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Éditorial
ON connaît l’objection rituelle des défenseurs de l’ordre
établi à l’adresse de ceux qui le remettent en cause :
Irréalisme, Utopie ! Argument éculé mais qui trouble
encore les esprits.
Nous disons que l’accusation d’irréalisme doit être retournée
contre ceux qui la profèrent. Nous posons la question : Où
est donc l’Utopie ?
Du côté de ceux qui veulent changer l’organisation de la
société et de la production parce qu’ils y voient la cause
fondamentale des maux dont souffre l’humanité ou de ceux qui
affirment que la société marchande est encore la mieux
adaptée à la satisfaction de nos besoins ?
Disons tout d’abord que cet ordre établi - en fait le désordre
établi - n’a pas toujours existé. La société
marchande est la première de l’histoire à avoir lâché
la bride aux appétits et aux rivalités des individus.
Qu’elle ait eu des effets stimulants et bénéfiques si
on la considère sur une courte période et du point de
vue des minorités privilégiées, nous en sommes
bien d’accord.
Mais le développement anarchique qu’elle a induit vient d’atteindre
un seuil à partir duquel les résultats de l’activité
économique sont inversés. Désormais les effets
négatifs de la production l’emportent sur les effets positifs,
les coûts sociaux sur les gains individuels, les désutilités
sur les utilités.
C’est ce renversement de tendance qu’exprime la crise actuelle qui va
bien au delà d’une crise conjoncturelle comme en a connu l’économie
marchande dans le passé, crise sans issue, contrairement aux
allégations des augures stipendiés et des politiciens
de tous bords.
Jusqu’au début des années 70, la fuite en avant de la
production et de la consommation, une expansion apparemment sans limites,
semblaient garantir le fonctionnement régulier du marché
mondial. Prospérité fallacieuse fondée sur le gaspillage
effréné des ressources naturelles, l’exploitation du Tiersmonde,
la manipulation des termes de l’échange. La formation dans les
pays dominants, bénéficiaires de ce « rackett »
planétaire (le rackett, stade suprême du capitalisme !)
d’une immense classe parasitaire contribuait à la stabilisation
de la société industrielle.
La crise énergétique des années 70, prélude
à la crise générale des ressources, l’internationalisation
du marché et des capitaux, le rééquilibrage des
termes de l’échange, l’accroissement des coûts de production,
les innovations technologiques issues de l’informatique, autant de facteurs
nouveaux qui allaient sonner le glas du système.
Les procédures institutionnelles mises en place depuis un demi-
siècle pour débloquer la machine économique s’avèrent
aujourd’hui inopérantes et contradictoires. Ce que l’on gagne
au plan de l’activité, on le perd au plan de la monnaie. L’émission
de solvabilités destinées à compenser l’insuffisance
structurelle de la demande se traduit par l’inflation des prix qui annule
la relance. Les politiques d’austérité financière,
du type monétariste, ne donnent pas de meilleurs résultats.
Quant aux investissements dans les technologies de pointe, s’ils améliorent
la compétitivité des entreprises, c’est au détriment
de l’emploi. Au plan global, les succès et les gains enregistrés
par un partenaire ou un secteur correspondent à des reculs et
à des pertes pour les autres.
Quelle que soit la façon dont on retourne le problème,
le système est coincé. L’économie de marché
est prise dans un réseau de noeuds coulants inextricable. Chaque
effort pour se dégager d’un noeud contribue à resserrer
les autres. Mais la contradiction principale est celle qui oppose la
croissance exponentielle aux limites désormais tangibles de l’écosphère.
L’exploitation forcenée des ressources d’autant plus destructrice
qu’elle est impulsée par la course aux armements, met en péril
les cycles naturels et l’existence même de l’espèce humaine.
Dans ces conditions quels sont ceux qui ont les pieds sur terre ? Ceux
qui, sans nier les difficultés de la reconversion, disent qu’il
n’y a pas une minute à perdre pour renverser la vapeur, ou bien
ceux qui continuent d’affirmer leur confiance dans l’état actuel
des choses et pensent qu’il peut se perpétuer impunément ?
Croire que l’économie de marché pourra fonctionner encore
longtemps sans blocage et sans catastrophe majeure est le comble de
l’illusion. Les hommes déboussolés courent dans tous les
sens à la recherche d’une issue. Mais tout indique qu’il n’y
a pas de sortie de crise dans le cadre du système existant.
Il y a 18 millions de chômeurs homologués dans les pays
occidentaux fin 81 contre 15 millions en 1980, soit une augmentation
de l’ordre de 20 % en un an. A ce rythme, la France aura atteint les
3 millions de chômeurs avant 1985, malgré les exorcismes
du Président Mitterrand. La situation est encore plus dramatique
dans les pays sous-développés : le taux de progression
est de 30 % au bas mot, alors que le tiers de la population active est
déjà hors-circuit et s’entasse dans les bidonvilles.
Il n’y a aucune perspective d’amélioration. Bien au contraire,
l’explosion démographique, l’augmentation des dépenses
improductives, !’exacerbation de la concurrence, l’introduction des
nouvelles technologies font prévoir une aggravation galopante
du chômage aussi bien dans les pays dominants que dans ceux voués
à la sous-traitance.
Parallèlement, l’endettement des pays satellites « sous
perfusion » atteint des hauteurs vertigineuses. Il se chiffre
par centaines de milliards de dollars. Le Brésil, l’Argentine,
la Pologne, la Roumanie, la Yougoslavie, la plupart des pays d’Afrique
et d’Amérique latine travaillent en priorité pour l’exportation
afin de rembourser leurs dettes. Submergés par les déficits,
ils contractent de nouveaux emprunts pour payer les intérêts
des emprunts antérieurs. Il faut beaucoup d’optimisme pour penser
que cet échafaudage de cartes de crédit ne va pas finir
pas s’effondrer, et avec lui le commerce international.
Cependant la menace essentielle est ailleurs. De même qu’un train
peut en cacher un autre, la crise économique où s’enfonce
le monde en dissimule une autre beaucoup plus grave à terme,
la crise écologique.
