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Nous publions, in-extenso, la lettre adressée à M. le premier Ministre, par notre adhérent, M. le général Robert Lasserre, ancien chef d’Etat- major des Forces Aériennes Françaises Libres :
Monsieur Couve de Murville, Premier Ministre,
Hôtel Matignon,
Paris (7e).
Monsieur le Premier ministre,
Les manifestations de protestations contre la mévente des pêches, des poires et des pommes qui viennent d’avoir lieu dans le Sud-Est m’incitent à vous transmettre la copie d’une parsie de la lettre que j’avais adressée à M. Georges Pompidou à la veille des élections.
Ces manifestations survenant après tans d’autres qui eurent comme théatres d’opérations souses les régions du Midi au Nord de la France, me paraissent démontrer une fois de plus qu’il est vain de persévérer dans l’expérimentation de solutions qui ne visent jamais qu’à maîtriser cesse « CATASTROPHIQUE » abondance, comme le déclarais froidement déjà, sous la Troisième République, M. le ministre de l’Agriculture nommé Ricard.
Toutes les mesures prises dans ce sens depuis cette époque se sont, en effet, révélées désastreuses à la fois pour les producteurs, les contribuables et les CONSOMMATEURS PAUVRES sursous, qui commencent à se mettre en colère parce qu’ils ont enfin compris que l’ABONDANCE N’EST UNE CATASTROPHE QUE POUR CEUX AUXQUELS LA « RARETE » PROFITE !
Au spectacle des pêches qui pourrissent ils estiment, ici en Gascogne, que cesse abondance peut es DOIT devenir sans tarder une BIENFAISANTE abondance pour la SATISFACTION DE LEURS BESOINS que notre actuelle économie PERVERTIE, si justement condamnée par le général de Gaulle, néglige par trop, en ne recherchant que le PROFIT. Sans être des économistes distingués, ces Gascons ne manquent pas de bon sens en pensant que c’est bien cela avant tout qu’une économie naturelle es harmonieuse devrais avoir pour principal objectif.
Certes, on parle beaucoup de la « SOCIETE DE CONSOMMATION », mais il faut bien reconnaître que c’est une appellation abusive, parce que, dans notre système capitaliste dénoncé courageusement par le général de Gaulle, il est bien clair que NE CONSOMME PAS QUI VEUT.
Si l’on en juge d’après P.M. de la Gorce, dans son beau livre « La France pauvre » près d’un quart des Français n’ont pas un pouvoir d’achat suffisant pour leur permettre une réelle « PARTICIPATION » à l’abondance de tous les produits agricoles es industriels qui s’offrent à leurs yeux sur les marchés, dans les magasins et sur les trottoirs, sans pour cela se trouver à portée de leur porte-monnaie.
Pour toutes ces raisons, je me sens tenu d’attirer respectueusement votre attention sur l’intérêt que pourrais présenter l’examen d’une certaine SOLUTION D’ENSEMBLE, propre me semble-t-il, à résoudre harmonieusement le PROBLEME GENERAL que pose depuis si longtemps à l’Agriculture comme à l’Industrie françaises, l’entrée de notre pays dans « L’ERE DE L’ABONDANCE », selon la déclaration faite à la R.T.F., le 29 novembre 1961 par un homme qui ne passe pas pour un utopiste, M. Louis Armand de l’Académie francaise.
Il s’agit de la conception que M. Jacques Duboin qui fus sous-secrétaire d’Etat aux Finances sous la IIIe République, a développée depuis 1932, après avoir créé le « MOUVEMENT FRANÇAIS POUR L’ABONDANCE » et son journal « La Grande Relève des Hommes par la Machine ».
A l’exposé de sa thèse, il a consacré une quinzaine de livres ou die brochures ainsi que de nombreux articles dont beaucoup restent encore aujourd’hui d’actualité.
Je m’abstiendrai à son sujet de longs développements, me bornant à vous signaler :
- d’une part, qu’elle reçut l’accueil le plus favorable et même l’appui de personnalisés telles que Einstein, Bergson, Albert Bayet, et Georges Duhamel et qu’il y a quelques années deux professeurs de Faculté l’ont jugée digne de lui consacrer plusieurs pages dans le TRAITE DE PHILOSOPHIE qu’ils ont publié en collaboration.
- d’autre part, que J. Duboin a prouvé qu’il n’était pas cet utopiste que d’aucuns ont prétendu puisqu’il s’est révélé jadis un véritable précurseur dans le domaine de l’organisation de l’armée, comme le « Journal officiel » en fournit le témoignage, en défendant devant une Chambre des Députés hostile une proposition tendant à la création d’un « CORPS DE CHARS BLINDES ». A l’occasion d’interruptions véhémentes, le Rapporteur du projet de loi en discussion, le colonel Fabry déclarais « Jacques Duboin peut apparaître ici, peut-être comme un PRECURSEUR, mais ce sera le seul reproche qu’on pourra lui faire : IL VA BEAUCOUP TROP VITE ». C’était en l’an 1922 (MIL NEUF CENT VINGT DEUX). (J.O. du 15 mars 1922).
En matière de politique économique aussi, J. Duboin apparaît déjà comme un précurseur, si j’en crois F. H. de Virveu qui écrit dans le journal « SUD-OUEST » le 7 août courant :
« 1° l’IDEE D’UN SALAIRE GARANTI », d’une sorte de S.M.I.G. versé directement par l’ETAT aux PETITS PAYSANS fait son chemin ».
« 2° C’est la grande REVENDICATION actuelle des organisations syndicales agricoles, le SLOGAN qui, à l’automne, fleurira sur les pancartes des manifestants. »
N’est-ce pas là précisément ce que propose J. Duboin depuis 1932, sous le nom exact de « REVENU SOCIAL », comme principe de base de son « ECONOMIE DES BESOINS » dite encore Economie distributive de l’Abondance ?
Lorsque votre ministre des Affaires culturelles, M. André Malraux, au lieu de réclamer démagogiquement comme tant d’autres un PLEIN EMPLOI nue le progrès tend précisément à supprimer, disait honnêtement le 21 juin à Radio-Europe N°1, que « NOUS DEVONS RENCONTRER LE CHOMAGE A CAUSE DU MACHINISME », il rejoignait le précurseur J. Duboin. Mais ce dernier a proposé un remède qui remplacerait l’aumône qu’est l’allocation de chômage et pourrait être donné aussi à d’autres catégories de Français pour rétablir leur pouvoir d’achat : ce « REVENU SOCIAL », considéré comme leur PART D’USUFRUIT dans l’immense patrimoine accumulé par les innombrables générations dont ils sont les héritiers.
