Éditorial
La mode libérale et le jeu
Les générations des deux guerres qui avaient souffert dans leur chair et dans leurs esprits des conséquences du capitalisme sauvage s’éloignent. La mode passagère du libéralisme s’installe. Les jeunes cadres dynamiques et les fonctionnaires et (ou) hommes politiques frais émoulus de l’ENA volent au secours de la victoire libérale. Même les modestes et les pauvres oublient quelquefois que la loi, ceux qui la font, c’est-à-dire nos élus et donc l’Etat, peuvent être leur meilleure sauvegarde. Après le tout-Etat, c’est le moins d’Etat qui triomphe. Le peuple dont le niveau de vie moyen s’est, il faut l’écrire, considérablement élevé dans tous les pays avancés au cours des dernières décennies, s’adonne aux jeux d’argent. Chacun croit se sauver individuellement en faisant fortune’. loteries, lotos, tiercés, quartés sont florissants. Dans ce contexte, la droite libérale relance son cheval de bataille que l’on aurait pû croire définitivement déconsidéré : le capitalisme populaire.
La propriété immobilière et mobilière
Quel meilleur moyen, en effet, de lier le plus grand nombre aux « affaires » et à l’argent que de l’associer aux grandes sociétés qui contrôlent l’agriculture, la banque, le commerce et l’industrie ? Si ils ont pu rembourser leurs dettes l’accès de certains à la propriété immobilière a éloigné quelques heureux possesseurs de logements ou de maisons individuelles de la réflexion politique ou syndicale et de la contestation. Le rêve des puissances financières serait de vaincre définitivement le socialisme en élargissant leur avantage par le moyen des valeurs immobilières que sont les obligations, mais surtout les actions. Les Français n’aimaient pas leur industrie, disait-on en constatant le marasme de la Bourse, alors qu’en fait, beaucoup détestaient l’organisation capitaliste de la production.
La publicité et la presse financières
Il convenait de changer tout cela : l’on a fait donner la grosse artillerie de la pub, les murs se sont couverts d’affiches alléchantes ou provocatrices, tel le fameux « Votre argent m’intéresse ». La radio et la télévision ont été mobilisées : certains flashes de soi-disant information ne donnent plus que le cours du dollar et les pronostics ou les résultats du tiercé, les émissions consacrées à la Bourse se sont multipliées. Les super-stars du petit écran ne sont plus Alain Delon, Gérard Depardieu ou Philippe Noiret, mais Jacques Seguela, Bernard Tapie et Jean-Luc Lagardère. La presse du fric fait des malheurs (dans les deux sens du terme), toutes les « cibles » de la population sont attaquées systématiquement les unes après les autres : les enfants, les jeunes, les couples, le troisième âge, les CI, les SICOMI, les SICAV, les FCP (1) etc... râtissent l’épargne.
Les privatisations
Depuis Monory qui favorise les SICAV jusqu’à
Delors et Bérégovoy qui font monter la Bourse, la capitalisation
des actions françaises passe de 200 milliards de francs à
1 100 000 milliards, près de 6 fois plus en cinq ans (2).
Les petits épargnants gagnent quelque peu mais les mieux informés
gagnent, eux, énormément. Les actions Saint-Gobain s’arrachent
à 310F. Comment résister, lorsqu’on dispose de quelques
fonds, à un jeu dont on peut être sûr qu’il sera
plus ou moins gagnant ? Le gouvernement et ses maîtres de la haute
finance ne feront-ils pas tout, et ils le peuvent, afin de favoriser
ceux qui servent d’entraînement pour les futures privatisations
dont il faut absolument assurer le succès ?
Que se cache-t-il derrière tout ce battage ? La Bourse va-t-elle
poursuivre son ascension ? Beaucoup de Français dont l’appât
du gain et l’amour immodéré du jeu, même lorsqu’ils
se proclament de gauche, serviront-ils le veau d’or jusqu’à la
catastrophe finale ? Nous ne reprendrons pas ici les analyses habituelles
de la Grande Relève. Le lecteur se reportera pour cela aux ouvrages
recommandés plus loin.
Les sociétés anonymes
Mais nous examinerons d’un peu plus près l’organisation juridique des entreprises. Les propriétaires sont en principe les actionnaires, par l’intermédiaire de l’assemblée générale et du conseil d’administration. Théoriquement, quoi de plus démocratique ? Les citoyens-actionnaires, l’assemblée générale- parlement, le conseil d’administration-gouvernement, le président, le directeur général-premier ministre, etc... Où les choses commencent à se gâter c’est que, comme dans la démocratie politique, celle de l’entreprise devrait commencer par la participation des actionnaires.
L’information et les initiés
Elle a encore été améliorée par l’institution de la Commission des Opérations de Bourse (COB) dont l’un des rôles essentiels consiste à exercer un contrôle général (3) sur la façon dont elle est assurée. En réalité « la COB n’a pas les moyens financiers de son rôle, ses fonctionnaires gagnent entre 10.000 et 15.000 F, alors que la moindre banque, pour les débaucher, peut offrir le double » (2). « Le rôle de la COB n’est pas aisé car le marché français s’est élargi depuis cinq ans, sans oublier l’apparition de la cotation continue, la création de nouveaux instruments financiers... qui ne peuvent que favoriser la spéculation et les délits d’initiés, lesdits initiés disposant d’informations privilégiées au détriment de l’épargnant de base » (2). Le Canard Enchaîné cite d’ailleurs de nombreux exemples du mépris dans lequel les grands groupes tiennent les petits actionnaires : Paribas, Thomson-CSF, Moulinex, Majorette, Bernard Tapie, etc... Tandis que les hommes politiques « au parfum » font fortune : « en juillet 1980, avant de s’envoler pour l’Allemagne en voyage officiel avec Valéry, Anne-Aymone fit transmettre, par l’un de ses agents de change, un ordre d’achat pour des actions de Rhône-Poulenc. Un joli coup. En deux jours, le cours de RhônePoulenc avait augmenté de 9,7 après qu’on eût appris que RhônePoulenc vendait à Elf (dont le PDG était Albin Chalandon) ses usines chimiques de transformation du pétrole : la transaction rapporta 1,4 milliards de francs, soit 60 F par action aux épargnants avisés. Bien que l’Élysée ait fait savoir que Madame la Présidente avait acheté ces actions dès le 12 juin 1980, par l’entremise de la Banque Lazard, un gros doute s’installa » (2)...
Le comportement des actionnaires
En réalité. « l’Assemblée
Générale « homme malade » de la société
anonyme n’est plus à même d’exercer son rôle avec
efficacité, tout au moins dans les sociétés dont
le capital est réparti entre de nombreux petits actionnaires.
