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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 654 - décembre 1968

 

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N° 654 - décembre 1968

Dialogue : Jacques Bonhomme et un Economiste   (Afficher article seul)

Compte-rendu de l’assemblée annuelle du M.F.A.   (Afficher article seul)

L’empire américain   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

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Dialogue : Jacques Bonhomme et un Economiste

par J. DUBOIN
décembre 1968

Jacques Bonhomme : Me permettez- vous Monsieur l’Economiste, de vous poser une question ?

L’Economiste : Je vous en prie.

Jacques Bonhomme : Je voudrais connaître la nature exacte de la catastrophe qui s’est abattue sur notre pays. Les Français ont livré la bataille du franc. Ils l’ont gagnée. En conséquence ils sont condamnés à vivre dans l’austérité, ce qui veut dire se mettre la ceinture ; et pour leur faciliter cette pénitence, le gouvernement augmente légèrement les prix...

L’Economiste : Mes collègues et moi nous vous avons expliqué la fuite de nos capitaux en Allemagne, car on faisait courir le bruit que le mark allemand allait être réévalué : il y avait donc de l’argent à gagner. Pour le même motif, nos exportateurs ne rapatriaient pas leurs fonds.

Jacques Bonhomme : Excusez mon ignorance. J’ai dû consulter vos traités d’économie politique, et j’ai appris que nos capitaux étaient l’ensemble de nos moyens de production...

L’Economiste (interrompant) : C’est exact.

Jacques Bonhomme : J’ai donc questionné des amis qui habitent près de la frontière. Or, ils affirment n’avoir pas vu passer le plus petit champ cultivé ni la plus petite usine. Le bruit a même couru que le Creusot venait de franchir le Rhin ; mais c’était faux, car je sais de science certaine qu’il est toujours à sa place.

L’Economiste (souriant) : Ce qui a fui ce sont les titres représentant des capitaux, les billets de banque, les crédits, nos devises étrangères etc.

Jacques Bonhomme : En somme il ne s’agit que de simples écritures, et la France est aujourd’hui aussi riche qu’elle l’était avant la catastrophe ?

L’Economiste : Si l’on veut ; mais vous avez vu qu’elle compte beaucoup d’amis dans le monde. Les Etats-Unis en tête, tous sont venus à son aide. Nous avons raison d’en être fiers !

Jacques Bonhomme : J’allais l’oublier : ils nous ont prêté 2 milliards de dollars. Cela fait deux fois mille millions de dollars, c’est vraiment une belle somme ! Ils n’ont pu pénétrer en France que dans un train blindé ou un avion blindé. Mais cela a dû se faire de nuit, et avec la plus grande discrétion. J’ai en effet interrogé des employés de la S.N.C.F. et d’aérodromes ; ils affirment tous n’avoir rien vu. Ou alors c’est qu’ils ont bouche cousue.

L’Economiste (riant) : Mais ces milliards de dollars ne sont pas venus en France. Les nations qui nous les prêtent en ont crédité la France dans les comptes de leur banque d’Etat.

Jacques Bonhomme : Alors ce ne sont encore que simples écritures comptables ? En définitive, rien n’est sorti de France et rien n’y est entré !

L’Economiste : Oui, mais nous avons à rembourser ces deux milliards de dollars.

Jacques Bonhomme : Il suffit de passer les écritures inverses...

L’Economiste (éclatant de rire) : Mais je répète que nous les devons. C’est le prix des marchandises que nous avons achetées à ces nations, mais que nous n’avons pas encore payées. Comprenez bien : ces deux milliards de dollars représentent le solde débiteur de notre balance commerciale : nous avons donc acheté à ces nations plus de marchandises que nous ne leur en avons vendues. C’est une dette, comprenez-vous ?

Jacques Bonhomme : Dans ces conditions, il n’existe que la solution de leur expédier pour deux milliards de dollars de nos marchandises.

L’Economiste : Enfin vous m’avez compris ! Et c’est pour que nous puissions leur expédier gratis ces 2 milliards de dollars de marchandises, qu’il nous faut restreindre notre consommation l’austérité s’impose, ce sera notre grande pénitence.

Jacques Bonhomme : Ouais ! Vous croyez que les Etats-Unis, l’Angleterre, l’Allemagne, etc. qui ont tous tant de peine à vendre leurs marchandises, sont des pays disposés à recevoir des nôtres pour une valeur de 2 milliards de dollars ?

L’Economiste : Notre gouvernement l’espère...

