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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 651 - septembre 1968

 

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N° 651 - septembre 1968

Une cure d’austérité est-elle vraiment nécessaire ?   (Afficher article seul)

Une structure nouvelle à créer d’urgence : l’allocation complémentaire des salaires   (Afficher article seul)

Et maintenant ?   (Afficher article seul)

Vive les étudiants, ma mère...   (Afficher article seul)

Si vis pacem   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

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Une cure d’austérité est-elle vraiment nécessaire ?

par J. DUBOIN
septembre 1968

Sans aucun doute, répondent nos « experts », et avec eux nos grands quotidiens. En présentant son projet de budget, notre ministre des Finances a précisé que la France y était contrainte. Mais qu’est-ce au juste que cette austérité ? Elle ne concerne jamais les gens très riches, mais tous les autres sont obligés de restreindre leur train de vie : ils doivent vivre d’une manière rigoureuse Ainsi nous avons connu l’austérité pendant les années d’occupation ; on avait même créé des tickets pour réduire les achats. En serions-nous là ?

Justement « Le Parisien Libéré », dans son numéro du 25 juillet, en première page, nous prouve le contraire. Sous le titre « La France regorge de tout ! », il ne parle même plus de l’abondance, mais de notre surabondance ! Notre production agricole bat tous les records : 143 millions de quintaux de blé, contre 127 l’année dernière ; 8,9 millions de quintaux de pommes de terre, contre 7,1 millions ; 576 millions de tonnes de pêches, contre 417 ; plus de beurre, plus de lait que jamais. Quant au vin, 1962 avait été « l’année du siècle ». 1968 sera encore meilleure !

Et le « Parisien Libéré » ajoute : on détruit les récoltes faute de pouvoir les écouler ! Nos lecteurs savent que cette opération porte le nom d’assainissement des marchés : qu’il sache eue ce soutien des marchés coûte aujourd’hui au contribuable, dix fois plus qu’il y a dix ans ! (« Le Figaro », 21-8-68).

En somme, nous finissons par considérer l’austérité comme une fin en soi. Ce serait une vertu qui, si nous parvenions à la pratiquer assez longtemps, nous permettrait de vivre comme un chameau de sa bosse. Pourquoi ses partisans nie vont- ils pas s’enfermer dans un monastère ?

Enfin, mais ne le répétez pas, si l’écoulement de nos récoltes ’est devenu si difficile, comment supposer que l’austérité le rendra plus facile ? Il faudrait que M. Couve de Murville voulut bien nous le dire.

Mais 1968 n’est qu’un accident, dit l’idiot du village. Erreur ! L’honorable sénateur Blondelle, agriculteur éminent, vient d’écrire, avec une larme dans son stylo, que la surproduction agricole était maintenant chronique. N’est-ce pas l’abomination de la désolation !

Cette aberration s’explique : on n’a pas encore pris conscience d’un événement unique dans l’Histoire : dans les pays hautement industrialisés, la production et le chômage augmentent simultanément. Ce qui nous oblige de transformer notre régime économique et social, car si les progrès scientifiques permettent de résoudre le problème de la production, ces mêmes progrès posent un problème nouveau : celui de la consommation.

Que production et chômage augmentent simultanément en France le général de Gaulle l’a formellement reconnu dans une conférence de presse : « Depuis la fin de la guerre, notre industrie produit trois fois plus ». A-t-elle exigé trois fois plus de travailleurs ? Au contraire, notre chômage ne cesse de grandir. « Notre agriculture produit presque deux fois davantage, avec moins de bras ». N’est-il alors pas évident que nos usines se vident et que nos campagnes se dépeuplent ?

C’est ce qui a permis à M. André Malraux, dans son discours du 9 novembre 1967 à l’Assemblée nationale, de déclarer : « Notre civilisation implique la rupture avec le passé la plus brutale que le monde ait jamais connue. Il y a déjà eu de grandes ruptures et en particulier la chute de Rome. Mais jamais elles ne se sont produites en une seule génération. Nous sommes, nous, la génération qui aura vu le monde se transformer au cours d’une vie humaine ». N’est-ce pas suffisamment clair ?

Mais voici qu’un adversaire déclaré de nos vaillants camarades belges, finit par entrer dans la voie des aveux. Il s’agit de M. le Professeur Fernand Baudhuin, une des lumière de l’Université de Louvain. Il vient d’écrire un article dans « La Libre Belgique », intitulé « Le chômage dans la Prospérité », avec en sous-titre : « Une énigme aux Etats-Unis et en Angleterre ». Pour ce brave homme, l’énigme est l’apparition du chômage dans deux grandes nations. En sa qualité d’économiste de réputation mondiale, il hasarde une hypothèse « L’explication la plus courante mais aussi la plus décevante (sic) est que ceci traduit l’augmentation de la productivité et constitue en somme la rançon (resic) des progrès récemment accomplis en ce domaine. »

Et sa conclusion ? Il ne change évidemment rien au désordre existant, mais il prédit que nous allons vivre de nombreuses années de « récessions » (crises économiques en langue belge vulgaire).

***

Nos camarades ont raison de se réjouir. Ce fut long, j’en conviens, mais c’est que la vérité chemine très lentement. Comme elle possède un caractère mystérieux, elle se heurte à deux scepticismes systématiques. Le premier est celui du grand public : « On n’a jamais vu ça ! ». Le second est celui des « spécialistes » appelés encore « experts ». La nouveauté les désoblige, car ils n’admettent pas qu’un intrus leur révèle quelque chose. S’ils sont enseignants, leurs cours sont ronéotypés, peut-être imprimés dans un gros livre. Entre ces deux monstres, la pauvre petite vérité doit se frayer un chemin...

Toutes proportions gardées, rappelez-vous l’hostilité farouche à laquelle Pasteur se heurta pendant des années. Et, plus près de nous, cet humble professeur du lycée de Brest, M. Raulin, à qui son proviseur, par souci d’économie, reprochait de brûler inutilement, du gaz dans une étuve pour élever un champignon microscopique ! Or, le dit champignon devait donner naissance à la pénicilline. Et Faraday ?