L’ineptie de notre civilisation industrielle n’a jamais été
démontrée de façon aussi convaincante que dans
une récente étude sur le système alimentaire américain
réalisée par un groupe d’agronomes et publiée à
Washington en novembre 81 (1). On y apprend que pour chaque calorie
alimentaire consommée par les Américains, il a fallu dépenser
1 000 calories d’énergie, une énergie constituée
pour moitié de pétrole. Si le monde entier, dit le rapport,
devait se nourrir à la manière des Américains,
les réserves mondiales de pétrole seraient épuisées
en l’espace de 13 ans. Mais le bilan est encore plus alarmant si l’on
prend en compte les dégâts subis par la base productive,
c’est-à-dire la terre. Le rapport évalue à 6 milliards
de tonnes la terre arable perdue chaque année à cause
de l’érosion provoquée par l’exploitation intensive des
sols (monoculture, mécanisation, emploi massif d’engrais artificiels)
et aussi en raison du développement des constructions et des
réseaux de communication. La marée de béton engloutit
171 hectares à l’heure. Si l’on y ajoute les pertes causées
par l’érosion, on arrive à un total de 63 km2 mangés
chaque jour, soit 23 000 km2 par an, ce qui représente la superficie
de 3 à 4 départements français. Les auteurs de
l’enquête sont fondés à conclure que le système
agricole américain, crédité de performances spectaculaires,
est en réalité « un des plus destructifs de tous
les temps ». Nous sommes en train de détruire la base productive
sur laquelle se fonde notre « alimentation ». Une autre
spécialiste des questions agricoles. Susan Georges, aboutit à
des conclusions analogues. Elle prévoit que la crise alimentaire
mondiale sera le problème numéro un de la prochaine décennie.
LES YEUX OUVERTS
La plupart des économistes et tes politiciens ont choisi d’escamoter
ces paramètres irrécusables de notre système de
production. Et ils osent taxer d’illusionisme ceux qui dénoncent
leur incurie et leur aveuglement. Qu’ils craignent la colère
des peuples quand les yeux s’ouvriront ! « Les Yeux Ouverts »
(2), c’est précisément le titre du dernier livre de Marguerite
Yourcenar. J’en extrais ce passage, cent fois plus éclairant
que les ouvrages pesants des Diafoirus de l’économie : «
Quand je pétris la pâte (M. Yourcenar fait elle-même
son Pain), je pense aux gens qui ont fait Pousser le blé, aux
profiteurs qui en ont fait monter artificiellement le prix aux technocrates
qui en ont ruiné la qualité - non que les techniques récentes
soient nécessairement un mal - mais parce qu’elles se sont mises
au service de l’avidité qui en est un... ». Celle qui pourrait
bien être la Mère Sagesse du monde occidental, désigne
la plaie purulente de notre société : « ...la monstrueuse
exploitation de la science en faveur de l’avidité et de la violence
».
Comment ne pas souscrire à sa mise en garde et à ses vues
: « Les dangers qui nous menacent sont immédiats, physiques
et réduisent à presque rien les conflits idéologiques.
Si l’homme survit, ce qui n’est pas sûr, on pourrait rêver
d’une société post- industrielle, c’est-à-dire
n’utilisant plus des techniques que le minimum indispensable, société
post-capitaliste mais aussi post-communiste. »
Marguerite Yourcenar a raison. Il faut rêver. Mais il y a deux
sortes d’utopies : les utopies créatrices, novatrices et les
utopies passéistes et dégénératives, caractérisées
par l’impuissance à sortir des sentiers battus, des schémas
sclérosés. Or le monde est à un tournant où
il a un urgent besoin des premières pour s’adapter aux nouveaux
défis, pour définir de nouvelles normes, pour survivre.
Nous sommes résolument du côté des partisans de
l’imagination créatrice, de Bergson, de Teilhard de Chardin,
d’Edgar Morin d’Ernst Bloch, de Marcuse, de Mannheim, ce philosophe
des années 20, en rupture avec le marxisme, qui attribuait le
rôle historique décisif à une minorité transcendant
les classes sociales, « l’Intelligence sans attaches »
Nos positions ne sont plus isolées. Un article publié
dans le N° de novembre des « Temps Modernes » sous la
signature de Paul Vidonne s’intitule « Crise de la socialisation
marchande ». Sans nous étendre, disons qu’il se situe sur
la même longueur d’ondes que nos analyses, comme le montre cet
extrait : « La crise actuelle n’est ni une simple crise d’ajustement
comme pouvaient l’être les crises du XIXe siècle, ni une
crise du mode de régulation de l’économique comme l’a
été la grande crise de l’ayant-guerre : il s’agit, selon
nous, du début d’une crise de la forme marchande elle-même,
due à l’incapacité de la socialisation marchande de continuer
d’assurer le fonctionnement social. »
Il semble bien que le diagnostic de P. Vidonne, comme celui de Marguerite
Yourcenar, aille au fond des choses.
(1) Lire à ce sujet l’article de Robert Solé dans le
« Monde » du 13-12-81.
(2) N.D.L.R. - C’était aussi le titre du dernier livre de J.
Duboin, publié une trentaine d’années avant celui de M.
Yourcenar.
Toujours les « méfaits » de l’abondance :
- les producteurs du Finistère ont déversé 30 000
têtes de choux sur la chaussée à Cléder,
le mardi 9 février, afin de protester contre la baisse des cours
provoquée par un apport massif de choux-fleurs ;
- le secrétaire américain à l’agriculture a annoncé
le 29 janvier dernier que les agriculteurs des Etats-Unis devront en
1982 réduire de 10 % leurs superficies cultivées de maïs
et de 15 celles cultivées en blé, en coton et en riz,
s’ils veulent bénéficier des programmes de soutien des
prix de ces produits. On explique cette décision par l’importance
des récoltes de 1981 qui a pesé « défavorablement
» sur les cours.
- 41 superpétroliers de plus de 150 000 tonneaux, d’un âge
moyen de onze ans seulement, ont été jetés à
la ferraille en 1981 à cause de la dépression du marché
pétrolier.
*
C’est le moment de payer le premier tiers et de penser aux déclarations
de revenus. Vous serez donc contents d’apprendre que la fraude fiscale
en France est estimée à 90 ou 100 milliards de francs
1982, soit à peu près l’équivalent du déficit
budgétaire de 1982. Et pour vous consoler, vous serez ravis de
savoir, aussi étonnant que cela puisse paraître, que c’est
en France que l’impôt sur le revenu est le plus faible de tous
les pays de l’O.C.D.E. Cet impôt direct ne représente que
18 % de nos recettes fiscales et 7,72 % de notre produit intérieur
brut. Respectivement ces rapports sont de 35 % et 13 % en Allemagne
Fédérale, de 47 % et 30,7 % aux EtatsUnis, de 43 % et
50 % en Suède et de 40 % et 26 % au Japon.
Comme seuls l’Espagne et le Portugal nous ressemblent à cet égard,
les experts anglo-saxons de l’O.C.D.E. disent : « En matière
fiscale, au moins, la France est encore un pays méditerranéen.
»
Le berceau de la civilisation occidentale c’est bien la Méditerranée,
non ? Alors, pourquoi devrions- nous prendre les nordiques comme modèles
?
*
L’évocation de la civilisation méditerranéenne m’incite au farniente. Savez-vous que le temps libre sur toute une vie est passé de 25 000 heures en 1800 à 45 000 heures en 1920, à 135000 heures en 1975. Avec les réductions du temps de travail prévues par le gouvernement, et avec la création d’un ministère du temps libre sa durée pourrait rapidement atteindre 170 000 heures. Vous voyez bien qu’on avance tout doucement vers la civilisation des loisirs !