L’équilibre des pouvoirs a depuis longtemps été
rompu en faveur des dirigeants qui ont la possibilité de contrôler
les assemblées avec des pourcentages d’action parfois dérisoires,
grâce à l’absentéisme des petits actionnaires »
(4). Cet absentéisme, de même que l’abstention politique,
est sans remède, malgré les efforts des législateurs,
et il favorise la propriété réelle des sociétés
au moyen de parts minoritaires, mais homogènes. Sans compter
les conventions entre holdings et filiales ou entre actionnaires principaux
sous forme de syndicats de blocage qui permettent de diriger en fait
de très grosses entreprises sans être majoritaires. Ainsi
va la démocratie économique.
Et pourtant, de même que l’on ne devrait pas oublier qu’acheter
le Figaro pour ses mots croisés favorise la politique ultra qu’il
défend, encore plus devrait-on bien savoir, même si l’on
ne peut pas toujours l’éviter, que l’on devient complice de l’exploitation
des salariés par un certain patronat en acquérant des
actions ou, ce qui revient au même, des FCP et des SICAV. « C’est
bien le cas de l’actionnaire ordinaire, qui ne recherche qu’un placement
rémunérateur de son argent, qu’il déplace selon
les conditions du marché et ne s’intéresse pas du tout
à la gestion » (4).
L’encyclopedia Universalis décrit particulièrement les
législations européennes pour déplorer l’insouciance
de l’actionnaire de base que, dans ces conditions, aucune loi ne peut
protéger efficacement.
La situation en Amérique
« Il existe aux États-Unis, il est vrai,
à peu près 47 millions de détenteurs d’actions,
mais la grande majorité d’entre eux n’agissent pas directement
(5). Les actions qu’ils possèdent sont gérées par
des institutions dont les responsables cherchent à encaisser
les plus-values les plus élevées à la faveur souvent
de coups préparés par les raiders. La crise a révélé
que le capitalisme sans capital était une formule dangereuse.
Le capitalisme sans propriétaires responsables se révèlerait-il
plus viable ? » (6).
Nous sentons bien que Paul Fabra répond négativement à
cette question, même s’il n’ose pas l’écrire. Toujours
cette autocensure des économistes et sociologues dès que
le dieu capital est en cause !
La mystification du capitalisme populaire
Alors, nous conclurons, à la place de P. Fabra, que l’expérience du libéralisme que l’on nous présente comme moderne et nouvelle a déjà’ été tentée à plusieurs reprises. Depuis le « laissez faire, laisser passez » et « enrichissez-vous » de 1830 jusqu’au jeudi noir du 24 octobre 1929 et à la guerre de 1939-1945 qui s’ensuivit. Sans compter l’expérience Reagan et celle de Thatcher, nous connaissons, merci. Nous n’avons pas envie de recommencer. Nous savons bien que le capitalisme populaire est un leurre pour les raisons et selon les exemples exposés ci-dessus. A l’encontre de la tendance actuelle, faisons-le savoir sans cesse, et le plus haut possible !
(1) CI = Certificats d’investissement (actions sans
droit de vote des societés nationalisées créées
par le gouvernement socialiste en 1982) - SICOMI = Sociétés
immobilières pour le commerce et l’industrie - SICAV = Sociétés
d’investissement à capital variable - FCP = Fonds communs de
placement.
(2) Voir « les dossiers du Canard » n°21 - Novembre 1986
(3) Encyclopédie « Clartés » - Droit commercial
- Les formes juridiques de l’entreprise.
(4) Encyclopedia Universalis - article « Sociétés
anonymes »,
(5) C’est également vrai en France.
(6) P. Fabra dans l’Americanosclérose - Le Monde du 18 Novembre
1986.
Pour une journée d’études, le 13 décembre,
Maurice Pagat, fondateur du mouvement des Chômeurs et des Précaires,
avait demandé à André Gorz de venir animer le débat
à la Maison des Chômeurs de SaintOuen. Trois thèmes
étaient à l’ordre du jour proposé par Maurice Pagat :
1. Constater les effets des nouvelles technologies sur l’emploi.
2. Chercher comment on pourrait maîtriser la réduction
du temps de travail.
3. Débattre de l’institution du revenu social garanti.
Dès le début, André Gorz a invité
la cinquantaine de participants : responsables des maisons de chômeurs,
syndicalistes, militants divers (parmi lesquels des partisans de l’Économie
Distributive), à « changer d’utopie », plus précisément
à ne plus croire que l’économie porte en soi des vertus
pouvant nous dispenser de trouver une solution de société.
Tout au long de la journée, on sentira ce trait dominant de la
pensée de Gorz. Il citera de nombreux faits économiques
et parfois des statistiques, mais toujours pour nous aider à
penser une nouvelle éthique de la société. En premier
lieu, n’espérons plus que le travailleur, à l’heure où
la production se démultiplie sous l’effet de technologies, puisse
encore trouver l’accomplissement de sa personnalité dans le travail.
Que les responsables syndicaux comprennent qu’il y a effondrement de
la valeur traditionnelle du « travail », que vouloir humaniser
le travail ne peut plus constituer leur grand combat.
C’est ailleurs, et grâce à une conquête du temps
libre que les hommes pourront réellement s’accomplir et donner
le meilleur d’euxmêmes dans des activités non rémunérées
de nature artistique, culturelle, militante, relationnelle, etc... Aux
incrédules, Gorz rappelle que le travail. au sens traditionnel
du terme, est en train d’être balayé par la technique :
selon une estimation faite aux États-Unis, 5% seulement des possibilités
techniques qui seront réunies à la fin du siècle.
sont actuellement exploitées. Si nous ne réagissons pas,
nous allons à la catastrophe. Nous avons commencé à
glisser sur une pente dangereuse. A terme, on ne trouvera plus guère
que 25% de travailleurs bénéficiant d’un statut et 25
%d’autres dans une situation précaire occupant des postes périphériques.
Il restera 50% de chômeurs et de gars à la recherche des
petits boulots et de travaux occasionnels. Les syndicats seraient bien
avisés de s’occuper de cette majorité de demain et non
plus seulement des gens qui ont une situation de travailleurs.
Maurice Pagat a apporté quelques témoignages assez bouleversants.
Selon lui, la situation des chômeurs se dégrade partout,
sauf peut-être au Danemark, même si une centaine de maisons
de chômeurs fonctionnent en Grande-Bretagne, si un début
d’organisation apparaît en Espagne et si des actions se développent
ici et là. Il y a des suicides de chômeurs que les médias
veulent ignorer. L’égoïsme du monde actuel est effrayant.
Et le revenu social, qu’en est-il dans ce débat ? Gorz amène
ses interlocuteurs à en concevoir la nécessité
dès l’instant que la technique réduit sans cesse la masse
des salaires. Dans les usines robotisées, nous dit-il, le coût
salarial n’est plus compris qu’entre 5 et 10%. Autant dire que si l’on
ne veut pas que la misère s’étende sur les populations
et que les rouages économiques tombent en panne, il faut bien
accorder à ces populations la contrepartie du pouvoir d’achat
que les entreprises modernisées cessent de distribuer. Cette
logique élémentaire a conduit les Pays-Bas à garantir
à ses concitoyens démunis des ressources mensuelles d’environ
2900F. Une misère, certes ! Mais c’est déjà moins
scandaleux que la situation de « fin de droits » des chômeurs
français. Le principe du minimum social garanti qui est actuellement
examiné avec intérêt par les deux grands partis
politiques allemands, amènera-t-il des résultats un peu
plus marquants ?