Jacques Bonhomme : Alors rassurez le tout de suite. Efforçons nous de garder les pieds sur la terre. Est-ce la première fois qu’un pays doit une somme astronomique à un autre ?
Non, mon grand’père aimait à me raconter que le problème s’était posé déjà à la fin de la première guerre mondiale, quand l’Allemagne fut condamnée, par le Traité de Versailles, à payer les réparations des dommages causés par le bombardement, qui dura quatre ans, de nos dix plus riches départements du Nord et de l’Est. Notre ministre des Finances, M. Klotz exigeait des milliards de marks dont nous n’aurions pu nous servir qu’en achetant une prodigieuse quantité des marchandises allemandes. Comme nos producteurs ne voulaient à aucun prix de cette concurrence, on réduisit le montant de la dette dans une proportion qu’on croyait possible, ce qui indigna ceux de nos compatriotes qui n’ont jamais réfléchi au problème du transfert des capitaux d’un pays à un autre.
Dès 1922, l’accord de Londres réduisit des trois quarts le chiffre des réparations. Deux années plus tard, le plan Dawes substitua à ce qu’il en restait des annuités dont il se gardait de fixer le nombre ; en 1930, le plan Youg limita ces annuités à 36 tont en en prévoyant 22 autres amputées chacune de 25 %. Enfin, en 1931, donc déjà l’année suivante, le moratoire Hoover dissipait la fantasmagorie des chiffres, et les réparations allemandes allaient grossir le stock des illusions perdues.
Mais à la fin de la deuxième guerre mondiale, le même problème se posa pour le règlement des dettes interalliées. Bien que M. Herriot s’entêtât à proclamer bien haut que la France payerait sa part aux Etats-Unis, il oubliait toujours de préciser comment. N’en parlons plus finirent par dire les Américains, et l’on passa sur nos dettes l’éponge de l’amitié. Bien mieux, les Etats-Unis nous offrirent tout de suite ce qu’ils appelaient un prêt-bail, bien qu’il ne fut ni un prêt, ni un bail ; mais il permettait à la France d’acheter tout de suite des marchandises américaines...
Comme nos chers créanciers ne veulent pas pour 2 milliards de dollars de marchandises françaises, on ne parlera bientôt plus de notre dette. Notre cure d’austérité est donc absolument inutile. Elle risque même de nous être fatale.

L’Economiste : Vous pourriez bien avoir raison...

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Compte-rendu de l’assemblée annuelle du M.F.A.

(17 novembre 1968)
par SPECTATOR
décembre 1968

La séance du matin s’est ouverte à 10 h. 30 au Siège Social, sous la présidence de Jacques Duboin, Président du M.F.A. Il donne tout de suite la parole à E. Pilard pour la lecture de son rapport sur l’activité de notre association et l’évolution de sa trésorerie, au cours de l’exercice écoulé. Cet exposé très complet est adopté à l’unanimité. Après avoir remercié E. Pilard, le Président parle des mois qui suivirent la clôture de l’exercice. Notre activité s’est ressentie des désordres de mai et de juin. Le numéro de mai de la Grande Relève parvint aux abonnés avec un mois de retard, ce qui lui enlevait toute signification ; celui de juin fut entièrement composé mais ne pouvait être tiré qu’avec un nouveau retard. Cependant certains de nos camarades ne restèrent pas inactifs ni à la Sorbonne, ni à la Halle - aux - Vins. Ils rendront compte de leur action dans la séance de cet après- midi. Un fait évident, c’est que les cotisations et les abonnements furent difficiles à faire rentrer. Cependant, d’une façon générale, si le M.F.A. a perdu des adhérents pour des raisons diverses, décès, âge, découragement, etc ; il en a recruté de nouveaux, ce qui prouve que nos théories font maintenant de rapides progrès, car nous n’avions pu organiser que peu de conférences publiques et contradictoires. Ainsi des adhésions nous arrivent de l’étranger, en particulier de Barcelone. Des hommes politiques en renom s’intéressent à notre action. De grands quotidiens n’observent plus le complet silence en ce qui concerne nos thèses. En terminant, le Président rappelle à nos camarades que notre siège social a un loyer trop lourd pour nous (720.000 anc. F par an) , et qu’il y a lieu d’en découvrir un autre. La séance fut levée à midi. Elle fut reprise à 14 heures 30 devant une assistance beaucoup plus nombreuse que l’année dernière.

Lecture est donnée d’une lettre de Madame Raymonde Curie retenue chez elle par l’opération chirurgicale que vient de subir son mari. Nos camarades sont unanimes pour souhaiter la prompte convalescence de M. le Professeur Curie, et la réapparition aussi rapide de la signature de Madame Curie dans la Grande Relève.

Lecture est donnée de plusieurs voeux émanant de camarades absents, en particulier de ceux de notre camarade Delignac au nom de notre section de Bordeaux.

Le Président lit ensuite la lettre de notre ami Georges Meyers, au nom du Mouvement Belge pour l’Abondance. ’L’activité de nos camarades wallons ne ralentit pas. Ils distribuent des milliers de circulaires dénonçant la misère dans l’abondance, pour réclamer la priorité des pensions des vieux travailleurs, etc. Ils ont fait imprimer le texte de notre disque de propagande dont ils, espèrent vendre un bon nombre, car ils le considèrent comme un excellent moyen de diffusion. Dans la lettre, Georges Meyers ajoute encore : « La lettre du Général Lasserre à votre Premier Ministre a dû faire une grande impression auprès des lecteurs de la Grande Relève ; il est bien regrettable que, jusqu’à présent, le Mouvement Belge pour l’Abondance n’ait pas un personnage qualifié qui puisse en faire autant au chef actuel de notre gouvernement, ancien professeur à l’Université Catholique de Louvain, et collègue du fameux économiste Baudhuin. Nous allons donner connaissance de la lettre du Général Lasserre à nos partis politiques et à nos mouvements sociaux. » La lettre de nos amis belges fut très applaudie et provoqua peu après le petit incident que voici : le Président faisant précisément allusion à la belle lettre du Général Lasserre, en rappelant qu’il avait également écrit, dans le même sens, au Chef de l’Etat et à plusieurs membres du gouvernement, estime que ses interventions nous sont fort précieuses, et que nous ne tarderions peut-être pas longtemps à nous en apercevoir. En conséquence il demande à l’auditoire de voter, à mains levées, des remerciements bien sincères au Général : tous les bras se dressent d’un même élan - Epreuve contraire ! - Dans un silence complet, une main finit par se lever, mais ce n’est pas pour protester mais pour remercier ! Alors les applaudissements redoublent puisqu’on comprend que le Général est présent. Il est venu assister à notre assemblée annuelle dans le plus strict incognito.