Récemment, l’intéressante revue « Granit », paraissant à Duroux-en-Morvan près Montsauche, publiait l’extrait d’un rapport à l’U.N.E.S.C.O. où on lisait : « L’opinion publique évolue avec lenteur. Des études à ce sujet ont montré qu’un pourcentage important (40 %) des personnes interrogées, n’ont pas changé d’opinion pendant une période de vingt ans, même dans des circonstances très favorables à une évolution des idées. Dans d’autres cas encore, les changements d’opinion étaient à peine perceptibles. Cette apathie explique le décalage, chaque jour plus profond, entre les progrès techniques particulièrement rapides depuis les années 30 d’une part, et d’autre part la société, résultante d’opinions publiques retardataires. »

Ces lignes, mes chers camarades, sont à mettre sous les yeux des aimables plaisantins, qui, froidement, prétendent que, depuis 35 ans, le M.F.A. n’a rien fait...

P.S. A la demande de nouveaux camarades, je rappellerai très prochainement la manière dont se « fabriquent » les crédits.

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Une structure nouvelle à créer d’urgence : l’allocation complémentaire des salaires

par M. DIEUDONNÉ
septembre 1968

L’expérience montre que toute augmentation de salaires est toujours suivie d’une augmentation de prix. Tout le monde en connaît la raison : les salaires et leur augmentation entrent dans la composition des prix, ce qui rend illusoire toute augmentation générale des salaires.

Il n’en serait plus ainsi si l’augmentation des salaires était remplacée par l’attribution d’une allocation complémentaire des salaires. Cette dernière serait versée par l’Etat aux intéressés et, par conséquent, n’entrerait pas dans la composition des prix. L’augmentation du pouvoir d’achat des salariés serait effective.

- D’accord, mais où trouver l’argent nécessaire au financement de cette opération ?

- C’est ce que nous allons rechercher. Pour commencer, rappelons que si nous acceptons de l’argent en échange de notre travail, c’est parce que nous savons que nous pourrons l’échanger contre des marchandises et des services. S’il n’y avait plus de marchandises en vente, la monnaie ne serait plus que des morceaux de papier sans aucune utilité. Les marchandises mises en vente constituent donc une garantie de la monnaie - elles sont même sa seule garantie [1]. La monnaie n’est pas autre chose que la contre-partie des marchandises mises en vente.

Rappelons aussi que le problème économique essentiel n’est plus désormais de produire, mais de vendre. C’est pour vendre plus que toutes les firmes font tant de publicité. C’est pour vendre plus que les commerçants consentent des rabais aux acheteurs hésitants et qu’ils organisent des quinzaines commerciales, des braderies, des soldes, des foires- expositions, etc. Bref, l’énorme production moderne s’écoule difficilement. Au fur et à mesure du développement des progrès techniques, de l’abondance et dé l’automatisme, vendre devient de plus en plus difficile. Tous les magasins de détail, de demi-gros et de gros regorgent de marchandises et il suffirait d’une simple commande téléphonique pour en doubler, tripler ou décupler le stock. Notre appareil productif ne tourne qu’à 80 % de sa capacité, car on ne produit que ce que l’on espère vendre, et non tout ce que l’on pourrait produire si les ventes étaient suffisantes.

Rappelons enfin que si toutes les marchandises ne se vendent pas, ce n’est pas parce que tous les besoins sont satisfaits - nous en sommes loin, hélas !... - mais parce que des multitudes humaines n’ont pas assez d’argent pour se les procurer. N’est-ce pas insensé que la société ne puisse consommer tout ce qu’elle peut produire faute de bouts de papier coloriés ?

En conséquence des faits rappelés ci-dessus, une allocation complémentaire des salaires serait financée par, l’augmentation du volume monétaire [2] dont la contre-partie en marchandises est d’ores et déjà assurée par les stocks existant dans tous les magasins et surtout par l’ensemble des moyens de production, d’une capacité fantastique... et toujours accrue !...

Cette augmentation effective du pouvoir d’achat des salariés entraînerait une augmentation des ventes. Or, à notre époque de production abondante croissante, plus les commerçants vendent, plus ils passent de commandes à leurs fournisseurs. En d’autres termes, l’augmentation de la consommation provoque l’augmentation de la production et de la capacité des moyens de production... ce qui permettrait une nouvelle augmentation du volume monétaire [3] à distribuer aux salariés, aux retraités, aux vieillards, aux étudiants, aux chômeurs, etc sous forme d’augmentation d’allocations et indemnités diverses accordées par l’Etat.

Au rythme vertigineux de l’accélération donnée actuellement au progrès technique et à la production de plus en plus mécanique et automatique, l’augmentation conséquente du volume de ces allocations et indemnités nous conduirait rapidement, dans l’ordre, la prospérité et la concorde sociale, vers une économie humaine adaptée au progrès technique, c’est-à-dire vers une économie distributive dans laquelle tous les individus recevraient un revenu social de leur naissance à leur mort.

L’heure du choix décisif ne peut plus être différée, ou d’illusoires augmentations de salaires dans le développement de la confusion sociale et de la violence, ou l’augmentation effective du pouvoir d’achat, grâce à l’allocation complémentaire des salaires et des revenus insuffisants, dans le progrès social, l’ordre et la paix.

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[1] Contrairement à une croyance très largement répandue, le stock d’or actuellement détenu par la Banque de France ne sert pas du tout de garantie à notre monnaie. En effet, il a afflué dans les caves de l’Institut d’émission grâce à l’excédent de notre balance des paiements internationaux au cours des dernières années. Il va maintenant reprendre le chemin de l’étranger pour combler le déficit de notre balance !...

