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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 854 - mars 1987

 

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N° 854 - mars 1987

Mais si, ça bouge !   (Afficher article seul)

Des chiffres   (Afficher article seul)

Réduction du temps de travail   (Afficher article seul)

Du concret tout de suite   (Afficher article seul)

La vénération du passé    (Afficher article seul)

Un ignoble mais fructueux commerce   (Afficher article seul)

Belle évolution !   (Afficher article seul)

Télévision, chômage et censure   (Afficher article seul)

Donnez-nous un revenu de base   (Afficher article seul)

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Éditorial

Mais si, ça bouge !

par M.-L. DUBOIN
mars 1987

Des lecteurs, pessimistes, écrivent : "Vos analyses et vos propositions sont judicieuses, mais il n’y a rien à faire pour qu’elles soient comprises : l’opinion publique est trop conditionnée par les "gros" média, elle est passive, elle gobe tout et n’évolue point".
Eh bien, je viens d’avoir la preuve du contraire. Ayant passé plusieurs semaines aux Etats-Unis, j’ai cessé pendant ce temps de suivre l’actualité en France. Surprise au retour : ça a nettement bougé !

En Novembre dernier, tout le monde pensait qu’on pouvait imposer aux étudiants une n ème réforme de l’enseignement. En Décembre, le mouvement des lycéens et des étudiants a stupéfié par sa détermination : pas de sélection, et surtout pas par l’argent !
Bien des "distributistes" nous disent souvent : "surtout ne parlez pas d’égalité économique. Il faut, même en économie distributive (*), rémunérer le zèle et l’esprit d’initiative, il faut ajouter un "revenu d’émulation" car sinon l’opinion publique ne vous suivra jamais". Or, juste après les manifestations étudiantes, un mouvement spontané, lui aussi inattendu, s’est répandu comme un trait de poudre : la grève des agents de conduite de la SNCF. S’agissait-il d’une grève comme celles qu’organisent les syndicats pour des revendications salariales ? Non. Les jeunes agents de conduite manifestaient leur refus d’une grille qui aurait justement permis de diversifier les salaires selon "le mérite"... "Ce que nous voulons d’abord, déclarait un délégué à la coordination nationale, c’est que la direction ouvre des négociations sur l’égalité dans le déroulement des carrières et les conditions de travail".
Enfin c’est un mouvement semblable qui s’est amorcé chez les instituteurs, refusant que certains d’entre eux aient accès à un statut de "petits chefs".
Alors, réveil social ? Ces mouvements, pourtant, ne proviennent que de salariés du secteur public. Ceux du secteur privé ont trop peur de perdre leur emploi pour oser revendiquer. On peut toutefois noter qu’ils n’ont pas tellement suivi les politiciens les incitant à manifester contre les grévistes, malgré la gêne évidente que ces grèves des transports publics étaient pour eux.
On ne peut pas prévoir comment va évoluer une société en pleine instabilité. Mais ces mouvements peuvent faire espérer que l’opinion cesse d’être dupe quand on lui explique que la "rigueur" est indispensable de la part des salariés, tandis que la bonne marche de l’économie oblige à privilégier... ceux qui sont déjà privilégiés (**).
Autre preuve d’évolution : un pays du Tiers-Monde, le Brésil, vient tout simplement de refuser de payer les intérêts de ses dettes aux banques du pays qui impose son modèle au monde occidental, malgré un déficit et une dette extérieure colossaux... et des exactions contre le Nicaragua qui sont une atteinte intolérable _ mais rarement dénoncée (***) _ aux droits de l’Homme.

(*) voir page 15
(**) voir les chiffres de l’encadré ci-contre
(***) lire "La Longue guerre occulte contre le Nicaragua" par I. Ramonet dans le "Le Monde Diplomatique" de Février 1987.

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Des chiffres

mars 1987

C’est à beaucoup plus que les 35 milliards de F, selon l’évaluation faite par F. Mitterand au début de cette année, qu’on vient (*) de chiffrer les privilèges récemment accordés aux déjà privilégiés. En voici le décompte :
- Suppression de l’impôt sur les grandes fortunes = 4 milliards  ;
- Abaissement du taux de l’impôt pour les grandes et moyennes entreprises = 10 milliards ;
- Diminution de la taxe professionnelle et de celle sur les frais généraux, etc 11 milliards ;
- Effort en faveur des fraudeurs (de grande envergure) et spécialistes de transfert illicites de capitaux, de commissions occultes ou comptabilités truquées =7 milliards ;
-Allégements fiscaux pour les hauts revenus = 2 milliards ;
- Abattements sur les revenus mobiliers, etc = 2 milliards ;
A ces 36 milliards, il faut ajouter l’abattement forfaitaire sur les revenus immobiliers et l’allégement des droits de succession. Et ne pas oublier la majoration des honoraires médicaux et les mesures prises en faveur de la "dépénalisation" du secteur libre, soit environ 5 milliards, ni les 2 milliards aux agriculteurs dont une grande partie est allée aux plus fortunés, tels les viticulteurs du Bordelais où la Bourse locale a fait un bond de 100 % en 1986. Enfin n’oublions pas la sollicitude du Ministre des Finances envers les boursicoteurs : la sous-évaluation des actions d’ELF-Aquitaine, de Saint-Gobain et de Paribas est évaluée à environ 5 milliards. Or 5 millions parmi les 7 millions de "petits épargnants" concernés par ces ventes ne représentent que 9 % des actifs, tandis que 100.000 personnes en détiennent 35 % : le tiers de ces 5 milliards vont donc à elles. Elles qui ont bénéficié déjà de la hausse de 320 % des actions en Bourse depuis 1981.
Comparons à ces chiffres ce qu’aurait coûté l’augmentation de 1 % des salaires refusée à la fonction publique : 5 milliards.
Mais reconnaissons que l’Etat a annoncé l’affectation de 400 millions (soit moins d’un demi-milliard) pour la lutte contre la pauvreté au cours de l’année 1987 !