Et le Parti Socialiste en France se décidera-t-il à traiter
le même thème avec un minimum d’audace ? Pour l’instant,
c’est encore l’expectative, mais une évolution, si tardive soit-elle,
paraît inéluctable, l’appellation du « minimum social
» pouvant être délaissée au bénéfice
d’autres formules comme « l’impôt négatif »,
ou bien encore « !e deuxième chèque », c’est
une sorte de caisse de compensation : on applique une taxe à la
vente sur les produits dont les coûts baissent grâce aux
techniques de pointe : téléviseurs, montres, etc... Ces
ressources permettent au Trésor, sans créer de nouveaux
moyens monétaires, de distribuer le « deuxième chèque »
pour compenser les insuffisances du premier chèque versé
par les entreprises aux travailleurs.
Que peuvent penser de tout cela les partisans d’une économie
distributive telle que Jacques Duboin l’a définie ? Que tout cela
les laisse sur leur soif, que c’est un scandale de faire du revenu social
une simple aumône à l’intention des exclus du système
marchand, alors qu’il devrait, sous forme d’une monnaie non thésaurisable,
nous ouvrir la voie d’une société libre et opulente tendant
vers l’égalité économique.
Ou bien, tout au contraire, qu’enfin le mouvement est en train de se
déclencher ; que, même si les injections de pouvoir d’achat
et les « nouvelles donnes » —si insuffisantes soient-elles-
risquent de faire hoqueter une économie marchande assez malade,
tout vaut mieux que la sclérose des idées et des comportements
dont nous avons jusqu’à présent souffert ?
Débat à suivre... En attendant, André Gorz fidèle
à lui-même, s’en tient à sa pédagogie. Il
évite la discussion sur la nécessité d’une monnaie
non thésaurisable dans l’économie de demain, alors que,
pour l’instant, les auditeurs ont déjà tendance à
se demander s’ils n’ont pas devant eux un rêveur (« Pensez
donc : oser dire que le travail humain est en train de disparaître ! »).
Cependant, il met clairement tout le monde en garde : la perspective
du minimum garanti qui se profile en Allemagne ou ailleurs, ce n’est
pas cela qui va régler notre problème de société...
« Trop gâtés... Ils ne veulent
pas se battre... Ils demandent la facilité, ils veulent gagner
beaucoup sans rien faire... Ils croient que tout leur est dû !
« Ces formules, bien qu’injustes pour une bonne partie de la jeunesse,
me paraissent, au fond, exactes. Ce que les lycéens souhaitent,
qu’ils en aient ou non conscience, c’est effectivement une vie plus
facile ;s’ils veulent des facultés ouvertes, des études
qui leur donnent un métier, c’est qu’ils souhaitent, d’une part,
retarder leur entrée dans la vie professionnelle, d’autre part,
avoir une occupation intéressante et un bon salaire ; de plus,
pas mal d’entre eux veulent obtenir ces avantages sans en priver les
autres : tout le monde ingénieur !...
Mais, s’ils ont cette mentalité, à qui la faute, sinon
aux adultes ? D’abord, pour avoir été de bons parents,
avoir aimé leurs enfants, s’être dévoués,
sacrifiés pour eux (ce que font même les bêtes !),
leur avoir fait l’enfance la plus agréable possible, avoir rêvé
pour eux l’avenir le plus beau. Ensuite pour avoir été
intelligents, avoir inventé une Science et des Techniques qui,
aujourd’hui, permettent effectivement de rendre la jeunesse plus heureuse.
C’est en effet aux enfants que l’Abondance s’applique de préférence,
ce sont eux qu’elle marque le plus profondément ; les machines
les plus sophistiquées, ils les connaissent et les admirent ;
c’est dans leurs bandes dessinées, non dans nos romans, que les
technologies de pointe ont la plus grande place !
Dans ces conditions, il est fatal que leur passage au monde adulte se
fasse mal : il jure trop avec celui de leur enfance ! D’un côté
en effet, ils ont vécu l’émerveillement devant les conquêtes
de l’esprit, la convivialité familiale, la pratique de la ten-dresse,
de l’autre ils s’affrontent à l’humiliation du savoir, à
la débrouillardise, à l’endurcissement du coeur, aux comportements
bêtement agressifs qui aboutissent à des gaspillages insensés !
Et, à moins que les parents ne deviennent des monstres sadiques,
qu’ils ne privent exprès leurs enfants des douceurs qu’ils peuvent
leur offrir, il paraît inévitable que le hiatus entre l’enfance,
telle que nous prétendons la faire, et l’âge adulte, tel
que nous nous obstinons à le vivre, soit de plus en plus profond.
Ce que les mouvements de jeunes sont destinés à exprimer,
c’est une formidable aspiration au bonheur, aussi vieille certes’ que
notre humanité, mais fortifiée désormais par ces
prémices de l’Abondance que la technique contemporaine permet
aux enfants de goûter !
Pour que ces mouvements portent leurs fruits, combien faudra-t-il de
générations ? Que de Révolutions avortées,
que de Fêtes de la Fédération achevées dans
le carnage ! Comment passer de la jacquerie à la réforme,
comment trouver la voie du Bonheur ? C’est ici qu’intervient l’Abondancisme
de J.Duboin. Jusqu’à lui, c’est sur des phénomènes
sociaux et moraux, sur_ une révolution des mentalités
que l’humanité a toujours fondé ses espoirs ; or les faits
ont malheureusement prouvé que ces espoirs-là relèvent
de l’illusion, et virent rapidement au cauchemar. Quelque habiles qu’ils
soient, les manipulateurs des masses maîtrisent trop imparfaitement
les mécanismes sociaux ; ces apprentis sorciers, lorsqu’ils agissent
sur les esprits, par la terreur ou la propagande, provoquent souvent
plus de malheur que de bonheur ; de leurs cures de jouvence, les pays
sortent épuisés, exsangues, et il faut recourir aux vieux
remèdes pour tenter de les remettre sur pieds !
Certes, l’Abondancisme ne saurait négliger le rôle de la
générosité dans le passage à l’abondance
: il est énorme mais ce n’est pas de ce côtélà
que les idées de J. Duboin nous invitent à insister : en
effet, les vertus, les bonnes volontés, existent toujours (de
toutes façons, ce n’est ni la propagande, ni la terreur, qui
les multipliera !) ; ce qui compte, c’est d’abord que ces bonnes volontés
se reconnaissent, apprécient leur nombre et leur force ; c’est
ensuite qu’elles sachent comment réaliser leur idéal.
Comme le proclame le titre de notre Revue, ce n’est pas en faisant appel
à de vieilles recettes pour accentuer artificiellement la cohésion
du groupe que l’humanité fera du neuf ; c’est en s’appuyant sur
ce qu’elle a, laborieusement, héroïquement bâti au
cours des millénaires, c’est-à-dire sur la connaissance
et la maîtrise de son milieu, sur la Science et les machines.