*
Et pour en arriver là, pour tout le monde, il faudra nécessairement
passer par l’économie distributive. Tout doucement, les esprits
évoluent. L’attitude envers le travail est en train de changer.
Voyez plutôt ce que constate Alain de Vulpian qui étudie
l’évolution des courants socio-culturels en France < : Même
pour ceux qui ont la chance de s’épanouir dans leur travail,
celui-ci est de moins en moins la seule chose qui compte dans la vie.
Pour eux, le travail vraiment épanouissant est celui qui non
seulement permet de s’investir, mais laisse du « temps pour vivre
». Il devient de moins en moins valorisé de se laisser
envahir par son travail, de ne pas savoir arbitrer entre le travail
et le reste. Les bourreaux de travail étaient des modèles.
Ils sont de plus en plus souvent considérés comme des
malades. »
Ajoutez à cela que l’une des autorités morales les plus
élevées, le veux dire le Pape, écrit dans sa Troisième
Encyclique « Laborem Exercens » :
« L’obligation de prestations en faveur des chômeurs, c’est-à-dire
le devoir d’assurer les subventions indispensables à la subsistance
de chômeurs et de leurs familles, est un devoir qui découle
du principe fondamental de l’ordre moral en ce domaine, c’est-à-dire
du principe de l’usage commun des biens ou, pour s’exprimer de manière
encore plus simple, du droit à la vie et à la subsistance.
»
*
Il reste encore à désacraliser !’« Argent ».
Mais écoutez ce que répondait récemment un ancien
diplomate malien, devenu philosophe et écrivain, à la
question de savoir quel était le changement économique
le plus important survenu en Afrique :
« L’intrusion de l’argent. Axant l’arrivée des Européens,
jamais la fortune, ou la possession des biens matériels, n’avait
« classé » personne. La richesse était considérée
comme un saignement de nez, sans plus, c’est-à-dire comme un
événement pouvant advenir à n’importe qui, n’importe
où et n’importe quand, et s’arrêter sans raison, tout aussi
inopinément.
« « Ce qui classait l’homme, c’étaient sa valeur intrinsèque
et sa naissance. Malheureusement, avec l’invasion de l’argent, c’est
la richesse qui est devenue, pour beaucoup, signe de force et de noblesse.
Actuellement, la recherche effrénée de l’argent a presque
tout remplacé. Le désir de posséder efface peu
à peu le sens traditionnel du partage.
« Ce qui a vraiment bouleversé la société
africaine, c’est la recherche des « quatre V » : le Virement
(un compte en banque), la Villa, le Verger (une plantation où
d’autres travaillent pour soi) et la Voiture. Les vieux disent : réunissez
ces quatre « V » vous risquez d’en voir apparaître
un cinquième : la Vilénie. »
Lors de l’installation du Tribunal de Commerce de Bastia, Gérard COMTE, son nouveau Président, a courageusement abordé le problème de l’emploi et osé annoncer les solutions qu’il impose. Nous ne résistons pas au plaisir de reproduire ici quelques extraits de son remarquable discours inaugural :
...L’homme a donné le jour à un monde de l’information
asservissant le monde matériel, et c’est ce qui fait problème
à l’organisation de nos ’sociétés industrialisées...
L’Emploi de l’homme était de gouverner les machines dans les
usines, sur les chantiers, sur les bateaux, dans les avions, bref sur
la terre, sur la mer et dans les airs.
Puis le processus s’est accéléré fantastiquement,
l’automation est arrivée. Qu’est-ce que l’automation ? C’est
la possibilité donnée aux machines d’accomplir certains
gestes automatiquement en dehors de l’intervention de l’homme.
...L’automation s’est développée parce que des ingénieurs
ont su reproduire artificiellement les gestes asservisseurs que l’on
demandait à l’homme de répéter indéfiniment...
...Croire que modifier un modèle implique. l’intervention de
la pensée de l’homme, donc l’emploi de l’homme, est une erreur
que commettent trop souvent nos contemporains...
... La réalité est que l’exécution d’un programme
de fabrication dans une usine, ou de production sur un chantier (le
béton par exemple) n’implique absolument aucune pensée
: tout travail peut être automatisé dès l’instant
où son programme est formulé...
Nous sommes à la fin du 20e siècle. Siècle à
l’aube des temps où les « instruments » peuvent par
un ordre donné ou pressenti exécuter d’eux-mêmes
le travail.
Les conséquences économiques, donc sociales, donc de droit,
vont être énormes. Malheureusement le public et l’homme
politique ont trop souvent l’intelligence « concrète »
de l’époque... et pas assez l’intelligence « conceptuelle
» qu’une telle évolution fulgurante imposerait.
Pourtant des voix autorisées ont eu la vision du futur... Dans
un monde régi par l’automation, le « travail » au
sens actuel du terme, sera celui de quelques ingénieurs pressant
sur des boutons. Il faudra évidemment trouver autre chose pour
le reste de l’humanité aussi bien pour la faire matériellement
vivre que pour occuper ses loisirs.
C’est devant de telles perspectives - il faut le reconnaître,
stupéfiantes, déconcertantes - que nous nous trouvons
placés, et le plus évident devoir qui incombe aux hommes
de notre temps, je veux dire à ceux qui sont capables de réfléchir,
est de penser cet avenir, de tâcher de l’aider à naître,
et de faire qu’il naisse non pas contre l’homme mais pour lui.
Cela suppose de toute évidence l’abandon de bien de nos concepts
traditionnels, de maintes notions que nous tenons pour fondamentales
: celles du « salaire », celles du « profit »
par exemple. Cela suppose aussi un grand effort pour essayer de dégager
ce qui dans l’homme est fondamental, essentiel en dehors des servitudes
auxquelles il est aujourd’hui soumis...
On lit bien dans la presse, surtout technique, telle la revue des ingénieurs
et scientifiques de France, que dans dix ans, presque toute la production
industrielle sera assemblée dans les usines américaines,
japonaises, allemandes et par évidence françaises (si
la France ne veut pas être en reste), que les microprocesseurs
commanderont bientôt des usines entières...
D’ores et déjà les robots coûtent souvent moins
cher que la maind’oeuvre...
Dans les services, l’introduction de machines intelligentes et à
mémoire qu’on appelle mini, micro informatique ou bureautique
a pour objet uniquement d’obtenir des gains de productivité...
Dans ces conditions, il faut bien admettre que le progrès technique
remplace le travail de l’homme par celui de la machine et donc aboutit
forcément à une diminution du travail humain, à
une suppression d’emploi...
Pourtant il semble que le monde politique veuille empêcher le
chômage de progresser, il est même question de le faire
régresser.
