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AED La Grande Relève Articles > N° 738 - septembre 1976

 

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N° 738 - septembre 1976

Les lecteurs ont droit à la verité   (Afficher article seul)

Initiatives   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

L’inflation a toujours été nécessaire   (Afficher article seul)

Le coin des téléphiles   (Afficher article seul)

À l’étranger   (Afficher article seul)

« Une Suisse au-dessus de tout soupçon »   (Afficher article seul)

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Les lecteurs ont droit à la verité

par M.-L. DUBOIN
septembre 1976

« La Grande Relève » revient de très loin. Et elle n’est pas encore tout à fait sauvée d’une entreprise délibérée d’en suspendre définitivement la publication. Le dernier numéro (737, de juillet dernier) était prêt, chez l’expéditeur (l’entreprise « La Quotidienne  », 37, rue du Chemin Vert à Paris) pour être envoyé à temps de façon à ce que les abonnés l’aient avant les grands départs en vacances.
Mais pour empêcher à tout pris cette expédition, les journaux ont été purement et simplement subtilisés chez le routeur ! Nous avons été obligés d’envoyer par nos propres moyens la totalité (insuffisante) des «  bouillons ». Ainsi la plupart des abonnés ont reçu un exemplaire, même si c’est, hélas !, avec un mois de délai.
En leur exprimant ici nos excuses pour ce retard, je crois que je ne peux pas cacher aux lecteurs la vérité, car ils y ont droit, aussi invraisemblable qu’elle apparaîtra peut-être à certains.
Qui veut supprimer la « Grande Relève », comment et pourquoi ?
Qui ? Celui qui l’avait accaparée progressivement, après que Jacques Duboin ait renoncé, vu son âge et le déclin de ses forces, à en rédiger l’éditorial : Charles Loriant.
Comment ? D’abord très adroitement. Charles Loriant est venu tout simplement se joindre à l’équipe de rédaction formée entre autres de : Marcel Dieudonné, Madame Wittwer, Marcel Dubois, Raymond Meurisse, le général Lasserre, etc... Puis, se substituant délibérément à Madame Euvrard qui assurait alors la liaison entre cette équipe et J. Duboin, C. Loriant est intervenu pour se faire envoyer à son domicile personnel les textes destinés au journal. Il a ainsi fait office de rédacteur en chef et s’est permis, à ce titre, diverses censures qui n’ont pas toujours été appréciées par les rédacteurs. La plupart de ceux-ci ont réagi en cessant leurs envois. Les autres ont ensuite été «  mis à la retraite » du journal par le nouveau maître.
Cette manoeuvre aurait pu être explicable si elle avait été destinée à renouveler l’équipe de rédaction en la rajeunissant. Mais il faut se rendre à l’évidence que telle n’était pas l’intention de son auteur. Aucune équipe n’a été reconstituée et ceci explique pourquoi les derniers numéros contiennent tant de reproductions d’articles parus auparavant dans différents périodiques, avec parfois plusieurs années d’intervalle.
La mort du fondateur du journal a posé la question de sa succession. Jacques Duboin a laissé à ce sujet un testament incontestable mais qui ne correspondait pas aux vues de C. Loriant, qui s’est, par conséquent, opposé à sa publication. Et pour être sûr qu’il ne pourrait être publié dans le numéro spécial consacré à la vie et à l’oeuvre de J. Duboin (qui devait être le n° 736 de juin), celui qui se prétend son successeur décida tout simplement qu’il n’y aurait plus de « Grande Relève ». Et il fit tout pour cela.
Ni ma Mère ni moi ne pouvions accepter que les dernières volontés de mon Père soient ainsi bafouées, ni même que soient détournés le montant des abonnements en cours et les sommes versées à la souscription «  Pour que vive la Grande Relève ». Cette attitude révoltante était indigne de ceux à qui J. Duboin a tant apporté.
Il restait alors TROIS JOURS pour rédiger un numéro, à temps pour être distribué avant le 1er août. Ce court délai ne nous permettait pas de faire appel à tous ceux qui, bien que disposés à nous aider, n’étaient au courant de rien et pour la plupart, loin de Paris. De plus, Charles Loriant, par lettre recommandée et sous peine de me poursuivre en Justice, me fit toute une liste d’interdictions : « en aucun cas, le journal ne peut se référer au M.F.A..., il ne peut être question de porter mention du siège du M.F.A..., ni de toute rubrique « Vie du M.F.A. » ou « Vie des G.S.E.D. », etc... ».
Tout en estimant ceci absurde, nous avons préféré, dans l’immédiat, en tenir scrupuleusement compte pour éviter un procès aussi stupide qu’inutile. Avec toutes ces difficultés à surmonter, sortir le numéro était une gageure. Nous avons réussi, à quatre. Et nous nous réjouissions déjà d’avoir tiré La Grande Relève d’un mauvais pas.
C’était, hélas ! sous-estimer la détermination de C. Loriant ! Celui-ci n’hésita pas à aller chez le routeur et, par intimidation, à se faire remettre les journaux prêts à partir.
Et ce n’est pas tout. Il n’hésita pas plus, en même temps, à m’intenter un procès au nom ( ?) et aux frais du M.F.A., en demandant au Tribunal de Paris de mettre le journal sous séquestre  ! Le procès en référé fut fixé au 6 août. Il était ainsi définitivement exclu que le journal soit distribué dans les délais.
Bien entendu, Charles Loriant fut débouté de sa demande absolument sans fondement. Ce jugement a confirmé mon droit de diriger la rédaction de « La Grande Relève ». Le Juge lui intima même l’ordre exprès de restituer au plus vite les journaux qu’il avait osé emporter, sous peine d’être poursuivi pour vol.
Que croyez-vous qu’il fit ? Aussi incroyable que cela soit, le 25 août les journaux n’étaient toujours pas rendus. Nous ne disposions donc que des « bouillons », prévus comme à l’habitude aux fins de propagande. C’est pourquoi nous avons entrepris de les expédier, découpant et rédigeant les bandes d’envoi à la main, et en les affranchissant au tarif fort car nous ne pouvions pas ainsi bénéficier du tarif réduit attribué au routeur. Comme devoir de vacances, ce ne fut ni agréable, ni rapide, ni économique. De plus, nous n’avons pas eu assez d’exemplaires pour tous les abonnés.

