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TOUT d’abord "ils", ce sont les soi-disant
libéraux, la bande à Léo, Giscard, Barre, Chirac
... et même certains socialistes. C’est en effet sous le gouvernement
socialiste que ça a commencé avec les efforts déployés
pour réhabiliter le profit et l’entreprise, efforts bien relayés
par les médias sous le thème "enfin les socialistes
deviennent réalistes : ils abandonnent la langue de bois".
Ah ! les bonnes langues de vipères ! Mais après tout,
les socialistes étaient un peu naïfs et leurs conseillers
économiques formés dans les mêmes écoles
et imprégnés des mêmes théories désuètes
que les économistes de droite. Confiance aveugle des uns et des
autres dans les doctrines enseignées telles que : les profits
des entreprises font les investissements d’aujourd’hui et les emplois
de demain ! Il n’y a qu’à voir ce que ça donne : les profits
des entreprises augmentent bien, mais la plupart préfèrent
jouer en Bourse ou spéculer (on appelle ça entre gens
de bonne compagnie "gérer les risques de change") car
cela rapporte plus que de fabriquer en abondance des produits que l’on
ne peut vendre par manque de demande solvable. Comme il faut cependant
produire à plus bas prix possible pour continuer à exister
en tant qu’entreprise, on investit un peu pour rester compétitif,
mais comme on n’est pas complètement stupide, on investit dans
les techniques les plus performantes, celles qui économisent
de la main-d’oeuvre. Etonnez-vous après ça que le chômage
continue d’augmenter !
Cette tendance à jouer ses profits en bourse, c’est une des premières
manifestations du SIDA !
Avec l’arrivée au pouvoir des soi-disant "libéraux",
c’est le déchaînement : développement du "capitalisme
populaire" avec les privatisations de Saint-Gobain et Paribas et
le matracage publicitaire qui les a précédées ;
intoxication permanente sur les chaînes de radio périphériques
(écoutez, par exemple, si vous en avez la patience, ce qui suit
le bulletin d’information de 22 h 30 sur Europe N° 1). Même
France-Inter n’échappe pas à l’ambiance avec la chronique
"Votre argent" de G. Milesi. N’oublions pas la glorification
des "raiders", ces brillants jeunes gens qui travaillent jours
et nuits pour les grosses maisons de changes et gagnent des fortunes
colossales en quelques mois (remarquez qu’ils travaillent tellement
qu’ils n’ont pas le temps d’en profiter ; l’infarctus les guette..).
Mais le pire n’est certainement pas encore arrivé : les télés
privées n’en sont qu’à leurs débuts ! La presse
écrite n’est pas en reste : tous les quotidiens ou hebdomadaires
ont leur supplément financier. Même "le Monde"
s’y est mis avec "le Monde des Affaires" dont la lecture est
d’ailleurs très instructive on y apprend dans le numéro
du 14 mars que : "en janvier dernier, plus de 8 200 clubs d’investissement
d’écoliers et lycéens ont participé au concours
boursier, "les Masters de l’économie", organisé
parles banques régionales du groupe CIC. 1 500 élèves
finalistes se sont retrouvés au "Zénith" pour
se disputer "l’honneur suprême" d’un voyage à
New-York, Saint des Saints de la finance". Bien entendu, on les
fera s’extasier sur Wall-Street et le merveilleux indice Dow Jones qui
ne cesse de monter malgré les piètres performances de
l’économie américaine qui, pour essayer de survivre, cherche
des noises à la Communauté européenne, par Reagan
interposé, au nom du libéralisme économique, bien
sûr ! De ce côté-ci de l’océan, l’industrie
ne va pas bien non plus, paraît-il, mais la Bourse a augmenté
de 320 % en quatre ans. Qui donc disait que la Bourse reflétait
la santé économique d’une nation ? Je me souviens du triste
M. Flornoy, alors président de la compagnie des agents de change,
qui se lamentait sentencieusement à ce sujet un soir de mal 1981,
après l’élection de Mitterrand à la présidence
de la République : la confiance était partie, la Bourse
allait s’effondrer ! C’était pourtant un expert. Il est toujours
aussi triste, car il faut faire sérieux, et il est toujours aussi
expert. Je suis sûr qu’il peut vous expliquer pourquoi la Bourse
monte, bien que la santé économique du pays ne soit pas
bonne. Et les experts comme Flornoy sont légion parmi les chroniqueurs
économiques et financiers des médias. Force nous est de
reconnaître qu’ils remportent de gros succès dans la propagation
du SIDA puisque l’on comptait en France, fin 1986, plus de 7 millions
de porteurs.
Mais pour que ça dure, il faut conditionner les gens (leur donner le SIDA) dès leur plus tendre enfance. C’est ce à quoi s’emploient, avec succès, hélas, les banques et les médias qu’elles contrôlent : savez-vous que le président des "Butineurs", le plus jeune club d’investissement de France, qui réunit à Burbure (Pas-de-Calais) des gamins de onze ans et moins, sous la houlette du Crédit Mutuel Artois-Picardie, n’a que huit ans ? Et ce n’est pas un cas isolé !
Mais, me direz-vous, pourquoi vouloir donner le SIDA à tout le monde ? C’est bien simple : pour convaincre le plus de gens possible de la pérennité des lois économiques et monétaires, en les impliquant dans la pratique de la Bourse. Après quoi, il sera plus aisé de les convaincre de la nécessité de la rigueur pour relancer les profits, etc... En effet, il ne fait guère de doute que les petits investisseurs, les "capitalistes du peuple", comme les appelle Balladur, qui ne disposent pas de beaucoup d’économies, se retireront vite de la Bourse dès qu’ils entreverront la possibilité d’un petit bénéfice, abandonnant ainsi leurs actions aux mains des gros actionnaires, qui sont les vrais "patrons" du pays. (C’est ce qui s’est déjà passé en Grande-Bretagne, où le nombre des actionnaires de British Télécom a diminué de près de la moitié en dix-huit mois). Et voilà le capitalisme sauvé, pensent-ils !
Mais je parle, je parle et je m’aperçois que je ne vous ai pas dit ce qu’était le SIDA. Au cas où vous ne l’auriez pas deviné, il s’agit du "Syndrome Irrésistible de l’Argent".
L’autre SIDA se porte bien aussi, merci, et il ne fait pas que des malheureux. Il constitue un marché juteux pour les fabricants de latex et les gros laboratoires pharmaceutiques qui se livrent une guerre sans merci pour s’assurer l’exclusivité du marché. Pensez-y en choisissant vos actions en Bourse !
CHIRAC et son gouvernement ne manquent pas de toupet
; ils claironnent "à fin décembre 1986, 838 697 jeunes
ont bénéficié du plan pour l’emploi depuis mai".
