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Son oeuvre a eu beaucoup de retentissement parmi les jeunes. On prétend qu’elle inspira les provos d’Amsterdam, puis les étudiants allemands qui manifestèrent à Berlin, enfin les nôtres au cours de mai et juin. Son principal livre : « L’Homme unidimensionnel » a été traduit en français (Editions de Minuit).
H. Marcuse est né à Berlin en 1898. Ayant adhéré au parti social-démocrate, il passa en Suisse lorsque l’hitlérisme faisait des progrès en Allemagne. Il se fixa ensuite à Paris où, disciple de Heidegger, il soutint une brillante thèse sur Hegel. Mais on verra plus loin que c’est surtout de Freud et de Marx qu’il se réclame. Enfin quand Hitler menaça d’envahir la France, il estima prudent de s’installer définitivement aux Etats-Unis. D’abord attaché à l’Université de Harvard, il est maintenant professeur de Philosophie et de Politique à l’Université Brandeis, à Boston.
H. Marcuse est donc un philosophie, l’ami de la sagesse disait déjà Pythagore. En cette qualité il devrait avoir connaissance de toutes choses. Mais est-ce possible au XXe siècle, les connaissances étant devenues si nombreuses, que chacun est obligé de se spécialiser ?
Cependant si j’insiste, c’est que le professeur Marcuse s’exprime en langage philosophique, lequel est si curieusement ésotérique, qu’on s’en aperçoit déjà dans la préface de l’édition française, revue par l’auteur :
« La meilleure satisfaction des besoins est certainement la tâche et le but de toute libération, mais, en progressant vers ce but, la liberté elle- même doit devenir un besoin instinctuel et, en tant que telle, elle doit médiatiser les autres besoins aussi bien les besoins médiatisés que les besoins immédiats. Il faut supprimer le caractère idéologique et poussiéreux de cette revendication la libération commence avec le besoin non-sublimé, là où elle est d’abord réprimée. En tant que telle elle est « libidinale » : Eros en tant que vie (Freud), contre-force-primitive opposée à l’énergie instinctuelle agressive et destructive et à une activation sociale. », Un esprit taquin n’aurait-il pas envie d’ajouter : et voilà pourquoi votre fille est muette ?
Les 280 pages de « L’Homme Unidimensionnel » sont un dur réquisitoire contre le système économique actuel des Etats-Unis, mais on peut l’appliquer également à celui de toutes les nations hautement industrialisées ; en fait c’est le capitalisme, dans sa plus récente évolution, que l’auteur met en accusation. Il le désigne sous des noms différents : « la société d’abondance », ou « la société de consommation » ou encore « la société industrielle avancée ».
A ses yeux l’abondance, conséquence d’une grande productivité, n’apporte aux hommes ni la liberté ni la paix. Au contraire les difficultés croissantes qu’on éprouve à écouler l’abondance, provoquent une publicité incessante dans la presse, la radio et la télévision. Elle nous emplit à la fois les yeux et les oreilles, avec la volonté de nous créer de faux besoins et d’obtenir die tous les hommes une obéissance passive. A cette intention ce qu’on appelle vulgairement lie bourrage de crâne est scientifiquement pratiqué. Il convient surtout de nous faire peur. On brandit donc le spectre du communisme qui veut nous dépouiller de tout ce que nous possédons, et le spectre de l’U.R.S.S. qui guette l’occasion de nous exterminer corps et biens.
Quel merveilleux emploi de la technique que la construction d’armes de plus en plus meurtrières ; le budget de l’armement et surtout celui de la bombe atomique sont hors de proportion avec les besoins d’une sauvegarde qui, en réalité, est quasi-inutile. Mais H. Marcuse estime qu’il importe de faire croire au bon public qu’il vit encore à l’heureux temps des Barbares.
Il écrit page 76 : « Les institutions libres rivalisent avec les institutions autoritaires, pour faire de l’Ennemi un force mortelle à l’intérieur du système. Et si cette force mortelle stimule la productivité et les initiatives, ce n’est pas seulement parce que le « secteur » de la défense acquiert une importance et une influence économiques décisives, c’est parée que la société dans son ensemble devient une société de défense, car l’Ennemi est là en permanence. Il n’apparaît pas incidemment dans des moments de crise, il est présent dans l’état normal des affaires. Il est aussi menaçant en temps de paix qu’en temps de guerre (il est peut-être plus menaçant en temps de paix) ; il a ainsi une place dans le système, c’est un élément de cohésion...
Et cinq lignes plus loin : « L’Ennemi est le dénominateur commun de tout ce qui se fait et de tout ce qui ne se fait pas. »
Pour ce qui est des besoins réels, on les dévie intentionnellement pour en faire des besoins factices, la satisfaction de ceux-ci étant nécessaire pour maintenir un soi-disant équilibre économique, lequel serait un mythe si l’Etat n’intervenait pas à tout bout de champ. Le public accepte alors d’un coeur léger le gaspillage et la destruction des produits alimentaires excédentaires...
H. Marcuse remarque page 82 : « De même que les gens savent ou sentent que les annonces publicitaires, les plateformes politiques ne sont pas nécessairement vraies ou justes et qu’ils continuent pourtant de les écouter et de les lire, qu’ils vont mérite jusqu’à se laisser guider par elles, de même ils acceptent les valeurs traditionnelles et ils en font une part de leur matériel mental. Si les communications de masse confondent harmonieusement, et souvent de manière subreptice, l’art, la politique, la religion, la philosophie et le commerce, elles n’en réduisent pas moins ces doaines culturels à un dénominateur commun : la forme marchande. La musique de l’âme est aussi une musique commerciale. Seules comptent les valeurs d’échange et toute autre rationalité doit lui céder. »
Ainsi donc, nous sommes si bien endoctrinés que les élections ne signifient plus rien, car les électeurs éprouvent le sentiment d’être dominés, dépassés par les événements. Dans ces conditions comment soutenir qu’ils ont la liberté de leur choix ? En définitive, l’abondance a créé le totalitarisme démocratique (sic).
De plus un contrôle rigoureux de l’opinion s’acharne à faire croire aux masses populaires, que l’état de fait actuel est le seul possible, et le seul légitime par la simple raison qu’il existe dans toutes les nations modernes. Enfin les forces de pression sont devenues si puissantes, qu’elles sont entrées dans les replis les plus profonds des individus.
