Indicateurs |
||||
1984 | 1985 | 1986 | ||
P.I.B. | +1,5 | +1,1 | +1,7 | |
Consommation des ménages | +0,5 | +1 | +1,6 | |
Investissement total | -2,9 | -0,5 | +1,1 |
l’objet n’est plus de comparer des chiffres exacts
exprimés dans une valeur connue de tous, mais bien de comparer
les évolutions en pourcentage. Ainsi plus besoin de donner la
valeur du P.I.B., on ne parlera que de son évolution. Et c’est
en spécialisant les données que l’on donne une vue étroite
à ceux qui s’intéressent à l’économie. Et
c’est en spécialisant les discours que l’on arrive à «
désinformer », voire à transmettre un message différent
de la réalité. M. Rocard, dans sa prestation télévisée
du 13 Juin dernier a déclaré « Le chômage
est important, mais il l’est moins en proportion que dans les autres
pays ».
Félicitons-nous !
Après tout, on peut peut être se passer de la bénédiction des américains pour mettre en place ce nouvel ordre international. C’est ainsi que pour contourner les contraintes imposées par le FMI et ses banquiers, le Nigéria vient de mettre en oeuvre un système efficace d’accords de compensation particuliers s’étalant, à la différence des accords de troc classiques, sur des périodes relativement longues, de six mois à un an. Le Nigéria a passé ce type d’accords avec des firmes italiennes, dont Fiat et te groupe pétrolier ENI, avec des firmes brésiliennes comme Petrobras et la COTIA, et avec des sociétés françaises tettes que la SCOA et ELF. Le montant total de ces échanges serait à peu près équivalent à 10 % de la production pétrolière du Nigeria. Inutile de dire que cela ne fait pas l’affaire des autres pays membres de l’OPEP.
*****
Autre remise en cause du pouvoir de la monnaie, -mais
française cette fois- c’est la mise en place prochaine des cartes
« sans-pharmacie ». Résultant d’un accord entre des
syndicats de pharmaciens et la fédération française
des sociétés d’assurance, ces cartes permettront aux assurés
sociaux bénéficiant d’une assurance complémentaire
maladie de ne pas faire t’avance des frais de pharmacie. Le système
pourrait Ultérieurement accueillir les mutuelles et les caisses
nationales d’assurance maladie ainsi que les médecins et les
auxiliaires médicaux. La carte elle-même, à piste
magnétique dans un premier temps, pourrait être rapidement
remplacée par une carte à mémoire. De son côté,
la Fédération nationale de la mutualité française
étudie un réseau du même type auquel ne participerait
pas les assurances privées.
Quoiqu’il en soit, dans l’un et l’autre cas, c’est encore une préfiguration
de la monnaie distributive tette que nous la voyons.
*****
Pendant ce temps, te ralentissement de la croissance aux Etats-Unis se confirme et te problème pour Reagan est que même les élus de son propre parti ne veulent plus faire porter l’austérité sur les seules dépenses civiles mais aussi sur celles du Pentagone. Le ralentissement de la croissance ayant pour conséquence immédiate un tassement des rentrées financières de l’Etat, la réduction du déficit budgétaire américain n’est pas encore pour demain puisque Reagan ne veut pas augmenter la pression fiscale. Le deuxième moyen de réduire le déficit commercial serait de faire descendre le taux du dollar à un niveau plus raisonnable par une révision des mécanismes monétaires internationaux ou, au moins par des interventions ponctuelles des banques centrales. C’est ce que souhaite le Sénat américain mais Reagan s’y refuse absolument parce que c’est « contraire aux lois du marché ». Ainsi réduits à l’impuissance par l’aveuglement présidentiel et de plus en plus inquiets, les responsables industriels développent leurs actions pour obtenir le renforcement des mesures protectionnistes. Cette tendance se manifeste surtout dans la sidérurgie, l’habillement, les milieux syndicaux... et parmi les parlementaires confrontés à des menaces immédiates dans leurs circonscriptions. C’est pourquoi, malgré le libéralisme de principe du chef de l’Etat, les agriculteurs ont déjà reçu d’importants soutiens (2 milliards de dollars) pour leurs exportations (notamment pour les exportations de blé à destination de l’Algérie). La communauté Européenne va avoir fort à faire pour lutter contre cette concurrence sauvage.
*****
Cette même communauté s’interroge sur les perspectives nouvelles qu’elle peut offrir aux agriculteurs européens et sur la façon de leur redonner confiance. Réunis dernièrement à Sienne, les ministres de l’agriculture des dix ont conclu qu’il n’existait pas de remède miracle pour rendre du dynamisme à l’Europe verte et qu’il fallait avant tout continuer la politique de maitrise de la production. La commission est convaincue que pour limiter l’accroissement de la production, il faudra pendant de nombreuses années pratiquer une politique rigoureuse sur les prix. Comme tous les agriculteurs ne sont pas capables de supporter un let traitement, la commission propose de faire un usage plus targe qu’aujourd’hui des aides directes aux revenus. On voit donc ainsi, petit à petit, se mettre en place une politique de revenus garantis, indépendants de la production. Cela n’est certes pas très nouveau pour les paysans français dont la production est pratiquement totalement subventionnée par l’Etat. Ce qui ne les empêche pas d’être les plus fidèles défenseurs du libéralisme économique...