(*) Evaluation par C. de Brie dans le "Monde Diplomatique" de Février 1987

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Réduction du temps de travail

par A. PRIME
mars 1987

1. En Allemagne

Le plus puissant des syndicats d’Allemagne Fédérale, l’IGMetall, 2.500.000 adhérents, avait, en 1984, au terme d’une grève de deux mois, obtenu la semaine de salaire de 38,5 heures, sans diminution de salaire. Certes, au départ, il réclamait la semaine de 35 heures ; mais le patronat allemand ne pouvait, en économie marchande, accepter une baisse brutale de 5 heures. Par contre, il savait que les gains de productivité déjà acquis ou à venir, lui permettaient de céder une heure et demie sans dommage. Ce que les faits ont démontré.
Pour le syndicat, cette brèche était tout de même une victoire : elle indiquait les objectifs, futurs, la voie à suivre. Et de fait, fin octobre 1986, la lutte repart : le nouveau président de l’IGMetall réclame 35 heures, toujours sans diminution de salaire. En revanche, pour atteindre ce but, il est prêt à faire une concession de taille aux "impératifs" du capitalisme : admettre une durée d’utilisation plus longue des machines. "Je peux m’imaginer, dit-il, que les entreprises travaillent 9, 10 ou 11 heures dans le futur au lieu de 8".
Pour le moment, le patronat refuse, même dans ces conditions. C’est de bonne guerre, car il espère bénéficier à la fois de l’allongement du travail des machines, ce qui représente un gain considérable sur le plan de l’amortisement des investissements, et traitera 37 heures par exemple.
D’autant que, sur un plan national, et même au delà des frontières, un tel précédent risquerait de faire tache d’huile ; ce qui est admissible sur le plan de la métallurgie ne l’est sans doute pas - en économie de marché s’entend - pour l’ensemble des salariés.

2. En France

A moins d’avoir la naïveté de croire au "grand soir distributiste" ou à la grandeur d’âme des capitalistes et des Etats qui les servent, fussent-ils sociaux démocrates ou même "socialistes", il faut bien admettre la marche dialectique de l’Histoire. J’ai personnellement, à plusieurs reprises, dans la Grande Relève, écrit que si, par nature, j’étais plutôt révolutionnaire, par raison, je pense que des réformes ont fait et font progresser la société (attention : rien à voir avec l’esprit "réformiste").
Dans la G.R. de Décembre, je relatais la position des socialistes _ et singulièrement celle de L. Fabius _ face au problème du chômage ; en matière de réduction du temps de travail : quasiment rien. Le 29 octobre, au bureau exécutif du PS, L. Jospin se plaignait que le texte proposé aux sections en vue de la Convention des 13 et 14 décembre sur l’emploi revêtait une forme essentiellement interrogative ; il souhaitait qu’avant la Convention, certaines réponses soient apportées aux questions posées dans le document sur la politique de l’emploi.
Or, surprise, à la Convention, la réduction du temps de travail était à l’ordre du jour, et en bonne place. Je crois, bien qu’aucun leader du PS, bien sûr, n’y ait fait allusion, que c’est la revendication des 35 heures de l’IGMetall, formulée vers le 20 octobre, qui a précipité la prise de position du PS et l’impatience de L. Jospin. Quelle gifle en effet pour la direction si, à la tribune de la Convention, un orateur "de basé", s’appuyant sur l’exemple allemand, avait dénoncé la vacuité des projets du PS en matière de réduction du temps de travail, et ce, sous les applaudissements nourris des délégués, car ceux-ci applaudissent très fort effectivement les propositions faites en ce sens.
L’essentiel est qu’enfin "on en parle". Le plus curieux c’est que les socialistes reprennent exactement le corollaire de l’IGMetall, à savoir que cette réduction du temps de travail ne pourra être envisagée qu’avec, en contre-partie, l’allongement du temps d’utilisation des machines ; en clair, elle implique le travail en équipe. Le projet s’inscrit donc bien dans le cadre d’une économie marchande. En fait, les propositions du PS vont moins loin que celles de l’IGMetall : d’abord, elles ne visent pas forcément à 35 heures, ensuite, elles ne sont conçues que pour être appliquées cas par cas, entreprise par entreprise. Si la réduction du temps de travail ne peut s’accompagner d’un allongement du temps d’utilisation des machines ou équipements, qui permette au patron de regagner ce qu’il concède, aucun accord ne s’impose. Les accords par branche (comme la métallurgie pour l’IG Metall) ou nationaux (type 39 heures en 1981) sont exclus. En bref, c’est moins audacieux.
Tout cela c’est du vent, direz-vous, çà n’a rien à voir avec ce que nous proposons ! Non, bien sûr. Mais, encore une fois, la situation que nous connaissons aujourd’hui _ protection sociale, 39 heures, congés payés, etc _ est le résultat de luttes qui durent depuis deux siècles : tout a été arraché, rien n’a été octroyé. C’est cruel, mais c’est un constat historique. La plupart des avantages acquis, dont tous profitent, y compris les cadres et même les patrons, l’ont été dans l’opposition contre la classe possédante au pouvoir.
Alors admettons que c’est une nouvelle brèche, petite certes, dans la citadelle capitaliste, qui se défend et se défendra par tous les moyens. Hélas, elle tient bon, malgré le chômage : voyez les multinationales, la Bourse... Une maison lézardée peut mettre des décennies à s’écrouler.
Ce qui me paraît important, c’est que dans les 5 ou 10 ans qui viennent, de nombreux accords de cet ordre soient signés dans les plus grosses entreprises, tertiaire inclus, car il ne faut pas se faire d’illusions, çà ne sera pas valable pour les petites affaires. Les 35 heures, par exemple, finiront par s’inscrire dans les mentalités, comme s’étaient inscrites les 40 heures et l’ensemble suivra plus tard, comme cela s’est toujours produit.
Autre point important : la France n’est pas seule concernée, puisque le "vent" vient d’Allemagne et, plus précisément, de syndicats non politisés qui ne défendent que leurs seuls intérêts. Le PS, du reste, semble avoir fait un nouveau pas dans sa réflexion : il insiste sur la dimension européenne indispensable, sur le travail intersyndical qui doit y être entrepris. Il rejette "les modèles" américains et japonais  ; autrement dit, il a pris conscience que ceux-ci ne peuvent rechercher qu’une "sortie à droite", c’est-à-dire duale, de la crise. Les socialistes espèrent que, petit à petit, une sortie plus humaine, plus à gauche, pourrait être envisagée par l’Europe, l’Europe où les majorités gouvernementales sont susceptibles "d’alterner".

Réformateurs !