Lorsque votre ministre d’Etat, M. J.M. Jeanneney déclarait en septembre 1967 devant la Commission des Finances de l’Assemblée nationale : « IL FAUDRA PEUT-ETRE, UN JOUR, SERVIR UNE RETRAITE A TOUS LES FRANÇAIS », il se rapprochait aussi du Revenu Social de J. Duboin dont il fut cependant assez éloigné du temps qu’il était doyen die la Faculté de Droit de Grenoble.
Si j’ajoute que M. Jeanneney avait complété sa phrase rapportée ci-dessus par cette autre empruntée au communiste Gracchus Babeuf : « A CHACUN SELON SES BESOINS » je serais tenté de le considérer comme un adepte de l’Economie des Besoins et cela me semblerait de bon augure étant donné le rôle qui lui est dévolu dans la préparation -des mesures destinées à réaliser la grande mutation de l’Economie française promise par le général de Gaulle.
A propos de Revenu Social, je ne peux m’empêcher de penser que si les ETUDIANTS en avaient été bénéficiaires avant mai dernier et si on les avait assurés que cette mesure constituait l’amorce de la « mutation » réclamée par eux, de notre société, il est fort probable qu’ils ne se seraient pas laissés entraîner par les « enragés » et qu’ils seraient plutôt allés cueillir du muguet.
Les considérations qui précèdent me conduisent, Monsieur le Premier ministre, à vous soumettre la proposition suivante :
Considérant que depuis que nous sommes entrés dans l’ère de l’abondance, il ne paraît pas que les services du Ministère de l’Economie et des Finances aient jamais songé à entreprendre une étude de l’ensemble de l’oeuvre de Jacques Duboin en vue d’en apprécier les possibilités d’application pratique en dehors de tout parti pris d’école, je me permets, Monsieur le Premier ministre, de vous demander, à la veille de l’élaboration d’une nouvelle politique agricole, si vous n’estimeriez pas le moment venu de prescrire, à l’échelon gouvernemental, une telle étude.
Je tiens à préciser en terminant que ce n’est nullement une ardeur de néophyte qui m’a poussé à m’adresser aux plus hautes autorités de l’Etat pour tenter de leur faire partager ma conviction, puisque c’est pendant la dernière guerre que le hasard m’a fait prendre connaissance des thèses de J. Duboin et que je n’ai cessé depuis lors de les défendre autour de moi.
Je crois même mie rappeler en avoir entretenu vers 1953 votre Conseiller technique, M. Bertrand Labrusse, que j’avais en grande estime, à l’époque où il était à l’Ecole nationale d’Administration, et alors que je préparais moi-même, en compagnie de sa fiancée, le diplôme de psychologie à la Sorbonne. Je vous prie d’agréer, etc...
Des lettres analogues avaient été adressées d’abord au chef de l’Etat, puis aux membres du gouvernement, de sorte que, grâce à l’initiative du général R. Lasserre, l’Economie Distributive n’est plus ignorée du pouvoir. Tous nos camarades applaudissent l’intervention du général R. Lasserre et lui en sont très reconnaissants.
On lira plus loin l’article de notre camarade Alexandre Vexliard sur la réforme de l’Université. Comme il est du bâtiment, son opinion mérite attention. Je me place à cet autre point de vue que voici : Quelque excellente ou défectueuse que soit la loi votée, même si son texte eut été encore plus copieusement amendé, elle ne pouvait résoudre le problème que pose le sort des jeunes. Que réclament—ils dans toutes les Universités ? Un débouché, c’est-à-dire la possibilité de se créer la situation qui permet de vivre. A ce sujet, pas d’équivoque, sans quoi la révolte qui gagna toutes les Universités d’Europe et d’Amérique, n’aurait eu aucun sens. Si cette revendication n’a pas été clairement exprimée, c’est que les étudiants sont plus ou moins imprégnés des écrits de Marcuse ; on détruit alors tout et l’on ne construit rien.
Les débats parlementaires, sur la réforme de l’enseignement supérieur, ont d’ailleurs fait preuve d’un souci dominant : garantira-t-elle un débouché à tous les étudiants ?
« Non, répondit d’abord M. Edgar Faure, l’Université n’est pas un bureau de placement. » Mais il ajouta : « L’Université orientera les étudiants vers des situations correspondant à leurs aptitudes et à leurs désirs. »
Evidemment orienter un étudiant vers une situation, n’est pas lui en fournir une. Mais l’opposition n’a pas entendu faire de différence, car M. Léo Hamon, professeur à la Faculté de Droit et des Sciences économiques à Orléans, parlementaire par surcroît, s’empressa de déclarer : « Il faudra bien en arriver à une organisation dans laquelle chacun sera conseillé et orienté vers ce pour quoi il est le plus apte et qui répond le mieux aux besoins. »
On voit que cet éminent professeur est intimement persuadé qu’il y aura toujours des emplois pour tous les étudiants, et que chacun trouvera celui pour lequel il est lie plus apte. Ce raisonnement était peut-être exact au début du siècle, mais aujourd’hui ?
M. Raymond Aron, autre professeur éminent, a donc fait des réserves concernant en particulier les étudiants de nos Facultés des Lettres, lesquels, a-t-il écrit, n’ont en fait qu’un seul débouché : celui de devenir professeur de Lettres. Comme ils constituent 32,6 % des étudiants de France, nous ne tarderons guère à posséder beaucoup plus de professeurs de Lettres que d’étudiants poursuivant des études littéraires. De leur côté, les étudiants inscrits dans nos Facultés des Sciences ne sont que 22,7 %, alors que le V, Plan prévoyait que leur nombre dépasserait 40 % ! Reconnaissons qu’une réforme de notre Université n’avait jamais été plus urgente...