Sur la proposition du Président, l’Assemblée est encore unanime pour féliciter Jules Leclerc pour le disque de propagande qu’il a conçu et réalisé. Elle le félicite aussi d’avoir créé le groupe des Compagnons de l’Abondance dont la générosité permet au M.F.A. d’affronter sans encombre les échéances difficiles.

Il est alors procédé à l’élection des membres du Comité Directeur pour l’exercice 1969. Sur la proposition du Président sont élus, à Paris, les camarades Blanchet, Buguet, Hervé, Gouinguenet, Leclerc, Loriant, Lucas, Mathieu, Pasch, Pilard, Rousseau, Steydlé, Varnas.

En province et à l’étranger, les camarades Godeau (Saint-Nazaire), Lepage (Vic-sur-Bigorre), Mustel (Rouen), Pastor (Marseille), Vexliard (Ankara).

A l’unanimité, il est encore décidé que notre exercice actuel sera prolongé jusqu’au 31 décembre 1969, de manière à ce que, dorénavant, nos exercices iront du 1er janvier au 31 décembre, comme c’est d’ordinaire l’usage.

Des camarades proposent de changer notre sigle, car il ne fait pas allusion à la Distribution. Le Président fait remarquer que nous avons mis 32 ans à faire connaître le sens des lettres M.F.A. pourquoi perdre cet avantage ? Il propose d’ajouter les lettres D et E, de façon à lire M.F.A.D.E., ce qui signifierait Mouvement Français pour l’Abondance et l’Economie Distributive. Le Comité Directeur est chargé de prendre une décision.

La discussion générale débute alors par un rapport de Gouinguenet sur l’activité de nos G.S.E.D. Leur rôle, explique-t-il, est d’agir sur les travailleurs, donc sur les syndicats ouvriers, car ils prennent aujourd’hui une part grandissante dans la gestion de nos entreprises. Nous formons donc de petits groupes, articulés entre eux comme dans les fédérations syndicales. A la tête de nos groupes, nous avons créé une Fédération Nationale des G.S.E.D. Rattachée au M.F.A., elle édite une circulaire intérieure à l’usage de nos groupes. Nous avons organisé quelques réunions publiques et tenons un Congrès annuel. Le dernier, celui des 4 et 5 mai fut tenu à Amboise où, il y a 4 ans, nous avions élaboré notre charte (et notre camarade en distribue des exemplaires dans l’auditoire) . En somme nous nous proposons de réaliser la transformation sociale aux moindres frais, étant intimement convaincus que les syndicats de travailleurs y joueront le rôle principal. Au cours des événements de mai-juin, les G.S.E.D. se placèrent aux côtés des « groupuscules », en s’efforçant d’expliquer aux étudiants qu’il ne suffisait pas de détruire la Société actuelle, mais qu’il fallait encore savoir comment la remplacer. Or, ce ne peut être que par l’Economie distributive.

Notre camarade Hervé intervient pour préciser l’action des G.S.E.D. au sein des facultés, des entreprises en chômage, des syndicats d’étudiants et d’enseignants. Que notre action ait toujours porté des fruits est douteux, mais beaucoup de bon grain a été semé, n’est-ce pas l’essentiel ?

Notre camarade Vernière rappelle, en quelques mots, que le groupement J.O.C. (Jeunesse Ouvrière Chrétienne) ne doit pas être négligé. Il réclame une société basée non sur le profit mais sur la personne.

C’est au tour de notre camarade Loriant de faire part de sa manière de voir. A ses yeux, les centrales ouvrières sont allées, en mai-juin, plus loin qu’elles ne le désiraient, car, au début, elles furent hostiles aux étudiants. C’est qu’elles sont peu révolutionnaires. Au contraire, les camarades G.S.E.D. utilisèrent toutes les tribunes à leur portée : Sorbonne, Censier, Halle-aux-Vins, Facultés des sciences, des lettres, de médecine. Ils intervinrent à Saint-Nazaire, à Marseille, bref partout où il y avait à se battre. Il est décevant, dit-il, que ceux qui ont vécu les événements au service de nos idées, n’ont été pratiquement que nos camarades des G.S.E.D. Il propose donc de créer un groupement nouveau du type des G.S.E.D. (sic).

Il est visible que, pour notre camarade, tous les abondancistes qui ne font pas partie des G.S.E.D. ne quittent jamais leurs pantoufles. Merci pour eux.

Il termine par une formule : « la propagande de bouche à oreille est le militantisme à la papa ! » On se demande comment la propagande parlée pourrait se faire autrement. Quand Loriant catéchisait les étudiants, n’était-ce donc pas de sa bouche que sortaient les arguments que l’étudiant entendait grâce à ses oreilles ?

Outre la propagande parlée qui s’adresse à l’ouïe, il existe la propagande écrite qui s’adresse à la vue : livres, articles, images, etc, et la télévision réussit à s’adresser en même temps aux oreilles et aux yeux ; malheureusement le M.F.A. n’a pas accès à la télévision...