*****
Toujours en France, on lit quelques vérités qui surprennent quand on sait qui les énonce. On nous dit, par exempte, que « dans 70 % des cas la disparition des entreprises est due à l’incompétence de leurs dirigeants ; qu’il est inutile d’attendre d’avoir un certain effectif pour s’ouvrir au dialogue social ; que les ouvriers que l’on paie le moins sont ceux qui coutent le plus cher à cause de l’absence de formation ; qu’on peut s’interroger sur la validité économique d’une entreprise qui ne peut payer le SMIC... » Contrairement à ce que vous pourriez croire, ces propos ne sont pas tenus par de dangereux gauchistes mais par des membres très représentatifs du Centre des jeunes dirigeants d’entreprise », qui est un mouvement patronal. C’est là un discours bien éloigné de celui que l’on entend au sein du CNPF.
*****
Les gouvernements européens prennent quand même, de temps en temps, quelques mesures de bon sens. C’est ainsi que les gouvernements français et hollandais ont approuvé l’accord conclu entre Gaz de France et Gasunie qui prolonge de dix ans les livraisons de gaz néerlandais à la France jusqu’en 2003 et qui prévoit le paiement de ce gaz en unités de compte européennes (ECU). C’est un exempte à suivre. Pourquoi Air Inter devrait-elle payer ses Airbus en dollars comme c’est encore le cas actuellement ?
Voici un extrait d’une lettre de l’A.I.D.E. (Association Interprofessionnelle des Demandeurs d’emploi) :
Les progrès technologiques qui devaient
permettre à tous les hommes de mieux vivre, les machines, les
robots qui devaient lui permettre de travailler moins dans de meilleurs
conditions de sécurité et sans fatigue inutile ont été
détournés de leurs objectifs premiers. lis ne servent
que les intérêts particuliers de quelques-uns : patronat,
industriels, financiers, multinationales, gouvernements qui réduiront
l’homme à l’esclavage si l’on ne réagit pas immédiatement.
(...)
Faisons payer aux robots et à ceux qui les possèdent les
salaires qu’ils nous ont volés. Exigeons que les robots soient
imposés, qu’ils paient leur part de cotisations sociales, d’autant
que compte tenu de l’amortissement de ces matériels, les coûts
de production diminueront, seul le prix des matières premières
et de l’énergie nécessaire à la fabrication figurerait
dans le prix de revient des produits manufacturés.
De telles mesures permettraient de constituer la trésorerie nécessaire
pour indemniser au SMIC et non pas seulement aux 2/3 les chômeurs
qui n’auraient pas retrouvé un emploi grâce au partage
du travail et de la réduction du temps de travail.
En somme, l’A.I.D.E. propose d’imposer les robots
pour en faire profiter tout le monde.
Or, ce qui pousse les entrepreneurs à remplacer les travailleurs
par des robots, c’est la volonté de réduire leurs coûts
de production, de façon à ce que leurs produits restent
concurrentiels, ceci en vue d’écouler leurs produits.
Imposer les robots aurait pour conséquences, d’une part, de dissuader
les entreprises d’utiliser des robots, et d’autre part, d’entraîner
une hausse des prix : pour récupérer la somme perdue par
l’imposition des robots, les entrepreneurs augmenteraient le prix de
leurs produits.
Cette inflation aurait tendance à réduire le pouvoir d’achat
global, même si or augmente celui des chômeurs. La production
demeurerait alors freinée par l’insuffisance de la consommation.
Le problème essentiel n’est donc pas de savoir à qui distribuer
la monnaie, mais il réside dans la rature de cette monnaie :
dans le système actuel, la production est limitée par
le fait que la capacité d’achat des consommateurs ne peut suivre
la capacité croissante de production des techniques modernes.
Pour que la production ne soit plus limitée par des considérations
financières, il faut que la monnaie, telle que nous la connaissons,
disparaisse au profit d’une monnaie de consommation de la production.
C’est alors seulement que les robots pourront réellement profiter
à tous les membres de la société en produisant
en fonction des besoins réels des individus et non au profit
à réaliser.
D’un autre côté, la réduction de la durée
du travail - très difficile dans le cadre du système actuel,
à cause du coût supplémentaire qui s’ensuit pour
les entreprises, entraînant inéluctablement une hausse
des prix - s’appliquera à tous les travailleurs, grâce
à l’utilisation intensive des robots.
Ces derniers, au lieu de créer chômage et misère,
rendront le travail moins pénible à l’humanité
entière, en la faisant accéder à une société
du temps libre où personne n’aura plus à gagner son pal
« à la sueur de son front ».
Initiatives
Voici le questionnaire que propose le Centre d’Etudes pour une économie nouvelle. Une bonne façon d’alerter l’opinion.
I
Nous vivons une révolution économique
sans précédent dûe aux progrès scientifiques
de ces dernières années. Ceux-ci ont multiplié
prodigieusement les rendements agricoles et industriels, donné
naissance à l’usine-robot et permis aux pays développés
de produire de plus en plus avec de moins en moins de travail. Hier,
moins les uns consommaient, plus il y avait pour les autres ; aujourd’hui,
celui qui ne peut acheter ruine celui qui veut vendre...