Et son action doit avoir un but : le bonheur matériel, sur cette
terre, selon des modalités, non pas extraordinaires, mais déjà
connues : le monde abondanciste n’est pas un Paradis différent
de ce monde-ci, c’est notre monde ; mais l’abondance des biens matériels
y règne, et les individus, inévitablement, en sont transformés !
Les Abondancistes se demandent souvent comment se fera la Transition :
le mouvement des Lycéens leur apporte une réponse : si
l’Abondance existe un jour, elle proviendra du formidable besoin de
bonheur ressenti et accepté lucidement par des milliers d’hommes ;
elle naîtra d’initiatives éclairées qui feront tâche
d’huile, de l’enthousiasme qu’elles susciteront. Ce que le mouvement
des Lycéens nous rappelle également, c’est que le monde
contemporain, qui vit dans la terreur et la méfiance, a par-dessus
tout besoin d’être rassuré ; les gens sont stupéfaits,
bouleversés devant un rassemblement qui veut ne rien casser !
Inutile donc de rêver d’Abondance après une guerre nucléaire,
ou une guerre civile : la misère, la mort engendrent la colère
et la haine, à partir desquelles la voie est bien longue pour
parvenir un jour au bonheur. Non, c’est le bonheur déjà
acquis, préservé, aimé, qui peut engendrer un bonheur
plus large. A nous, Abondancistes, d’ouvrir des perspectives qui ne
terrorisent personne, qui soient ouvertes à tous les tempéraments,
de dessiner, du bonheur que nous goûtons déjà, des
prolongements de plus en plus abordables, plausibles et convaincants.
Un livre qui devrait faire du bruit ... et plaire autant à droite qu’à gauche :
Les co-auteurs de ce livre (1) sont tous deux docteurs
en économie. Le premier, Yoland Bresson, est Professeur à
l’Université du Val de Marne. le deuxième, Philippe Guilhaume,
est Secrétaire Général du Centre des Jeunes Dirigeants
d’Entreprises et Conseiller du président de l’Assemblée
Nationale.
Ce néologisme, le PARTICIPAT, désigne une doctrine, qui
n’a rien à voir avec « la participation ». Le sous-
titre de l’ouvrage ainsi que l’annexe 2 intitulée « les
Précurseurs », (où deux pages sont consacrées
à J. Duboin qui « avait bien compris, qu’à son époque,
la société vivait une fantastique transition »),
m’avaient fait espérer qu’il s’agissait d’une variante de l’Économie
Distributive, d’une actualisation ou de solutions originales de transition.
Effectivement, l’analyse de la crise, comme celle que font - enfin !
- de nombreux économistes, est conforme à la nôtre
:
« Il n’est plus légitime aujourd’hui de lier le revenu
à l’emploi - alors que plus de la moitié des revenus distribués
en France sont des revenus de transfert- et qu’il est intolérablement
absurde que certains hommes soient condamnés à travailler
39 heures pas semaine, 47 semaines par an, 37 ans dans la vie, alors
que d’autres sont condamnés à être privés
d’emploi, privés de statuts et de dignité, exclus de la
communauté... De 1920 à 1929... l’offre potentielle s’emballe
et les investissements se précipitent, la demande solvable reste
faible, limitée par l’insuffisante capacité d’acheter...
Et c’est la crise, grave, violente et durable, le chômage, la
misère... ».
Les auteurs ont, par contre, un point de vue surprenant en ce qui concerne
le New Deal de Roosevelt et Keynes :
« Au terme de terribles épreuves, les Américains
spontanément, Keynes théoriquement avaient trouvé
la clef qui libérait les exceptionnelles capacités de
production du machinisme, du capitalisme industriel et du salariat ».
Curieux, quand on sait qu’en 1940, l’Amérique comptait encore,
malgré le New Deal, 15 à 17 millions de chômeurs...
futurs soldats !
« ... surplus agricoles des pays riches et famines meutrières
des pays pauvres, production croissante d’exclus d’après les
sociétés d’abondance : exclus du savoir, exclus du pouvoir,
exclus de la vie sociale, exclus de l’emploi ».
Pour la plupart des métiers et professions, le travail ne peut
plus être une « valeur » : sur ce point, nous sommes
donc bien d’accord avec les auteurs du « Participat » :
« Le développement des formes d’organisation tayloriennes,
l’absence d’intérêt des tâches, leur hiérarchisation
et leur dépersonnalisation, la fragilité de l’emploi ont
largement contribué à « dévaloriser »
le travail qui pour beaucoup n’a plus qu’une seule vertu, celle de l’apport
de revenus ; de manière presque unanime le travail n’est plus
considéré comme une valeur à défendre, mais
comme le moyen de gagner sa vie ».
« De moins en moins d’hommes ont le privilège de tirer
jouissance de leur travail... La lutte pour la baisse de la durée
du travail cesse d’être une lutte contre le travail pour devenir
une lutte pour le temps libre ».
« Tout de même, on tient compte des leçons
apprises de Keynes, on admet que cette rigueur pratiquée réduit
l’activité et condamne les individus les plus faibles ou les
plus démunis. On s’efforce donc de panser les plaies trop sensibles
d’une politique économique devenue rigoureuse excessivement :
on indemnise les chômeurs, on distribue des ressources aux plus
pauvres, on veille à ce que le pouvoir d’achat du plus grand
nombre ne s’effondre pas mais soit simplement « lissé ».
C’est 1929, humanisé ! Sauf pour les exclus, de plus en plus nombreux
».
« Dans les pays développés, l’homme a, pour l’essentiel,
maîtrisé la rareté : on est entré en économie
d’abondance ». « Les zélateurs du néo-libéralisme...
En 1929, ils ont échoué, et les voilà qui recommencent
au risque - inconscient - de condamner notre société à
accoucher dans la violence de nouvelles formes d’organisation avec mépris
- ou avec indifférence - pour les exclus chaque jour plus nombreux.
Cet aveuglement et cette éventualité, dorénavant
insupportables quand on prend conscience des moyens de notre avenir,
quand on sait qu’il est possible d’initier et maîtriser l’inéluctable
révolution ».
Pour cela, précisément, que propose « le Participat
» ?
D’abord, un revenu de base MINIMAL, mais POUR TOUS (hauts revenus inclus)
non imposable, et DE LA NAISSANCE A LA MORT. Donc un revenu qui n’est
pas sans parenté avec le revenu social distributiste. Et les
auteurs condamnent l’impôt négatif de Milton Friedman aussi
bien qu’un revenu minimum réservé aux plus démunis :
« La France si riche continue insupportablement à fabriquer
des exclus, privés des ressources indispensables ; les mécanismes
de solidarité sociale, heureusement mis en place après
guerre, sont usés jusqu’à la trame malgré d’incessants
ravaudages financiers, et la délivrance devenue parcimonieuse
de certaines prestations, fait souvent bon marché de la dignité
des hommes ».