On devine la question du lecteur : beaucoup de ces critiques sont fondées, mais quelles sont les conclusions du professeur H. Marcuse ? On les cherche vainement dans les 10 pages du dernier chapitre de son livre. Certes il reconnaît qu’un changement est nécessaire, mais il écrit que prendre conscience que l’état de choses est néfaste, cela sert à rien... Et il ajoute : « Etant damé les tendances totalitaires de la société unidimensionnelle, les formes et les moyens traditionnels de protestation ont cessé d’être efficaces. Ils sont peut-être même devenus dangereux parce qu’ils préservent l’illusion de la souveraineté du peuple. »
Alors quoi ? Voici la réponse : « Cependant, au-dessous des classes populaires conservatrices, il y a le substrat des parias et des « outsiders », les autres races, les autres couleurs, les classes « exploitées » et persécutées, les chômeurs, et ceux qu’on ne peut pas employer. Ils se situent à l’extérieur du processus démocratique ; leur vie exprime le besoin le plus immédiat et le plus réel de mettre fin aux conditions et aux institutions intolérables.
C’est tout, mais n’est-ce pas bien peu ?
Je me permets donc une observation. Le raisonnement du professeur H. Marcuse est celui d’un philosophe dont la réputation est amplement méritée. Cependant un point lui a échappé : c’est l’importance de la misère dans le pays qu’il habite, les Etats-Unis. Il est vraisemblable qu’au moment nu il écrivit son livre, elle n’était pas aussi évidente que lorsque le Président Johnson déposa son fameux projet de loi intitulé : Guerre à la pauvreté ! Il concerne un peu plus de 32 millions d’Américains, soit 16 % environ de la population du pays le plus riche du monde. Or l’abondance existe aux Etats-Unis, le professeur H. Marcuse l’a lui-même constatée.
Cependant un économiste averti eut remarqué que cette abondance n’a été créée que grâce à une prodigieuse technicité, et au détriment du très grand nombre de travailleurs qui furent éliminés. Plus on produit de richesses, moins on distribue de pouvoir d’achat. Le capitalisme ressemble beaucoup aujourd’hui à certain animal mystérieux des anciens, le catablépas ; il avait pris la mauvaise habitude de manger ses pieds pour se nourrir. C’est pour pallier l’insuffisance grandissante du pouvoir d’achat, que les gouvernements fabriquèrent toujours plus d’armements. Ceux-ci sont pain bénit puisqu’ils créent et distribuent du pouvoir d’achat sous forme de salaires et de profits, sans rien apporter à vendre sur des marchés déjà saturés.
Bien plus les armements apportent des commandes à un grand nombre de secteurs industriels. Citons l’automobile, l’aéronautique, la fonderie, les aciéries, le génie civil, la construction navale, les carburants, le caoutchouc, l’industrie chimique, le cuir, les textiles, les télécommunications etc.
Enfin lorsque l’arme nucléaire fut inventée, d’autres secteurs industriels s’y intéressèrent. Quelle manne ! Sept milliards d’anciens francs par heure du Jour et de la nuit, fêtes et dimanches compris, pour l’ensemble des nations. Tel est le chiffre que les peuples prétendus civilisés, consacrent à semer la mort. Ce chiffre doit être exact, car il a été calculé par la Société des Nattions. A eux seuls, les Etats-Unis y consacrent pus de la moitié de leur budget.
Pour nous résumer, disons que le professeur H. Marcuse a fait naître une équivoque en parlant de notre « société de l’abondance ». Elle n’est pas réalisée. Nous vivons dans une économie édifiée dans la « rareté », où l’apparition soudaine de l’abondance a créé un peu plus de désordre. En second lieu, le jeu capitaliste élimine aujourd’hui toujours plus de joueurs. N’est-ce pas l’heure de la « mutation » qu’annoncent les gouvernements et beaucoup d’économistes ?
L’essentiel et que cette « mutation » s’opère dans l’ordre. Pour cela il faut faire comprendre aux jeunes que tout est à pied d’oeuvre pour créer la vraie civilisation : celle où l’homme n’est plus condamné à gagner sa vie !
Problème - Il y a eu, cette année, 9.426.030 kilos de poires et 25.200.000 kilos de pêches « excédentaires », rien que dans les départements de la Drôme, de l’Ardèche et de l’Isère. Il y a également des centaines de millions de kilos de sucre « excédentaire ». Il y a aussi plus de 500.000 chômeurs dont certains seraient enchantés de trouver un emploi dans une fabrique de confitures ou une sécherie de fruits. Il y a même quatre millions d’économiquement faibles et, de par le monde, des dizaines de millions d’enfants affamés.
Question - Comment faire profiter les affamée de ces excédents ?
Telles sont les données du problème. Les économistes distingués n’ont pas trouvé d’autre solution que la destruction de ces fruits et le versement de 7, milliard 300 millions d’anciens francs aux arboriculteurs, soit environ 32 francs par kilo de poires et 40 francs par kilo de pêches détruites, que nous payons tous sans les consommer.
Qu’en pensez-vous ?
Pour se livrer à une si piteuse et si onéreuse destruction de richesses alimentaires, il n’est vraiment pas nécessaire d’être diplômé ès sciences économiques, ni de sortir de l’ENA... Qu’ont donc appris tous ces docteurs sur les bancs des facultés ? Qu’enseignent-ils à leurs infortunés élèves ? A quoi sert la « science » économique, si elle laisse ses initiés dans l’impossibilité de fournir une solution raisonnable à un problème aussi simple (et tellement humain) que de nourrir des affamés au moins avec la « surproduction » de produits alimentaires ?
Au cours de notre siècle, tous les économistes du monde et, derrière eux, des centaines de millions de producteurs et de consommateurs, n’ont trouvé que cette solution du malthusianisme économique au problème de la répartition continuellement posé par l’abondante production moderne. S’il y avait une solution raisonnable dans le cadre de l’économie des profits et des salaires, elle aurait été sûrement trouvée et appliquée depuis longtemps. Mais il ne peut y en avoir une, car l’abondance est fondamentalement incompatible avec le profit. Si l’on veut qu’elle apporte aux hommes le bien-être, la concorde sociale et la paix internationale, il n’y a, à notre sens, d’autre moyen que de remplacer l’économie du profit par l’économie distributive.
Peur ceux qui n’en seraient pas encore convaincus, la Grande Relève organise un concours sur le sujet suivant :
Comment faire, sans sortir du cadre de l’économie des profits et des salaires, pour que 34 millions de kilos de poires et de pêches « excédentaires » soient réparties, sous forme de confitures ou de fruits secs, aux personnes qui meurent littéralement de faim ?