« Dans cette situation nouvelle, pensez-vous que le mode de répartition
du pouvoir d’achat puisse être le même qu’au début
du siècle, où la rareté procurait de larges bénéfices
aux entreprises et de nombreux emplois aux salariés ? »
Lorsque les agriculteurs sont obligés de détruire une
partie de leur production pour éviter l’effondrement du prix
des récoltes et que les usines, victimes de l’encombrement du
marché, doivent congédier leur personnel...
« Est-il normal que les uns connaissent la misère malgré
l’abondance des produits et que les autres soient ruinés par
cette abondance même ? »
II
Si, grâce à un outillage perfectionné,
50 personnes produisent autant que 100 avec des moyens manuels...
« Est-il logique de réduire la part des 50 producteurs
pour assurer la subsistance des 50 non- producteurs dont le travail
a été rendu inutile par les machines ? »
Pourtant si, pour créer le pouvoir d’achat nécessaire
à l’écoulement d’une production croissante on augmente
les salaires ou les charges sociales et fiscales...
« Les entreprises, qui chancellent déjà sous l’effet
de la surproduction et de la concurrence, ne vont-elles pas sombrer
ou se mécaniser davantage, en engendrant toujours plus de chômeurs
? »
III
Il est urgent de sortir de cette absurde contradiction
qui fait que les hommes ne sont plus en mesure d’acheter ce que les
entreprises ne demandent qu’à produire !
« La solution raisonnable ne consisterait-elle pas à lier
la rémunération de tous aux quantités produites
et non plus à des bénéfices qui diminuent quand
la production devient plus abondante ? »
Le problème étant porté au niveau de la production,
il faudrait que les entreprises - restructurées - deviennent
des cellules autonomes de la branche de production dont elles relèvent.
Et c’est tant en fonction des quantités disponibles dans chaque
branche, que du revenu social ou économique attribué à
chacun que se détermineraient les prix.
Les salaires n’entrant plus dans les charges des entreprises, le partage
des revenus pourrait, aussitôt, s’assortir d’un partage du travail.
« Existe-t-il, selon vous, une autre voie à suivre, en face de la mévente des productions les plus indispensables, de la relève des hommes par la machine et des artifices dirigistes tendant à réduire la production, à soutenir les entreprises, à susciter des activités inutiles ou des emplois factices ? »
« Le Poing et la Rose », organe du Parti
Socialiste, consacre son numéro de Mai 1985 à la préparation
du congrès national que tiendra le Parti, à Toulouse,
au mois d’octobre prochain. Plus d’une centaine de membres du Parti
ont participé à la rédaction de cette étude
qui comporte 96 pages. Elle s’ouvre par les articles de Lionel Jospin,
Rocard et Mauroy.
Ce qui caractérise cette étude, vraiment collective, c’est
l’incapacité des dirigeants et des militants les plus actifs
de concevoir les mesures institutionnelles qui permettraient de réaliser
la transformation de l’actuelle société capitaliste en
une société socialiste supprimant le chômage et
assurant des revenus suffisants à tous les membres de la communauté
nationale.
L’ensemble des rédacteurs a oublié l’engagement pris par
le Parti Socialiste dans sa déclaration de principes : «
Il ne s’agit pas, pour nous, d’aménager le système, capitaliste
mais de lui en substituer un autre ». Cet « autre »
n’a jamais été défini par le Parti Socialiste.
Il est même très clair que celui-ci n’envisage aucunement
de sortir la France d’une économie marchande qui engendre, à
la fois, le chômage et l’exploitation des travailleurs.
Dans « Le Projet socialiste », édité par le
Parti Socialiste en 1980, ii n’est pas davantage question de sortir
de l’économie capitaliste mais seulement de « l’organiser »
(Lire la page 206 qui expose « L’organisation des marchés
»).
Une véritable société socialiste est celle où
les entreprises ne sont plus des « machines à profits »
mais des institutions nationales ayant pour unique mission de satisfaire
les besoins. Le patronat d’aujourd’hui n’y conservera la direction de
l’entreprise que s’il a fait preuve de sa compétence et de son
esprit associatif dans ses rapports avec les travailleurs qu’il emploie.
La Nation, représentée par les pouvoirs publics spécialisés
en matière de gestion, prendra en charge l’ensemble des obligations
financières que l’entreprise d’aujourd’hui doit assumer : rémunération
du personnel, fournitures nécessaires au fonctionnement de l’entreprise,
etc... Alors, le partage du travail entre tous les disponibles deviendra
possible ainsi qu’un partage équitable des productions sorties
des entreprises. Le chômage sera supprimé et une aisance
confortable assurée à tous les foyers.
Est-ce là le plan d’action gouvernementale qu’adoptera le Congrès
de Toulouse ?
Tous les moralistes, déontologues et autres
philanthropes s’accordent pour engager les hommes à manifester
une attitude morale en s’abstenant de toute activité nuisible
à autrui.