Ces revenus seraient gérés et distribués par une
« Banque de Solidarité Nationale ».
Mais il s’y ajoute un salaire correspondant au travail, de telle sorte
que les disparités actuelles des salaires ne sont pas remises
en cause et que les solutions proposées pour sortir de la crise
restent dans le cadre de l’économie de marché.
Théoriciens d’une sortie à droite « sociale »
de la crise, Bresson et Guilhaume, comme A. Minc, comme M. Albert, comme
les auteurs (hauts cadres de chez Renault) de « l’Économie
bafouée » (2) tiennent essen-tiellement, malgré leur
analyse d’une fantastique transformation... à conserver le régime,
sa monnaie, la compétitivité et la loi du profit. Par
comparaison avec les tenants du libéralisme -traduisons du capitalisme
sauvage des Reagan, Thatcher, Chirac et autres Leotard - ils proposent
des solutions susceptibles, disent-ils, de redonner à tous les
hommes dignité, temps libre, possibilité de s’épanouir.
Ceci implique de développer le plus possible le travail à
mi-temps, pour redonner du travail à tous ceux qui en veulent.
« Le nouveau mode de répartition des revenus ouvre sur
une nouvelle, et décisive, conquête de l’homme : la liberté
de maîtriser son temps. de choisir ses périodes d’activité
intense et ses moments de sabbat ».
Tout à fait d’accord. Mais qui, dans cette complète inégalité
économique aura, en fait, ce choix ? Si l’accord ( ?) se fait pour
développer le travail à mi-temps, les salaires seront
divisés par 2...
Mais non le revenu de base, soulignent les auteurs. Tout dépend
donc du montant de ce revenu. S’il est insuffisant, « liberté
de maîtriser son temps » et « choix de ses moments de
sabbat » ne sont que rêves et voeux pieux...
Hélas, défini comme « la valeur de temps »
(3), ce revenu de base est estimé pour 1986 à 15.000 F.
par personne... et par an. Soit 1 250 F par mois ! Adieu sabbat pour
tous ceux qui n’ont pas d’autres économies que leurs demi-salaires
passés ! Le revenu de base proposé n’est bien qu’un MINIMUM,
même pas vital.
Alors quand les auteurs affirment que « l’opposition entre stratégie
économique et stratégie sociale n’est pas fondée »,
que « l’effort accru de rigueur et de compétitivité
n’est pas contradictoire avec une politique d’aménagement et
de libération du temps- et « qu’il convient d’admettre
que compétitivité et cohésion sociale ne sont pas
incompatibles » et qu’ils se fondent sur ces affirmations pour
penser qu’on peut remédier à la situation actuelle sans
sortir de l’économie de marché, nous ne pouvons qu’en
douter : un revenu mensuel de 1 250 F et même du double, n’est
pas en rapport avec les énormes possibilités de notre
temps. Il ne donne pas les moyens de s’épanouir. Il est indigne
de l’ère d’abondance à laquelle nous mène la «
fantastique transition » citée plus haut.
En résumé, les auteurs du « Participat analysent
parfaitement les effets pervers de l’économie actuelle, notamment
l’exclusion sans cesse croissante des travailleurs, qu’ils se refusent
à accepter. lis sont conscients de la nécessité
pour tous de recevoir des revenus à vie, sans compensation d’un
travail... introuvable. Mais leur attachement à l’économie
de marché, à sa monnaie, à sa loi du profit et
à son culte de la compétitivité, les entravent
pour imaginer une solution vraiment adaptée à nos moyens.
(1) Chotard et associés, éditeurs (1986).
(2) Voir Grande Relève n° 847.
(3) Voir « l’Après-salariat » de Y. Bresson, éd.
Economica (1984).
Production en hausse, pouvoir d’achat en baisse
Un casse-tête pour les gouvernements aux prises
avec ce phénomène qui rend muets leurs augustes conseillers,
incapables de découvrir le moyen d’ajuster la consommation aux
dimensions de la production. Le faire en manipulant les prix ? en sacrifiant
le profit ? Qui prendrait l’initiative d’un tel sacrilège ? Concevoir
de nouvelles institutions économiques libérées
du profit, accessibles, par conséquent, à l’idée
que l’abondance pourrait cesser d’être un fléau source
aujourd’hui. de toutes les « crises » ?
Utopie ! répondent d’une seule voix les gardiens de la flamme
aux audacieux qui laissent entendre qu’une monnaie de consommation ouvrirait
la voie à un changement radical de la règle du jeu et
des comportements sociaux.
Changer les mentalités
Les inconditionnels de l’ordre établi ont trouvé
commode d’en faire le préalable d’une révolution économique
à laquelle ils restent farouchement opposés, leur but
étant de détruire tout espoir d’accès à
un autre type de société. On note, en effet, un total
mutisme quant à la façon d’obtenir cette évolution
des habitudes et des moeurs qui, selon ces gens, rendrait possible,
dès lors, le fonctionnement de nouvelles ’institutions. La raison
est simple : l’évolution, le changement des comportements, sont
la conséquence et non pas la cause, d’une modification du cadre
économique.
C’est dire que le problème du changement de société
ne se situe pas au niveau des mentalités. Celles-ci, le moment
venu, s’adapteront à une nouvelle règle du jeu, à
de nouveaux comportements marquant un sensible progrès dans maints
et maints domaines de la vie courante. Le problème consiste à
rassembler une majorité autour d’un projet de société
suffisamment concret, étudié et attrayant, pour que chacun
puisse y situer son propre cas. A défaut, on doit pouvoir emporter
l’adhésion d’un lobby assez puissant pour en imposer la prise
en considération au niveau d’un centre de décision, puis
son adoption par référendum. Trouver ou constituer un
tel lobby serait ainsi le tout premier des objectifs à atteindre.
Peut-être est-ce, et là seulement, que réside l’utopie
du projet : découvrir la voie politique qui lui donnera vie.
En finir avec l’argent-furet, avec les gaspillages que sa circulation
occasionne, alléger la durée du travail au bénéfice
des activités de loisirs, libérer les familles de M’angoisse,
de la peur du lendemain, assurer la sécurité, celle des
personnes et des biens, motiver la jeunesse, lui donner un but, quel
programme pourrait rivaliser avec celui-là ? Foin des bonimenteurs
professionnels qui tous nous veulent du bien mais dupent le public en
racontant des craques.
Année 86 au palmarès de l’abondance
Cacao, étain , blé, maïs, produits
laitiers, viande bovine, porc, café, tomates, artichauts, choux-fleurs,
pommes de terre, sucre, soja, colza, vin, oeufs, volailles, beurre,
pêches, abricots, poisson, cognac, cuivre, zinc, uranium, aluminium,
textiles, fibres synthétiques, acier, énergie, pétrole,
gaz, charbon, caoutchouc, composants électroniques, voitures,
plomb, nickel, papier, mobiliers, appareils ménagers, logements
vides, navires pétroliers, centrales nucléaires, armements.