Autrement dit, dans un sens plus général :
Comment faire, sans sortir du régime du, profit, roui, que la production ne soit plus limitée aux besoins solvables, y compris les besoins des` personnes démunies d’argents ?
Le lauréat du concours recevra le plus beau diamant du monde : la reconnaissance des millions de personnes qui meurent de faim. De plus, il. sera l’objet de l’admiration de l’humanité tout entière, pour avoir eu le génie de trouver une solution là où la foule immense des économistes et des ministres, des syndicalistes et des politiciens, des producteurs et des consommateurs ont lamentablement échoué depuis l’apparition de l’abondance dans les pays bien équipés.
Celui-ci donne aussi bien des soucis aux « experts ». Ceux de la Communauté économique européenne voudraient en exporter 1 milliard 200 millions de kilos, mais leurs collègues d’un organisme international, chargé d’organiser la rareté des marchandises sur le marché mondial (afin d’enrayer l’effondrement des cours) leur accorde seulement l’autorisation d’en exporter le quart, soit 300 millions de kilos. (Chiffres au 12 septembre 1968).
Or, la baisse des cours serait une excellente affaire pour tous les consommateurs, leur effondrement- serait même une bénédiction du ciel pour les affamés du monde, qui pourraient alors se procurer des aliments « excédentaires », du sucre, des confitures, des fruits secs, du lait, du, beurre, de la viande, des oeufs, du poisson etc à des prix « effondrés,,>... Mais, hélas ! c’est impossible dans notre économie présente, car vendre sans profit ruinerait les producteurs et les vendeurs.
Cela montre, sans contestation possible, que le profit empêche la : répartition de l’abondance entre tous les hommes. Il faut choisir entre le profit et la répartition de l’abondance, c’est-à-dire entre le profit et l’homme. Bien entendu, les « experts » prennent position pour le profit, contre l’homme. Tout défenseur du profit est un ennemi juré de l’humanité. Tout humaniste conséquent veut remplacer le profit, condamné par le progrès technique générateur d’abondance, par un revenu social, afin de permettre à l’abondante production moderne de s’écouler en totalité dans le monde entier, jusqu’à satisfaction des besoins de tous.
Mais, au fait, quel est donc cet organisme international, composé « d’experts » chargé d’assurer la rareté des biens sur le marché mondial, et qui entretiennent la misère dans laquelle sont plongés les deux-tiers de l’humanité ? C’est la C.N.U.C.E.D., c’est-à-dire la Conférence des nations unies pour le commerce et le développement economique. Vous avez bien lu pour le commerce et le développement économique !... Il serait de la plus élémentaire honnêteté de désigner cet organisme conformément à sa criminelle activité Conférence des nations unies pour la restriction du commerce, la raréfaction des marchandises, la récession économique et l’organisation mondiale de la misère.
En principe, les gens repus veulent digérer en paix, mais les affamés ne sont pas dans les mêmes disposition. Que penserions-nous si nous avions le ventre vide, et si nous lisions la faim et la détresse dans les yeux de nos enfants métamorphosés en squelettes vivants ? Peut-être que des idées de vengeance et de carnage envahiraient notre esprit, devant tant d’égoïsme , et de monstrueuse incompréhension de la part des peuples repus - mais trompés sans vergogne par ces « experts » économiques qui, entièrement au service du profit, deviennent en fait des bourreaux de l’humanité.
Les Blancs se rassurent à la pensée que la bombe H rend la guerre impossible. Est-ce bien certain ? La misère est mauvaise conseillère et, contrairement aux Occidentaux, les Orientaux, eux, ne craignent pas la mort, fût-elle atomique... La bombe n’est-elle pas à leur portée ?
Dans un monde où le profit empêche les hommes d’étendre la production aux besoins réels de l’humanité, mais leur impose de la limiter aux seuls besoins solvables, sous peine de se ruiner ;
Dans un monde où le profit ne permet pas l’écoulement de marchandises abondantes (et qui pourraient être bien plus abondantes encore) là où elles font défaut ;
Dans un monde où le profit conduit à l’asphyxie économique des peuples qui ne peuvent exporter leurs produits manufacturés ou agricoles, ou qui n’ont rien ou peu de chose à exporter ;
Dans un monde où le profit oblige cent millions de nos contemporains à préparer la guerre, sous peine de chômage ;
Dans un monde où le profit provoque le chômage comme conséquence des progrès techniques (il y aura sept milliards d’humains dans trente ans et, dans ce nombre, combien de chômeurs, combien d’affamés ?) Etc.
Dans un tel monde, disons-nous, la guerre devient une fatalité - qu’entretiennent les économistes à la remorque du profit.
Nous devons nous libérer du joug intolérable du profit et de la guerre.
Le chemin de la paix commence par la destruction en soi de la croyance erronée qu’il n’y aura plus de guerre mondiale, ou qu’il est possible de l’éviter en l’état présent des choses, c’est-à-dire en économie du profit.
Cette prise de conscience conduit à la réalisation de l’économie distributive, si toutefois nous voulons vivre et laisser vivre nos enfants et petits-enfants.
Nous, abondancistes, nous croyons au triomphe final de l’intelligence et de l’amour. Peut-être est-ce aussi une croyance erronée, mais c’est notre raison d’espérer et d’agir. Ce n’est donc pas le moment de désespérer, de s’endormir ou d’imiter l’autruche, mais, au contraire, d’intensifier la diffusion de nos idées, de la Grande Relève... et d’alimenter sa souscription permanente.
Comme des milliers de Français, j’ai lu « Le défi américain » de J.-J. Servan Schreiber. Le succès mondial de ce livre est trop connu pour qu’il soit intéressant d’en faire ici une analyse, mais, par contre, je vous propose de réfléchir quelques instants à deux sujets dont il est permis de s’étonner qu’ils soient passés sous silence.
Le premier est relatif à une question posée par l’auteur lui-même : dans cette société future, qui pourrait être l’Europe de demain si elle relève le fameux défi, les individus seront-ils plus heureux ? J.-J. Servan-Schreiber se garde bien de répondre, et je le comprends ; car nous avons souvent évoqué cette dure route de l’expansion à tout prix qui, avant la culbute finale, mathématiquement inévitable, impose à l’homme-consommateur des contraintes de plus en plus insupportables (voir G.R. N° 637 : Les condamnés).