Celà reviendrait à demander aux cabaretiers de ne plus
vendre d’alcool et aux buralistes de fermer leurs guichets. C’est convaincre
les ouvriers des industries de guerre à ne plus oeuvrer au supplice
de leurs frères. C’est prier l’industrie de ne plus livrer à
la consommation des produits frelatés ou polluants.
Or, dans le régime actuel, chacun doit, à tout prix, se
créer et conserver une activité payante et la lutte est
d’autant plus implacable que le progrès technique élimine
toujours plus de main d’oeuvre.
C’est la raison pour laquelle il y a autant de cafetiers, pourvoyeurs
de drogues, prostituées, boursicoteurs, escrocs, militaires,
travailleurs pacifistes fabriquant de l’armement, gangsters, racketteurs,
avocats, geôliers, etc... Que ferait-on de ces gens si le désarmement
devenait une réalité, si l’alcoolisme était vaincu
et si l’honnêteté régnait en ce monde ?
Ça ferait beaucoup de chômeurs en plus. Et, c’est pas le
moment d’en rajouter... Voilà pourquoi les « Soupes populaires
» sont un pis-aller au chômage que chacun s’accorde pourtant
à trouver préférable à une réforme
fondamentale du système économique constamment différée
à seule fin de préserver les privilèges d’une minorité
vivant de manipulations monétaires.
Même si l’opinion publique n’en a pas encore conscience, la crise
nous enfonce dans une société duale où se creuse
un énorme fossé entre deux classes en formation. A savoir,
d’une part, un petit nombre de gens fortunés : Les uns vivant
de l’exploitation de gros capitaux et tenant les leviers de commande
du pouvoir ; les autres, ayant acquis un certain savoirfaire encore recherché,
qui perçoivent de gros revenus, fut-ce au prix d’un travail épuisant.
D’autre part, une foule croissante de sous-consommateurs, n’ayant que
leur force de travail à offrir sur un marché saturé
qui n’en a pas besoin. Ils sont condamnés à survivre en
occupant, à l’occasion, des emplois aléatoires, sans intérêt,
sans sécurité, ou à percevoir diverses allocations
ressenties comme une aumône. Tout ça, paradoxalement, vécu
au milieu de magasins regorgeant de marchandises, dans une atmosphère,
bien naturelle ; de violence et délinquance.
Il est vrai, inutile de le souligner, que nous sommes entrés
dans une ère où le croissance économique supprime
plus d’emplois qu’elle n’en crée. Il est évident qu’affirmer,
dans ces conditions, que l’on va créer des emplois nouveaux et
donner du travail à tous, relève d’une démagogie
à courte vue. A moins de déclencher un conflit mondial...
Alors, pour qu’il y ait encore une morale possible, reste une solution,
en attendant que soit mise en place le réforme fondamentale du
système : Faire accéder l’homme à un véritable
« Revenu social garanti » compatible avec les énormes
moyens de production existants. En vertu du droit sacré que détient
chacun d’entre-nous des lois de le nature : se juste part (avec ou sens
emploi) des richesses de le planète. Envisager, également,
le gratuité de certains services.
Perspectives, hélas ! qui échappent encore eux partis
politiques et eux syndicats corporatistes.
A l’occasion de la rentrée du Tribunal de Commerce de Bastia, son président M. Gérard Comte a prononcé un discours particulièrement intéressant mais que nous ne pouvons pas publier in-extenso à cause de sa longueur. Nous en extrayons ci-après les passages qui nous ont semblé les plus significatifs.
« Vouloir créer des emplois est la plus
monumentale « idée fausse ». Il faut bien admettre
que le chômage est une conséquence des applications grandissantes
du « PROGRES TECHNIQUE » exactement comme la pluie est la
conséquence de la vapeur d’eau contenue dans les nuages.
On ne peut empêcher ces phénomènes de se produire
quand existent les conditions qui les provoquent ».
« Dès 1956, DANIEL ROPS écrivain d’éthique
chrétienne écrivait au sujet de l’automation « Qu’est-
ce que l’automation ? » Le processus qui peu à peu et de
plus en plus vite dans toutes les formes de l’activité pratique
tend à remplacer le travail humain par celui de la machine. A
ce moment là à moins de tuer tous les hommes il faudra
bien dissocier le droit à la vie du droit au travail... L’adaptation
de l’humanité à l’automation ne se fera pas sans graves
crises... C’est tout un système économique et social qui
est à penser en fonction de l’automation nécessaire et
inéluctable, et c’est ainsi dans la mesure où ils seront
capables de le penser et de s’y adapter que les peuples demain seront
grands ou disparaîtront ».
Nous voyons bien que la pensée politique née de la révolution
industrielle du 19e siècle est devenue archaïque : les automates
et les ordinateurs sont en train de la tuer. Car il est désuet
à présent de parler de l’exploitation des travailleurs
puisqu’ils sont devenus inutiles, les robots travaillant à leur
place dans tous les milieux, sous la pluie, dans la poussière,
dans une atmosphère de four ou de glace, sur terre, sous les
mers, dans l’espace.
Les véritables « damnés de la terre » ne sont
plus aujourd’hui ceux qui travaillent mais ceux qui sont abandonnés
sur le bord de la route par la société qui poursuit le
chemin de sa transformation vertigineuse pour beaucoup trop d’entre
nous. »
Et plus loin le Président COMTE donne un exemple de la stupidité
des solutions que l’on propose lorsqu’on veut s’obstiner à utiliser
les règles économiques maintenant dépassées.