Au regard de cet océan de richesses, stérilisées
en raison des exigences du profit : des millions de chômeurs démunis,
de retraités à la portion congrue, un milliard d’affamés
dans le monde, l’insécurité générale. Une
masse énorme de besoins inassouvis, exacerbés par une
délirante publicité. Quel esprit sensé peut souscrire
à un désordre économique et social pareillement
aberrant ?
Un MONET pour sept milliards de centimes
Les enchérisseurs ont tenu à préserver leur anonymat, évitant de servir de cible aux représailles de 3 millions de chômeurs britanniques auxquels on raconte qu’il n’y a pas d’argent pour leur procurer des emplois.
Le Pouvoir à la rue
Après les manifs des étudiants et des exploitants endettés, ruinés par l’abondance, une manif de chômeurs ? Encore faudrait-il qu’elle ait le sens d’un appel à la réflexion du Pouvoir sur un projet de société dissociant les revenus de la durée du travail, des prix et des coûts, mieux approprié à notre ère de sousemplois, à un univers industriel de plus en plus robotisé.
Le couplet des libertés
Il fait surface chaque fois qu’il est question du
développement industriel, scientifique, technologique, agricole,
culturel et social en Union soviétique. Liberté d’expression,
de critique, liberté de pensée, de se déplacer,
tout est passé au crible, témoignages à l’appui
tirés presque exclusivement de la littérature « dissidente-,
d’autres provenant des multiples officines spécialisées
dans la désinformation. Entrelardés de récits véridiques,
l’ensemble des témoignages prend valeur de référence.
Chaque pays a ses lois et qui les enfreint s’expose aux sanctions prévues
dans les textes. L’entrée aux États-Unis est interdite
aux communistes et à ceux qui auraient l’intention d’y changer
la forme de gouvernement. Un million de chichicanos mexicains refoulés
chaque année aux frontières, tirés à coups
de fusil. Populations sud asiatiques, sud-américaines, centre-américaines,
mobilisées sous des régimes de dictatures, au service
des multinationales. Droits de l’homme ? Une dérision pour les
clandestins, pour les noirs gitant dans leurs ghettos, pour les vieux
abandonnés, pour les victimes des marchands de drogue, pour celles
des vols, des attentats, d’une insécurité permanente,
pour les millions de chômeurs, pour des hordes de marginaux.
En URSS, il est pareillement interdit, non pas l’entrée de noncommunistes,
mais tout acte de propagande visant à déstabiliser les
institutions socialistes ; d’où les limites assignées à
certaines formes de critique à l’égard des autorités
politiques et administratives.
Notre chère liberté accorde-t-elle à
chacun le droit de commenter les décisions des juges, de porter
atteinte aux usages du commerce, à l’épargne, au crédit
de l’Etat, de passer outre aux ordres d’un patron, d’accéder
aux médias, à l’édition, d’approcher les hautes
personnalités politiques ou administratives, de faire acte de
candidature sans avoir obtenu l’appui d’un parti, de voyager s’il est
chômeur, smicard, démuni d’économies, de se soustraire
à l’impôt et aux prélèvements dits obligatoires,
de s’affranchir d’innombrables interdits, de stationner à sa
guise. d’afficher des propos subversifs, de nuire au moral de l’Armée ?
Les contraintes sont omniprésentes : loi sur la Presse, lois antiracistes,
rôle dictatorial des maisons d’édition, de leurs comités
de lecture, des rédactions. Un dispositif bien rôdé
forme ainsi barrage aux idées dérangeantes, non cataloguées.
Que dire enfin de la liberté individuelle face aux mille contraintes
de la vie journalière, celles d’une famille, face à la
maladie, au chômage, à la délinquance, à
l’insécurité ?
Liberté ? Un mythe dont tirent parti des cohortes de chroniqueurs
dressés à inculquer les bons principes propres à
dissuader leur public de se laisser séduire par les sirènes
du socialisme à la Soviétique.
SAINT-GOBAIN pour un plat de lentilles
L’État fait abandon de ses droits au revenu
que lui procurait la prestigieuse société, en échange
d’un plat de lentilles : 8 milliards engloutis séance tenante
dans la masse budgétaire pour être distribués aux
habituels prébendiers et les contribuables, spoliés d’un
patrimoine qu’ils ont payé de leurs deniers, n’en verront pas
la couleur, bien niais s’ils espèrent des opérations de
privatisation un allègement de leurs charges fiscales. Quant
à la piétaille des tout petits porteurs appâtés
par 40 millions de publicité, ses dividendes se dissiperont dans
la hausse de l’impôt, dans l’augmentation du prix des services
et de celui des carreaux.
Privatisations « retour d’ascenseur » ? Attendons pour en
juger, de connaître la composition des nouveaux Conseils.
Constatant « qu’on ne sortira pas les sans-emploi
de leur désespoir sans une mutation complète de la politique
suivie jusqu’ici », Jean- Baptiste DOUMENG, président de
la compagnie « INTER-AGRA », écrit dans son article
intitulé « selon ma conscience » (Le Monde du 15.11.86)
:
« Je pense qu’il faut établir le plus tôt possible
une indemnité de base qui serait payée à chacun
à partir de dix-huit ans jusqu’au moment où l’interessé
aurait trouvé un travail rémunéré qui, de
toute façon, serait alors payé au moins au salaire minimum
garanti.
Cette indemnité à laquelle chacun aurait droit, même
si plusieurs enfants de la même famille en bénéficient,
devrait atteindre au moins 3 000 F mensuels nets par personne ne possédant
pas ce revenu minimum, les intéressés bénéficiant
également de la Sécurité Sociale pour les risques
maladie gratuitement, mais non des indemnités journalières
de longue maladie.
Enfin, en ce qui concerne les femmes restant au foyer, dans la mesure
où le salaire du conjoint, s’il s’agit d’un couple vivant en
commun, est au niveau de cette somme, celles-ci pourraient également
se voir attribuer une même indemnité de 2 000 F par mois.
Dans ces conditions, on peut imaginer que personne n’est obligé
de travailler, cette rémunération suffit, étant
donné que tout travail de recherche, culture ou bricolage serait
totalement admis pour ceux qui ne pourraient ou qui ne voudraient pas
s’inscrire dans un travail officiel considéré comme tel.
Par contre, il est certain que la majorité des Français
et des Françaises continueraient à travailler pour gagner
plus, et les demandes d’emploi, dans ces conditions, deviendraient plus
faciles, surtout si les entreprises pouvaient mieux développer
leurs activités.
Pour assurer le financement de l’opération, J.-B. DOUMENG propose
diverses mesures d’ordre économique et politique telles que la
liquidation de tous les armements nucléaires et la suppression
de « toutes les interventions de caractère militaire de
la France, tant en Afrique qu’au Moyen-Orient ou ailleurs ».