[2] Le développement de l’économie impose à la société d’augmenter continuellement le volume de la monnaie. D’après le Bulletins Mensuels de la Statistique, édités par l’INSEE, le volume monétaire était de 6.585 milliards d’anciens francs en décembre 1956 et de 19.953 milliards en décembre 1967, soit une augmentation du volume monétaire de 13.368 milliards en 11 ans !... Ci-dessous la quantité de monnaie nouvelle émise au cours de chacune des années de cette période :

1957 :567milliards d’AF
1958 :459"
1959 :866"
1960 :1.245"
1961 :1.341"
1962 :2.007"
1963 :1.906"
1964 :1.216"
1965 :1.490"
1966 :1.390"
1967 :881"
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Total :13.368"

L’augmentation du volume monétaire n’entraîne pas d’augmentation des prix tant qu’il y a suffisamment de marchandises à vendre en contrepartie. II y a augmentation de prix et inflation dans le cas contraire... ce qui est loin d’être actuellement le cas avec les gigantesques possibilités de production moderne, toujours accrues avec l’accélération des progrès techniques !... Si les prix continuent à augmenter, c’est en conséquence de l’augmentation des éléments entrant clans la composition des prix : augmentation des impôts (de la TVA par exemple), des charges, du volume des intérêts de dettes, des salaires, du prix des matières à transformer, du prix des matières premières et des marchandises importées, par suite d’une dévaluation monétaire, etc.

[3] Cette incessante augmentation du volume monétaire derme le vertige à certains, mais elle n’est pourtant que l’indispensable contre-partie de l’augmentation continue de la capacité de production. C’est ce que ne veulent pas comprendre les hallucinés de l’inflation, économistes distingués, (« experts » financiers, diplômés de l’ENA, inspecteurs des finances et autres professeurs d’économie politique. Ces retardataires dangereux raisonnent comme leurs maîtres de l’époque de la machine à vapeur, alors que nous traversons en trombe l’ère de l’automation ! Au terme de la mise en oeuvre des forces productives mécaniques (agriculture) et automatiques (industrie), se trouvera l’apothéose humaniste au sein d’une économie distributive - ou bien l’apocalypse dans le chaos, annoncée dans notre pays par le premier coup de semonce relativement bénin de mai-juin, encore en cours au moment où ces lignes sont écrites (18 juin). Les événements sociaux évoluent rapidement, au rythme du progrès technique. Peut-être est-il déjà trop tard pour parvenir à l’économie distributive par le chemin d’une allocation complémentaire des salaires et des revenus insuffisants ? C’est tout de suite qu’il faudrait réaliser l’économie distributive dans le pays modernement équipés... si nos contemporains syndicalistes et politiciens, économistes et ministres n’avaient pas l’esprit en retard sur la réalité économique en marche accélérée...

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Et maintenant ?

par P. MONTREUX
septembre 1968

L’OCDE a publié au printemps de cette année certains chiffres correspondants au produit national brut, c’est-à-dire la valeur de la production brute du pays calculée au prix du marché, obtenue dans l’année et exprimée en termes monétaires, ainsi que le produit national brut par tête, pour la période allant de 1960 à 1966.

Nous voyons que pour l’ensemble de notre pays, les chiffres exprimés en millions de dollars, sont les suivants : 60,40 en 1960 et 101,88 en 1966.

Ainsi, pour chaque Français, le produit national brut est passé de 1.320 à 2.060 dollars pendant la même période, soit une augmentation de 740 dollars par tête ou encore 56,06 %. En nouveaux francs, cela donne environ 6.600 NF à 10.300 NF, donc une augmentation de 3.700 NF par an et par tête.

En 7 années, le coefficient d’augmentation de la production a été multiplié par 1,56.

Ceci dit, il serait utile de connaître le coefficient d’utilisation totale de nos moyens de production, étant donné que les différentes entreprises ne fonctionnent pas à plein rendement.

Si nous voulons, tout de suite, augmenter le volume des biens consommables et des services à répartir entre tous, une première mesure consisterait à demander aux chefs d’entreprise de pousser la production au maximum, compte tenu du degré actuel de modernisation de l’équipement.

Par la suite, avec de nouvelles machines toujours plus perfectionnées et des procédés de fabrication améliorés de jour en jour par les soins des techniciens, nous pourrions produire « en avalanche » tout cc qui serait susceptible d’améliorer notre sort. Ce qui a été possible pendant la guerre pour la production d’armements (d’après Churchill), doit l’être encore plus facilement en temps de paix.

L’entreprise France, sous la direction du chef de l’Etat, devrait être à même de nous faire connaître d’année en année, le montant de la production annuelle globale. Et au lieu d’attendre passivement que les travailleurs se mettent en grève pour obtenir une augmentation de salaires, il serait beaucoup plus logique de procéder à un rajustement annuel des salaires.

D’autre part, on nous parle toujours de plein emploi comme d’une chose qui va de soi. Or, les travailleurs en chômage n’arrivent pas à trouver un nouvel emploi leur permettant de participer à une production accrue.

Le ministère de l’Economie Nationale devrait donc être en mesure de signaler immédiatement aux chômeurs à quelles entreprises ils pourraient s’adresser pour obtenir un emploi. Dans le cas contraire, il serait urgent d’utiliser les services de la Statistique de la France pour établir le recensement des entreprises en activité, ainsi que celui des emplois vacants.

Par le suite, la production battant son plein, le bilan annuel de l’entreprise France nous permettrait d’opérer le rajustement annuel des salaires sans aucune difficulté.

Naturellement, de ce bilan, il conviendrait de retrancher les frais généraux de la Nation et le solde serait affecté au paiement des salaires, appointements, bénéfices, etc...

Ce ne serait donc plus qu’une simple opération de comptabilité, grandement facilitée par l’utilisation des nouvelles machines électroniques que l’on emploie couramment dans toutes les grandes administrations. On obtiendrait simultanément le coefficient d’augmentation de la production qui serait appliqué automatiquement à la fin de chaque exercice.

La tâche du gouvernement serait bien simplifiée et il deviendrait inutile de songer à une « participation » des travailleurs, celle-ci ne pouvant qu’aboutir à retrancher sur les bénéfices pour augmenter les salaires. D’ailleurs, de nombreuses entreprises se plaignent de ne pouvoir obtenir des bénéfices suffisants pour conserver une rentabilité convenable.

Il est clair, dans le cas où nos services économiques sont certains d’être dans la bonne voie, que seule, une augmentation massive de la production permettra une augmentation massive des salaires.