« Nous sommes à Bastia une cité maritime où
les conditions d’approchés sont très importantes. En 1972
le problème suivant se posait :
Par suite de la mise en service des bateaux à manutention horizontale,
de l’arrivée du ciment en vrac qui pouvait être refoulé
par pulsion à air jusque dans les silos de TOGA, par suite de
la mise en service du chai à vin qui permettait de charger le
vin sur les pinardiers par simple écoulement gravitaire ; pour
ces raisons là la manutention sur les docks réservée
depuis 1947 aux seuls dockers exigeait de moins en moins de main d’oeuvre.
De telle sorte que les 3/4 de leur temps les dockers étaient
inoccupés.
Or la caisse de compensation du B.C.M.O. (bureau central de la main
d’oeuvre) ne garantissait le paiement que du 1/4 du temps inoccupé
; or une loi de 1969 assurait un seuil de ressources. De plus il est
interdit de licencier un docker professionnel. Que faire ?
Une longue séance de travail eut lieu à Bastia au service
du port de la D.D.E., où assistaient le DIRECTEUR de la D.D.E.
de la Corse, les professionnels du B.T.P., les marchands de matériaux,
les viticulteurs, la Chambre de Commerce, le syndicat des dockers, et
votre serviteur alors Président du syndicat des entrepreneurs,
qui suggéra la création des emplois factices suivants
:
les dockers regarderaient (en fait ils né regardent même
plus) les tuyaux reliant les conteneurs sur les bateaux, et les silos
de Toga pendant que le ciment serait pulsé, et ce travail fictif
leur serait payé comme si le ciment était transporté
par eux en sacs depuis les bateaux jusqu’aux silos.
De même pour le vin.
Une taxe importante fut créée sur ces « manutentions »
pour rémunérer ce soit-disant travail, les usagers finalement
supportent cette taxe. Notons au passage que NICE avait fait de même.
Nous pourrions ainsi énumérer des dizaines, des centaines,
voire des milliers d’emplois factices pour des travaux fictifs. »
L’inanité de ces solutions conduisit un groupe de Bastiais se
connaissant bien à créer « UN GROUPE DE REFLEXION
» qui travailla pendant 6 ans à raison de plusieurs réunions
par trimestre sur les problèmes posés par l’automation...
« Notre réflexion a été suscitée au
départ par le manque de logique qu’il y a actuellement entre :
D’une part, le fait que le progrès technique en mécanisant
la production, remplace le travail de l’homme par celui de la machine,
et donc aboutit forcément à une diminution de travail
humain, à une suppression d’emplois.
D’autre part, le fait que, en compensation, on s’ingénie à
susciter des emplois pour remplacer ceux qui ont été supprimés.
On peut se demander si cette contradiction est simplement apparente
(par exemple : les emplois créés « en compensation »
n’aboutissent-ils pas à une plus grande production de biens pour
une vie meilleure ?) ou, si la contradiction est réelle, du fait
que les emplois créés « en compensation » sont
des emplois factices débouchant sur un travail fictif, qui n’a
d’autre but que de permettre une rémunération jugée
indispensable pour permettre de participer à la répartition
des richesses, produites par le travail véritable (en particulier
celui des machines). »
« L’analyse de la contradiction signalée, montre qu’elle
est effectivement réelle et double. En effet, d’une part, les
emplois créés (en particulier dans le tertiaire) sont
en grande partie factices, et, d’autre part, ceux des emplois créés
qui sont productifs ne sont pas orientés vers une vie meilleure
(production de biens peu durables, ou incitation parla mode, gadgets,
etc...).
Il en résulte que cette contradiction est scandaleuse (au sens
fort du terme) et donc inadmissible. Ceci implique qu’il faut s’attaquer
à l’un et l’autre de ces termes : la mécanisation, ou
la création d’emplois.
Il parait difficile de discuter la légitimité de la mécanisation ;
ce serait remettre en cause tout le progrès de l’être humain
depuis son apparition sur la terre. On arriverait à cette conclusion
que l’homme ne doit pas se servir de son intelligence pour améliorer
ses conditions de travail ; le simple énoncé de cette
conclusion dispense de discuter plus avant de la légitimité
de le mécanisation.
Mais alors, on est forcément conduit à admettre, pour
éviter la contradiction signalée, que la création
d’emplois factices en compensation n’est pas légitime. il ne
sert à rien d’appliquer la politique de l’autruche pour essayer
de ne pas voir cette « illégitimité ». Il
faut au contraire aller jusqu’au bout de ce qu’elle implique :
Si la création d’emplois factices est illégitime, c’est
parce qu’elle est absurde.
Dès lors, il est indigne de l’intelligence humaine de s’entêter
dans cette solution sous prétexte que l’on n’en a pas d’autre
sous la main en ce moment. On peut faire confiance à l’homme
pour trouver une solution, mais à la condition indispensable
pour y arriver, de ne pas se dissimuler l’énoncé du problème,
même s’il heurte toute notre éducation personnelle et atavique.
