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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 1095 - février 2009

 

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N° 1095 - février 2009

Juste un vœu   (Afficher article seul)

Jean-Paul Alletru, voyant que la situation est loin de s’arranger, invite à être lucide en s’informant… et à se serrer les coudes.

L’économie distributive au cœur des réponses à la crise   (Afficher article seul)

Guy Evrard, qui vient de découvrir l’économie distributive, trouve dans ses fondements de quoi répondre aux crises actuelles.

Lucien Gosset   (Afficher article seul)

La critique sociale en question   (Afficher article seul)

Christian Aubin, constatant que les mentalités ont cessé d’évoluer, cherche quels sont les mécanismes qui les freine.

Les lobbies contre la démocratie   (Afficher article seul)

Bernard Blavette rappelle que l’intervention des lobbies consiste à défendre des intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général et il décrit certains d’entre eux, leur histoire.

La place de l’Amazonie au FSM 2009   (Afficher article seul)

Du forum social mondial qui se tient à Belem, Marilza de Melo Foucher témoigne que beaucoup d’associations indiennes ont réussi à inventer et pratiquer une conception nouvelle de la démocratie, qui amène à repenser ce qu’est “la richesse”.

À Thouars, les citoyens s’organisent   (Afficher article seul)

Un débat, organisé par un groupe de citoyens entreprenants, incite à un certain optimisme.

Décryptages   (Afficher article seul)

Pour essayer de voir clair dans les informations diffusées par la grande presse.

Témoignage   (Afficher article seul)

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Juste un vœu

par J.-P. ALLETRU
28 février 2009

Avec le réchauffement climatique, l’humanité est mal partie. L’Europe, qui pourtant se targue de jouer en ce domaine un rôle d’avant-garde, n’a adopté, en fait, que des mesures de faux-semblant (c’est finalement un objectif minuscule de 4 % de réduction des émissions qu’elle s’assigne sur son territoire d’ici 2020… grâce au tour de passe-passe de la compensation carbone dans les pays du Sud ; et aucune sanction n’est prévue pour inciter les gouvernements à respecter leurs engagements). Que reste-t-il du Grenelle de l’environnement ? Pfutt !!! Des bonnes paroles, démenties par les faits. « La relance économique qu’on nous a concoctée est basée sur ce qui a fonctionné au XXème siècle, avec force vente de voitures et kilomètres d’autoroutes, une pincée d’immobilier en banlieue étalée, et en nommant même un ministre [P. Devedjian] pour faire le contraire de ce que devrait normalement faire J.-L. Borloo », résume Jean-Marc Jancovici. Nous sommes loin de nous préparer effectivement à vivre sans les énergies fossiles…

Le réveil n’en sera que plus douloureux.

Le monde riche est au milieu de la crise la plus grave depuis la grande dépression de 1929. L’Amérique s’enfonce dans le chômage de masse (524.000 emplois en moins en décembre !). La mobilité parfaite du capital financier crée une concurrence planétaire non seulement entre entreprises multinationales, mais aussi entre États, entre leurs systèmes sociaux et fiscaux et entre les travailleurs de tous les pays du monde. Les agricultures locales sont déstabilisées par les variations erratiques des prix. Les délocalisations désertifient des régions entières. Les savoir-faire disparaissent.

Il faudrait tirer les enseignements de cette débâcle, sortir de l’économie-casino, reconstruire, sous l’égide des Nations-Unies, un nouveau système économique et financier, qui mette, sous contrôle démocratique, la finance au service de la justice sociale, de la stabilité économique et du développement durable. Au lieu de quoi on s’apprête, ça et là, à mettre des rustines, pour faire redémarrer le système tel quel, en attendant la crise suivante. C’est ainsi qu’en France, Sarkozy met, sans aucune contrepartie, 360 milliards d’euros à la disposition des banques, l’État n’en devenant même pas actionnaire !

La démocratie est loin de s’être imposée dans de trop nombreux pays, à commencer par la Chine et la Russie. Le conflit israëlo-palestinien, très déséquilibré en faveur d’Israël (qui bénéficie du soutien quasi-inconditionnel des États-Unis), est un abcès de fixation à partir duquel prolifère, depuis des décennies, tout ce qu’il y a de plus archaïque en matière de religion.