Ces solutions "de réformes" vont peut-être faire hurler certains abondancistes. J’en ai conscience, mais j’ai dit plus haut pourquoi j’étais contraint au réalisme. Le réalisme n’est pas le pessimisme c’est peut-être le seul espoir d’une lutte longue, face aux immenses intérêts en place, intérêts qu’en 1940 le capitalisme n’a pas hésité à défendre au prix de la plus effroyable des guerres, à laquelle il faut ajouter toutes les guerres qui n’ont cessé depuis et qui ont le même but.
C’est pourquoi, je pense que la voie "réformes" est la seule qui soit optimiste ; sinon, il faut prouver-que le contraire est possible.
Or, dès que nous ouvrons, dans la Grande Relève, un débat sur la transition, nous ne recevons pratiquement aucun courrier. Par contre, de nombreux camarades nous écrivent "Pendant des décennies, j’ai lutté pour faire connaître l’Economie Distributive, aucun dirigeant ne nous écoute, rien n’avance, c’est désespérant, verrons-nous un jour... etc."
Lorsque Marx a édité le Capital, il en a vendu 400 exemplaires.
Quand on sait ce qu’il en est advenu, il n’y a pas à désespérer de l’Economie Distributive : à défaut de s’instaurer brusquement, elle chemine sournoisement, irréversiblement. Ce qu’il faut, c’est prendre les socialistes au mot, les obliger à aller plus loin, faire pression sur eux, leur écrire. Vous avez eu dans la Grande Relève l’exemple de camarades qui -ont écrit à Jospin, Fabius, Bergeron, Rocard... et leur réponse. C’est peu, mais il ne faut pas désespérer, au contraire, il faut s’acharner. "Si vous voulez être édité, disait Montherlant, emmerdez . les éditeurs". Alors, allons-y, em.. les socialistes... et d’autres. Je suis absolument persuadé que ce bombardement (nos lettres, les brochure "Sortir le socialisme de la crise" envoyées à tous les députés PS et fédérations, la brochure "L’économie libérée", etc...), appuyé par le "déclic" de l’IGMetall - et sans doute le rapport Taddèi _ a pesé lourd dans l’évolution de la réflexion des dirigeants socialistes. Même l’idée dû minimum garanti qu’ils avancent, après d’autres groupes au niveau européen il est vrai, a été inspirée par les thèses de l’Economie Distributive, même si elle n’en est qu’une caricature. C’est un "petit pas" que NOUS, NOS IDEES, leur avons fait faire.
Profitons de ce que le PS soit dans l’opposition : il a le temps de réfléchir aux raisons de ses échecs, il en reconnait certaines : "Et pourtant, écrit Fabius, il est resté ce fait brut, à savoir que sur la base d’une comparaison sèche, le nombre des chômeurs a augmenté entre 1981 et 1986, donnant le sentiment d’un grave échec : nous fûmes battus aux élections".
Ecrivez à vos députés, aux fédérations, aux sections, envoyezleur la brochure "l’Economie Libérée", des Grande Relève" (nous en avons à notre disposition) ; car il faut avoir ceci à l’esprit :
1. La gauche ne peut espérer revenir au pouvoir qu’avec un programme crédible de lutte contre le chômage.
2. Si elle revient au pouvoir, elle n’aura plus l’excuse qu’elle s’est donnée entre 1981 et 1986, à savoir les difficultés plus grandes que prévues, une crise qui dure, l’obstruction de la droite, etc... Si elle ne résout pas le problème du chômage _ au moins d’une façon très sensible _ elle sera balayée pour longtemps. Maintenant, elle le sait.
Pour conclure, rappelons que la Convention sur l’emploi a, compte tenu des événements imprévus qu’ont constitué les manifestations étudiantes, largement évoqué la puissance de ce mouvement. Nous devons aussi y réfléchir. C’est de la jeunesse qui craint - tous les sondages le confirment - avant tout le chômage, et des chômeurs dont le nombre va continuer à croître inexorablement, que peut venir l’étincelle qui accélérerait considérablement l’évolution d’une société condamnée à terme, précipiterait les vraies réformes nous rapprochant de l’Economie Distributive.

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Une autre voie

Du concret tout de suite

par P. LE DUIGOU
mars 1987

Voici un peu plus de deux ans que j’ai fait connaissance avec le Distributisme. Je me rappelle cette période d’enthousiasme. Je venais de rencontrer des gens qui ayant une analyse de la situation allant dans le même sens que la mienne, me proposaient en plus LA SOLUTION. Devenant immédiatement un distributiste convaincu, je constatais à la fois l’a-charnement général à diffuser la proposition et le découragement devant le soidisant peu d’impact de nos thèses (peut-on le mesurer ?). Cherchant à saisir les causes de cette situation, je comprenais qu’il n’est pas possible de passer brutalement d’un système économique à un autre, techniquement et humainement parlant. Je pensais donc qu’il fallait procéder par étapes et proposais de travailler sur ce thème au sein d’une commission sur les mesures de transition.

Une mesure de transition

Un des axes suivis par la commission tourne autour de cette question : Quelles réponses pourraient apporter des conseillers municipaux distributistes, majoritaires dans leur commune, aux contradictions du système que nous connaissons actuellement  ? Pour l’instant, nous n’avons pas trouvé cette réponse.
Il semble que les pouvoirs d’un conseil municipal restent enfermés dans les carcans du système et ceci explique qu’en aucun endroit ne soit appliquées des mesures distributives. Mais nous nous sommes aperçus que notre recherche tournait autour d’une notion géographique, la commune, et que nous pouvions considérer notre démarche sous un autre aspect, celui de notre temps. Actuellement, les systèmes économiques sont appliqués à l’intérieur des frontières qui délimitent les nations. Pour changer l’ordre économique d’une nation il faut être au pouvoir. Mais il serait peut-être plus facile de se soustraire au système une heure par jour, puis deux, puis trois... jusqu’à ce que notre système soit prépondérant. Pour cela, il nous faudrait commencer des actes distributifs. C’est peut-être en ce sens que le projet de Marc HANDRICH nous apparaît comme une mesure de transition.

Marc HANDRICH et son Centre Télématique de Partage des Décisions (C.P.T.D.)

Marc est ingénieur, chercheur en intelligence artificielle, et travaille depuis bientôt quatre ans sur son projet. Distributiste acharné, il a compris le .rôle de la machine dans la transformation de notre société et investit toute son énergie pour accélérer le processus. Lui laissant le soin de présenter son CPTD, je n’utiliserais que deux exemples d’application pour vous faire saisir la portée de ses travaux.
Les recherches d’appartement sont très délicates, demandent beaucoup de temps et de démarches. Une banque de ’données par ville permettrait de regrouper d’un seul coup toutes les informations et dé sélectionner rapidement les annonces selon ses propres critères (le , prix, la surface, le lieu..). Cette possibilité marque l’originalité dut serveur (recherche par critères multiples et statistiques). Facilitant la vie des demandeurs d’appartement, la banque de données entrainerait la suppression des agences immobilières, donc de tout un pan de l’économie capitaliste de notre pays. De plus, l’utilisation de tels systèmes entrainera forcément une prise de conscience de la part du consommateur, des possibilités de transformation liées à la machine.
Bien souvent, dans un même quartier, les habitants ne se connaissent pas. Connectés sur un puissant serveur de quartier, ils pourraient se rendre de multiples services sortant du domaine marchand : Qui peut me prêter tel ou tel outil ? Qui peut me garder mon enfant pendant une heure à tel moment ? Qui peut me rapprocher de la gare ou de mon travail demain, ma voiture étant en panne ? Question brûlante par ces temps de grève et d’intempéries.