D’ailleurs, le général de Gaulle a déclaré à Lyon, il y a cinq ans : « Chacun comprend, en effet, que pour marcher vers la prospérité, notre économie, nos finances, notre monnaie doivent être maintenues en équilibre, que nos moyens de paiement doivent être calculés, nos rémunérations adaptées, nos prix fixés, nos dépenses publiques limitées, non par des désirs ou au gré des uns et des autres, mais en ordre, et d’après l’avance réelle de notre économie. Autrement dit, que le niveau de vie de tous et la dimension de ce qu’entreprend l’Etat doivent être en proportion de la productivité nationale. Faute de quoi, toute l’activité industrielle, la transformation agricole, l’organisation commerciale, la construction des logements, des écoles, des hôpitaux, des centrales, des routes, la modernisation de l’armée, la sécurité sociale et familiale, les conditions d’existence des Français, tout, oui tout, s’en irait se noyer dans l’inflation. »

« Chacun comprend qu’aux temps modernes, c’est aux pouvoirs publics qu’il appartient d’agir sur le volant, sur l’accélérateur et les freins, pour que la voiture ne dévie ou ne s’arrête, ni ne s’emballe, mais qu’elle marche normalement sur la route. »

Depuis cette date, les travailleurs ont pensé que tout irait bien, mais petit à petit, ils se sont rendus compte que les conditions de vie s’aggravaient au lieu de s’améliorer et cinq ans après les promesses du général de Gaulle, ils se sont rebellés, puisque les pouvoirs publics ne faisaient pas leur devoir, alors que la production avait augmenté de 56 % en sept années.

Quand on a l’honneur d’être à la tête du peuple français, il ne faut pas s’endormir, mais au contraire veiller sans cesse au bon fonctionnement de l’économie. Or, nous avons l’impression que nos dirigeants ont pris pour baromètre, non pas l’opinion publique tout entière, mais seulement celle de certains dirigeants de nos entreprises.

Voilà tout le mystère de l’explosion du mois de mai dernier, mais il ne faut pas en rejeter la faute sur les travailleurs qui sont, dans leur ensemble, courageux et disciplinés, et ne demandent qu’à contribuer dans la mesure de leurs moyens, à la prospérité du pays.

Ils seraient enchantés de voir leurs efforts récompensés, mais si nous continuons à nous heurter à des impossibilités (alors que nous savons tous qu’impossible n’est pas français), ils pourraient en déduire que l’organisation économique et sociale actuelle n’est plus à l’échelle d’un monde bouleversé par la science et la technique et qu’il convient d’en changer sans plus tarder.

La dernière guerre nous a prouvé qu’il existe des moyens puissants pour franchir le Rubicon.

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Vive les étudiants, ma mère...

par É. REYBAUD
septembre 1968

On croyait qu’à notre époque, en France, il n’y avait plus de révolutionnaires. Cela s’expliquait parce que le moindre prolétaire voit, tout de même, son niveau de vie monter. Il n’y a, pour s’en rendre compte, qu’à comparer les situations, à qualifications égales, entre un ouvrier de jadis et un d’aujourd’hui. Ceux en âge d’être retraités n’avaient pas de retraites ; si peu qu’ils en aient aujourd’hui, il y a progrès. Il n’y avait pas de sécurité sociale ni de congés payés, ni d’allocations familiales, de logements, de chômage, les journées de travail étaient plus longues.

Qu’est ce qui vaut cet accroissement de bien être pour tous ? C’est le progrès qui met à la disposition des hommes d’innombrables forces mécaniques qui créent des richesses dont, plus ou moins, tous bénéficient. Le rôle des syndicats est de pousser à ce que, dans le partage, les humbles aient une part plus grande ; mais, s’il n’y avait pas eu le progrès nous en serions encore au temps où, pour que l’industrie puisse vivre, il était naturel de faire travailler des enfants au-dessous de huit ans.

Ce progrès constant, crée une espérance de mieux être qui fait que plus personne ne se révolte jusqu’à descendre manifester dans la rue. Chacun pense qu’il sera un peu mieux demain. En gros, pour les raisons données ci-dessus, les événements lui donnent raison. Le prolétaire le plus mesquin compte bien, s’il est jeune, qu’il aura bientôt sa motocyclette et qu’il ne tardera pas à réaliser ses rêves d’avoir une petite voiture et les appareils ménagers qu’il envie. Alors il fait preuve de cette patience que Faust maudit, car elle est la cause de la stagnation dans le médiocre.

Et bien les étudiants de Paris ont secoué cela. Ils ont extériorisé le malaise. Ils osent réclamer. Ils ne se résignent plus aux incohérences de notre époque. Car, s’il est vrai qu’il est permis à davantage d’accéder à plus d’instruction, ils voient les défauts qui se précisent, le manque de locaux et surtout de maîtres, l’incertitude où ils se trouveront pour avoir l’emploi auquel ils se croyaient en droit de compter à la fin de leurs études. Ces jeunes, à l’âge du mariage, savent les difficultés qu’ils vont rencontrer pour obtenir le logement nécessaire au foyer qu’ils envisagent de créer.

Les gouvernants ripostent aux remontrances en étalant tout ce qu’ils ont déjà fait qui est loin d’être négligeable ; mais, plus ou moins consciemment, les jeunes constatent que construire des facultés est possible puisque l’on a toutes les nécessités désirées. Les entrepreneurs et leurs salariés ne demandant qu’à travailler et pourraient édifier beaucoup plus de bâtisses. Il en est de même pour tous les métiers, pour tout ce dont on a besoin. Des gens suffisamment instruits pour pouvoir enseigner, abondent ; mais on les laisse en chômage ou occupés à des besognes indignes de leur savoir. La crainte du manque de logement est inconcevable s’il y a, en même temps, des milliers d’appartements inoccupés.

On connait la chanson : ces anomalies ont lieu parce qu’on manque d’argent, de crédits. Or l’argent ce sont des morceaux de papier appelés : billets de banque, quant au crédit, il suffit de quelques gouttes d’encre pour les ouvrir efficacement sur un livre. Alors qu’il y a tout le reste, ce papier et cette encre manquent seuls.