M. Raymond Aron n’en critique pas moins celle qui vient d’être accomplie, et les reproches qu’il lui adresse furent repris par l’opposition : il faut remettre le projet du gouvernement sur le chantier, car la rénovation de l’enseignement supérieur dépend de la solution qui sera donnée à deux problèmes : celui de l’entrée (ou de la sélection), et celui de la sortie (ou des débouchés). Aussi M. Raymond Aron, dans une louable intention, donnait-il au Ministre de l’Education nationale le Plan d’une réforme digne de ce nom :
1°) régler l’accès de l’Université ; le baccalauréat ayant perdu toute valeur (sic) ;
2°) fournir un débouché à tous les diplômés ;
3°) enfin choisir les meilleurs pour les préparer à la recherche scientifique. Et l’éminent professeur ajoutait que la réalisation de ce plan assurerait la transfiguration du magicien en homme d’Etat. C’est sur ce mot aimable qu’il termina son article-fleuve dans « Le Figaro ». N’insistons pas sur la prétendue insuffisance du baccalauréat, mais un nouvel examen, subi deux mois agrès, serait-il vraiment plus concluant ? Enfin affirmer qu’une Université qui se respecte doit assurer un débouché à tout étudiant qui le mérite, est l’énormité qui fut répétée à satiété à l’Assemblée nationale ; n’est-ce pas basse démagogie ?
Si M. Raymond Aron n’était pas un ingrat, il remercierait le Ciel, chaque soir, de l’insigne faveur qu’il lui a accordée jusqu’ici : celle de ne pas être assis dans certain fauteuil de la rue de Grenelle. Ignore-t-il que tous les progrès techniques de notre temps consistent, non à créer des emplois, mais à en supprimer le plus possible ? Et à cet égard nous sommes sur la bonne route, car le général de Gaulle, dans une conférence de presse, n’a-t-il pas déclaré que notre industrie produisait trois fois plus qu’avant la guerre ? Or, a-t-elle exigé le triple de travailleurs ? Au contraire, le chômage n’a cessé d’augmenter. Le chef de l’Etat a dit aussi que notre agriculture, bien qu’exigeant moins de bras, avait presque doublé son rendement.
Dans les années à venir on fera mieux encore. Qu’on nous exotique par quel miracle les jeunes pourraient avoir tous un emploi, alors qu’on licencie constamment des adultes compétents, expérimentés, la production des richesses n’ayant plus besoin d’eux ? M. Raymond Aron prétendrait-il que le secteur tertiaire, celui des services, serait prêt à les accueillir ? Allons donc ! il est déjà trop plein...
A l’heure où nous commentons à utiliser l’informatique, la cybernétique, il est sûr que l’automation va fatalement progresser. Dans ces conditions, on doute fort que même une pythonisse s’aventurerait à prévoir le nombre d’emplois dont nous aurions besoin demain.
Le problème des jeunes est devenu insoluble dans notre système économique actuel. C’est pourquoi M. André Malraux répète qu’une « mutation » s’impose.
Mais que devient l’Université dans cette « mutation » ? Son rôle devrait prendre une importance considérable. Ne parle-t-on pas constamment de la prochaine civilisation des loisirs ? Ici une précision est nécessaire : les loisirs n’ont jamais cessé d’exister pour un petit nombre de privilégiés, les « happy few » des Anglais. Sous la pression des progrès technologiques, d’autres loisirs firent leur apparition, mais par la porte basse du chômage : Ils accablent des malheureux qu’une allocation dérisoire maintient tout juste en-deçà de la misère la plus noire. Cependant, pour être dignes de définir une civilisation, les loisirs doivent être « heureux », c’est dire que qui en bénéficie est libéré du souci d’avoir à gagner sa vie. Constatez que chacun les dépeint déjà sous la forme qui lui paraît personnellement la plus séduisante : sports, beaux-arts, grands voyages agréables etc. Mais ne confond-on pas trop souvent loisir avec paresse, oisiveté ? S’étendre au soleil est délicieux, mais lasse vite... Au contraire existe-t-il plus grand plaisir que d’être agréablement occupé ? Si l’on y réfléchit le travail obligatoire devrait être retranché de l’existence véritable, seul le loisir compte ! De plus nous chérissons tous la liberté, n’est-il pas vrai ? Or, n’est vraiment libre que celui qui jouit du bien-être et de loisirs. Mais il est sûr qu’il doit être capable de meubler ses loisirs, sans quoi ils deviennent intolérables. Et voilà pourquoi le rôle de l’Université devient immense. Elle devra indistinctement dispenser la culture générale à tous les cerveaux : il suffira qu’ils soient fertiles. Comme l’a dit fort justement M. Edgar Faure : nous devons permettre à l’Université de limiter son accueil aux places dont elle dispose, mais l’Etat doit faire le nécessaire pour que tous les étudiants soient accueillis.
Les travaillistes anglais ne sont pas contents et nous n’en sommes pas étonnés. Leurs dirigeants ont voulu prouver qu’ils étaient capables de faire mieux que les conservateurs et ils se sont heurtés à un mur.
Ils ont simplement oublié une chose, c’est qu’il est impossible de réussir là où les capitalistes ont échoué. Il fallait donc rechercher l’obstacle qui s’oppose à la prospérité d’une grande nation industrielle possédant un équipement moderne qui a fait ses preuves au cours de la dernière guerre mondiale et dont la puissance de production augmente sans cesse.
C’est tout ce que les Anglais, ayant réussi à produire en avalanche tout ce qui leur était nécessaire pour la défense de leur pays, ne se sont pas aperçus que tout ce qui était mis à la disposition des armées n’avait pas à être vendu aux consommateurs habituels. Ces derniers, avec l’appoint des crédits énormes consacrés à la guerre, recevaient ainsi un supplément considérable de pouvoir d’achat qui leur a permis d’acheter les produits consommables nécessaires à leur existence.
La fin de la guerre a complètement modifié ce bel édifice, et l’arrêt des fabrications de guerre a été vivement ressenti par les travailleurs, dont les ressources ont été fortement diminuées. La mévente, le chômage, sont la suite logique de cet état de choses et l’on peut assurer que le régime capitaliste est périmé. Il faut absolument remplacer l’échange par la distribution, ce que nous réclamons depuis 35 ans sans rencontrer d’écho dans les partis politiques.
