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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 1104 - décembre 2009

 

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N° 1104 - décembre 2009

Au fil des jours   (Afficher article seul)

Jean-Pierre Mon note que de nombreux économistes ou financiers finissent par admettre que les progrès techniques suppriment des emplois, mais ils continuent pourtant à vanter l’économie de marché !

Le développement souhaitable   (Afficher article seul)

François Châtel dénonce l’illusion de croire possible un développement durable et … capitaliste !…

Quels changements ?    (Afficher article seul)

Guy Évrard témoigne de ses efforts pour que les débats autour des changements climatiques et de modes de vie parviennent à sortir d’un cadre de réflexion qui les empêche d’aller au fond des choses.

De l’avant-Vichy à aujourd’hui   (Afficher article seul)

Annie Lacroix-Riz tire de ses recherches sur des documents récemment déclassifiés sa réponse à Christian Aubin qui l’a interrogée sur les similitudes entre la période actuelle et celles qu’elle a étudiées.

“La patrie”, vous connaissez ?   (Afficher article seul)

Paul Vincent dénonce l’incohérence des déclarations du gouvernement.

Pour une politique ouverte de l’immigration   (Afficher article seul)

Lecture

OGM   (Afficher article seul)

Lecture

La nouvelle raison du monde   (Afficher article seul)

Bernard Blavette aimerait que l’ouvrage de P. Dardot et C. Laval soit beaucoup lu, tant il aide à prendre conscience des mécanismes de domination.

Vers la privatisation de La Poste   (Afficher article seul)

À propos de l’ouverture du capital de la Poste, un lecteur a retrouvé des propos officiels, et éloquents, tenus dans les mêmes circonstances, à propos d’EDF.

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Chronique

Au fil des jours

par J.-P. MON
décembre 2009

Une évidence s’impose

Dans le fil des jours de la dernière Grande Relève, je résumais un article de Tino Rozzo [1], intitulé “la fin des emplois” prévoyant un accroissement du chômage comme on n’en a encore jamais vu, à cause de la mise en œuvre généralisée de nouveaux automates. Enfonçant le clou, l’agence économique et financière Breaking views, qui ne passe pas pour être très révolutionnaire, intitulait un de ses récents “point de vue” « Les gains de productivité actuels n’ont rien d’une bénédiction » [2]. On pouvait y lire : « On devrait se réjouir de voir la productivité américaine progresser, mais c’est peut-être le signe avant-coureur d’une nouvelle vague de suppression de postes… D’ordinaire, l’augmentation de la productivité est considérée comme une bonne nouvelle. Cela signifie qu’on a besoin de moins de force de travail pour produire plus de biens et de services ». Remarque de bon sens que les lecteurs de la GR ont souvent trouvée dans nos colonnes mais qui était, jusqu’ici, contestée par la plupart des économistes, certains allant même jusqu’à écrire que les nouvelles technologies créaient plus d’emplois qu’elles n’en détruisaient. L’auteur de ce “point de vue” ajoutait : « Si la hausse de la productivité a commencé plus tôt et si, de surcroît, elle se maintient plus longtemps que d’habitude, alors on pourrait voir le chômage se développer dans une économie en croissance même soutenue. Nous ne sommes pas loin de connaître des extrêmes jamais explorés ».

Plus surprenant encore, le très orthodoxe J-C Trichet, président de la BCE, déclarait dans un entretien exclusif au Monde [3], « Nous vivons une période historique marquée par des avancées considérables de la science et de la technologie. Ces avancées sont imprévisibles … Ces nouvelles technologies vont nécessairement transformer les processus de production eux-mêmes ainsi que la division internationale du travail ». Il ne s’aventurait cependant pas à parler d’accroissement du chômage. Il est vrai que, pour lui comme pour tant d’autres, le chômage et les salaires sont les seules variables d’ajustement à utiliser pour développer la sacro-sainte croissance.

Adhésion générale à l’économie de marché ?

Dans le même entretien, J-C Trichet, toujours aussi sûr de lui, n’hésitait pas à déclarer : « Quand j’ai commencé à exercer des responsabilités internationales, il y avait encore un Est et un Ouest, un Nord et un Sud. Ce que j’observe aujourd’hui, c’est une remarquable unification conceptuelle au niveau mondial. Nous travaillons au sein du G20 avec les ministres et les gouvernements, ou à Bâle, avec les banquiers centraux sur la base d’un principe simple : l’économie de marché demeure le moyen le plus approprié pour créer des richesses. La crise n’a pas renforcé l’adhésion à l’économie de marché, elle l’a révélée de façon frappante. Il n’y a pas eu de contestation de la part des pays émergents ». Pas étonnant entre gens de bonne compagnie ! Ce n’est pourtant pas ce que montre un sondage effectué pour la BBC auprès de 29.000 personnes dans 27 pays2 : si une grosse majorité d’Européens (79% en Allemagne, 74% en France) pensent que la désintégration de l’URSS a été une bonne chose, 70% des Égyptiens, 60% des Russes et près de 40% des Indiens sont d’un avis contraire. Près d’un quart de l’échantillon total estime que le système capitaliste est “fondamentalement vicié”. Les Français sont les plus nombreux à le penser (47%), contre 19% au Royaume-Uni (qui est pourtant beaucoup plus mal en point que la France) et 9% en Allemagne.

Vingt ans après

Dans notre très libérale Union Européenne, les médias ne pouvaient pas manquer de fêter ad nauseam le vingtième anniversaire de la chute du mur de Berlin. Rien n’y manquait : envoyés spéciaux, films, archives sonores et visuelles, déplacement de toutes les chaînes de Radio France dans la capitale allemande, etc. Il fallait surtout faire oublier la critique du capitalisme que la crise financière et économique met à l’ordre du jour. Bref, hors du marché point de salut, il n’y a qu’à voir ce qu’était cette pauvre RDA ! …Certains journalistes ou historiens ont pourtant fait preuve d’un peu moins de conformisme en enquêtant auprès des Allemands de l’Est. Ils ont constaté que « beaucoup d’entre eux étaient nostalgiques de l’avant 1989 et réagissaient vivement aux discours tenus sur le passé de la RDA. Quand celle-ci est critiquée en tant que dictature, ils se sentent eux-mêmes attaqués. Ils y voient une forme de jugement porté sur leur vie et leur expérience d’autrefois. Certes, très peu regrettent le régime tel qu’il était réellement, mais il y a une nostalgie à l’égard d’une RDA idéalisée. Une RDA sociale où l’on n’était pas riche, mais où l’on pouvait vivre agréablement. Les jeunes de l’Est assimilent d’ailleurs cette vision positive véhiculée par leurs parents et beaucoup d’enseignants » [2].

Le Mur de Berlin est tombé et c’est une bonne chose, mais il en reste malheureusement encore beaucoup à abattre. N’oublions pas qu’en quelque quatre ou cinq ans le mur entre les États-Unis et le Mexique a déjà fait dix fois plus de morts que le mur de Berlin en presque trente ans.

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[1] Tino Rozzo est membre du parti socialiste américain (eh oui, ça existe…) et partisan de l’allocation universelle.

[2] Le Monde, 10/11/2009.

[3] Le Monde, 18/11/2009.

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Actualité

François Châtel dénonce l’illusion d’un développement à la fois soutenable et capitaliste !

Le développement souhaitable

par F. CHÂTEL
décembre 2009

Il est difficile d’envisager l’avenir sans y intégrer la notion de développement. Depuis que le progrès technique a sorti une partie de l’humanité de la précarité et permis que ses besoins primordiaux puissent être assurés, il paraît légitime que toute remise en question de ce processus soit inéluctablement rejetée. Cette volonté de transmettre un progrès aux générations futures est entrée dans l’ordre des préoccupations, avec le souci de passer le relais dans de bonnes conditions.

Le conditionnement religieux a modelé les esprits en faveur du travail et du développement économique. L’insécurité, le manque, la précarité des ressources durant des siècles ont conduit les peuples, surtout de l’Occident, à adopter un état d’esprit inquiet et avide de biens matériels, au-delà de toute satiété.