Le second sujet est lié directement au premier : s’il n’existe en effet aucune issue humainement satisfaisante dans le cadre du système économique actuel, ne serait-il pas logique d’essayer d’en imaginer un autre plus conforme à l’évolution des techniques de production ?
Eh bien non : pas un instant l’auteur du « Défi américain » ne songe à s’évader du carcan de la plus stricte orthodoxie financière. Aucune allusion, dans ce livre qui pose des problèmes d’avenir, à des solutions économiques neuves. Et ce silence est d’autant plus surprenant que J.-J. Servan-Schreiber ne peut prétendre ignorer les thèses de l’Economie des Besoins, maintes fois évoquées par son père dans de nombreux articles.
Précisément, à propos de la puissance économique américaine et de la politique monétaire des U.S.A., M. Emile Servan Schreiber avait parfaitement saisi le mécanisme dont nous parlions (dès 1954) dans notre journal, et qui permet aux Etats-Unis, et à eux seuls, de s’offrir le luxe d’un déficit budgétaire énorme sur lequel repose en grande partie leur prodigieuse expansion. Dès 1954, en effet, nous écrivions que l’énorme stock d’or détenu à cette époque dans les caves de Fort Knox mettait (provisoirement) les U.S.A. à l’abri de l’inflation monétaire, bien différente de l’inflation réelle (ou inflation économique) : la véritable inflation, c’est évidemment l’insuffisance de produits et de services par rapport à la demande, et non un pourcentage purement théorique du montant de la monnaie en circulation (y compris le crédit) sur celui de l’encaisse-or.
Depuis 1954, rien n’a changé pour la puissante économie américaine, capable de satisfaire, et bien au-delà, la demande nationale. Mais le mécanisme de l’expansion combiné avec le jeu plus ou moins hostile des financiers européens, a entraîné une forte diminution des réserves d’or, et tout se passe actuellement comme si le reste du monde capitaliste se refusait absolument à perpétuer une saine conception des réalités économiques, qu’il considère comme un privilège injuste. Dans un article paru le 16 mars 1965 dans le journal Combat, M. Emile Servan-Schreiber dénonçait très clairement cette situation aberrante :
« Aujourd’hui un coup de frein brutal a mis l’économie tout entière en péril. Sa technique a fait cependant un tel bond en avant qu’elle vit encore sur sa lancée et que celle-ci peut même servir encore pour un nouveau départ.
Cette relance toute schématique ne se reproduira certainement pas en thésaurisant des lingots inutiles ou inutilisés dans les caves des Banques d’Etat. Crédit n’est pas mort et c’est lui qui assure la prospérité constante et montante des Etats-Unis. Aurions-nous remplacé les Soviets, devenus plus conscients, dans l’espoir vain de voir le capitalisme se liquider lui-même en organisant sa propre paralysie ?
Le recul, l’évidente déception du pouvoir que les élections révèlent ont pour cause première la récession de l’économie, l’inquiétude, pour ne pas dire l’angoisse de l’opinion qui assiste impuissante à ce spectacle ahurissant : le stoppage de la production et de la répartition, en proportion des lingots stagnants dans les caves blindées des banques d’Etat.
Les Soviets qui ont le privilège d’extraire beaucoup d’or, sans qu’on sache exactement combien (secret d’Etat), ont par contre l’inconvénient de ne pas avoir une production comparable, même de loin, à celle des U.S.A. Or, les U.S.A. ont les premiers compris qu’on n’arrête pas la manne des machines sous prétexte que la balance des comptes n’est plus conforme aux us et coutumes du siècle précédent, celui sans machines ou presque. »
Il est de plus en plus évident qu’aux Etats-Unis même, de nombreux économistes ont pris également conscience de l’absurdité des thèses européennes, et prêchent ouvertement la démonétisation de l’or, comme le soulignait un article de l’Aurore, en date du 21 mars 1968, consacré aux projets financiers du gouvernement français :
« Son « espoir » d’entraîner au même pas les cinq autres du Marché commun paraît hautement illusoire.
Ce qui ne l’est pas, c’est la faveur nouvelle, à Londres comme à Washington, d’une idée tout à l’opposé de la doctrine française :
Démonétisation du métal jaune, abandonné comme étalon fondamental, remplacé par un système de parités contractuelles, elles-mêmes gagées sur la richesse et la production des Etats. »
D’ailleurs une telle solution n’est-elle pas conforme à la définition même de la monnaie, telle que la rappelait tout récemment notre vieille connaissance, M. Jean Fourastié, dans le Figaro du 10-12-67 :
« La monnaie est un moyen inventé par l’homme pour faciliter les échanges de marchandises et des services. Sa fonction de conservation de la valeur à moyen et long terne n’est que dérivée : la finance est au service de l’économie et non pas l’inverse. Les hommes et les institutions qui désirent conserver des richesses à long terme ne doivent pas rechercher cette conservation dans la détention d’une monnaie ou d’une créance monétaire, mais dans la détention, la possession de marchandises, de machines, de moyens de production. »
On peut donc se montrer surpris de la discrétion de l’auteur du « Défi américain », si bien documenté par ailleurs. Il existe d’ailleurs un troisième sujet sur lequel l’ouvrage est à peu près muet : celui de la misère d’un grand nombre de citoyens de cette riche nation, que beaucoup de Français souhaitent, plus ou moins consciemment, donner comme modèle à notre Europe démodée. Chaque fois que nous abordons ce sujet, nous sommes difficilement écoutés, tant il est vrai que certains mythes se substituent aisément aux réalités ; et pourtant, nous extrayons du Figaro du 25 Avril 1968 l’article accablant que voici :
« Washington, 24 avril. - Des millions de personnes souffrent de faim et de malnutrition chronique aux EtatsUnis, en particulier dans une vingtaine d’Etats du Sud et du Sud-Ouest, révèle un rapport d’une centaine de pages, publié à Washington par une commission d’enquête établie par un organisme privé « Croisade contre la pauvreté » (Citizen’s crusade against poverty).
Les auteurs du rapport citent des cas précis de faim chronique dans 256 Comtés de 20 Etats. La Géorgie et le Mississipi sont les plus gravement atteints. « Ce serait déjà révoltant d’apprendre qu’un millier de personnes n’ont rien à manger pendant plusieurs jours chaque mois dans un pays riche », écrivent-ils, mais nous croyons qu’en Amérique ce nombre. atteint des millions et nous croyons également que la situation va en empirant ».