Il ne faut pas oublier qu’à ces embauches sont attachés
25, 50 et même 100% d’exonération des charges sociales
selon les catégories (stages d’initiation à la vie professionnelle,
contrats d’adaptation, de qualification, etc...)
Or, depuis mars, le nombre de chômeurs a augmenté de 120
000. Cela veut dire qu’à nombre d’emplois constants - ce qui
est vraisemblable -, et en admettant - ce qui est optimiste - que 200
à 300 000 travailleurs aient pris leur retraite normalement,
600 à 700 000 jeunes ont remplacé des travailleurs plus
âgés partis d’eux-mêmes ou le plus souvent licenciés.
C’est ce que traduisent les dernières statistiques qui montrent
que le chômage a régressé chez les jeunes et augmenté
chez les moins jeunes.
Bien entendu, nous serions les premiers à nous
réjouir de l’embauche des jeunes, quel que soit le gouvernement.
Mais il ne faut pas être dupe de la manoeuvre Chirac. Souvenons-nous
de la revendication des patrons avant mars 86 "Donnez-nous l’autorisation
de licencier (par prudence, on usait plutôt de l’euphémisme
"flexibilité de l’emploi") et nous embaucherons 363
000 jeunes, ce chiffre précis n’ayant d’autre but que de "faire
sérieux".
Ils ont plus que doublé leurs "espérances".
Quel succès, quel dévouement à la cause des jeunes
! En fait, ils ont remplacé la plupart du temps des travailleurs
sans grande qualification par des jeunes à des salaires beaucoup
plus faibles et exonérés, en partie ou totalement, de
charges sociales. (Je connais personnellement de nombreux cas). C’est
cette situation qu’un journaliste a caractérisée d’une
formule lapidaire : "On a chassé le père pour embaucher
le fils au rabais".
Il serait instructif de pouvoir recenser les emplois valorisants occupés par ces quelque 800 000 jeunes : le bilan serait plutôt édifiant. En attendant, pour les entreprises, "c’est tout bénéfice" comme on dit. Par contre, pour la Sécurité Sociale, c’est un autre problème : M. Seguin va encore nous annoncer des déficits "désastreux" sans en donner les vraies raisons : on en profitera pour continuer à rogner la couverture sociale. A la Sécu ellemême, vous avez pu le lire dans la presse en janvier, on annonce qu’il y a 23 à 28 000 emplois à supprimer sur 75 000 postes.
Ce qui est sûr, c’est que ces deux mesures conjuguées - liberté de licencier et embaucher des jeunes - ne feront pas reculer le chômage, au contraire ; elles ne feront que déplacer les précarités des jeunes sur leurs aînés. Et nous verrons de plus en plus de drames comme ceux qu’on a bien voulu nous montrer à la télé pendant les grands froids : par exemple, un ingénieur chimiste d’une cinquantaine d’années qui n’a pu retrouver de travail, ne peut plus payer de loyer et se retrouve nourri et logé dans un centre caritatif. La honte d’une société qui, dans le même temps, salue les exploits de chirurgiens capables d’assurer la survie d’un nouveau-né par la greffe d’un coeur. Quel décalage ! Quel procès ! Quelle condamnation !
Ça sent la décadence d’un régime. Encore heureux que Chirac, après ses scandaleuses déclarations sur "les privilégiés qui ont la chance d’avoir un emploi assuré" il oublie que le droit au travail est inscrit dans la Constitution), n’ait pas lancé à l’adresse des miséreux sans salaire, sans logis "s’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche". Mais pour ceux-là, il est vrai qu’il compte sur les restos du coeur, l’Abbé Pierre, bref, la charité publique. Et puis, on peut espérer qu’il priera pour eux. N’a-t-il pas tenu à préciser dans l’émission "autoportraits" : "je vais à la messe le dimanche, chaque fois que je le peux".
SALAIRES ET INFLATION
Petits machiavels, Chirac et Balladur, non contents
de tromper l’opinion sur le chômage, sur les résultats
du commerce extérieur (seulement 500 petits millions positifs
en 1986 malgré une masse de 90 milliards de gains dus à
la baisse conjuguée du pétrole et du dollar), mentent
effrontément en prétendant que l’augmentation des salaires
est automatiquement génératrice d’inflation. Même
en économie de marché, il suffit que l’augmentation des
biens disponibles corresponde à l’augmentation de la masse monétaire
pour que l’accroissement du pouvoir d’achat se fasse sans risque d’inflation.
A preuve, la RFA à laquelle nos gouvernants se réfèrent
quand cela sert leur démagogie. Par contre, sur ce qui suit,
motus. Le syndicat de la fonction publique et des transports (OCTV,
1,2 millions d’adhérents) a obtenu, en 1986, pour 4 200 000 employés,
une augmentation de salaire de 3,5%, alors que l’inflation est négative.
Pour 1987, le syndicat demande 6% pour une inflation prévisionnelle
de 1%.
Les Allemands, pragmatiques, efficaces, n’ont pas hésité
à relancer la consommation intérieure... sans relancer
l’inflation. C’est que les exportations n’ont augmenté que de
1% en volume et si la balance commerciale affiche des résultats
positifs si importants, c’est que d’une part, le mark s’est fortement
apprécié et que d’autre part, les Allemands ont su, eux
mettre à profit la baisse dollar-pétrole.
En France, par contre, avec le retour d’une droite dure et archaïque,
revancharde, on veut que la croissance, environ 2 %, ne profite qu’aux
plus riches : cadres supérieurs (augmentations. "promotionnelles",
intéressements aux bénéfices...), industriels,
gros commerçants, professions libérales*.
Le gouvernement Chirac consacre - et aggrave - le
caractère dual de la société. En effet, si l’augmentation
des richesses est de 2 %, si le pouvoir d’achat des travailleurs qui
représentent la plus grande masse est en baisse, et si, enfin,
le nombre des "exclus" à faibles ou très faibles
ressources augmente, il est clair que ce sont les plus riches, les vrais
"nantis" (pas ceux de MM. Barre et Chirac) qui se partagent
les 2 % de croissance globale : c’est-à-dire que certains auront
3, 5, 10 % en plus. Savez-vous que le traitement octroyé aux
membres de la CNCL est de 50 000 F par mois ?
En outre, en France, à progrès technique égal avec
les autres pays industrialisés, le nombre des chômeurs
risque de croître plus rapidement ; en effet, la plupart des industriels
français jamais satisfaits des cadeaux que leur ont fait aussi
bien la gauche que la droite *sont incapables de faire leur métier
de patrons dans le monde capitaliste, notamment à l’exportation.