La démocratie directe

Grâce au CPTD, je viens SEULEMENT de prendre conscience d’un aspect important de la révolution technologique qui, POURTANT a été abordé par Marie-Louise DUBOIN dans "LES AFFRANCHIS DE L’AN 2000" : la communication de chacun avec l’ensemble grâce à l’avénement de la télématique. Ainsi la machine assure-t-elle la relève de l’Homme dans les usines et les bureaux, mais elle assurera à terme la relève de nos chers décideurs. Patrons et politiciens ne pourront plus manipuler en cachant les informations à l’ensemble des citoyens. Ceci explique peut-être que l’accès des banques dé données soit réservé aux grosses entreprises et à quelques spécialistes. Ceci explique peut-être l’augmentation des coûts de liaison téléphonique par l’abaissement de temps à l’unité qui entraine une autolimitation financière pour l’usage du minitel et autres. Mais malgré tous ces artifices, tous ces retardateurs de bombe que savent nous concocter les dirigeants du système, le pouvoir va changer de mains. Nous allons inexorablement vers la DEMOCRATIE DIRECTE. L’avènement du distributisme est lié à ce changement politique. Il s’inscrit dans l’Histoire.
L’économique est lié au pouvoir et vice-et-versa. Les premiers riches furent les nobles. Puis, les richesses augmentant, la Bourgeoisie s’est emparée du pouvoir et du tout social. L’ère de l’abondance étant à nos portes, le pouvoir ira à l’ensemble de la population et les richesses seront réparties entre tous. Lutter pour le distributisme est insuffisant : il faut agir pour la démocratie directe !

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Les capacités de production dues aux développements technologiques de ces dernières années sont telles que, même depuis le début de la crise, les progrès matériels ont été considérables. Voici ce qu’écrivent à ce sujet Y. Bresson et P. Guilhaume, dans " Le Participat ", ouvrage que nous avons analysé dans ces colonnes (n°853) :

La vénération du passé

de Y. Bresson et P. Guilhaume
mars 1987

Le ralentissement de la croissance depuis 1973 est probablement en France la cause principale du pessimisme notamment parce qu’il a réduit chaque année la part supplémentaire des ressources à partager, et parce qu’il s’est accompagné d’une progression régulière et plus forte du chômage. Chacun, étrangement, paraît s’être convaincu que la vie était meilleure avant la crise et s’entretient dans la nostalgie des "trente glorieuses" achevées au début des années 70.

La réalité est toute différente  ; objectivement la France de 1985 vit beaucoup mieux dans son ensemble que celle de 1973 et il est sûr qu’un retour au prétendu âge d’or de l’avant-crise serait insupportable pour tous les Français qui _ comme le souligne un rapport du plan _ seraient privés de 30 % du parc automobile, posséderaient quatre fois moins de téléphones, dépenseraient 50 % de moins pour leur santé, 40
de moins pour leurs loisirs... De même il est inconstestable que la ponction croissante opérée par l’Etat et la Sécurité Sociale n’a pas empêché la croissance du pouvoir d’achat réel des ménages.

La conviction sincère - et totalement injustifiée - qu’ils vivaient mieux avant maintient les Français dans un pessimisme démobilisateur comme l’idée qu’il convient de rétablir les mécanismes de la croissance d’autrefois empêche de considérer que ce sont les règles et les modes de fonctionnement de l’économie et de la société qui sont en cause. Les réponses d’hier peuvent faire encore la presque unanimité des clercs (souvenons-nous de l’unanimité des années 30 !) ; elles n’en sont pas moins inadaptées.

(relevé par A. Prime)

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Voici ce que publie dans " Le Libertaire " de Janvier 1987, notre ami Robert JOSPIN, sous le titre :

Un ignoble mais fructueux commerce

par R. JOSPIN
mars 1987

Est-il utile de le nommer ? Il s’agit du commerce des armes aussi odieux que le commerce de la drogue, pratiqué par des individus, quand ce n’est pas par les Etats eux-mêmes.
La France qui - en devises - n’occupe que la troisième place , s’installe au premier rang _ compte tenu de sa population _ par tête d’habitant. Glorieux palmarès !
Si, comme le dit une sotte sagesse populaire "l’argent n’a pas d’odeur " il a ici la couleur du sang !
Elargissons le problème. Présentement, à cet égard, un scandale secoue les U.S.A. qui dégénère en crise politique. On en connaît l’objet. L’Amérique, par le truchement d’Israël, a vendu des armes à l’Iran ! Fait un temps contesté, finalement reconnu par le Président Reagan, lequel, à l’origine, prétendait tout ignorer...
Par ailleurs, le bénéfice de cet infâme commerce est versé aux " Contras ", rebelles antisandinistes du Nicaragua, non sans - comme toujours - que quelques poches particulières ne s’emplissent..

Tels sont les faits, brutaux, incontournables.
Ne nous appesantissons pas sur cette crise et ses développements qui ne nous concernent qu’indirectement. Contentons nous d’en tirer l’infernale leçon.
L’immortalité indéniable de l’événement c’est que ce soit l’Etat d’Israël qui, en cet odieux marchandage, sen trouve être l’intermédiaire. Israël, fournissant en armes - fussent-elles américaines - son pire ennemi ! Israël donnant à l’Iran dont il est l’un des principaux "satans" les moyens de sa propre destruction éventuelle ! Israël, menacé dans sa survie d’Etat, quotidiennement dénoncé dans les diatribes de l’imam Khomeiny ! Israël qui risque, demain peut-être, de disparaître en tant qu’ Etat sous l’assaut des Arabes réconciliés !
Ce n’est pas un mauvais rêve qui vous saisit, c’est un cauchemar.
Comble de l’ignominie et de la stupidité !Aveuglement qui confond l’esprit ! Payer de ce prix l’asservissement aux U.S.A. !
Revenons à ce commerce dénoncé.
En plus de vingt lieux du monde la guerre sévit, sanglante , implacable. Des communautés entières sont meurtries ou disparaissent. Où sont les responsables, les acteurs cachés de ces drames ? Ce sont les fournisseurs d’armes. Sur les quelque 170 Etats constitués de la planète, moins de dix fabriquent ces instruments de mort. Qu’ils vendent, alimentant rebellions, guerre et carnages. Sans ces fournitures chèrement acquises, ces pays acheteurs seraient incapables de se battre ou de s’entredéchirer, si on en excepte des conflits locaux ou tribaux, bien limités en étendue dans le temps et aussi en violence !
Ajoutons, des pays souvent pauvres, des populations affamées. Des armes qui ne sont que la parure dérisoire de ceux qui les gouvernent. Triste réalité !
Venons-en aux remarques de nos adversaires bellicistes. Celle-ci, souvent entendue : " Si nous renoncions à ce commerce, d’autres s’empresseraient de se substituer à nous. " Nous l’admettons. Nous n’ignorons pas non plus que ces ventes améliorent notre situation commerciale et financière assez fragile. Mais ne serait- il pas possible de développer d’autres secteurs industriels ? D’autre part, si la France, puissance souveraine reconnue, déclarait solennellement au monde qu’elle renonce à cet odieux trafic, voulant ainsi alléger la souffrance des hommes, mesure-t-on le choc que subirait l’opinion, mieux, la conscience universelle ? Nul n’en peut prévoir les effets.
Autre remarque : ces fabrications d’armes nous fournissent l’occasion d’améliorer, de perfectionner notre propre matériel, de le rendre plus crédible, plus alléchant aussi. Soit, mais qui paie ce "perfectionnement " ? Des peuples innocents et souvent sans défense. Qui sait _ retour de l’Histoire _ nous, nos clients devenant nos agresseurs ?
Et nos adversaires d’ajouter que ce serait une perte de prestige pour la France que ce renoncement à armer ceux qui nous assurent de leur confiance.
Quoi ? Notre prestige, notre rayonnement tiendraient à ce commerce, à la qualité de ces engins de mort proposés ? Triste abaissement de notre rôle en ce monde !
Nous avons l’orgueil de croire que ce qui fait le prestige d’un pays ce sont ses savants, ses penseurs, ses artistes, ses écrivains. Que ce sont aussi les principes - parfois oubliés ! - sur quoi se construit une civilisation, semence indestructible de l’esprit. C’est là, dans l’Histoire incessamment en marche, le seul gage d’efficacité et de durée. De respect aussi.
L’arme menace et tue. L’esprit seul crée la vie.
Eternelle leçon que nous ne devons pas oublier.

