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Soit dit en passant
AU lendemain du 10 mai 1981, vous vous en souvenez peutêtre,
à peine installé à l’Elysée et tandis que
Giscard, dans la pièce à côté faisait la
valise pour une destination inconnue, le nouveau président de
la République, dans l’euphorie de la victoire, déclarait
qu’il allait donner la priorité à la lutte contre le chômage.
Après les promesses les actes. Résultat dix mois plus
tard, le cap des deux millions de chômeurs est franchi. Qui dit
mieux ?
Sans doute existait-il dans le programme gouvernemental d’autres priorités
plus prioritaires : les visites aux chefs d’Etat étrangers, à
commencer par M. Reagan et M. Brejnev, histoire de faire connaissance,
le déficit de la Sécurité Sociale, la mise en chantier
d’un nouveau sous-marin nucléaire, les nationalisations, l’inflation,
les excédents agricoles et j’en oublie ; sans doute le nouveau
gouvernement n’a-t-il pas reçu, comme la Pologne, l’aide des
pays frères qu’il était en droit d’attendre d’eux ; sans
doute n’y avait-il pas assez des quarante et quelques ministres avec
leurs conseillers tous sortis de l’E.N.A. pour mettre un peu d’ordre
dans la pétaudière laissée par l’ancien gouvernement
avec les clefs et un bail de sept ans.
Mais s’il n’y a aucune raison de pavoiser il n’y a pas de quoi dramatiser
non plus. Deux millions de chômeurs, bien sûr, ça
fait du monde. Et alors ? On ne va tout de même pas se cailler
le sang pour ces gens-là. On disait naguère, et on le
dit peut-être encore aujourd’hui, que les chômeurs étaient
tous des bons à rien, des parasites de la société
et des feignassons qui cherchent du travail dans l’espoir de ne pas
en trouver et qui rie veulent pas travailler sous prétexte que
ça les fatigue. Comme l’illustre cette vieille histoire marseillaise
- c’était alors à la mode - qui courait les salons mondains
et les loges de concierge, et que j’ai entendue à l’époque
de la bouche même d’un Marseillais :
Un touriste arrivé du Nord, bien sûr, se promène
dans la cité phocéenne où des cargos ancrés
dans le vieux port attendent leur chargement. Affalé sur le quai
au milieu de l’agitation générale un homme regarde, en
poussant de profonds soupirs, l’interminable va-et-vient des débardeurs
transportant les marchandises amenées par les camions pour les
porter jusqu’aux bateaux.
Le touriste, apitoyé devant l’air accablé du Marseillais,
et la sueur qui coule sur son front, s’arrête et lui dit :
- Ça n’a pas l’air d’aller... Vous n’êtes pas bien ?
- Ah ! ne m’en parlez pas, répond l’autre. Transporter sur le
dos du matin jusqu’au soir des charges de cinquante kilos, les trimballer
jusqu’au quai, les grimper sur les cargos pour les descendre dans les
soutes, vous appelez ça une vie, vous ?
- Cela doit être très dur, en effet, répond le touriste.
Et vous faites ce métier depuis longtemps ?
- Je commence demain.
Mais si tous les chômeurs, quoique l’on en pense aujourd’hui,
même si on ne le dit plus, ne sont pas des feignassons et des
budgétivores, et puisque nous en sommes aux histoires marseillaises,
en voici une autre que M. Gaston Defferre, maire de Marseille, appréciera
peut-être s’il ne la connait déjà, et que je l’invite
à raconter en conseil des ministres. Cela pourra donner une idée
à son collègue Jean Auroux, ministre du Travail. La voici :
Marius, qui cherche un emploi depuis des mois, se décide un jour
à aller trouver le chef de gare de St-Charles qui fut son partenaire
à la pétanque, pour lui demander de lui trouver du boulot.
Le chef de gare lève les bras au ciel. Du boulot, hélas,
il n’en a pas. Mais pour lui rendre service il lui propose de passer
les rails de chemin de fer au papier de verre. Marius le remercie et
va se mettre aussitôt au travail. Huit jours passent. Le chef
de gare, étonné de ne pas avoir revu Marius, se demande
ce qu’il devient, s’il joue à la pétanque ou s’il n’est
pas passé sous un train et il commence à s’inquiéter
quand il reçoit un télégramme : « Suis à
Lyon. Tout va bien. Envoyez papier de verre. Marius. »
J’espère qu’après avoir entendu cette histoire les ministres
n’en resteront pas là à s’en raconter d’autres. Il y a
une idée. La France est sillonnée dans tous les sens par
de belles voies ferrées sur les quelles on fait rouler les trains.
Et cela représente quelques milliers, de kilomètres de
rails soumis à toutes les intempéries et peu à
peu rongés par la rouille. Quelques milliers de kilomètres
sur lesquels on pourrait installer un grand nombre des deux millions
de chômeurs qui figurent dans les statistiques. Le reste serait
occupé à la fabrication du papier de verre.
Et le problème du chômage serait enfin résolu. Ou
en bonne voie de l’être. Mais fallait y penser.