Notre ami Pastor, dont c’est le tour de parole, est plus modeste. Il raconte qu’il fut à Marseille personnellement eu contact avec tous les groupements de jeunes, ce qui lui a permis de constater qu’ils se réclamaient tous d’idéologies différentes, et il en donne la liste. Il ajoute que lorsqu’il est possible de leur expliquer l’Economie Distributive, ils sont tous hostiles à ce qu’ils appellent, après Marcuse, la société de consommation. Il s’ensuit un dialogue animé avec quelques auditrices qui, de très bonne foi, croyaient que l’opinion de tous les jeunes était celle des quelques jeunes de leur connaissance qu’elles avaient interrogés. Joseph Pastor devrait écrire son expérience avec les groupements de jeunes sous forme d’un article pour la Grande Relève afin que ses lecteurs connussent l’étendue du problème.

Le Président résume les débats. Il estime qu’ils furent si utiles qu’il proposera au Comité directeur d’organiser d’autres réunions de ce genre chaque fois que les événements le réclameront. Il n’est pas d’avis que ces réunions soient périodiques, car elles finiraient par être moins suivies : il suffit que le cours des événements les justifie. Ceci dit, il félicite nos camarades des G.S.E.D. de leur action au cours des désordres de mai et juin, mais il leur conseille de ne pas chanter victoire trop tôt. Ils n’ont pu toucher qu’un petit nombre d’étudiants, et les étudiants ne sont qu’une toute petite fraction de la jeunesse. De plus, la propagande orale ne fait pas de miracles. Il faut d’abord que l’effervescence soit un peu décantée. Enfin, comme l’a démontré Pastor, l’Economie Distributive est loin de plaire à tous les étudiants...

Il conseille aussi à quelques camarades de ne pas se préoccuper outre mesure de la nature des mesures à prendre pour instaurer l’Economie Distributive. Ils ne sont pas au pouvoir. Ils constatent que ceux qui y sont ne cessent de prendre des mesures, souvent contradictoires, qui ne font qu’obscurcir un peu plus la situation de notre économie. Dans ces conditions, il est peu prudent de tracer un plan que personne ne nous demande. Nous connaissons le but à atteindre : il faut que les Français possèdent les moyens d’acheter ou d’utiliser tout ce qu’ils produisent. En conséquence une première mesure consisterait à créer un substantiel pouvoir d’achat à nos 12 millions d’économiquement faibles, recensés par M-P de la Gorce. On brandira le spectre de l’inflation, et nous rétorquerons que l’inflation n’est dangereuse que si la demande de marchandises est supérieure à l’offre. Or nous sommes aux antipodes de cette situation. Au contraire si les économiquement faibles ont les moyens d’acheter, ils renfloueront la trésorerie des producteurs et surtout des commerçants qui n’auront plus à réclamer constamment des crédits.

L’augmentation du pouvoir d’achat partout où il fait défaut doit être un constant souci, car notre objectif est le revenu social, mais d’autres mesures deviendront urgentes, comme par exemple la nationalisation des entreprises qui se concentrent en vue de monopoliser le marché. Bref, les circonstances devront guider notre action, rien ne permettant de prévoir les réactions d’une société en proie à une « mutation » sans précédent.

Il y a quelque temps, l’éminent Docteur Bernard expliquait, à la télévision, que la médecine avait fait plus de progrès depuis 30 ans, qu’au cours des 30 siècles précédents. Nous savons qu’il en a été de même dans toutes les sciences naturelles, la physique, la chimie, l’agronomie, etc. Comment faire saisir à nos contemporains que le domaine économique et social ne peut échapper à une transformation aussi prodigieuse ? Nous assistons à l’échec complet de l’opposition politique de ce qu’il est convenu d’appeler la gauche : elle a commis l’erreur de vivre d’espoirs et d’illusions. Elle s’est limitée à critiquer ! Mais critiquer n’est pas convaincre. Si elle veut conquérir les électeurs il faut qu’elle propose quelque chose.

A la vérité, conclut le Président, nous vivons une révolution sans précédent dans l’Histoire ; mais, comme à l’ordinaire, ceux qui la vivent ne s’en doutent même pas ; ce sont les historiens qui se chargeront de l’apprendre à leurs arrières-petits-neveux.

En fait, quel est donc le malheur qui s’est brutalement abattu sur nous ? On peut le résumer en peu de mots : « Nous produisons aujourd’hui toujours plus de richesses avec toujours moins de peine. » Il paraît que c’est l’abomination de la désolation !

Serions nous devenus fous ? C’est au contraire le résultat du labeur accumulé par toutes les générations qui nous ont précédés. Cet héritage fabuleux est échu aux hommes de la seconde moitié du XXe siècle, qui, au prix d’un dernier effort, en ont fait jaillir l’Abondance. Nous devrions donc pavoiser, illuminer, tirer les plus beaux feux d’artifice. C’est le vrai moment d’entonner en choeur l’immortel hymne à la joie !

Oui, c’est un changement complet de civilisation, pourquoi ne pas avouer que c’est même la civilisation qui commence ?

La séance fut levée à 18 heures 45.

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L’empire américain

par P. MONTREUX
décembre 1968

En donnant ce titre à son dernier livre, Claude Julien a sans doute voulu répondre à J.J. Servan-Schreiber et à son « défi américain ».

Il rappelle la doctrine de Monroe (président des Etats-Unis de 1817 à 1825) qui repousse toute intervention européenne dans les affaires de l’Amérique. Un autre président des U.S.A., John Quincy Adams, lors de la guerre de l’opium, en 1842, estimait que celle-ci avait été déclenchée à la suite d’un dessein de la Providence, dans le but de mettre la Chine en contact avec les nations occidentales et chrétiennes ! C’était du moins l’avis de l’Office américain des Missions étrangères. Jusque là, la Chine avait toujours refusé de faire du commerce avec les autres nations et c’était devenu intolérable pour les trafiquants des Etats-Unis. Il en a été de même pour le Japon jusqu’au jour où la flotte de guerre américaine est venue l’obliger à laisser entrer les navires de commerce dans ses ports.