(transmis par C. Tourne)

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On se demande quelle différence fondamentale il y a entre la société sous Elisabeth lère et la nôtre, après quatre siècles " de progrès " quand on lit sous la plume de Jacques CHASTENET la description suivante :

Belle évolution !

mars 1987

Si prospère soit-elle dans son ensemble, l’Angleterre élisabéthaine est loin de l’être uniformément. D’extrêmes misères n y sont pas rares auxquelles les couvents ne sont plus là pour porter secours et dont les autorités sont bien forcées de s’occuper, quand ce ne serait que pour éviter des troubles. De là une série de lois (Poor laws) qui tendent à organiser un embryon d’assistance publique sinon de sécurité sociale. La plus complète sera votée en 1597 à la suite de récoltes déficitaires : désormais, une taxe sera levée dans chaque paroisse, destinée à assurer aux indigents un minimum d’existence ; des citoyens désignés par les Justices of the Peace auront mission d’en assurer la perception ; ils devront en outre établir des ateliers dans lesquels les chômeurs seront assurés de trouver du travail ; enfin les enfants pauvres recevront gratuitement l’apprentissage d’un métier manuel ; en revanche, le vagabondage et la mendicité seront interdits et toute infraction se verra sévèrement réprimée.

La différence est qu’en 1987, la même situation se retrouve mais avec des récoltes excédentaires !

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Télévision, chômage et censure

par R. MARLIN
mars 1987

Cet article n’a pas pour objet d’asséner des vérités toutes plus absurdes ou discutables les unes que les autres comme savent si bien - ou si mal - le faire, à leur corps défendant, une cohorte de soidisant spécialistes économiques à la télévision tels que Philippe Sassier, Emmanuel de la Taille ou François de Closets dont le ton doctoral et la suffisance découlent de l’absence de contradiction dont ils sont assurés, mais d’expliquer pourquoi nous ne pouvons pas faire connaître nos thèses à la télévision.
Le pouvoir actuel a fait désigner une majorité de membres de la Commission Nationale de la Communication et des Libertés (la bien nommée !) aux ordres, puis des directeurs de chaine militants politiques, qui, en particulier sur FR3, ont fait remplacer par des amis politiques les rédacteurs de l’information. Pendant que JeanLouis Guillaud, un proche du premier ministre, accède à la présidence de L’Agence France Presse, TF1 va passer lors de sa privatisation à des gens sûrs. Ce n’est donc pas ce gouvernement qui facilitera notre expression à la télévision.

Tentatives

Il est bon que nos lecteurs sachent que malgré nos efforts et la présentation d’un dossier solide, il nous a été impossible de participer à l’émission de Michel Polac, "Droit de réponse" du 10 janvier 1987 consacrée au chômage. Peut-être ce journaliste dont l’esprit non conformiste et pourtant bien connu n’a-t-il pas cru devoir prendre le risque de laisser exposer nos thèses’ sur l’antenne. Espérons pour lui que cette sagesse inhabituelle le sauvera d’un limogeage toujours menaçant, malgré des sondages qui lui sont favorables. Consolons-nous, cependant : l’émission fut consacrée en partie aux "Restaurants du coeur" et aussi aux grêves dans les entreprises publiques, ce qui n’était pas dans le sujet initialement prévu. Ce n’est qu’ensuite que des témoignages nombreux et d’intérêt variable ont pu être présentés.
La lettre circulaire de Michel Polac par laquelle il répondait négativement à notre demande, en se justifiant par la trop grande abondance des témoins déjà retenus, était acceptable. A noter aussi, ses remerciements, de principe, pour la documentation que nous lui avons fait parvenir, dont il n’a d’ailleurs pas fait mention devant les caméras. Par contre, l’inénarrable Guy Sorman et le professeur Alain Touraine étaient, eux, invités.

Les heureux élus

Alain Touraine (1) a des idées raisonnablement - centristes sur les grèves des services publics : ceux qui revendiquent ne sont pas les plus malheureux mais ceux qui ont la plus forte capacité de contestation ; il faut donner de l’autonomie aux entreprises nationales (mais quelle autonomie ? là est le problème) ; face à la crise chacun croit s’en sortir seul et la société se bloque avec le danger d’une forme de fascisme au bout. Dans un article cité par R. Barre à la télévision (2) et par J. Domenach dans le "Monde", A. Touraine précisait d’ailleurs : "La politique a été enfin déconstruite... Elle n’est plus centrée sur la société, mais sur les gens ; elle ne doit plus avoir le culte du système, mais le respect des acteurs... Nous n’attendons de la politique que le respect de nos chances et de nos libertés. Nous ne voulons plus changer de prince." II parait que ces réflexions sont "éclairantes"  ! En réalité, dans ce style "moderne", où les néologismes remplacent les idées, ici "déconstruites" au lieu de "renouvelées", qui serait plus riche, le professeur découvre le retour à l’individualisme. En cette période de difficultés économiques, le capitalisme a épuisé les autres solutions, y compris la tentative sociale-démocrate. Nous aurions pourtant besoin de solidarité.