Depuis mars 86, la balance commerciale industrielle s’effondre, passant
d’un excédent mensuel de 8 à 9 milliards sous la gauche,
à 2 milliards voire zéro, sous la droite. La dévaluation
que s’est empressé de faire Chirac en arrivant au pouvoir n’a
donc strictement servi à rien. Même Giscard - c’est peut-être
de bonne guerre, mais ça n’en est pas moins vrai - s’alarme :
"Le commerce extérieur de la France est en voie d’effondrement.
Ce très grave problème a pour cause le quasi désastre
de nos échanges industriels... Non seulement nos prix ne sont
plus compétitifs, mais nos produits eux-mêmes ne le sont
plus". Quelle condamnation sur toute la ligne !
Les industriels vont-ils enfin faire un effort ? On peut en douter,
car, comme le remarque F. de Closets dans une interview au Nouvel Obs
: "Ce qui m’inquiète, c’est que la rentabilité du
secteur financier soit supérieure à celle du secteur industriel".
La Bourse, oui, les investissements, plus tard !
En fait, la France avait tenu longtemps un rang non négligeable
à l’exportation, grâce à ses marchés privilégiés
avec ses ex-colonies. Mais ces marchés sont grignotés
par les Japonais et les Allemands. Comme nos producteurs, tous secteurs
confondus, manquent d’agressivité - même nos gouvernants
actuels déplorent leur "frilosité" (sic) - c’est
le déclin assuré. Alors, solution de facilité,
on rogne sur les salaires, on gagne du temps... et de l’argent. Demain ?
On verra bien.
* Voir GR n° 854, page 3, "des chiffres".
C’EST sous ce titre qui nous interpelle, que Gérard
Donnadieu publie dans la revue des Ingénieurs Arts et Métiers
de juin 1986 une chronique à laquelle nous avons fait une brève
allusion dans notre numéro de novembre 1986.
Nous y revenons car le corps des gadz’arts dans son ensemble était
très conformiste économiquement, à quelques exceptions
près et il a été longtemps réticent devant
nos idées. Il y a seulement trois décennies que le président
de l’association des anciens élèves refusait au M.F.A.
(*) de Jacques Duboin la location de sa salle de l’avenue d’Iéna
à Paris pour y tenir l’une de ses grandes réunions jugée,
peut-être, trop contestataire. A travers les citations extraites
de cet article l’on pourra juger de l’évolution accomplie.
G. Donnadieu constate d’entrée :
"Plutôt que d’accuser le gouvernement, les entreprises, les
syndicats... de ne pas gagner la bataille du chômage, il nous
faut désormais admettre que ce dernier n’est pas un accident
passager et que si le travail engendre la production, il engendre aussi,
avec le progrès incessant des techniques, le nontravail. Un éminent
théologien chrétien, qui a beaucoup réfléchi
et écrit sur l’activité humaine, Bruno Chenu, dit à
ce sujet "Nous avons eu une société qui a été
entièrement commandée par le travail comme finalité.
Il faut envisager une société où le non-travail
ait sa place, non comme un trou à boucher, une faille, mais comme
une valeur positive à éduquer".
Après avoir rendu hommage à son "illustre maître
François Perroux", l’auteur attire l’attention sur les dangers
de la société duale, ferment de révolte pour l’avenir.
II lui oppose la société plurale
"...Celle où chacun pourra occuper successivement plusieurs
types d’emploi ou d’activité, où des emplois pourront
être partagés entre plusieurs personnes, où les
sources de revenu seront diversifiées et pas uniquement liées
au seul travail marchand".
Son analyse rejoint la nôtre concernant l’automatisation de la
production et sa conséquence sur le travail et le revenu. Nous
lui reprocherons seulement de se placer au conditionnel au lieu du présent
"...Si un jour, la majeure part de la production nationale devait
être réalisée par des entreprises entièrement
robotisées, la distribution de la richesse ainsi produite nepourrait
plus cheminer par la seule voie d’un pouvoir d’achat distribué
à des salariés devenus quasi inexistants. Il faudrait
donc inventer d’autres règles de distribution qui soient équitables,
motivantes et n’engendrent pas les cohortes d’assistés. Faute
de quoi, on risquerait de trouver des robots au chômage face à
des consommateurs insolvables...".
Donc : "Repenser la relation travail/revenu apparaît ainsi
comme une exigence économique, avant même d’être
un impératif moral. Cela suppose, dans un premier temps, de rompre
la liaison qui existe dans les sociétés industrielles
fortement monétarisées comme la nôtre entre travail
et revenu..."
Il ajoute une remarque judicieuse en corrélation avec la nouvelle
tendance syndicale à mettre l’accent, dans leur revendication,
sur la qualité de la vie
"...Simultanément, les nouveaux biens de consommation offerts
sur le marché (Hi-Fi, magnétoscopes, ordinateurs domestiques...),
incorporent de plus en plus d’intelligence et exigent, pour en jouir
convenablement, des temps d’usage de plus en plus longs. Comment envisager
alors qu’ils puissent se diffuser massivement si les consommateurs potentiels
ne disposent pas à la fois d’assez de temps de loisir et de revenu
?..."
Il en vient à la notion de revenu social minimum qu’il présente
comme la créance due par la communauté à chacun
de ses membres ; puis à celle de l’impôt négatif.
G. Donnadieu conçoit ces distributions comme étant dues
lorsque c’est possible, en contrepartie d’activités qui ne sont
actuellement pas rémunérées (soins aux enfants
ou aux personnes âgées, bénévolat associatif,
volontariats divers à tendance culturelle ou militante et même
T.U.C. généralisés). Il n’écrit pas "service
social" mais l’idée est la même, avec la nuance que
cette solution intéresserait seulement : "...une fraction
notable de la population active, fraction susceptible de varier en fonction
de la conjoncture économique".
L’ingénieur-économiste propose donc une organisation du
travail partagée en activités
- marchandes classiques,
- de formation, permettant les recyclages indispensables,
- productrices d’utilité sociale non marchande,
- de culture et d’expression de soi.
Une large initiative personnelle serait laissée à chacun.
"Le rôle des responsables publics étant de mettre
en place, après négociation, des mécanismes régulateurs...
dans le cadre des orientations économiques de la nation et des
entreprises..."
Il attire l’attention sur l’intérêt qu’a le pays à
disposer d’hommes cultivés, pour une production marchande de
haut niveau technologique et conclut sur l’efficacité économique
de la culture.
