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AED La Grande Relève Articles > N° 1105 - janvier 2010

 

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N° 1105 - janvier 2010

Numéro spécial COPENHAGUE

Vers une guerre civile mondialisée ?

Au fil des jours   (Afficher article seul)

Copenhague, un tournant ?   (Afficher article seul)

Indésirables, les Amis de la Terre !   (Afficher article seul)

Changer la société pour préserver le climat   (Afficher article seul)

Contre un accord à Copenhague   (Afficher article seul)

« Nous vivons une dictature impériale… »   (Afficher article seul)

Arrestations massives   (Afficher article seul)

Pourquoi nous partons   (Afficher article seul)

Comment produira-t-on dans un siècle ?   (Afficher article seul)

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CHRONIQUE

Au fil des jours

par J.-P. MON
31 janvier 2010

Échos de la Sarkozie

« Qu’un conducteur ivre perde le contrôle de son véhicule et fasse dérailler un train fait réagir notre Nicolas au quart de tour. En revanche, qu’une grève bloque la ligne A du RER durant deux semaines laisse aujourd’hui le même homme sans voix. Soyons honnêtes : il n’est pas le seul à être devenu aphone. Bernard Thibault semble atteint du même mal. Comme s’ils s’étaient donné le mot. C’est d’ailleurs en vain qu’on cherche sur le site de la CGT la moindre allusion à ce conflit qui, certes, perturbe la vie de millions de personnes, mais qui n’a jamais été étendu aux autres lignes de la RATP. Heureusement que le secrétaire général de la CGT a démenti début décembre toute connivence avec le chef de l’État, nous commencions à avoir des doutes après le soutien explicite de ce syndicat à la nomination d’Henri Proglio à la tête d’EDF… » remarquait un journaliste du Monde [1].

Proglio, ami de Sarkozy, conservera quand même la présidence du conseil d’administration de Véolia ; et en outre, son salaire de PDG d’EDF sera de plus de 45 % supérieur à celui de son prédécesseur, qui était de 1,1 million d’euros. Pourquoi pareille augmentation ? — Parce qu’on en a besoin, a dit le Premier ministre, il est parfaitement normal que sa rémunération à la tête d’EDF soit proche de celle qu’il avait dans ses fonctions précédentes » [2].

Bien entendu, les salaires des employés d’EDF, eux, ne bougeront pas.

Pour couronner le tout, on vient d’apprendre que Veolia serait sur le point de conclure un accord avec Trenitalia, la division voyageur de la compagnie publique italienne Ferrovie dello Stato pour concurrencer la SNCF en faisant rouler des TGV sur le réseau ferré de France ! Ce copain de Sarko ne manque pas d’air !

Myopie économique

La presse nationale [3] n’a pas manqué de saluer le succès du dernier voyage en Chine du Premier ministre François Fillon : la société française Safran (associée à la société américaine General Electric) livrera des réacteurs à la Chine pour équiper le prochain avion moyen-courrier qu’elle est en train de développer. Selon le directeur de Safran, cela “pourrait” créer 8 à 10.000 emplois en France. Pour combien de temps ? Sans doute très peu, car les Chinois sont loin d’être sous-développés en matière scientifique et technologique. Qui plus est, la fabrication par la Chine de son propre moyen-courrier fera nécessairement baisser les ventes d’Airbus et de Boeing, avec les conséquences que cela aura sur l’emploi.

Encore une fois, nos chères entreprises ont cédé aux sirènes du court terme … et préparé le terrain pour leurs concurrents de demain.

Les antécédents ne manquent pourtant pas. C’est par exemple, Alstom qui se bat depuis deux ans pour essayer de faire bloquer par la Commission européenne et la BERD les financements d’une entreprise chinoise candidate à un marché en Bulgarie. Alstom lui avait cédé pour deux ans une licence sur un brevet concernant des équipements de désulfurisation utilisés dans des centrales électriques. Moins de deux ans après la fin du contrat, Alstom s’est retrouvée en concurrence en Bulgarie avec cette même entreprise chinoise… qui a remporté le marché à sa place grâce aux équipements de désulfurisation contefaits. Comme le dit un entrepreneur : « les Chinois apprennent très vite et auront de moins en moins besoin des occidentaux ».

Avis d’un spécialiste

Le Président de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF), Jean-Pierre Jouyet, ancien secrétaire d’État aux affaires européennes, témoigne : « Les marchés ont pris une avance considérable, dangereuse pour la régulation. Les ordres passent en une microseconde. La moitié des transactions ne sont pas transparentes. C’est le terreau pour fabriquer la nouvelle bulle. Sur le marché du pétrole, les transactions financières représentent dix fois les volumes de pétrole effectivement échangés. Un an après Lehman, on vit encore sur la spéculation. C’est pourquoi nous devons et nous allons renforcer nos moyens informatiques et nos équipes de surveillance. Il nous faut attirer à l‘AMF des traders et des mathématiciens de la finance. C’est difficile : nos offres de rémunérations ne sont pas aussi attractives, bien sûr, que dans le privé… On régule des deux côtés de l’Atlantique, mais différemment. Le véritable enjeu, c’est de faire converger ces deux approches, afin de mettre en place des règles internationales communes. Or on est très loin du compte, s’agissant notamment des exigences de fonds propres des banques et des règles comptables… Le principe d’une taxation des transactions financières pour financer des investissements de long terme utiles à la collectivité me paraît justifié. J’entends dire qu’elle entraverait les échanges financiers. À ce que je sache, le Brésil qui l’a instaurée, n’a pas fait ce constat. L’assiette d’une telle taxe serait tellement large qu’elle serait indolore. Si, en plus, elle pouvait limiter les excès… » [4]

Les “dark pools”

Monsieur Jouyet n’est malheureusement pas au bout de ses peines : depuis quelques mois, on assiste à la multiplication de marchés spécialisés dans l’échange confidentiel d’actions, les “dark pools” (= bourses de l’ombre) [5]. C’est un marché électronique ultra sophistiqué qui permet à un investisseur de vendre ou d’acheter des actions de façon anonyme. Depuis 2007, la mise en place de la directive Marchés d’Instruments Financiers a en effet ouvert à la concurrence le marché boursier et mis fin au monopôle des opérateurs historiques (Euronext, London stock exchange, …). Les banques et les opérateurs de marché ont tout de suite saisi l’occasion de créer ces “dark pools” et de se procurer ainsi des sources de revenus complémentaires. Étonnez vous donc si la spéculation continue de plus belle !

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[1] F. Lemaître, Le Monde, 26/12/2009.

[2] Le Monde, 26/12/2009.

[3] Voir, par exemple, Le Monde, 22/12/2009.

[4] Le Monde, 17/12/2009.

[5] Le Monde, 16/12/2009.

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ÉDITORIAL

Copenhague, un tournant ?

par M.-L. DUBOIN
31 janvier 2010

Le sommet de Copenhague pourrait bien être un tournant de l’Histoire… mais pas pour avoir résolu les problèmes qui lui étaient posés.

Comme pour tout sommet international, la préparation de celui-ci avait été très longue, et les lobbies avaient fait leur travail. Les organisateurs savaient donc, avant l’ouverture, qu’aucun accord sur une décision essentielle ne serait obtenu. Alors c’est une comédie que jouèrent chefs d’État et ministres par dizaines, leurs gardes du corps et leurs conseillers par centaines. Comédie stupide, car pour qu’ils viennent refuser de s’engager dans les dépenses nécessaires, c’est 143 millions d’euros que les contribuables ont payé en frais de déplacement et de séjour (dont la surveillance policière, le personnel, les traducteurs, etc…) pour les 15.000 délégués venus du monde entier, que des milliers de voitures et des centaines d’avions ont amenés à Copenhague… constater qu’il faudrait moins polluer. On estime que 40.500 tonnes de CO2 ont été rejetées dans l’atmosphère par ce sommet dont un des objectifs était de faire diminuer ces émissions. Sans parler de la montagne de papiers gaspillée, alors qu’il s’agissait de faire cesser la déforestation…

Si cette coûteuse mascarade marque un tournant dans l’Histoire, c’est parce qu’elle a fait paraître au grand jour que les gouvernements des pays qu’on appelle, bien à tort, “les démocraties avancées”, ont renoncé à toute responsabilité quant au sort des peuples. Bien qu’élus, ils sont à ce point sous la tutelle du pouvoir financier qu’ils ne peuvent prendre aucune décision qui risquerait de porter la plus légère ombre à ses intérêts.

La nouveauté de Copenhague, c’est qu’en marge et à l’occasion de ce sommet, il a été nettement dit que la vaste crise, aux multiples facettes (financière, sociale, environnementale), n’a qu’une seule et même cause : c’est le système capitaliste, dont on n’osait plus prononcer le nom : il impose une course suicidaire vers une croissance mythique à la recherche de nouvelles sources de profits, au mépris des populations et de leur environnement.

Cette prise de conscience sera probablement irréversible. Une déclaration comme celle du Président du Vénézuela [1] est significative : le sommet étant organisé par l’Organisation des Nations Unies, les représentants de pays déshérités pensaient venir débattre d’égal à égal avec leurs homologues des pays riches. Ils ont constaté publiquement le comportement méprisant de ces derniers. Les analyses [2] des manifestants, dont le grand nombre, malgré le froid ambiant, était impressionnant, sont autrement plus profondes que les discours officiels. La fureur avec laquelle ils ont dû repartir, après avoir subi la violence des pouvoirs publics pour les faire taire, ne s’éteindra pas de si tôt.