Ce problème n’est pas un problème de production qu’il
faut résoudre par un accroissement du travail et des emplois
(la machine et la technique ont des possibilités quasi illimitées).
C’est un problème de répartition de cette production.
Sa solution réside dans le choix d’un critère de cette
répartition. »
Et à partir de là, M. COMTE propose une solution qui n’est
autre que l’économie distributive. Puis il conclut :
Nous le voyons, les années à venir nous obligeront à
nous surpasser ; il est à craindre « un naufrage des états
», un trop grand nombre de personnes s’occupant de la chose publique
(surtout avec la régionalisation) l’état deviendrait ingouvernable.
Il faudra peut-être un organisme central où la monnaie
électronique aidant, toutes les transactions ayant été
informatisées, on pourra suivre l’évolution des échanges
économiques.
Rêveries, certains diront rêveries, mais qui sonnent autrement
que celles teintées d’un flou littéraire et sociologique
de ceux qui ont essayé jusqu’ici d’imaginer la société
de demain.
Rappelons-nous avec Jules Verne que tout ce qui a été
fait dans ce monde l’a été au nom d’espérances
exagérées. Tout ce qu’un homme est capable d’imaginer,
d’autres hommes sont capables de le réaliser.
Ne désespérons plus la société par la création
d’emplois factices pour des travaux fictifs !
(*) Nous avons déjà publié dans la G.R. n° 796 de Mars 1982 un discours « distributiste » de M. Comte, sous le titre « Le Tribunal est prévenu ».
1944. J’avais 20 ans ; c’est dire que j’avais vécu
la guerre de 16 à 20 ans, années charnières pour
une prise de conscience des problèmes importants concernant l’Homme
et l’humanité en général.
A 20 ans, j’étais révolté ; contre la guerre notamment,
ses destructions en vies et biens, contre l’injustice, le marché
noir, l’inégalité des chances dues à la naissance
; etc... Mais je n’étais pas « révolutionnaire »,
c’est-à-dire que je ne comprenais pas les causes des sujets de
ma révolte.
Tout allait basculer en moins de 2 heures. Un soir, un ami « abondanciste
» me donna à lire la brochure d’Alfred DOERR « Mort
ou splendeur de la civilisation ».
Tout devint clair brusquement - le révolté était
devenu révolutionnaire.
Très rapidement je lus l’essentiel de la littérature «
abondanciste » de l’époque et avant tout Jacques Duboin.
J’eus la chance - et la joie - de faire rapidement sa connaissance,
à l’occasion des conférences hebdomadaires, je crois,
qui réunissaient régulièrement, avenue Pierre-1er-de-Serbie,
quelque 300 personnes. A plusieurs, jeunes, nous nous lançâmes
dans des conférences en province et à Paris.
Nous étions à peine étonnés, en pleine période
de rareté et de marché noir, de la facilité avec
laquelle nous convainquions - peu ou prou - des auditoires non prévenus.
Nous croyions dur comme fer à l’avènement relativement
proche de l’économie de l’Abondance ; nous pensions que l’Amérique
connaîtrait une crise économique sans précédent,
qu’elle ne parviendrait pas à reconvertir en économie
de marché concurrentielle l’énorme potentiel industriel
et agricole qu’elle avait su créer pour la guerre, cette forme
infernale de l’économie distributive. Le moins qu’on puisse dire
est que les événements - au moins pendant 30 ans - ne
nous ont pas donné raison.
J’ai voulu, 40 ans après, relire cette brochure qui m’avait marqué
pour la vie. Oui, pour la vie. J’ai eu beaucoup de mal à en retrouver
un exemplaire, heureusement M-L. Duboin avait cet unique exemplaire.
Tout y demeure d’une prodigieuse actualité. Surtout depuis que
la 2e grande crise du capitalisme a réactualisé ce qui
m’avait si impérieusement frappé à la lecture de
la brochure d’A. Doerr, et notamment la fameuse courbe d’évolution
de l’homme et de la technique sur 30 000 ans, rapportée à
l’échelle d’une année. Vous la connaissez sans doute.
Ce n’est que le 30 décembre à 0 h 18 que Watt invente
la machine à vapeur. A 6 h 49, Fulton invente le 1er bateau à
vapeur ; à 16 heures le premier chemin de fer roule de Roanne
à St-Etienne. Ce n’est que le 31 décembre à 3 h
30 que Gramme invente la première machine électrique réversible,
etc... ; et c’est à 16 h 14 que commence la guerre de 1914 : à
cette date, les hommes ne disposent que de 8/10e de cheval vapeur. Enfin
c’est à 20 h seulement que l’homme entre dans l’ère de
l’Abondance... et que déjà la production augmente en même
temps que le chômage. Et A. Doerr concluait ainsi ce chapitre
« A 21 h 30, les Français disposent tous d’une puissance
mécanique de 8 CV.
Il leur a fallu presque toute l’année pour arracher à
la nature 1/10 de CV ; un jour pour multiplier cette puissance par 8.
Il leur suffit de 5 h pour la porter à 80 ».
Le 31 décembre, au douzième coup de minuit. 1 300 000
km de lignes de chemin de fer serpentent de part le monde, 40 millions
d’automobiles sont en circulation, 32 000 navires sillonnent les mers.