« Le rapport’ fait :état de, nombre de cas d’anémie, de retard de, croissance, de maladies diverses attribuables à une malnutrition chronique, en Caroline du Sud, en Floride, dans le Mississipi, en Alabama et dans les réserves indiennes.
Le rapport critique également le programme d’alimentation établi par le Ministère de l’Agriculture et financé par le gouvernement fédéral. Ce programme, affirme-t-il, vise seulement à accroître le revenu agricole, spécialement celui des gros producteurs. En conséquence, le rapport recommande l’abandon de ce programme officiel au profit d’un programme géré par un organisme plus intéressé par l’intérêt des consommateurs, en particulier des plus défavorisés.
La commission d’enquête comprenait 25 membres, dont des médecins, des membres du clergé, des représentants de l’enseignement et des syndicats. Elle était financée par des organismes privés, laïcs ou religieux ».
Ce qui prouve qu’il faut toujours se méfier de l’optimisme systématique, surtout lorsqu’il émane des sphères officielles ; rappelons-nous ce passage d’un livre de Jacques Duboin, cité par « Le Canard Enchaîné » du 20 mars 1968 :
« Un président des Etats-Unis, arrivé à la fin de son mandat, déclara dans un discours historique :
« Jamais encore le Congrès des Etats-Unis ne s’est trouvé, en analysant la situation générale du pays, face à des perspectives meilleures que celles qui existent aujourd’hui. L’extraordinaire bien-être, né grâce à l’esprit d’initiative de notre industrie, et maintenu par notre économie, se distribue très largement dans notre population, en même temps qu’il contribue de plus en plus, au bien-être et au développement du commerce dans le monde entier. Notre niveau d’existence, dépassant la mesure du nécessaire, s’élève à la sphère du luxe. Notre production sans cesse accrue est absorbée par une demande croissante à l’intérieur de notre pays, et par notre commerce extérieur en plein essor. Nous pouvons considérer le présent avec satisfaction, et envisager l’avenir avec optimisme ».
« Quelques mois après cette déclaration du président Coolidge éclatait la fameuse crise mondiale de 1929. (Cité par Jacques Duboin dans « Réflexions d’un Français moyen ») ».
Il est vrai que beaucoup trop de nos compatriotes ignorent encore tout de l’oeuvre de Jacques Duboin et des thèses de l’Economie des Besoins. Mais, lorsqu’ils en prennent connaissance, nous souhaiterions vivement gu’i’s en fassent au plus vite profiter leurs amis et connaissances, imitant en cela M. Jules Romains, de l’Académie Française ; Ce dernier, en effet, dans la « lettre à un ami », publiée dans l’« Aurore » du 19 février 1968, avoue ingénument :
« Parmi les papiers qui couvrent ma table, et dans le détail desquels je n’ai pas le temps d’entrer - car chaque courrier m’en apporte de nouveaux - j’aperçois un simple feuillet dont le titre m’accroche : « Réflexions d’un Français moyen ». C’est un titre plein de promesses. De promesses difficiles à tenir. Non que le « Français moyen » soit un fantôme dépourvu de substance. Mais, quand on parle en son nom, on n’a pas le droit de se tromper grossièrement.
Je prends le feuillet en question. Je constate qu’il représente le dernier numéro d’une publication mensuelle que je m’étonne d’avoir ignoré jusqu’ici. Le rédacteur - unique, semble-t-il - en est un M. Jacques Duboin, dont on me donne l’adresse, pour le cas sans doute où j’aurais un avis différent du sien à lui communiquer : 10, rue de Lancry, Paris. Mais pour l’instant ce qui m’importe, c’est de savoir si ces « Réflexions d’un Français moyen » sont dignes de leur titre ambitieux ».
Puis, après une brève analyse du livre, M. Jules Romains ajoute :
« La thèse est neuve et intéressante. C’est la première fois à ma connaissance que l’on trace une liaison si nette entre l’embarras économique et la fièvre inextinguible de l’armement, dont nous sommes les témoins vainement scandalisés. Et il y a certes là matière à réflexions non seulement pour le Français moyen, mais pour tout homme du monde actuel.
Pourtant la production des biens progresse plus rapidement encore. La preuve, c’est que le chômage augmente dans toutes les nations industrialisées (c’est-àdire dans la majorité des nations), outre que la concentration des entreprises et les progrès internes de la technique donnent lieu à de nombreux licenciements.
Quelle leçon notre auteur en tire-t-il à l’usage du « contemporain moyen » ? j’avoue mal l’apercevoir. En principe, rien de plus délicat que cette incapacité de l’humanité actuelle à équilibrer son travail. Elle risque de mourir non par défaut, mais par excès de production. Excès qui tient d’ailleurs moins au volume des produits qu’à leur répartition vicieuse.
Nous revenons ainsi à un problème dont je vous ai souvent parlé, et que nous retrouvons au bout de toutes nos perspectives (il vaut mieux dire prospectives, puisque le mot est à la mode), celui de l’autorité mondiale, autorité dont l’ONU n’est qu’une esquisse, parfois une caricature. Autorité mondiale dont nous ne pouvons plus nous passer.
« Dans les vingt-cinq ou trente années qui viennent, l’humanité va jouer son destin. Ou elle périra, ou elle s’unira. Mais pas de n’importe quelle façon. Il est temps d’y réfléchir ».
Hélas, voici plus de 30 ans que nous invitons les hommes en général et les Français en particulier à réfléchir sur la seule réforme capable de supprimer à la fois les principales causes de guerre et les obstacles économiques qui s’opposent à la création d’une Europe unie d’abord, d’un gouvernement mondial ensuite. Il faut croire que la conspiration du silence a magnifiquement joué son rôle, favorisée en cela par l’apathie de trop nombreux sympathisants du MFA qui croient toujours pouvoir laisser aux autres l’ingrat, mais indispensable, travail de propagande individuelle.
Les discussions suscitées par le « Défi américain peuvent être, nous venons de le voir, une excellente occasion de lancer nos idées sur la place publique : souhaitons que beaucoup d’entre vous sachent la saisir.
Ceux de nos camarades qui ont eu l’occasion de voyager ces derniers temps, dans les pays du Marché commun, ont pu constater que cette « communauté économique », a été réalisée essentiellement au détriment du consommateur ! Il est d’ailleurs difficile de voir comment il aurait pu en être autrement. En effet, l’inauguration du Marché commun s’est concrétisée par un nivellement des prix, et, en toute logique ce nivellement ne pouvait se faire que « par le haut ». Jadis, on pouvait constater que l’achat de certains articles ou produits, était plus avantageux en France qu’en Belgique, ou moins avantageux en Hollande qu’en Allemagne. Désormais tout cela est changé : il n’y a presque plus rien dont le prix soit plus avantageux ici ou là qu’ailleurs.