***

Reste la troisième question : pourquoi ? Charles Loriant l’a annoncé lui-même incidemment au Comité Directeur du M.F.A. : il veut lancer SON propre journal. II n’est pas encore bien fixé sur le titre. Aux dernières nouvelles ce serait soit « Feu Vert », en reprenant ainsi celui de J. Godeau, soit « Tous Ensemble ». Ce journal ne ressemblera pas à La Grande Relève, telle que l’a conçue et si bien maintenue pendant plus de quarante ans Jacques Duboin. Ce qui devrait pourtant prouver que la formule était bonne. Non. D’après les termes mêmes de D. Rochereau, c’était un « torchon  ». Le nouveau journal doit être l’organe de ralliement de tous les groupuscules que C. Loriant a entrepris de réunir, espérant ainsi devenir, probablement, le leader incontestable des contestataires. Et s’il y parvient avant les prochaines élections présidentielles... qui sait ? Il aurait su faire tellement mieux que R. Dumont !

***

Je ne voudrais dissuader qui que ce soit d’entreprendre un travail utile. Et si C. Loriant croit qu’un nouveau journal est nécessaire à rassembler les diverses associations auxquelles il s’intéresse, qu’il entreprenne de le lancer, avec ses amis. C’est son affaire. Mais attention : que ce ne soit pas « La Grande Relève » qui en fasse les frais ! Ses abonnés et tous ceux qui versent à la souscription « Pour que vive la Grande Relève  » n’accepteraient pas que leurs versements soient détournés. Et on n’a pas idée de décider ainsi de les mettre devant le fait accompli ! D’autre part, La Grande Relève, sous sa forme originelle, avait fait ses preuves. Elle a survécu même à la dernière guerre. Combien d’autres périodiques d’opinion ont réussi ce tour de force ? La Grande Relève avait su garder une large audience, compte tenu de son domaine très spécifique. Elle peut encore faire un travail utile de propagande pourvu qu’elle s’ouvre plus largement à tous ceux qui sont prêts à agir pour un avenir meilleur, plus intelligent, mieux adapté aux moyens de notre époque, en un mot à tous ceux qui veulent continuer l’oeuvre impulsée par son fondateur. Les conditions économiques, mieux que jamais encore, nous donnent raison. Ce n’est pas le moment d’abandonner le meilleur outil de propagande que nous possédons. C’est au contraire celui de consacrer un maximum d’efforts pour en augmenter la diffusion.

***

L’union faisant la force, il est évident que nous aurions tout à gagner d’un rassemblement des contestataires, à condition bien sûr, que celui-ci se fasse dans le but de réclamer avec nous l’économie distributive. car c’est à notre avis la seule façon de mettre fin aux contraintes absurdes et nuisibles de la société contestée par ces groupuscules. Malheureusement, l’expérience que me donnent mes contacts professionnels avec les étudiants, me fait prévoir deux gros écueils à ce ralliement. Le premier résulte d’un défaut dont ces jeunes n’ont hélas pas le monopole  : ils ne sont pas enclins à prêter attention à d’autres façons de voir que les leurs. Leur refus de certains aspects de la société constitue pour eux un préalable à l’élaboration d’un programme de société. Ainsi ne sont-ils pas prêts à écouter des propositions constructives. Le second obstacle provient d’une qualité qui compense largement ce défaut et que C. Loriant a bien tort de sous-estimer : c’est leur refus de se laisser guider. On n’impose plus, surtout depuis Mai 68, son point de vue, si bon soit-il, aux jeunes. Et je crois que les moins jeunes ont eu l’exemple du fascisme pour comprendre les dangers qu’il y a à confier le destin d’une société, quelle qu’elle soit, à un leader, fut-il un meneur de foule, prodigue en mirifiques promesses. Ce besoin de juger, de décider, de fixer soi-même son programme est un incontestable progrès. Ceci explique que les associations que C. Loriant veut rassembler, entendent chacune conserver le droit à l’autodétermination de ses buts et de ses méthodes. Ainsi leur réunion ne peut-elle venir que d’elles-mêmes et personne ne doit espérer la leur imposer, fut-ce avec les meilleures intentions du monde.