Cette étude a suscité parmi les gadz’arts des réactions
écrites dont la revue fait état dans ses deux numéros
de la fin d’année 1986. M. Valdelièvre ancien "directeur
de l’encadrement" a collaboré, écrit-il, "avec
un fervent de l’économie distributive sortie du cerveau de Jacques
Duboin, et dont le principal défaut est de postuler un Homme
Bon cher à J.J. Rousseau". Ce correspondant préfère
l’école "créditiste" : Cliffort Hugh Douglas
et son "vulgarisateur Louis Even". Donnadieu lui répond
notamment :
"...Ce n’est pas la première fois que l’on me signale des
convergences entre mon approche et celle du mouvement abondanciste de
Jacques Duboin. Par contre, j’ignore tout des travaux de C.H. Douglas
et de Louis Even. Sur le fond, je partage ton appréciation sur
la malfaisance des orthodoxies en économie. Elles sont des machineries
à empêcher de penser et de créer. Deux orthodoxies,
la libérale et la marxiste, se partagent ainsi depuis un siècle
l’empire des esprits. Le beau résultat ! A l’Est, le goulag ;
en Occident, le chômage et l’exclusion sociale..."
R. Filhol, un autre correspondant, pose la question du financement.
Donnadieu admet la difficulté, mais assure que le volume à
dégager n’excéderait pas tellement les "200 milliards
de francs actuellement consacrés aux chômeurs... pour les
entretenir "dans l’oisiveté". Ensuite, ses propositions
auraient pour effet de faire disparaître les faux chômeurs,
et, enfin, le montant global resterait d’un poids acceptable pour le
pays.
"Certes, remarqua-t-il, cela ne va pas dans le sens de la baisse
des prélèvements obligatoires et du désengagement
public, thème tellement à la mode actuellement. Mais pourra-t-on
tolérer encore longtemps que la relative sécurité
d’emploi de vingt millions d’actifs soit payée par l’exclusion
de trois millions de chômeurs dont 25 de jeunes ?".
Toujours dans le courrier publié, J. Marchand, un autre ingénieur,
fait en soixante lignes, un excellent rappel des thèses de Jacques
Duboin que nous ne donnerons pas ici puisqu’elles sont résumées
à la page 15. , Donnadieu, en réponse, se déclare
partisan d’une économie distributive ’’à minima"
; il s’interroge, en deux points principaux, sur nos idées la
définition des besoins et le rôle de la monnaie.
Nous réservant d’y revenir plus longuement, nous ne pouvons pas
manquer de répliquer seulement à Donnadieu et à
M. Valdelièvre :
1. Nous ne sommes pas des idéalistes postulant un homme bon et
des utopistes. Les irréalistes sont ceux qui croient que le régime
économique capitaliste peut survivre en accumulant sur lui et
sur nous, les menaces effroyables du surarmement classique et atomique,
de la faim dans le tiers-monde, de la criminalité, du terrorisme
et du chômage.
Ceux qui estiment que le profit, moteur du système, peut être
recherché alors que l’abondance, même potentielle, de la
production, le fait disparaître. Les propositions de Donnadieu
ne règlent pas cela.
2. L’ensemble des besoins satisfaits en économie distributive
seront évidemment limités à la production possible
en égard au temps et au travail que les citoyens auront décidé
de lui consacrer. Elle sera considérable, bénéficiant
des progrès techniques énormes récents, présents
à venir. Elle permettra l’instauration d’un revenu social maximal,
comme l’indique J. Marchand, et non de satisfaire uniquement des besoins
solvables.
3. La monnaie uniquement comptable que craint Donnadieu permettra aussi,
par sa répartition enregistrée électroniquement,
d’orienter la production future et sera émise en fonction de
cette production. Les deux autres rôles que cite l’auteur de la
chronique mesure de la valeur et réserve de pouvoir d’achat sont-ils
remplis par la monnaie actuelle dont les variations erratiques reviendraient
à mesurer une longueur avec un mètre-étalon en
caoutchouc ? Ils seront, au contraire, satisfaits par la surveillance
autogérée des échanges internes et externes aux
entreprises. Le prêt à intérêt, source de
tant de vices et qui a été longtemps interdit par l’Eglise
catholique, serait évidemment exclu.
Ainsi que nous venons de le voir, les ingénieurs bougent comme
les autres catégories de la société. A la vitesse
où ils vont dans leurs réflexions, nous pouvons espérer
qu’une bonne partie des 25 000 ingénieurs Arts et Métiers
nous rejoindront bientôt. Ne sont-ils pas d’ailleurs parmi les
mieux placés pour apprécier les progrès gigantesques
de la science et des techniques et de leurs implications sur l’économie
?
(Textes signalés par H. de M., 16800 Soyaux, et analysés par René MARLIN, Ingénieur A. et M. Paris 41).
(*) Mouvement Français pour l’Abondance
N.B. - Dans mon éditorial de février 1987 "Capitalisme populaire", il fallait évidemment lire "...par le moyen des valeurs mobilières que sont les obligations..." et non "immobilières". "1 100 milliards, près de 6 fois plus..." et non "1 100 000 milliards...", enfin "Thatcher" avec le Th anglais !
R. M.
A propos d’un livre sur la dette mondiale, de Richard
W. Lombardi (Flammarion)
LE PIÈGE BANCAIRE
L’auteur a été vice-président
de la First National Bank of Chicago, l’une des plus grosses banques
multinationales, et c’est donc en praticien de la haute finance qu’il
parle de la faillite menaçant le système bancaire mondiale.
R. Lombardi démystifie la fameuse rationalité financière,
il constate que depuis les années 1970, les grandes banques se
sont impulsivement, par esprit de compétition, engagées
dans une course au plus gros bilan. Elles se sont ruées comme
des moutons de panurge dans une politique de prêt tous azimuts
aux pays du Tiers-Monde, quel que soit l’emploi de l’argent prêté.
Toute la science des grands banquiers a consisté simplement à
répartir les risques sur un grand nombre de pays et à
parier que tous les pays ne feront pas faillite en même temps.
Prêter autant sinon plus que les autres et ne pas être plus
engagés que d’autres au Sénégal, au Pérou
ou aux Philippines, voilà tout le "génie" de
nos grands financiers.
Résultat : la dette mondiale dépasse aujourd’hui les mille
milliards de dollars et les pays débiteurs ne peuvent que s’appauvrir
dramatiquement davantage s’ils veulent essayer de rembourser, ne serait-ce
que les intérêts de la dette.
Si encore l’argent prêté leur avait servi à quelque
chose. Mais, ici, R. Lombardi rejoint la pensée de R. Dumont
(pour l’Afrique, J’accuse, Plon) et montre de manière identique
que ces prêts ont développé le sous-développement
!
Pour l’auteur du "piège bancaire", l’origine des erreurs
commises est à chercher dans la conception occidentale du développement
économique. La stratégie économique que les banquiers
ont partagée avec la plupart des dirigeants occidentaux, dont
ceux du FMI et de la banque mondiale, se caractérise par la primauté
absolue accordée à la recherche de "l’avantage comparatif"
(1), génératrice d’une division internationale du travail
fondée exclusivement sur la productivité optimale des
facteurs de production, avec son corollaire, le libre échangisme
posé comme un dogme absolu. Ce qui conduit à privilégier
la production et non le développement.
