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Éditorial
COMMENT les Français pourraient-il avoir de l’enthousiasme pour un parti politique dans le marasme actuel ? Rien n’en émerge. Pas une idée, pas un élan, pas un projet. La vie politique se réduit de part et d’autre à une lutte entre gens qui n’ont pas d’autre idéal que leur ambition personnelle et dont les discours, tous aussi creux, semblent sortir du même moule.
Le parti communiste s’accroche à vouloir le plein emploi, et à plein temps, pour tous les travailleurs... sans voir que ceci n’est plus possible. Ses revendications datent du siècle dernier. Il se bouche les yeux pour ne pas voir l’évolution technologique. Alors qu’il pourrait reconquérir son électorat perdu, et faire beaucoup plus, s’il mettait en tête de ses revendications celle d’un pouvoir d’achat pour tous. Les gigantesques moyens de production que nous connaissons aujourd’hui sont le résultat des efforts accumulés par toutes les générations qui nous ont précédés. Pourquoi le parti communiste ne revendique-t-il pas cet héritage pour les travailleurs en expliquant qu’une monnaie gagée sur la production permettrait de distribuer à tous des revenus suffisants ?
Le récent congrès du parti socialiste à Lille a montré que le souci principal de ce parti était d’afficher l’union de ses militants, jugée essentielle pour revenir au pouvoir... Mais cette union à des fins purement électoralistes se fait au détriment de toute réflexion en vue d’un véritable projet. Pire même, certaines déclarations de ses responsables font se demander en quoi le parti peut être considéré comme "à gauche’’ : il semble avoir renoncé à la "rupture’’ avec le capitalisme, pourtant annoncée avant 1981. Et, s’il en arrive à reconnaître que le chômage est un fait - inéluctable - de société, ce n’est pas pour reprendre son timide projet d’un revenu minimum garanti à tous, puisque la ’’seule solution neuve’’, (comme l’appelle J.L. Andréani dans le Monde du 3 avril), la société du ’’Partage’’ prônée par Claude Allègre, pourtant responsable du groupe des experts du PS, a été "promptement combattue aussitôt qu’apparue’’. Le P.S. n’ose pas, toujours pour des raisons électoralistes, défendre l’idée d’un "partage du pouvoir d’achat" !
Il a pourtant les atouts pour faire beaucoup mieux, à condition de savoir tirer la leçon de son passage au gouvernement. Avant 1981, il avait un projet courageux, il proposait quelque chose et c’est ce qui entraîna vers lui l’espoir d’une majorité d’électeurs. Moins de deux ans après, volte-face complète. Il n’était plus question que de rigueur, que de l’austérité (pour les travailleurs) prônée par les tenants du "libéralisme", et dès lors les socialistes au pouvoir n’ont plus eu d’autre ambition que de prouver qu’ils étaient capables de gérer le capitalisme, voire même de le gérer mieux que les "libéraux" eux-mêmes, puisqu’ayant à faire face à moins de mouvements sociaux ?
Après pareille débâcle, les socialistes ont eu un an d’opposition pour en tirer la leçon. Pour comprendre qu’ils n’avaient pas su faire l’analyse du pouvoir, pas compris que le pouvoir politique n’est RIEN en face du pouvoir économique. Ils ont dit "nos efforts de relance ont échoué parce que les entreprises françaises n’étaient pas assez compétitives’’. Et, admettant la ’’loi’’ de la compétition, ils ont, comme les autres, favorisé les plus dynamiques, vanté l’esprit d’entreprise, quels qu’en soient les moyens et les fins. Ils se sont alignés, sans voir plus loin, et tout est rentré dans l’ordre : jamais la Bourse française n’avait été si florissante, grâce, en particulier aux déréglementations admises par le gouvernement socialiste pour s’aligner sur les gouvernements "libéraux". Et c’est ainsi que les entreprises ont pu tout à loisir utiliser les énormes moyens financiers dont elles ont disposé, non pour investir en vue de nouvelles productions utiles, mais bien pour spéculer, et même avec l’assurance de le faire sans risques et en toute légalité. C’est que, ce faisant, les socialistes ont omis de réfléchir à deux choses : d’abord qu’ils acceptaient de laisser les financiers jouer le rôle principal en politique économique, au détriment des besoins sociaux ; ensuite que la maîtrise de la monnaie - clé de l’économie - échappe à tout gouvernement, même le plus démocratiquement élu, puisque ce n’est pas lui qui a le pouvoir de la créer.
Sans cette réflexion essentielle sur le pouvoir de création monétaire, sur le rôle de l’argent, il ne faut attendre aucun réel progrès social (la Bourse est florissante et la sécurité sociale en pleine déconfiture...). Le rôle d’un parti qui se proclame socialiste est donc d’abord de dénoncer, au lieu de la suivre, la politique des monétaires qui font de l’argent une fin en soi, oubliant que la monnaie ne devrait jamais avoir d’autre rôle que celui d’un étalon des biens et des services. Ne pas oublier par conséquent que les vraies richesses sont ces biens et ces services, et non les signes monétaires, actuellement créés par toutes sortes d’instituts d’émissions et autres banques commerciales privées, en toute anarchie et en marge de toute politique sociale.
C’est le rôle d’un parti qui se dit socialiste de faire admettre que si les banques ont pris le droit de créer de la monnaie à seule fin d’en tirer des intérêts, il faut bien que les gouvernements aient au moins ce même droit, mais afin de distribuer du pouvoir d’achat aux consommateurs qui en ont besoin. Ce retour au pouvoir politique du droit régalien "de battre monnaie" est le seul moyen de permettre aux travailleurs éliminés du marché du travail d’avoir accès aux richesses fabriquées par les robots qui les remplacent.