Aujourd’hui, la nécessité impérieuse des échanges internationaux permet d’importer les matières premières et d’exporter des produits manufacturés et... des capitaux. Le président Eisenhower, dans son discours inaugural du 20 janvier 1953, disait : « Nous savons que nous sommes unis à tous les peuples libres (sic), non seulement pour une noble idée, mais aussi par, simple nécessité. En dépit de notre puissance matérielle, nous avons besoin des marchés extérieurs dans le monde, afin d’écouler les excédents de nos produits industriels et agricoles, et nous avons besoin également des matières premières vitales et des produits des terres lointaines. »

John Kennedy, qui a réussi de son vivant et encore plus depuis sa triste fin, à se faire passer pour un enfant du Bon Dieu, ne perdait pas de vue l’intérêt des U.S.A. dans les échanges internationaux. Il disait « L’expansion économique et la démocratie devaient bénéficier également à tous les peuples. »

Les dirigeants des grandes entreprises laissaient entrevoir que les intérêts des industries privées coïncidaient étroitement avec l’intérêt de l’Etat. Dans ces conditions, l’Etat devait intervenir pour favoriser le commerce extérieur et il ne s’en est pas privé.

Ces mêmes dirigeants demandaient, en outre, d’appuyer la politique économique par la force armée afin de protéger, en cas de besoin, les intérêts américains, qu’il s’agisse d’entreprises de production américaines installées dans les pays du monde libre, ou des capitaux exportés dans le but de participer à l’exploitation des entreprises de ces mêmes pays et en tirer des bénéfices.

C’est ainsi que la guerre de Corée a permis de rassurer le Japon, qui craignait une intervention chinoise, et les capitalistes étrangers désirant faire des investissements fructueux en Asie. L’intervention au Vietnam n’a pas d’autre but et il est manifeste que les événements du Moyen-Orient ont poussé les Américains à implanter la 6e Flotte en Méditerranée, sans même demander l’avis des pays riverains. Kennedy disait que si l’Inde s’effondrait, si l’Amérique latine échappait à l’emprise américaine et si les pays du Moyen-Orient passaient du côté des Russes, toute la puissance militaire des Etats-Unis serait insuffisante pour préserver les intérêts américains.

Et il est bien évident que l’approvisionnement des Etats-Unis en matières premières et produits étrangers serait en danger, quand on sait qu’ils importent 34 % du minerai de fer, 88 % de la bauxite, 92 % du manganèse, 100 % du chrome, 25 % du tungstène, 21 % du cuivre, 44 % du zinc, 28 % du plomb, 66 de l’étain, 14 % du pétrole, 85 % de l’amiante, 20 % de la potasse, 100 % du caoutchouc naturel et 40 %% du sucre, indispensables pour l’approvisionnement de leurs entreprises, sans compter les produits tropicaux : café, cacao, bananes, etc...

Signalons qu’une grande partie de ces matières premières sont gaspillées par l’industrie de guerre et constitue une perte pour l’ensemble du monde, la population des Etats-Unis n’atteignant que 6% de la population mondiale.

La fameuse prospérité américaine ne pourrait être maintenue, si l’accès aux matières premières était limité afin de permettre un partage équitable entre tous les pays du monde. Mais cette prospérité est factice, car elle a besoin des fabrications de guerre pour donner du travail à l’ensemble des travailleurs, et même ceci est loin d’être acquis.

Et quand le président Johnson dit que si tous les peuples de la terre devaient atteindre un niveau de vie égal à celui du peuple américain, les sources de matières premières seraient insuffisantes pour alimenter les entreprises de production. Il ne fait, naturellement, aucune allusion au gaspillage éhonté des matières premières dans les industries de guerre !

Il est possible que le manque de matières premières se fasse sentir un jour ou l’autre, mais nous ne devons pas oublier qu’il existe de nombreux gisements inexplorés, même au fond des mers. D’autre part, les matières de remplacement continuent, leur ascension et occupent la place de nombreux produits que nous considérons encore aujourd’hui comme essentiels.

Claude Julien fait ensuite un exposé très détaillé de la politique des investissements américains à l’étranger, et en premier lieu en Amérique du Sud, sous le couvert de !’Alliance pour le Progrès, lancée par le président Kennedy. On s’aperçoit que la politique d’aide aux pays sous-développés dans le but de leur permettre de s’industrialiser, se traduit surtout par une mainmise de l’industrie américaine sur toutes les sources de matières premières de ces pays.

Des crédits de 1.000 millions de dollars pendant dix ans, étaient prévus (c-à-d. la trentième partie des dépenses de guerre au Vietnam pendant l’année 1968) et devaient déclencher un développement économique de 5 % par an, mais il n’a été en réalité que de 2 %, pendant que le coefficient d’expansion démographique atteignait 2,4 %.