En France, il ne se passe pas de semaine sans que le pouvoir n’annonce un nouveau mauvais coup : les retraites par répartition, l’assurance-maladie, l’assurance-chômage, les services publics, l’école et l’université, le droit du travail, le contrat à durée indéterminé, tout y passe.

Un jour on apprend que le Président de la République nommera désormais le Président de France Télévision. Un autre qu’un charcutage des circonscriptions électorales est concocté. Le lendemain, on annonce la suppression des juges d’instruction (le but étant sans doute que les enquêtes, dans le domaine financier en particulier, échappent aux “petits juges” indépendants, et soient entièrement sous le contrôle du Parquet qui, lui, dépend hiérarchiquement du pouvoir…).

Dans le domaine économique et social le pire est à venir, avec un chômage à la hausse. Le pouvoir en place ne cherche pas à réduire les inégalités, c’est au contraire, la France du fric qui est au pouvoir, insolente, décomplexée et sans scrupule.

Alors, mon vœu pour cette nouvelle année, c’est que nous ne succombions pas au découragement. Ne pas se résigner, mais faire circuler l’information (sachant qui “possède” les grands médias), dévoiler ce que les puissants voudraient cacher et renforcer les solidarités.

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Dans la GR 1092 (novembre 2008), Guy Evrard relevait que certaines formations de la gauche française commençaient à appréhender la crise sociale et la crise écologique comme deux faces de la même crise globale du capitalisme, bousculant des schémas de pensée qui concourraient à l’impasse politique.

En découvrant l’économie distributive, il trouve dans ses fondements les réponses à la crise générale actuelle :

L’économie distributive au cœur des réponses à la crise

par G. ÉVRARD
28 février 2009

Sociologues, économistes et historiens s’accorderont peut-être un jour pour dater la convergence de la crise économique et sociale et de la crise écologique en une crise globale qui secoue fortement notre planète et ses habitants en ce début du 21ème siècle, mais qui a pris racine au cours du 20ème siècle, sinon dès la première révolution industrielle. Après l’alerte du Club de Rome dans les années 1960, critiquant le mode de croissance occidental, puis la conférence des Nations-Unies sur l’environnement à Stockholm en 1972, la commission Brundtland, réunie à partir de 1983 à l’initiative de l’ONU, avance le concept de développement durable dans son rapport publié en 1987, entérinant en quelque sorte la prise de conscience collective, au niveau des états, du drame en train de se nouer.

Personnellement, je retiendrai aussi les observations antérieures d’un grand scientifique, le suédois Zvante Arrhenius, prix Nobel de chimie en 1903. Dès 1904, il anticipe quantitativement le réchauffement climatique à venir dû au CO2 qui résulte de la combustion des hydrocarbures fossiles accompagnant le développement industriel. En 1922, au cours d’une conférence en français à la Sorbonne, il fait part de sa préoccupation au sujet de la pérennité des ressources, dont il pressent qu’elle va sceller le destin de l’homme : « Nous ne devons pas léguer à nos enfants un héritage de moindre valeur que celui que nous avons reçu […] Si la houille, ou en général les combustibles fossiles, dans lesquels l’énergie solaire des temps passés est en partie emmagasinée, faisaient défaut, la plupart des machines de l’industrie seraient arrêtées et nos moyens de communication seraient extraordinairement réduits […] Les combustibles fossiles seront-ils consommés dans quelques milliers d’années ? Si cela était le cas, trouverons-nous quelque compensation qui pourrait sauver notre civilisation ? […]Le développement explosif de l’industrie […] n’est pas limité à l’usage du charbon, mais il s’étend aux différentes autres matières premières [1] ». Visionnaire, Arrhenius sous-estimait pourtant notre fringale de matières premières.

La crise financière de l’année 2008, sur laquelle ont focalisé les dirigeants politiques occidentaux, relayés par les médias de la pensée unique, pour tenter de nous faire oublier le reste, fut et demeure certes bien réelle. Mais elle ne représente que la partie émergée d’un monstre enfanté par le système capitaliste qui régit le monde depuis des décennies, deux siècles ou plus [2]. Pointer la responsabilité du système financier c’est, pour le libéralisme, faire en quelque sorte la part du feu, pour tenter de sauver l’essentiel, le pouvoir économique devant le pouvoir politique. De même, le plébiscite européen en faveur de Barack Obama vise à redonner fort opportunément une image plus sympathique du libéralisme. Sans nier pour autant l’urgence à oublier l’ère Bush.