Il faudrait donc empêcher les techniques de progresser, voire
les faire rétrograder, ce qui est un non- sens car on arriverait
à cette conclusion que l’homme ne doit pas se servir de son intelligence
pour améliorer ses conditions de travail. Ou bien il faudrait
créer des emplois fictifs en compensation de ceux supprimés
par la machine et aussi introduire des biens factices tels les gadgets,
les produits fragiles peu durables, les incitations à la mode,
etc.
C’est pourtant ce qui est fait actuellement, beaucoup d’emplois fictifs
sont créés, surtout dans le tertiaire et particulièrement
dans l’administration. Les gens qui « bénéficient
» de ces emplois sont confusément conscients de leur inutilité,
ils n’ont plus de motivation sérieuse et transforment souvent
le « service » qu’ils sont sensés assurer en parasite
de la Société...
Quand comprendrons-nous que nous nous trouvons tous dans la situation
où étaient les patriciens romains possédant des
esclaves qui travaillaient pour eux. Se plaignaient-ils du chômage,
ces patriciens romains ?
Nos esclaves sont les machines, et bientôt les robots, il faudra
bien en conclusion assurer le plein emploi des machines et le loisir
des hommes et associer le revenu des nommes à la production des
machines et des robots. Ce qui restera du travail à accomplir
par les hommes ne sera plus un droit, mais un devoir.
Il est désuet à présent, de continuer de parler
de l’exploitation des travailleurs, l’homme a des réactions trop
epidermiques, il est inutile et mal commode de « l’exploiter »,
le robot, lui, peut travailler dans tous les milieux, sous la pluie,
dans la poussière, dans une atmosphère de four ou de glace,
dans l’espace.
... La révolution industrielle que nous vivons à présent
verra les usines se vider d’hommes comme l’agriculture des dernières
décennies et en bien moins de temps, 80 %, sans doute plus, des
gens occupés dans les usines devront refluer ailleurs. Pas dans
les Services, car nous l’avons vu, les services aussi se passeront des
hommes. Alors, les hommes retourneront peut-être à la campagne,
pas pour y travailler dans l’agriculture, mais pour le loisir, pour
la détente, pour le voyage. Ou bien, passionnés de grandes
oeuvres, ils édifieront des monuments capables de défier
les siècles plus encore que les pyramides d’Egypte, les arènes
et les ponts romains. Ou bien ils repartiront à la conquête
des grands déserts, tel le Sahara, en creusant des canaux pour
les fertiliser, sans oublier de partir à la découverte
d’autres planètes et d’autres univers.
Pour conclure, reprenons ce que disait Jules Verne :
« Tout ce qui a été fait de grand dans ce monde
a été fait au nom d’espérances exagérées,
tout ce qu’un homme est capale d’imaginer, d’autres hommes sont capables
de le réaliser ».
C’est en faisant appel, nous le voyons, à son intelligence «
conceptuelle » que l’homme motivera plus que jamais son existence.
Nous reproduisons ci-dessous des extraits d’un article publié
dans « La Revue des Deux Mondes » de janvier 1982.
L’auteur en est Jacques ROZNER, qui nous a déjà fait l’heureuse
surprise de publier dans « Le Monde » du 3 juin dernier
un article intitulé « La Grande Relève ».
Nos lecteurs, mais peut-être eux seulement, auront fait le rapprochement.
En vérité, il faut dépasser en esprit la notion
de chômage, car elle est en voie de dépassement dans les
faits.
Ce qu’on appelle aujourd’hui chômage est certes dé à
des causes conjoncturelles : les chocs pétroliers (1), l’industrialisation
des pays à faibles coûts de production, l’ouverture des
économies occidentales sur l’extérieur, une politique
de forte immigration et l’arrivée massive de jeunes et de femmes
sur le marché du travail, en sont les principales.
Mais la cause dominante est de nature structurelle : elle s’exprime
par la mutation technologique d’une société marquée
du sceau de la science.
Elle annonce l’avènement d’une ère révolutionnaire
fondée sur le travail d’esclaves d’acier électronifiés,
mus par des énergies extra- humaines et se caractérisant
par la réduction croissante de leurs coûts alors que s’élève
sans cesse celui du travail humain.
Le chômage devrait cesser d’être une plaie pour apparaître
comme la plus grande victoire de l’homme sur la matière. Notre
monde occidental e et aura de plus en plus la capacité de capter,
au moindre effort, des énergies prodigieuses en dominant et exploitant
la matière inanimée aussi bien que les richesses des fonds
océaniques où gît notamment la nourriture du monde.
C’est ce qui fait que nous ne vivons déjà_ plus un simple
incident social de parcours économique, mais les premières
manifestations d’un événement historique de première
grandeur. Un de ses effets sensibles résidera de plus en plus
dans ce rejet d’une main-d’oeuvre devenue inutile, alors que les nouveaux
emplois dégagés par le développement des sciences
et des techniques ne s’expriment aujourd’hui qu’au travers de l’inadéquation
d’une offre d’emploi à forte technicité et d’une demande
sans qualification valable...
Tout est à imaginer en ce domaine. Les hommes de science ont
ouvert une voie inédite aux hommes de notre temps. A ces derniers
d’en dégager les impacts sur l’économie et la vie en société.
Les conséquences à imaginer ne sauraient être plus
difficiles à saisir que ne le furent pour des astronautes les
effets de la propulsion dans l’espace d’une navette spatiale.
Utopie tout cela ! diront certains. C’est ce qu’eût dit Napoléon
si on lui avait annoncé la désintégration de l’atome.
Pour réussir la transformation progressive de la société
actuelle en une nouvelle société qui ne peut se concevoir
que fondée sur la domestication de la matière et la maîtrise
des techniques dans la perspective d’une innovation continue, nos dirigeants
devront , se positionner face’ à ces vrais problèmes de
aspire - temps. Ceux-là sont plus exaltants dans leurs perspectives
économiques et sociales que la recherche de transferts d’inspiration
administrative au sein d’une société en phase de mutation
sous l’irrésistible poussée des sciences et des techniques.
(1) Ils ont fait l’objet d’une étude approfondie de M. Maurice Lauré.
Colloque
Nous savons qu’il existe deux milliards de personnes qui souffrent
de la faim... Or le colloque de 3 000 spécialistes de la Recherche
et de la Technologie qui vient de se tenir à Paris a-t-il étudié
s’il serait possible d’arrêter la progression de la misère
?
Certainement pas. Il a étudié seulement comment donner
à la France les possibilités d’être à la
pointe du progrès. Aussi vient-il normalement l’idée de
poser la question suivante :
« Notre monde peut-il résister à l’affrontement
sans limite des techniques de pointe des pays les plus développés
? ».