Les dimensions sociales et culturelles du développement ne sont
bien sûr pas prises en compte. Les décideurs occidentaux
sont mûs uniquement par leurs intérêts ; ainsi conditionnés
ils sont en guerre permanente avec leurs semblables, et donc incapables
de "penser" la coopération pourtant indispensable.
Pour R. Lombardi, cette attitude suicidaire remonte au 18e siècle,
dont la philosophie politique nous inspire encore totalement aujourd’hui
: I’"intérêt" et l’"instinct" seraient
les principes fondateurs de l’ordre social. La nature aussi bien que
l’ordre économique procèdent par la violence et la compétition
illimitée (Hobbes, Smith, Hume, Malthus, Darwin, etc...)
Voilà donc un banquier lucide qui remet courageusement en question
les fondements philosophiques du libéralisme, qui ridiculise
les sacro-saintes lois du marché et qui plaide pour la réflexion
contre la force : l’Homo rationalis contre l’Homo oeconomicus. Sera-t-il
entendu ? à temps ?
(1) La "loi" de l’avantage comparatif est
enseignée comme un dogme dans les écoles de commerce et
à tout étudiant en économie : cette théorie
prétend que chaque personne, chaque pays doit produire ce pourquoi
il est le plus apte, il doit se spécialiser et pousser son avantage,
lutter pour le faire admettre, pour le vendre, l’exporter.
L’efficacité économique optimale viendrait de cette spécialisation
et de cette concurrence permanente.
Dans son éditorial du 19 janvier 87 du journal
Le Dauphiné Libéré, M. Charles Debbasch, universitaire
de haut rang, se félicite de la privatisation de Paribas après
celle de St-Gobain. Il appelle cela un développement du capitalisme
populaire ( !). Il préconise l’extension de ce système
aux autres entreprises nationales afin d’en rendre la propriété
aux citoyens. En fait, la privatisation rend les entreprises à
une catégorie minoritaire de citoyens, ceux qui ont des "moyens".
J’appelle donc cela dépouiller la majorité des citoyens
car les futurs bénéfices profiteront uniquement aux actionnaires
; quant aux autres ils auront toujours les bouches de métro pour
dormir à la belle étoile par moins 15° (`).
C’est beau le libéralisme, mais au fait, en quoi consiste-t-il
? C’est le ratelier mis à la disposition de ceux qui savent ou
peuvent jouer des coudes, les autres ont toujours les restaurants du
coeur. Avez-vous remarqué que cet essor du libéralisme
coïncide avec un renouveau du christianisme ; qu’à cela
ne tienne, on ne parle plus de l’épisode des marchands du Temple
; maintenant, les marchands tiennent les rênes et ne voient aucun
mal à compulser les cours de la Bourse en sortant de la messe.
La Bourse ! Quel alibi de prétendre qu’il s’agit
d’intéresser le peuple à la santé des entreprises
; la réalité, c’est l’appât du gain qui fait acheter
des actions ; l’acheteur n’a en vue que l’attente d’une plus-value qui
lui fera empocher des bénéfices et après cela,
peut lui chaut le sort de la dite entreprise.
Aujourd’hui on découvre la Bourse, c’est moderne, ça s’enseigne
même dans les écoles. Bel effort pour rehausser la moralité
du peuple, on lui apprend à voler, non pas en cagoule, ça
fait vulgaire mais en col et cravate. Car enfin, que sont les jeux de
Bourse ? Vous tentez de faire des gains au détriment d’un autre
; ce qui entre dans votre poche sort de celle du voisin.
Quant au but exposé de cette ruée sur la Bourse : aider
les entreprises à investir pour devenir plus concurrentielles
afin de redresser la balance des paiements, ce qui regonfle les gouvernants,
et en même temps met un peu plus de gens au chômage ; car
dans notre merveilleux système, les augmentations de capital
permettent de mécaniser, robotiser, informatiser, ce qui est
fort heureux en soi, mais qui met toujours plus de gens à la
porte. Et comme nos grosses têtes (y compris M. Barre, vous savez ?
la tortue) affirment que la réduction du temps de travail n’est
pas le remède à la crise, je vois le bilan du Libéralisme
triomphant à l’horizon 2000 : 4 à 5 millions de chômeurs,
quelques centaines de milliers de délinquants et en prime, une
pincée de terroristes. Alors, que Dieu (si vous y croyez) nous
conserve M. Pasqua pour aiguillonner la police, Chalandon pour construire
des prisons... et Toubon pour chanter Alleluia !
Je ne m’étends pas sur les bienfaits de la compétition
internationale en matière de commerce, je dirai toutefois qu’on
commence par la guerre économique et quand c’est bien aigu, on
termine par la guerre tout court. Songez à l’aubaine pour les
businessmen américains, si l’Europe, à l’aide d’une "dépêche
d’Ems ou d’un assassinat politique, pouvait être détruite
à moitié, ne serait-ce que les champs de maïs et
quelques usines performantes. Le hic, c’est que l’ennemi potentiel a
l’air de rechigner, malgré les appels du pied et même les
coups de pieds, il s’obstine à ne pas vouloir comprendre.
(*) Les députés européens viennent
de mettre une partie des excédents alimentaires à
la disposition des affamés, ce n’est jamais qu’après 15
ans qu’ils ont trouvé ça
(comme quoi, il ne faut jamais désespérer).
MÊME s’il n’est guère reçu aujourd’hui,
l’Abondancisme de J. Duboin me paraît une idée essentielle
de notre siècle, au même titre que le socialisme ou le
marxisme pour le siècle précédent.
Quel est le message essentiel de l’abondancisme ? C’est l’idée
que la Science et les Techniques permettent désormais à
l’Humanité d’assurer non seulement sa survie mais même
son superflu, à condition qu’elle le veuille : jamais les hommes
n’avaient connu pareille situation ! Sans doute des groupes humains
avaient vécu, bien avant nous, dans l’abondance ; mais c’était
une abondance-cadeau, miraculeusement octroyée par leur cadre
de vie ; désormais l’abondance dont nous pouvons jouir est une
abondance créée par nous ; sans cesser de dépendre
de notre milieu, sur lequel nous sommes condamnés à vivre
en parasites, nous pouvons avoir une plus grande liberté de mouvements
; au lieu d’être toute la journée, toute notre vie, rivés
à la quête de notre subsistance, nous allons pouvoir, tous
sans exception, souffler un peu . J. Duboin a eu l’immense mérite
de comprendre que les prétendues ’’crises’’ d’avant-guerre n’étaient
en réalité que les signes avant-coureurs de cette mutation
; il a décelé que tous les désordres économiques
provenaient de l’accroissement considérable des rendements et
de la production, accroissement sensible dans tous les secteurs, même
le tertiaire : le développement actuel de l’informatique est
en train de confirmer ces vues : elle améliore en effet la productivité
même dans les services, où le ’’chômage’’ s’installera
bientôt, là comme ailleurs ! Rappelons qu’à l’époque
de J. Duboin, les économistes de droite comme de gauche avaient
des explications différentes de la ’’crise’’, incriminant soit
les méfaits du capital, soit de mystérieux phénomènes
cycliques ; J. Duboin me paraît le seul à avoir vu juste
; et le titre de notre Revue, "La Grande Relève de l’Homme
par la Science’’, prouve que, sur ce point fondamental, nous sommes
restés fidèles à son message.