Les occasions de travail

Lorsqu’on en vient à l’emploi, A. Touraine ne pense pas que les femmes puissent être renvoyées dans leurs foyers uniquement parce qu’il faut deux salaires pour faire vivre une famille. Mais M. le Directeur d’études n’a pas encore compris que la quantité totale de travail salarié baisse inéluctablement. Il reprend à son compte, sous une forme plus attrayante, ce sophisme  : La croissance ne règle pas tout, mais sans croissance, pas de diminution du chômage. M. Polac lui faisant remarquer que le taux de non-emploi en Europe tourne autour de 11% (3) demande si le fameux volant organique est inévitable.
G. Sorman (4) qui marque son désaccord sur ce point avec A. Touraine pense qu’au contraire, le chômage ne peut augmenter car la croissance restera faible (5).
Mais sa solution, c’est le catéchisme ultra-libéral luttes acharnées pour conquérir les marchés, innovations, entreprises précaires, changement de métiers en fonction de la demande, acceptation du risque à la hausse comme à la baisse... etc. Il cite l’exemple qui lui est cher, celui du Japon. A la question de M. Polac les salariés doivent-ils, lorsque c’est nécessaire, accepter des diminutions de salaires ? G. Sorman répond, bien entendu, par l’affirmative ; mais il ne dit pas ce que les travailleurs deviennent en cas de faillites en chaîne.
L’idéologie libérale, comme d’ailleurs le socialisme sectaire et centralisateur, engendre la catastrophe. La loi de la jungle appliquée à l’homme conduit aux formes extrêmes de la lutte économique  : la guerre intérieure _ civile ou terroriste _ et extérieure, locale, puis générale. Heureusement tous ces doctrinaires intransigeants ne semblent plus pouvoir aller jusqu’à des réalisations intégrales. Même les gouvernements élus "reculent un peu partout devant les pressions populaires lorsqu’ils veulent mettre en pratique des solutions novatrices ou dérangeantes.

Les vraies questions

M. Polac a promis à la fin de l’émission un débat de fond sur le même sujet. Espérons que, cette fois, nous pourrons nous y exprimer et stigmatiser comme il convient le socialisme velléitaire des uns et l’ultra-libéralisme des autres. Il est également essentiel qu’à une discussion de ce genre puissent participer les organisations de chômeurs évidemment intéressées.
Ces deux associations en viennent, on le sait, à soutenir des idées proches des nôtres. Signalons dans le numéro de décembre de "Partage" le compte rendu d’un débat entre André Gorz (6), Peter Glotz et Tilman Fichter (7), ainsi que la traduction complète de D. Macarov sur l’adaptation nécessaire de la société à une diminution inéluctable du temps de travail (8).
Les hommes ont été tellement conditionnés qu’ils en seraient sur le point de se tuer et même de disparaître en tant qu’espèce pour accaparer le travail du voisin, de l’habitant de l’autre ville, province, nation, ou continent !
Dans cette lutte absurde que d’aucuns, par une dramatisation concertée, n’hésitent pas à assimiler à une guerre, nous sommes évidemment les objecteurs de conscience, les démoralisateurs des commandos-suicides de la concurrence exacerbée. On nous accuse en secret de démotiver les demandeurs d’emploi. Constater que le chômage est inéluctable, c’est évidemment décourager les chômeurs de chercher un travail.
Cela revient à faire baisser la pression qui permet aux employeurs de trouver des candidats pour des travaux mal rémunérés, d’intérêt faible ou médiocre et repoussant. Les profiteurs et tous ceux qui sont à leurs ordres sont contre nous.
Même des penseurs ou de simples citoyens honnêtes croient que nos idées sont néfastes et aboutiraient à favoriser toutes les fainéantises. D’autres estiment que le pays qui accepterait le premier la thèse que l’homme n’est plus réduit à gagner sa vie à la sueur de son front se condamnerait à l’échec et au déclin. Nous serions donc des laxistes et des traites.

L’hypocrisie ambiante

Nos détracteurs seraient prêts à reconnaître que nous avons raison mais nous reprochent de le dire "Taisez-vous, méfiez-vous, des oreilles ennemies vous écoutent." (9). Nous répondrons que la vérité éclate toujours et que dans ce cas, le plus tôt sera le mieux. Leur argument qui sert aussi à empêcher tout progrès social (diminution du temps légal de travail hebdomadaire, amélioration de la protection sociale, etc...), s’il peut être justifié sur l’instant, se révèle bien vite dépassé par le progrès qui se poursuit aussi... ailleurs. Ainsi les syndicats allemands de la métallurgie en sontils à réclamer la semaine de 35 heures ; notre pays n’est que le sixième en Europe pour la part du P.I.B. consacré à la protection sociale (10), etc... Les syndicats devraient enfin reconnaître que le cadre normal de leurs revendications doit désormais être européen (au moins) plutôt que national.

Le moral des troupes

L’état actuel de la production et du chômage tend à prouver que ce ne sont pas les envies de travailler pour un salaire ou un revenu qui manquent, mais les occasions. Quant au besoin de connaissance, d’accomplissement, voire de domination par le travail, - il est assez puissant pour assurer des titulaires à tous les emplois encore nécessaires. Nous avons vu plus haut qu’il l’était même trop et nous pensons qu’il le serait encore assez en cas d’égalité économique.

M. Seguin jette un pavé dans la mare lorsqu’il admet un taux de chômage incompressible, mais il recule bien vite. M. Touraine le conteste et G. Sorman, s’il le reconnaît, choisit la fuite en avant comme solution. Voilà pourquoi ils peuvent s’exprimer et pas nous.
Mais comme disait notre camarade Galilée "Et pourtant elle tourne !".

(1) Professeur à l’Université de Nanterre (Paris X), Directeur d’Etudes à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes et journaliste au Monde, au Nouvel Observateur et au Matin.
(2) L’Heure de Vérité, A2,7.1.87
(3) 10,6% en moyenne dans la Communauté Economique Européenne avec des variations entre 30,2% en Andalousie et 2,5% au Luxembourg (Le Monde du 13 janvier 1987)
(4) Auteur de l’Etat minimum - voir la Grande Relève de mars 1986
(5) C’est mathématique, (on a honte de devoir le rappeler) si l’augmentation de la productivité est supérieure à la croissance. Ce qui est le cas et l’on ne voit pas cette conjoncture changer...
(6) Ancien journaliste au NouvelObservateur, auteur de nombreux ouvrages dont "Stratégie ouvrière et néocapitalisme", "Adieux au prolétariat"’, "Les chemins du Paradis".
(7) Respectivement Secrétaire général et secrétaire du SPD, Parti Social Démocrate allemand.
(8) La Grande Relève, Janvier 1986.
(9) Slogan patriotique diffusé par affiches pendant la guerre 1914-1918
(10) Pays-Bas 34 % - Belgique 31,9 % - Danemark 30,2 % - Luxembourg - 29,3 % - RFA 28,9 % - France 28,8 % - Italie 27,3 % - Irlande 24,6  % - Royaume Uni 23,7 % - (Source Eurostat).