Nous pensons notamment au parti socialiste SFIO, qui n’a pas évolué davantage que le parti travailliste, sinon le Front populaire aurait tenu compte de notre doctrine. Il est vrai que les chefs socialistes ne font guère preuve de clairvoyance. Il est vraisemblable qu’il n’en serait pas de même si Jean Jaurès n’avait pas été lâchement assassiné en 1914 pour avoir voulu maintenir la paix. Il avait déclaré notamment que la révolution socialiste serait l’inévitable résultat de l’évolution économique, et qu’il faudrait, pour faire apparaître la société nouvelle, « un acte réfléchi de la volonté humaine. »
Il ne pouvait prévoir que le régime de l’échange serait bloqué à la suite de la guerre de 1914, en raison de la transformation radicale des méthodes de fabrication dans l’industrie. Le développement accéléré du machinisme a transformé la vie des travailleurs, dont un bon nombre ont été acculés au chômage et à la misère.
Le manque d’imagination des socialistes les pousse à présenter les mêmes revendications : briser la suprématie de la classe dirigeante ; affranchir la classe opprimée ; abolir toute différence de classe en organisant la communauté ; substituer à la domination d’une minorité. la coopération des citoyens associés à la propriété commune des moyens de production... etc.
Mais il n’est jamais question du changement intervenu dans l’organisation économique et sociale dûe au machinisme, et encore bien moins de l’impossibilité absolue de continuer à vivre sous le signe de l’échange, alors que celui qui n’a rien à échanger est condamné à la misère, pendant que les producteurs sont incapables de vendre la totalité de leur production.
Et cependant Jaurès avait compris que l’idéalisme détaché de tout contact avec la réalité était stérile, et il poursuivait : « L’action n’a de valeur et de prix que par sa collaboration avec les choses elles-mêmes. Ce ne sont pas les rêves de la conscience solitaire ou les exaltations orgueilleuses de l’esprit qui peuvent transformer le monde. Il n’y a d’idéal vrai et sain que celui qui est suggéré par le mouvement même des faits et qui prolonge en quelque sorte la ligne des événements. Quand le socialisme idéaliste est sain, il s’accompagne d’une vue exacte du réel.
On ne peut dire que Léon Blum ou Guy Mollet aient fait preuve d’une telle clarté de vue. Le Front populaire a bien accompli quelques réformes, mais ses chefs ont renoncé à poursuivre leur marche en avant, car ils étaient à bout de souffle et ne savaient que faire.
Il en est de même aujourd’hui, où nous voyons un timide essai de rassemblement des gauches qui ne sont pas capables de présenter un programme de réformes, car il faudrait briser le cadre capitaliste et cela dépasse leur entendement, comme en Angleterre.
Ils devraient se rendre compte des difficultés qui accablent les pays capitalistes du monde entier, y compris les Etats-Unis, et en premier lieu le soutien de la monnaie capitaliste qui n’est plus en état de remplir son rôle.
Alors que la production est capable de satisfaire la demande de l’ensemble des consommateurs, on en est réduit à parler d’austérité pour sauver la monnaie. Cependant, l’existence des êtres humains a tout de même une autre valeur que celle de ces billets que l’on fabrique parce qu’il est impossible de faire autre chose. La monnaie se déprécie sans arrêt, alors que les dépenses des Etats se gonflent, ne serait-ce que pour tenter d’atténuer quelque peu la misère humaine.
Dans un pays voisin, l’Espagne, où l’industrie commence à se développer, on ne va pas tarder à se heurter aux mêmes difficultés. Les auteurs du Plan de développement économique ont assuré que l’industrie allait procurer des emplois à de nombreux travailleurs. Or, il n’en est rien et les ouvriers espagnols continuent à s’expatrier pour pouvoir vivre. Il faut noter que les nouvelles entreprises démarrent avec un matériel ultra-moderne nécessitant le minimum de main-d’oeuvre.
Un ouvrier espagnol, qui a passé deux ans à l’étranger, s’étonne, dans une lettre adressée à un journal espagnol, de voir la presse se réjouir de ce que l’Allemagne a demandé l’envoi de plusieurs milliers de travailleurs espagnols. Il rappelle qu’avec le démarrage du 2e Plan de développement, il ne devait plus être nécessaire de recourir à l’émigration pour résoudre le problème de l’emploi en Espagne. Et il demande pourquoi le gouvernement espagnol ne peut organiser les différentes professions dans son propre pays sans qu’il soit nécessaire de s’expatrier, alors que le Plan de stabilisation a 10 ans d’existence et qu’il y a toujours environ un million de travailleurs qui doivent se résoudre à passer la frontière pour pouvoir vivre.
Il est probable que sa lettre restera sans réponse, car les économistes espagnols suivent la trace de nos inspecteurs des Finances et ne se rendent pas compte que la situation est sans issue.
Que nos socialistes veuillent bien réfléchir à la question et ils comprendront - peut-être - qu’il est temps d’étudier sérieusement le problème posé. Il y va de l’existence de la Nation, car les événements actuels nous conduisent à la faillite et à la guerre civile. Le peuple français ne supportera pas éternellement d’être condamné à la misère dans un pays regorgeant de richesses dans tous les domaines.
On a beaucoup écrit, beaucoup parlé, dans le monde entier, au sujet de la réforme nécessaire de l’Enseignement, à tous les niveaux, dans toutes les disciplines ; aussi, les lignes qui vont suivre, ne représentent guère qu’une goutte d’eau dans un océan de projets et de contre-projets. Mon but ici, est d’essayer de clarifier les principales données du problème. Je prie le lecteur de ne point me juger avant d’avoir lu tout cet article. Car, auparavant, il faudra bien dire quelques vérités qui paraîtront dures et parfois injustes. Mais seules ces vérités permettront de comprendre les origines de la tourmente actuelle.
En premier lieu, ici, comme dans bien d’autres domaines, il convient d’éviter toute comparaison, toute référence au passé. Ni par ses origines, ni par ses buts et son orientation, la révolte actuelle des étudiants, ne ressemble à celles du passé.
La révolte actuelle des étudiants se veut solidaire de celle des travailleurs, En quelques mots, cette révolte est orientée vers une réforme radicale de l’Université, de l’enseignement dans son ensemble, fondée sur une réforme non moins radicale de la société. Dans l’ensemble, elle paraît confuse et surtout négative ; on veut détruire, mais on ne sait pas bien ce que l’on désire édifier. Les revendications sont d’autant moins claires qu’elles sont exprimées par des groupes d’étudiants appartenant à des tendances différentes : communistes, anarchistes, trotzkystes, maoistes, castristes, syndicalistes, sans compter les divers groupes de droite, plus ou moins fascistes, et enfin, la grande masse de ceux qui souhaitent simplement poursuivre leurs études.