***

Ce désir de juger par soi-même en refusant toute pression se situe parfaitement dans la ligne que doit suivre notre action de propagande. Ceux qui ont vraiment compris le message humaniste de Jacques Duboin savent bien qu’on ne saurait présenter l’économie distributive comme on lance un nouveau produit sur le marché, ou comme le programme trop précis d’un nouveau parti politique ou d’un nouveau syndicat. Notre action se situe sur un autre plan parce qu’elle répond à un besoin bien plus fondamental. Elle consiste d’abord et avant tout à aider nos contemporains à comprendre l’absurdité économique dans laquelle ils vivent et, pour cela, il leur faut s’affranchir de bien des idées reçues ou inculquées dans un but intéressé. Nous n’avons pas mieux à faire que de les aider à démolir un mur de préjugés qui les entoure, les submerge et les aveugle. Car nous savons bien que lorsqu’ils seront arrivés à voir les choses de leurs propres yeux, à juger par eux-mêmes et à chercher en toute objectivité quel est le régime économique qui est le mieux adapté à notre époque et à nos moyens, ils n’auront plus aucun mal à comprendre l’économie distributive. Nous pourrons alors la leur présenter comme une suggestion, en les laissant libres d’imaginer mieux. Et nous sommes libres de douter qu’ils y parviennent !

Ici, un aveugle qui va droit vers le précipice.
Là, des jeunes gens, sur le bon chemin, hésitent à marcher main dans la main.
QUI FAUT-IL AIDER ?

***

Que faut-il pour contribuer efficacement à cette véritable libération des esprits ?
D’abord un gros effort personnel et certaines qualités : de la psychologie pour deviner les blocages de l’interlocuteur : elle s’acquiert avec l’expérience ; du bon sens : c’est, dit-on, la chose du monde la mieux partagée ; de la persévérance : la certitude de faire oeuvre utile et la preuve quotidienne que nous sommes sur la bonne voie nous l’apportent.
Et puis il nous faut à tous l’outil exactement adapté qu’était et que doit redevenir la « Grande Relève  » : ses colonnes doivent nous apporter le soutien théorique, la documentation qui nous permet d’actualiser nos arguments, et le moyen de concerter nos efforts.
Alors ne jetons pas le manche après la cognée !

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Initiatives

par M. M.
septembre 1976

L’émission de Louis Bériot, sur France Inter, « Questions pour un Samedi », était consacrée le 18 septembre à l’inflation.
Les questions posées par les auditeurs témoignaient du grand désarroi des Français devant ces questions financières.
Les auteurs de cette émission m’ayant semblé faire preuve d’objectivité, j’ai passé, moi aussi mon message au téléphone  : « Pourquoi vouloir juguler l’inflation ? Celle-ci est inhérente au système : d’une part on cherche toujours à augmenter la production, d’autre part, on emprunte pour investir. Quand on emprunte, il faut rembourser plus qu’on a reçu, pour faire vivre la banque, donc il faut produire plus, vendre plus cher et c’est le cycle infernal. Il n’y aurait qu’un moyen de faire suivre le pouvoir d’achat, à ce même rythme : supprimer la monnaie actuelle et distribuer une nouvelle monnaie, non thésaurisable celle-là, créée proportionnellement à la production et ne servant qu’une seule fois pour l’acheter ».
Ce message n’est pas passé sur l’antenne. Censure ?

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Au fil des jours

par J.-P. MON
septembre 1976

Notre bonne presse ne cesse de nous vanter les mérites et les performances économiques de la République Fédérale Allemande mais nos brillants économistes passent sous silence un phénomène gênant pour la validité des théories savantes (scientifiques, disent-ils !) qu’ils professent  : le nombre de chômeurs continue d’augmenter en R.F.A. malgré la hausse de la production (2,6 % de chômeurs en plus en juin 1976 pour une progression industrielle de 1 % le même mois).
Selon les experts de I’O.C.D.E., l’expansion allemande doit se poursuivre, mais cette croissance économique ne permettra pas de réduire sensiblement le chômage ; la persistance probable d’un chômage relativement important est l’un des problèmes les plus préoccupants que les responsables de la politique économique aient à résoudre.
Qui parmi les économistes français ou allemands s’apercevra le premier qu’il s’agit là d’un phénomène normal dû aux progrès technologiques ?
Si les Français n’arrivent pas les premiers ils sont inexcusables  : ils disposent depuis longtemps des oeuvres de J. DUBOIN !
Il va falloir les traduire en Allemand pour aider nos bons voisins à y voir plus clair.

***

Depuis le début de l’été l’on n’entend parler que de la sécheresse et de ses conséquences sur le revenu des agriculteurs. Le Gouvernement s’est engagé à maintenir le revenu des agriculteurs au moins au niveau de 1975.
Bravo, c’est un premier pas vers l’Economie Distributive !
Mais les marchands de parapluies et d’imperméables se plaignent, eux aussi, d’avoir moins vendu que lors des étés précédents et réclament des compensations.
Il faut, bien sûr, les leur accorder.
Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Il ne faut pas que le Gouvernement se borne à aider les seuls agriculteurs et marchands d’imperméables ; il doit aussi assurer un pouvoir d’achat constant à toutes les autres catégories sociales du Pays, sans oublier les étudiants, les retraités, les handicapés, les personnes du troisième âge, etc...
Tout cela coûte fort cher, direz- vous. C’est vrai, mais nous avons les moyens de payer : savez-vous que le montant des capitaux français « réfugiés » dans les coffres suisses s’élève à 390 milliards de nouveaux francs ?
De quoi assurer de substantiels revenus aux chômeurs et agriculteurs victimes de la sécheresse !