C’est le rôle d’un parti qui se dit socialiste de dénoncer une pratique que rien ne justifie : celle de considérer la monnaie américaine comme un étalon de valeur pour les échanges internationaux. De dénoncer du même coup l’émission anarchique de dollars qui se traduit par une dette américaine de 2 000 milliards de dollars (si bien que chaque américain est ainsi soixante dix fois plus endetté qu’un habitant du Tiers-Monde (1), faisant ainsi payer au monde ’’libre" la politique agressive d’armements (I.D.S.) de Reagan. De proposer, par un accord avec leurs homologues "socialistes" européens une véritable monnaie-étalon européenne et d’en profiter pour faire reconnaître aux gouvernements et à eux seuls le droit régalien de créer leurs monnaies internes à des fins d’utilité publique...
Tel est aujourd’hui le devoir de tout parti politique qui se prétend "de gauche’’. Mais lequel aura le courage de commencer ?
Quant à la droite, inutile d’essayer de lui attribuer une quelconque vertu innovatrice. On la voit se raccrocher au néo-libéralisme reaganien, au moment où celui-ci passe de mode aux Etats-Unis, après avoir fait la preuve de son échec total : c’est le "meilleur économiste de France" (mais qui donc lui a attribué ce qualificatif ?) qui après nous avoir laissés avec une inflation à plus de 14 % l’an, se rappelle à nous par la célèbre formule de Guizot "Enrichissez-vous par le travail et l’épargne". Comme s’il n’était pas plus facile à ses admirateurs aveugles et, généralement, fort à l’aise, de s’enrichir en spéculant en Bourse ! M. Barre est décidément un homme du passé. Il a oublié (à moins qu’il ne s’en soit jamais aperçu) qu’il faut de moins en moins de travail humain pour produire des richesses et les robots, eux, n’épargnent pas !
L’autre vieux cheval de retour, Chirac, ne propose guère plus, et on ne peut mieux le décrire, lui et son parti, que ne le fait Bernard Franck dans ses ’’digressions" du Monde du 8 avril dernier : "de tous les hommes politiques en vue, il est le plus démodé, le parti sur lequel il s’appuie, invraisemblable ramassis de gaullistes ’’historiques", d’hommes venus à de Gaulle après la bataille, de pompidoliens, de vieux réactionnaires en quête de compagnonnage, de petits chiraquiens qui jouent aux modernes, n’a aucune doctrine, à part la défense des places acquises, ce qui va de soi en politique".
Enfin, l’extrême-droit ne nous offre, pour tout programme, que de nous en prendre à nos semblables. Bel idéal !
(1) Voir le remarquable article de F. Clairmonte et J. Cavanah intitulé ’’frénésie Spéculative... jusqu’au point de rupture ?’’ dans le Monde Diplomatique de mars 1987.
A l’occasion de son vingt-cinquième anniversaire "Que Choisir", le mensuel de l’Union Fédérale des Consommateurs publie un numéro spécial consacré à un rappel de ses activités, mais aussi aux produits du futur, treize ans avant l’an 2000, et à des tribunes où s’expriment Ralph Nader, Michel Rocard, Christiane Scrivener et Joffre Dumazedier.
L’HISTORIQUE
Il est vrai qu’avant les années 60, les consommateurs
étaient tout juste bons à absorber les produits que les
industriels et les agriculteurs voulaient bien mettre à leur
disposition par l’intermédiaire des commerçants. Les destructions
dues à la guerre avaient provoqué une situation de relative
pénurie artificielle qui obligeait les acheteurs à se
montrer peu exigeants.
Aujourd’hui, la situation a changé radicalement. L’abondance
potentielle s’est réinstallée et les clients sont courtisés
par tous les moyens. Ils en ont profité pour se montrer plus
rigoureux dans leurs choix. Les écologistes ont attiré
l’attention sur la nécessité de préserver l’équilibre
de la nature en évitant les pollutions de toutes sortes.
L’UFC retrouve les grandes dates des batailles qu’elle a livrées
: 1963 radioactivité des aliments, 1967 danger du diphényle
sur les agrumes, 1970 saleté des plages, 1972, relevé
des prix sur l’ensemble des grandes surfaces, 1976 amiante dans le vin,
1979 antibiotiques dans les viandes, 1980 boycott du veau aux hormones,
1986 offensive contre le chèque payant, etc... sans compter les
innombrables tests qui ont servi de références à
tant d’acheteurs.
Nous qui constatons la profusion des produits, ne pouvons pas rester
insensibles à leur choix, ni à la qualité de la
vie, mais nous sommes aussi intéressés par les conditions
et les résultats de la fabrication, ainsi que par les nouvelles
méthodes de distribution qui s’instaurent et les nouveaux besoins
qui se manifestent.
LE FUTUR
Ainsi, il résulte de l’inévitable sondage
d’opinion auquel le mensuel s’est livré, avec l’aide de l’Institut
Ipsos, sur les prévisions des lecteurs pour l’an 2000, que 56
% d’entre eux contre 37 % et 7 % qui ne se prononcent pas, estiment
qu’il y aura alors un récepteur de TV par personne y compris
pour les enfants ; même si 74 % contre 15 % et 11 % de sans opinon
pensent que ce ne serait pas souhaitable. 58 croient que l’on fera ses
courses par l’utilisation du Minitel (58 % ne le souhaiteraient pas).