Dans l’article de la GR 1092 Crise sociale et crise écologique : une convergence historique, nous avons vu que la reconnaissance d’une crise globale ouvrait des perspectives pour un nouveau projet politique, bousculant des modes de pensée trop étroits, dont la stérilité devenait préoccupante et risquait de susciter la résignation devant une construction du monde injuste et suicidaire. L’analyse libérale de la crise tente d’étouffer ces perspectives qu’il faut justement faire grandir.

Dans cette période, sans doute historique, où le capitalisme se révèle pour ce qu’il est, prédateur et dévastateur, aux yeux du monde, un monde qui réfléchit parfois avec sincérité à de nouvelles pratiques, il est en effet opportun de nourrir la réflexion en redécouvrant les principes et les mécanismes de l’économie distributive et montrer que celle-ci peut être au cœur de propositions face à la crise.

La crise d’une fuite en avant

La notion de croissance comme mécanisme générateur d’intérêts sur les prêts financiers, à la base du développement du capitalisme financier, seul capable aujourd’hui de satisfaire les appétits des investisseurs, conduit inévitablement à la catastrophe sur une planète aux contours inextensibles. Lorsque tout aura été transformé en marchandises, des matières premières à l’eau douce, puis à l’air que nous respirons et jusqu’au génome humain, que restera-t-il en effet du bonheur de la vie sur terre ?

Comment faire comprendre que la croissance n’a aucun sens en elle-même, qui suppose toujours de créer de nouveaux besoins, ouvrir de nouveaux domaines à la marchandisation, organiser la rareté pour que les marchandises aient un prix dans cette logique de marché ? Comment accepter que des productions localement surabondantes soient détruites alors que des peuples continuent de mourir de faim dans le monde ? Depuis le café brûlé dans les locomotives au Brésil lors de la crise de 1929 et jusqu’aux fruits de l’agriculture intensive européenne de nos jours ?

Si la population a pu relativement s’enrichir en vendant sa force de travail lors de l’explosion du salariat, les progrès des techniques ont substitué peu à peu le travail des machines à celui des hommes et la part des salaires dans les coûts de production va en diminuant, jusqu’à ne plus pouvoir fournir de quoi vivre à toute la population. Aujourd’hui, la pauvreté et les inégalités sociales grandissent en même temps que le PIB. On voit bien que ce dernier ne saurait être une mesure du bien-être, même avec des aménagements.

Le système génère ainsi ses propres contradictions dans sa course à l’accroissement du capital. élargir la marchandisation, c’est aggraver le pillage des ressources naturelles, des services publics et des biens culturels. Augmenter les revenus du capital en réduisant la part salariale dans les coûts de production signifie moins de salariés, moins bien payés ; mais c’est aussi réduire la capacité de consommation et donc freiner le développement du marché. Et c’est la crise ! Il faut alors favoriser l’accès au marché, via le crédit, d’une population globalement de moins en moins solvable et encourager son accroissement, sur une planète dont on mesure aujourd’hui les limites.

À l’évidence, nous sommes embarqués sur une machine folle, propulsée non pas vers l’avenir, mais vers l’accident final.

Faudra-t-il une nouvelle destruction massive des richesses et de la main d’œuvre comme lors de la seconde guerre mondiale pour relancer la vie économique ?

Peut-on croire aujourd’hui que de simples mécanismes de régulation suffiront à retrouver des équilibres durables alors que la logique capitaliste a envahi toute la planète ?

Finalement, le développement technologique, lorsqu’il est accaparé par le pouvoir financier, est d’abord utilisé pour la suraccumulation de capital, détruisant les équilibres des sociétés humaines un peu partout dans le monde, au lieu d’alléger la peine des hommes comme le siècle des Lumières puis de nombreux penseurs et défenseurs des droits humains le laissaient espérer.

Dans ces conditions, pour la plupart des peuples, le progrès ressemble à une fuite en avant au lieu de favoriser le développement humain.

Mais ce n’est pas inéluctable.