Que va-t-il en résulter ? — Ce peut être gravissime.

Il est probable que l’ONU y a perdu ce qui lui restait de crédibilité pour assurer la paix dans le monde. Et ce qui nous est imposé sous le terme “Union” Européenne a été totalement inaudible, chaque membre y a joué en solo. C’est donc l’affrontement brutal entre les riches, peu nombreux et très puissants, et les pauvres, bien plus nombreux, qui ne peuvent plus supporter l’injustice qu’ils subissent.

Ce siècle pourrait donc être celui d’une nouveauté dans l’Histoire : une guerre civile mondiale.

Les riches ont préparé leurs polices, ils sont prêts à continuer de tout accaparer, sans scrupule, sans rien vouloir lâcher. Les pauvres, encore peu organisés, n’en sont qu’à la prise de conscience. Ils ont à se mettre d’accord pour une autre mondialisation : celle d’une vraie démocratie, qui reste à inventer. Il leur faudra du temps. L’auront-ils ? Or, parmi eux, les plus extrêmistes pensent qu’ils n’ont plus rien à perdre, et les moins informés se sont souvent laissé persuader qu’il n’y a d’alternative au système actuel qu’un régime totalitaire.

Le drame, c’est que si l’humanité ne parvient pas à se sortir de ce système, elle se suicide.

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Alors, à nous d’expliquer comment il fonctionne, de montrer [3] qu’il repose entièrement sur le fait que l’argent capitaliste peut rapporter de l’argent. Que si la monnaie n’était qu’un pouvoir d’achat qui ne circule pas, donc qu’on ne peut pas “placer” contre intérêt, les pouvoirs qui minent aujourd’hui notre société n’auraient pas le moyen de s’exercer. Mais il faut aussi faire comprendre que si les richesses sont partagées entre tous, actifs et inactifs, on n’aura pas besoin que les économies “rapportent”. Et faire admettre, par exemple à un cultivateur qu’on pousse aujourd’hui à mépriser les fonctionnaires, que dans une économie de partage, dans cette économie distributive que nous proposons, il exercera, lui aussi, en cultivant ses champs, une fonction sociale. Il faut rappeler que le revenu n’est pas forcément le prix d’un travail, et que le droit d’avoir, toute la vie, sa part des richesses produites, doit être reconnu, car c’est le droit de vivre.

Il faut arriver à ce que l’idéologie de l’échange fasse place à l’idée, toute simple, familière, du partage. C’est revenir sur beaucoup d’habitudes, sur des idées profondément ancrées dans les esprits, souvent depuis plusieurs générations.

En ce début d’année, souhaitons-nous mutuellement beaucoup de courage en voyant que nos efforts pour montrer quel autre monde est possible sont de plus en plus partagés. Congratulons-nous d’avoir été parmi les premiers à être lucides, et soyons satisfaits de voir enfin nos analyses se généraliser.

Et que vive La Grande Relève en 2010 !

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[1] Voir ci-dessous page 9 et page 12.

[2] Voir ci-dessous p. 6 à 8

[3] par exemple en s’aidant du livre Mais où va l’argent ? renseignements ci-dessous p. 16

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Avant Copenhague

Avant le sommet de Copenhague, le spécialiste, au sein des Amis de la Terre, de la finance privée Yann LOUVEL, voulait participer à une conférence organisée par l’Association des MArchés Financiers (AMAFI) dont le programme l’intéressait particulièrement. L’accès lui en a été interdit. Dans un billet d’humeur (publié sur le net) et dont voici l’essentiel, il se demandait : Pourquoi ?

Indésirables, les Amis de la Terre !

par Y. LOUVEL
31 janvier 2010

Une belle conférence, réunissant tout le gratin de la finance carbone française, avait lieu le 19 novembre. Enfin, belle sur le papier, car je n’ai malheureusement pas pu aller le vérifier, l’entrée m’en a été interdite ! Mise à l’écart désagréable qui s’explique peut-être par les récentes études des Amis de la Terre qui dénoncaient les dérives que prennent les marchés carbone. Le risque, en effet, n’est pas mince puisqu’on pourrait se retrouver d’ici quelques années avec la situation suivante : des grandes entreprises et des banquiers, courtiers, traders pleins aux as et... pas de réelles réductions des émissions de gaz à effet de serre !!!

Tous les acteurs français de la finance carbone étaient donc réunis. …Au programme : panorama des marchés du carbone, présentation et pratiques de marchés, retours d’expériences d’acteurs du secteur et le plus intéressant : discussion sur les “nouveaux marchés” à venir et sur les “enjeux de la conférence de Copenhague” concernant ces marchés carbone ! Bref, du lourd !

Arrivée cordiale, stand d’accueil habituel, mon inscription est enregistrée, mon badge est déjà fait, tout semble parfaitement se dérouler... Mais finalement, non, je ne suis plus vraiment le bienvenu à cette conférence : elle a un succès si énorme qu’il faut bien donner la priorité aux membres de l’AMAFI ! Les ONG, ça passe après ! …Je temporise, je fais remarquer que beaucoup de personnes s’inscrivent à ce type de conférence mais ne viennent pas, qu’il devrait bien rester quelque place où je pourrais m’installer... mais non ! Un des directeurs de l’AMAFI vient m’expliquer doctement qu’il est vraiment désolé pour ce matin mais que non, ce ne sera pas possible, qu’ils attendent une affluence énorme de dernière minute, que la salle sera pleine à craquer et que bon, pour des raisons de sécurité incendie, forcément... mais que nous pouvons nous rencontrer plus tard pour évoquer ensemble les sujets de notre choix... ! Après une heure, on vient me confirmer … qu’on ne peut pas faire grand’chose pour moi de peur de “perdre son poste”... Bigre, voilà qui est clair ! On me raccompagne jusqu’à la porte. Bref, l’élégance naturelle des financiers a été rompue et les bonnes manières entre gentlemen en ont pris un coup.

En deux ans de campagne sur les acteurs financiers privés, aux Amis de la Terre, c’est la première fois qu’on me refuse l’accès à une conférence !… Sans être parano, ça ressemble quand même furieusement à une mise à l’écart et à une réduction au silence délibérées. Pour quelles raisons ? Serait-ce à cause des derniers rapports publiés par les Amis de la Terre sur les marchés carbone, dont on attend monts et merveilles pour résoudre la crise climatique, et qui seront un des enjeux-clés des négociations à venir de Copenhague ? En effet, les Amis de la Terre étatsuniens, dans “Subprime Carbon” et dans “Simpler, Smaller and More Stable”, mettent en garde les membres du Congrès, en train d’élaborer leur futur marché du carbone, sur le besoin de régulation très sévère, à la fois financière et environnementale, pour éviter que tout le système ne parte en vrille et qu’on se retrouve avec des crédits carbone pourris dont la valeur financière s’effondrerait... et qui ne réduiraient pas les émissions de gaz à effet de serre ! Ce que vient confirmer plus récemment le rapport des Amis de la Terre anglais “Dangerous obsession” qui rappelle qu’il existe d’autres alternatives aux marchés carbone, ce que tout le monde a une fâcheuse tendance à oublier !

Oui mais voilà, les alternatives risquent d’être un peu moins payantes pour les traders et autres courtiers des marchés carbone. À leurs oreilles, “taxe”, “régulation”, “planification”, “réglementation”, sonnent beaucoup moins bien que “marchés” et “commissions” ! ça sonne surtout moins “bling, bling” ! Or des alternatives qui rapportent moins et qui ne font pas tourner le business, ça fait aussi moins “croissance verte”, n’est-ce pas ?

Les banquiers auraient pourtant tout intérêt à ce que le système des marchés de quota fonctionne bien comme il faut, pour qu’ils continuent de faire du fric, non ? Euh ben non, pas vraiment ! Un courtier achète et vend des produits financiers, quels qu’ils soient, avec un seul objectif : en vendre toujours plus, puisqu’il touche une commission sur chaque transaction ! Alors, que ce soit des actions, des obligations ou des crédits carbone, il s’en tamponne le coquillard ! Et qu’il y ait de l’eau dans le gaz avec ces crédits carbone et des petits problèmes d’intégrité environnementale, ce n’est pas vraiment son problème ! On a vu ce que ça donnait avec les subprimes ! Autant le dire simplement : les intérêts des acteurs financiers et des grandes entreprises vont fondamentalement à l’encontre de toute régulation, et on peut leur faire confiance pour faire dérailler tout processus politique allant dans ce sens, grâce à leurs réseaux bien implantés jusqu’au sommet de l’État, en passant par Bercy. Alors on comprend la frilosité de l’AMAFI face à toute mise en garde de la part d’associations. C’est si triste de remettre en cause les espoirs placés dans ce “nouveau marché prometteur en pleine expansion”...

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Avant Copenhague

Le 15 octobre à Paris se tenait un atelier de la gauche sur le thème « Est-il déjà trop tard pour sauver le climat ? ». Outre la nécessaire appropriation par les citoyens de l’analyse politique des causes, des conséquences prévisibles et des moyens de réduire le phénomène du réchauffement climatique, il s’agissait de préciser les contenus de l’intervention de la gauche française et européenne au sommet de Copenhague.