La pléthore de logements vides est assimilable à ce qu’on appelle : surproduction, comme cela a lieu pour tant de produits utiles. Les nations se trouvent dans une impasse pour le Marché commun, non pas parce qu’on est pauvre et qu’on manque de richesses, niais parce qu’il y en a de trop. Du lait, par exemple ; comme du vin, du blé, on ne trouve pas d’autres moyens pour supprimer ces produits que de les détruire. On rejette souvent le poisson à la mer. On brime, on pénalise les productions, ce qui diminue la richesse pour tous. Il y a, parait-il, trop de pommes, alors que tant de familles ne voient jamais de fruits sur leur table. On tâche d’exporter les récoltes à bas prix, et l’on fait payer aux nationaux les différences avec le coût à payer. Comme tous les pays développés sont dans le même cas, compter sur un avantage général par le Marché commun à venir est une pénible illusion.

Ces circonstances absurdes entraînent la gêne et même parfois la misère devant l’Abondance des richesses et, des moyens de les produire. Tout le monde le constate, mais personne ne le signale. Il n’y eut en tout que deux députés, M. Archer en mars 1936 et M. Bergery en janvier 1938 qui, par leur vote, s’élevèrent contre les mesures de destructions. M. H. Bergasse, au temps où il était député des B.-du-R., nous promit d’en faire autant si l’occasion se présentait. Elle ne dut pas arriver à temps. Depuis, à quelque parti qu’il appartint, aucun élu ne s’étonne de ces faits aberrants.

La jeunesse est moins encroûtée que les vieux, dans des habitudes dont ces derniers ne supposent pas qu’on puisse en sortir. Les jeunes de tous les pays comprennent que ça ne tourne pas rond. Ils protestent véhémentement. Ils comprennent confusément que, puisqu’il est impossible de supprimer ces absurdités dans l’Economie qui nous régit, il est normal, obligatoire, sage, de changer d’Economie. Pas en ajoutant quelques millions de plus en faveur de telle branche au détriment de telle autre, aux frais des contribuables, car cela ne transformera rien, que ce soient les Gaullistes ou les F.G.D.S. qui emploient ces emplâtres sur jambe de bois.

L’économie dans laquelle nous sommes enlisés n’a pas de difficultés à produire mais ne peut VENDRE la production. Ce ne sont pas les richesses qui manquent. On pourrait, tout de suite, augmenter considérablement les quantités et la qualité de tout ce dont on a besoin ou désire dans notre pays. Cela pour tous, sans rien enlever à personne. Pour ce résultat il suffit simplement d’instaurer une Economie dans laquelle la Vente et l’Achat soient supprimés. Cette Economie, étudiée dans des écoles depuis plus de quatre-vingts ans et surtout depuis quarante ans dans tous ses détails, s’appelle Economie de Distribution ou ECONOMIE DISTRIBUTIVE.

Comme il est beaucoup plus facile de distribuer que de vendre, elle est incomparablement moins compliquée que l’Economie mercantile qui nous régit. Elle supprime des millions de parasites, ceux qui ne créent ni richesses ni services. Ils pullulent dans notre régime périmé. L’Economie distributive les utilise à des besognes rémunératrices. Elle supprime les fonctionnaires, les intermédiaires en surnombre, tous ceux qui passent leur temps à écrire pour signifier que tel bien appartenant à Pierre, passe à Paul. Ce oui n’intéresse nullement la nation, n’augmente pas le bien commun de la collectivité, dont la richesse totale n’est pas modifiée par ces transactions internes.

De nos jours on ne cherche pas suffisamment à créer des richesses, leur quantité gêne les ventes, on s’efforce de créer du travail. Alors que le chômage montre qu’il n’y en a plus pour tout le monde. Le plein emploi est une inutile utopie, son impossibilité est un heureux phénomène. En Economie rationnelle le manque de travail s’appelle joyeux loisirs et non chômage. Quelle immense distribution de richesses pourrait avoir lieu pour tous, si l’on n’était pas arrêté par la nécessité de vendre.

Sur mille étudiants en révolte il en est certainement moins d’un qui sache ces choses là. Il faudrait le leur apprendre puisqu’ils s’avèrent être le fer de lance du progrès social. Peu de gens connaissent les règles de cette future économie. Elle est inéluctable, parce que l’absurdité du régime où nous restons ne peut durer toujours.

Pour ceux qui ne son` pas capables d’imaginer ce que sera cette future économie, qu’ils sachent que des groupements, de nombreux ouvrages, sont à même de les renseigner, à Paris, comme dans les villes de province. Qu’ils ne comptent pas sur les partis politiques ou même sur les Syndicats pour pousser au changement. Ceux là attendent que la masse les poussent. Or la masse n’est pas « au parfum ».

LE PRESIDENT HONORAIRE DU M.F.A. DU SUD-EST
(Reproduit du « Massalia »)

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Si vis pacem

par G. ALBERT
septembre 1968

Je ne crois pas à la gloire dont nous avons paré les morts tombés pour nous sur nos champs de bataille, à la gloire de ces millions d’innocentes victimes baptisées par les survivants de morts au « champ d’honneur ». Car cette gloire, combien d’entre eux l’avaient volontairement cherchée et surtout désirée ? Nos champs d’honneur ne sont, hélas ! que des champs de carnage où nous avons donné libre cours à nos plus vils instincts. Bien qu’ancien combattant moi-même, je ne me suis jamais associé aux cérémonies officielles où les hommes d’Etat qui les lancèrent dans la guerre célèbrent leurs vertus qui n’eurent d’héroïque que leur passive obéissance à des ordres donnés par d’autres hommes, choisis pourtant par eux pour maintenir la paix. Aussi longtemps qu’à chaque anniversaire de leurs victoires, et parfois même de leurs défaites, nous abaisserons en grande pompe nos drapeaux sur leurs tombes, nos fils croiront, comme nous l’avons cru nous-même, qu’il est de leur devoir de préparer la guerre.

Au train dont se poursuivent, depuis plus d’un demi siècle, nos kermesses du souvenir, le calendrier n’y suffira bientôt plus, Pas un jour ne se passe sans qu’à la radio comme à la télévision on ne célèbre, et plutôt ’trois fois qu’une, matin, midi et soir, leurs plus humbles faits d’armes, sans qu’on ne commémore le centenaire, voire le cinquantenaire de la naissance ou de la mort de quelque illustre général ou maréchal décédé dans son lit, le tout accompagné d’un déploiement de force armée que l’Eglise bénit et d’ostentatoires remises de décorations à des héros futurs ou parfois oubliés au cours de précédentes distributions. C’est une intoxication continue, un perpétuel conditionnement des esprits auquel nul ne saurait échapper, pas plus les enfants que les hommes ou que ces mères à venir des soldats de demain qui défilent, elles aussi, en tenue de majorettes et battant la mesure au pas cadencé, dans les cérémonies de nos moindres villages. Une-deux, une-deux ; sonnez, clairons ; battez, tambours, pour tous ces morts dont pas un n’aura joui de cette gloire qu’ils n’avalent pas voulue et qu’on réserve aujourd’hui à leurs cendres.