60 % estiment qu’il y aura un accident nucléaire qui aura des
conséquences sur notre vie (93 ne le souhaitent pas). 76 % croient
qu’il n’y aura plus d’argent liquide, mais seulement des chèques
et des cartes de paiement magnétiques ; 63 % sont presque certains
qu’on travaillera de plus en plus à domicile et moins dans les
bureaux, à cause de l’informatique et de la télématique.
L’opinion est divisée au sujet de l’intérêt de ces
deux dernières prévisions. Ces résultats ne sont
pas neutres visà-vis des possibilités d’instaurer une
économie distributive qui devrait satisfaire les besoins ainsi
exprimés ou prévus.
Ralph Nader écrit : "Actuellement la mesure du progrès
économique est presque entièrement le fait de la vente...
Par exemple, la progression des ventes de l’industrie pharmaceutique
nous renseigne sur son chiffre d’affaires, mais ne nous dit pas grandchose
sur la progression ou la régression de la santé publique
et du pouvoir d’achat qui en résultent.." et "Vue sous
l’angle des acheteurs, la science économique exige innovation
et participation populaire, afin de rééquilibrer un pouvoir
actuellement si favorable aux multinationales, aux oligopoles et aux
monopoles d’Etat". "...Aux EtatsUnis les consommateurs se
groupent pour négocier des contrats plus avantageux, maximiser
leur pouvoir d’action contre les grands constructeurs d’automobiles
et contester les tarifs excessifs de gaz, d’électricité
ou de téléphone". Il conclut ainsi : "Le nouveau
mouvement consommateur invite les esprits et les organisateurs les plus
brillants à reformuler l’économie politique, en ayant
pour objectifs la protection de l’environnement, le recul de la pauvreté
et la satisfaction des besoins et des souhaits du public".
Citons également cette phrase de l’avocat des consommateurs :
"La mesure du progrès économique ne doit pas se faire
seulement en termes de quantité de production et de taux d’emploi.
Il y a aussi la qualité et l’impact des produits auprès
des utilisateurs".
LA NOURRITURE
Un autre article fait le point sur la révolution
alimentaire qui se prépare légumes colorés ou géants
obtenus par manipulations génétiques, améliorations
des espèces de fruits grâce aux recherches de l’INRA (1),
nouvelles présentations d’aliments, méthodes de conservation
différentes (cuisson, extrusion, cracking, ionisation, ultrafiltration,
etc...), viandes végétales ou restructurées, etc...
Le rédacteur désacralise l’aliment soi-disant naturel
en précisant que 70 % de la nourriture actuelle passe au moins
à un moment par l’industrie de transformation. Ce taux sera de
90 % à la fin du siècle. Pour ceux qui seraient effrayés
au sujet de l’envahissement de notre nourriture par les produits "chimiques",
qu’ils sachent que sur terre tout est, sinon de synthèse, mais
chimique. Exemple le chlorure de sodium : ClNa ou sel de cuisine. La
"viande" végétale, par exemple, permettrait
d’éviter le gaspillage planétaire qui oblige à
utiliser plusieurs calories végétales (fourrages) pour
obtenir une calorie animale (viande ou lait).
Dans une contribution intitulée "Soyons ambitieux"
Michel Rocard ajoute que "...le choix d’une nouvelle gamme de produits,
la politique des prix, les critères de qualité, la nature
des services rendus (notamment dans l’après-vente, le marketing)
ne peuvent plus être décidés sans tenir compte de
ce qui est la finalité même de toute activité économique :
la satisfaction des besoins des consommateurs...". Il croit que
les associations de clients devront se développer et disposer
des moyens matériels et techniques nécessaires "ce
qui sera créateur de nombreux emplois d’économistes, de
juristes et de techniciens". Nous préciserons que ces "nombreux
emplois" seront en nombre limité au regard de ceux qui seront
supprimés par ailleurs.
Toujours cette idée fixe chez les responsables politiques de
créer des emplois alors qu’il convient d’abord de satisfaire
des besoins.
(Suite au prochain numéro)
(1) INRA : Institut National de la Recherche Agronomique.
BIEN (Basic Income European Network)
IL y a plusieurs mois déjà que "La Grande Relève" consacre régulièrement une de ses rubriques à l’Association Internationale pour l’Allocation Universelle, créée en septembre dernier par les participants au Congrès de Louvain-la-Neuve. Nous publions aujourd’hui la traduction de l’une des interventions les plus courageuses, celle de Gabriel Fragnière, directeur du Centre Européen pour le Travail et la Société, dont le siège est à Maastricht, aux Pays-Bas.
1. La plupart des arguments en faveur de l’instauration
d’un revenu de base repose sur l’idée que ce nouveau revenu de
base qui devrait être accessible à tous, devrait consister
essentiellement en une extension ou une généralisation
des systèmes de sécurité sociale, tels qu’ils existent
dans les divers pays. Très souvent le débat est lié
à l’échec actuel des systèmes de sécurité
sociale, ou à la crise globale de "l’état providence".
C’est pourquoi les arguments en faveur d’un revenu de base sont présentés
comme un moyen d’aider le système actuel à survivre, plutôt
que pour le changer. Dans la plupart des cas, en effet, les personnes
appelées à participer au débat sur le revenu de
base sont des spécialistes de sécurité sociale.
Très souvent, les départements ministériels qui
s’intéressent un peu au problème du revenu de base sont
uniquement ceux qui sont responsables de la sécurité sociale,
et la participation à cette conférence confirme en partie
cette observation. Parmi ceux qui sont pleinement engagés dans
le débat sur le revenu de base, très peu viennent d’autres
départements concernés, tels que ceux qui s’occupent de
politique d’emplois, d’organisation du travail, de relations industrielles,
de politique sociale et familiale, etc... Lorsqu’on aborde le problème
en ces termes, il semble que la question du revenu de base soit exclusivement
une question de sécurité sociale.