Face à l’amélioration des conditions d’existence et aux bénéfices enregistrés, le besoin de rationalité a conduit les économistes à élever au rang de dogmes les processus économiques utilisés, dont la fameuse croissance sur laquelle repose l’équilibre du système capitaliste. S’est instauré en conséquence un fanatisme du productivisme et de la consommation, censé guérir, telle une drogue, tous les maux, et surtout toutes les inquiétudes, envers la marche idéale du système : « L’incapacité à penser l’avenir en dehors du paradigme de la croissance économique permanente constitue sans doute la faille principale du discours officiel sur le développement durable. En dépit de ses dégâts sociaux et écologiques, la croissance, de laquelle aucun responsable politique ou économique ne veut dissocier le développement, fonctionne comme une drogue dure ». [1]

Cette idéologie économique est tellement ancrée dans les esprits qu’économistes et partis politiques ne considèrent le développement que lié à la croissance du PIB, cet indicateur qui oublie de prendre en compte des déterminants importants pour la qualité de vie comme, par exemple, les loisirs non marchands et les activités sociales et politiques.

Après les crises liées à la surproduction, qui ont mis à mal la pérennité du système, une situation nouvelle menace aujourd’hui son intégrité : les limites physio-biologiques de la planète. De partout les cris d’alarme retentissent, à juste titre, pour signifier la responsabilité des activités humaines dans les causes de dégradations irréversibles de l’environnement.

Le développement durable

Qu’à cela ne tienne, le néo-libéralisme prétend savoir utiliser toutes les opportunités, il s’empresse de marchandiser l’écologie dans un grand mouvement de mobilisation générale désigné par « développement durable ». Le leitmotiv “produire et consommer” est mis à la mode verte, il peut ainsi continuer à être scandé haut et fort pour la gloire éternelle du capitalisme : « Le capitalisme a intérêt à faire croire que croissance et développement vont toujours de pair, l’amélioration du bien-être humain ne pouvant passer que par l’accroissement perpétuel de la quantité de marchandises » [1].

Comment croire que la croissance va devenir soutenable, sachant que “soutenable” signifie que l’activité humaine ne crée pas de pollution à un niveau supérieur à sa capacité de régénérer son environnement ? S’en remettre à l’espoir que les besoins de la nature et de l’économie vont enfin concorder, faire aveuglément confiance à la science et la technique, c’est conduire l’humanité vers un fléau qui met sa propre existence en jeu. Sous le terme de “dématérialisation du capital”, on fait ainsi le pari que les nouvelles technologies permettront une production propre, consommant peu de ressources non-renouvelables.

S’acharnant à sauvegarder leurs privilèges, les possédants entraînent l’humanité à jouer à la roulette russe, alors que la baisse de la consommation des ressources, par unité de bien produit, est déjà largement compensée par l’augmentation générale de la production de ces biens. Les prélèvements de ressources naturelles et les pollutions continuent à croître, les rapports du Programme des Nations Unies pour le Développement le prouvent.

L’effet rebond

Cette croyance aveugle omet la probabilité, non négligeable, de l’apparition de l’effet rebond, qui, d’une manière générale, est défini comme étant « l’augmentation de la consommation liée à la réduction des limites à l’utilisation d’une technologie, ces limites pouvant être monétaires, temporelles, sociales, physiques, liées à l’effort, au danger, à l’organisation… » [2]. D’où le corollaire suivant : dans le cas d’une incitation permanente à la consommation, les économies d’énergie ou de ressources, initialement prévues par l’utilisation d’une nouvelle technologie, sont partiellement ou même complètement compensées après adaptation du comportement de la société.

Omission de l’effet rebond dans les pourparlers du Grenelle de l’environnement, ou bien volonté de relancer la demande afin de doper la consommation dans des domaines inédits pour augmenter les ventes et les profits ? Que serait-on tenté de répondre dans notre société de consommation ?

L’humanité peut-elle se reconnaître dans ce système qui ne fait que révéler sa grossièreté, sa cruauté, son mépris des peuples et des cultures ? Il ne lui est proposé, pour modèle de société, que le productivisme et la consommation, déjà responsables du spectacle désolant qu’offre l’état actuel du monde ? Noyée dans sa technologie, qui sert surtout à confectionner des gadgets, elle a perdu la conscience de ce qu’elle est : physiquement malade, en raison de la pollution et d’une nourriture empoisonnée, psychologiquement névrosée, dominée par la peur, moralement immature, ayant un comportement d’adolescent gâté, ignorant, inculte.

L’amélioration des conditions d’existence peut-elle être envisagée hors de cette association suicidaire entre développement et croissance productiviste ?

Une période-clé

Dans une vie, certains signes obligent à faire des choix déterminants. Perçus et acceptés, ces appels permettent généralement une évolution bénéfique. De tels signes s’adressent aujourd’hui à l’humanité, qui se trouve ainsi dans une période-clé de son évolution. Que va-t-elle en faire ? Quelle orientation va t-elle choisir ? La mondialisation des échanges a permis l’instauration d’une conscience planétaire, qui peut s’avérer un atout majeur pour régler les problèmes environnementaux. Elle pourrait déboucher sur une nouvelle économie globale, capable d’assurer une cohabitation réussie entre l’humanité, son environnement et ses cultures, en toute équité et en toute justice [3].

Elle peut maintenir sa position capitaliste individualiste, poursuivre dans la voie du productivisme et continuer à subordonner la nature. Mais on se souvient de la réflexion de Théodore Monod en faveur des animaux et qu’on peut élargir à la nature en général : « La nature ne demande pas qu’on l’aime mais qu’on lui foute la paix ». Il lui faudra alors faire face à un environnement de plus en plus hostile, car déréglé et en souffrance, à des conflits internes en augmentation continue, en raison d’inégalités injustifiables, à des peurs, à des politiques répressives et totalitaires, et trouver une solution à sa démographie envahissante.

Refuser aujourd’hui une révolution dans son attitude vis-à-vis de la planète, c’est pour l’humanité aller droit au-devant de déconvenues imprévisibles. Cette situation évoque celle des habitants de l’île de Pâques…

Dépasser l’adolescence

Accepter l’évolution, c’est s’offrir toutes les chances de franchir le cap psychologique de l’adolescence, s’ouvrir ainsi à la solidarité, proposer ses services à la société, tout en affirmant sa personnalité en exprimant ses compétences.

Le développement est possible et souhaitable, mais il faut se libérer de l’obsession de la croissance économique, de le duo infernal productivisme-consumérisme.

Il s’agit désormais de construire les biens relationnels pour s’orienter vers un système qui favorise la solidarité et le bien-être. Et pas seulement en interne, par la convivialité dans le respect des cultures, mais aussi en externe, pour avoir un impact écologique le plus équilibré possible.

Tourner le dos à ce changement radical de système, c’est laisser une caste privilégiée maintenir le désordre actuel parce qu’il lui est favorable. C’est se faire candidat au suicide et offrir aux générations futures un héritage insalubre.

Choisir de développer le bien-être est une remise en question matérielle, mais c’est davantage encore une rénovation psychologique. L’épanouissement des potentialités humaines doit se réaliser hors du sentier de la croissance infinie des quantités produites et consommées, hors du sentier de la marchandise et de l’échange marchand, mais, au contraire, sur celui de la valeur d’usage [4], de la qualité du tissu social qui naît autour de cette valeur.

Si l’humanité veut échapper à un avenir de dictatures, d’environnement artificiel et de barbarie, une remise en question complète est plus que nécessaire, et au niveau mondial, pas seulement sur le plan individuel.

Il est temps de cesser les enfantillages nationalistes, de ne plus se gargariser du soi-disant mérite de la réussite matérielle et s’enorgueillir de posséder une nuée de gadgets polluants et consommateurs d’énergie. Cette civilisation a été construite dans un état d’esprit conditionné pour les conquêtes, pour les massacres, les exploitations, les déportations, les colonisations et autres dominations que j’oublie certainement. S’il y a lieu d’être fier du passé, soyons-le avec discernement.