(Communiqué par P. Herdner,St-Mandrier)
***
Tout en bas de l’échelle sociale, existent, en France, 120000 familles miséreuses, cantonnées dans la solitude, le mépris, l’ignorance. Dépourvues ce moyens matériels et d’aptitude au travail, confrontées aux conditions du logement, manquant d’instruction et de culture, elles forment le « Quart-monde ». A ce peuple d’exclus, qui obligera un jour les consciences à repenser tous les systèmes, le père Joseph Wresinski consacre une partie de son temps. Il vient de publier un livre intitulé :
POUR UN REVENU MINIMUM FAMILIAL GARANTI
200 pages. En vente aux Éditions Science et
service 95480 Pierrelaye.
Nul ne peut nier qu’aujourd’hui l’Occident subit une désinformation
sur l’état des pays socialistes. Cette volonté des média
de déshumaniser la société russe pourrait relever
d’une propagande sournoise servant aux préparatifs de guerre.
Or, les observateurs honnêtes qui se rendent régulièrement
en URSS, s’accordent à dire que le rôle de l’équipe
Gorbatchev est considérable. L’économie soviétique
se réforme. La science se ranime. La culture fait des vagues
et même le parti bouge. Ainsi, par voie de conséquence,
on observe que tous les secteurs de la société soviétique
se remettent en cause.
Sur l’heure, quelques thèmes essentiels se discutent au grand
jour : Comment assurer une meilleure efficacité économique.
Comment accéder au leadership en matière de technologies
avancées. Comment débureaucratiser l’Etat et aller vers
l’auto-gestion, etc.
Evidemment, un tel scénario ne colle guère avec l’imagerie
en vogue à Paris, étant donné qu’un antisoviétisme
systématique reste à la mode.
Il est devenu urgent de découvrir cette nouvelle image de marque
de l’Union soviétique. C’est le devoir de tout occidental se
disant progressiste. A travers son livre « La dynamique Gorbatchev »
Gérard Streiff, correspondant à Moscou, nous permet de
comprendre toute la rénovation entreprise, aujourd’hui, par le
nouveau maître du Kremlin, et Saisir le nouveau type de socialisme
qui se
met en place. La dynamique de Gorbatchev. Éditions sociales Messidor.
(Communiqué par L. Tissot, Le Cheylas)
(BASIC INCOME EUROPEAN NETWORK)
La Grande Relève se propose d’ouvrir régulièrement ses colonnes à l’information concernant l’association internationale qui fut fondée, sous ce nom, en septembre dernier, par les participants au colloque de Louvain-la-neuve, en Belgique. Nous continuons ici la reproduction d’un article du collectif Charles Fourier, animateur de ce colloque.
Copyright Pwâvre vert.
" Qu’est-ce que cela va coûter ?
C’est bien beau tout ça, nous direz-vous sans
doute, mais qu’est- ce que tout cela va coûter ? 15 000 F chaque
mois pour les 5275000 adultes résidant en Belgique, 6000F en
moyenne pour les 2730000 jeunes de moins de 20 ans, 22 500 F en moyenne
pour 1850000 personnes âgées, une majoration de 50% pour
lek 283000 invalides et handicapés et, en étant pessimiste,
encore 2 %du total pour les frais de ,fonctionnement du système,
cela nous fait chaque année un nombre considérable de
milliards (1295 pour être précis), soit en moyenne 15 370
F par personne et par mois ou 37,5% du produit national par tête
de la Belgique*. Où va-t-on les chercher ?
D’abord, bien sûr, dans toutes les économies que l’introduction
de l’allocation universelle permet de réaliser. L’ensemble des
transferts sociaux actuels (minimex, pension publique, indemnités
de chômage, allocations familiales, etc.), y compris les dépenses
de promotion de l’emploi (CST, TCT, etc.) et les frais de fonctionnement
liés aux transferts, mais à l’exclusion de la branche
« soins de santé » (que l’allocation universelle
ne remplacerait pas), correspondent environ à 10 100 F en moyenne
par personne et par mois.
Pour atteindre les 15370F par personne exigés
chaque mois par le paiement de l’allocation universelle aux niveaux
indiqués plus haut, il faut donc encore trouver 5 270 F par personne.
Et il n’y a bien sûr pas d’autre manière (sérieuse)
de le faire que de puiser dans la poche du contribuable. Le produit
national de la Belgique étant de l’ordre de 40960F par personne,
cela correspond à une majoration du taux moyen de prélèvement
fiscal de 12.9%, ce taux moyen passant dès lors d’environ 48,3%
à 61,2%.
Mais c’est ici qu’il est essentiel de dissiper un malentendu fréquent.
Le prélèvement dont il s’agit ici est un prélèvement
brut, non un prélèvement net qui tient compte de ce que
les ménages reçoivent de l’Etat aussi bien que de ce que
l’Etat leur prend. Or, si les prélèvements sur les revenus
des ménages sont nettement plus grands avec allocation universelle
que sans, ce que les ménages reçoivent en transferts s’est
aussi, considérablement accru. En fait, ce que les ménages
reçoivent en plus compense exactement, en moyenne, ce que l’Etat
doit prélever en plus. Le nouveau taux de prélèvement
net - le pourcentage du produit national dont l’Etat laisse la disposition
aux particuliers - est de 23.7% (le taux de prélèvement
brut de 61.2 % moins les 37.5 % que l’allocation universelle représente
en pourcentage du PNB). Et il ne s’est pas modifié d’un pouce.
" Qui perd ? Qui gagne ?
Qu’au total l’introduction de l’allocation universelle
soit une opération blanche pour les ménages - en moyenne,
leur revenu disponible reste inchangé - n’implique pas qu’il
s’agisse d’une opération blanche pour chacun d’entre eux. Alors,
quelles sont les catégories de la population qui vont y gagner
et quelles sont celles qui vont y perdre ?
La réponse est très simple pour les 920 000 Belges qui
ne disposent aujourd’hui d’aucun revenu - ni professionnel, ni de transfert
-, essentiellement les femmes au foyer. Leur revenu passe d’un seul
coup de rien du tout à environ 15 000 F par mois.
La réponse est à peine moins simple pour les 2 730 000
enfants et jeunes de moins de 20 ans. On en trouve l’essentiel en comparant
l’allocation universelle moyenne de 6 000 F (modèle selon l’âge)
qu’ils recevraient au niveau actuel moyen des allocations familiales
(modulées selon l’âge, le rang et le statut professionnel
des parents), qui est de 4 020 F. Dans l’immense majorité des
cas, par conséquent, les enfants et les jeunes y gagneront.
De manière analogue, on peut affirmer que la majorité
des 1850000 personnes âgées de plus de soixante ans y gagneront
également, sur base de la comparaison entre le niveau moyen de
l’allocation universelle qu’elles percevraient (22 500 F) et le niveau
moyen des pensions publiques, qui est de 21400F.
Par contre, les 638000 chômeurs (y compris les pré pensionnés
et les jeunes en stage d’attente) verront en moyenne leurs revenus diminuer.