Il serait intéressant, 40 ans après, de réactualiser
cette courbe prodigieuse (1) ; les progrès réalisés
depuis, en resserrant encore les horaires, doivent donner le vertige.
Et malgré cela - ou à cause de cela - le capitalisme est
à nouveau dans une crise grave. La dernière ?
Avouez qu’il y avait, pour un jeune révolté, de quoi être
« transformé », à la 32e et dernière
page de la brochure d’A. Doerr - qui ne faisait que reprendre les idées
de J. Duboin : c’était simple et prodigieux à la fois.
Nous ressentons, nous distributistes impénitents, une certaine
amertume quelquefois proche du découragement - de constater,
40 ans après, qu’on détruit à nouveau les richesses
(en 1935, 35 000 vaches « présumées » tuberculeuses,
étaient abattues, rappelle A. Doerr) ; que les armements aident
le capitalisme à survivre (voir l’Amérique de Reagan)
; que les 2/3 de l’humanité vivent dans l’indigence.
Mais, même s’il y a des raisons d’être découragés
parfois, il n’y en a pas de désespérer, l’Humanité
marche vers la réalisation graduelle, à la condition qu’elle
évite sa perte brutale, l’holocauste atomique.
40 ans après, nous pensons encore comme les abondancistes de
l’époque, A. Doerr concluait « Ce paradis est à
portée de notre main. Il suffit que nos économistes orthodoxes
qui s’obstinent à nous répéter que les lois du
passé sont immuables et qui, perdus dans leurs théories
restent des myopes en attendant d’être des aveugles, il suffit,
dis-je, qu’ils consentent enfin à porter des lunettes. Ces lunettes
de l’abondance leur ouvriront les yeux.
Mais quoi qu’ils pensent, quoi qu’ils disent, quoi qu’ils fassent, l’Abondance
sera plus forte qu’eux. Son torrent ne peut être endigué
».
C’était il y a 40 ans !
(1) NDLR : C’est fait : voir l’article publié par M.-L. Duboin dans le n° 18 (janvier-février 1985) de la revue « le 3e millénaire ».
Comme les prétendus Libéraux, et après
eux, les Socialistes sont incapables de juguler la crise ; Ils échouent
moins sur le plan pratique (puisqu’ils gèrent les affaires courantes
aussi bien que leurs devanciers) que sur le plan théorique :
confrontés aux réalités, leur idéologie
s’est effondrée ; elle se réduit désormais à
quelques slogans en faveur des déshérités, qu’inspire
un vague christianisme doloriste et partageux ! Devant ce vide doctrinal,
l’opinion devrait chercher d’autres solutions, donc regarder vers l’Abondancisme
qui, n’ayant donné lieu à aucune expérience de
grande envergure, n’a aucun échec à se faire pardonner ;
elle ne le fait pas ! Avant 39, et immédiatement après,
J. Duboin touchait un large public ; depuis, l’Economie Distributive
s’est marginalisée : la cause de cet échec n’est-elle
pas inscrite dans l’évolution même du mouvement Abondanciste
?
L’intuition fondamentale de J. Duboin, c’est que, grâce aux progrès
de ses connaissances et de son savoir-faire, l’humanité possède
désormais une maîtrise de son environnement suffisante
pour vivre dans « l’abondance », c’est-à-dire pour
renoncer peu à peu à ses comportements de pénurie ;
la situation même que ses contemporains baptisent « crise
» lui en donne la preuve cette crise provient en effet selon lui
non de la disette, mais des signes avant-coureurs de l’abondance qui
désorganisent des structures économiques et sociales fondées,
depuis des millénaires, sur des conduites de pénurie.
J. Duboin a conscience d’apporter ainsi une formidable espérance
! Car la fameuse « société sans classes »,
qui n’a de sens que par l’abondance qu’elle promet à tous, il
la voit, non plus au bout des fusils, mais conquise « par la science
et par la machine ». Et il pose à ses contemporains ces
questions : pourquoi bouder l’abondance ? Pourquoi entretenir artificiellement
une pénurie dont les sociétés ont toujours prétendu
pâtir ? Pourquoi ne pas cueillir cette chance inouïe que
nous donne le développement des techniques ?