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Dans « France-Soir » du 11 septembre 1976 : « Au menu de BARRE et PINAY des recettes pour faire baisser les prix ».
Nous voilà rassurés : si M. Barre suit l’exemple de M.  Pinay nous sommes sauvés : l’inflation est morte, une fois de plus !
Tout le monde se souvient en effet de la façon dont les prix baissèrent lors des passages de M. Pinay dans divers gouvernements de la IVe ou de la Ve République. Sa meilleure trouvaille est sans conteste celle qui, en 1960, a consisté à diviser les prix par 100. Malheureusement, M. Pinay divisa aussi les revenus par 100 ; ce qui ne changea rien à rien.
Soyez sérieux, MM. de « France- Soir », et dites-nous plutôt de combien ont augmenté les prix en francs constants depuis le dernier passage de M. Pinay dans un gouvernement.

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Au moment où nous mettons sous presse, M. Raymond Barre garde encore jalousement inédit son secret pour juguler l’inflation. Nous ne pouvons donc pas le commenter dans les détails. Mais à quoi bon ? Nous savons bien qu’on n’arrête pas l’inflation parce qu’on n’arrête pas le progrès. A moins de changer la définition de la monnaie, précisément pour la lier directement à la production.

Voici comment Jacques DUBOIN expliquait l’inflation, il y a 17 ans, dans son Bulletin économique « Réflexions d’un Français moyen », en octobre 1959. Quelle actualité pourtant !

L’inflation a toujours été nécessaire

par J. DUBOIN
septembre 1936

Quand M. Pinay se félicite d’avoir jugulé l’inflation, on suppose qu’il s’imagine qu’elle était devenue très dangereuse. S’il a pu la vaincre si facilement. c’est qu’elle ne l’était pas. Elle ne le devient, en effet, que si le pays souffre d’une pénurie de marchandises à vendre : les consommateurs se les disputent alors, et s’il y a trop d’argent en circulation, les prix montent en flèche ! On s’en est bien aperçu pendant la guerre lorsque la pénurie donna naissance au marché noir.
Mais qui peut soutenir que la France manque aujourd’hui de produits  ? Si c’était le cas, les producteurs dépenseraient-ils des milliards en publicité ? S’efforceraient-ils d’écouler leurs stocks à crédit ?
Rappelons que l’inflation monétaire, c’est-à-dire l’augmentation rationnelle des moyens de paiement, a toujours été une impérieuse nécessité dans les pays dont l’économie est en expansion. En se développant, les échanges exigent plus de monnaie pour s’effectuer facilement. Et la monnaie ne tombant jamais du ciel, il faut bien qu’on la fabrique...
Je répète que toutes les monnaies du monde n’ont jamais cessé de se déprécier au cours de l’Histoire, les nations ayant toujours été obligées de les dévaluer pour satisfaire les besoins d’une économie qui progressait et d’une population qui augmentait. Aucune monnaie n’a échappé à cette nécessité, même celles qui étaient en or et en argent ! Elles font aujourd’hui figure de monnaies idéales en raison de leur prétendue stabilité ! Quelle erreur, le petit lingot qui leur servait de gage n’a jamais cessé de s’amenuiser
D’abord, la monnaie précieuse n’échappait pas à l’inflation, car, des mines d’or et d’argent, on extrayait chaque année du minerai dont la plus grande partie servait à frapper de la monnaie, ce qui augmentait le stock des pièces en circulation. Ensuite, cette Inflation était encore insuffisante pour les besoins de la production et de la consommation, puisque les Rois procédaient à de multiples dévaluations monétaires que les économistes appellent des mutations.
Prenons l’exemple de notre franc, fils de la livre- tournois, et petit-fils de la livre carolingienne. Cette aïeule était en argent et pesait 491 grammes. Au XIIe siècle, la livre carolingienne est devenue la livre- tournois qui, sous Philippe-Auguste, ne pesa plus que 84 grammes.
Sous Jean-le-Bon (5 déc. 1360), on frappa une monnaie nouvelle, baptisée franc, qui pesa 3 grammes 88 milligrammes d’or fin.
Quant à la livre-tournois, elle continua de fondre, car, sous Louis XVI (1786), elle ne pèse plus que 4 grammes 1 /2 d’argent.
Enfin une livre tournois (augmentée de 3 deniers) se transforma, le 27 mars 1803, en franc de Germinal an XI, dont le poids en argent était de 4 grammes 1/2, et en or de 290 milligrammes.
Que les pièces fussent en or ou en argent, les Rois de France les ont toujours dévaluées par le même procédé  : ils décidaient que telle pièce d’or qui vaut 6 francs en vaudra désormais 24, et celui qui devait verser 4 pièces pour s’acquitter d’une dette, n’en versera plus qu’une seule qui s’appellera une pièce de 24 francs. Toutes les nations européennes en ont ainsi usé : on changeait la valeur numérique des monnaies.
De la Révolution française à 1914, le franc de Germinal an XI se déprécia à nouveau d’environ 60 %, mais la première guerre mondiale enterra définitivement toutes les monnaies précieuses : l’or et l’argent ne circulant plus dans aucun pays civilisé. Désormais c’est la monnaie de papier (billet de banque) et la monnaie bancaire (purement comptable) qu’on utilise absolument partout. Les échanges se sont alors intensifiés beaucoup plus rapidement qu’autrefois.
Est-il utile d’ajouter que la monnaie, sous ses deux nouvelles formes, continua de se déprécier de plus belle ?