Nous sommes les objecteurs de conscience de la guerre économique

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(BASIC INCOME EUROPEAN NETWORK)

Voici la traduction d’extraits d’une proposition qui nous a été envoyée de Suède, dans le cadre de l’association européenne pour le revenu garanti, fondée en septembre dernier, à Louvain-la-Neuve. L’auteur, Gunnar Lindsted, est membre du " Metallarbetaren ", syndicat de métallurgistes, à Stockholm.

Donnez-nous un revenu de base

par G. LINDSTEDT
mars 1987

Le débat sur le revenu garanti a pris de l’ampleur, et l’augmentation du chômage n y est pas pour rien. En GrandeBretagne par exemple, plus de 4 millions de travailleurs sont sans emploi et le nord du pays est en pleine , décadence sur le plan industriel. La situation est semblable dans d’autres pays, tels que la Belgique et la Hollande.

Un débat animé

en Hollande, un débat animé débuta, à propos du revenu de base, quand le nombre de chômeurs approcha le million, au début des années 80. Le Gouvernement mit en place une commission officielle qui, en 1985, présenta ses propositions pour l’introduction progressive d’un revenu de base aux PaysBas.
Le montant de ce revenu de base était cependant trop faible pour être accepté par les syndicats. Celui de l’industrie alimentaire, qui était en pointe pour défendre cette idée, réclama un revenu capa- blé d’assurer un niveau de vie décent.

Distribution

Le débat progresse dans la plupart des pays européens. Curieusement, les pays où le chômage est le plus fort sont aussi ceux qui ont le moins la possibilité de réaliser ce concept. (...)
Les coûts du chômage y sont une lourde charge pour les finances de l’etat d’où un risque de voir dans ces pays le revenu de base mener à un partage permanent en deux classes ceux qui ont un emploi et ceux qui n’en ont pas.
Par contre, dans les pays qui pourraient distribuer un revenu de base plus élevé et dans lesquels le chômage n’est pas encore devenu un problème économique primordial, l’intérêt manifesté par cette idée est minime.
Le Professeur C. Offe, de l’Université de Bielefeld en RFA, considère l’idée d’un revenu de base comme l’un des plus intéressants moyens de réformer la sécurité sociale. "Un revenu de base, dit C. Offe, ne pave pas la route vers le Paradis ou le royaume d’Utopie. Tout au contraire, en défends l’idée d’un point’ e vue conservateur : le revenu de base est un moyen de défendre la sécurité de revenu et les droits civiques fondamentaux acquis dans les pays européens après la guerre et qui sont maintenant menacés par le chômage".

Après avoir rappelé la description par C. Offre de la situation en RFA (chômage autour de 10 %, marchés saturés, développements techniques réduisant les offres d’empois, problèmes d’environnement qui freinent la croissance économique) G. Lindstedt en arrive à son pays :

Ces problèmes ... sont également présents en Suède. Un rapport publié par la Confédératon Suédoise des Syndicats (L.0.), intitulé " Heta Siffror och Kafla Fatka " (des Chiffres controversés et des Faits concrets) décrit le nouveau type de société tel qu’il s’est récemment développé :

Le chômage à long terme est en pleine croissance. En 1980, 7000 personnes ont perdu leur emploi ; en 1985, ce chiffre est passé a 22.000. La majorité des femmes qui sont entrées dans le marché du travail dans les années 70 ont pris des emplois à temps partiel. Nombreuses sont les familles qui ne peuvent sans sortir avec un seul salaire. Il y a aujourd’hui en Suède (1) un demi-million de gens qui vivent de l’aide sociale et l’âge de la retraite a baissé.

La diminution des emploi dans le secteur privé ne peut pas être compensée par une augmentation d’offres d’emplois dans le secteur public. La possibilité pour l’etat de "créer" des empois est limitée du fait de la croissance des coûts du travail :
- L’augmentation des salaires a été le résultat d’améliorations de la productivité industrielle.
- La croissance des salaires de l’industrie impose des impôts plus élevés pour financer des emplois dans le secteur public.
Un autre rapport publié par la confédération L.O. montre que l’accroissement des salaires dans l’industrie a éliminé bien des emplois à faible productivité, alors le "faites-le vous-même" se répand, les gens réparent euxmêmes leurs voitures et leurs maisons et tout le monde travaille au noir...

6.000 francs par mois

Si chaque Suédois recevait 6.000 Couronnes (2) par mois, cela procurerait effectivement à tout le monde la sécurité des revenus. Aujourd’hui, la plupart des gens acceptent une politique salariale qui soit loyale vis-à-vis des travailleurs sous-payés, c’està-dire qui paie également sans tenir compte du fait qu’on est employé dans le secteur industriel à haute productivité ou dans le secteur public à faible productivité.
A l’avenir, il pourra donc être naturel de recevoir approximativement le même revenu, sans qu’il soit tenu compte du fait qu’on est employé ou qu’on travaille comme artisan, ou dans un service public, ou qu’on fait un travail artistique ou culturel en dehors du cadre conventionnel des travaux salariés.
Un revenu garanti représenterait un développement des principes qui constituent déjà la base de la sécurité sociale en Suéde : une politique générale d’assurance sociale qui n’est pas fondée sur les moyens dont on dispose (tout le monde reçoit une allocation pour les enfants quels que soient les revenus) et le droit pour chacun d’avoir a peu près le même niveau de vie sans tenir compte ni du travail accompli ; ni de l’entreprise où ce travail est fourni. Le revenu de base est distribué pendant toute la durée de la vie sans qu’on cherche à quel moment de la vie on est " le plus productif ".

Pas de sentiments de culpabilité

Un revenu garanti rendrait plus facile le fait d’étudier, de travailler, de rester à la maison pour s’occuper des enfants, de mener à bien un projet personnel ou de créer sa propre entreprise ; Et personne n aurait plus ni à se sentir mal à l’aise de toucher une assurance sociale ni à désespérer d’être sans travail.
Un revenu garanti apporterait un appui efficace à ceux qui se trouvent en bas de l’échelle sociale. Il distribuerait aussi les bienfaits de notre société de haute technologie qui, sinon, resteraient réservés a une élite dans quelques grandes villes.
Deux problèmes restent cependant à résoudre :
Est-ce que tout le monde s embêtera à travailler si un tel système est introduit ?
L’Etat providence a-t-il les moyens de verser un revenu de base à tout le monde ?