Ce message, il est amusant de constater qu’il nous fait passer pour
des naïfs : or les Abondancistes me paraissent les seuls au contraire
à n’être pas naïfs aujourd’hui, à ne pas rêver !...
Il faut être naïf en effet pour croire que la science et
les techniques ne vont rien changer dans la vie des hommes, que tout
va continuer comme si elles n’existaient pas ! C’est pourtant ce que
font les Libéralismes !
Ou bien ils proposent aux sociétés modernes un idéal
de prétendue ’’liberté politique", un système
de lois écrites et de pratiques économiques, conçus
au XVllle siècle, au temps de l’artisanat ; ou bien ils prônent
des comportements de compétition, de "sélection naturelle"
qu’ils empruntent au monde animal, comme si le fait de posséder
science et technique n’avait aucune importance !
Même ignorance stupéfiante de la science chez les marxistes,
qui imaginent je ne sais quelle progression de l’humanité par
un mouvement "dialectique’’, en négligeant la seule nouveauté
radicale apparue dans l’histoire humaine, le savoir scientifique et
la puissance technique qui en dérive. Non seulement économistes
et politiciens, entraînant le grand public feignent d’ignorer
la Science, mais quand ils en parlent, ils s’appliquent à la
confondre avec les autres formes du savoir ; or, la Science est une connaissance
d’un type absolument nouveau, par son objectivité et sa puissance.
Ces deux caractères, connus des logiciens, ont des conséquences
concrètes, économiques et sociales, considérables,
que, jusqu’ici, l’on n’a pas su rattacher à leur véritable
source. L’objectivité ? Cela signifie que les acquisitions de
la Science sont à la portée de tout esprit humain, quelle
que soit sa culture, à la seule condition qu’il s’y applique ;
la recherche scientifique est faite de telle sorte que la communication
des travaux et des résultats n’exige aucun "dévouement"
particulier ; elle est inscrite comme possibilité dans la connaissance
elle-même ; si bien que, paradoxalement, il y a plus de générosité
effective, plus de bonheur répandu, dans une seule découverte
de laboratoire, que dans tous les exploits de la sainteté depuis
des millénaires
Aucun type de connaissance n’avait jusqu’ici rendu tous les hommes effectivement
semblables : la physique est la même à Moscou, Tokyo, New-Delhi
; et les techniques qui en dérivent y sont identiques. Second
caractère de la Science : la puissance.
Ce type de connaissance est descendu assez loin dans nos activités
mentales pour que les structures de compréhension de notre cerveau
soient les mêmes que celles de la nature ; à ce niveau,
toute connaissance est donc action potentielle. Il est inévitable
qu’une telle compréhension ait des conséquences sur les
mentalités, qu’elle encourage les ambitions prométhéennes
qui existent en nous, parce qu’elle en amorce la réalisation
; comment ne pas penser qu’à la longue, en se diffusant, comme
elle le fait, spontanément, elle remettra en question les comportements
justifiés par la pénurie, qui aboutissent à la
justice et au partage ? Devant l’afflux des productions provoqué
par le machinisme, ne sera-t-il pas de plus en plus difficile de faire
croire aux braves gens qu’il faut se serrer la ceinture, qu’il n’y a
de bonheur matériel que pour quelques-uns, pour une ’’élite"
? Si être démocrate, c’est croire que la nature humaine
est intégralement présente en chaque individu, et que
le bonheur est pour tous, alors, l’activité scientifique et technique
est, dans son fond, plus authentiquement démocrate que telle
ou telle technique de manipulation des groupes sociaux, par exemple
le suffrage universel. Les hommes d’aujourd’hui sont d’ailleurs profondément
attachés à la science et à la technique qui, contrairement
à certaines pleurnicheries pieusement véhiculées,
ne sont pas ’’inhumaines’’, - au contraire !... Elle sont hélas !
essentiellement humaines, pour le meilleur et pour le pire : elles répondent
à nos pulsions les plus viscérales, bonnes et mauvaises,
au sublime comme au grotesque, à la haine comme à l’amour
!
Deuxième raison pour laquelle les abondancistes ne sont ni naïfs,
ni rêveurs : ils ne demandent pas la lune ! L’abondance dont ils
parlent n’est une utopie inconcevable ni dans ses fins, ni dans ses
moyens. Il faut avoir I l’audace de voir, le courage de dire qu’elle
existe déjà ; les débats théoriques sur
le bonheur sont dépassés : ce que la plupart des individus
appellent "bonheur’’, et demandent pour être socialement
satisfaits, ce sont des biens, matériels ou spirituels, que d’autres
hommes, les prétendus ’’privilégiés’’, possèdent
déjà ; 1 mais jusqu’ici, parce qu’ils sont produits en
petite quantité, ou jugés inaccessibles à la masse,
on les partage, on les répartit, on les réserve ! Est-il
utopique d’envisager l’accroissement de leur production ? Les machines
existent, ce ne sont pas les abondancistes qui les ont inventées,
elles tournent ; il y a donc, matériellement, rien à bouleverser
pour que la prospérité fasse tache d’huile ; techniquement
et concrètement, l’humanité est déjà engagée
dans la voie abondanciste ; il suffit de continuer, de ne pas créer,
volontairement ou non, la pénurie !
Ceci nous conduit à la troisième raison pour laquelle
l’abondancisme est le contraire de la naïveté : c’est aujourd’hui
le seul système économique pour dire que le bonheur des
hommes dépend non pas de quelque fatalité extérieure
mais d’eux-mêmes et de leur liberté, ce qui devrait relever
du bon sens, et que confirme quotidiennement l’observation ! Nous sommes
heureux quand nous le faisons exprès ! ... Il faut être
très "optimiste’’ pour croire que le bonheur nous viendra
du "vent de l’Histoire" ; car la bourgeoisie n’a pas mieux
fait que la féodalité, ni les soviets mieux que les bourgeois
; nous savons d’ailleurs que le communisme existait à l’époque
féodale, et nous constatons que, si on ne se paie pas de mots,
la féodalité existe aujourd’hui dans tous les pays, en
Israël comme au Kamputchéa démocratique et en Chine.