Les capitaux investis en Amérique du Sud ont surtout servi à créer des industries au bénéfice des Américains, qui obtiennent finalement des sommes plusieurs fois supérieures à celles qui ont été investies. Pendant ’ce temps, le niveau de vie des populations de l’Amérique du Sud diminue au lieu de s’élever. Kennedy l’a reconnu en déclarant : « Il faut dire que les U.S.A., qui sont le pays le plus riche du monde, n’ont pas donné aux nations pauvres de nouvelles raisons d’espérer. »

Le Canada, pourtant très riche, n’a pas échappé à l’emprise des Etats-Unis, dont les investissements atteignent 60 % des capitaux affectés à l’industrie canadienne. Le gouvernement américain est devenu le maître du pays ; il a imposé l’installation de fusées Bomarc pour la défense de son propre territoire, ce qui a fait dire au président du parti conservateur canadien « Nos amis des U.S.A. peuvent être extrêmement agressifs en leurs efforts de persuasion ! »

Les revues américaines distribuées au Canada ont offert aux entreprises canadiennes des tarifs publicitaires bien inférieurs à ceux des publications canadiennes, ce qui a privé celles-ci d’une importante source de revenus. Une Commission a proposé d’établir une taxe spéciale de 40 % sur les contrats de publicité ainsi obtenus ; elle a été aussitôt approuvée par le gouvernement canadien, mais Kennedy ayant été alerté a téléphoné à Pearson pour lui donner à choisir : ou bien les publications du groupe Time - Life et Reader’s Digest sont exemptées de cette taxe, ou bien les U.S.A. supprimeront le crédit de 420 millions de dollars destiné à la firme « Canadair », ce qui mettrait 17.000 chômeurs sur le pavé ! Et le Canada fait partie des pays libres !

Même politique à Cuba, où Fidel Castro a nationalisé la raffinerie de pétrole de la Shell et deux raffineries américaines Texaco et Standard, qui avaient refusé de raffiner le pétrole brut de provenance soviétique. Les Etats-Unis, avec le concours de la C.I.A., ont tenté de faire envahir Cuba à la Baie des Cochons. Par suite de leur échec, les relations diplomatiques ont été rompues parce que Cuba, sans doute, ne voulait pas appartenir au clan des pays libres !

Quand Nasser a nationalisé le canal de Suez, la France et l’Angleterre ont voulu intervenir militairement pour rétablir l’ancien ordre de choses. Foster Dulles a déclaré à Christian Pineau, alors ministre français des Affaires étrangères : « Véritablement, nous ne comprenons pas pourquoi vous êtes décidés à courir de tels risques par amour pour ce maudit canal ? » Finalement, Eisenhower a déclaré à Hervé Alphand, ambassadeur français aux Etats-Unis : « Il faut arrêter cette guerre. » Pour contraindre les Anglais à l’arrêt des hostilités, les Américains ont joué à la baisse de la livre sterling, en en vendant à plein bras à la Bourse. Et la guerre pour le canal n’a pas eu lieu.

Par contre, les Américains entendent rester maîtres du canal de Panama, pour lequel ils ont obtenu une concession perpétuelle. Ils y restent, comme les Anglais à Gibraltar !

A ce sujet, Foster Dulles craignait que cette concession puisse être mise en cause, et il a tenté de faire pression sur Nasser pour éviter la nationalisation de Suez et garantir uniquement la libre circulation sur ce canal, en retirant l’offre américaine de financement pour la construction du barrage d’Assouan. On connait la suite !

Claude Julien cite encore de nombreuses interventions, armées ou non, à Saint-Domingue, au Guatemala, au Brésil, en Argentine, au Chili, etc... La France a eu son tour, au sujet de la Compagnie française « Le Nickel », contrôlée par le groupe Rothschild, qui achetait du nickel à Cuba et vendait en contrepartie une grande partie de sa production de la Nouvelle Calédonie à la Chine communiste. La France a dû s’incliner et signer un accord par lequel les produits vendus aux U.S.A. ne contiendraient en aucun cas du nickel en provenance de Cuba. En outre, une nouvelle société a été créée en France, avec la participation de capitaux américains, pour faire concurrence à la société « Le Nickel ».

La France a subi de fortes pressions dans différents domaines afin de laisser les mains libres au business américain. On comprend mieux la politique du général de Gaulle qui tente de se libérer de la tutelle américaine. Nous pensons qu’il serait temps de démonter la statue de la « Liberté éclairant le monde » placée à l’entrée des Etats-Unis !

***

Parlons maintenant de l’Empire militaire, dont l’importance dépasse tout ce qu’il est possible d’imaginer.

Le budget militaire des Etats-Unis, qui était de 1.498 millions de dollars en 1940, est passé à 75.487 millions en 1968, c.àd. 8,1% du revenu national brut. Au début de 1968, les U.S.A. possédaient quatre fois plus de bombardiers intercontinentaux que l’U.R.S.S., 1.054 fusées intercontinentales contre 720 et le nombre des fusées atomiques à bord des sous- marins était dix fois supérieur à celui de l’U.R.S.S.

Cette fantastique puissance de feu, suffisante pour anéantir plusieurs fois toute trace de vie sur la planète, est non seulement destinée à protéger les richesses du pays le plus riche du monde, mais son coût, ajouté à celui de la guerre au Vietnam, contribue logiquement au déficit de la balance de paiements. Par contre, ces dépenses gigantesques ont permis de renforcer l’économie américaine en lui donnant un dynamisme extraordinaire.

Ce pays avait 9 millions de chômeurs au début de 1a deuxième guerre mondiale et ils furent alors résorbés en grande partie, ce qui a mis fin à la crise économique déclenchée dix ans auparavant. Qu’arriverait-il, si, aux 2.954.000 chômeurs de 1967 venaient s’ajouter une importante partie des 5.141.000 civils et militaires directement employés par le Pentagone ? En outre, 66 % du budget de la Défense, soit 49.000 millions de dollars par an, sont utilisés pour financer les industries de guerre. Une diminution importante de ce budget jetterait des millions de chômeurs à la rue, non seulement en provenance des grandes entreprises, mais encore des milliers de petites et moyennes.