Guy Evrard y a apporté sa contribution. Nous en reproduisons ci-dessous les principaux points, dont l’échec de la conférence a confirmé l’importance.

Changer la société pour préserver le climat

par G. ÉVRARD
31 janvier 2010

Pour de nombreux peuples laissés pour compte, pour de nombreuses associations et formations politiques de gauche, il est illusoire de prétendre enrayer le changement climatique sans une remise en cause profonde du système économique et social qui est justement à l’origine de la catastrophe annoncée.

Ainsi que nous avons tenté de l’analyser dans deux précédents articles [1], la marchandisation de la nature confine à l’absurde, et, particulièrement, le marché du gaz carbonique comme moyen de réduire la consommation d’hydrocarbures fossiles, principale cause d’origine humaine du réchauffement climatique. Cette marchandisation apparaît comme le paroxysme de la fuite en avant. Le système capitaliste ne sait ou ne veut rien résoudre en dehors du marché. Prédateur, il est à l’affût de toutes les opportunités lui permettant d’ouvrir de nouveaux territoires à l’économie marchande. Il n’y a guère de solution sans en finir avec ce système.

L’énergie doit être déclarée bien d’utilité publique, au même titre que l’eau, l’air, la diversité biologique… et échapper à la logique du profit. Les comportements et les stratégies doivent se fonder dès maintenant sur des règles de droit et de partage. Les propositions ci-après nous semblent aller dans ce sens.

Quelle politique énergétique pour répondre aux besoins de l’humanité ?

• Soustraire la fourniture d’énergie à la concurrence privée et à la recherche du profit.

Pour cela, mettre en place des services publics de l’énergie aux niveaux national et régional, avec une coordination mondiale disposant d’une vue d’ensemble des besoins et des ressources, et capable de promouvoir la solidarité entre pays du nord et pays du sud. Ces structures doivent être démocratiques et avoir pour mission d’assurer l’approvisionnement équitable, guider la recherche scientifique et technologique pour diversifier les sources d’énergie, veiller à la pérennité des ressources et à la préservation de l’environnement, garantir la transparence de leur activité par des échanges permanents avec les citoyens.

• Réduire la consommation énergétique.

Outre les mesures techniques évitant le gaspillage (isolation, meilleur rendement des machines…), c’est toute la philosophie de nos sociétés, basée sur la croissance productiviste des biens matériels (même futiles) qui doit être remise en question. La crise globale actuelle nous prouve définitivement que l’économisme comme moteur du développement, s’il permet globalement un certain enrichissement, est aussi facteur d’accroissement des inégalités de tous ordres et conduit la planète dans l’impasse, avec le risque d’un anéantissement prématuré de l’humanité. Réorganiser le maillage économique pour limiter le transport des marchandises. Assurer la décentralisation des fabrications. L’industrialisation des moyens de production, favorisée par l’énergie à bon marché, ne se justifie pas forcément, notamment pour la production agricole et l’industrie agroalimentaire. Il vaut mieux qu’une fraction plus importante de la population participe à la production et vive dans les campagnes, assurant une autosuffisance locale ou régionale, plutôt que venir grossir les rangs des miséreux autour des grandes métropoles.

• Dans l’état actuel de nos connaissances, l’énergie solaire, sous ses différentes formes, est la plus pérenne. Le développement des recherches pour l’utiliser de façon efficace, dans le respect de la biosphère, doit constituer l’un des axes de recherche prioritaires de nos sociétés. Les travaux pourraient s’appuyer sur un réseau à l’image du GIEC pour les questions climatiques. La mise en place progressive des applications doit pouvoir être conduite en dehors de toute surenchère marchande, par le développement d’un réseau de compétences capable d’assurer une information objective des citoyens. Elle sera pilotée et garantie par les services publics de l’énergie.

• L’énergie nucléaire représente sans doute encore un fort potentiel d’énergie concentrée, d’abord grâce aux réacteurs de quatrième génération (surgénérateurs à neutrons rapides) et à la fin du siècle, si l’on parvient à domestiquer la fusion. Elle cumule cependant aussi beaucoup d’inconvénients, du moins tant qu’elle reste tributaire de la fission : risques d’accident très graves, radioactivité des déchets à durée de vie longue à l’échelle de l’humanité, risques croissants de détournement à des fins militaires ou crapuleuses liés à une dissémination mal contrôlée, investissements lourds, applications civiles encore principalement limitées à la production d’électricité avec un certain manque de souplesse. Il paraît souhaitable de poursuivre des travaux de recherche de haut niveau et de maintenir des compétences industrielles fortes sur les applications, sans pour autant promouvoir leur généralisation si l’on ne parvient pas à lever les hypothèques précédentes. De toute façon, ces technologies ne sont envisageables avec un maximum de sécurité que dans le cadre de services publics de l’énergie et impliquent un contrôle international indépendant, qui devrait s’appliquer également dans les pays développés actuels.

• L’électricité est une forme commode de l’énergie pour l’éclairage, pour animer les machines et les systèmes informatiques ou de communication. Il faut cependant garder à l’esprit qu’elle ne représente aujourd’hui en France qu’environ le quart de l’énergie dépensée. Certes, cette proportion va croître si le pétrole se raréfie pour la mobilité des hommes et des marchandises. Soulignons aussi que produire de l’électricité à partir d’énergie thermique pour la retransformer ensuite en énergie thermique (chauffage) reste une absurdité en terme de rendement. Une réflexion en profondeur, à l’abri des lobbies économiques, demeure donc indispensable pour optimiser les choix énergétiques en fonction des applications.

Quelle intervention de la gauche française et européenne au sommet de Copenhague ?

• Valoriser l’idée du nécessaire dépassement du productivisme capitaliste comme seule véritable solution pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre et plus généralement pour la préservation de notre biosphère. Travailler à la transition vers une économie de partage, qui ne serait plus qu’un outil dans un monde plus solidaire capable d’autres finalités que celle de la croissance, fut-elle verte ! En finir avec le dogme du marché via « une concurrence libre et non faussée ».

• Se conformer strictement aux recommandations du GIEC pour limiter impérativement le réchauffement à 2°C (les pays insulaires se réfèrent aujourd’hui à 1,5°C) au cours du 21ème siècle : réduction globale des émissions de CO2 de 30% à l’horizon 2020 par rapport à 1990. L’engagement d’étape des pays occidentaux doit permettre d’obtenir l’engagement des pays émergents pour une réduction globale de 50% à l’horizon 2050. Envisager de faire mieux si possible, les dernières observations montrant que c’est plutôt le scénario pessimiste qui se profile, en raison notamment de la dynamique des glaces, qui est plus active que prévu et qui n’avait pas été introduite dans les modèles climatiques.

• Aider le développement des pays du sud, conformément aux promesses de 50 milliards de dollars de 2004. Aider la mise en place de stratégies et de technologies évitant l’émission de CO2 (évaluée aujourd’hui à au moins 100 milliards de dollars par an pendant dix ans, en plus de l’aide au développement).

• Adopter des mesures pour l’accueil et le statut des réfugiés climatiques.

En résumé, remplacer le marché pervers du carbone par des règles de droit. Car l’achat de droits à polluer exonère les riches de produire les efforts nécessaires, alors qu’ils en ont justement les moyens. Et entreprendre l’analyse de tous les effets négatifs du marché, et notamment ceux du marché financier (spéculation).

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[1] La nature marchandise jusqu’à l’absurde : I. GR 1102, p.9 et II. GR 1103, p.9

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Avant Copenhague

Parmi les nombreux messages mis sur le net avant la conférence, Christian AUBIN a retenu celui de Morgan ODY parce que ses critiques sont particulièrement claires et qu’en outre elles sont complétées par des propositions, et celles-ci rejoignent les nôtres :

Contre un accord à Copenhague

par M. ODY
31 janvier 2010

J’en ai ras-le-bol d’entendre sans cesse à la radio tout le monde dire qu’il faut absolument un accord à Copenhague... Dans quelques jours, des milliers de militants d’Europe et du monde entier convergeront vers Copenhague à l’occasion du sommet mondial sur le climat. Alors que les médias donnent la parole exclusivement à ceux qui, parmi les gouvernants, les entreprises et les grandes ONG, appellent à un accord ambitieux, nous serons nombreux dans les rues de la capitale danoise à agir contre la signature d’un nouveau protocole. Voici nos bonnes raisons :

Bouée de sauvetage du capitalisme

Le sommet de Copenhague vise à trouver un accord entre les États sur la suite à donner au protocole de Kyoto, qui expire en 2012. Le projet sur la table des dirigeants est très semblable à celui de Kyoto, c’est-à-dire qu’il est basé sur le commerce du carbone, il étend même les sphères auxquelles le marché des émissions pourra être appliqué.

Au prétexte de réduire les émissions de gaz à effet de serre, on a commencé depuis 2005, date d’entrée en application de Kyoto, à faire du carbone, élément le plus basique de la vie sur terre, une marchandise. L’accord de Kyoto n’est que cela. Toutes les réductions d’émissions auxquelles se sont engagés les pays riches depuis 1997 peuvent se monnayer en échange de la construction d’une centrale hydraulique ici, d’une plantation de palmiers à huile là-bas.

Cet accord a-t-il permis de réduire les émissions ? — Non, car depuis 1990, le volume d’émission a augmenté de 40 %, et cela malgré la dégringolade des économies de l’ex-URSS et des “démocraties populaires” qui ont largement participé à baisser le niveau des émissions en Europe.