Que l’homme ait toujours fait la guerre ; que, pour survivre, il ait toujours tué pour arracher à d’autres leur butin ou défendre contre eux le fruit de ses rapines, ne saurait justifier nos guerres d’à présent où vainqueurs et vaincus s’acharnent à détruire l’abondance créée par leur travail et leurs découvertes, cette abondance, qu’après l’avoir longtemps niée, ils se refusent à partager avec leurs frères.

La guerre n’a jamais eu de sublime que l’inconséquence et l’imbécilité des hommes qui la préparent et qui la font. Ils l’on faite jadis dans le stupide espoir de s’enrichir au préjudice de l’adversaire ; ils la font aujourd’hui avec la certitude de s’appauvrir. Car, devant l’effroyable efficacité de nos armes de guerre, jamais plus une nation vaincue ne sera capable d’acquitter la plus faible partie des dommages réclamés par le vainqueur sur des chiffons de papier, dont les signataires savent d’avance qu’ils n’honoreront pas leurs signatures.

L’article 231 du traité de VERSAILLES proclamait en effet que l’Allemagne étant la seule responsable du déclenchement de la guerre, elle seule avait l’obligation d’en réparer tous les dommages. Or, l’article suivant, l’article 232 !! n’en déclarait pas moins que ses ressources « étaient impuissantes à les couvrir toutes » comme elles seraient aujourd’hui impuissantes à couvrir la centième partie de toutes les destructions de la prochaine.

Les savants hommes d’état de la commission des réparations n’en avaient pourtant pas moins fixé à 132 milliards de marks or l’indemnité à payer par le vaincu ! Je laisse à ceux de nos lecteurs qui sont forts en mathématiques le soin de calculer à combien s’élevait, en anciens francs, cette indemnité qui dépassait, et de beaucoup, le montant des réserves d’or que pouvait encore posséder l’Allemagne après quatre ans de guerre et de destructions. Ce n’est d’ailleurs jamais avec l’or que la guerre se paie, mais avec le sang des morts et la sueur des survivants condamnés au travail, au travail forcé de la reconstruction.

Le traité de Versailles ne fut donc qu’une immense duperie comme le seront les traités à venir, si tant est qu’on se donne dorénavant la peine de les signer.

Mais au fait, en quoi tuer un inconnu sur le champ de bataille diffère-t-il du plus vulgaire des meurtres accomplis dans la rue ? En quoi le génocide perpétré au Vietnam est-il moins ignoble que celui voulu par un Hitler et de quel droit, naturel ou divin, certains de nos élus se permettent-ils de faire de leurs concitoyens des meurtriers qui ne sont même plus assurés comme autrefois depuis le procès de Nuremberg, de n’être pas poursuivis en justice et pendus ?

De la boue des tranchées, ce sont, hélas ! toujours les mêmes appels demeurés sans réponse qui montent vers le ciel : Dieu sauve la FRANCE ! Dieu et mon droit ! Gott mit uns ! Etc, etc. Car pour mieux nous laver du sang de nos victimes, nous savons chargé Dieu lui-même de nos crimes ».

Quand donc nous déciderons-nous à accomplir, sur le plan moral, pour assurer la paix, les progrès accomplis sur le plan matériel pour préparer la guerre ?

C’est parce qu’il était l’un des animaux les plus faibles, mais aussi le plus intelligent, que, de la hache de pierre à la bombe atomique, l’homme s’est fabriqué les armes dont la nature ne l’avait pas doué et qu’il a pris au cours des siècles l’habitude de s’en servir, alors qu’il n’avait plus, comme jadis, à tuer son semblable pour assouvir sa faim. Plus riches de savoir que nos lointains ancêtres, nous avons, dans tous les domaines, marché de découverte en découverte ; nous avons triomphé du froid et des ténèbres de la nuit, triomphé de l’espace et du temps, mais sommes-nous meilleurs ? Nous avons conçu la justice et ne la rendons pas ; alors que l’abondance est à nos portes nous acceptons que les deux tiers de l’humanité meurent toujours de faim et nous continuons de faire la guerre afin que l’inégalité des classes demeure la base d’un système d’économie sociale que dénoncent en vain de trop rares servants de la justice et de la paix.

Nous avons exalté trop longtemps les chantres de la guerre. Souvenons-nous : « Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle » !!

« Heureux ceux qui ont morts dans une juste guerre » !!

Comme si les morts pouvaient encore se souvenir de leurs exploits et s’en glorifier dans la « terre charnelle » où pourrissent leurs corps !

Nous les a-t-on assez serinés, sur les bancs de l’école ces vers de Péguy, pour que, l’heure venue du sacrifice, notre ardeur au combat ne se démente pas, pas plus d’ailleurs que celle de l’homme qui, en 1914, m’ajustait dans la tranchée d’en face, parce qu’on lui avait fait croire comme à moi-même qu’il n’y avait de juste cause que la sienne. Car il fallait, paraît-il, que nous allions tous deux arroser de notre sang, pour les mieux redresser, les incertaines et mouvantes frontières que nous avons tracées dans un monde qui ne connait pourtant d’autres frontières naturelles que les montagnes, quand elles sont infranchissables, et que les océans où nul ne peut planter de bornes.

Ces morts tombés pour nous, tombés à notre place, avaient-ils souhaité l’éclat de leur gloire posthume, et n’est-ce pas plutôt leur pardon que, devant leurs tombeaux, il conviendrait que nous leur demandions ?

Soyons justes ; PEGUY devait trouver la mort à la bataille de la Marne, mort stupide d’ailleurs, et tout aussi stupide que celle de son ami des anciens jours, ce Jaurès qu’il avait voué au poteau comme antipatriote et qui devait tomber sous la balle d’un assassin à la veille même du conflit qu’il ne cessait de dénoncer mais dont l’autre célébrait en vers grandiloquents l’inhumaine splendeur !