***

Pour abréger, n’examinons que la période contemporaine de janvier 1940 au 30 juin 1959 (19 années 1/2). Voici les nations dont la monnaie fut dévaluée de plus de 90% :

Israël 90%
France 91,2%
Turquie 91,6%
Espagne 93,3%
Allemagne fédérale 94,3%
Argentine 94,8%
Italie 96,8%
Chili 97,1%
Autriche 97,3%
Paraguay 97,6%
U.R.S.S 98,3%
Allemagne de l’Est 98,3%
Tchécoslovaquie 98,7%
Japon 98,9%
Indonésie 99%
Albanie 99,5%
Bolivie 99,7%

La France, on le voit, n’est pas la nation qui cède le plus à la « facilité »...

***

Toutes les autres nations dévaluèrent leur monnaie de 10 à 90%, à l’exception d’un tout petit nombre dont la politique financière, empreinte d’une grande sagesse, leur a permis de maintenir, sans défaillance, la stabilité monétaire.
Ce sont : La République Dominicaine, le Salvador, le Guatémala, Haïti, Honduras, Libéria, Panama, et le Venezuela.
On pourrait ajouter les Etats-Unis à condition de ne pas oublier que le dollar s’est déprécié d’un peu plus de 60% depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

***

Il faudrait donc finir par reconnaître que la dévaluation des monnaies est une conséquence du progrès économique. Elle favorise les débiteurs en leur permettant de se libérer en donnant une valeur moindre que celle qu’ils ont reçue. En apportant ainsi la libération des vieilles dettes, elle agit comme l’abaissement du taux de l’intérêt, ou, si l’on préfère, comme un amortissement du capital.
Sans la dépréciation continue des monnaies, comment les Etats, qui sont les gros débiteurs du monde, pourraient-ils s’acquitter de leurs dettes dont le poids devient prodigieux ?
Inclinons-nous pourtant devant le fier courage de MM. Jacques Rueff et Antoine Pinay qui, par la vertu sublime d’une virgule, se proposent d’arrêter un courant dont l’origine remonte à l’invention des premières monnaies !