La croissance des émissions n’a donc jamais été aussi rapide que depuis l’entrée en vigueur de Kyoto. Alors à quoi sert ce protocole ? À faire de l’argent pardi ! Et, pour être plus précis, à sauver le capitalisme mondial.

La guerre pour les ressources a commencé

Pour survivre, ce système économique a besoin de produire toujours plus. C’est le principe même de la croissance et de l’accumulation du capital. Pour cela, il utilise toujours plus de ressources naturelles, des ressources toujours plus rares, qu’il doit arracher aux communautés rurales qui en dépendent. Ces vingt dernières années, on a vu un accaparement exceptionnel des richesses du monde par quelques dizaines de multinationales qui, pour prendre possession des terres, des réserves d’eau, des minerais et des ressources génétiques (semences et races animales) de la planète, n’hésitent pas à assassiner, à jeter en prison, à terroriser et à affamer des centaines de millions de personnes. Le protocole de Kyoto participe à cet élan d’expropriation en lui offrant une légitimité morale et un appui financier.

Les grandes entreprises ont un besoin particulièrement important d’énergie pour pouvoir continuer à produire en masse et à transporter les biens de consommation d’un bout à l’autre de la planète. Le protocole de Kyoto permet aux pays riches d’éviter de réduire leurs émissions en finançant le développement d’énergies soi-disant “propres” dans le Sud : monocultures à agrocarburants, barrages géants et méga-projets éoliens sont ainsi mis en place. Cette énergie est ensuite acheminée vers les centres industriels ou vers les pays riches. De façon quasi-systématique, les populations locales sont ainsi chassées de leurs territoires et n’ont aucun accès à l’énergie produite.

L’aspect “durable” de ces productions est plus que douteux : les plantations de maïs ou de palmiers à huile pour l’éthanol, par exemple, détruisent la biodiversité, consomment des quantités gigantesques d’eau, sont aspergés d’engrais et de pesticides et s’étendent le plus souvent au détriment de la forêt primaire. Mais surtout, ces énergies renouvelables ne permettent en rien une réduction des émissions de gaz à effet de serre, puisque la consommation d’énergies fossiles, loin d’être remplacée, continue, elle aussi, de progresser : leur consommation mondiale augmenterait ainsi de 50% d’ici à 2030. Malgré des investissements massifs, les énergies renouvelables ne constitueraient alors que 2 % de la consommation totale [1]. Cette perspective, prise comme référence par l’Agence Internationale de l’Énergie, est apocalyptique. Elle a néanmoins le mérite de montrer que les beaux discours sur les énergies renouvelables servent plus à légitimer une croissance généralisée de la production d’énergie qu’à sauver le climat.

Les négociations de Bali et de Poznan ont visé à introduire de nouveaux secteurs dans le commerce du carbone : les forêts et les terres agricoles. Une entreprise polluante en Europe pourra ne pas réduire ses émissions et compenser en achetant des crédits-carbone à une entreprise en Indonésie qui possède une forêt. Dores et déjà, et alors même que l’accord n’est pas signé, des investisseurs en recherche d’un placement “durable” commencent à acheter des territoires entiers au détriment des populations qui les habitaient [2]. Ils vendent ensuite les crédits-carbone sur des marchés volontaires et font double profit en commercialisant le bois. La protection de l’environnement est en quelques années devenu l’alibi le plus commun pour expulser des communautés et laisser la place libre aux multinationales. Alors qu’en 2008, 40 milliards d’hectares de terres ont déjà été accaparées par les multinationales et certains pays [3], Kyoto va encore accélérer l’expropriation des territoires des populations rurales.

Pauvres et coupables

Le changement climatique et le commerce du carbone n’offrent pas seulement la possibilité pour les grandes entreprises de s’emparer des richesses du monde, ils permettent aussi de justifier auprès des travailleurs le retour de la rigueur. À Poznan, lors du sommet sur le climat de 2008, de grandes pancartes affichées dans la gare centrale présentaient les “10 commandements du 21ème siècle” : « Ne prend pas l’avion. Recycle. Utilise le vélo plutôt que la voiture. Evite tous les produits avec emballage plastique. Evite tous les produits venant de loin. N’achète pas à moins d’être sûr que tu as besoin de ce produit. N’aie pas plus de deux enfants. Ne fais rien qui nécessite des terres ou de l’eau jusqu’ici non-utilisées. Suis tous ces commandements de façon facile et économique, pour toi et les autres ». Mais les grands de ce monde ne fréquentant pas les gares, ce message ne leur était évidement pas destiné. Pendant qu’on s’évertue à convaincre la population de changer ses ampoules et de fermer le robinet pour se brosser les dents, d’autres peuvent tranquillement continuer leur travail de pillage de la planète. Et nous faire la leçon pour accepter une petite réduction salariale, quelques heures de travail en plus, au nom de la simplicité volontaire et de la solidarité avec les ours polaires.

Cet accaparement massif des richesses et le démantèlement des politiques sociales ont conduit à une explosion de la misère dans le monde. Un tiers des urbains habitent maintenant dans des bidonvilles et un milliard de personnes ont faim (un milliard !). Jamais le fossé entre les plus riches et les plus pauvres n’a été si gigantesque. Le terme “pays en voie de développement” cache pudiquement une vérité autrement plus crue : la pauvreté s’accroît. Dans le Sud, mais aussi dans nos pays soi disant prospères.

Toujours plus de profits, une catastrophe toujours plus proche

Soyons clairs : la crise climatique n’est qu’un aspect de la crise environnementale globale, qui elle-même n’est que le résultat de l’accaparement et de la surexploitation des richesses naturelles par une poignées d’entreprises multinationales, dans le seul but de faire du profit. La surconsommation des ressources naturelles, et notamment des énergies fossiles, ne vise pas à alimenter, chauffer, abriter les gens, bref, à répondre aux besoins des populations, mais à produire des voitures, des gadgets, du soja transgénique, des voyages aux îles… Nous pillons la planète pour produire de l’inutile ! Et cela alors même qu’un habitant de la Terre sur six ne mange pas à sa faim !

Le monde regorge d’assez de richesses pour assurer à 9 milliards d’êtres humains une vie digne. Mais pas pour produire toujours plus de biens superflus dans le seul but de garantir la pérennité d’un système économique et financier basé sur la rémunération du capital. Les taux d’intérêt sont le premier maillon qui justifie la croissance économique [4].

La question posée par le changement climatique est donc celle du partage des richesses [4]. Kyoto, de même que l’accord proposé à la signature à Copenhague, accroissent l’inégalité de l’accès aux richesses naturelles en accélérant la privatisation du monde. C’est pour cela que ces accords sont inacceptables.

Changeons le système, pas le climat !

…Les solutions face à la crise climatique ne requièrent ni haute technologie ni sommes colossales ; elles demandent de la volonté et du courage politique. En lieu et place du commerce du carbone, quatre priorités devraient s’imposer :

• La réforme agraire, c’est à dire la redistribution des ressources naturelles [4] telles que la terre, l’eau et les semences, au bénéfice des populations. En 2006, lors de la Conférence Internationale sur la Réforme Agraire et le développement Rural, 92 pays se sont mis d’accord sur la nécessité de relancer le processus de réforme agraire dans le monde. Cependant, l’opposition farouche de l’Union Européenne et des États-Unis a bloqué depuis tout progrès dans ce sens.

La relocalisation de la production [4], et notamment de la production alimentaire, en appliquant le principe de souveraineté alimentaire et énergétique. Le transport des marchandises tient une place importante dans les émissions de gaz à effet de serre ; il faut donc soutenir les productions locales, nationales et régionales et autoriser la protection de leur marché. C’est pour cela que l’OMC doit être démantelé et les accord bilatéraux de libre-échange stoppés.

L’annulation de la dette des pays pauvres [4], qui les contraint à favoriser les productions d’exportation au détriment du bien-être de leurs populations.

La réforme totale du système financier avec l’interdiction aux banques de créer de la monnaie via le crédit [4].

Nos gouvernements actuels, englués dans la corruption, ne sont pas ceux par qui le changement aura lieu. Ils ne jouent tous qu’un rôle de marionnettes dociles aux mains du pouvoir économique et financier. L’enjeu majeur des mobilisations de Copenhague est de bouleverser le rapport de force entre les multinationales et les populations, de reprendre le pouvoir, de mettre en lumière la duperie monstrueuse que représente Kyoto et le marché du carbone pour que des milliers, des millions de personnes, rejoignent les luttes pour la réappropriation des territoires, des savoirs, pour des vies dignes et solidaires.

Décembre 2009 n’est qu’une étape dans le processus de renforcement de ce mouvement.

Qu’un accord soit signé ou non à Copenhague, nous sommes maintenant en marche.

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[1] World Energy Outlook novembre 2009

[2] Des paysans victimes du commerce de carbone sur les forêts, 11/12/ 2008, communiqué de la Via Campesina.

[3] Main basse sur les terres agricoles en pleine crise alimentaire et financière, Rapport de GRAIN, Octobre 2008.