Bien que les revendications d’ordre politique aient joué un rôle important dans tous ces mouvements, il n’en sera pas question ici, dans la mesure du possible. Les lecteurs de la Grande Relève, ont compris que la plupart des revendications ne peuvent être réalisées que dans une Economie distributive, fondée sur une base essentiellement démocratique, déterminant les « priorités ». Mais bien peu de jeunes connaissent cette doctrine, (doctrine veut dire ici : enseignement).
Mais quelles sont les raisons véritables de cette « explosion » ? En moins de six ans, en France, le nombre des étudiants est passé de 150.000 à 700.000 ! Dans tous les pays industrialisés on observe des variations quantitatives du même ordre. Cet accroissement quantitatif entraîne irrémédiablement des modifications qualitatives importantes. Attachons-nous seulement à l’un des aspects de ces variations qualitatives. Dans la masse de ces étudiants, il en est un grand nombre qui ne sont pas préparés à suivre un enseignement universitaire, au sens traditionnel de ce mot.
Dans un vocabulaire moins poli, en termes vétustes, on les aurait appelé de « cancres ». D’une manière plus ou moins consciente, ces « cancres » constituent le fer-de-lance et le ferment de la révolte. Sentant qu’ils ne pourront pas passer les examens et « décrocher » un diplôme, ces nouveaux-venus s’insurgent contre les examens, contre les programmes, contre les enseignants... Ce en quoi ils n’ont pas entièrement tort, loin de là.
Car, ces « cancres », l’Université a le devoir de les intégrer. D’une part, parce que la société a besoin d’un nombre de plus en plus considérable d’individus ayant une instruction supérieure. D’autre part, parce que notre « morale sociale » (à tort ou à raison) reconnaît à tous, le droit à l’instruction. La sélection à l’entrée de l’Université, ou la sélection plus tardive « par l’échec », ne pourront pas arrêter ce mouvement qui est irréversible : ces étudiants doivent être intégrés et un ensemble de mesures pédagogiques doit être entrepris pour que la plupart d’entre eux puissent poursuivre jusqu’au bout leurs études.
Sans entrer dans les détails, voici les mesures :a prendre d’urgence. Il s’agit, en premier lieu de créer, - au service des étudiants -un organisme bien outillé et documenté, d’information et d’orientation. Ce service existe, de longue date, - le B.U.S. ou Bureau Universitaire de Statistiques, - mais, malgré son extension récente, il dispose encore de moyens insuffisants. Bien entendu, les étudiants eux- mêmes devront participer à ses activités. Ensuite, au sein même des Université, il doit y avoir des cours de rattrapage. Cette fonction est remplie actuellement par de nombreux établissements privés, à la disposition de ceux qui disposent de « moyens » adéquats. Enfin, et surtout, l’ensemble des moyens pédagogiques de l’enseignement supérieur est à réviser. Certes, en s’engageant dans cette voie nouvelle, on ne trouvera pas d’emblée les solutions adéquates. Mais on doit, malgré les difficultés et les embûches (qui sont nombreuses) entreprendre cette tâche importante et urgente.
On parviendra à des résultats positifs, si l’on a constamment présent à l’esprit le but à atteindre : intégrer dans la vie culturelle et ,sociale, un nombre toujours croissant de jeunes gens de « bonne volonté », à une époque qui n’est plus celle de Napoléon.
Je suis très vieux, si vieux que j’ignore mon âge.
C’est dans la nuit des temps que, nouvel apparu,
Moi, le maître à venir de ce monde inconnu,
J’en ai foulé le sol à mon premier passage.Je crois me souvenir d’avoir jadis vécu
Comme une bête, errant, furtif, à l’aventure,
Et n’ayant pour abri que la caverne obscure
Où la peur me terrait tant j’étais faible et nu.Les grands fauves rôdaient autour de ma tanière ;
Mes semblables aussi. Pour eux comme pour moi,
Le meurtre et le carnage étant l’unique loi,
J’ai taillé le silex et j’ai poli la pierre.Je me revois forgeant mes instruments de mort
Cependant que la faim me tenaillait le ventre.
La disette régnait ; j’avais froid dans mon antre.
Disparaître, ou tuer ! J’ai tué sans remords.J’ai dérobé le feu du ciel un soir d’orage.
Je m’en suis fait une arme et, par les soirs d’hiver,
J’ai connu la douceur d’y réchauffer ma chair
Et de dormir en paix sur mon lit de feuillage.J’ai mené, nuit et jour un éternel combat
Et, pêcheur ou chasseur, parcouru la natureAfin d’en arracher la grossière pâture
Que je devais, plus tard, tirer d’un sol ingrat.J’ai longtemps retourné ce sol de mes mains nues
Avant d’y déposer au hasard des sillons
La semence et le grain des futures moissons
Dont, à chaque printemps, je guettais la venue.Et j’ai vu dans la plaine onduler l’or des blés
Dont mes filles liaient en chantant les javelles,
Croyant avoir vaincu pour des ères nouvelles,
La disette et la faim des siècles écoulés.Mais au cours des saisons renaissait la famine
Et j’ai dû, pour survivre et tromper le destin,
Par la force, voler à d’autres leur butin
Ou défendre contre eux le fruit de mes rapines.Et, comme ils convoitaient ma maison et le champ
Que j’avais labouré, j’ai, sur la terre entière,
Découpé tour à tour d’incertaines frontières
Que, pour les redresser, j’arrose de mon sang.Il m’a fallu trouver des armes à ma taille
Et, délaissant mon arc, ma hache et mon épieu,
J’ai fabriqué la poudre et mes armes à feu
Ont répandu la mort sur mes champs de bataille.Or, voici que je tremble au seuil de l’avenir,
Car j’ai marché de découverte en découverte
Et crains d’avoir forgé l’instrument de ma perte,
Le monstrueux engin dont n’ose se servirCelui qu’un frêle esquif a porté sur les ondes
Avant que ses vaisseaux ne sillonnent les mers
Et que ses avions n’explorent l’univers
Et ne fouillent le ciel en quête d’autres mondes.J’ai couvert celui-ci de temples, de palais
Et de vastes cités aux multiples usines
Dont mes chevaux-vapeur font tourner les machines
Oui travaillent pour moi sous l’oeil de mes valets.J’ai su rendre une terre aride plus féconde,
Et, pour me diriger dans la nuit, j’ai voulu
Que la lumière soit, et la lumière fut,
Flambeau dont la clarté comme un soleil m’inonde.De victoire cri victoire, inlassable chercheur,
Je me suis libéré d’innombrables entraves,
Mais, de mes passions, je suis toujours l’esclave,
Et, riche de savoir, je ne suis pas meilleur.Partisan de la paix, je fais toujours la guerre ;
La discorde et la haine accompagnent mes pas ;
J’invoque la justice et je ne la rends pas,
Et, le crime accompli, j’en accuse mon frère.D’un principe suprême ignorant les desseins,
J’ai conçu tous les dieux qu’ont adorés les hommes,
Des dieux qui n’ont pitié de ce peu que nous sommes,
Mais qui tous ont connu leurs martyrs et leurs saints.Ai-je entendu leurs voix et compris le message
Pour lequel ils avaient accepté de mourir,
Le message d’amour, de foi en l’avenir
Dont leurs chemins de croix m’ont transmis l’héritage ?Au déclin de mes jours je m’interroge encore
Depuis que, sans rival, je règne sur la terre,
N’ai-je fait qu’élargir les bornes du mystère
Oui me condamne à vivre et me voue à la mort ?Ma soif de découvrir demeure inassouvie.