L’idéologie capitaliste est basée sur des rapports de force, elle entraîne le mépris d’autrui et l’immoralité qui “paie”. La maintenir ce n’est pas seulement une tromperie, c’est un danger. Alors, sans vouloir les classer dans un ordre d’importance, rappelons les changements indispensables qu’apporterait une économie distributive :
• La création d’une monnaie non circulante remplaçant le système financier capitaliste,
• La démocratie jusque dans l’économie, empêchant toute dictature,
• La suppression du salariat [5],
• La distribution d’un revenu égalitaire garanti à vie,
• Le libre choix de ses activités professionnelles et la liberté d’en changer,
• L’organisation de services publics appliquant les décisions venues de la base [6],
• La gestion privée des entreprises, mais au service du public,
• La socialisation des moyens de production,
• Le maintien des seules hiérarchies de fonctions dans les organisations professionnelles, la suppression des hiérarchies de valeurs responsables des inégalités sociales,
• La mise en place d’un programme de régulation démographique.

Un tel développement, axé cette fois sur le bien-être et non sur l’avoir-plus, soulage la pression exercée sur la planète, en réduisant et en partageant mieux la production et la consommation. Le style de vie du consommateur en est changé parce qu’il n’est plus commandé par la publicité et la mode, mais par de vrais besoins, par la recherche de vraies valeurs, comme l’entr’aide et la convivialité. Pour les pays occidentaux c‘est un décrochage progressif de la croissance, en faveur de l’acquisition d’autres richesses. Dans les pays actuellement nécessiteux, c’est une croissance matérielle régulée, en adéquation avec son impact écologique, et, pour certains d’entre eux, c’est même le retour vers un bien-être ancestral dont ils ont été trop longtemps privés.

La mondialisation du distributisme démocratique, c’est l’idéologie du bien-être qui s’inscrit dans l’équilibre entre les besoins humains et ceux de l’écosystème planétaire, dans l’humanisation des rapports sociaux, le respect de chaque vie humaine, dans la conscience de sa brièveté, avec l’objectif de la rendre la plus heureuse possible.

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[1] Jean Marie Harribey. Développement et croissance.

[2] définition donnée par l’écologiste François Schneider, source : Wikipédia.

[3] voir GR 1102 pages 11 et 12

[4] La valeur d’usage est l’utilité d’un bien ou d’un service, notion qualitative non mesurable et non réductible à une valeur d’échange monétaire.

[5] voir GR 1099 pages 6 et 7

[6] voir GR 1101 pages 11 et 12

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… et Guy Evrard intervient dans des débats organisés sur les changements pour inciter à sortir d’un cadre de réflexion qui empêche d’aller au fond des choses :

Quels changements ?

par G. ÉVRARD
décembre 2009

J’ai participé en novembre à un atelier public organisé au CNRS, à Paris, par deux personnalités de l’enseignement et de la recherche, Amy Dahan, du Centre Alexandre Koyré [*], et Edwin Zaccaï, de l’Université libre de Bruxelles, sur le thème “Changements climatiques, changements de modes de vie ?” J’avais été attiré par la note de présentation (voir ci-dessous [**]) qui me semblait traduire la capacité d’aborder concrètement et dans toute leur complexité les nombreuses facettes des causes et des conséquences de la crise écologique et peut-être même la philosophie de nos sociétés. Une approche qui n’est pas étrangère à l’analyse que la GR s’efforce d’éclairer.

Cependant, l’évocation du “développement durable” comme “l’idéologie du XXIe siècle”, outre qu’elle reprend l’expression contradictoire (l’oxymore) mais admise par la communauté francophone, laisse planer aussi le parti pris d’une distanciation, certes propre à la démarche scientifique, mais dont on peut toujours craindre qu’elle marque une certaine hésitation à emprunter des voies non consensuelles sur un sujet éminemment politique, comme le texte le relève par ailleurs. Alors, quelles remarques en définitive ?

Nous n’entrerons pas ici dans le détail des exposés, au demeurant tous intéressants parce que les résultats de recherches scientifiques constituent toujours des données utiles à la réflexion.

La première session posait ces questions : Quels changements directs dans les comportements sociaux et de consommation sont espérés, enregistrés, prévisibles ? Comment expliquer ces évolutions ? L’opinion et lesdits comportements sont analysés sur des individus considérés en tant que consommateurs et non comme citoyens. Il est donc admis implicitement que le modèle économique libéral est la référence unique, acceptée par tous et où les décisions d’achat ne s’inscrivent que dans une logique de consommation constamment renouvelée, ne reposant que sur des arbitrages entre les informations promotionnelles des marques et éventuellement les contraintes liées à l’organisation de la société. Il n’est pas envisagé que ce sont les citoyens qui décident de satisfaire seulement des besoins réels, réfléchis à partir d’une analyse rationnelle, guidée davantage par des connaissances et des références culturelles ou idéologiques que par la publicité. Ces mêmes citoyens pouvant par ailleurs tenter de peser politiquement sur les orientations de la société. Il m’est donc apparu indispensable d’opposer et de défendre la conscience et l’action du citoyen responsable face au simple consumérisme, qui est finalement un procédé de lissage commode dans une telle analyse.

La seconde session interrogeait : Comment les injonctions de changements en liaison avec les changements climatiques interfèrent-elles avec d’autres valeurs sociales et politiques fondamentales ? Y a-t-il des synergies (le respect des contraintes écologiques favorise des valeurs de bien-être), des divergences (il suscite le renforcement d’inégalités sociales), incompatibilité (un gouvernement autoritaire est seul à même d’imposer de telles contraintes) ? Suscitant davantage la réflexion philosophique, l’absence de dernière minute de Patrick Viveret fut sans doute regrettable. J’ai clairement perçu dans l’analyse des intervenants la difficulté d’imaginer un équilibre possible entre l’exercice des libertés individuelles et la nécessité de défendre l’intérêt général via un État et des structures démocratiques. Comme si l’expérience désastreuse des pays communistes renvoyait définitivement au totalitarisme toute idée de privilégier l’intérêt général. J’ai donc fustigé cette crainte du débat démocratique et tenté de solliciter l’engagement philosophique : « Dominique Bourg (autre philosophe, non présent dans l’atelier) nous dit que l’économie de marché vise à satisfaire des besoins relatifs, par nature infinis (au sens de Keynes), sans se préoccuper des besoins absolus des hommes. Les philosophes peuvent-ils nous aider dans ce nécessaire débat pour les distinguer ? » La réponse m’a renvoyé à la primauté du choix individuel, c’est-à-dire, dans le contexte libéral que nous connaissons, à la liberté du renard dans le poulailler.

La troisième session se proposait de débattre de la diffusion des savoirs : En quoi la diffusion des savoirs scientifiques et médiatiques influence-t-elle les changements ? Comment analyser ses modalités, ses effets ? Cette fois, la mise en scène politique des critiques de la société qui va devoir gérer la crise globale devrait être au cœur du débat, mais c’est finalement pour constater que le traitement des données par les médias professionnels, aussi bien que la circulation des informations et des analyses sur Internet, n’ont qu’un impact lent sur la prise de conscience et privilégient l’émotion plutôt que l’analyse rationnelle. L’apparente contradiction entre l’adhésion à l’idée de réformes sur les choix énergétiques et le refus de la taxe carbone est donnée en exemple. Au mieux, lorsque l’analyse est plus élaborée et plus percutante sur Internet, elle est attribuée à une minorité agissante et non à la prise de conscience générale. Hervé Kempf, journaliste scientifique, notamment au Monde, et engagé par ailleurs à dénoncer le système capitaliste comme responsable de la crise, intervient dans le rôle du discutant. Il a beau jeu de rappeler que les médias sont, pour la plupart, inféodés au système capitaliste libéral, et se demande en fait quelle est réellement la question posée par les chercheurs. J’ai saisi alors l’occasion pour conclure ma propre perception du débat : « À éluder depuis ce matin l’analyse politique sur les causes et les moyens de combattre le réchauffement climatique, vous passez à côté de la question. À refuser le débat, y compris au plan philosophique, entre liberté individuelle et intérêt collectif, vous passez encore à côté de la question ». Peut-être que pour un chercheur en sciences sociales, la distanciation que j’évoquais plus haut est-elle un obstacle difficile à surmonter avec les outils dont il dispose aujourd’hui. Engagement a cependant été pris, avec le sourire, d’aborder l’aspect politique dans un atelier ultérieur…

La dernière session fut plus illustrative, en proposant quelques éléments de réponse aux questions : En quoi des changements “organisés” se sont-ils produits dans différents secteurs primordiaux tels que les entreprises, les villes, la mobilité ? Quels bilans peut-on faire par rapport aux enjeux des changements climatiques ? Quelles perspectives, quels facteurs déterminants ? Elle aurait pu susciter également un débat intéressant sur l’avenir des politiques territoriales, notamment en relation avec les réformes en gestation en France.