[4] NDLR : Nous soulignons la similitude avec les propositions “distributistes”

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Copenhague

Dés le début, les représentants des pays “du Sud” ont eu beaucoup de mal à avoir la parole. Le 16 décembre, apprenant qu’un mystérieux document circule, le Président de la République Bolivarienne du Venezuela, Hugo CHAVEZ Frías y est parvenu. Édifiant tant par sa simplicité que par sa vivacité, son discours n’a pas eu l’honneur des grands médias, alors qu’il témoigne de la pauvreté des peuples déshérités et de leur détermination à dénoncer la source de leur détresse. Voici des extraits de sa traduction officielle :

« Nous vivons une dictature impériale… »

par H. CHAVEZ
31 janvier 2010

…Permettez-moi un commentaire initial qu’il faut prendre comme faisant parti des points préalablement soulevés par les délégations du Brésil, de la Chine, de l’Inde, et de la Bolivie : nous demandions la parole, mais nous n’avons pas pu l’avoir. La représentante de la Bolivie a dit, (j’ai pris note) : « Le texte présenté n’est pas démocratique, il n’est pas “inclusif” ». J’arrivais à peine quand j’ai entendu la Ministre qui présidait la séance précédente dire qu’il y avait là un document que personne ne connaît. J’ai demandé ce document, et nous ne l’avons pas encore. Je crois que personne ne sait rien de ce document, il est “top secret”. Alors, Mesdames et Messieurs, est-ce que nous sommes dans un monde démocratique ? Est-ce que le système mondial est “inclusif” ? Pouvons-nous attendre quelque chose de démocratique, “d’inclusif” du système mondial actuel ? Ce que nous vivons sur cette planète est une dictature impériale, que nous ne cessons pas de dénoncer. À bas la dictature impériale et que vivent les peuples, la démocratie et l’égalité sur cette planète ! (Applaudissements).

Ce que nous voyons ici est le reflet de cette dictature : l’exclusion. Il y a un groupe de pays qui se croient supérieurs à nous, ceux du Sud, à nous le Tiers Monde, à nous les sous-développés, ou comme dit mon grand ami Eduardo Galeano, à nous les pays écrasés comme par un train qui nous aurait roulé dessus au cours de l’Histoire.

Là, dehors, il y a beaucoup de gens. Le savez-vous ? Il est évident qu’ils ne tiendraient pas dans ce salon. Mais j’ai lu dans la presse qu’il y a eu de nombreuses arrestations et des détentions, d’intenses protestations dans les rues de Copenhague. Je veux saluer tous ces gens, la plupart d’entre eux sont des jeunes, qui sont là, dehors (Applaudissements). Certes, ces jeunes gens sont, je crois, beaucoup plus préoccupés que nous, et à juste raison, par l’avenir du monde… On pourrait dire, paraphrasant Marx, « Monsieur le Président un fantôme parcourt Copenhague »… Je crois que ce fantôme marche en silence dans cette salle, il passe entre nous, prend les couloirs, sort par dessous, remonte. Ce fantôme est si épouvantable que presque personne ne veut le nommer. Ce fantôme, c’est le capitalisme ! (Applaudissements). Presque personne ne veut prononcer son nom…

Les peuples rugissent, là, dehors. Seront-ils entendus ? Des slogans sont peints dans les rues, je les ai lus, et il y en a deux que j’ai notés, deux slogans puissants parmi d’autres. L’un est : « Ne changez pas le climat, changez le système » (Applaudissements). Je prends cette phrase pour nous : ne changeons pas le climat, mais changeons le système et alors nous commencerons à sauver la planète. Car le capitalisme, ce modèle de développement destructeur est en train d’en finir avec la vie, il menace d’en finir avec l’espèce humaine. L’autre slogan pousse également à la réflexion, il est très en phase avec la crise bancaire qui a secoué le monde et qui le frappe encore par la manière dont les pays riches du Nord ont aidé les grandes banques..., bon, j’ai perdu le chiffre, mais c’est astronomique. Ils disent dans les rues : « Si le climat était une banque, ils l’auraient déjà sauvé ». Et je crois que c’est vrai ! (Applaudissements).

Je crois qu’Obama n’est pas arrivé. Il a reçu le Prix Nobel de la Paix presque le jour même où il envoyait encore 30.000 soldats pour tuer des innocents en Afghanistan ! …Les États-Unis ont la petite machine pour faire des dollars et ils ont sauvé..., bon, ils croient avoir sauvé, … les banques et le système capitaliste. Bien, je ferme la parenthèse…

J’ai eu la curiosité de connaître H.Kempf, auteur du livre Comment les riches détruisent la planète. Il reprend ce que le Christ a dit : « Il sera plus facile de faire passer un chameau dans le chas d’une aiguille, que de faire entrer un riche dans le royaume des cieux » (Applaudissements). Oui, les riches détruisent la planète. Est-ce que cela veut dire qu’ils pensent partir ailleurs quand ils auront détruit ici ? Ont-ils des plans pour partir sur une autre planète ? Kempf dit : « Nous ne pourrons pas réduire la consommation matérielle au niveau mondial si nous ne faisons pas en sorte que les puissants descendent de quelques marches, et si nous ne combattons pas l’inégalité ; il est nécessaire d’avoir en tête le principe de base écologiste, si utile à l’heure de prendre conscience : penser globalement et agir localement ; ajoutons-y le principe qu’impose la situation : moins consommer et mieux distribuer ». Je crois que c’est un bon conseil. Car, Monsieur le Président, le changement climatique est sans doute le problème environnemental le plus dévastateur de ce siècle : inondations, sécheresses, orages violents, ouragans, dégel des glaciers, montée du niveau moyen de la mer, acidification des océans, vagues de chaleur, tout cela accentue l’impact des crises globales qui nous frappent.

L’activité humaine dépasse le seuil de “soutenabilité”, elle met en danger la vie sur la planète ; mais face à cela aussi, nous sommes profondément inégaux, je tiens à le rappeler. Les 500 millions de personnes les plus riches (cinq cents millions !) c’est 7 %, sept pour cent, seven percent, de la population mondiale. Ces 7 %-là sont responsables, ces 500 millions de personnes les plus riches, sont responsables de 50 % des émissions polluantes, tandis que les 50 % les plus pauvres ne sont responsables que de seulement 7 % des émissions polluantes. C’est là-dessus que je veux attirer l’attention.

Il est un peu bizarre de placer les États-Unis et la Chine sur le même plan. Les États-Unis ont environ 300 millions d’habitants ; la Chine en a presque cinq fois plus. Les États-Unis consomment plus de 20 millions de barils de pétrole chaque jour, la Chine arrive à peine à 5 ou 6 millions de barils quotidiens. On ne peut donc pas leur demander la même chose. C’est cela qu’il va falloir discuter, je le crains.

Il faut que nous, les chefs d’États et de gouvernements, il faut que nous arrivions à nous asseoir et discuter vraiment, vraiment, de ces sujets.

*

Monsieur le Président, 60 % des écosystèmes de la planète sont abîmés, 20 % de l’écorce terrestre est dégradée. Nous sommes les témoins impassibles de la déforestation, de la transformation des terres, de la désertification, de l’altération des cours d’eau douce, de la surexploitation des ressources de la mer, de la contamination et de la perte de la diversité biologique. L’utilisation exacerbée de la terre dépasse de 30 % sa capacité de régénération. La planète perd sa capacité de s’autoréguler. Cela, la planète le perd ; chaque jour sont produites plus d’ordures qu’on ne peut en résorber.

La survie de notre espèce martèle la conscience de l’humanité. Mais malgré l’urgence, voilà que deux ans de négociations se sont déjà écoulés avant de conclure une deuxième période de compromis…

Et ce rendez-vous auquel nous assistons se terminera sans accord réel et significatif.

Sur ce texte, qui vient d’on ne sait où, comme l’a souligné le représentant chinois, nous, le Venezuela et les autres pays de l’ALBA, nous disons et nous répétons que nous ne l’acceptons pas, pas plus qu’aucun autre texte ne provenant pas des groupes de travail,… c’est-à-dire de ces textes légitimes qui étaient discutés avec tant d’intensité durant ces dernières années, puis ici depuis des heures… Il ne me semble pas normal que sorte un document « qui vient de nulle part ».

*

L’objectif, scientifiquement soutenable pour la réduction des émissions de gaz polluants, est d’obtenir un accord de coopération à long terme, et, aujourd’hui, à cette heure, et pour l’instant, on dirait bien que cela semble avoir échoué. Pour quelle raison ? Sans aucun doute à cause de l’attitude irresponsable et du manque de volonté politique des nations les plus puissantes de la planète.… Il s’agit bien d’une attitude irresponsable, d’avancées, de reculs, d’exclusion, d’une manière élitiste d’aborder un problème qui se pose à tous et que nous ne pourrons résoudre que tous ensemble. Le conservatisme politique, et l’égoïsme des gros consommateurs des pays les plus riches dénotent une grande insensibilité et un manque de solidarité envers les plus pauvres, les affamés, les plus vulnérables aux maladies et aux catastrophes naturelles.

Un nouvel accord, unique et applicable, est indispensable. Un accord unique, appliqué à des parties absolument inégales, par l’ampleur de leurs contributions et de leurs capacités économiques, financières et technologiques ; et un accord basé sur le strict respect des principes inscrits dans la Convention.

Les pays développés devraient établir des compromis inaliénables, clairs et concrets, pour la diminution substantielle de leurs émissions, et assumer les obligations d’assistance financière et technologique aux pays pauvres pour qu’ils puissent faire face aux dangers résultant du changement climatique. En ce sens, la singularité des États insulaires et des pays les moins développés devrait être pleinement reconnue.