Penché sur mon destin je scrute éperdument
L’infiniment petit et l’infiniment grand
Sans pouvoir y trouver le secret de la vie.N’ai-je donc triomphé de l’espace et du temps
Que pour voir à son tour ma race disparaître
Sans avoir su pourquoi la terre m’a vu naître
Ni quelle est ici-bas la tâche qui m’attend ?A quoi m’auront servi mon art et ma science
S’il faut qu’à mes côtés, me suppliant en vain,
Des femmes, des enfants, meurent toujours de faim
Dans un monde ou, pour moi, j’ai créé l’abondance.Ceux qui me survivront bâtiront-ils jamais
Celui dont j’ai rêvé, le monde sans frontières
Où mes fils uniront leurs efforts séculaires
Pour qu’y règnent l’Amour, la Justice et la Paix.
Alfred Sauvy part en guerre contre l’abondancisme... bien que les événements donnent de plus en plus raison à l’école économique fondée par Jacques Duboin ! Nous allons utiliser les flèches ébréchées et les pétards mouillés de notre illustre adversaire pour étaler au grand jour l’incroyable ignorance, la déficience mentale et la faiblesse d’imagination des défenseurs du profit, ennemis jurés d’une économie humaine et, par conséquent, ennemis de l’homme. Voici le premier coup de tromblon de notre héros, embusqué dans les colonnes de « La Dépêche du Midi » du 3 juillet dernier :
Richement nourri de fausses idées sur l’abondance, le Fiançais, même cultivé, ignore les faits économiques tout autant que les mécanismes élémentaires. Nombreux sont ceux qui considèrent les exportations comme un moyen d’écouler au dehors des excédents encombrants.
Abondancistes, mes amis, nous sommes des ignorants, et nous allons voir ci-dessous comment l’analyse nous conduit à une idée fausse :
Les producteurs de noix, par exemple, exportent une partie de leur production pour en tirer un profit. Si la vente au dehors ne leur procurait pas de profit, il est certain qu’ils cesseraient d’exporter. Les producteurs n’ont donc qu’un seul but en exportant leurs produits : leur profit. Cependant, l’exportation de noix ne prive pas les Français d’un seul de ces fruits oléagineux, il n’y a pas pénurie, nos compatriotes mangent toutes les noix qu’ils désirent, à condition, bien entendu, qu’ils aient l’argent nécessaire pour se les procurer. Le marché français est suffisamment approvisionné de noix pour satisfaire tous les besoins solvables habituels. Toutes celles qui sont exportées peuvent donc être considérées comme « excédentaires ». Si cet excédent était mis sur le marché intérieur au lieu d’être exporté, il y aurait excès de l’offre sur la demande et les prix baisseraient. Il pourrait même arriver aux noix la même aventure qu’en ce moment aux tomates, aux abricots, aux pêches, etc., l’effondrement des cours, c’est-à-dire un prix de vente égal ou inférieur au prix de revient et plus de profit. Il faut donc réduire la production et, en attendant, détruire les « excédents » pour faire remonter les cours, ou mieux, les écouler au dehors, si possible, avec profit. Ce qui est vrai pour les noix est également vrai pour toutes les marchandises. Conclusion : les exportations sont un moyen d’écouler au dehors les « excédents », qui sont encombrants en ce sens qu’ils exercent une pression sur les prix, dans le sens de la baisse, ce qui amenuise le profit. Tel est un premier but des exportations : assurer des profits aux producteurs en élargissant les marchés, c’est-à-dire en écoulant au dehors ce qui ne s’écoulerait pas au dedans.
Si cette conclusion est bien l’expression de la réalité, que faut-il penser d’un docteur ès-sciences économiques qui qualifie d’idée fausse un mécanisme économique aussi élémentaire ?
Mais les exportations ont un deuxième but, bien connu des abondancistes. M. Sauvy l’expose dans les termes reproduits ci-dessous, après avoir rappelé que la France importe du coton, de la laine, de l’huile, du café, de l’essence, du cuivre, du jute, du plomb, du zinc, du bois, des demi-produits, des machines, etc. :
L’arrêt ou même le ralentissement de ces importations signifierait l’asphyxie économique, un effondrement sans précédent, avec répercussions sanitaires graves, sans parler des troubles politiques. (...) Pour importer tout ce nécessaire, il faut exporter, car en économie, on n’a rien pour rien. Si la France n’exportait plus ou exportait moins de produits chimiques, de voitures, de journées d’hôte !, etc. toute la vie du pays serait en cause, notre économie s’arrêterait comme un puissant moteur privé d’essence.