Mais l’heure avait sonné et la fatigue commençait à se faire sentir.

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[*] Centre de recherche sur l’histoire des sciences et des techniques. Hébergé dans l’enceinte du Muséum national d’histoire naturelle, il associe des chercheurs et enseignants de cet organisme, du CNRS et de l’Ecole des Hautes Études en Sciences Sociales ainsi que la Cité des sciences et de l’industrie.

[**] « La question climatique est désormais bien inscrite parmi les préoccupations politiques. Pourtant, les réponses à ce défi oscillent entre des plans très différents, dont la cohérence et les interactions demeurent peu articulées : engagements de réduction des émissions demandés aux États dans le cadre des négociations internationales, politiques publiques à l’échelle nationale, investissements structurels (transports, urbanisme…), écologie industrielle pour les entreprises, “écogestes” quotidiens demandés aux consommateurs et aux ménages, etc.

Le développement durable, devenu l’idéologie du XXIe siècle, est censé fournir spontanément la cohésion d’ensemble, sans que soient précisément réinterrogés les systèmes de valeurs, la primauté accordée à la croissance, le productivisme des sociétés, la confiance dans les progrès techniques ou encore l’importance de la consommation. Au-delà, les changements qui selon les scientifiques sont nécessaires pour une durabilité du climat, apparaissent d’une ampleur telle que les chemins de transition sont encore largement à construire.

En particulier, la question climatique repose[…] la question des modes de vie. Dans les conférences climatiques et la négociation internationale, la dimension environnementale du changement climatique est partiellement occultée par la prédominance des mesures de performances énergétiques, tandis que les questions d’équité sont posées exclusivement dans le cadre Nord-Sud et la question des modes de vie n’est que frileusement abordée. Par ailleurs, un certain nombre d’acteurs estiment que c’est le capitalisme, voire la modernité, qui sont en cause.

On peut en outre se demander dans quelle mesure les obstacles aux politiques efficaces de lutte contre le risque climatique tiennent-ils au degré d’information des décideurs et des politiques, et/ou à la conscience de l’opinion publique ? Quelles sont les responsabilités respectives des scientifiques, des experts, des journalistes ?

Notre atelier entend mettre en commun ces réflexions menées trop souvent séparément. Il interrogera les changements à l’œuvre dans différentes sphères, leurs relations, leur bilan et leurs perspectives […] ».

^


Le texte qui suit apporte un nouvel éclairage sur ce conditionnement de l’opinion :

Les archives relatives à la période de l’entre-deux-guerres et du régime de Vichy ayant été “déclassifiées”, les historiens ont eu accès à des documents inédits. C’est ce qui a permis à Annie Lacroix-Riz, Professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris 7, d’approfondir cette période de notre histoire. Ses recherches ont fait l’objet de publications très documentées, telles que L’Europe et le Reich, Industriels et banquiers sous l’Occupation, Le choix de la défaite, De Munich à Vichy : l’assassinat de la troisième République, 1938-1940, publiées chez Armand Colin, et L’histoire contemporaine sous influence, L’intégration européenne de la France, et La tutelle de l’Allemagne et des États-Unis, publiées par les éditions Le temps des cerises.

Christian Aubin l’a interrogée, pour La Grande Relève, en ces termes : « La France va mal, de plus en plus mal et il est tentant d’assimiler la situation d’aujourd’hui à celle de Vichy : élites d’alors inféodées à l’impérialisme dominant, libertés publiques et démocratiques mises sous régime d’exception permanent, stigmatisation de populations entières, remise en cause des droits des étrangers… Cette assimilation est-elle pertinente selon vous ? Quel peut être l’apport de l’analyse historique contemporaine à l’interprétation de la situation présente ? ».

Voici telle qu’il l’a enregistrée, puis retranscrite, la réponse que lui fit l’historienne (il a ajouté des intertitres pour plus de clarté) :

De l’avant-Vichy à aujourd’hui

par A. LACROIX-RIZ, C. AUBIN
décembre 2009

En fait, ce qui caractérise particulièrement la situation d’aujourd’hui est sa grande similitude avec celle qui a conduit au régime de Vichy. Il faut souligner que contrairement à ce que l’on a l’habitude de dire, il n’y a pas eu de césure entre la fin de la Troisième République et Vichy. Le putsch a été préparé et mené à bien par les forces qui dirigeaient à ce moment l’économie et la société. Donc, je crois qu’il est particulièrement important de voir à quel point la situation d’aujourd’hui ressemble à celle qui a immédiatement précédé l’occupation, c’est-à-dire à celle de 1938-1940.

La politique extérieure de la France et les impérialismes dominants

En politique extérieure, il est clair que depuis la fin du XIXe siècle les classes dirigeantes françaises n’ont pas été en mesure de diriger seules les classes dominées, exactement dans les conditions requises. Elles ont pris l’habitude depuis l’époque considérée, c’est-à-dire depuis 1870, de se tourner vers les impérialismes dominants, évidemment de manière particulièrement visible dans les crises.

Il est une comparaison qu’on n’ose pas faire, à tort, entre les classes dirigeantes italiennes et les françaises. On a en effet l’habitude de dire que les italiennes, depuis le XIXe siècle, font toujours appel à des tuteurs étrangers, que ce soit du côté des empires centraux, c’est-à-dire celles d’Allemagne ou d’Autriche avant 1914, ou que ce soit du côté des Anglais, puis des anglophones en général, c’est-à-dire des États-Unis. Mais, en fait, la grande bourgeoisie française a fait exactement la même chose. Avant la deuxième guerre mondiale, sous l’effet de la crise, sous l’effet de la concurrence effroyable du capital étranger (qui fait d’ailleurs tout à fait penser à ce qui existe déjà ou à ce qui se dessine aujourd’hui), elle est passée d’une séduction exercée sur elle par les États-Unis, de ce que j’appelle la fidélité atlantique, à la fidélité germanique. Ce fut un retournement spectaculaire car dans cette solution continentale c’est le Reich hitlérien qui apparaissait évidemment comme le tuteur, le maître et l’organisateur.

Donc, si on évoque les élites inféodées à l’impérialisme dominant, oui, on est dans une période tout à fait comparable à celle qui précéda Vichy, à ceci près que l’on demeure aujourd’hui à la “queue” de la période ouverte par la 2ème guerre mondiale, caractérisée par le ralliement total des classes dirigeantes françaises au grand tuteur américain, ralliement spectaculaire des éléments qui avaient été les plus collaborationnistes, qui avaient été les principaux artisans de la venue des Allemands en France et qui avaient donc commis le crime juridiquement établi et défini de “haute trahison” ou d’“intelligence avec l’ennemi”.

Le grand tournant de Stalingrad

Donc, lorsqu’il s’est avéré que l’Allemagne allait se trouver rapidement en condition d’être vaincue, notamment en se heurtant à la résistance russe, de 1941 à 1944, la grande bourgeoisie française est passée à la fidélité américaine. On est alors dans une situation qui a été très bien relevée par la police politique de Vichy à partir de Stalingrad et par les renseignements généraux. Ils ont fait observer que pour la grande bourgeoisie française, le soldat anglais, le soldat américain, étaient les défenseurs du portefeuille ou du coffre-fort. Aussi, en cette issue de la bataille de Stalingrad, cette couche sociale trouvait-elle que les Anglais et les Américains n’avançaient pas assez vite puisque la question qui était posée était avant tout que l’Europe ne fût pas libérée par les Soviets mais par le tuteur américain.