Mais, Monsieur le Président, le changement climatique n’est pas le seul problème qui affecte aujourd’hui l’humanité ; d’autres fouets et d’autres injustices nous guettent, le fossé qui sépare les pays riches et pauvres n’a cessé de s’agrandir, malgré tous les “Objectifs du Millénaire” et malgré le Sommet de Monterrey sur le financement. Comme l’a dit ici le Président du Sénégal, en énonçant une grande vérité, tous ces sommets sont des promesses, des promesses et des promesses inaccomplies, et le monde continue sa marche destructrice . Le total des revenus des 500 individus les plus riches du monde est supérieur au total des revenus des 416 millions des personnes les plus pauvres. 2,8 milliards de personnes vivent dans la pauvreté. Cela représente 40 % de la population globale… Aujourd’hui, c’est environ 9,2 millions d’enfants qui, chaque année, meurent avant d’atteindre leur cinquième année, 99,9% de ces morts vivent dans les pays pauvres, où le taux de mortalité infantile est de 47 morts pour 1.000 naissances, alors qu’il est descendu à 5 pour 1.000 dans les pays riches… S’ajoutent 1.100 millions d’habitants qui n’ont pas accès à l’eau potable ; 2.600 millions sans service d’assainissement ; plus de 800 millions d’analphabètes et 1.020 millions de personnes affamées. Voila la scène du monde.

*

Maintenant, quelle en est la cause ? Ne fuyons pas les responsabilités, parlons de la cause, ne fuyons pas la profondeur de ce problème. La cause de tout ce panorama désastreux, de ce système destructif fondé sur le capital, c’est le capitalisme.

Ici, il y a une citation que je veux, brièvement, vous lire : elle est de ce grand théologien de la Libération, Leonardo Boff… il dit : « Quelle est la cause ? Ah ! la cause, c’est le rêve de chercher le bonheur à travers l’accumulation matérielle et le progrès sans fin, en utilisant pour cela la science et la technique, avec lesquelles toutes les ressources de la Terre peuvent être exploités sans bornes », et il cite Darwin et sa sélection naturelle, la survie des plus forts… ils survivent sur les cendres des plus faibles.

Jean-Jacques Rousseau… disait : « Entre le fort et le faible, la liberté oppresse ». C’est pour cela que l’empire parle de liberté, c’est la liberté pour oppresser, pour envahir, pour assassiner, pour anéantir, pour exploser, c’est sa liberté. Et Rousseau ajoute cette phrase salvatrice : « Seule la loi libère ». Si plusieurs pays jouent à « ici, pas de document (secret) », c’est précisément parce qu’ils ne veulent pas de loi, ils ne veulent pas de norme, parce que l’absence de norme leur permet de jouer leur liberté exploitante, leur liberté irrésistible. Faisons un effort, pressons-nous, pour que sorte d’ici un compromis, que l’on sorte un document qui engage les pays les plus puissants de la Terre ! (Applaudissements).

Président, je vous demande : Leonardo Boff, le connaissez-vous ? Je l’ai rencontré il y a peu, au Paraguay, et je l’ai beaucoup lu. Il pose cette question : « Une Terre finie peut-elle supporter un projet infini ? » Or la thèse du capitalisme, c’est un développement infini, c’est un modèle destructif. Boff demande qu’est-ce que nous pourrions attendre de Copenhague ?— À peine cette simple confession : tels que nous sommes, nous ne pouvons pas continuer. Alors, allons-nous changer de direction ? Faisons-le, mais sans cynisme, sans mensonges, sans doubles calendriers, et sans ces documents "venus de nulle part".

Jusqu’à quand, nous demandons-nous depuis le Venezuela… allons-nous permettre de telles injustices et inégalités ? Jusqu’à quand allons-nous tolérer l’actuel ordre économique international et ces mécanismes de marché ? Jusqu’à quand allons-nous permettre que de grandes épidémies comme le Sida frappe des populations entières ? …Jusqu’à quand allons-nous permettre que des millions d’enfants continuent de mourir de maladies guérissables ? Jusqu’à quand allons-nous permettre des conflits armés qui massacrent des millions d’êtres humains innocents, pour s’approprier le pouvoir sur les ressources d’autres peuples ? Nous, les villages du monde, nous demandons aux empires, à ceux qui veulent continuer à dominer le monde et nous exploiter : « Arrêtez les agressions et les guerres ! » Plus de bases militaires impériales… ! Construisons un ordre économique et social plus juste et équitable. Éradiquons la pauvreté. Arrêtons tout de suite les hauts niveaux d’émission, freinons la dégradation de l’environnement et évitons la grande catastrophe du changement climatique. Intégrons-nous dans le noble objectif d’être tous plus solidaires !

Monsieur le Président, il y a presque deux siècles, un vénézuélien universel, libérateur de nations et précurseur de consciences, a laissé pour la postérité un apophtegme empli de volonté : « Si la nature s’oppose, nous lutterons contre elle et nous ferons qu’elle nous obéisse ». C’était Simón Bolívar… Si la nature destructice du capitalisme s’oppose, nous lutterons contre lui et nous ferons qu’il nous obéisse, nous n’attendrons pas, les bras croisés, la mort de l’humanité. L’histoire nous appelle à l’union et à la lutte. Si le capitalisme résiste, nous sommes obligés d’engager la bataille contre le capitalisme et à ouvrir les chemins du salut de l’espèce humaine…

Cette planète a des milliers de millions d’années, et elle les a vécus sans nous, l’espèce humaine ; elle n’a donc pas besoin de nous pour exister. Mais nous, sans la Terre, si nous cassons la Pachamama, comme dit Evo, comme disent nos frères aborigènes de l’Amérique du Sud, nous ne pouvons pas vivre.

Finalement, monsieur le Président, écoutons Fidel Castro quand il dit : « Une espèce est en danger d’extinction : l’homme ». Écoutons Rosa Luxemburg qui disait c’est « le socialisme ou la barbarie ». Écoutons enfin le Christ Rédempteur : « Bienheureux les pauvres, parce que le royaume des cieux sera pour eux ».

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, soyons capables de faire que cette Terre ne soit pas la tombe de l’humanité, mais qu’elle soit un ciel, un ciel de vie, de paix et de fraternité pour l’espèce humaine.

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Hopenhague

968 personnes arrêtées à Copenhague le 12 décembre, 300 le lendemain…

Naomi Klein, canadienne, auteure en 2000 de No Logo et en 2008 de La stratégie du choc, répondait au sujet de ces interventions policières aux questions du journaliste Frank Dubois :

Arrestations massives

par F. DUBOIS
31 janvier 2010

Frank Dubois : Que pensez-vous de la façon dont la police danoise a traité les manifestants ?

Naomi Klein : Ce que nous avons vu samedi était horrible. C’était une manifestation incroyablement dénuée de violence. Je me trouvais dans la partie la plus remuante et il n’y a absolument pas eu de heurts. Quelques vitres ont bien cédé, mais je puis vous assurer que les organisateurs de la manifestation se sont eux-mêmes employés à résoudre ce problème. Ils ont tout de suite fait comprendre clairement qu’il n’y avait pas de place pour la violence et ils ont demandé aux manifestants impliqués de quitter la marche, ce qu’ils ont fait. Les gens qui ont été arrêtés n’étaient pas les auteurs de ces actes. Appeler cela des bagarres n’est pas loyal. Près d’un millier de personnes arrêtées, c’est absolument disproportionné. Et ces personnes ont été obligées de s’asseoir à même le sol glacial, poignets et chevilles menottés. Elles ont été humiliées. C’est vraiment une affaire regrettable, car bien des gens venus à Copenhague avaient une image très positive de la ville. Nous n‘en garderons pas un bon souvenir, en raison de sa police antiémeute. …Évidemment, c’est leur ville, mais ce sommet intéresse le monde entier. Il s’agit de notre avenir et tout le monde a le droit de se faire entendre.

Quand Copenhague a décidé d’accueillir ce sommet, cette ville a également assumé la responsabilité de faire en sorte que la voix de chacun soit entendue et que chacun puisse être traité avec humanité et respect.

Jusqu’à présent, ce n’a pas été le cas…

Un effort énorme a été consenti afin de fixer “Hopenhagen” (Hope = espoir en anglais) en tant qu’image de marque. Et de grandes entreprises comme Siemens et Coca-Cola essaient aussi d’associer leur marque au sommet. Mais il en résulte qu’il n’y a pas de place pour la critique. Celui qui critique disparaît aussitôt de l’image.

Et voici donc le message que j’adresse à la police danoise et à l’État danois : c’est votre ville, en effet, et nous respectons tout ce que vous avez fait pour devenir “ verts” et nous aimons vos vélos et vos éoliennes, mais c’est de notre monde qu’il s’agit, et tout le monde a le droit de faire savoir ce qu’il pense.