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Le coin des téléphiles

par R. LASSERRE
septembre 1936

Le 2 août, la télévision française a commencé à diffuser sur « Antenne 2 », à 18 h 15, une émission originale et qui s’annonce très intéressante, du producteur-réalisateur Armand Panigel, sur les « Chroniques du temps de l’ombre », véritable encyclopédie de la Résistance Française de 1940 à 1944, qui comprendra une série de trente films de 26 minutes se suivant quotidiennement, sauf le samedi.
Etant donné que lors des deux premières émissions, il m’avait été donné de constater deux lacunes qui me paraissaient regrettables, parce qu’elles concernaient deux faits historiques non négligeables, j’ai estimé devoir les porter à la connaissance de M. Armand Panigel.
Et cela, essentiellement, parce que l’un des événements oubliés m’autorisait à tenter d’obtenir que justice soit rendue à Jacques Duboin en démontrant que s’il fut un précurseur aujourd’hui connu dans le domaine de l’économie pour sa conception originale d’une ECONOMIE DISTRIBUTIVE - dont l’embryon se développe d’ailleurs sous la forme des allocations et indemnités diverses - il fut un précurseur indiscutable, mais ignoré à la fois par les journalistes, les historiens (militaires et civils) et les responsables politiques, dans le domaine de la défense nationale, QUATORZE ANS avant le Général de Gaulle.
Je vous donne ci-dessous la copie des lignes essentielles de ma lettre à M. Armand Panigel :
« Lorsque j’ai entendu, dans vos premières « chroniques des temps de l’ombre »,
- d’une part, la réflexion de M. Pierre Boutang sur l’impréparation de l’Armée française qui subit la défaite de Mai 1940 ;
- d’autre part, l’évocation de l’attaque de la flotte française de Mers-el-Kebir par la flotte anglaise, le 3 Juillet 1940, je me suis pris à regretter vivement de n’avoir pas porté à la connaissance de l’historien Henri MICHEL plus tôt que je ne l’ai fait, les deux témoignages précisés ci-après dont il aurait pu faire état, ainsi qu’il me l’a écrit.
Bien qu’il n’y ait guère de chance pour que vous soyez en mesure de les mettre à profit avant la fin de l’émission en cours, je crois devoir vous faire part des renseignements que j’ai communiqués à M. Henri MICHEL et de l’appréciation qu’il a portée sur mes témoignages.
Témoignage sur les responsables de l’impréparation des armées françaises à la veille de la guerre
de 1939-1940.
C’est le 5 juillet dernier que j’ai écrit ce qui suit à M. Henri MICHEL :
« Comme j’ignore si vous avez eu connaissance en son temps (1922) - ou même après lorsque vous avez étudié les causes qui furent à l’origine de la déroute des armées françaises en juin 1940 - de la séance de la Chambre des Députés du 14 mars 1922, je n’hésite pas à vous faire parvenir la copie du texte du discours nue prononça le jeune et courageux député de la Haute-Savoie Jacques DUBOIN lors de la discussion du projet de loi sur l’organisation de la Défense Nationale déposé par le gouvernement. Albert SARRAUT étant Président du Conseil et André MAGINOT ministre de la Guerre. Cette copie est constituée par les dix papes de l’appendice du livre de J. Duboin « LIBERATION  » (économique) 2e édition, de 1946. Ce texte a été vérifié par moi sur les pages 784 à 788 du Journal Officiel n° 30 du 15 mars 1922.
J’ai d’autant moins hésité à m’adresser à vous que peu de temps après l’émission des « Dossiers de l’écran » du 3 juin 1970, sur la « Bataille de France ». à laquelle il avait pris part, le colonel LE GOYET, alors chef du service historique de l’Armée, a eu avec moi un entretien au château de Vincennes, au cours duquel il m’avoua ignorer l’événement que constituait le discours de Jacques Duboin à la Chambre des Députés le 14 mars 1922.
Or, c’est en général la Chambre des Députés du FRONT POPULAIRE de 1936 et les gouvernements de l’époque qui ont été tenus pour responsables de la défaite de 1940. En fait, il apparaît à la lecture des réactions suscitées par les propositions de modernisation de l’armée faites par Jacques Duboin et restées sans suite (motorisation  : création d’un corps de chars d’assaut), que la responsabilité de l’impréparation de notre armée en 1940 INCOMBE avant tout à la Chambre des Députés de 1922, dite Chambre « bleu horizon » et au Président du Conseil Albert Sarraut ainsi qu’au ministre de la Guerre André Maginot.
En m’accusant réception de mon envoi, M. Henri MICHEL m’écrivait le 6 juillet : « ces textes contiennent une information tout à fait neuve pour moi. Vous avez bien raison de souligner son importance  ».
Aussitôt après la fin de la première partie de l’émission télévisée sur la Bataille de France, évoquée ci-dessus, j’avais demandé à M. Armand Jammot de profiter de la deuxième partie annoncée pour informer les téléspectateurs sur l’importance de la séance de la Chambre du 14 mars 1922 et la part de responsabilité qu’elle avait dans la défaite de 1940, mais il n’en a rien fait. Il n’a même pas eu la courtoisie de me faire accuser réception de ma lettre. C’est pourquoi, dans un article de « La Grande Relève » de janvier 1971- reprenant le titre d’un livre célèbre de PIERREFEU je n’hésitais pas à affirmer avec force à l’adresse d’Armand Jammot, que « Plutarque a menti »... par omission.
A propos de cet article, nous rappellerons sommairement qu’au cours des débats gui suivirent la projection du film des « Dossiers de l’écran » de 1970, op avait fait observer avec raison, que du fait de l’avance prise par l’Allemagne dans son réarmement, il était beaucoup trop tard en 1936 pour pouvoir espérer réaliser le projet de réorganisation de l’armée française présenté par Paul REYNAUD conçu sur les bases des conceptions que le Colonel de Gaulle avait exposées en 1934 dans son livre au titre malheureusement mal choisi « Vers lune armée de métier ». Mais. assez curieusement, s’il n’était pas trop tard le 14 mars 1922, quatorze ans avant le projet DE GAULLE - PAUL REYNAUD de 1938 il était beaucoup trop tôt lorsque le jeune député Jacques Duboin eut le mérite et le courage d’affronter une Chambre des Députés en majeure partie hostile, pour s’efforcer de faire comprendre à ses collègues qu’il était temps de renvoyer dans l’agriculture les chevaux de la cavalerie et de créer une armée moderne sur la base des conceptions nouvelles, nées de l’expérience de la guerre, qui avait été développées depuis la fin du conflit par celui qui fut, en 1915, le « père des chars d’assaut » : le Général ESTIENNE, sous les ordres duquel Jacques Duboin avait servi au front comme capitaine après s’être engagé volontairement en 1914, alors qu’il était classé « réformé ».
A ceux de ses collègues qui l’interrompaient et lui demandaient ce qu’il entendait par une armée moderne, il répondait  : « c’est une armée qui se reconnaît à l’odorat, elle sent le pétrole et ne sent pas le crottin. C’est une armée où le moteur mécanique joue le principal rôle ».
Au cours des débats, le rapporteur du projet de loi, le Colonel Fabry, déclara : « notre collègue Duboin peut apparaître ici, peut-être comme un précurseur, mais ce sera le seul reproche que l’on hourra lui adresser. Il va beaucoup trop vite ».
On sait comment on alla par la suite si lentement dans la modernisation de l’armée qu’elle partit en guerre sans une seule division blindée véritable, mais avec de nombreuses divisions de cavalerie montée.
J’en viens maintenant à l’autre témoignage, celui de Mers-el-Kebir, qui fut d’ailleurs le premier dans le temps.
Le 10 août 1940, à ma table de restaurant de l’hôtel thermal, à Vichy, le Général de l’Armée de l’air BERGERET, qui arrivait de Turin où il était Président de la délégation française à la Commission d’armistice - et qui devait devenir peu après Secrétaire d’Etat à l’Air du gouvernement de Vichy - a déclaré ce qui suit que j’ai rapporté de Londres en mars 1943, puis à Alger en 1944 au juge d’instruction : « Les boches (sic) ont cent pour cent de chances de gagner la guerre, c’est le moment pour la France de jouer la bonne carte, c’est-à-dire de faire la guerre à l’Angleterre avec les boches ».
Un moment après il ajouta :
« J’ai acquis la conviction à Turin que l’affaire de Mers-el-Kebir a été voulue et montée par les boches qui ont réussi à faire croire aux Anglais que la flotte française était sur le point de sortir de sa base, ce qui devait inciter la flotte anglaise à l’attaquer ».
En me remerciant le 16 juin de mon témoignage, M Henri MICHEL m’écrivait :
« Vos souvenirs rejoignent le compte rendu que l’ambassadeur BULLITT a envoyé à ROOSEVELT le 1er Juillet 1940 (avant Mers-el-Kebir) d’une conversation qu’il avait eue aven Darlan à La Bourboule. Darlan avait déclaré que l’Angleterre était battue, que les Anglais étaient tellement lâches qu’ils capituleraient au premier bombardement ».