Les deux moteurs de l’intégration européenne

Dans cette période historique toutefois, des signes persistants indiquent que la période antérieure reste quand même présente. D’abord parce que la grande bourgeoisie française n’a jamais renoncé à la séduction exercée sur elle par l’Allemagne, et cela se voit dès la fin de la 2ème guerre mondiale. Je l’ai montré dans un petit livre, L’intégration européenne, et je montre d’ailleurs que l’Union Européenne a été, au fond, pour la grande bourgeoisie française, mue par deux moteurs. Le moteur américain, puisque les Américains voulaient absolument créer un marché unifié qui fût entièrement ouvert à leurs marchandises et à leurs capitaux, et donc ils avaient besoin d’une Europe unie. Ils ont fait cette Europe unie, ils l’ont portée sur les fonds baptismaux. L’autre moteur de cette intégration, ce sont les liens qui avaient été conservés par la grande bourgeoisie française avec l’Allemagne, c’est-à-dire des liens qui avaient été tissés avant la deuxième guerre mondiale, qui s’étaient déployés et amplifiés pendant l’occupation de la France. Naturellement, ces liens avaient été d’autant moins distendus ou relâchés pendant cette Occupation que la collaboration n’a pas consisté simplement à vendre des marchandises. Elle a consisté à faire des choses bien plus amples, de postérité bien plus grande, c’est-à-dire s’insérer ou continuer à s’insérer dans des cartels de producteurs qui faisaient d’ailleurs de l’Allemagne le chef de chacun des grands produits considérés, que ce soit le cartel de la chimie, le cartel de l’automobile, etc. C’est également le cas des associations de capitaux, y compris des associations de capitaux qui se sont réalisées dans les mêmes conditions que dans l’avant-guerre, sous le paravent fiscal et politique des pays neutres, en particulier de la Suisse.

J’ai travaillé sur ces associations de capitaux sous l’Occupation et j’ai été persuadée qu’on avait là les suites logiques d’un certain nombre d’engagements de guerre, des résurrections de ces associations. Je pense en particulier à des associations de capitaux de la chimie des années 1970 aux années 1980, quand la chimie française est repassée sous le contrôle de la chimie allemande, c’est-à-dire au sort qu’ont fait à des grandes entreprises françaises, des groupes comme Höchst, Bayer ou BASF. D’ailleurs, dans mon ouvrage Industriels et banquiers sous l’occupation, sur la collaboration économique, je montre à quel point les accords Kuhlmann-Bayer, contractés en Suisse, ont une portée générale. Et je le montre sur la base d’analyses de hauts fonctionnaires français qui en 1944-1945 ont fait observer que ces associations de capitaux, discrètement conclues en Suisse, avaient des chances d’être complètement imperméables à tout éventuelle sanction qui serait décidée par les puissances alliées.

C’est effectivement ce qui s’est produit.

Donc, on est dans une situation marquée par une inféodation des élites aux impérialismes dominants, ce qui n’empêche pas, évidemment, que ces impérialismes associés, y compris les impérialismes dépendants, soient aussi des impérialismes rivaux. On le voit depuis des décennies, on le voit ces temps-ci et on va le voir de manière bien plus cruciale dans les temps à venir.

C’est vrai de l’Union Européenne comme c’est vrai par ailleurs : les capitalistes ne sont d’accord que sur un seul point, un point fondamental, qui est l’écrasement des salaires. Sur le reste, ils ne peuvent pas être d’accord et quand la crise vient frapper, que la question se pose de la préservation des marchés, ou de la préservation d’une partie des marchés, et bien ce que beaucoup ont voulu ignorer ces dernières décennies c’est-à-dire le caractère du système fondamentalement fondé sur la concurrence et la concurrence belliqueuse et la concurrence effrénée des capitaux, ce caractère, bien entendu, va s’afficher, même si on lui trouve des justifications idéologiques. Et on trouve beaucoup de ces justifications ces temps-ci, pour nous masquer les ressemblances profondes entre les précédentes crises systémiques du capitalisme et la présente crise.

La mise sous régime d’exception des libertés publiques et démocratiques

Mon récent ouvrage sur la période 1938-1940, De Munich à Vichy. L’assassinat de la Troisième République. 1938-1940, montre que, dans une période de crise, à un moment où les populations expriment leur rejet de la dégradation de leurs conditions de travail et de vie, le capitalisme est tenté par des solutions de force. Il est d’autant plus tenté par des solutions de force qu’il a besoin d’écraser, au sens propre, les salaires, c’est-à-dire de réduire le salaire nominal et le salaire réel.

Il y a quelques années, j’avais des discussions avec des proches auxquels j’annonçais cette baisse des salaires nominaux, pour les circonstances où la crise deviendrait franchement systémique au “centre” (au cœur du système, c’est-à-dire dans les pays impérialistes dominants). Et les proches en question me disaient « mais non, ça n’est pas possible ! ». J’expliquais que dans la crise systémique tout était bon pour obtenir la baisse des salaires réels, d’une manière ou d’une autre.

Et on va le constater, parce que les prix cartellisés résistent bien (et on est dans des économies encore plus cartellisées qu’il y a un certain nombre de décennies) et malgré les tendances à la déflation, il est permis de croire que les prix cartellisés sortiront leur épingle du jeu. Tout ça fait que c’est ce système, en l’occurrence celui de notre grande bourgeoisie française, qui passe son temps à montrer à quel point la France est un pays démocratique, des Droits de l’Homme, aimant les libertés, etc., et bien c’est ce système qui a mis les libertés publiques et démocratiques sous le boisseau.

La dégradation dangereuse des capacités de défense des populations

Il faut d’abord dire que les réorganisations du capitalisme français après la deuxième guerre mondiale ont abouti à de premières dégradations, très sensibles, des capacités de défense de la population, par rapport à l’entre-deux-guerres.

C’est quelque chose qu’il ne faut surtout pas négliger.

Je pense en particulier à ce qu’a représenté 1958 du point de vue du contrôle par la grande bourgeoisie des organes exclusifs du pouvoir. Non pas d’ailleurs parce que le Parlement aurait eu en France un pouvoir considérable, car les classes dirigeantes pouvaient faire à peu près ce qu’elles voulaient, même dans l’avant-guerre, mais quand même, il y avait, en quelque sorte, des garde-fous.

Les institutions de 1958 ont déjà entraîné une diminution considérable des capacités de réaction des populations. Il y avait des partis, des groupements qui les défendaient. Il est intéressant d’observer qu’alors même que la grande bourgeoisie a pris le contrôle de la totalité des lieux d’exercice du pouvoir, ça ne lui suffit pas dans la crise, puisqu’après toutes les mesures qu’elle a déjà prises contre les droits du Parlement, contre l’indépendance des partis ou des groupements, elle est obligée d’en prendre de nouvelles. Elle leur donne des masques idéologiques de justification, comme toujours : l’ouverture des coffres de voitures, c’est à cause du terrorisme en dehors des frontières, ou à cause des tentations terroristes des loubards de banlieue…

Il est clair que depuis un certain nombre d’années, on assiste à une réduction très sensible des libertés publiques et à un accroissement de l’intervention policière, de la brutalité policière. Personne ne peut penser que l’ouverture des coffres de voiture, les mesures de garde-à-vue, toute une série de mesures attentatoires aux libertés, aient été prises par hasard. Il y a là une accumulation considérable qui, en gros, si le peuple français n’y prend garde et ne réagit pas, met actuellement la grande bourgeoisie française en mesure de réaliser une dictature terroriste du type de celle de Vichy, pratiquement sans avoir besoin de fonder des institutions nouvelles.

Mais je veux faire observer quand même une chose, pour qu’on ne pousse pas trop loin l’étude des dissemblances.

En 1940-1941, les hommes de Vichy (dont certains, d’ailleurs, étaient encore des hommes de la Troisième République, ou des hommes qui avaient été mis en avant par les hommes de la Troisième République) ont fait observer, à maintes reprises, et en particulier en matière de répression, notamment anticommuniste, qu’ils n’avaient pas besoin de mesures nouvelles. Le régime de Daladier et de Reynaud, les deux ans de pouvoir de Daladier d’avril 1938 à mars 1940 et les deux mois de Reynaud, leur avaient donné des instruments de répression tels qu’il suffisait d’ajouter un petit alinéa, ici ou là, pour faire en sorte, par exemple, que les communistes qui étaient en prison depuis septembre 1939 y demeurassent ad vitam eternam.