Ensuite, et tout naturellement, J. Duboin et ses héritiers spirituels,
ont cherché comment saisir cette chance : comme beaucoup de marxistes,
ils ont imaginé des scénarios pour la « période
de transition » ; et ils en ont trouvé ! Ils ont désormais
proposé non plus des questions et une Espérance, mais
des solutions. Or, malheureusement, se produisait en même temps,
à l’Est, le plus grand événement de notre siècle,
l’effondrement du rêve communiste quelques qualités qu’elle
possède, l’économie marxiste se révèle incapable
de créer l’Abondance ; elle lui est allergique ! Bon pour des
esprits religieux qui veulent faire pénitence, excellent pour
la guerre, le communisme se disloque, dès que la pénurie
recule : pour que fonctionne sa société idéale,
il faut y maintenir de force les individus ! Rien d’étonnant :
il se réfère à des modèles archaïques
; il ignore le phénomène le plus nouveau dans notre espèce,
le développement de l’individu ; distendant au maximum les liens
qui les relient à la matrice collective, les individus s’aperçoivent
que la somme des énergies, des activités « libres
», ainsi dégagées est infiniment supérieure
à celle des passivités embrigadées dans la Société
Idéale ! Depuis des siècles, nos cultures n’en finissent
pas de présenter, sous les formes les plus variées, l’unique
Aventure de l’homme seul comme son groupe, s’émancipant, mesurant
ses forces contre sa tribu, sa cité, son église ! Cette
évolution explique qu’existe dans le public une double défiance,
à l’égard des « socialismes » et des «
révolutions ». Bien que la vie sociale soit pour nous une
fatalité biologique, que les dépendances naturelles soient
souvent insupportables, certains hommes s’ingénient à
créer des formes toujours plus contraignantes de vie collective
; sous prétexte d’amour, s tassent les gens les uns sur les autres
; l’atmosphère devient rapidement étouffante ! Toute tentative
pour resserrer les liens, pour définir un dogme, se solde par
une hérésie, des persécutions, des ruines, la Pénurie
! La vie en société n’est pas un idéal, c’est un
fait ; lorsque les individus se sont émancipés de la tutelle
collective, les y ramener relève non de l’utopie mais du cauchemar.
D’autre part, les cruelles expériences « révolutionnaires
» qui ont été faites en ce XXe siècle rendent
légitimement suspecte toute doctrine politique qui envisage le
changement parle haut, par une quelconque dictature, même avec
de jolies Fêtes de la Fédération ! Quand une poignée
d’hommes prétend manipuler un groupe par la terreur, elle le
fait régresser, jamais progresser. Dans un tel contexte, l’étiquette
« distributiste », qui a remplacé « abondanciste
» paraît terriblement ambiguë ! Elle a l’air de supposer
le capital de consommation concentré dans les mains d’un Père-Supérieur
de l’Economie qui le répartirait selon la Justice d’une part,
elle donne ainsi à l’Etat des pouvoirs théocratiques dont
les individus qui l’incarnent sont toujours indignes ; d’autre part,
elle fait appel à la notion de Justice, qui provoque immédiatement
parmi les hommes la confusion et la guerre ! C’est précisément
cette notion de « distribution » que « l’Abondancisme
» paraissait reléguer au magasin des accessoires ! La manie
distributive est en effet un comportement de prédateur, de parasite
incapable de produire ; le producteur ne partage pas les galettes ;
s’il en manque, il revient à ses fourneaux ; grâce à
la technique, il n’est pas esclave lorsqu’il produit ; au contraire,
il triomphe par là de l’environnement hostile et de la disette.
L’actualité de l’Abondancisme réside donc moins dans les
solutions qu’il est en mesure de proposer (sachant qu’il devra, pour
les faire aboutir, les imposer) que dans les questions qu’il est seul
encore à poser, dans l’Espérance qu’il représente ;
quand les autres sont aveugles, ou s’obstinent à ne pas voir,
il rappelle, en actualisant J. Duboin, la véritable nature de
cette fameuse « crise » ! Cette information pourrait s’orienter
dans 3 directions : l’utopie, les comportements de pénurie, la
nature et les fonctions de l’argent.
***
Notre réponse. Rappelons simplement,
à propos du mot distributisme, qu’il n’implique nullement une
quelconque concentration de pouvoir entre les mains d’un Etat-Père-de-droit-quasi-divin.
Bien au contraire (et on le voit bien en lisant « les affranchis
de l’an 2000 ») la « libération », sur le plan
économique, qu’implique l’économie distributive, donne
le pouvoir (tous les pouvoirs, dont le principal, le pouvoir économique)
aux consommateurs, donc à tout le monde.
Par le choix de l’expression économie distributive, J. Duboin
(qui employait aussi celle d’économie des besoins) voulait souligner
son originalité par rapport aux deux seules sources de revenus
qui existaient jusqu’au 20e siècle : le salaire (revenus contre
un travail) et le profit capitaliste (revenus contre l’utilisation d’un
capital). En économie distributive, les revenus ne sont pas échangés
contre quelque chose : ils sont distribués parce que l’humanité
en a maintenant les moyens...
« Ceux qui travaillent contre l’Argent sont de vrais maîtres de la pensée. »
C’est là votre sinistre besoin
Et vous en avez plein les poches
Mais de l’esprit dans vos caboches
Vous en avez de moins en moins.N’êtes-vous que de pauvres fantoches
A la merci de vos seigneurs
Des passifs fidèles emprunteurs
Toujours prêts à rater le coche ?Mensonge habilement déguisé
L’argent vous tient en esclavage
A la merci de mille péages
Comme des robots estampillés.Dites-moi, préférez-vous de vivre
En étant toujours exploités
Ou connaître l’éthique liberté
Dans un véritable savoir-vivre ?Alors étudiez pour comprendre
Sachez quand on parle de crédit
Que derrière se trouve le profit
Avec les misères qu’il engendre.Sans exploiter et ne pas l’être
Voilà à quoi il faut penser
L’argent n’est pas nécessité
Verrez-vous clair un jour peut-être !
« Pas de vérité sans prise
de conscience
Pas de liberté sans conscience. »