Il est cependant important de remarquer que le nombre d’économistes
et de philosophes qui s’engagent dans le débat croît rapidement.
Ce qui veut dire qu’il est en train de se produire un changement dans
l’argumentation sur le revenu de base.
A mon sens, le principal changement dont nous sommes à présent
témoins est le transfert du débat des techniciens (c’est-à-dire
les spécialistes de sécurité sociale) aux politiques.
Mais ce transfert ne peut être effectif que si les problèmes
de valeurs et de politiques sont ouvertement discutés. Trop souvent
en effet le débat sur le revenu de base a été limité
à ses aspects techniques, à sa faisabilité, à
son coût’ et au budget nécessaire, mais il n’a été
que rarement envisagé en termes de valeurs sociale et politique,
en termes de changement des structures de la société,
en termes de richesse et de pouvoir.
Mon intervention a pour but d’expliquer non seulement pourquoi le débat
est en train de changer mais surtout pourquoi il faut le faire évoluer
dans ce sens. En fait, ce qui est en jeu n’est pas de trouver un meilleur
système pour garantir un revenu à ceux qui ont des difficultés
à en trouver un, mais de redécouvrir la valeur réelle
de la création de richesses, et comment on peut garantir à
tous les être humains le droit à en avoir une part.
2. Mais cela va plus loin et mon raisonnement s’applique
aussi à la discussion de la crise actuelle de l’emploi. Depuis
la fin de la Seconde Guerre Mondiale, durant les quarante dernières
années, la plupart des politiques économiques et sociales
ont été basées sur l’idée qu’il fallait
que les gouvernements interviennent dans l’économie si l’on voulait
atteindre et garantir le plein emploi, c’est-àdire la participation
dans le processus de production de tous ceux qui le souhaitent. Confortée
dans cette opinion par la fantastique croissance que toutes les économies
industrialisées ont connue durant cette période et qui
a fait de la politique de plein emploi un succès presque complet,
la possibilité technique d’assurer le plein emploi est devenue
le thème central de tous les débats sur le travail et
l’emploi, laissant de côté toute réflexion sur la
finalité du travail, c’est-à-dire sur sa valeur morale,
sociale et humaine. La crise actuelle de l’emploi, qui semble insoluble,
a conduit de nombreux penseurs à la conviction qu’il fallait
absolument une autre approche si l’on voulait traiter les problèmes
essentiels d’aujourd’hui. Dans ce domaine aussi, nous pensons qu’il
faut retirer le débat des mains des techniciens pour le mettre
dans celles des politiciens.
Ces considérations préliminaires rendent évident
à mes yeux qu’il faut relier, pour qu’ils soient utiles, les
débats sur le revenu de base d’une part, et sur le travail et
l’emploi d’autre part.
3. Considérons tout d’abord les changements
qui ont affecté la valeur du travail depuis que l’industrialisation
est devenue le principal moyen de produire la richesse de nos sociétés.
Pour simplifier un raisonnement que je ne voudrais pas pousser trop
loin dans ce court exposé, je dirai que l’industrialisation a
eu pour principal effet de détruire la relation individuelle
que l’homme avait avec l’objet de son travail, en ce sens que ce n’est
plus son action individualisée qui constitue son travail, mais
sa participation au processus global de production des biens, qui n’a
pas de signification directe pour sa vie et celle de sa famille, en
dehors de la nécessité de se procurer un revenu. Par conséquent,
la conscience aigue de contribuer à sa propre survie, à
son propre bien-être et à ceux de sa famille, vécue
comme une action concrète, telle que couper du bois, récolter
de la nourriture, etc... a progressivement été remplacée
par un nouveau type d’obligation consistant à gagner pour soi-même
et pour sa famille une contribution monétaire à l’extérieur
de son milieu de vie. La compagnie, ou l’employeur, a ainsi remplacé
la famille en tant qu’unité économique intégrée
dans laquelle le travail de l’individu trouve sa signification. Le sens
du travail s’est ainsi trouvé directement lié au processus
de production et seulement de manière indirecte, à la
survie et au bien-être de l’homme et de sa famille.
Ce sens indirect du travail nécessaire à la survie de
l’individu, c’est ce que nous appelons maintenant son revenu. A travers
l’organisation sociale du travail, c’est-àdire l’action de l’homme
nécessaire à sa survie et à celle de son groupe,
a été progressivement remplacée par la notion de
boulot, d’emploi payé. "Travailler" ne signifie donc
plus produire quelque chose de spécifique individuellement, mais
avoir une place, un boulot, un statut qui garantit un revenu. L’idée
d’une valeur du travail, considéré comme une action humaine
spécifique, a été remplacée par la valeur
du revenu de l’emploi. Dans le langage de tous les jours, la valeur
d’un travail n’est pas due à "ce qu’on fait", mais
à "ce qu’on est", ou à "ce qu’on gagne".
4. Mais cependant, les valeurs traditionnelles, éthiques
et psychologiques attachées au travail n’ont pas changé.