Ne faudrait-il pas étudier, au niveau mondial et à ce
seul niveau, une nouvelle forme d’économie qui libèrerait
l’homme de la misère grâce à ces usines-robots secrétées
par la recherche, et la technique mondiales en permettant à tous
les habitants de la planète d’avoir enfin ce revenu social qui
donnerait, à chacun, la possibilité de s’épanouir
selon ses désirs ?
Il est dommage que le colloque de Paris ait oublié cette commission
d’étude qui aurait pu, entre autres, étudier les écrits
d’un nommé Jacques Duboin qui, dès la crise de 1929, s’était
penché sur ce problème de survie de notre espèce.
Le journal « Le Dauphiné Libéré »
posait récemment la question suivante, que nous avons rapportée
dans ces colonnes : « Où sont les économistes qui
nous expliqueront clairement les causes profondes de la crise actuelle
? Même aux E.-U., je ne les ai pas trouvés ». Certains
de ses lecteurs lui ont répondu : « Pourquoi aller chercher
à l’étranger ce que le Savoyard Jacques Duboin a si bien
exposé ? ». Voici textuellement les deux lignes de la réponse
du Conseiller
de Direction de ce journal, Paul Dreyfus :
« Je connais bien l’oeuvre de Jacques Duboin. Elle n’apporte pas,
à mon avis, une réponse satisfaisante. »
L’avis de P. Dreyfus prime et décide de l’information de ses
lecteurs. Sont-ils d’accord ?
Quant à nous, nous nous demandons toujours quelle idée
exactement se font de l’économie distributive ceux qui rétorquent
d’emblée pour éviter toute discussion, « je connais
bien »...
Dans « La Croix » du 3 février dernier, on pouvait
lire trois entrefilets, côte à côte, de même
longueur :
« Le chômage encore en hausse en janvier », malgré
le changement de gouvernement, c’était évident et cela
continuera. Nous avons assez dit dans ces colonnes que c’est l’aboutissement
normal du système économique que le nouveau pouvoir ne
remet pas en cause !
« Des chômeurs veulent créer un syndicat »
et commencer par occuper les ANPE et les Assedic. Ils feraient mieux
de suivre notre proposition Hunebelle et, plutôt que manifester,
commencer à s’organiser entre eux pour produire sans profit ce
dont ils ont besoin.
« Le dollar au-dessus de 6 F »... il monte surtout depuis
que Reagan s’engage à construire des armements et présente
un budget 1983 avec un déficit record. Comme nous l’avons tant
dénoncé, cela donne confiance aux investisseurs américains
prêts à trouver du profit dans un avenir apocalyptique.
d’après Paul ROSSET
Soit dit en passant
AU lendemain du 10 mai 1981, vous vous en souvenez peutêtre,
à peine installé à l’Elysée et tandis que
Giscard, dans la pièce à côté faisait la
valise pour une destination inconnue, le nouveau président de
la République, dans l’euphorie de la victoire, déclarait
qu’il allait donner la priorité à la lutte contre le chômage.
Après les promesses les actes. Résultat dix mois plus
tard, le cap des deux millions de chômeurs est franchi. Qui dit
mieux ?
Sans doute existait-il dans le programme gouvernemental d’autres priorités
plus prioritaires : les visites aux chefs d’Etat étrangers, à
commencer par M. Reagan et M. Brejnev, histoire de faire connaissance,
le déficit de la Sécurité Sociale, la mise en chantier
d’un nouveau sous-marin nucléaire, les nationalisations, l’inflation,
les excédents agricoles et j’en oublie ; sans doute le nouveau
gouvernement n’a-t-il pas reçu, comme la Pologne, l’aide des
pays frères qu’il était en droit d’attendre d’eux ; sans
doute n’y avait-il pas assez des quarante et quelques ministres avec
leurs conseillers tous sortis de l’E.N.A. pour mettre un peu d’ordre
dans la pétaudière laissée par l’ancien gouvernement
avec les clefs et un bail de sept ans.
Mais s’il n’y a aucune raison de pavoiser il n’y a pas de quoi dramatiser
non plus. Deux millions de chômeurs, bien sûr, ça
fait du monde. Et alors ? On ne va tout de même pas se cailler
le sang pour ces gens-là. On disait naguère, et on le
dit peut-être encore aujourd’hui, que les chômeurs étaient
tous des bons à rien, des parasites de la société
et des feignassons qui cherchent du travail dans l’espoir de ne pas
en trouver et qui rie veulent pas travailler sous prétexte que
ça les fatigue. Comme l’illustre cette vieille histoire marseillaise
- c’était alors à la mode - qui courait les salons mondains
et les loges de concierge, et que j’ai entendue à l’époque
de la bouche même d’un Marseillais :
Un touriste arrivé du Nord, bien sûr, se promène
dans la cité phocéenne où des cargos ancrés
dans le vieux port attendent leur chargement. Affalé sur le quai
au milieu de l’agitation générale un homme regarde, en
poussant de profonds soupirs, l’interminable va-et-vient des débardeurs
transportant les marchandises amenées par les camions pour les
porter jusqu’aux bateaux.
Le touriste, apitoyé devant l’air accablé du Marseillais,
et la sueur qui coule sur son front, s’arrête et lui dit :
- Ça n’a pas l’air d’aller... Vous n’êtes pas bien ?
- Ah ! ne m’en parlez pas, répond l’autre. Transporter sur le
dos du matin jusqu’au soir des charges de cinquante kilos, les trimballer
jusqu’au quai, les grimper sur les cargos pour les descendre dans les
soutes, vous appelez ça une vie, vous ?
- Cela doit être très dur, en effet, répond le touriste.
Et vous faites ce métier depuis longtemps ?
- Je commence demain.
Mais si tous les chômeurs, quoique l’on en pense aujourd’hui,
même si on ne le dit plus, ne sont pas des feignassons et des
budgétivores, et puisque nous en sommes aux histoires marseillaises,
en voici une autre que M. Gaston Defferre, maire de Marseille, appréciera
peut-être s’il ne la connait déjà, et que je l’invite
à raconter en conseil des ministres. Cela pourra donner une idée
à son collègue Jean Auroux, ministre du Travail. La voici :
Marius, qui cherche un emploi depuis des mois, se décide un jour
à aller trouver le chef de gare de St-Charles qui fut son partenaire
à la pétanque, pour lui demander de lui trouver du boulot.
Le chef de gare lève les bras au ciel. Du boulot, hélas,
il n’en a pas. Mais pour lui rendre service il lui propose de passer
les rails de chemin de fer au papier de verre. Marius le remercie et
va se mettre aussitôt au travail. Huit jours passent. Le chef
de gare, étonné de ne pas avoir revu Marius, se demande
ce qu’il devient, s’il joue à la pétanque ou s’il n’est
pas passé sous un train et il commence à s’inquiéter
quand il reçoit un télégramme : « Suis à
Lyon. Tout va bien. Envoyez papier de verre. Marius. »
J’espère qu’après avoir entendu cette histoire les ministres
n’en resteront pas là à s’en raconter d’autres. Il y a
une idée. La France est sillonnée dans tous les sens par
de belles voies ferrées sur les quelles on fait rouler les trains.