Général Robert LASSERRE.

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À l’étranger

par J. CARLESSE
septembre 1936

MAO

Ce « géant du socialisme » a, par la violence et par une dictature sanglante, discipline tout un peuple qui avait besoin plus de nourriture que de liberté et qui a été heureux de travailler durement, de lutter âprement et de marcher au pas sous la férule des adjudants du « Grand timonier  », puisqu’ils pouvaient ainsi manger à leur faim, se vêtir d’uniforme et s’abriter sous un toit.
Sa révolution était indispensable et méritoire, faisant d’un peuple voué à la misère et aux épidémies, une nation en voie de développement.
Mais son action peut-elle être un enseignement pour un pays comme le nôtre, qui a dépassé depuis longtemps le stade de l’évolution maoïste du peuple chinois ? Aurait-il été capable d’améliorer le sort des Français ?
Je livre à la méditation des lecteurs quelques citations de Mao, matière à se livrer à toutes les exégèses, à la lueur de notre actualité.
- « La révolution n’est pas un dîner de gala. Elle ne se fait pas comme une pauvre littéraire, un dessin, une broderie. Elle ne peut pas s’accomplir avec autant d’élégance, de tranquillité et de délicatesse ou avec autant de douceur, d’amabilité, de courtoisie, de retenue et de générosité d’âme. C’est un acte de violence par lequel une classe chasse l’autre. Le pouvoir est au bout du fusil ».
- « Un communiste ne doit en aucun cas s’estimer infaillible, prendre des airs arrogants, croire que tout est bien chez lui, et que tout est mal chez les autres ».
- « Les cadres jouent un rôle décisif dans les nations, et il faut en prendre grand soin ».
- « Les officiers et les soldats doivent obéir aux ordres dans tous leurs actes ».
- « Moins de troupes, mais de meilleures, et simplifier l’administration  ».
- « En ce qui concerne nos dépenses budgétaires, nous devons avoir pour principe l’économie ».
- « Ce qui compte réellement dans le monde, c’est d’être consciencieux ».

PORTUGAL : Les Socialistes au pouvoir.

M. Mario Soarès a annoncé le 9 septembre un certain nombre de mesures pour relancer la productivité et l’expansion au Portugal.
Evoquant la réforme agraire, la « gestion ruineuse » de certaines unités collectives, il a souligné l’intention de son gouvernement de ne pas laisser des considérations politiques « hypothéquer l’avenir de cette réforme » et sa décision de restituer les terres dont l’occupation n’a pas été légalisée.
Pour éviter « l’effondrement à bref délai  », M. Soarès a insisté sur la nécessité d’un « travail dur et de la discipline » et manifesté l’intention de combattre l’absentéisme dans les entreprises nationalisées  : il cite l’exemple des chantiers navals, entreprise de 10 000 ouvriers « soi-disant révolutionnaires » ou 2 500 absences sont enregistrées chaque jour. Il a également critiqué la « furie revendicative » de certaines catégories de travailleurs stimulés par certains partis.

CUBA : Les privilèges.

En 1971, un pont aérien de trois jours autorisé par Castro permit aux opposants de quitter l’île. Cependant pour retenir les chefs d’entreprise, les ingénieurs, les intellectuels nécessaires à la réalisation du Plan, il eut l’idée, pas très idéologiquement marxiste, de créer ce qu’on appela les « salaires historiques » à leur intention. Certains de ceux-ci dépassent 2 500 pesos, soit 10 000 de nos francs par mois, en plus du logement dans l’une des somptueuses villas spoliées aux Américains.
Ces avantages en argent ne sont d’ailleurs pas uniquement accordés aux spécialistes d’un secteur économique, mais aussi aux zélateurs les plus fidèles du régime.
Pour se faire une idée de ces avantages, il faut savoir que le salaire minimum garanti est de 833 pesos, soit à peu près 400 francs par mois, qu’un flacon de mousse à raser équivaut à un salaire moyen d’une semaine (ce qui explique peut-être le nombre des « Barbudos »), une paire de chaussures vaut 35 pesos, un imperméable 40 pesos.
Mais les Cubains ne payent pas d’impôt sur le revenu ; on se contente d’alimenter le budget par une cascade d’impôts indirects qui accablent tous les produits et services.