Nous ne devons pas oublier que le travail a toujours eu un sens ambigu
dans la culture occidentale. Il a été à la fois
une force créatrice divine (Dieu a créé le monde
en six jours avant de se reposer ; dans la mythologie grecque de grandes
divinités entreprennent des travaux colossaux), mais aussi une
punition pour les péchés de l’homme (Adam est condamné
à gagner son pain à la sueur de son front). Le travail
est ainsi une bonne et une mauvaise chose. Cette ambiguité a
joué un rôle important à travers les siècles
dans "la prise de conscience" et/ou "l’identification
au groupe". Dans la Grèce antique, les hommes libres étaient
dégagés du travail qui constituait l’état d’esclavage ;
dans les temps modernes, les gens sans travail se sentent dépréciés
s’ils ne peuvent plus faire partie de la communauté des travailleurs.
Cette double valeur du travail a bien entendu un impact sur la valeur
qu’on attribue d’une part, au travail en tant qu’acte, et d’autre part
au revenu en tant que bénéfice. Un travail pénible
pour un bon salaire semble être dans la nature des choses. L’aspect
négatif du travail est le lourd fardeau qu’il représente
pour l’individu qui doit se soumettre à un processus impersonnel
de production, alors que son aspect positif doit être cherché
dans la récompense constituée par le revenu qu’il procure.
D’où l’argument souvent entendu si les gens pouvaient obtenir
un revenu- sans travailler, pourquoi travailleraient-ils ?
5. Bien sûr, il y a dans le travail plus qu’un
revenu. Avoir un travail constitue une valeur sociale ; c’est une sorte
de reconnaissance sociale, et cela, indépendamment de la récompense
financière qui lui est attachée. Tout cela est lié
au désir fondamental de l’homme de faire quelque chose, d’agir,
d’être partie prenante du processus social. C’est certainement
ce qui a justifié pendant si longtemps les politiques exclusives
de plein emploi que tant de nos gouvernements ont suivies. Du même
coup, étaient satisfaits, à la fois, les besoins de revenus
et la satisfaction d’être socialement reconnu. Mais nous savons,
depuis la crise et notre prise de conscience des changements qui affectent
les sociétés dites post-industrielles, que ce n’est plus
possible, puisqu’il n’est plus nécessaire d’avoir autant de monde
dans le processus de production. Les développements technologiques
et les accroissements de productivité ont amené une forte
redondance humaine dans l’emploi. Il n’est plus nécessaire d’avoir
toute la population active (quel que soit le concept que cela recouvre)
dans des emplois payés pour produire les biens et les services
que nous pouvons consommer. De même que la population agricole
est passée d’environ 80 % à moins de 10 % pour produire
la nourriture dont nous avons besoin (et elle produit encore trop en
Europe), de même, la population industrielle et employée
diminue elle aussi. Cette évolution va obliger nos sociétés,
à rompre, plus radicalement qu’aujourd’hui, le lien qui existe
entre la participation à la création des richesses par
le travail et l’emploi, et la participation à la redistribution
des richesses par un revenu salarial.
Ainsi la double valeur ambigüe traditionnelle du travail en sera-telle
nécessairement affectée, tout comme le sera le jeu paradoxal
que jouaient les sociétés industrielles avec les individus
en compensant les conditions de travail par un revenu, le fardeau du
travail par une récompense monétaire, le sacrifice de
produire par la sécurité sociale.
6. Les conséquences de cette évolution
ont une importance capitale. Premièrement, la valeur du travail
ne peut plus se mesurer exclusivement en termes de revenus ou en termes
d’incitations financières. Les gens sont en train de redécouvrir
la valeur fondamentale de faire quelque chose qu’ils aiment, parce qu’ils
lui attribuent une valeur tout comme un artiste voit la valeur créative
de son effort, ou parce qu’ils ont conscience de la valeur sociale de
leurs efforts et de la contribution que leur travail représente
pour la société dans son ensemble. La notion de travail
doit donc prendre un nouveau contenu et un nouvel attrait. Mais d’un
autre côté, l’idée que le système de production
doive garantir le revenu de tous les individus doit aussi être
abandonné, parce que, comme nous l’avons vu, ce système
n’a pas besoin d’utiliser autant de monde qu’auparavant.
Toutes les discussions qui ont lieu en Europe sur ce qu’on appelle la
"flexibilité" du marché du travail n’ont pas
d’autre sens. Ce que les employeurs (en réalité, cette
expression doit devenir obsolète), ou, mieux dit, les entreprises,
demandent, c’est d’avoir la possibilité de produire autant qu’elles
le peuvent sans avoir à s’occuper de la distribution des richesses
à plus de gens que ceux qu’elles ont besoin d’employer dans le
cadre de leur organisation. Leur raisonnement consiste simplement à
dire que leur contribution à la création de richesse sociale
n’est pas efficace si elles doivent se charger de tâches sociales
autres que celle de produire des biens dans les meilleures conditions
possible. Ainsi toutes les mesures qui ont été développées
dans l’optique des politiques de plein emploi visant à garantir
le travail vontelles contre ces nouvelles tendances.
On ne doit pas cependant croire que cette évolution ramène
nos sociétés au capitalisme sauvage du libéralisme
du XIXe siècle. Nous en sommes loin parce que nous connaissons
la nature nouvelle de la richesse qu’a apporté un système
économique hautement monétisé. La richesse n’est
pas l’accumulation des biens, c’est la circulation des biens. La richesse,
c’est essentiellement l’échange. Quel serait en effet l’intérêt
de produire des biens et des services dans les meilleures conditions
et aux meilleurs prix, s’il n’y avait personne pour les acheter, pour
les utiliser, pour les consommer ? C’est le vieux principe de Ford :
si mes employés ne peuvent pas acheter les voitures que je construis,
quel intérêt y a-til à les produire. C’est la même
chose dans les sociétés postindustrielles. La richesse
est essentiellement l’échange croissant qui prend place entre
les parties productrices et consommatrices de la société,
quelles que soient leurs tailles respectives.