Lequel de ces deux hommes a mérité qu’on commémore sa mémoire ? Le chantre fanatique de la guerre ou celui de la paix ? Lequel a mérité que nous, les survivants, nous écoutions encore sa voix qu’aucune sonnerie de clairons, aucun roulement de tambours ne sauraient étouffer ?

Sommes-nous donc tous des assassins ? Combien de temps encore planterons-nous des croix à tous les carrefours de nos chemins publics pour y clouer, sans distinction de race ou de couleur, les apôtres de la non violence ? Du doux Nazaréen à Martin Luther KING, combien, aux quatre coins du globe, en avons-nous tués dont nos Ponce Pilates continuent de se laver les mains ?

La guerre n’est rien d’autre qu’un crime collectif, l’absurde survivance d’un passé de misère où nos ancêtres ont connu la peur de disparaître. Nous ne nous sommes armés, et nous n’avons perfectionné nos armes au point de ne plus même oser nous servir de certaine d’entre elles, que par peur de nos frères, peur aujourd’hui savamment entretenue par les profiteurs d’un régime économique élaboré lui-même dans la peur.

Quand nos yeux s’ouvriront-ils ? Comprendrons-nous jamais que ce n’est pas en cultivant la haine que cette peur engendre qu’on assure la paix et que l’heure est peut-être venue d’instaurer dans le monde la seule économie qui nous permettra de jouir de cette paix sans avoir à préparer la guerre, L’ECONOMIE DISTRIBUTIVE ?

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Au fil des jours

septembre 1968

Pour certains journalistes français, les Etats-Unis sont le pays de la grande prospérité. Leur économie nous est donnée en exemple. En conséquence, à part la, quelques petites difficultés suscitées par les Noirs, la paix règne dans ce pays de Cocagne.

Il faut en rabattre : outre-Atlantique le revolver est roi. On abat froidement les hommes avec lesquels on n’est pas d’accord. A ce sujet, la presse américaine révèle un fait ahurissant.

On sait que les Américains ont pris part aux deux guerres mondiales : ils y ont perdu du monde. Mais ces pertes sont inférieures au nombre des assassinats commis sur leur territoire depuis le début du siècle.

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Au cours de l’actuelle campagne présidentielle, un grand débat s’est ouvert sur la Pax americana. Il est né de la guerre du Vietnam où les Etats-Unis se prétendent chargés de faire la police dans le monde. D’éminentes personnalités affirment que ce n’est pas leur rôle.

A ce sujet l’éminent journaliste Walter Lippmann s’est montré sévère. L’obstacle à la paix, écrit-il dans Newsweek. n’est qu’une absurde fierté. On ne peut remporter une victoire impossible, ajoute- t-il, mais le Président Johnson ne daignera jamais en convenir, car il se croit infaillible . Nos troupes ne peuvent alors rentrer chez elles que victorieuses !

Il ferait mieux, ajoute Walter Lippmann, de se préoccuper de notre situation intérieure qui ne fut jamais aussi grave depuis un siècle. Nous sommes peut-être à la veille de la guerre civile : Blancs centre Noirs.

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Ajoutons que la dernière encyclique papale a été fort mal reçue aux EtatsUnis, même par le clergé catholique. Il fallut interdire certains de ses membres. Le grand reproche tenait en peu de mots : il s’occupe de choses qui ne le regardent pas, ou encore : de quoi se mêle ce célibataire ?

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On sait qu’une marche de la faim avait été organisée sur Washington. Des pauvres venus de tous les états de l’Union avaient réussi à gagner la capitale, où la municipalité leur avait réservé un terrain pour se reposer. - Mais ils n’avaient le droit de l’occuper que pendant un certain temps. Rapidement les pauvres y avaient édifié de nombreuses cabanes dont l’ensemble avait été baptisé un peu pompeusement la Cité de la Résurrection !

Newsweek nous apprend que le lendemain du jour où expirait l’autorisation municipale, 425 sergents de ville, casqués, armés de scies et de marteaux, démolirent la Cité de la Résurrection et en chargeaient les débris sur des camions. On juge du désarroi de ces pauvres gens. Pour hâter leur départ, d’autres policiers en arrêtèrent plus de 100. Mais 250 trouvèrent le moyen de se reformer derrière leur chef Ralph D. Abernathy, puis se dirigèrent sur le « Capitol » où siègent les élus municipaux. Là leur chef lut ce qu’il appela le testament de la cité de la Résurrection. En voici un résumé : « Nous sommes venus à Weshington pour signaler que les besoins des pauvres n’ont jamais reçu la plus petite satisfaction. Et pour dire aux Etats-Unis que leur politique consistant à tout donner aux riches et à tout refuser aux pauvres, finirait par une catastrophe !. » Ainsi se termina la grande marche de la Faim organisée par les pauvres de la nation la plus riche du monde.

Ajoutons que la réaction des jeunes de Washington fut immédiate. Dès le lendemain, quelques milliers d’entre eux brisaient les vitres et bousculaient les étalages de la 14e rue, la plus luxueuse de la capitale. Il fallut faire intervenir des forces importantes de police et même des détachements de la Garde Nationale !

Chose digne de remarque, nos grands quotidiens n’en ont rien dit. Quant à J.-J. Servan-Schreiber, peut-être y fera- t-il une allusion dans la prochaine édition de son livre « Le Défi américain »...

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Rappelons que le projet de loi du gouvernement des Etats-Unis, intitulé Guerre à la Pauvreté, concerne un peu plus de 32 millions d’Américains. Mais ce projet de loi est resté « en carafe », car on ne peut pas le financer en même temps que la guerre au Vietnam et comme cette guerre peut durer indéfiniment, Walter Lippmann dixit...

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L’I.N.S.E.E. a estimé que la production française avait subi, au cours des mois de mai et de juin, une perte de 1.500 milliards (anc. francs). Admirez ce chiffre rond, quelle merveille de précision.