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Copenhague

Répressions policières à l’extérieur, autres mauvaises méthodes à l’intérieur. Alors Hugo Chavez tient un second discours pendant la séance de clôture :

Pourquoi nous partons

par H. CHAVEZ
31 janvier 2010

Obama est venu, il a parlé et il est sorti par la petite porte. Par cette petite porte, une porte cachée par là-bas, qui s’utilise, j’imagine, pour le service… C’est par là qu’il est parti, par la porte de derrière. C’est l’empire, l’empire qui arrive à minuit, dans l’obscurité, et dans le dos de la majorité. De manière antidémocratique, un document a été concocté, un document que nous n’acceptons pas, que nous n’accepterons jamais…

Hier soir, nous nous réunissions ici, dans un gymnase, avec les milliers de mouvements qui luttent pour la justice sociale, qui ont manifesté, dans les rues, sous la neige, avec des pancartes… Nous étions contents que soient réunis à Copenhague des compatriotes de l’Amérique Latine et des Caraïbes avec des gens de tous les pays.

Mais en apprenant qu’il y avait plusieurs réunions, nous avons été très inquiets. Un petit groupe rassemblait seulement les amis de la Présidence de la Conférence. Alors que nous, nous sommes amis de tous, ils ne nous ont invités à participer à rien, ils ne nous ont même pas consultés pour entendre notre opinion. C’est pourquoi nous voulons dire fermement que tous les pays sont égaux. Pour nous, les Présidents, les chefs d’État et de gouvernement sont tous au même niveau, il n’y a pas des premiers Présidents et des Présidents de seconde zone, comme il n’y a pas des peuples de première classe et des peuples de seconde classe. Tous nous sommes égaux, nous tenons à bien le faire comprendre ici. Et je ne parle pas seulement au nom du Venezuela, j’ai été autorisé par les représentants des pays de l’Alliance Bolivarienne, c’est-à-dire par les gouvernements et les peuples de la Bolivie, de Cuba, de l’Équateur, du Nicaragua, des Caraïbes, des pays de la Dominique, de San Vicente, des habitants de Grenade, d’Antigua-et-Barbade et du Venezuela.

La façon d’agir au Sommet de Copenhague était opaque. Il a circulé de multiples versions de document final, toutes aussi peu transparentes. Il faut que ceci soit dénoncé. De sorte que si nous contestons le document final, c’est d’abord parce que nous ne le connaissons pas. Or nous estimons qu’aucun type de fraude ne doit être tenté, parce que ce serait une tromperie envers les peuples du monde. Si quelque chose doit s’implanter, être adopté dans le monde entier, c’est la confiance entre nous. Que certains se croient supérieurs à nous les indiens du sud, à nous les noirs africains indigènes, à nous les peuples du sud, ça suffit, car nous sommes tous égaux.

Nous partons donc, mais en laissant une protestation : il y a violation des procédés des Nations Unies. Le Protocole de Kyoto, Lula l’a déjà dit, ne peut pas être déclaré mort ou éteint, comme le prétendent les États-Unis c’est pourquoi Evo a dit une grande vérité : si Obama, le Prix Nobel de la guerre, a dit ici même qu’il est venu pour agir. Eh bien, démontrez-le Monsieur, ne partez pas par la porte de derrière, faites tout ce qu’il y a à faire pour que les États-Unis adhèrent au Protocole de Kyoto, et nous allons respecter Kyoto, et promouvoir Kyoto, et répondre au monde de manière transparente.

…Nous le disions hier soir, Copenhague ne finit pas aujourd’hui. Copenhague a ouvert les portes pour que nous continuions de mener un grand débat mondial pour savoir comment sauver la Planète, comment sauver la vie sur la Planète. Copenhague n’est pas une fin, Copenhague est un commencement pour que nous obtenions les accords qu’il faut obtenir…

Éric Laurent connait bien et depuis longtemps l’administration américaine.

Ses ouvrages sur le clan Bush étaient remarquables. Celui qu’il vient de publier l’est autant : il montre le milieu bancaire américain et son rôle, non seulement dans la gestion des États-Unis, mais aussi dans la formation et la promotion d’Obama.

À lire si on veut comprendre et ne pas se faire trop d’illusions…

M-L D.

Ce qu’Obama a dit est vraiment ridicule, car les États-Unis possèdent la machine à fabriquer des dollars, ils ont fourni, je crois, 700 mille milliards de dollars pour sauver les banques. C’est donc avec raison qu’ils disent, dans les rues, que si le climat était une banque, ils l’auraient déjà sauvé. Alors, quand Obama vient dire qu’il va apporter 10 milliards de dollars par an, c’est dérisoire…c’est une plaisanterie : la dépense militaire des États-Unis est de 700 milliards de dollars par an. En diminuant leur dépense militaire de seulement la moitié on voit ce qu’ils pourraient faire. Mais les États-Unis sont les plus grands émetteurs et les plus grands pollueurs…Les États-Unis et ses alliés, ce sont là les grand coupables. Ils devraient l’assumer avec dignité… Obama restera dans l’histoire comme l’une des plus grandes frustrations, pour beaucoup de gens qui ont cru en lui, aux États-Unis et dans d’autres parties du monde.

Mais ce qui importe, ce qui est le plus important, c’est que les peuples du monde et les gouvernements dignes, qui sont la majorité, nous nous mettions d’accord pour impulser de vraies solutions.

Nous ne sommes pas venus ici pour demander l’aumône, nous venions, dans des conditions d’égalité, apporter de modestes idées pour trouver des solutions. Que personne ne l’oublie, que personne ne l’oublie, la faute est au capitalisme. Et il faut attaquer les causes… Le débat est éminemment politique, éminemment moral, éminemment nécessaire, absolument nécessaire car le capitalisme est le chemin vers la destruction de la Planète.

Madame la Présidente, nous voulons que ce soit clair : nous partons parce que nous ne pouvons pas espérer plus longtemps. Nous partons, mais les pays de l’ALBA font clairement comprendre que nous contestons, dès à présent, tout document qu’Obama ferait passer sous la porte, qui sortirait de nulle part, en essayant de présenter cela comme une solution salvatrice, comme disaient hier certains d’entre vous.

Nous partons tout simplement en sachant qu’un accord n’a pas été possible ici à Copenhague, et que s’il n’a pas été possible c’est parce qu’il y a un manque de volonté politique des pays les plus développés de la Terre… et c’est une vraie honte, c’est l’égoïsme des plus responsables, surtout pour les raisons déraisonnables de production et de consommation de son capitalisme hyperdéveloppé.

Ayons la foi qu’un travail intense ne sera pas perdu, que c’est un apport. Nous partons plus conscients du problème et plus engagés à créer une conscience chez nos peuples au sujet du climat et du déséquilibre environnemental.

Maintenant, comme l’a dit Fidel [Castro], c’est une clôture sans gloire qui va arriver. Je ne veux pas dire que ce sera avec de la peine, non, la clôture de cet après-midi, c’est une clôture qui laisse la porte ouverte à un espoir, l’espoir que nous réussirons à prendre des décisions pour sauver l’humanité, et que nous ne les obtiendrons qu’en laissant de côté les intérêts égoïstes.

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Et après Copenhague … ??

Refusant le débat nécessaire, face aux catastrophes climatiques annoncées, les “grands” de ce monde n’ont donc pas assumé leurs responsabilités, ils ont reculé devant l’idée de devoir prendre quelque mesure contraignante. Or il y a d’autres problèmes dont ils devraient également débattre ensemble. Quand les énergies fossiles seront épuisées, de même que la plupart des gisements de métaux que nous avons pris l’habitude d’exploiter sans scrupule, comment produira-t-on et qu’en résultera-t-il pour nos modes de vie ? C’est à ces questions essentielles qu’il faut sans doute commencer à penser, surtout si cette réflexion amène à conclure qu’il est des économies à entreprendre dès aujourd’hui. Jacques HAMON a le courage d’inciter à y réfléchir dans un texte dont nous extrayons l’essentiel et qui s’appuie sur 41 références que, faute de place ici, nous publions sur notre site Internet (Ouvrir l’article...).

Comment produira-t-on dans un siècle ?

par J. HAMON
31 janvier 2010

La population mondiale s’est accrue très lentement pendant les 1500 premières années de l’ère chrétienne, à peine plus vite pendant les 250 années suivantes, puis de façon vertigineuse, passant de moins d’un milliard en 1750 à près de sept milliards aujourd’hui.

Certes, la médecine et l’hygiène ont fait des progrès à partir du 18ème siècle, mais il semble que ce soit l’amélioration générale des conditions de vie découlant de la disponibilité des énergies fossiles carbonées qui, à elle seule, puisse expliquer cette brusque croissance démographique.

L’utilisation du charbon, du pétrole, puis du gaz naturel, à des coûts dérisoires, a mis à la disposition de l’homme non seulement de l’énergie, équivalant, en moyenne, à celle de plusieurs dizaines d’esclaves par terrien, des transports terrestres, maritimes et aériens presque gratuits, mais aussi l’énorme potentiel de la pétrochimie : engrais, médicaments, pesticides, plastiques, etc. Lorsque ces esclaves carbonés fossiles ne seront plus là, chaque être humain devra travailler beaucoup plus pour produire beaucoup moins.

Si un milliard d’êtres humains souffrent de malnutrition, la cause ne peut pas en être attribuée à l’impossibilité de produire, car le rendement des cultures vivrières s’est considérablement accru. Par exemple, celui du blé tendre atteint maintenant 8 tonnes à l’hectare par an, en France, contre une tonne il y a un siècle. Celui du riz approche les 30 tonnes à l’hectare, contre 2 au plus autrefois, dans les cultures d’Asie les mieux menées. Une catastrophe comme la famine irlandaise causée par le mildiou de la pomme de terre au 19éme siècle, avec ses trois millions de morts et d’émigrés, parait désormais inconcevable.