Emergence de l’économie distributive

Si de premières ébauches de l’économie distributive apparaissent dans le monde anglo-saxon dès la fin du 19ème siècle, nous devons, en France, à Jacques Duboin et à quelques autres d’en jeter les bases dans les années qui ont suivi la grande dépression d’après 1929 [3]. Jacques Duboin, banquier, ancien député et sous-secrétaire d’Etat au Trésor dans les années 1920, fonde, au début des années 1930, l’association Le droit au travail et au progrès social et la revue La Grande Relève des hommes par la machine, dont les titres traduisent cette évidence que le progrès technique n’a de sens que s’il contribue au progrès humain. Un numéro spécial de la GR, publié en octobre 1978 à l’occasion du centenaire de sa naissance, retrace les différentes étapes de la vie et de l’œuvre de Jacques Duboin [4]. Aujourd’hui, Marie-Louise Duboin éclaire jour après jour la pertinence de son analyse dans le contexte du capitalisme financier mondialisé [5], [6].

Pour Jacques Duboin, il y a d’abord la reconnaissance de progrès scientifiques et technologiques décisifs dès le lendemain de la seconde guerre mondiale, et la conviction qu’ils devraient transformer la condition humaine en améliorant la productivité du travail et en permettant ainsi de libérer une partie du temps que l’homme est obligé de consacrer à sa subsistance. Une révolution commencée au néolithique.

Mais il perçoit aussi que la création monétaire destinée à relancer l’économie, alors que le pays sort épuisé de la guerre, en générant de l’inflation, rend fluctuante la valeur marchande des richesses produites. La crise qui se profile révèle cette fois à grande échelle la contradiction entre la productivité croissante du travail des hommes et le peu de bénéfices qu’ils en retirent dans la qualité de leur existence.

C’est que la monnaie commence à être utilisée pour détourner ces bénéfices au profit d’une spéculation purement financière. Déconnectée de son étalon (l’or), elle ne repère plus la valeur réelle des marchandises. Les financiers vont en faire désormais le vecteur d’accumulation du capital via la rémunération du crédit et en s’efforçant d’organiser la rareté, alors que l’évolution des modes de production conduit logiquement à l’abondance.

Jacques Duboin dénonce les énormes destructions de richesses perpétrées sous le prétexte que cette abondance fait baisser les prix. Il clame aussi que la destruction ou l’annexion de pays voisins par la guerre serait un piètre moyen pour accroître les débouchés, puisque les voisins ont aussi des stocks, les victimes ne seront plus consommateurs et, de toute façon, les gains de productivité auront vite fait de créer de nouveau l’abondance. Il faut donc sortir de cette boucle absurde.

C’est en ne donnant à la monnaie qu’uniquement un pouvoir d’achat, hors de toute manœuvre spéculative, que l’abondance pourrait être distribuée intégralement et démocratiquement, par exemple sous la forme d’un revenu garanti. La monnaie serait créée à valeur égale en même temps que les richesses produites et serait détruite lorsque celles-ci sont achetées. Le crédit, toujours possible, n’engendrerait pas de profit et serait attribué dans le cadre d’un système bancaire public. La valeur des richesses serait déterminée conjointement par les producteurs et les acheteurs, dans une organisation cohérente à grande échelle. La création monétaire serait assurée uniquement par les pouvoirs publics.

Ce sont les bases de l’économie distributive, un simple outil de régulation dans des sociétés humaines qui pourraient alors donner libre cours à leur imagination pour assurer solidairement leur développement et leur épanouissement, au lieu d’être contraintes à la compétition, trop souvent jusqu’à la confrontation. Une exigence supérieure de démocratie [7].

Des réponses à la crise

Quelles réponses l’économie distributive propose-t-elle aux différentes questions ouvertes au terme de l’article précédent (GR 1092) ?

Fondamentalement, l’économie devient un outil de distribution des richesses produites et non plus de recherche du profit. Les avancées de productivité bénéficient à tous. Elle substitue donc une logique de l’abondance à celle de la rareté. Son fonctionnement est régi dans le cadre d’institutions publiques démocratiques et décentralisées et n’est plus soumis au pouvoir financier.

Reprenons les différentes questions.

• Comment s’opposer à la toute-puissance des marchés financiers et se donner les moyens d’une autre politique ?