L’étape suivante, celle de Pucheu ministre de l’Intérieur, est le moment où ces mêmes communistes, objet de répression, peuvent être tués sans aucune difficulté.

J’y insiste, car il faut bien voir qu’en ce moment on est en train de nous inventer des nouveautés qui n’en sont pas, et de prétendre que l’évolution actuelle serait totalement différente de celle qui a mené à la dictature terroriste de Vichy. Mais c’est la même, c’est-à-dire une accumulation de mesures attentatoires à la démocratie qui fait que finalement, pour décider de mettre la police partout dans les rues au petit matin, il suffit de généraliser un certain nombre de dispositions qui ont été prises dans la période antérieure.

On a en ce moment une législation d’exception partout, et dans des domaines très différents. On convoque des gens qui ont pris telle position sur tel sujet par courrier électronique, on arrête des manifestants fort pacifistes, on a de la police plein le métro… Enfin tout le monde le sait plus ou moins, parce que tout le monde est témoin de certaines choses de plus en plus visibles.

Par conséquent, il faut bien considérer qu’il y a un lien logique entre l’accumulation permanente, l’accumulation accélérée de ce genre de mesures et l’usage systématique qu’on veut en faire à terme.

De ce point de vue, là encore, la période actuelle ressemble beaucoup à celle qui a précédé Vichy.

La stigmatisation de populations et la remise en cause des droits des étrangers

En ce qui concerne la stigmatisation de populations entières et la remise en cause des droits des étrangers, je dois dire que même certains chercheurs ayant fait d’excellents travaux sur l’immigration sont persuadés, parce qu’on le serine à longueur d’antenne, que dans les périodes de crise c’est en quelque sorte ce qu’on appelle joliment “l’opinion publique” qui ferait pression sur les États, donc, en gros sur les gens “d’en haut”, pour que des mesures assassines soient prises contre les étrangers. Moi, j’ai montré que de 1938 à 1940, une série de mesures ont été prises par décrets, c’est-à-dire sans consultation du Parlement ; mais le Parlement avait accepté de se faire paralyser en consentant les pleins pouvoirs, renouvelés par trimestre. Donc des mesures assassines ont été prises contre les étrangers comme la limitation de leurs droits, les expulsions, les interdictions d’expression démocratique.

C’était, nous dirait-on, en quelque sorte, une chasse aux étrangers parce que la population manifestait sa mauvaise humeur à leur endroit. Or, c’est entièrement faux puisque l’étude des sources patronales m’a montré que c’était le grand patronat qui avait rédigé les textes assassins contre les étrangers, tout simplement parce qu’il y avait là un élément tactique essentiel dans la stratégie de liquidation des salaires, qui emprunte des voies très diverses. Il y a évidemment la division profonde des catégories de travailleurs. Cette division passait, avant la seconde guerre mondiale, par la stigmatisation des réfugiés qui étaient arrivés massivement, d’abord d’Italie, ensuite d’Allemagne, puis encore plus massivement, tels les 500.000 Espagnols qui sont venus à partir de mars 1939. C’était d’ailleurs comme une sanction, désormais publique, de la position que la France avait adoptée en matière d’étranglement de la République espagnole, car il n’y a pas que l’Axe Rome-Berlin qui ait liquidé l’Espagne, il y a les démocraties occidentales qui, non seulement, ont laissé faire, mais ont rendu la chose possible. Et donc, le patronat avait découvert, de longue date, à quel point les travailleurs étrangers, d’une part, étaient susceptibles, dans un premier temps, de peser directement sur les salaires (c’est pour ça qu’ils les avaient importés depuis 1880), d’autre part, pouvaient être un moyen de peser indirectement sur les salaires également : la présence de cette masse de travailleurs étrangers était en effet exploitable par les moyens d’information que contrôlait ou possédait le patronat, puisque ces moyens d’information diffusaient la thèse que ces étrangers étaient méchants, inassimilables, épouvantables, ne méritaient aucun droit…etc. Il faut le dire, c’est une politique qui comporte, bien entendu, un volet idéologique que nous connaissons, celui de la stigmatisation du méchant étranger (désormais sous la forme du discours sur “l’identité nationale”), mais il ne faut jamais l’oublier, particulièrement dans ces périodes de crise, toute pratique idéologique a des fondements et en particulier des fondements économiques.

Et de ce point de vue, il est clair que l’assaut contre les salaires est passé, depuis les dernières décennies, comme dans les décennies qui ont précédé la deuxième guerre mondiale, par une division systématique des travailleurs suivant leurs origines ethniques, culturelles, etc.

L’union européenne élargie comme facteur d’aggravation de l’exploitation

Le phénomène historique d’une zone d’influence américaine étendue à la quasi-totalité du continent européen est une question décisive : car ce qui a été célébré, sur le plan idéologique, comme le triomphe de la liberté et le bonheur étendu sur la quasi-totalité de l’Europe, était tout simplement le renversement du rapport de forces issu de 1945, la zone d’influence soviétique étant transformée en zone d’influence américaine, c’est-à-dire en zone capitaliste comme le reste. Or, puisqu’on évoque ces travailleurs étrangers, on a là quelque chose de fort semblable à ce qui s’est produit dans l’entre-deux-guerres, mais cependant avec une différence qui tient à la configuration professionnelle des populations en question.

En effet, l’Europe orientale, (et c’est pourquoi il était si dommageable pour le capitalisme qu’elle fût retirée à la gestion de l’Occident), fonctionnait dans l’entre-deux-guerres avec une double fonction : d’une part, d’approvisionneur de matières premières à bas prix, d’autre part, de fournisseur aussi de main-d’œuvre à bas prix et à faible qualification relative. C’est-à-dire, par exemple, d’anciens ouvriers de la terre qui devenaient mineurs, et, sans détailler catégorie par catégorie, il s’agissait de populations qui avaient un bas niveau de formation et qui étaient, bien entendu, indispensables aux industriels soucieux de bloquer ou baisser les salaires, industrie française en tête.

Dans la période qui vient de s’écouler, on a eu, du point de vue du grand capitalisme, des conditions pratiquement idéales, y compris en France : un afflux de main-d’œuvre provenant des pays anciennement colonisés, constituée de catégories très proches de celles de l’Europe orientale de l’entre-deux-guerres, c’est-à-dire de travailleurs qui, avec une faible qualification initiale, venaient fournir une masse d’emplois dans l’industrie, dans le bâtiment, etc.

Puis, avec la transformation de l’Europe Orientale en zone placée sous le contrôle des impérialismes dominants, on a eu cette situation tout à fait nouvelle, et qui est une caractéristique de la phase présystémique de la crise : un afflux massif de main-d’œuvre de deux localisations géographiques, une main-d’œuvre à bas prix mais, à la différence de l’entre-deux-guerres, et à extrême qualification, parce que le système socialiste avait donné à la quasi-totalité de la population un niveau supérieur à celui du baccalauréat. Par conséquent, l’impérialisme, après avoir vaincu la sphère socialiste d’Europe, a été mis en situation d’exploiter pour la première fois des travailleurs de très haut niveau de formation à des tarifs très bas.

J’ai dit de deux localisations géographiques parce que le phénomène a eu lieu dans deux directions. D’une part, on le sait, avec certains pays comme l’Angleterre et l’Allemagne, qui ont encore reçu un afflux plus massif de populations d’Europe Orientale, et, simultanément, le phénomène de délocalisation des capitaux, permettant de remplacer, par exemple, un spécialiste d’informatique français par un spécialiste d’informatique roumain. On peut faire observer que la phase contemporaine du capitalisme a apporté un degré de quasi-perfection dans les tentatives du capitalisme pour extraire la plus-value dans les meilleures conditions, même bien plus favorables que dans la période antérieure. Ce qui ne veut pas dire que soit supprimée la loi économique de la baisse tendancielle du taux de profit, phénomène essentiel bien que non “visible” et actuellement non étudié.