La seule amélioration perceptible de nos conditions de vie provient,
directement ou indirectement, du progrès des sciences et des
techniques. Le bonheur ne nous viendra pas non plus de ces mystérieuses
’’lois du marché" qui, par une opération magique,
feraient en sorte qu’en payant moins les travailleurs, en les privant
de travail, on les rendrait plus riches, ou encore qu’en concentrant,
grâce aux structures étatiques, le contrôle de la
vie économique dans les mains de quelques individus, en rendant
l’immense majorité plus dépendante, plus esclave, on ferait
une humanité plus libre ! Ces balivernes libérales sont
constamment et partout démenties par les faits ! En réalité,
les hommes n’ont jamais que le bonheur qu’ils méritent, que,
collectivement, ils parviennent à organiser : "collectivement",
hélas !... Et c’est là que le bât blesse ! Dire
en effet que le bonheur de notre espèce dépend d’elle,
quand on voit et quand on sait de quoi cette foutue espèce est
capable en fait de connerie, c’est une perspective effrayante : c’est
pourtant la seule ’’raisonnable’’ !
BIEN (Basic Income European Network)
La Revue Internationale du Travail donnait dans son numéro de janvier-février 1986 le texte d’une communication faite lors d’une conférence sur le revenu de base de le marché du travail, qui s’est tenue à Londres en juin 1985 : "Imbriquer la flexibilité dans l’utilisation de la main-d’oeuvre et sécurité pour vaincre le chômage au Royaume-Uni ?". L’auteur, Guy Standing, l’a communiqué au colloque de Louvainla-Neuve de Septembre 1986 ; en voici l’analyse :
L’IDEE DE BASE
L’idée de base est que, la situation étant
ce qu’elle est, "il convient d’encourager une utilisation de plus
en plus souple de la maind’oeuvre par des moyens qui, loin de nuire
à la sécurité du revenu personnel, l’accroissent".
L’auteur part d’une série de constatations :
a) l’excédent de main-d’oeuvre est structurel et le chômage
par conséquent chronique.
b) le travail à temps partiel est en constant progrès.
c) il existe une tendance croissante à s’écarter de la
norme de l’emploi à plein temps. La soustraitance se développe
en effet de plus en plus, court-circuitant les accords passés
entre partenaires sociaux. La main-d’oeuvre se fragmente en un noyau
de salariés hautement qualifiés ayant un emploi stable
et un revenu protégé et, en périphérie,
une masse croissante de travailleurs dont l’emploi dépend de
plus en plus des aléas du marché.
d) les chefs d’entreprise souhaitent plus de flexibilité dans
l’emploi afin de mieux pouvoir faire face à la concurrence ce
qui, selon eux, contribuerait à diminuer le taux de chômage.
e) le déclin de la famille nucléaire rend un système
de sécurité sociale basé sur la cellule familiale
de moins en moins adapté aux besoins réels de la population.
f) par souci d’échapper au fisc, aux frais généraux
ou à la perte de prestations servies par l’Etat, le travail au
noir progresse.
Tous ces changements ont pour conséquence que la souplesse croissante
dans l’utilisation de la main-d’oeuvre contribue à un chômage
élevé et à la marginalisation de larges secteurs
de la population et que, d’autre part, "le système de la
sécurité sociale a dû élargi de brio et de
broc par les gouvernements successifs".
Guy Standing voit justement dans l’instauration d’un revenu de base
garanti la possibilité de réaliser une flexibilité
accrue de l’embauche tout en augmentant la sécurité individuelle
et il montre que, du même coup, on établirait plus d’équité
entre le petit noyau de salariés privilégiés et
la périphérie du monde du travail.
LES OBJECTIONS
Trois objections sont communément soulevées
contre l’idée d’un dividende social
a) le système serait trop onéreux. Mais l’auteur fait
remarquer qu’en Grande-Bretagne, 40 % des ménages situés
au bas de l’échelle comptent sur des transferts de l’Etat pour
assurer plus de la moitié de leur revenu. De plus, diverses estimations
donnent à penser que, si tous les ayantsdroits demandaient les
prestations, il en coûterait 1 milliard de livres sterling de
plus par an.
Enfin, sachant que le taux d’imposition dans ce pays est actuellement
de ± 40 %, on pourrait raisonnablement accepter que les revenus
qui atteignent 4 fois la moyenne soient imposés à 60 (voir
l’encadré ci-après sur le projet alternatif établi
pour le Danemark).
b) le revenu de base garanti nuirait au travail et à l’épargne.
Il a été constaté, au contraire, que c’est le système
actuel qui encourage l’inactivité économique (voir ci-dessus
f).
c) selon la troisième objection, le revenu de base garanti rognerait
le salaire minimal et supprimerait le lien qui existe entre la rémunération
et les moyens d’existence. Mais la sécurité sociale et
les diverses prestations ont déjà entamé ce lien.
De plus, avec un revenu de base garanti, les femmes mariées en
particulier seraient moins portées à travailler à
temps partiel pour un maigre salaire.
UNE NOUVELLE FAÇON DE VIVRE
Guy Standing voit dans l’instauration d’un revenu
de base plusieurs effets bénéfiques. Il faciliterait la
flexibilité de la main-d’oeuvre. Le chômage serait perçu
de façon radicalement différente "et ne présenterait
plus les mêmes stigmates". "On échapperait à
la situation actuelle qui veut, ô ironie ! que les chômeurs
ne reçoivent de prestations que s’ils restent oisifs". Il
supprimerait la nécessité, pour avoir droit aux prestations,
de fournir la preuve du besoin, ce qui supprime déjà toute
envie de travailler. Il laisserait aux travailleurs d’un certain âge
toute latitude pour décider eux-mêmes s’ils désirent
continuer à travailler et à quel point. Il inciterait
plus d’hommes à se contenter d’un emploi partiel et à
plus collaborer aux travaux du ménage. Il inciterait à
la recherche d’emploi puisque l’embauche ne mettrait plus les prestations
reçues en danger. Le travail au noir diminuerait, et donc aussi
une forme de fraude fiscale. La dégradation sociale et morale
du chômeur disparaîtrait. Enfin, conséquence capitale,
ii permettrait la disparition des "emplois bidons". On sait
en effet que, pour influencer les statistiques officielles sur le chômage,
les pouvoirs publics créent des emplois factices ou favorisent
leur création. Ces emplois sont presque toujours non productifs,
mal payés, démoralisants et souvent même plus aliénants
que le chômage lui-même. Ils engendrent le découragement
et une mentalité d’assisté et de plus, ils constituent
une entrave puissante à la nécessaire flexibilité.
Le revenu de base garanti donnerait le choix entre la participation
de plein gré ou l’abstention. Dans les deux cas, le moral de
la population serait préservé, ce qui est un garant certain
pour une productivité de qualité et indirectement, un
stimulant pour la pratique du bricolage non rémunéré.