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Lectures

« Une Suisse au-dessus de tout soupçon »

par M.-L. DUBOIN
septembre 1936

Voici un livre, « Une Suisse au-dessus de tout soupçon » par J. Ziegler (au Seuil), que quiconque prétendant savoir ce qu’est le capitalisme devrait avoir lu. Il est édifiant. Sans les références citées, qui, elles, sont au-dessus de tout soupçon, beaucoup seraient tentés de croire les chiffres exagérés.
On y apprend que le peuple suisse, constitué par seulement 0,03  % (trois pour dix mille) de la population mondiale se classe au second rang parmi les peuples les plus riches du monde. Il détient même le premier marché mondial de l’or et de la réassurance, il est la troisième puissance financière de la planète.
La patrie du coucou est aussi celle des « seigneurs de la finance  » qui, grâce à leurs 4 000 banques contrôlent des sommes dix fois supérieures au budget de la Confédération. Les bénéfices réalisés en 1974 par trois de ces banques s’élèvent à 517 millions de francs suisses, c’est-à-dire plus de cent milliards de nos anciens francs. La Suisse abrite 447 sociétés multinationales contrôlant 1 456 filiales (dont la société responsable de la catastrophe récente de Seveso).
L’impérialisme suisse joue le rôle de receleur en recueillant les capitaux étrangers, leur permettant ainsi d’être soustraits au fisc de leurs pays d’origine et bien qu’une telle exportation soit interdite. Le Portugal a perdu ainsi, entre avril 1974 et avril 1975, plus d’un milliard d’escudos. Plus de 15 milliards de dollars fuyant l’Italie ont été déposés à Lugano entre 1964 et 1974. « Environ 400 000 Français possèdent un compte numéroté en Suisse, soit « plus de 390 milliards de nouveaux francs » ; (répartis entre un million de chômeurs, cela ferait 39 millions d’anciens francs pour chacun d’eux), etc., etc... L’ex-empereur d’Ethiopie, Hailé Sélassié fit transférer des centaines de milliers de kilos d’or pendant des dizaines d’années. Le Honduras connut en 1974 une situation difficile à cause de transferts massifs des profits de l’oligarchie déposés dans les banques étrangères, notamment suisses, installées à Panama. Tandis que les peuples vietnamiens et cambodgiens vivaient une agonie terrifiante, le Général Thieu et le Maréchal Lon-Nol essayèrent de faire parvenir en Suisse 16 tonnes d’or... et y parvinrent probablement.
Mais toutes ces transactions sont couvertes par le secret bancaire, qui, lui, est sérieusement réglementé et préservé. Ainsi depuis des décennies, le gouvernement de la République de Saint-Domingue essaie-t-il, en vain, de récupérer les quelques 500 millions de dollars « transférés » par les fils de l’ancien dictateur Trujillo. Des centaines de familles juives ne parviennent pas à retrouver ce que des parents ont déposé en Suisse au moment de la montée du nazisme. Le gouvernement algérien ne peut pas toucher le « trésor du F.L.N. », les 50 millions de francs suisses des cotisations des travailleurs algériens déposés à la banque commerciale arabe de Genève par Khidder.
Ziegler montre ensuite comment les capitaux en fuite servent au «  financement des entreprises les plus aventureuses et les plus lucratives d’une mince oligarchie ». La destruction de ce système « non seulement n’affecterait pas l’économie suisse mais... rendrait une partie de leurs chances de vie à des dizaines de millions d’hommes... ». Son rôle dans l’étranglement lent et méthodique du peuple chilien apparaît avec logique et clarté.
Ce livre est une source de documentation pour qui voudrait montrer par quel mécanisme l’impérialisme capitaliste impose ses modèles politiques aux peuples du Tiers Monde. « La dette des pays en voie de développement a pris des dimensions astronomiques... Ces tendances apparaissent dans les chiffres des crédits à l’exportation suisse pour 1970 : de nouveaux crédits furent accordés, d’une valeur de 97 millions de francs, tandis que 250 millions de francs faisaient le trajet retour (Tiers Monde-Suisse), représentant les intérêts des crédits antérieurs. Les remboursements ne sont pas inclus dans ces chiffres. »
Dans sa conclusion, Ziegler nous rejoints parfaitement : « L’impérialisme répand ses ravages à travers le monde à une vitesse effrayante. Ici et là, le seul moyen d’en guérir est l’aide concertée d’hommes et de femmes décidées à briser le règne du capital et de la marchandise, d’abolir la misère et le mensonge et de transformer leurs vies défigurées en un destin collectif chargé de sens ».
Cette étude sérieuse, résultat d’un long travail remarquablement documenté, nous conforte donc dans l’idée que le système économique prime tout... hélas ! N’en déplaise à certains écologistes.

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