Après les quelques décennies de transformation socialiste des économies d’Europe Orientale, l’impérialisme, lorsqu’il a été en mesure de provoquer une défaite, fût-elle provisoire, du système socialiste, a gagné une capacité d’exploitation et de surexploitation de la main-d’œuvre qualifiée tout à fait nouvelle et considérable.

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“La patrie”, vous connaissez ?

par P. VINCENT
décembre 2009

Comment peut-on prétendre vouloir rassembler les Français et avoir pour souci prioritaire de régler des comptes personnels avec l’un d’eux, appartenant à son propre camp ? Car si dans les discours c’est toujours “La France”, “La Patrie”, l’intérêt général, le bien commun, dans la réalité il y a différents camps, à l’intérieur desquels il y a des clans, et l’on se bat pour son camp, on se bat pour son clan et, à la fin, on se bat pour soi. Quid de l’intérêt général ?

Ceci, c’est sur le plan politique, mais c’est encore pire sur le plan économique. On suscite des jalousies entre les salariés du privé et les salariés du public qu’en définitive on maltraite tout autant, entre les jeunes qui trouvent difficilement du travail et les vieux qu’on veut mettre en retraite le plus tard possible. Tout cela dans la France d’en bas, celle de la grande majorité des Français qui gagnent moins de deux fois le SMIC et dont on calcule les salaires avec deux chiffres après la virgule, pas chez la minorité dont on évalue seulement au million près les revenus et qu’on a peur de faire fuir en lui faisant payer trop d’impôts. Pas question de surtaxer les profits rapidement réapparus des banques accidentées sauvées avec l’argent des contribuables, mais on envisage sans honte d’imposer les modestes pensions d’invalidité des accidentés du travail.

Nicolas Sarkozy, à son arrivée au pouvoir, laissait entendre que le stock de chômeurs dont il héritait, certes d’un septennat de droite mais entaché de socialisme (Ah ! cette maudite semaine de 35 heures ! C’est bien mieux de chômer une semaine par mois comment cela se fait aujourd’hui), n’était constitué que de paresseux ou d’incapables. Il allait donc mettre les premiers en demeure d’accepter n’importe quel emploi, les autres un stage de formation dans des domaines où ils pourraient immédiatement trouver du travail, et le problème serait réglé. Or il y en a un demi-million de plus aujourd’hui, dont il connaît la provenance et dont il sait qu’il ne s’agit pas de fainéants ou d’incapables.

Le problème viendrait plutôt du côté des employeurs. On aimerait y rencontrer davantage de vrais entrepreneurs plutôt que des acquéreurs d’entreprises dont le seul objectif est de gagner beaucoup d’argent à court terme, pour eux et leurs gros actionnaires, à coup de licenciements et de délocalisations, bref des fossoyeurs d’entreprises. Et pourquoi, à leur place, l’État ne s’y est-il pas mis, au lieu de subventionner leurs défaillances ? De la part de ceux qui se disent encore gaullistes quand cela les arrange, ce n’eût pas été renier De Gaulle. Mieux valait son dirigisme en soutien à de grands projets, ou à des PME comme la Société de l’ingénieur Jean Bertin, dont l’aérotrain, que torpillera plus tard Giscard d’Estaing, fut longtemps en avance sur le “transrapid” de Siemens qu’ont aujourd’hui acheté les Chinois. Et personne ne soutiendra, sauf peut-être Jean-Marie Messier, que l’eau privatisée nous était alors vendue à un plus juste prix que de l’électricité ou du gaz étatisés.

Au moment où le 11 novembre est l’occasion de beaux discours sur le patriotisme et le sacrifice de millions d’hommes, il serait bon de s’interroger sur la liberté accordée à quelques-uns de planquer leur fortune dans des paradis fiscaux. Si la Patrie était à nouveau en danger, il me paraîtrait difficile d’empêcher celui qui n’a que sa peau à sauver d’aller lui aussi la mettre à l’abri en Suisse. Je ne comprendrais pas qu’on osât lui faire la morale dans une société du “chacun pour soi” où l’on se porte mieux d’avoir des ancêtres négriers que d’avoir eu un père mort pour la France. Que restera-t-il d’ailleurs du patrimoine commun que nous aurions à défendre ? En ce qui concerne le patrimoine matériel, on est en train d’en achever la privatisation et il ne nous restera bientôt plus en commun que les dettes de l’État.

Quant au souvenir glorieux de nos victoires militaires et de nos conquêtes sociales, ce ne sera pas un patrimoine trop lourd à emporter, et ce n’est pas ce qui restera de la Patrie à la semelle de ses souliers qui sera de nature à retenir quiconque.

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LECTURE

Pour une politique ouverte de l’immigration

décembre 2009

Les migrations constituent un phénomène historique permanent, elles sont même consubstantielles à l’histoire de l’humanité. Pourtant, les États de l’Union européenne, et l’Union elle-même, pratiquent une politique d’isolement, entendant n’admettre d’immigrants, au compte-gouttes, que sur le seul critère de leur “intérêt économique” pour le pays d’accueil.

Cette politique n’est pas nouvelle. Elle a toujours échoué. Elle a comme première conséquence de rendre illégitime la présence de populations issues de l’immigration, installées parfois depuis longtemps, et ne fait que renforcer les discriminations de fait ou de droit dont elles sont victimes.

Ce livre rappelle que l’immigration, loin d’être un danger, peut et doit profiter aux uns et aux autres. Il démonte un à un les arguments invoqués pour tenter de justifier l’Europe forteresse et le repli sur soi, et met en lumière l’absurdité de l’immigration prétendument choisie.

Il faut, au contraire, envisager une politique d’immigration ouverte, apaisée, accompagnée d’une citoyenneté de résidence. Ce qui suppose des décisions politiques courageuses, octroyant aux étrangers un certain nombre de droits attachés à cette citoyenneté, par exemple le droit de vote et d’éligibilité.

La liberté de circulation et d’installation des personnes fait partie des droits fondamentaux de l’humanité, il est grand temps de s’en souvenir. D’autant que, comme le disait le président bolivien Evo Morales :

« Les problèmes de cohésion sociale dont souffre l’Europe ne sont pas la faute des migrants, mais le résultat du modèle de développement imposé par le Nord, qui détruit la planète et démembre les sociétés des hommes ».

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LECTURE

OGM

décembre 2009

Organismes Géniaux et Merveilleux, Organismes Génétiquement Monstrueux ou Outils Génétiques de Marketing ? Les OGM ont multiples facettes car multiples domaines d’utilisation et d’application. OGM et recherche fondamentale, OGM et médecine, OGM et industries, OGM dans l’agro-alimentaire, autant de catégories que l’auteur s’évertue ici à différencier afin d’éviter certains amalgames fallacieux si chers aux VRP de la transgenèse généralisée. C’est avec des expressions imagées, des métaphores audacieuses et croustillantes, le tout arrosé de quelques notes d’humour, que Christian Vélot explique, avec pédagogie et simplicité, dans un langage accessible à tous, les aspects scientifiques et sociétaux des OGM en s’appuyant sur des exemples concrets. Depuis la définition des OGM jusqu’aux questions qu’ils soulèvent - tant sur les plans sanitaire, environnemental, éthique que du point de vue sociétal -, en passant par leurs modes d’obtention, la carence d’évaluation dont ils font l’objet, et des réponses aux arguments les plus répandus chez les inconditionnels des OGM tous azimuts, cet ouvrage apporte les outils qui permettent aux citoyens de se réapproprier un débat que l’on a tenté de leur confisquer.

De la science en toute conscience ...

Christian Vélot est Docteur en Biologie et Maître de Conférences en Génétique Moléculaire à l’Université Paris-Sud. Il est responsable d’une équipe de recherche à l’Institut de Génétique et Microbiologie (lGM, Institut mixte CNRS-Université) sur le Centre Scientifique d’Orsay. Il est aussi membre du Conseil Scientifique du CRIIGEN (Comité de Recherche et d’Information Indépendantes sur le Génie Génétique) et du Conseil d’Administration de Fondation Sciences Citoyennes.

Parallèlement à son activité d’enseignement et de recherche, il anime de nombreuses conférences à destination du grand public sur le thème des OGM.  Ses conférences didactiques, dont l’une a notamment servi de document de travail à l’intergroupe OGM du Grenelle de l’Environnement, ont permis à de nombreux citoyens d’avoir accès à une connaissance de la réalité des OGM et ont contribué à la prise de conscience raisonnée des risques qu’ils portent.