Le rôle d’un économiste digne de ce nom serait précisément de rechercher la cause première de l’arrêt ou du ralentissement des importations, afin de supprimer cette cause et ses funestes effets. Puisqu’il y a carence stupéfiante de la part des économistes distingués, les abondancistes se sont livrés à cette recherche, et nous allons l’exposer une fois de plus. ` Constatons auparavant que de nombreux pays sous - développés d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie, qui n’ont rien ou peu de chose à exporter, ne peuvent pas, de ce fait, importer ce qui est nécessaire à leur vie et à leur développement économique. Ils sont donc actuellement condamnés à un état d’asphyxie économique, d’effondrement social, de mauvais état sanitaire, de troubles politiques, de misère, de famine, d’émeute - et aussi de guerre civile, de sécession ou de diversion, comme c’est le cas partout dans le monde.
Quant aux pays bien équipés, la plupart, sinon tous, sont obligés d’exporter des produits manufacturés et agricoles pour pouvoir importer des matières premières et autres marchandises. Ils se livrent donc une concurrence acharnée pour la conquête ou la conservation des débouchés, et d’autant plus impitoyable que les progrès techniques engendrent de plus en plus d’abondance. Quand un pays bien équipé ne peut plus, par suite de la concurrence internationale, exporter suffisamment pour compenser toutes ses importations, il exporte l’or détenu en réserve par sa banque centrale. Et quand il n’a plus d’or, il importe moins et c’est alors que commence l’asphyxie économique, accompagnée de son terrible cortège de maux sociaux.
Mais les individus et les peuples ne se laissent pas passivement plonger dans la misère. Ils réagissent contre les conditions inhumaines qui leur sont imposées au sein d’un monde opulent. Par exemple, les Noirs américains réagissent par l’émeute et le pillage, les chômeurs allemands s’enrôlèrent en masse dans les troupes d’assaut hitlériennes. Pour éviter l’asphyxie économique de tout un peuple, les gouvernements réagissent par le seul moyen qui leur reste, la conquête de l’espace vital, c’est-à-dire la conquête des matières premières et des débouchés, sous un prétexte quelconque. Ce fut le cas, par exemple, du Japon (Mandchourie en 1934 et Sud-Est Asiatique en 1941), de l’Italie (Ethiopie en 1936), de l’Allemagne (Autriche, Tchécoslovaquie, Pologne en 1939 et 2e guerre mondiale).
Tous ces maux, de l’asphyxie économique à la guerre, provoqués par insuffisance de biens de consommation ou d’équipement, sont d’autant plus affligeants que le monde possède, dans son ensemble, les moyens de satisfaire très largement, et même richement, tous les besoins essentiels de l’univers. Pour se faire une idée des immenses possibilités des moyens de production modernes, rappelons que le déluge d’armements, de fer et de feu créé pour tuer et détruire pendant la deuxième guerre mondiale, équivaut à la construction d’une villa meublée et équipée d’une façon moderne pour chacune des familles du monde entier ; un lit dans un hôpital moderne pour chaque malade ; la nourriture, le vêtement et les distractions au choix de chacun des trois milliards d’humains ; sans compter je ne sais plus combien de barrages, d’usines, d’écoles, d’universités, de centres de recherches, de milliers de kilomètres d’autoroutes, etc... Et depuis la guerre, il s’est écoulé 25 ans pendant lesquels la capacité des moyens de production a plus que triplé ou quadruplé dans les pays bien équipés, puisque, à ma connaissance, elle a doublé en France en 10 ans, de 1955 à 1965...
Mais des marchandises abondantes, susceptibles de mettre un terme aux maux sociaux, sont loin de s’écouler en totalité, car elles doivent être vendues à un prix suffisamment élevé pour assurer un profit. L’abondance est alors jugulée, de diverses manières : en ne produisant que ce qu’on espère vendre ; en limitant la production aux besoins solvables et non aux besoins réels ; par l’inaction de plus d’un demi-million de chômeurs français ; par la nécessité, pour quatre ou cinq millions de nos compatriotes, de se livrer à un travail inutile ou nuisible, par exemple en préparant la guerre ou en inondant notre pays d’alcool ; en détruisant et en laissant se détériorer ou se démoder les « excédents » invendus ; etc.
Et voici notre conclusion :
Quand les marchandises deviennent de plus en plus abondantes, et qu’elles ne peuvent plus être vendues avec profit en totalité jusqu’à satisfaction de tous les besoins réels, le moment est venu dans l’évolution du monde de remplacer le profit par un revenu social.
Malheureusement, nos contemporains agissent à contre- courant et assurent la survie du profit en luttant contre l’abondance. Nos économistes n’avouent jamais la lutte contre l’abondance, tant elle est monstrueuse et criminelle. Un ministre de l’agriculture, diplômé de l’ENA, qui « assainit » les marchés agricoles inflige le supplice de Tantale aux affamés du monde. La main qui arrose des aliments de mazout pour sauver le profit guide la main du garçon qui égorge ou éventre un autre garçon sur tel champ de bataille. Tout défenseur du profit prépare l’assassinat de ses propres enfants. Cela n’est pas de la littérature, mais l’expression imagée et simplifée de la réalité.
L’abondance et le profit sont deux ennemis qui ne peuvent coexister. Messieurs les économistes, vous avez choisi le profit qui empêche l’abondance de se manifester, ce qui maintient ou provoque l’asphyxie économique, la misère et la guerre.
Nous, abondancistes, avons, comme notre nom l’indique, choisi l’abondance et, par voie de conséquence, l’économie distributive, qui permettrait à l’abondance de se manifester et de s’écouler dans le monde. La répartition des richesses ne serait plus entravée par le profit, les échanges internationaux et le don aux pays insuffisamment développés pourrait se faire librement.
- Est-ce une utopie ?
- L’économie distributive est matériellement possible, mais elle est néanmoins une utopie, puisque nos contemporains, trompés par tous les Alfred Sauvy du monde, ne sont pas préparés à la transformation sociale, pourtant nécessaire et urgente, si nous voulons en finir avec le paupérisme et la guerre autrement que par le verbiage stérile et l’action sans efficacité de tous ces faux-bergers.