Une telle révolution, pacifique, doit résulter de la conviction générale que les lois de l’économie ne sont pas des lois de la nature, comme le sont la physique, la chimie ou la biologie, mais seulement des échafaudages montés par les tenants du pouvoir financier, relayés par un personnel politique et des médias dépendants, qui dirigent et font travailler le monde à l’avantage de leur classe, sans souci d’équité, de solidarité, ni de sauvegarde des richesses naturelles. Fort opportunément, ces dirigeants et leur entourage ont trouvé un appui majeur dans les théories monétaristes de Milton Friedman, au début des années 1980, affirmant que seul le marché, à condition qu’il soit le plus large et le plus libre possible, permet un développement harmonieux du monde [8].

Avec les résultats que l’on sait !

Il faut donc développer le débat et convaincre à d’autres logiques. La transition, il est vrai, n’est pas forcément simple à imaginer. Pourtant, la structure globalisée de l’économie, qui apparaît souvent comme un handicap aux remises en question, peut aussi aider à mettre en évidence les nécessités et les multiples expériences locales tentées en réaction aux ravages de l’organisation libérale. Les forums sociaux mondiaux [9] aident largement en ce sens.

Cette transition pourrait se construire à partir d’un renforcement des services publics, incluant les activités bancaires, et la reconstitution d’un secteur public de production, en premier lieu dans les domaines de l’énergie, de l’eau, des matériels de transport et de communication, de certaines matières premières.

Déconnecter l’économie sociale et le secteur coopératif de la logique capitaliste permettrait de retrouver les motivations d’origine dans un large domaine de l’économie proche des citoyens.

• Comment produire, en faveur de qui et pour répondre à quels besoins ?

Comment garantir l’accès de tous aux biens et aux services indispensables, tout en assurant la liberté de choix de chacun ?

On peut imaginer sans peine les besoins fondamentaux auxquels il faudra répondre immédiatement, dans le cadre du revenu garanti : logement, alimentation, énergie, santé, éducation, transport... En contrepartie, chacun aura à fournir une tâche de production ou de service, sauf dans les temps de la jeunesse, de la vieillesse et dans les situations d’incapacité. L’expression des besoins résultera néanmoins d’un dialogue permanent avec la société. Dans les entreprises, les acteurs de la production trouveront, bien mieux qu’aujourd’hui, les développements à envisager si les besoins sont déjà clairement exprimés, plutôt que de devoir les susciter par la publicité.

• Comment renouveler notre approche du travail, sa finalité, son contenu, son statut et sa rémunération ?

Dans la société, chacun a accès à des richesses grâce aux revenus que lui garantit sa propre contribution à la création de celles-ci.

Il sait qu’il est acteur de la solidarité dont il bénéficie également à différentes périodes de son existence, sans avoir à craindre une défaillance du système. Il n’a pas besoin de consacrer l’essentiel de son temps de veille pour garantir toute sa place dans la société.

De nombreux services ou activités sont accessibles gratuitement, soit parce qu’ils sont financés dans le périmètre de la solidarité, soit parce qu’ils sont proposés bénévolement.

On ne peut évidemment pas préciser aujourd’hui le point d’équilibre, mais toutes les richesses produites sont distribuées sans détournement en faveur du capital.

• Comment garantir à nouveau le droit aux savoirs, aux arts et à la culture, aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, le droit à la santé, au sport, à l’habitat et à la ville où beauté et fonctionnalité se conjugueraient, le droit à une consommation de qualité non aliénante ?

Sans l’angoisse du lendemain, plus disponible, dans une société plus solidaire, chacun mesurera mieux les droits auxquels il peut prétendre pour vivre pleinement sa vie et activer son propre dynamisme. C’est bien l’un des principaux enjeux d’un renouveau de notre démocratie.

• Comment mettre l’être humain et son environnement naturel au cœur du développement, à l’opposé des logiques de profit à court terme ?

Comment réinventer l’appropriation sociale des biens communs de l’humanité ?

Comment repenser notre vision même de l’individu « en transgressant les approches économiques, sociales, psychologiques ou politiques, en le réinscrivant à partir de sa globalité dans sa réalité anthropologique dans le travail et hors du travail » ?

C’est par la connaissance et dans ses échanges avec les autres que chacun peut et pourra mieux appréhender l’histoire et le devenir de notre monde.

Il y trouvera tous les arguments pour se convaincre que l’homme est indissolublement lié à la nature, fragile épaisseur à la surface de notre planète, et dont il est seulement une composante, mais avec une responsabilité à la hauteur de son influence.