Dans le système industriel traditionnel d’emploi, on devait faire
partie du système producteur pour pouvoir consommer, puisque
c’est uniquement ce système qui pouvait garantir le revenu pour
consommer. Donc, plus il y avait d’emplois créés, plus
l’échange était possible.
Aujourd’hui, en dissociant la production du "partage des richesses",
on pourrait instaurer un nouveau système pour garantir la richesse.
Nous devrions considérer le débat sur le revenu de base
dans cette perspective. On a besoin du revenu de base non pas parce
que le système de production ne peut plus garantir un emploi
à tout le monde, ce serait là un argument de sécurité
sociale, mais parce que nous avons besoin d’un nouveau système
de redistribution des richesses pour garantir la croissance dans une
période où la productivité n’est plus basée
sur le nombre de personnes réellement engagées dans le
processus de production.
Je plaide donc pour une approche économique positive du débat
sur le revenu de base. Et je crois fortement qu’un tel débat
sur le revenu de base ne peut s’engager que si l’on veut réellement
reconsidérer fondamentalement la valeur du travail, et les stimulants
pour les efforts qu’il demande. Ce qui en effet est en jeu, c’est non
seulement une meilleure façon de calculer les budgets des Etats
et les coûts sociaux nationaux, mais aussi l’éthique d’une
politique d’ouverture et de solidarité qui est rendue possible
par nos nouvelles capacités pour produire et pour créer
des richesses pour tous.
Il faut ajouter un dernier point à cette perspective. S’il est vrai que la richesse est essentiellement l’échange, il devient évident que personne ne peut la créer, la maintenir et la développer en s’isolant du reste de l’humanité. Aucun pays au monde ne peut satisfaire ses besoins en fermant ses frontières, en isolant son marché du reste de l’humanité. Par conséquent, nous devons savoir qu’aucun pays ne peut, tout seul, mettre en place un système de revenu de base, sans prendre en considération ses voisins, ses partenaires, et par suite, la richesse de tous. Dans cette optique, les développements qui se manifestent en Europe, à travers la création d’une communauté de plus de 320 millions de citoyens, constituent un défi et une occasion de renouvellement social et politique que nous ne devons pas manquer.
"...la primauté de l’économique représente à n’en pas douter une phase de l’évolution des sociétés modernes, quelque chose comme la crise de croissance ou de puberté du jeune homme ou de la jeune fille. Trop d’indices suggèrent, et font plus que suggérer, que nous allons entrer dans une société qui sera bien davantage "une société de culture", je veux dire de culture largement indépendante et non plus soumise, comme c’est aujourd’hui le cas, aux impératifs de la production. Je crois que c’est la vocation de la culture au sens le plus large de dominer la société et de lui conférer ses fins..."
Maurice Crubellier (Le Monde, mardi 16 décembre 1986).
AU cours du Forum "Economie et Culture"
organisé le 10 février 1987 par l’hebdomadaire Télérama,
j’ai interpellé R. Barre par la question écrite suivante :
"Comment peut-on concevoir que l’économie libérale,
cette vieille dame indigne qui a toujours nié l’homme, puisse
s’intéresser à la culture ?". La question, brutale
j’en conviens, a suffi à mettre hors de lui l’ancien Premier
Ministre qui a jeté mon nom à la vindicte des participants
après avoir feint de voir en moi un défenseur de l’économie
collectiviste. Ceux qui me connaissent, et qui étaient présents,
ont sans doute deviné que mes préoccupations étaient
tout autres. Ce qui mérite une explication.
Nos sociétés hautement développées ont connu
successivement l’ère de la production et l’ère de la consommation.
Nous voici entrés de plain-pied dans l’ère de la communication.
Soit. Si l’on y regarde de plus près, l’on s’aperçoit
que ces mutations se sont faites et continuent de se faire en prenant
appui sur des bases économiques qui n’ont pas changé depuis
des millénaires et qui ont été analysées
par un certain nombre d’esprit forts, tels J.B. Say, Karl Marx, Lord
Keynes...
Ces bases sont celles de l’économie de l’échange, encore
appelée économie de marché : monnaie dite précieuse
ou reconnue comme telle, emploi chargé de former les revenus
(salaires, traitements, profits...), rentabilité, concurrence,
risque...
Ayant subi un avertissement sérieux en 1929 - on allait, pour
la première fois dans l’histoire de l’humanité, assister
à la montée parallèle du chômage et de la
production ! - l’économie échangiste est-elle en mesure
de se tirer indéfiniment des mauvais coups que l’irruption de
plus en plus brutale des énergies et des techniques ne cesse
de lui porter ? Le système, on le sait, ne fonctionne parfaitement
que si les échanges entre individus et entre nations s’effectuent
normalement, c’est-àdire qu’à production croissante doivent
correspondre des échanges croissants, ces échanges croissants
entraînant ipso-facto le développement d’une production
elle-même en nécessaire croissance. Le mot d’ordre devient
dès lors "produire à tout prix" afin de créer
des emplois, source de formation des revenus, qui euxmêmes écouleront
la production et en permettront la relance. Las ! Cette "production
à tout prix" - que l’on ne parvient plus par ailleurs à
écouler - nous fait inexorablement entrer dans l’ère de
la production pour la production, c’est-à-dire dans l’ère
du gaspillage. Gaspillage d’énergies, de matières premières,
de ressources naturelles, d’intelligences et de savoir-faire, de temps...
pour des productions dont nous ne connaissons que rarement les finalités,
quand elles ne sont pas purement et simplement nuisibles à l’homme.