Toute l’idée de revenu garantis appuie sur l’hypothèse qu’une industrie efficace à haute productivité va continuer à rester efficace. C’est la combinaison d’une haute technologie et d’une forte productivité qui nous permettrait de travailler moins tout en maintenant notre niveau de vie. est-ce que le revenu garanti contribuerait à ce type d’industrie ?
Non, répondent les conservateurs. Si tout le monde recevait un revenu garanti sans être obligé de travailler, les gens resteraient chez eux et les usines seraient désertes. Celà .aurait pour effet de diminuer les rentrées d’impôts et ce serait la faillite pour l’etat.
Oui, répondent les optimistes. Le mouvement des travailleurs a toujours ,affirmé que le travail est un besoin fondamental. Le travail renforce l’instinct humain et ce n’est donc pas seulement pour un salaire que les gens travaillent.

Continuer à travailler

Dans les emplois où les travailleurs sont heureux, là où le travail est agréable, enrichissant, créatif, il continuera certainement comme aujourd’hui. Les patrons offrant un bon salaire au-dessus du revenu de base seront compétitifs pour , des travaux stimulés par des incitations économiques.
Par contre, il est vraisemblable qu’il sera difficile de trouver du monde pour des emplois mal payés, ou dangereux, ou dépourvus de sens, monotones et inhumains. Ceux qui ne travaillent
que pour toucher un salaire auront vraiment le choix de travailler ou pas.
Un revenu garanti hâterait la réorganisation structurelle de l’industrie. A l’heure actuelle, de nombreuses méthodes de productions dépassées et des emplois plus ou moins dénués de sens ont encore cours parce que politiquement on ne veut pas réduire le nombre des emplois Beaucoup de gens, sont en droit de poser la question , travailler pour, produire ou produire pour travailler ?
Un revenu garanti améliorerait radicalement la variété. des travaux la rationalisation accélérée de l’industrie apporterait le "temps libre" pour les activités artisanales et culturelles car avec un revenu garanti, de telles activités n auraient plus à être "rentables".

Elimination du travail au noir

Ceci éliminerait de façon semblable la base de nombreux travaux au noir. Le prix des activités à faible productivité ne serait plus en concurrence avec les hauts salaires de l’industrie. Les prix ne seraient plus bas et la marge pour des revenus au noir plus restreinte (...).

Nouveau système d’imposition

A l’heure actuelle, les grandes entreprises sont . parmi les plus favorisées dans le " royaume des impôts " qu’est la Suede. " Le travail est imposé 2,5 fois plus que le capital " dit C. Persson, expert à la Confédération des Syndicats,(...).
La révision du système d’imposition formerait une des sources de financement du revenu garanti. Une autre serait la rationalisation des profits résultant d’une restructuration des systèmes d’assurances sociales. Et le revenu de base permettant d’accomplir certaines tâches (pour soi-meme ou pour d’autres, la charge du secteur public (ans le domaine des soins aux enfants par exemple) serait réduite.

Moins de dépendance

Le revenu garanti ne rendrait-il pas tout le monde dépendant de l’Etat ? Les gouvernements conservateurs cherchent à réduire cette dépendance pour ne secourir que les plus nécessiteux. Il en résulte une réduction de la dépendance des gens aisés ; mais, d’un autre côté, cela augmente celle des pauvres vis-à-vis du bon vouloir de l’Etat.
Un système général d’égalité des droits pour tous est vraisemblablement la meilleure façon de réduire la dépendance des gens vis-à-vis de l’Etat.
La politique de la Suède se trouve en face de changements cruciaux dans la structure de l’Etat-providence. Nous attendons maintenant une réforme de l’aide sociale qui se montre aussi radicale que lorsque Ernest Wigfors et Per-Albin Hansson ont créé la Maison du Peuple - nom que, les suédois ont donné à leur système d’aide sociale.

Le revenu de base : comment il serait Financé

Voici la forme que le revenu social pourrait prendre. Chacun recevrait directement des assurances sociales, un revenu de base de 6.000 F par mois. En plus les travailleurs ayant un emploi toucheraient un salaire.
Jusqu’à l’âge de 17 ans, les enfants reçoivent 50% du revenu de base (ceci remplace toutes les allocations qui sont aujourd hui versées pour eux).. ensuite, quand ils quittent la maison, pour étudier ou entreprendre diverses occupations, ils reçoivent le plein revenu.
Celui-ci remplace la plupart des allocations qui sont aujourd’hui calculées essentiellement d après les revenus (allocations chomage, aide sociale, préretraites, bourses d’études, allocations familiales, etc...).
Une réforme du système fiscal finance le revenu garanti. , Ceci implique des impôts plus élevés sur les bénéfices des sociétés et une réduction des impôts sur les salaires (le SACO/SR, I’association générale , des employés suédois/fédération des agents gouvernementaux propose par exemple une augmentation de 20 milliards des impôts sur les sociétés).
Pour les employés à plein temps,, le revenu de base est financé par l’employeur qui paie 6.000 F à l’etat sous la forme du salaire de ses employés.
Pour les employes à mi-temps, l’employeur paie la moitié du revenu de base, 3.000 F, sous forme de salaires.
Les coûts salariaux pour les employeurs sont simultanément réduits de telle sorte que celui d’un employé à plein temps, est 3 :000 F et celui d’un employé a mitemps est 1.500 F.
Les autres impôts sur les salaires (en plus des salaires mentionnes ci-dessus) ne sont pas payés par les entreprises. Tout le monde paie un faible impot proportionnel à son revenu global. (Le SACO/SR suggère 34 % pour la majorité des gens et 50% pour ceux qui gagnent beaucoup).
Des . impôts accrus sur les entreprises financent le revenu de base des gens sans emploi et de ceux qui travaillent à mi-temps.
Un revenu de base garantit à tout individu un minimum standard sans qu’il soit question de savoir si il (ou elle) est un Parent seul, un "soutien de famille , sans emploi, ou si il (ou elle) travaille à mitemps ou à temps plein. Le revenu de base est paye aux individus, pas aux foyers ; ll ne signifie cependant pas des salaires é aux pour tous. Ceux qui veulent plus que le revenu de base sont libres de le gagner.

Pour les entreprises, ce système implique des coûts salariaux réduits et des impôts sur les bénéfices plus élevés ; Si on veut, en plus, encourager les artisans, les activités culturelles ou les services rendus, on peut mettre en place une structure spéciale pour ces types particuliers d’activité, de façon à favoriser au maximum la rotation et le nombre des personnels. De telles entreprises, seraient exemptées du paiement des salaires mentionnés ci-dessus.

(traduction M-L D.)

(1) La population de la Suède était de 8,3 mil ions en 1983.
(2) Une couronne suédoise vaut environ 1 F. Dans une lettre personnelle, G. Lindstedt nous précise qu’il a avancé ce chiffre sans calculs, seulement pour être plus concret.

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