Et cela représente quelques milliers, de kilomètres de
rails soumis à toutes les intempéries et peu à
peu rongés par la rouille. Quelques milliers de kilomètres
sur lesquels on pourrait installer un grand nombre des deux millions
de chômeurs qui figurent dans les statistiques. Le reste serait
occupé à la fabrication du papier de verre.
Et le problème du chômage serait enfin résolu. Ou
en bonne voie de l’être. Mais fallait y penser.
AVEC une belle régularité « La Grande Relève
» souligne la percée fantastique que les robots sont en
train d’accomplir dans les usines des pays industrialisés. Il
semble même qu’on assiste à une course contre la montre
pour ne pas se laisser distancer dans ce domaine.
Depuis le début de janvier de nouvelles informations en provenance
du Japon et des Etats-Unis sont venues confirmer cette tendance dont
on peut affirmer à présent qu’elle est irréversible.
LA RIPOSTE
Les pays dits riches ont subi ces dernières années des
revers économiques qui les ont laissés tout meurtris.
A la fantastique augmentation des prix de l’énergie qui a fortement
affecté la rentabilité des entreprises est venue s’ajouter
la concurrence impitoyable des pays de main d’oeuvre bon marché.
C’est ainsi que des pans entiers de la production des pays riches vacille
sous les coups de boutoir de la Malaisie, de l’Indonésie, de
la Corée ou de Taiwan. On comprend pourquoi quand on sait que,
dans ces pays, la semaine de travail est officiellement de plus de 50
heures pour des salaires sans doute moins élevés que les
horaires.
La productivité est alors forte puisque les coûts de main
d’oeuvre sont réduits. Il est donc facile d’inonder le monde
de chemises ou de sous-vêtements fabriqués à Macao
ou au Vietnam à des prix de revient si bas que l’importateur
et le vendeur conservent des marges bénéficiaires confortables
tout en vendant à des prix inférieurs à ceux de
la production locale.
Les pays industrialisés peuvent difficilement se défendre
contre ce déferlement qui ruine leurs industries et accroît
le chômage. Dans certaines branches les travailleurs en viennent
à accepter la stagnation ou même le recul de leur salaire
afin que le patron puisse maîtriser les coûts de production
et que l’entreprise ne ferme pas ses portes.
Une autre façon de se défendre est de fermer les frontières
aux produits en provenance de pays concurrents. Les dangers du protectionnisme
sont bien connus. D’abord, des représailles sont toujours possibles.
Or, dans le système économique actuel, aucun pays ne peut
se passer d’exporter s’il veut continuer à offrir un certain
niveau de vie à ses habitants. Ensuite, les entreprises ainsi
protégées vont cesser de progresser et peuvent même
régresser.
L’AUTRE RIPOSTE
On distingue en général trois grands facteurs de production
: le capital, l’énergie et la main d’oeuvre. Le capital et la
main d’oeuvre doivent être rémunérés et l’énergie
achetée à l’aide des recettes réalisées
par l’entreprise, ce qui reste constituant le profit qui permettra de
croître. -
Ces trois paiements représentent les coûts qu’il faut réduire
au maximum si l’on veut conserver des profits. Il est impossible de
réduire le coût du capital car alors i : disparaît
pour aller s’investir ailleurs. Le prix de ’l’énergie n’est plus
vraiment maîtrisé par l’acheteur. Reste donc le coût
salarial sur lequel il faut agir à tout prix.
C’est ce qu’ont compris les fabricants de robots qui proposent des produits
de plus en plus nombreux et de plus en plus sophistiqués. On
sait bien l’avantage que les robots représentent.
Ils permettent aux usines de travailler sans interruption (vacances,
grèves, maladie...) à des coûts de main d’oeuvre
stables ou même décroissants, ne serait-ce que du fait
de l’inflation.
Les industriels s’équipent donc, et la course est engagée
entre les fabricants pour les satisfaire. La production robotique japonaise
va être triplée voire quadruplée. Pour accelerer
le processus de production et conserver l’avance qu’ils détiennent
les pays industrialisés comptent sur le Japon qui, cette fois,
devient l’allié et non plus ennemi dans la guerre économique.
Fujitsu Fanuc cède des licences à la Grande-Bretagne et
s’associe avec Siemens au Luxembourg. Plus important encore il est en
pourparlers avec le géant américain General Motors dont
les chaînes sont déjà équipées de
robots pour le soudage et la peinture. Kawasaki va construire une nouvelle
usine à Kobé dont la capacité de production sera
de 2 000 robots industriels par an.
Très bien. Nous n’avons rien contre les robots s’ils sont destinés
à produire à moindre frais et à moindre mal. Mais
il semble qu’ils ne doivent qu’améliorer la productivité
et permettre aux entreprises de rester compétitives. Ils ne constituent
donc qu’un nouvel épisode dans la guerre économique alors
qu’ils devraient aider l’homme à s’affranchir des contraintes
qu’impose la production de biens nécessaires, bref à assurer
la grande relève de l’homme par la machine.
« Tout d’abord bravo pour l’idée de cette Régie
d’Economie Distributive qui malgré les difficultés me
semble en effet réalisable. Au départ, devant s’insérer
dans le cadre économique et légal existant, je pense que
la formation d’une Association de chômeurs régie par la
loi de 1901 serait possible Cela devrait permettre un fonctionnement
hors du « Circuit Profits » même si production et
distribution s’inspirent du système coopératif.
Toutefois pour coexister avec l’économie de marché le
financement posera des problèmes délicats, à moins
qu’il soit possible de mettre en place un circuit bancaire indépendant
jouant pour la monnaie de consommation le rôle de la Banque de
France pour la monnaie actuelle... mais ceci pourrait-il rester dans
le cadre de la loi de 1901 ?
Le Plan de transition soulève beaucoup de questions plus spécifiques
dans les détails mais encore faut-il les aborder par ordre d’importance.
Toutefois, le cas des retraités me semble mériter une
attention particulière.
Du fait de la relation très étroite entre le problème
du chômage et le financement des retraites (aussi bien Sécurité
Sociale que Cadres ou complémentaires) il me semble souhaitable
d’envisager l’intégration des retraités à la Régie.
Ceci ne représente que quelques-unes des idées que m’a suggérées le projet d’A. Hunebelle et je crois que le premier obstacle à vaincre ne serait pas d’ordre matériel ou de gestion. En effet, même si pour fonctionner la Régie ne nécessite pas la participation de la totalité des chômeurs, encore faut-il un nombre suffisant de membres pour prouver la solidité du système. Y aura-t-il suffisamment de gens assez conscients... ou désespérés pour tenter l’expérience ?