John Kenneth Galbraith, ex-conseiller du président Kennedy, ex-ambassadeur aux Indes, a publié sous le pseudonyme de H. McLandress, un ouvrage humoristique sous forme d’un document d’information rédigé à la demande du gouvernement américain, dont la conclusion est que la paix est indésirable !

En effet, il déclare que personne n’a pu mettre sur pied un programme économique de remplacement pour absorber les dépenses militaires dues à la guerre. Un plan d’aide sociale susceptible de distribuer 185.000 millions de dollars, en 10 ans, n’aurait guère de chances d’être adopté, certains prétendant qu’il serait trop coûteux. Mais, d’un autre côté, s’il s’agit de compenser l’arrêt des dépenses militaires, ce projet serait insuffisant, car les crédits dégagés seraient trop faibles !

Comme le dit Claude Julien, cette satire macabre ne peut mieux faire ressortir la faiblesse d’une économie qui ne peut se passer d’une production militaire absorbant des dizaines de millions de dollars.

La politique américaine de défense prévoit que les forces américaines doivent être prêtes à agir dans toutes les parties du monde. Les Etats-Unis se sont engagés, au moyen de traités avec 44 pays, à intervenir dans le cas où ces pays se trouveraient menacés. Mais ils sont prêts à intervenir également dans les pays non couverts par des traités, dans le cas où les intérêts américains s’y trouveraient en danger, pour sauvegarder la prospérité et la sécurité des Etats-Unis.

Aussi, le Pentagone considère que la « dissuasion », pour être efficace, doit être en mesure de détruire en quelques minutes, un tiers de la population et les deux tiers de la capacité industrielle de l’éventuel agresseur. Il estime notamment qu’en cas d’attaque par surprise de l’U.R.S.S., celle-ci perdrait 100 millions d’hommes et 80 % de son potentiel industriel.

Pour assurer le bon fonctionnement de cette machine de guerre, les dépenses d’ordre militaire qui absorbaient, en 1935, 10,9% du budget de la Défense, sont montés à 80,8% en 1944 et sont encore de 55,9% du budget fédéral en 1968. Son but actuel est la lutte contre le communisme sur tous les fronts, aussi le Pentagone est devenu une entreprise industrielle formidable, dont les besoins dépassent de beaucoup les besoins normaux du pays. Il est aussi devenu une puissance dans l’Etat.

Il ne se contente pas de fournir les armements Nécessaires aux seuls besoins américains, mais il agit auprès des pays étrangers pour les engager à en acheter, toujours dans le but de les protéger du danger communiste. En réalité, il s’agit surtout d’une affaire commerciale appuyée par les missions militaires installées dans ces pays. Une propagande incessante est faite en vue de la lutte contre le communisme, afin de maintenir la prospérité des EtatsUnis !

En fin de compte, la pression des Etats-Unis est ?elle sur les pays « libres », qu’il est permis de se demander s’ils ne sont pas plus dangereux pour le inonde entier que l’ensemble des pays communistes. Ceux-ci disposent en effet de sources immenses de matières premières et n’ont donc pas les mêmes raisons d’étendre leur domination sur les autres pays.

Et les pays protégés, qui ne se plient pas assez docilement aux exigences de Washington, sont rapidement travaillés par les soins des missions américaines qui n’hésitent pas à remplacer un gouvernement réticent au moyen d’un coup d’Etat militaire, comme on a pu le constater dans certains pays.

Il y a eu des résistances dans les milieux politiques américains, mais la vente d’armements à l’étranger, dont le montant s’est élevé à 35.000 millions de dollars de 1950 à 1966, avec une moyenne de 3.000 millions depuis 1961, a provoqué l’intervention des groupes de pression qui ont obtenu un vote en faveur de son maintien et de la poursuite de la politique d’expansion de ces seuls armements.

Claude Julien estime qu’il ne s’agit pas de mesures prises par des « fauteurs de guerre », mais plutôt de l’essor de la production de l’industrie de guerre qui a si bien réussi à résorber une grande partie des chômeurs et... surtout à assurer des bénéfices substantiels aux industriels.

Il y aurait en ce moment 43 missions militaires dans 17 pays de l’Amérique latine, composées de 800 membres, qui seraient surtout chargés de présenter les armements et de les vendre aux pays intéressés, grâce aux bonnes relations établies avec les officiers chargés des achats.

Il n’est pas possible de donner plus de détails sur cette vaste entreprise et il serait nécessaire de se reporter au livre de Claude Julien pour en obtenir davantage.

Mais dès à présent, il est permis de se demander s’il ne serait pas préférable que les Etats-Unis nous donnent la preuve que le régime capitaliste est encore capable de maintenir la prospérité dans les différents pays « libres », en supprimant la guerre, le chômage et la misère. Ce serait certainement moins coûteux que de continuer ce gaspillage de richesses dans la préparation à la guerre et dans la guerre elle-même. Mais les moyens d’information sont toujours entre les mains des puissances d’argent qui ont réussi jusqu’à présent à endormir l’opinion publique.

Cependant de nombreux symptômes nous montrent que cette opinion s’inquiète et désire savoir où cette politique entraîne le monde. Le moment est donc propice pour intensifier notre campagne de débourrage de crânes, si nous voulons sortir de ce bourbier.