Il comprendra certainement que le mieux est d’en savourer le bonheur et de tout faire pour le vivre solidairement dans l’espace (que les autres peuples en profitent aussi) et dans le temps (que les générations à venir en profitent encore).

Si l’économie n’est plus le bras armé d’une minorité, mais la garantie de la sérénité, alors il y a place pour une réflexion partagée qui apportera des réponses de bon sens aux questions ci-dessus.

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[1] Svante Arrhenius, Conférences sur quelques problèmes actuels de la chimie physique et cosmique faites à l’Université de Paris en avril et mai 1922 ; partie 4, Les sources mondiales d’énergie ; Paris, Gauthier-Villars, 1922, (Bibliothèque Nationale de France, Gallica, web). Lien vers une brève biographie d’Arrhenius : http://gyevrard.club.fr/index.htm

[2] Voir par exemple l’encyclopédie Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_capitalisme#L.27.C3.A9mergence_du_capitalisme

[3] Entretien avec M.-L. Duboin.

[4] La Grande Relève des hommes par la science, Jacques Duboin, sa vie, son oeuvre, N°760, octobre 1970.

[5] M.-L. Duboin, Les Affranchis de l’an 2000, Ed. Syros, Paris, 1984.

[6] M.-L. Duboin, Mais où va l’argent ? Ed. du Sextant, Paris, 2007.

[7] Rappelons qu’un résumé des thèses de l’économie distributive est déjà paru dans nos colonnes (voir GR 983 de décembre 1998 ). Ce texte tient sur une feuille de format A4 qui peut être expédiée : il suffit de nous envoyer à cette fin une enveloppe timbrée à l’adresse voulue.

[8] Voir par exemple l’encyclopédie Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Milton_Friedman#Une_nouvelle_conception_de_la_politique_mon.C3.A9taire

[9] NDLR : celui de cette année a lieu en ce moment même à Belem, au Brésil. Voir ci-dessous page 12.

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Nous venons d’apprendre la mort brutale de notre ami et correspondant du journal en Belgique le 7 décembre dernier, à la suite d’une maladie provoquée par un virus qu’il avait attrapé en Afrique.

À sa compagne Madeleine et à ses enfants, nous tenons à exprimer ici nos très sincères condoléances.

Comme nous, les “distributistes” belges sont très affectés par ce décès, et l’un d’eux, Albert Hermant, évoque ici notre fidèle compagnon :

Lucien Gosset

par A. HERMANT
28 février 2009

« Lucien se joignit à nous dès notre première rencontre, il y a maintenant cinquante ans, et depuis, il s’est dévoué, on peut dire corps et âme, à notre cause commune. Tout contact était pour lui l’occasion de commentaires, et à chaque numéro de La Grande Relève il en faisait l’éloge et veillait à en promouvoir la distribution. Je lui suis personnellement très redevable de son dévouement sans limite et de la bonne diffusion qu’il fit de mes travaux [*].

Motivé par notre idéal et particulièrement actif, Lucien était notre secrétaire, et il institua un lien vraiment précieux entre la rédaction du journal et notre formation belge. Peu avant son décès, le 25 octobre dernier, il avait encore donné une brillante conférence, au Progrès de Herstal, sur l’économie distributive, sur le parcours et les propositions de Jacques Duboin, et son exposé avait été hautement apprécié par l’assistance.

Ses funérailles ont eu lieu au crematorium de Robermont, en présence, entre autres, des délégués du Groupe Liègeois pour l’Économie Distributive (le GLED), d’Attac et des Amis de Cuba. Lors de cette cérémonie d’adieu, l’éloge que lui ont fait ses trois grands enfants nous ont vraiment tous émus, son départ est dramatique aussi pour tous ses amis.

Quant au devenir de notre groupe, la relève sera assurée, nous sommes décidés à poursuivre ses activités jusqu’à notre dernier souffle.