Leur allocation universelle serait de l’ordre de 15 000 F, alors que
l’allocation de chômage moyenne est aujourd’hui de 21500F. A noter,
cependant, que cette catégorie est particulièrement hétérogène
et que si les pré pensionnés et les chômeurs de
première année y perdraient considérablement par
contre les chômeurs de longue durée, les jeunes et les
chômeurs cohabitants y gagneraient.
Enfin, les 3 700 000 actifs occupés (salariés ou indépendants)
ont aujourd’hui en moyenne un revenu disponible (après impôt)
de 40 500 F par mois. Lorsque l’allocation universelle est introduite,
ce revenu est augmenté du montant de l’allocation (environ 15
000 F), mais par ailleurs réduit du montant nécessaire
pour financer ce qui ne l’est pas par la suppression des transferts
sociaux existants (environ 20000F par personne active). Le revenu disponible
moyen des actifs occupés passe dès lors à environ
34 500 F.
Pour saisir la portée de ces chiffres quant à la distribution
des revenus, il est essentiel de bien garder à l’esprit d’abord
bien sûr qu’il s’agit de moyennes pouvant recouvrir de grandes
différences au sein de chaque catégorie, mais également
qu’il s’agit de déplacements dans la distribution des revenus
Individuels, qui peuvent être largement neutralisés au
niveau des ménages. La baisse du revenu individuel net d’un chômeur
ou d’un salarié, par exemple, peut être plus que compensée,
au niveau du ménage, par le fait que les allocations de ses enfants
sont majorées et surtout par le fait que sa femme a désormais
droit à un revenu propre. Globalement, l’allocation universelle
conduit à une distribution des revenus des ménages qui
tient davantage compte des besoins, et moins de la contribution de chacun
au travail rémunéré.
Enfin, en ce qui concerne en particulier la baisse du revenu des chômeurs,
il est capital de noter qu’un argument central en faveur de l’allocation
universelle réside dans l’occasion qu’elle donne au chômeur
de travailler, fût-ce à temps partiel, sans perdre le droit
à son allocation. Il est donc fallacieux de comparer statiquement
le niveau de son allocation actuelle à son revenu actuel, puisque
l’essentiel du changement consiste à lui ouvrir la possibilité
d’ajouter à celle allocation. Si cependant, en particulier pour
les chômeurs de première année, la baise de revenu
était jugée trop importante, on pourrait à la rigueur
concevoir qu’une indemnité supplémentaire leur soit accordée.
" D’où vient l’idée ?
Si l’on excepte une apparition timide, en février
1983, dans la presse interne du mouvement ECOLO, c’est en octobre 1984
que l’idée d’allocation universelle fait irruption dans le débat
public belge. la fondation Roi Baudoin décerne alors un prix
de 150000 francs belges au « Collectif Charles Fou » un groupe
d’économistes, sociologues et philosophes de l’UCL, pour couronner
un scénario présenté sous ce titre dans le cadre
d’un concours que la Fondation avait organisé sur l’avenir du
travail.
Mais l’idée n’est pas neuve. Un numéro spécial
de La Revue Nouvelle publié quelques mois plus tard («
L’allocation universelle. Une idée pour vivre autrement »,
avril 1985, récemment réédité) explique
notamment que des idées étroitement apparentées
apparaissent dès le 19e siècle, sous la plume du socialiste
utopique Charles Fourier et du romancier américain Edward Bellamy...
" Qui est pour ? Qui est contre ?
Aujourd’hui, près de deux siècles plus
tard, l’idée de l’allocation universelle refait surface. Elle
trouve même soudain, dans l’Europe du Nord-Ouest, une vigueur
jamais atteinte. De la Finlande à l’Autriche, de Dublin à
Berlin, des chercheurs, des groupes de travail, des organisations la
redécouvrent, l’étudient, la lancent dans le débat
public. A gauche comme à droite, les premières réactions
des grandes organisations - partis politiques établis, syndicats
et associations patronales - sont massivement hostiles. Toutes se rejoignent
pour réaffirmer le lien sacré entre le travail et le revenu.
Pas question de faire des transferts sociaux autre chose qu’une assurance
pour laquelle on doit cotiser en tant que travailleur, ou à la
rigueur un pis-aller pour tirer d’embarras ceux qui ont la grande malchance
d’être inapte au travail ou de ne pas trouver d’emploi.
Au sein de ces diverses organisations, cependant, des voix s’élèvent,
minoritaires certes, mais de plus en plus nombreuses, pour que l’idée
d’allocation universelle puisse au moins faire l’objet d’une discussion.
D’autre part et surtout, qu’elle ait été officiellement
adoptée ou qu’elle soit intensément discutée, l’idée
d’allocation universelle est désormais au coeur de la pensée
socioéconomique des diverses composantes du mouvement écologiste
européen. Et il n’y a à cela rien d’étonnant. Car
l’allocation universelle ouvre la possibilité d’une lutte efficace
contre le chômage qui ne passe pas par la promotion effrénée
de la croissance. Elle encourage systématiquement des activités
économiques moins onéreuses en ressources naturelles et
utilisant davantage de travail de qualité. Et elle donne à
chacun(e) une autonomie accrue : à l’égard de son employeur
comme à l’égard de son conjoint et de l’administration
sociale.
L’espoir que l’idée finisse par passer au niveau de la société
entière n’est cependant pas suspendu à la perspective
dérisoire de voir un jour les formations écologistes conquérir
la majorité absolue. pour qu’il se réalise, il suffit
qu’elles parviennent à exercer une pression suffisante sur le
jeu politique - par l’attrait qu’elles peuvent présenter pour
ceux qui ont le plus à gagner d’une telle réforme : femmes,
jeunes, allocataires sociaux, sous-statuts. Ce n’est pas joué
d’avance. Il faudra des luttes pour rendre l’avenir vivable.
(*) En 1983, le PIB par habitant était de 8216$ en Belgique et de 9538$ en france. les évaluations équivalentes à celles présentées ici, que l’on peut faire pour la France sont donc du même ordre de grandeur que celles obtenues pour la Belgique.
Quel est l’obstacle qui oblige les uns à ne
pas produire et les autres à ne pas pouvoir consommer.
Réponse : c’est le papier-monnaie.
Ne trouvez-vous pas curieux qu’on ne veuille pas répartir la monnaie, si facile à fabriquer et à distribuer, afin d’écouler toutes les richesses produites par les travailleurs
Cette répartition de pauvres paniers nécessite peu d’énergie. Il faudrait questionner les grands, les politiques, les économistes et les spécialistes financiers sur l’usage de la monnaie, ce frein à la saine économie ?
Si c’est par ignorance qu’ils la tolèrent, c’est grave. Si c’est par non- vouloir et pas esprit de conservatisme, c’est aussi grave et il est grand temps de les remplacer par des hommes et des femmes conscients des véritables responsabilités.
Pour sortir de la crise de la pensée, il n’y
a plus qu’une alternative : une réforme monétaire.
Mais il faut qu’elle soit rapide si on veut éviter le pire !