(à suivre)

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Au fil des jours

décembre 1968

Si le franc a subi une crise, c’est en raison de la rumeur que le mark allemand allait être réévalué. Or la presse américaine affirme que cette rumeur était fondée, car les gouvernements des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France, avaient insisté auprès du gouvernement de Bonn pour que l’Allemagne Fédérale- réévaluât sa monnaie. La spéculation s’est aussitôt déchaînée. Pourquoi Washington, Londres et Paris désiraient - ils cette réévaluation du mark ? Uniquement pour freiner les exportations de l’Allemagne Fédérale.

Celle-ci a fait un geste dans ce sens, en frappant d’une taxe ses exportations à partir du 23 décembre.

Les Allemands ont vivement protesté en dénonçant ce qu’ils appellent une mesure perfide, mais le ministre Schiller leur a répondu que lorsque les médecins prescrivent une pilule, il convenait de l’avaler même si elle est très amère.

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Ajoutons que les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France demandaient à l’Allemagne Fédérale de réévaluer son mark de 7,5%. Nous donnons ces renseignements sous toutes réserves, notre grande presse en ayant peu parlé.

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Les millions de tonnes de beurre que stockent les six nations du Marché Commun ont fini par émouvoir d’éminents hommes politiques, d’où le plan Mansholt dont on parlera encore longtemps. Disons tout de suite que le reclassement des 5 millions d’agriculteurs qu’il libère relève de la folie furieuse.

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Un ministre a eu l’idée de distribuer gratuitement une fraction de nos énormes stocks de beurre à nos 12 millions d’économiquement faibles. On peut être sûr que sa bienveillante pensée n’aura aucune suite - Pourquoi ? - Parce que nos détaillants s’y opposeront avec la dernière énergie. Les ventes de beurre à nos économiquement faibles ne représentent pas beaucoup d’argent chacune, mais multipliées par 12 millions cela devient une recette dont ils ne peuvent se passer.

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Il n’empêche que l’Economie Distributive fait des progrès dans l’opinion... et même dans les grands quotidiens. Ainsi l’économiste A.P. Mariano, dans son article du Figaro (30-11-68) où il émettait quelques doutes sur l’opportunité du dernier plan économique de M. Couve de Murville, terminait son étude par ces mots : « Si l’on n’est pas encore assuré de l’efficacité de ce dispositif, il semble que ce soit le seul qui puisse être appliqué en attendant que la notion de distribution remplace celle du commerce. »

La notion de distribution, c’est une élégante expression pour désigner l’Economie Distributive.

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Newsweek, dans son numéro du 11 novembre, révèle qu’il est déjà tombé plus de tonnes de bombes sur le territoire du Vietnam du Nord, que sur le territoire allemand pendant la seconde guerre mondiale. A cette occasion, il rappelle que les Américains ont surtout bombardé les voies de commun cation du Vietnam, et évité, dans la mesure du possible, les centres urbains. Lorsque les villes sont bombardées, précise Newsweek, les effets sont monstrueux : une seule attaque sur Berlin tua 40.060 individus, une autre sur Hambourg en tua 70.000 ; l’attaque sur Dresde transforma la ville en cimetière. Enfin des premières bombes A sur Nagasaki et Hiroshima, tout le monde se rappelle leurs effets...

Dans sa campagne présidentielle, Humphrey promettait, s’il était élu, d’engager tout de suite des pourparlers de paix au Vietnam. Et le Président Nixon, dès son succès, s’est également déclaré en faveur de la Paix, et toutes les cloches de Saigon ont sonné. Espérons que Newsweek voit juste.

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Savez-vous que la création d’emplois coûte un prix fou ?

On vient d’installer ce qu’on appelle le complexe d’Anvers. On désigne ainsi la création des ateliers que réclame une grande usine de produits chimiques en particulier des engrais chimiques et des matières plastiques en utilisant la formule allemande. Les matières premières,. notamment la potasse, viennent des Etats-Unis. Il faut construire un tube de synthèse d’ammoniaque capable de fabriquer un bon millier de tonnes par jour, comme aussi des tonnes de polyéthylène etc.

Bref le complexe d’Anvers sera presque aussi puissant que celui de Ludwigshafen.

Tout cela permettra de créer 1.700 emplois. Comme toute la fabrication sera aussi automatisée que possible, ü va de soi qu’il faudra peu de main d’oeuvre par rapport à l’importance des investissements. On a calculé que ceux-ci étant déjà de l’ordre de 600 millions de francs, la création de chaque emploi coûte 250.000 francs (soit 25 millions de nos anciens francs).

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Avez-vous entendu parler du plan Harmel ? Si oui, soyez bien persuadé qu’il gardera la vedette pendant quelque temps.

M. Harmel est le ministre des Affaires Etrangères de nos amis belges. Son plan concerne le Marché Commun Européen.

Le voici dans toute sa simplicité : La France refuse à la Grande-Bretagne de faire partie du marché commun ; les cinq autres participants y sont, au contraire, favorables. Qu’à cela ne tienne, il suffit de remplacer la France par la Grande-Bretagne, et le tour est joué.

Le débat est jusqu’ici très obscur. Ceux qui défendent la proposition de M. Harmel et ceux qui l’attaquent paraissent ignorer le texte exact de la proposition, car il aurait déjà été amendé plusieurs fois. Ce qui parait le plus clair dans cette affaire, c’est que l’Allemagne fédérale arbitrera le conflit. Le Luxembourg, la Hollande et l’Italie inclinent à accepter la proposition Harmel.

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