Roger SAILLARD.
*
« ...Parmi les plans proposés pour faciliter la naissance de l’Economie Distributive, il ne faudrait peut-être pas oublier le plan de l’évolution, qui se développe présentement dans la réalité, sans qu’aucun cerveau ne l’ait causé... »
Marcel DIEUDONNÉ
*
...D’accord pour certaines mesures de transition triées sur
le volet, mais je ne comprends pas que vous ayez laissé passer
les propositions d’Hunebelle concernant une « économie
de chômage ». Suis-je devenu trop vieux pour comprendre
? mais il me semble que votre père se retournerait dans sa tombe
s’il avait connaissance de ce déraisonnement. Comment par exemple
les travailleurs de la sidérurgie lorraine, qui ne sont et ne
peuvent être des artisans, feraient-ils pour échanger leurs
produits contre du pain et comment paieraient-ils leurs fournisseurs
EDF et Charbonnages, etc... ? Comment deux monnaies différentes
pourraient-elles coexister dans un même pays ?
Non, l’économie distributive ne peut s’introduire par petits
morceaux. Ce sera la plus grande révolution de tous les temps.
C’est pourquoi il est si difficile de la faire admettre. Votre père
a eu l’immense mérite de l’imaginer, de la définir et
de l’expliquer. Et en dehors des mesures transitoires qu’il a lui-même
indiquées, il n’y a rien de valable.
Robert KOPINSKI
Que l’on ne puisse trouver le vrai remède au chômage en
régime de profit, nous en sommes tous pleinement convaincus.
Donner les moyens aux chômeurs qui le désirent et se jugent
capables de subvenir au moins à leurs besoins éventuels,
tout Pouvoir sincèrement épris de justice devrait en faire
un droit pour les intéressés.
Remise en culture de terres en friche, remise en marche d’usines ou
d’ateliers fermés, etc... : voilà quelques moyens parmi
d’autres.
Mais reprendre les idées du mouvement communautaire en les replaçant
dans une structure distributive parallèle n’est pas, loin de
là, le seul moyen d’en sortir. Et cette structure est viable
dans la mesure où les participants réussiront eux-mêmes
à créer leur énergie et leurs matières premières.
Envisager le plan d’Hunebelle parmi les moyens de lutte contre le chômage,
d’accord. Mais créer un secteur isolé du reste de l’économie
et le présenter comme le fer de lance de notre programme, je
ne suis plus d’accord.
Que la lutte pour nos idées soit harassante, j’en conviens. Mais
ce n’est pas au moment où le Capitalisme emprunte au Socialisme,
distributif ou non, de plus en plus de béquilles pour survivre,
qu’il faut « jeter le manche après la cognée ».
Qu’observons-nous aujourd’hui ?
Tout ce qui dégage un supplément de pouvoir d’achat, même
si c’est lié aux horreurs ou à l’inutilité, tend
à débloquer l’Economie.
Selon les « lois » économiques classiques, toute
activité économique devrait avoir cessé depuis
longtemps déficit budgétaire perpétuel, «
inflation », etc...
Or, ça grince tant que ça peut, mais ça continue.
Et je ne parle pas de l’augmentation de la production.
La transition vers l’Economie Distributive se fait tous les jours. Souvent
très mal, mais elle se fait. Notre rôle est d’en imposer
l’accélération et l’amélioration. Point n’est besoin
de la monnaie spéciale pour cela, dans l’immédiat. Même
peut-être pendant longtemps.
La dépréciation ? L’inflation ? J’ai déjà
montré une ou deux-fois, je crois., la relativité de ce
phénomène.
Là encore, il faut savoir de quoi on parle et que ce soit clair
: j’appelle « inflation » uniquement la hausse des prix
imputable à un excès de la demande. Comment l’évaluer
aujourd’hui, à travers les multiples causes de hausse, énergie,
matières premières, salaires, impôts. etc...
Une grande partie des hausses s’explique par les répercussions
de prélèvements : prélèvement par Vint.
pot, sur la trésorerie des entreprises par les salaires... Ou
encore par l’utilisation de la monnaie dans les gaspillages : armements,
ou autres dépenses inutiles ou nuisibles.
Je parie volontiers que l’application du plan Barillon, qui devrait
toujours être notre objectif principal, n’entraînerait qu’une
hausse minime et pourrait même s’accompagner d’une véritable
stabilité. Rappelons-en, une fois de plus, les grandes lignes
: hausse progressive, mais rapide, de tous les petits revenus. financée
par création monétaire.
Cela éviterait beaucoup de subventions, tout en permettant de
savoir quels sont les besoins les plus urgents à satisfaire,
donc, d’orienter correctement notre économie. La même méthode
peut être appliquée à la création d’emplois
dans les services publics, les énergies douces, la protection
de l’environnement, la mise en couvre d’un vaste plan forestier, etc...
J’ajoute que ces mesures peuvent s’accompagner d’un blocage des prix,
non hypocrite celui-là : pas de charges nouvelles.
« Transition » conçue dans l’acception suivante
: « Manière de lier ensemble deux états de choses,
sans passer brusquement d’un état à un autre ».
Tel est le problème en ce qui concerne le passage de la répartition
marchande à la répartition distributive ; ce passage,
pour être rationnel, doit s’effectuer avec continuité et
minimum de heurt.
Le Revenu Social de Sécurité s’avère la mesure
transitoire par excellence : il ferme la boucle du cycle production-consommation,
sans interrompre le fil de la vie courante, comme le fait la S.N.C.F.,
sans interrompre le trafic quand elle édifie une nouvelle gare
sur une ligne déjà existante. C’est ainsi que Jacques
Duboin concevait naguère le démarrage du système
distributif.
Le Revenu Social de Sécurité solvabilise les déshérités
dans l’immédiat en amorçant progressivement le passage
de l’économie de marché à la répartition
distributive.
Le Revenu Social sera progressif, il sera affecté, à chaque
exercice annuel, d’un coefficient de majoration en fonction de la croissance
productive technique. A son instauration, il sera chiffré en
fonction de l’évolution du coût global de la production
et du nombre des ressortissants (de l’enfant au vieillard).
Pour situer, en première approximation, le montant de départ
du Revenu Social de Sécurité, nous avancerons avec réserve,
qu’il ne saurait être inférieur, dès sa création,
à trois fois la valeur du S.M.I.C. actuel. Par la suite, il atteindra
la valeur que lui apporteront ses bénéficiaires grâce
aux techniques qu’ils continueront à améliorer.
Sur ce plan de la transition, les faux pas sont à redouter :
les propositions idéalistes tactiques, de ménagement d’intérêts
privilégiés dans le cadre de l’économie du profit
couvrent souvent des mesures de reconduction de l’économie marchande
sans lendemains, comme les dénonça inlassablement Jacques
Duboin.