CE QUI VA CHANGER

Or cette situation pourrait être remise en cause par la disparition des pesticides et des engrais de synthèse, associée à celle des énergies fossiles carbonées. Et l’utilisation massive de ces dernières ne saurait durer plus d’un siècle ou deux, du fait, d’une part, de leur caractère non renouvelable et de l’épuisement des gisements, et, d’autre part, parce qu’elle émet des gaz à effet de serre dont l’accumulation menace de perturber dangereusement le climat terrestre. La situation pourrait même être aggravée par l’évolution du permafrost arctique. Les autorités nationales s’agitent beaucoup, parlent encore plus, mais, pour l’instant, n’ont pas réussi à réduire massivement ni les émissions indues de gaz à effet de serre, ni le gaspillage insensé des énergies fossiles carbonées.

Des substituts à ces dernières ont été proposés : piles à combustible à catalyseur platine pour les véhicules, accumulateurs au lithium pour moteurs électriques, et, pour la production d’électricité, des panneaux photovoltaïques exigeant de l’indium ou du gallium, en négligeant toutefois quelques contraintes géologiques. Mais, au niveau actuel de leurs consommations, les réserves escomptées de platine, de gallium et d’indium seront épuisées dans quelques décennies. Le lithium devrait être accessible plus longtemps, de même que les réserves économiquement exploitables d’uranium 235 (utilisé dans les centrales EPR), qui sont de l’ordre du siècle. Par comparaison notons que celles d’uranium 238 (pour les centrales de quatrième génération) sont de l’ordre de plusieurs millénaires.

La disparition des énergies fossiles carbonées ne peut plus être ignorée, mais elle n’est pas pour demain. Par contre, on ne semble pas voir que les réserves exploitables de quelques métaux essentiels, comme l’argent, l’étain, le cuivre, le nickel, le plomb et le zinc, ne correspondent que d’une à quatre décennies d’utilisation. Ni que les réserves de métaux qui nous sont aussi familiers que l’aluminium et le fer ne garantissent guère plus d’un siècle de disponibilité. Il en résulte que notre futur, à moyen et long terme, ne ressemblera pas à notre présent.

CONTRAINTES POUR L’ENVIRONNEMENT

Si l’agriculture moderne assure des rendements élevés, c’est à un coût notable pour l’environnement, dû aux contaminations chimiques et à la réduction de la biodiversité microbiologique des sols.

En France, passer à une agriculture plus respectueuse de l’environnement pourrait, dans certaines conditions, améliorer le revenu à l’hectare des exploitants, tout en augmentant les besoins en travailleurs agricoles. Cette approche, qui associe prairies naturelles, élevage bovin et cultures, avec un minimum d’intrants, en incluant des assolements de légumineuses, pourrait être généralisée dans toutes les anciennes zones de bocage, mais sous réserve d’accepter les pertes résultant des aléas climatiques. Mais ailleurs, que faire ? Politiquement, l’agriculture biologique a le vent en poupe. Elle a l’avantage de n’utiliser aucun intrant de synthèse et l’inconvénient de nécessiter des agriculteurs très expérimentés, et beaucoup plus d’ouvriers agricoles. Certains croient que l’agriculture biologique pourrait facilement assurer la subsistance présente et future de la population mondiale. Pour l’instant, en France, avec 2 % des surfaces cultivées, cette agriculture est protégée des parasites et des pathogènes par les 98 % de cultures conventionnelles. Dans le cas des céréales, le passage durable à l’agriculture biologique parait entraîner une perte moyenne de rendement de plus de 50 %. Ce qu’il en pourrait être des autres cultures reste à établir, mais une étude récente suggère que, du fait d’une productivité plus faible, les produits bio sont 72 % plus chers que les produits conventionnels. Et trouvera-t-on les millions d’ouvriers agricoles nécessaires pour remplacer les équipements à moteur thermique et les herbicides ?

Sauf mise en œuvre massive (technologiquement improbable) des énergies renouvelables, la disparition des énergies fossiles carbonées impliquera le retour à la traction animale ou le passage à des engins agricoles utilisant des agro-carburants ; dans un cas comme dans l’autre, 20 à 30 % des surfaces agricoles utiles devront y être consacrées et le remplacement des machines et des herbicides par la sarclage à la main ou attelé. L’irrigation et l’arrosage des cultures devront probablement être limités et les rendements moyens diminueront. Actuellement un tiers de la population mondiale n’a pas accès à de l’eau potable, ou en manque et ne bénéficie pas d’un traitement des eaux usées et autres déchets. Cette situation dramatique sera aggravée, avec, chaque année, des dizaines de millions de morts prématurées qu’un accès à l’énergie aurait pu permettre d’éviter.

La dérive climatique et la montée du niveau des mers affecteront négativement la production agricole de nombreux pays, dont la France et les principaux producteurs de céréales, induisant des migrations de survie auxquelles l’accueil ne pourra pas être refusé.

CHANGEMENTS DANS LES MODES DE VIE

De grands efforts ont été entrepris, depuis une vingtaine d’années, pour substituer une chimie verte à la pétrochimie, avec pour l’instant des résultats bien modestes. Sauf percées spectaculaires, il faudra utiliser le chanvre, la laine, le lin, la soie, le soja et le cuir pour habiller et chausser les Français. La cuisson des aliments et le chauffage reposeront sur le bois et, marginalement, sur l’éthanol, dont la production occupera une partie des sols exploitables. D’anciennes professions retrouveront leur importance, mais la transition sera lente, l’expertise ayant disparu de France. Les pays d’Afrique et d’Asie tropicales devraient pouvoir nous venir en aide, leurs artisans n’ayant pas perdu la main.

Les connaissances accumulées au cours des siècles passées ne seront pas perdues, mais leur mise en œuvre pourrait être rendue difficile, voire impossible, dans un contexte énergétique de parcimonie aggravé par la raréfaction des métaux essentiels. Aurons-nous les moyens de construire des alternateurs pour exploiter les barrages hydrauliques et les aérogénérateurs modernes et des panneaux photovoltaïques pour obtenir de l’électricité, ou serons-nous obligés de revenir aux anciens moulins, à vent ou au fil de l’eau, pour moudre les grains, presser les oléagineux, scier les grumes, actionner les soufflets des forges, etc... Devrons-nous nous éclairer à la bougie et à la lampe à huile ? En absence d’une électricité abondante et fiable, nous n’aurons ni chaînes de froid, ni Internet. Les lignes ferroviaires d’Afrique orientale ont longtemps fonctionné au bois, mais elles avaient des rails. Conserverons-nous la possibilité de produire des rails ? Ou bien nos transports terrestres à longue distance seront-ils basés sur des caravanes de charrettes et de mulets - ou de chameaux plus au sud ? Les transports maritimes devront-ils être confiés aux bateaux à voiles et aux galères ?

Il est peu probable que les grandes agglomérations urbaines restent viables, surtout si l’eau doit être tirée du puits avec un seau, puis transportée dans des outres ou des tonnelets, et les déchets évacués d’une façon similaire. Une autre occupation des sols s’imposera, avec un réseau de petites unités urbaines de services et leurs périphéries rurales, vivant en semi-autarcie, ou des régions presque indépendantes autour des restes d’une ville moyenne… Passer, sans conflits violents, de nos modes de vie et densités humaines actuels à ceux de “l’après énergies fossiles carbonées” ne parait possible qu’en plusieurs siècles. Il faudrait faciliter cette transition en réduisant drastiquement nos consommations énergétiques, en remplaçant le plus possible la machine par l’homme, en préparant la nouvelle occupation de l’espace et en économisant les énergies fossiles carbonées pour faire durer leur utilisation dans les domaines essentiels en attendant les progrès de la chimie verte et des inévitables biotechnologies associées.

Nous n’avons le choix qu’entre … un retour à un mode de vie socialement riche mais matériellement modeste, ou la barbarie des guerres mondiales, régionales et locales. La baisse du niveau de vie ne pourra pas être partout du même ordre de grandeur… La France métropolitaine aura peu à offrir, et beaucoup à souffrir. Elle ne figure pas parmi les pays pouvant espérer, par égoïsme, disposer des dernières traces de charbon, de gaz naturel ou de pétrole. Elle ne dispose pas de gisements de métaux essentiels ou rares. Sa surface agricole pour nourrir, vêtir et chausser ses habitants est actuellement de l’ordre de 0,4 hectare en moyenne par personne, ce qui n’est pas beaucoup. Mais elle a aussi en moyenne un quart d’hectare de surface forestière pour produire des bois de construction et de chauffage (si les feux de forêt facilités par la dérive climatique ne nous en privent pas) et de nombreux cours d’eau exploitables mécaniquement, si les alternateurs font défaut.

Certains pensent que les progrès technologiques associés à une re-socialisation de nos modes de vie devraient permettre de créer un monde durable, largement immatériel, sauf en matière de gestion des sols et de l’eau. Cette option, fort intéressante, me paraissant peu crédible, je crois l’issue précédemment décrite probable, mais pas inéluctable. Pour l’éviter il faut réduire rapidement la consommation des énergies fossiles carbonées pour laisser en terre l’essentiel de leurs gisements, dont une minime consommation annuelle resterait possible à des fins chimiques. Il faut aussi organiser le recyclage des métaux essentiels et mettre rapidement en œuvre les plus prometteuses des énergies renouvelables …

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