Il demeure cependant, quelques exceptions à cette règle. Ainsi, le vin, quoique cher aux yeux du consommateur français, demeure encore en France (même au restaurant), le moins cher en Europe. C’est une question de consommation. A l’opposé, les cigarettes et l’essence, demeurent en France, en Italie, aux niveaux les plus élevés. Il s’agit là du jeu des impôts indirects qui, comme chacun le sait, frappent le plus durement, les couches les plus défavorisées de la population.
A ce propos, il est intéressant de citer la théorie d’un économiste britannique (de l’Observer), d’après lequel le risque d’établissement d’un régime politique autoritaire existe surtout dans les pays où les dépenses publiques sont couvertes essentiellement par les impôts indirects, et non par les impôts personnels, directs. C’est ainsi que les dépenses publiques seraient couvertes dans les proportions suivantes, par les impôts directs (personnels) : Etats-Unis : 52 % ; Suède 50 % ; Angleterre et Belgique, 35 % ; Allemagne 33 % ; Italie : 25 % ; France : 17 %, Cette proportion est encore plus faible, dans des pays tels que la Grèce, la Turquie, le Portugal, l’Espagne. Même si elle n’est pas parfaite, il doit y avoir « un brin de vérité » dans cette théorie.
Mais revenons au Marché commun. Ainsi donc, les prix ont considérablement augmenté à l’intérieur du Marché commun en se mettant en général au niveau du pays qui était le plus cher, dans chaque secteur (produit) déterminé : merci pour le consommateur. En outre, le Marché commun, se défend contre les productions qui lui sont extérieures, en les frappant de droits considérables. C’est ainsi que les produits suisses, en France, qui, avant l’établissement du Marché commun, ne subissaient qu’une hausse de 20 à 30 %, sont frappés actuellement de droits de l’ordre de 50 à 60 % ! Par exemple, les machines à écrire.
D’autre part, et c’est là que les Suisses s’insurgent, les (pays du Marché commun ont une fâcheuse tendance à écouler en Suisse, ce qu’on nomme là-bas leurs « surplus ». De sorte, qu’il n’est pas rare de trouver en Suisse des produits français, allemands, néerlandais, italiens, belges, à des prix inférieurs à ceux qui sont pratiqués respectivement dans ces pays et souvent moins chers que les produits suisses.
Par ailleurs, on trouve des combinaisons, qui peuvent paraitre plus surprenantes encore c’est ainsi que l’on découvre en France, des articles « made in ltaly », qui sont en réalité d’origine britannique ou américaine.
On peut se demander à quoi correspond tout ce « micmac » ? Il semble que chacun des « partenaires », joue sensiblement le jeu suivant : vendre le plus possible chez le voisin, afin d’obtenir des « devises », c’est-à-dire, en dernière instance avoir la possibilité d’acheter des produits chez le voisin. Si bien qu’en exagérant quelque peu on finira par les recommandations suivantes : achetez les produits français ailleurs qu’en France, les produits allemands, ailleurs qu’en Allemagne, et ainsi de suite. Jeu plaisant, mais qui tend à hausser les prix pour le consommateur.
Espérons tout de même qu’un jour la raison l’emportera et que l’on s’apercevra que les combinaisons en cours ne sont pas vraiment « rentables ».
M. François Perroux est le maître à penser de tous ceux qui, dans les Facultés de droit et des Sciences économiques, enseignent et apprennent l’économie politique. Son oeuvre immense a une influence considérable sur plusieurs générations d’économistes. C’est la base de toute culture économique sérieuse, la base de toute science, presque la science elle-même. Voici ce qu’il écrivait dans son livre « La Valeur » en 1943 :
« Les doctrinaires français de l’abondance, montrent qu’ils sont peu familiarisés avec le rudiment économique en même temps que médiocrement sensibles à l’évidence. Leur raisonnement conduit à l’erreur par l’enchaînement du reste peu rigoureux de trois propositions.
- L’abondance supprime la valeur. Formule indéterminée tant que l’on ne sait pas avec précision ce qu’il faut entendre par abondance. L’abondance absolue, c’est-à-dire un état dans lequel tous les biens sans aucune exception seraient des biens libres est proprement impensable. Cette hypothèse implique que les besoins humains s’expriment comme une quantité fixe et immobile, et que le temps lui-même est un bien libre. Quant à l’abondance relative, elle ne désigne rien de plus qu’un état de l’approvisionnement jugé plus satisfaisant qu’un autre choisi arbitrairement comme point de comparaison. Entre « abondance relative » et « limitation moins rigoureuse » aucun criterium de distinction ne peut être fourni et la théorie dite de l’abondance perd alors toute spécificité. La confusion initiale se répercute sur les propositions consécutives.
- L’échange suppose la valeur. Donc l’abondance tue l’échange, et rend nécessaire une économie purement distributive. Veut-on dire simplement que les biens libres ne sont pas échangés ? Personne ne le conteste. Veut-on suggérer au surplus que la technique moderne conduit à un état où tous les biens sont libres ? On énonce gravement une puérilité et si, tant que l’homme et le monde extérieur sont ce que nous savons qu’ils sont, on pense que l’échange est éliminable, on énonce une contre vérité. Pas plus qu’ils n’ont médité profondément sur la valeur, les doctrinaires de l’abondance n’ont sérieusement analysé le contenu économique essentiel de l’échange ou du pouvoir de disposition. Ajoutons qu’ils n’ont pas compris la nature profonde du coût, comme le montre leur troisième proposition.
- Une économie sans effort est possible et les économies réelles se rapprocheraient de ce type sans les méfaits de l’économie de rareté. Il faut donc « déshonorer le travail » (Jacques Duboin). Recommandation de politique économique qui repose ou bien sur une banalité : la machine épargne l’effort humain, ou bien sur une erreur : la machine tombe du ciel, dans la cité de l’abondance, sans dépense de facteurs naturels, de travail et de temps, c’est-à-dire de biens qui sont tous soumis à la limitation.