Pour M. Sauvy, professeur au Collège de France, l’économie distributive n’est pas une nécessité inscrite dans l’évolution du monde par la science et la technique, mais un rêve d’étourdis. Accordons-lui cependant le dernier mot :
Les idées étourdiment répandues à loisir sur l’abondance, la toute-puissance de la machine, l’économie pousse- bouton ont créé, chez les jeunes notamment, peu au courant des rouages profonds, des rêves sereins, des facilismes déconcertants auxquels les événements de mai sont loin d’être étrangers (sic).
Que pense le lecteur de la réforme qui se mijote dans le monde agricole ? Un certain nombre de modestes agriculteurs vivraient désormais de la pension que leur ferait l’Etat, ce qui leur permettrait de vivre sans travailler pour d’autres que leur famille. Si cela ne s’appelle pas un « revenu social », ce lui ressemble tout de même comme un frère.
L’Etat n’y met qu’une condition : ils n’apporteront rien à vendre sur les marchés. Mais cela va sans dire...
Il n’empêche que l’Economie Distributive s’installe par la force des choses. Et alors qu’on ne cesse de la traiter d’utopie. Nos camarades devraient redoubler d’efforts afin de précipiter les réformes. C’est le seul moyen d’éviter les désordres qui s’annoncent.
La fusion ( ?) Fiat-Citroën n’aura pas lieu, le gouvernement français s’y oppose. Mais n’est-il pas en contradiction avec le Marché Commun auquel la France a adhéré ? Les clauses de ce traité permettent aux entreprises de fusionner pourvu qu’elles appartiennent aux nations qui ont décidé de ne former qu’un marché unique.
L’avion Concorde est en panne du moins quant à sa construction. - Pourquoi ? - Parce qu’on vient d’apprendre qu’il coûterait beaucoup plus cher que prévu. - Avait-on commis des erreurs dans les devis ? - Aucune ; mais on n’avait pas tenu compte de tout ce qu’on perdrait pendant qu’on y travaillerait. C’est un ordinateur qui vient d’en chiffrer la somme.
Conclusion : tout ministre qui passe des commandes à l’industrie, devra attacher un ordinateur à son cabinet. Mais quelle dépense !
Monsieur Zamansky, doyen de la Faculté des Sciences de Paris, aime les images qui précisent la pensée. Les contestations de ses étudiants lui ont inspiré celle-ci : « Un grand magasin n’est pas géré par ses clients. » A quoi on lui a répondu : « Si le grand magasin ne donne pas satisfaction à ses clients, il fait faillite. »
On a lu, dans l’article de notre ami Dieudonné, que M. Alfred Sauvy du Collège de France, avait accusé les « abondancistes » d’être en partie responsables des désordres de niai et juin au quartier latin ! Il l’a affirmé dans un quotidien du Sud-Ouest. Mais pourquoi minimiser leur action ? Les « abondancistes » ont fomenté la révolte des étudiants aux Etats-Unis, en Allemagne, en Hollande, et dans toute l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud. Si les désordres de Mexico, qui firent déjà une vingtaine de victimes, ont été interrompus, que M. Alfred Sauvy sache qu’ils vont reprendre dès la fin des Jeux Olympiques. Des « abondancistes » sont déjà en route avec des bidons d’huile à jeter sur le feu dès qu’il sera rallumé.
La Côte d’Azur a la réputation de ne compter que des gens fortunés. C’est quelque peu exagéré si nous en croyons une publication locale dont nous extrayons ces lignes :
« Réalités Niçoises » l’avait annoncé dans son numéro de décembre 1967 « stylo en goguette et dossiers sous le bras, les agents de poursuite du Trésor sont débordés... Ils procèdent quotidiennement à de nombreuses saisies. Le contribuable pressuré, écrivions nous, n’arrive plus à faire face, et il est menacé de voir ses meubles vendus aux enchères.
C’est désormais chose faite dans la plupart des cas. Le commissaire priseur de la Salle des Ventes, rue Pertinax, est lui-même dépassé. Fichtre, depuis mai, les événements vont vite et sont souvent dépassés.
Les ordres venant des perceptions sont formels : « Exécutez ! » Et les’ entrepôts sont déjà pleins de chers souvenirs accumulés tout au long d’une vie de labeur. Même les chômeurs n’échappent pas à la règle et ne sont en aucun cas épargnés.
Tant pis si la vente d’un vieux fauteuil suffit à peine à couvrir en contrepartie l’achat d’un seul plat de petits fours offert à l’Elysée à quelque potentat africain... puisque tout va très bien ! »
A Paris, un de nos amis, avocat à la Cour d’Appel, nous dit que les huissiers sont inabordables tant ils sont encombrés. Est-ce vraiment signe de reprise (sans jeu de mots) ?
Au sujet de l’affaire de Tchécoslovaquie, André Ulmann, dans « La Tribune des Nations » (4-10-68) demande si l’Allemagne Fédérale, à la veille des événements de Prague, avait donné quelques-uns de ces gages politiques, qu’un accord de la Société des Nations avait exigé d’elle ? « Entrainée, ajoute- t-il, par la fatalité de sa puissance économique et financière retrouvée, ne croyait elle pas déjà qu’il lui suffirait de proposer aux pays de l’Est son « aide », et partant d’accepter son influence reconquise ? C’est peut-être la faute majeure qu’elle a commise et le plus grave péché contre la paix et la détente en Europe qu’elle pouvait commettre. »
Le grand journaliste Walter Lippmann a fait connaître ses prévisions concernant l’élection présidentielle qui aura lieu le mois prochain aux Etats-Unis. Nixon lui semble le meilleur candidat, non pas en raison de sa valeur et de son programme, mais parce qu’il est normal que les Républicains succèdent aux Démocrates que leurs fautes excluent du pouvoir. Mais Nixon ne règlera rien au cours des quatre années du mandat présidentiel. Il faudrait un homme du calibre de l’ancien président Adams, mais aucun n’est en vue.
Nixon aura-t-il le courage d’en finir avec l’impossible guerre du Vietnam ? Ce devrait être son premier geste. Il lui resterait à en faire autant de la guerre avec les Noirs laquelle risque de paralyser toute l’économie des Etats-Unis.
Son adversaire démocrate, Humphrey, est le vice-président sortant. Visiblement de faucon il cherche à se transformer en colombe. C’est une « mutation » un peu délicate. Tel est le résumé du grand article que Walter Lippmann a fait paraître, dans Newsweek.