Aussi, l’argument de nos hommes politiques selon lequel il nous faut
"respecter la rigueur budgétaire" - lors de ce Forum,
je revois M. Barre pointer l’index vers le ciel en invoquant cette malédiction
divine pour foudroyer le comédien Armand Meffre qui réclamait
du secours pour le théâtre vivant - cet argument donc a
de quoi faire hurler de rire lorsque l’on sait que nous sommes confrontés
à une énorme entreprise de gaspillage organisée
à l’échelle planétaire.
Passons rapidement en revue nos "soldats de plomb"
de l’économie de marché.
Les monnaies ? Les Américains n’ont plus qu’une
carte à jouer laisser couler le dollar pour exporter à
tout prix, alors que dans le même temps, le Brésil refuse
de payer les intérêts des emprunts contractés.
Les monnaies européennes "flottent". Et les "sages"
du Fonds Monétaire International ne savent plus à quels
saints se vouer.
L’emploi ? Face à l’irruption des techniques et industries nouvelles de plus en plus économes d’emplois, on nous présente pour l’an 2000, dans l’Europe de l’Ouest, la perspective suivante 25 % de la population active travaillera à temps plein, 25 % à temps partiel et 50 % ne trouvera jamais de travail. Une question l’emploi étant le support essentiel de la formation des revenus, comment vont vivre les millions d’individus mis sur la touche ? On peut prédire un avenir radieux aux "Restos du coeur".
Les profits ? Ils sont maintenus artificiellement.
Par la réduction des richesses alimentaires dans l’agriculture.
43 % seulement des terres disponibles sont cultivées dans les
pays de la C.E.E. afin d’éviter les productions pléthoriques.
Ce malthusianisme en appelle un autre : la C.E.E. dépense annuellement
plus de 50 milliards de nos francs à racheter des produits excédentaires
(plus du quart de son budget). Quant aux U.S.A., ils ont actuellement
en stock l’équivalent d’une année de production de blé...
Dans l’industrie, la réduction des durées d’usage des
produits - pratique généralisée sur laquelle s’entendent
les producteurs et que passent sous silence les unions de consommateurs
- facilite le renouvellement de la production et la formation accélérée
des profits. Pour de plus amples renseignements, lire l’éloquent
ouvrage de l’américain Vance Packard "L’ère du gaspillage"
(Calmann-Lévy).
Au chapitre des emplois et des profits enfin, rappelons, pour mémoire,
qu’à lui seul l’armement français sécrète
300 000 emplois (Hebdomadaire "L’Express" du 612 février
1987) et que d’une manière générale les armements
présentent l’énorme avantage de contribuer à maintenir
emplois et revenus sans encombrer le marché intérieur :
pour le moment la Guerre du Golfe suffit à remplir les carnets
de commande.
L’initiative et le risque ? Au service
de quoi ? Du gaspillage ? Ou de l’utilité pour le plus grand
nombre ? That is the question.
Et la Culture dans tout cela ? L’on peut sans grand risque prédire
que le budget alloué au Ministère de la Culture ne parviendra
jamais à se hisser sur le piédestal du 1 % o du budget
de la Nation. Les raisons sont peu d’ordre politique, mais avant tout
d’ordre économique : la culture semble allergique au principe
sacro-saint de la rentabilité (toutes les occasions sont bonnes
pour nous accuser de mauvaise gestion, n’est-ce pas Alexis Gruss ?),
la culture n’est pas pourvoyeuse d’emplois (ou si peu), et de toutes
façons - et même s’il s’agit des industries culturelles
- la culture n’intéressera jamais hautement la machine économique
qui a besoin de dynamiques plus fortes liées à la production
de biens matériels plus aisément "vendables"
à l’ensemble d’une population - et donc renouvelables dans les
délais les plus brefs.
Ce qui ne signifie pas que, dans l’état actuel des choses, le
Forum organisé par Télérama n’ait pas eu son utilité
: Economie et Culture doivent trouver des passerelles communes, même
si elles sont fragiles et soumises aux aléas de la conjoncture
économique. Mais celle-ci ayant été décrétée
défavorable depuis quelques années, les subventions accordées
au théâtre, à la danse, à la musique, au
cirque... sont constamment remises en question. Et pourtant il ne s’agit
que de quelques petits millions, goutte d’eau microscopique dans l’océan
des milliards gaspillés chaque jour (3 millions retirés
du jour au lendemain au Cirque Gruss, notre seul cirque national !, qui
vient de licencier la totalité de son personnel).
Concluons. Si nous voulons que Economie et Culture marchent avec quelque
chance au succès la main dans la main, il nous faut réclamer
d’autres règles du jeu que celles que nous impose l’économie
de marché :
- dissociation des revenus de la durée du travail, donc formation des revenus indépendamment du travail fourni ; par exemple, répartition des richesses et des services par l’instauration d’un revenu garanti distribué à tous selon des critères à définir (cf. "L’économie libérée". Etude de M. L. Duboin, 1986).
- généralisation d’une monnaie de consommation non transférable, non thésaurisable, gagée sur la production des biens et des services, type "carte de paiement à mémoires", chaque opération faisant apparaître le débit sur la carte, celle-ci étant régulièrement "rechargée" en fonction du revenu attribué ; conséquence : disparition de notre monnaie circulante échangiste aux impacts imprévisibles, au profit d’une monnaie assurant le passage des biens et des services à la consommation dans les meilleures conditions de régulation (cf. "L’An 2000" par H. Muller, Ed. Plon).