- Les exégèses sur l’abondance ne sont finalement ni une doctrine, ni une théorie. Elles sont un cas. Il jette une lumière crue sur le caractère délirant des recommandations de politique économique que font nécessairement des hommes de bonne volonté qui n’ont pas jugé opportun de consacrer un minimum de temps à la théorie générale de l’activité économique. »
Suit un éloge de la rareté dont nous donnons quelques extraits :
« La rareté économique indépendante de la forme de chaque système est un rapport entre les biens limités et besoins pratiquement illimités. Elle est la réalité essentielle dans l’ordre économique et la relation la plus générale et la plus dépouillée sous laquelle notre activité appliquée à l’aménagement du monde extérieur puisse être saisie. C’est une relation majeure, soubassement de toutes les évaluations. »
Voici un deuxième texte du même auteur dans son livre : « La création collective dans l’économie de notre temps » (revue philosophique n° 4, octobre-décembre 1963, page 473 et S).
« Considérons les effets de l’automation. L’automation n’est pas l’automatisation de détail, mais le couplage de la machine de calcul, de la machine de contrôle et de la machine de fabrication. Cet ensemble ordonné pose dès maintenant, et avec une acuité non pareille, le triple problème de la surproduction, du chômage technologique, et de l’inégalité entre les statuts des divers salariés et des divers postes de travail. L’invention de nouveaux équilibres sociaux doit prendre la relève des spontanéités et des quasi-mécanismes économiques. En passant à la limite, on comprend la portée révolutionnaire de l’automation. Que l’on suppose la plus grande partie du travail d’exécution rejetée sur les esclaves mécaniques et confiée aux systèmes automatés. Un petit nombre de travailleurs et de contrôleurs des machines, hautement qualifiés, obtiennent avec un appareil perfectionné, tout le produit social. Ils produisent pour eux-mêmes et pour tous les autres. Oui sont les autres ? L’ensemble des travailleurs éliminés durablement par la technologie et l’ensemble des inadaptés, de ceux qui sont incapables, pour quelque raison que ce soit, de participer à la production sous ses formes nouvelles.
Si l’on persistait à juger d’après les critères économiques courants (pas de rémunération sans produit), cette masse d’individus devrait être éliminée sans appel. Si elle ne l’est pas, c’est par l’effet d’un principe de civilisation qui fonde une économie distributive ; il faut qu’il soit reconnu et pratiqué pour qu’une multitude d’individus qui ne participent plus à la production des choses, participent encore à la société des hommes. Telle est la dialectique d’une société des travailleurs sans travail. Dans la transition, la société fondée sur le travail est menacée de chômage massif...
L’économie occidentale est pensée et organisée selon le principe de la rareté. La valeur économique y naît d’un déséquilibre entre le nombre des emplois possibles et le nombre des biens présents. Cette rareté peut bien être considérée comme inéliminable théoriquement. EN FAIT les moyens de l’industrie permettent malgré les gaspillages des capitalismes historiques, d’envisager l’octroi à chacun d’un minimum vital et l’aménagement pour l’avantage de tous de zones de gratuité. L’économie de l’abondance est devenue une idée force que parce qu’elle peut être réferrée à des réalités et à des tendances observables. »
De 1945 à 1963, en vingt ans le professeur Perroux a quand même progressé.
Mais qu’a-t-il donc enseigné pendant 20 ans, au Collège de France ? Aujourd’hui il revendique volontiers la paternité des idées nouvelles de l’économie d’abondance. Qui s’en étonnera ?
N.B. Notre camarade est tout surpris que M. François Perroux, professeur au Collège de France, n’ait pas fait allusion dans son second livre, au Mouvement Français pour l’Abondance. Rien d’étonnant, comme beaucoup de mortels, il prend son bien où il le trouve.
Les lecteurs de la « Grande Relève » sont assez familiarisés avec les contradictions du système capitaliste pour en tirer eux-mêmes la conclusion qui s’impose et que, pour ma part, je vois de la manière suivante :
Les phénomènes observés, les évènements vécus, l’attitude des responsables de l’économie, des oligarchies et de tous nos économistes attardés, défilent devant nos yeux sur l’écran de la vie des sociétés capitalistes comme un film, dont l’enchaînement des images est difficile à saisir parce que l’esprit se fixe à la fois sur la variété de’ ces images et sur l’impression de malaise qu’elles y produisent.
Et cette impression, pour ceux qui veulent bien s’arrêter aux sentiments qu’elle fait naître dans l’âme, nous laisse perplexes, parce que ces mirages ne reflètent pas d’une façon parfaite les événements qu’elles représentent, mais elles nous apparaissent plutôt déformées par rapport à la réalité.
C’est pourquoi, de tout cet ensemble de fulgurants remous, il en ressort de très nettes contradictions si l’on comparé cet ensemble au processus suivi par le progrès des techniques. Il est certain que les sociétés capitalistes souffrent de ces contradictions dans leur modus vivendi, et il s’établit entre leurs membres une coupure très nette qui les sépare et en fait, non des frères, mais des ennemis de classe.
Les conséquences de cet état de choses déplorable sont suffisamment mises en relief par Jacques Duboin et ses collaborateurs dans la « Grande Relève » pour attirer l’attention de ceux qui veulent bien regarder les choses en face et ont assez de coeur et de sentiments pour les condamner.
Mais en condamnant l’attitude égoïste et cupide de tous les responsables de la « misère dans l’abondance des biens de toute sorte », il est logique de mettre aussi au banc d’accusation le régime capitaliste lui-même, au sein duquel s’est formé l’esprit de ces hommes qui, hypnotisés par la puissance que leur confère la possession de l’argent, perdent tout sentiment humain dans la course au profit.
Dans le contexte capitaliste, la justice sociale est impensable, comme le sont également la « liberté, l’égalité, la fraternité, l’amour. »
Seul le système distributif préconisé par les abondancistes, en supprimant la « tyrannie de l’argent », peut rétablir l’équilibre des hommes désaxés et permettre aux membres des sociétés de vivre en parfaite harmonie.
Mais pour donner aux générations futures un avenir meilleur, il nous faut accomplir un acte de foi : « croire » et faire confiance à la doctrine de Jacques Duboin qui, tout doucement, fait son chemin.
Alors, nous aurons réalisé notre merveilleux idéal « la justice sociale ».
On se propose de reconstituer si non des provinces mais des régions. C’est la décentralisation. Mais n’est-ce pas une évolution à contre-courant de l’Histoire ? Un retour à l’époque d’avant 1789 ?
Elles faciliteront, dit-on, l’expansion de notre économie, mais on voudrait savoir pourquoi.