Mais cette perte n’est en réalité qu’un manque à ;gagner. Remarquez, au passage, que nos magasins regorgent toujours d’autant de marchandises : il n’a jamais été question de restreindre les achats de la clientèle, et, si quelques milliers de riches Américains débarquaient demain en France, ils trouveraient à satisfaire leurs désirs les plus coûteux.

Quoi qu’il en soit, un effort supplémentaire de production nous échoit ; il va falloir retrousser toutes les manches. Qui parie qu’on n’embauchera pas un travailleur de plus ?

Au contraire, le gouvernement redoute une aggravation du chômage d’ici la fin de l’année. Et cette fois il voit juste.

La révolte des étudiants, contrairement à ce que croient beaucoup de parlementaires U.D.R., n’est pas un phénomène typiquement français. Des bagarres ont éclaté à Madrid, et aussi en Amérique du Sud : en Uruguay, au Pérou, Brésil, Venezuela, Chili, Colombie, Bolivie. Même à Cuba. Dans plusieurs pays les Universités ont été obligées de fermer leurs portes.

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C’est aux Etats-Unis que les désordres ont commencé dès le mois d’avril, et ils n’ont pas cessé depuis lors.

En Allemagne, le calme n’est pas revenu dans les Universités.

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Contrairement à ce que laisse entendre certaine presse, le problème des jeunes est très loin d’être résolu.

On croyait l’Académie Française absorbée à faire et à défaire son dictionnaire. Erreur ! Beaucoup de nos Messieurs ne se préoccupent que de problèmes économiques et confient au Figaro le fruit de leurs cogitations.

Ainsi M. Thierry-Maulnier (de l’Académie Française !) n’hésite pas à publier la lettre ouverte qu’il adresse aux Américains. On aimerait savoir s’ils en ont accusé la réception.

Pierre Gaxotte (de l’Académie Française !) écrit froidement que l’Université ne prépare que des chômeurs. Il a raison, mais déraille quand il incrimine la mauvaise orientation donnée aux étudiants : ils ne pourront pas trouver de débouchés ! On aimerait que Pierre Gaxotte (de l’Académie Française !) indiquât qu’elle serait, à son avis, la bonne orientation.

Ce n’est pas la faute de l’Université si les étudiants ne trouvent pas d’emplois, c’est qu’on n’a plus besoin d’eux. Voilà pourquoi ils se révoltent dans toutes les nations hautement industrialisées. La production scientifique devient de plus en plus automatique, et le secteur tertiaire est archi-plein. C’est la plus grande révolution de tous les temps. Mais est-ce une raison de se montrer grossier vis-à-vis de Cohn - Bendit ? Quelles vilaines manières a ce Monsieur Gaxotte (de l’Académie Française !) ...

Quant à M. Jules Romains (de l’Académie Française !), c’est dans l’Aurore, qu’il opère. Il tremble en pensant que les hommes deviennent . si nombreux que les cinq continents et tous les Océans seront incapables de les nourrir (sic). Mais que M. Jules Romains (de l’Académie Française !) ne songe pas à disparaître, histoire de faire un convive de moins... L’ami auquel il écrit tous les lundis dans l’Aurore ne s’en consolerait pas !

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Avec quel courage M. Edgar Faure accepte de résoudre tous les problèmes de notre temps. Jamais il ne se dérobe. Il a déjà réussi à régler verbalement et momentanément celui de l’agriculture. Il résoudra de même celui de l’Université. Quelle trouvaille que ces e passerelles » qui permettent de « passer » d’une mauvaise orientation à une meilleure. Si l’on tombe de Charybde en Scylla, c’est, qu’on se sera trompé de « passerelle » !

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Il y a pourtant de bonnes choses dans le projet de M. Edgar Faure, mais elles ont le don d’exaspérer certaines gens. Ainsi quand il propose que le latin ne soit plus enseigné en sixième, l’honorable M. Bayet, Président des Agrégés, entre en pâmoison. Cet homme n’a pas encore compris qu’il vivait au XXe siècle.

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Une sage mesure que M. Edgar Faure devrait prendre : surveiller le sujet des narrations que les élèves ont à rédiger. En particulier : « Une bonne récolte réjouit le coeur du paysan », est un sujet interdit tant il est absurde. Autre sujet interdit : « Abondance de biens ne nuit jamais ». En revanche on peut leur substituer des sujets d’actualité, comme celui-ci : « L’austérité est la plus belle des vertus », ou encore : « Serrer sa ceinture est un devoir national. »

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Notre franc lourd a été secoué, nos réserves d’or et de devises ayant fondu de presque un tiers en peu de jours. En conséquence, les touristes français ont eu la fâcheuse surprise de se voir refuser nos francs lourds par les garçons de café italiens et espagnols. A la banque, on les changeait à 10 et même 15 % de moins que le cours officiel.

On voit que notre franc lourd n’est guère plus solide que la livre sterling. Et le dollar lui-même est-il aussi invulnérable que les « experts » l’affirment ?

Le gouvernement français n’en a pas moins supprimé le contrôle des changes qu’il avait rétabli en toute hâte. Est-ce bien prudent ?

Quoiqu’il en soit, le mythe de l’or, cher à M. Jacques Rueff, vient d’en prendre un bon coup.

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Dans le Figaro (15-7-68) a paru une dépêche d’Arles annonçant que des centaines de tonnes de fruits (pêches, poires, pommes) avaient été détruites au domaine de Chartrousse et au verger du grand Rhône, près d’Arles. On avait mobilisé des tracteurs pour écraser la plus grande quantité possible de fruits. « Paradoxalement », ajoutait le correspondant, les pêches ont encore été vendues de 0,50 à 2,40 le kilo en Arles.

Ce « paradoxalement » est ce qu’il y a de plus paradoxal dans cette histoire. N’est-ce pas parce qu’on avait détruit des tonnes de pêches qu’on avait pu vendre cher le petit nombre qu’on ne détruisait pas ?

Rappelons que les crédits destinés à « assainir » les marchés, ne cessent d’augmenter chaque année. Ils sont dix fois plus élevés qu’il y a dix ans.

Il faut reconnaître que produire pour détruire est lune politique très originale, car c’est l’évidence : plus nous produisons, plus nous détruisons ! Si c’est ça le progrès, à bas le progrès !

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