- partage du travail selon, à la fois, les besoins "évolutifs" des hommes en biens et services, l’emboîtage de l’offre et de la demande, et les désirs et initiatives de tout un chacun (cf. André Gorz, "Qui ne travaille pas mangera quand même").
Depuis quelques décades, et plus particulièrement
depuis quelques années, des sociologues, des économistes,
des ingénieurs, essaient de définir les contours de la
société de demain, conscients que l’économie de
marché court à l’impasse. Voici, parmi de nombreuses réflexions
prospectives, la vision de Jacques Robin, Président du Groupe
Science, Culture au C.E.S.T.A. (Centre d’Etudes des Systèmes
et des Technologies Avancés), extraite d’un article paru dans
"Le Monde" du 14.12.1985 :
"En cette fin de siècle, les problèmes décisifs
ne seront plus ceux d’une économie sociale de marché.
La mutation technologique fondamentale, celle des technologies de l’information
et de la commande (informatique, télécommunications, biotechnologies,
robotique), porte en effet en elle une autre nature du progrès
technique. Avec ces "technologies informationnelles", l’homme
ne manipule plus les choses et les objets par lui-même ou aidé
de ses outils traditionnels, mais par l’intermédiaire de signaux,
de codes, de langages et de mémoires. Ces technologies sont économes
en énergie. Le travail humain cesse d’y être matériel
pour y devenir logiciel. L’automatisation généralisée
qu’elles entraînent fait franchir un seuil irréversible
au volume et à la forme de l’emploi productif classique ; la
modernisation de l’industrie des services détruit à moyen
et à long terme plus d’emplois qu’elle n’en crée ; aussi
le chômage continuera-t-il de progresser comme une marée
irrésistible.
Ces technologies poussent l’économie dans la sphère toute
neuve de la "reproductibilité quasi gratuite" des images,
des textes et des biens. On conçoit que les mécanismes
traditionnels se brisent : la croissance devient de plus en plus une
croissance sans augmentation de l’emploi ; les normes traditionnelles
de la productivité diminuent d’importance par comparaison à
l’existence d’une "deuxième productivité" due
avant tout à l’irruption continue de croissances et de savoir-faire
issus de la communauté scientifique et technique internationale,
laquelle n’en finit pas de s’enfler.
Le coût marginal, base du calcul économique néo-classique,
perd de son intérêt. Nos ratios deviennent obsolètes.
Des pistes sont primordiales à explorer pour créer de nouveaux paramètres sociaux et économiques : mesurer au plus près les "besoins" évolutifs des hommes en biens et en services ; mettre en ouvre des formes de répartition économique et sociale respectueuses de la créativité et de l’innovation, clés de l’évolution de l’espèce ; limiter l’Etat à son rôle de gardien des règles du jeu et d’impulseur des novations ; considérer l’Europe comme l’espace naturel de notre pays, avec une ouverture constante sur le monde, en particulier le tiers-monde... ".
En fait, ces analystes, de plus en plus nombreux faut-il le préciser, attendent de nos hommes politiques plus d’audace, plus d’invention, plus de générosité, dans la recherche d’une économie adaptée à la mutation technologique importante que nos sociétés connaissent depuis un demisiècle. Si cette adaptation ne se fait pas et si nous nous obstinons à nous maintenir, contre vents et marées, en économie de marché, je crains qu’à moyen terme nos entreprises, tournées vers le spectacle vivant, ne s’étiole une à une, écartelées entre la précarité des fonds publics et la rareté de fonds privés.
La Grande Relève a partagé la location
d’un stand au 7e Salon du Livre avec les Citoyens du Monde et Ecole
Instrument de Paix.
Du 19 au 25 mars, nous avons donc pu distribuer utilement environ 2000
Grande Relève (3 derniers numéros) ; plus sélectivement,
nous y avons adjoint "la vie et l’oeuvre de Jacques Duboin",
des bandes dessinées. Nous avons vendu une centaine de brochures
Economie Libérée, les Yeux Ouverts, les Affranchis de
l’An 2000 et fait quelques abonnements.
De nombreux visiteurs avaient entendu parler de Jacques Duboin et de
l’Economie de l’Abondance avant la guerre. Ils ont été
surpris de voir que "ça continue".
De très nombreux jeunes ont été "accrochés"
et nous ont laissé leur adresse. Nous avons pu discuter avec
eux, quelquefois longuement tant ils étaient intéressés.
Certains nous trouvaient "bien optimistes" mais le mot "utopie"
a été très rarement prononcé, ce qui est
encourageant. De toute façon, nous avions la réponse :
"Les utopistes, en 1987, sont ceux qui croient que le régime
actuel, la situation "duale" qu’il secrète (riches-pauvres,
tant dans les pays industrialisés qu’au niveau Nord-Sud) et les
menaces qui s’accumulent peuvent durer.
Enfin, point important : on nous a offert une heure d’antenne sur Radio
3 le samedi 21 de 12 h à 13 h, pourparler, sans restrictions,
de l’Economie Distributive. Nous avions pu donner le numéro du
stand et celui du téléphone. Nous avons eu un certain
nombre de coups de fil et de visites d’auditeurs enthousiasmés
par nos thèses.
Cette manifestation n’est sûrement qu’une goutte d’eau dans l’océan
d’ignorance de nos thèses et de l’Economie en général.
Mais avouez que c’est encourageant et qu’il n’y a vraiment aucune raison
de désespérer. Encore de nombreuses gouttes d’eau comme
celle-là et la coupe finira par déborder.