Le grand souci actuel est de faire baisser les prix de revient, et c’est pourquoi tant d’entreprises fusionnent ; elles entendent demeurer compétitives sur le marché commun d’abord, et autant que possible dans la compétition internationale. La décentralisation projetée n’est elle pas aux antipodes de cette politique ?
Enfin l’autonomie même limitée dont les régions vont bénéficier, exige que la région puisse prendre des décisions, obligeant ainsi l’Etat à lui abandonner une partie de ses charges ; mais si la région a le droit d’établir des impôts, viendront-ils augmenter la charge fiscale des Français ? Si oui, on se demande s’ils en ont vraiment besoin.
C’est au Japon maintenant que les étudiants se révoltent. La répression fut particulièrement sévère : nombreux blessés et plus de 1.000 arrestations. Après les Etats-Unis, l’Amérique centrale, l’Amérique du Sud, l’Europe, le Sénégal, voici maintenant le tour de l’Asie.
Finira-t-on par comprendre que nos désordres de mai et de juin n’avaient pas le caractère unique qu’on affectait de leur attribuer ? Partout la jeunesse s’inquiète et elle a raison. Il y a lieu de croire que cette agitation est loin d’être terminée. C’est tout notre système économique et social répétons-le encore, qui est en cause. C’est la « mutation » annoncée mais jamais précisée, qui se prépare : c’est une levée de rideau.
Les journaliste du Figaro ont fait une journée de grève pour réclamer le droit d’écrire ce qu’ils pensent. Mais si l’administration de ce quotidien leur donne satisfaction, ses lecteurs se mettront en grève, car ils exigent de ne lire que ce qui leur plait.
Il y a plus de trois ans que l’armée américaine bombarde le Vietnam du Nord, et l’on peut se demander ce qu’il en reste.
Mais pour arrêter ces bombardements, le Président Johnson exigeait une contrepartie que les Vietnamiens refusaient avec la dernière énergie.
Brusquement, le Président Johnson a renoncé à cette contre-partie - Pourquoi ? - En raison de l’imminence des élections présidentielles aux Etats-Unis. Ce geste inattendu favorise son parti politique, celui des démocrates, dont le candidat Humphrey est vice - président des Etats-Unis.
En sorte que s’il n’y avait pas eu heureusement des élections présidentielles, des êtres humains auraient encore été massacrés dans le Vietnam du nord. S’ils sont en vie, c’est à des élections devenues providentielles qu’ils le devront.
On peut se demander si l’Histoire n’inscrira pas le nom du Président Johnson parmi les authentiques criminels de guerre.
Dans la revue « Les Informations », numéro du 21 octobre, M. F.H. de Virieu donne d’intéressantes précisions sur notre guerre à cette Abondance, que, depuis des années, nous nous entêtons à qualifier de néfaste surproduction.
Citons quelques lignes : « Les dépenses de soutien des marchés agricoles ont décuplé sournoisement au point de représenter, dans le projet de budget de 1969, l’équivalent des crédits de fonctionnement et d’étude de toute l’armée de terre. Le seul financement du stockage et de la braderie de nos excédents de produits laitiers coûtera, en 1969, autant que la guerre d’Algérie, au temps où nous la faisions, un milliard d’anciens francs par jour ! Tandis que le total des droits de succession perçus en France, même majorée par le Parlement, suffira à peine à compenser les subventions pour l’exportation de nos céréales excédentaires. »
A remarquer que cet « assainissement » des marchés est une prérogative, ou une spécialité, du régime capitaliste, parce que la « surproduction » tue le profit, moteur de l’activité économique.
En Espagne cette intelligente politique est suivie comme en font foi des coupures de presse qu’un de nos camarades nous fait parvenir. On la pratique même aux îles Canaries dont la population se compose en partie d’indigents.
L’article de M. F. H. de Virieu est incomplet. Il aurait dû rappeler qu’en France, également, le nombre des économiquement faibles, en particulier des vieillards, est très élevé. Dans son beau livre « La France Pauvre » M. P. M. de la Gorce estime que le nombre de nos compatriotes végétant péniblement en marge de la misère, est de l’ordre de 12 millions.
Il semble que l’industrie automobile va sérieusement ralentir puisqu’il devient de plus en plus difficile de circuler dans les villes et sur les routes grandes et petites. Si l’économie en pâtit, en revanche le taux de mortalité diminuera.
Dans « Les Informations » du 28 octobre, on lit aussi un intéressant article concernant les « cadres ». On leur a posé une question délicate : que pensent-ils des ordinateurs ? Sont-ils rentables ?
N’est-ce pas, en effet, la question qui prime toutes les autres, l’unique souci des producteurs dans notre système économique actuel ?
Oui, les ordinateurs sont rentables, auraient répondu 93 % des « cadres » interrogés, donc la quasi-unanimité.
On aimerait connaître les raisons fournies, mais « Les Informations » sont d’une discrétion absolue à cet égard, et c’est dommage.
La seconde question posée était celle- ci : l’ordinateur supprime-t-il ou créé- t-il des emplois ? Dans la proportion de 58 % les « cadres » ont répondu que l’ordinateur créait plus d’emplois qu’il n’en supprimait (sic).
Il faut avouer que cette réponse laisse rêveur. En effet, s’il est possible que l’ordinateur oblige de créer quelques emplois pour être construit, en revanche l en supprime le plus possible quand on l’utilise, l’ordinateur faisant le travail qui exigeait de nombreuses heures aux travailleurs. C’est en tout cas ce que répondrait un garçonnet.
Le comble, c’est que 6 % des « cadres » interrogés ont fait part de leurs craintes : à les entendre l’ordinateur nous entraînerait vers une vie automatisée et mécanisée dans laquelle le libre-arbitre ne jouera plus (sic).
Que diable le libre-arbitre vient-il faire dans cette aventure ? Ces « cadres » prétendraient-ils que lorsque les machines supprimeront tout effort humain en nous procurant tout ce dont nous avons besoin, nous perdrons notre libre-arbitre !
Concluons que les gens qui, actuellement, trouvent une fortune dans leur berceau et en profitent pour se reposer deviennent ipso facto des « pauvres types », des « benets », des « intellectuellement faibles » !
Alors que nous versons des pleurs sur le sort de la Tchécoslovaquie, nous paraissons avoir complètement oublié que Daladler signait à Munich (il y a juste 30 ans) avec Hitler, la cession à l’Allemagne de plus de 3 millions d’habitants des territoires des Sudètes appartenant à la Tchécoslovaquie.