Il est souvent intervenu en tant que témoin dans les procès de faucheurs volontaires et dans de nombreux débats.

Christian Vélot fait partie de ces lanceurs d’alerte qui œuvrent pour faire valoir la réalité de certains risques et engager des débats démocratiques, là où l’obscurité et l’opacité sont de règle.

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LECTURE

La nouvelle raison du monde

par B. BLAVETTE
décembre 2009

La première qualité de cet ouvrage [1] consiste dans le fait qu’il y est largement question d’économie, mais qu’il n’a pas été rédigé par des économistes. Ses auteurs, Pierre Dardot, philosophe, et Christian Laval, sociologue, ont le mérite de remettre cette discipline à sa place, c’est-à-dire de la réenchasser dans les sciences humaines et le social. Cela leur permet de surplomber leur sujet, de dresser un panorama très complet de ce système-monde oppressif que constitue le néo-libéralisme qui nous dicte la manière dont nous vivons et dont nous pensons : « ce qui est en jeu c’est notre forme d’existence, la façon dont nous sommes pressés de nous comporter, de nous rapporter aux autres et à nous-mêmes ». La concurrence généralisée est la norme universelle qui sous-tend tout le système. Il s’agit non seulement d’une compétition entre les grands groupes internationaux, mais aussi entre les individus, qui doivent chacun se concevoir comme une mini entreprise, et chaque dimension de l’existence humaine (travail, loisirs, relations sociales ou même amoureuses,…) prend sa place dans le cadre de la construction d’un “capital personnel” visant à générer un individu efficace, un “gagnant”.

Mais, contrairement à ce que pensaient les pères fondateurs du capitalisme, Adam Smith, Ricardo…, le marché et la concurrence, cela s’organise, et le néolibéralisme n’est rien moins qu’une refondation du libéralisme contre l’idéologie du “laisser-faire”. L’État néo-libéral, lui même fonctionnant sur le mode entrepreneurial, est le grand ordonnateur des principes généraux de la compétition. Il s’agit pour lui d’assurer la sécurité nécessaire au fonctionnement du marché concurrentiel en garantissant la validité des contrats et des brevets, la sûreté des biens, les infrastructures nécessaires aux échanges, et surtout de tenir en main les “néo-sujets” que nous sommes, de façon à ce qu’ils intériorisent suffisamment les normes pour en venir à s’y conformer d’eux-mêmes avec un minimum de contraintes, « chaque sujet s’enfermant dans la petite cage d’acier qu’il s’est lui même construite ».

Selon les auteurs, la crise financière que nous vivons « est moins due à l’absence de règles qu’à la défaillance d’un certain mode de régulation ».

Il est évident que, lorsque la performance devient le seul guide de l’action publique, tous les critères moraux et éthiques d’un État démocratique volent en éclats, et nous vivons présentement une période de “dé-démocratisation” de nos sociétés, notamment par la transformation de l’état d’exception en état permanent.

L’analyse est claire et percutante, érudite, mais toujours accessible, du fait de l’absence de tout jargon technique.

À la fin du livre, nos auteurs s’interrogent sur la façon de sortir de la rationalité néo-libérale. Comment organiser la résistance ? Comme on pouvait s’y attendre, c’est le point faible de leur démarche. Brusquement, l’argumentation devient peu convaincante en faisant appel à une hypothétique “contre conduite” vis-à-vis de soi-même et des autres, dont on ne comprend pas quelle pourrait être l’origine ; tant le système de domination qui vient d’être décrit en détails semble omniprésent.

Cela illustre une fois de plus l’impuissance de nos élites intellectuelles, et plus généralement de notre espèce, à concevoir la transition vers un autre vivre ensemble, vers une autre manière d’habiter notre planète. On peut y voir un signe avant-coureur d’un effondrement de notre intelligence collective, qui pourrait accompagner la crise globale que nous vivons.

Néanmoins, ce livre doit absolument être lu, car la prise de conscience de la domination et de la subtilité de ses mécanismes est le premier pas indispensable vers une éventuelle démarche de résistance.

Mais ici encore se dresse un obstacle : il s’agit d’un gros “pavé” de près de 500 pages. Qui se donnera la peine de le lire vraiment ? On entend déjà les sempiternels « je voudrais bien, mais je n’ai pas le temps… ».

Alors La Grande Relève va initier ses lecteurs à un secret jalousement gardé, presque classé “confidentiel défense” : le secret de la reconquête du temps. Toutes les enquêtes convergent pour considérer que nos compatriotes passent en moyenne 3 heures 30 chaque jour devant leurs magnifiques écrans à plasma. Prenons donc notre courage à deux mains et cet appareil sournois à bras le corps et déposons-le à la place qui lui revient de droit : la poubelle. Et soudain nous voici libres, libres de dialoguer avec les enfants, libres de réaliser que notre compagne est toujours belle, libres de nous interroger sur la marche du monde, libres de nous plonger dans un livre important…

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[1] La nouvelle raison du monde Essai sur la société néolibérale, par Pierre Dardot et Christian Laval Ed. La Découverte 2009, 26 euros.

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Tribune des lecteurs

Le Président vient de décider l’ouverture de la Poste aux capitaux privés. Quand des citoyens s’en sont inquiètés, arguant que cette démarche était un premier pas vers la privatisation, il leur a été affirmé que leur inquiètude était tout à fait déplacée, sans fondement… Un de nos lecteurs a retrouvé le texte d’une déclaration faite en 2002 par Henri Guaino, le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, au sujet de l’ouverture du capital d’EDF… Il est édifiant et exemplaire. Français, si vous avez la mémoire courte, voici cette déclaration :

Vers la privatisation de La Poste

décembre 2009

« Ce qui est sûr, c’est qu’à partir du moment où on a rompu avec le monopole, on a rompu avec le modèle ancien du service public à la française....../.....Là où il y a une hypocrisie assez profonde à mon sens, c’est de laisser croire qu’en ouvrant un peu le capital d’EDF, on va préserver l’essentiel du modèle du service public à la française. Une fois que le capital est ouvert, que ce soit un peu ou beaucoup, minoritairement ou majoritairement, l’entreprise est forcée de se comporter selon les règles de la concurrence et de la rentabilité financière, et non plus selon les règles et les critères du service public. C’est fatal. Donc on se trouve (on l’a vu avec France Télécom), confronté à la situation suivante : si vous n’ouvrez pas le capital vous ne pouvez pas vous étendre, si vous ouvrez un peu le capital vous ne pouvez pas pénaliser les actionnaires qui sont rentrés, donc vous êtes obligés de viser la rentabilité financière, ce qu’on appelle aujourd’hui la création de valeur pour l’actionnaire, et non plus la création de valeur pour la collectivité. Et dès lors que vous avez besoin de capitaux supplémentaires pour vous développer, vous êtes obligés de faire appel au marché. Alors l’État peut évidemment souscrire en théorie à des augmentations de capital et garder sa part. Simplement si l’État le fait, Bruxelles l’accusera de subventionner une entreprise concurrentielle, et donc de créer une distorsion de la concurrence, un désavantage pour les autres concurrents producteurs et distributeurs d’électricité. Dans ces conditions il sera très difficile à l’état d’injecter les moyens financiers nécessaires dans cette entreprise. D’autant plus que l’État, on le sait, a de moins en moins de moyens financiers disponibles pour ce type d’opération. Donc il sera obligé de perdre petit à petit sa part de capital, jusqu’à perdre la majorité. Simplement ça se fera dans la pire des conditions. Moi j’appelle ça la politique du chien crevé au fil de l’eau. C’est-à-dire qu’à la fin ou bien vous gardez la majorité, mais vous vous sur-endettez comme France Télécom et vous arrivez au bord de la faillite ou bien vous perdez progressivement la majorité, simplement vous la perdez sans avoir fixé avant les règles qui vont régir les rapports entre l’État et cette entreprise pour laquelle la collectivité a consenti beaucoup d’efforts, et qui est un outil industriel formidable. »

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