Celui-ci, à son tour, contribuerait à la flexibilité
de l’emploi et au déplacement structurel de la demande des consommateurs.
Le chômage chronique et d’autres formes d’excédents de
main-d’oeuvre exigent de nouveaux remèdes. Si l’on veut donner
au travail plus de souplesse, d’efficacité et d’équité
tout en augmentant la sécurité des travailleurs, le revenu
de base garanti peut représenter une solution valable.
Et l’auteur dé conclure : "Un régime de dividende
social pourrait fort bien ouvrir de nouvelles perspectives de vie sociale.
Dans le sillage de l’expérience monétariste, la culture
et un certain sens de l’avenir sont en train de refaire surface".
BIEN (Basic Income European Network)
Une communication faite par Niels I. Meyer au cours
de la conférence de Louvain-la-Neuve en septembre 86 présenta
un budget national alternatif pour le Danemark incluant un revenu de
base garanti.
Ce projet de budget se base sur un certain nombre de présupposés
qui seront très probablement devenus réalité vers
les années 2020, à savoir
a) la productivité aurait augmenté de 50 %.
b) les gens auraient tendance à mettre à profit 40 % de
cette croissance pour avoir plus d’heures de liberté et 10 %
pour plus de biens matériels.
c) tous les citoyens de 17 ans et plus recevraient un revenu de base
net de ± 32 000 FF par an. Les jeunes en-dessous de 17 ans auraient
la moitié ou moins, selon l’âge. Une famille de deux adultes
et deux enfants recevrait ainsi 95 000 FF par an sans fournir aucun
travail,
d) 20 % des citoyens en âge de travailler auraient choisi de n’avoir
d’autre revenu que le revenu de base.
e) des 80 % restants, une grande majorité aurait choisi le régime
de travail moyen, c’est-à-dire ± 27 heures/semaine, avec
un revenu de ± 176 000 FF par an, toujours pour une famille de
deux adultes et deux enfants.
Les autres auraient opté pour la semaine de 40 heures avec un
revenu de ± 206 000 FF pour le même type de famille (tous
ces montants sont nets, sans aucune retenue fiscale).
f) l’argent nécessaire pour les dépenses publiques proviendrait
des taxes sur les profits des entreprises.
g) la moitié du budget serait consacrée au revenu de base,
mais l’état aurait à payer beaucoup moins de salaires.
En effet, cette moitié du budget représente déjà
une partie de ces salaires et de plus, la suppression de nombreux services
tels que ceux des retraites, des allocations familiales et du chômage
allègerait les charges de l’Etat.
h) la dette publique du Danemark aurait été réduite,
en partie, grâce à l’emploi d’énergies renouvelables,
ce qui permet de réduire l’importation de carburant.
L’auteur conclut par deux remarques :
1) les revenus proposés à ceux qui travaillent sont suffisamment
élevés pour constituer une motivation sérieuse,
ce qui réfute une critique souvent formulée à l’égard
du revenu de base.
2) ce système ne peut s’intégrer dans une société
connaissant de grandes inégalités économiques.
Une nouvelle philosophie politique, favorable au partage du travail,
est donc nécessaire.
Etranger : en Grande-Bretagne
Près de 3,3 millions d’Anglais sont aujourd’hui au chômage, dont la moitié depuis plus d’un an. Le nombre d’emplois dans la construction navale du Nord-Est est passé de 31 000 à 5 750 ; dans les mines, de 36 000 à 16 500 ; dans la métallurgie, de 22 000 à 9 900. La Grande-Bretagne qui était en 1951 au troisième rang des producteurs industriels est aujourd’hui au 19e rang.
Plus de 6 millions de personnes (hommes, femmes et
enfants) n’ont pour vivre que l’aide que leur verse le gouvernement
et celle-ci est de l’ordre de 250 F par personne, d’après un
article de News Week du 3 novembre 1986. Celui-ci estime que 93 % des
richesses du pays sont entre les mains de 50 de la population et n’en
bougent pas. 94 000 familles sont considérées comme sans
domicile dans une statistique qui ne compte ni les célibataires
de moins de 60 ans, ni les couples sans enfant, parce que ces cas sont
jugés "moins prioritaires" par le gouvernement. Ainsi
le pays est bel et bien séparé en deux, déchiré
par les frustrations subies par le peuple laissé à l’écart,
tandis que le nombre de millionnaires britanniques est passé
de 7 000 en 1983 à 20 000 en juillet 1986. Le Duc de Westminster
(35 ans) possèderait 28,5 milliards de francs. Le leader libéral
David Steel estime que "cette tendance a toujours existé,
mais que maintenant ceci est devenu un problème capital pour
le pays".
Les conséquences dramatiques de cette situation sont de tous
ordres. Par exemple, un rapport récent montre que les couples
sans emploi divorcent deux fois plus vite que les autres. Que les sévices
à enfants viennent d’augmenter de 60 %. Un autre rapport, publié
par l’Université de Bristol, met en évidence un lien direct
entre appauvrissement et mauvaise santé : 1 500 décès
par an, dans la région, seraient imputables à la dégradation
économique.
Le chômage est devenu, d’après l’enquête de News
Week, non plus un ennui temporaire, mais une manière de vivre
qu’on accepte et ce fatalisme, qui touche à la conscience de
classe "rend les solutions d’autant plus difficiles".
Cependant, Mrs Thatcher affirme qu’en continuant à diminuer les impôts et à freiner les dépenses publiques, son gouvernement va stimuler les affaires. Son grand exploit est d’avoir fait passer l’inflation des prix de 27 sous les travaillistes à 3 aujourd’hui... ce qui n’a pas réduit le chômage dans le Nord. Quant aux fonds libérés par la baisse des impôts, ils ont été en grande partie absorbés par les privatisations (British Telecom, Jaguar), les investisseurs ont placé leur argent dans ces entreprises, qui existaient, plutôt que d’en créer de nouvelles.
D’ailleurs, peu de jeunes britanniques blâment la politique actuelle. Un sondage du "Times" sur les 18-25 ans a montré que 21 % estiment que les conservateurs sont responsables du chômage, que 19 % disent qu’ils n’en comprennent pas la cause ; les autres ont des explications variées, allant de la paresse (6 %) aux nouvelles technologies (10%).
L’ancien ministre conservateur J. Prior est très optimiste sur l’avenir de l’industrie de son pays "J’ai placé un fils dans l’industrie de l’acier... c’est un exemple de quelqu’un de "notre monde" qui choisit actuellement l’industrie comme carrière", explique-t-il avec fierté. Et il affirme qu’un grand nombre de diplômés d’Oxford et de Cambridge suivent cette voie... Voilà qui va rassurer les chômeurs du Nord !
(d’après une étude de News Week par R.M.)