Soyons vigilants, ces solutions tentantes par leur facilité doivent
être passées au crible de la critique. La transition doit
introduire le principe de la répartition distributive, assortie
de son mode de financement : la création d’une monnaie, non pas
capitalisable mais de consommation.
MONNAIE DE CONSOMMATION
Monnaie sociale de l’avenir, en opposition à la monnaie précieuse fondante (dévaluable à merci, dite cependant « capitalisable »), Nouvelle monnaie conventionnelle à valeur constante, basée sur son rapport constant avec la production. Par sa répartition mensuelle, elle est essentiellement destinée à la consommation des biens et services.
J’ai visité un beau pays
au tendre nom de LIBERTE
Des hommes avec humanité
y vivaient vraiment sans souci.J’ai vu un pays de raison
sans képi et sans uniforme
Ici le bon sens et le fond
ont plus d’importance que la forme.Enfin des hommes intelligents !
Chacun vit la vie de service
et partout on voit la devise
« Personne ne se tache à l’argent ».On n’entend pas parler profit
mais bien de monnaie d’équilibre
une monnaie qui les fait vivre
sans destruction d’utiles produits.Egalité et LIBERTE
ne sont plus des mots vides de sens
Ils ont la noble intelligence
de vivre en vraie fraternité.Le secret de cette réussite
est tout simple. C’est l’application
d’une économie de raison
« L’Economie Distributive ».
Nous avons reçu une étude dont nous publions ci-dessous
de larges extraits, relatifs à la monnaie.
Après avoir rappelé que les machines automatiques peuvent
résoudre le problème de la production, l’auteur montre
que c’est celui de sa répartition qu’il faut résoudre :
Emission de la monnaie
Un industriel obtient d’une banque un crédit de 10 millions.
A partir de ce moment, une augmentation de la monnaie de 10 millions
figure dans les statistiques de l’INSEE.
Au bout d’un an, l’industriel rembourse sa dette, plus les intérêts
de 15 %, soit 11,5 millions. Dès lors, il y a dans les statistiques
une diminution de monnaie de 10 millions. Et la banque a réalisé
un profit brut de 1,5 millions, disons d’un million net.
De nos jours, c’est ainsi que la monnaie est créée et
annulée par les banques. Comme elles accordent plus de crédits
qu’on ne leur en rembourse dans un mois par exemple, le flot de la monnaie
monte toujours. Par exemple, en quatre ans, de 1975 à 1978, les
banques ont émis, sous forme de crédits, c’est-à-dire
de dettes, 194,14 milliards (1).
Une phénoménale stupidité
Plus la société produit de marchandises, plus les banques
peuvent créer de monnaie, plus elles s’enrichissent... et plus
la société s’enfonce dans la mévente, les faillites
et le chômage ; dans l’insécurité, la peur, l’égoïsme
et la haine... faute de moyens de paiement inhérente à
un système d’émission anormal...
Il y a une fantastique disproportion entre un verre d’eau et l’océan...
Il y a la même disproportion entre le profit bancaire et I océan
social en « crise » permanente économique, sociale,
politique et morale... Tout le monde serait effaré si un verre
de poison polluait l’océan. Mais nous restons impassibles devant
la pollution de la société par le profit bancaire...
A vrai dire, la cause profonde de ce processus est le mauvais usage
de la monnaie, plus précisément son système d’émission
en faveur des banques, au détriment de la société.
Remplaçons-le donc par un autre qui fournirait à tous
les consommateurs l’argent nécessaire pour établir l’équilibre
Production - Consommation, c’est-à-dire l’équilibre économique,
mère de l’harmonie sociale, politique et morale.
Nouvelles structures : la monnaie distributive
Annulée par l’achat, elle ne peut plus circuler d’un compte
à un autre, ce qui rend impossible toute spéculation financière,
commerciale, foncière, etc...
La monnaie ne peut que jouer un rôle de monnaie de consommation.
Elle sort de son lieu de naissance, entre dans un Centre de Cession
des marchandises, ou d’utilisation des services payants, et retourne
au bercail où elle est annulée. Tout ce qui est situé
hors de ce circuit est complètement démonétisé.
En conséquence :
Les profits, les salaires, les bénéfices, les honoraires,
les soldes et tous les gains quels qu’ils soient sont tous éliminés
- et remplacés par un Revenu Social.
Il n’y a plus ni capitalisme ni structures capitalistes. Ni salariés,
ni salariat ; ni structures inhérentes aux autres gains, à
l’argent et à sa circulation, tels les contributions, taxes ou
impôts ; le ministère des Finances, la Sécurité
Sociale et autres institutions deviennent inutiles (2).
Les banques prennent le nom de Centres de distribution du Revenu Social.
Elles créditent mensuellement le compte des consommateurs du
montant de leur revenu social et les débitent du montant de leurs
dépenses.
Le Service Social est instauré ipso facto par l’instauration
du Revenu Social. En effet, n’étant plus rétribuées,
toutes les activités deviennent un service rendu à la
société, c’est-à-dire un Service Social. Le «
Service Social » doit rester une locution et rien de plus. Bien
entendu, il faudra, comme actuellement, organiser le travail.
Dans le cadre de cet exposé, nous ne pouvons pas nous étendre
davantage. Mais c’est assez pour comprendre qu’un meilleur emploi de
la monnaie suffit pour créer l’Economie distributive, et pour
remplacer les structures anciennes par les nouvelles Et même pour
remplacer l’ancienne mentalité par une nouvelle, grâce
au Revenu Social, qui est le point central de la transformation économique.
Transformation des mentalités
Quand tout le monde sera riche, grâce à la grande efficacité
de !’automatisation du travail ; quand !’égalité économique
aura libéré les travailleurs de leur complexe de’ parias
de loin le moins rétribué, et développé
en eux le sentiment de leur dignité ; quand ils seront libérés
de la hantise du chômage ; quand les ex-patrons, les responsables,
les cadres ne seront plus assaillis par les affres de la concurrence,
le spectre de la faillite, de la diminution ou de la cessation d’activité
; les soucis de la rentabilité, de la mévente, de la hausse
du prix des fournitures, des légitimes revendications du personnel,
de l’« argent qui est dehors et qui ne rentre pas » ; des
échéances...
Alors régressera partout, dans ’l’immense domaine de la Production
et dans toute la Société, un
climat d’entraide, de fraternité et de respect de chacun envers
tous, quelle que soit leur place dans la hiérarchie de l’intelligence,
des connaissances et de l’efficacité.
(1) Voir « La production croît, l’emploi décroît,
c’est la crise, que faire ? » par l’auteur.
(2) Voir « Construire l’avenir » du même auteur.