Votre indéfectible compagnon de route, Albert Hermant. »

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[*] Rappelons qu’il s’agit « d’ouvrages de vulgarisation, résultat d’une compilation de multiples messages ayant pour trait commun le souci du bien-être et de la sauvegarde de l’humanité, choisis par Albert Hermant, et réalisés avec l’aide de Monique et Fabienne Warnier, de Stéphane Hermant, et le concours du GLED et de la Grande Relève. »

Voici leurs titres et dates de réalisation :
Muter ou chuter, le 10 avril 1988,
Muter ! De la compétitivité à la convivialité, le 8 janvier 2000,
L’alternative, le 10 octobre 2000,
Pouvoir, c’est savoir, en décembre 2001,
SOS Humanité ! en janvier 2004,
Le travail salarié, l’argent créé à partir de rien ou la peste, c’est la même chose ! de juin 2005.

Ces précieuses mines de citations diverses, sont présentées en fascicules d’environ 250 pages en format A4, qui peuvent être prêtés par le GLED. S’adresser à M. Albert Hermant, rue Louis Pasteur, 117, B4030 Grivegnee, Belgique.

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La critique sociale en question

par C. AUBIN
28 février 2009

Les formidables bouleversements des sociétés et des mentalités du 18ème siècle ont permis l’émergence d’une critique audacieuse qui restera déterminante pour la lutte contre les ignorances et les préjugés. Ainsi, les penseurs des lumières avancèrent l’idée que tous les régimes de pouvoir exercés ou subis par les hommes au cours de l’histoire n’avaient eu ni les dieux ni la nature pour origine, mais étaient le fruit des pensées, des actions et des intérêts des hommes eux-mêmes.

Certains en tirèrent des conclusions pratiques plus radicales, formant l’idée révolutionnaire que le pouvoir pouvait cesser d’être exercé par une minorité au sein des sociétés (comme il l’avait toujours été) et qu’on devrait un jour le faire partager par le plus grand nombre.

L’humanité en marche vers cet idéal d’émancipation vertueux se heurte à l’opposition violente des tenants de l’exploitation de l’homme par l’homme qui tentent de pérenniser leur pouvoir dans des formes sans cesse renouvelées. Il apparaît aujourd’hui, de plus en plus clairement, que le système qu’ils nous imposent conduit à l’impasse d’un monde écologiquement inhabitable et anthropologiquement impossible.

Mais cet immense défi pour l’humanité ne pourra être relevé que si les générations qui viennent en prennent pleinement conscience et acceptent de s’opposer au mouvement suicidaire qui nous entraîne. C’est en reprenant à leur compte avec courage et détermination la résistance et les luttes qu’exigeront les circonstances futures qu’ils pourront, et eux seuls, sauver le monde de la barbarie et du désastre annoncé.

I - Les consciences prisonnières du marché

Galilée fut contraint par l’Inquisition, en 1633, d’abjurer toutes ses idées pour que la terre continue à rester immobile au centre de l’univers. C’était ça ou le bûcher. Pour les tenants du dogme, il fallait conjurer le risque de “désenchantement du monde” par la science et la modernité, afin que la gloire du divin continue d’enchaîner les pas de l’homme à son mystère.

Cette lutte pour s’assurer la maîtrise des consciences était d’autant plus impitoyable qu’elle devait maintenir le peuple en situation d’accepter pour naturelle, donc légitime, son état de grande pauvreté.

La société contemporaine, fruit de l’évolution des modes de production vers la recherche du profit privé maximum, a nécessité des changements considérables de statut des hommes productifs. De l’esclavage au servage et jusqu’au salariat, l’évolution de la valeur de la force de travail s’est considérablement accrue pour correspondre aux nécessités des formes modernes de production.

Avec la mondialisation du système capitaliste de production et d’échanges, dans les entreprises et les services, les cultures méthodologiques et gestionnaires ont pris le pas sur les métiers. Elles permettent une direction hyper centralisée et technocratique, largement déconnectée des réalités de l’entreprise et des hommes qui y travaillent. Il s’agit essentiellement, pour les responsables, de faire procéder aux ajustements permettant de répondre aux critères de compétitivité et aux exigences de profit à court terme, quelle que soit la nature des activités en question.

En accentuant encore la division du travail entre les décideurs, les concepteurs et les exécutants, et en intensifiant l’exploitation des salariés, ces rapports de production exacerbent les contradictions fondamentales du capitalisme. Les processus de production des richesses de toute nature sont de plus en plus socialisés et mondialisés, c’est à dire qu’ils requièrent la contribution la plus large de toutes les composantes matérielles, intellectuelles et humaines de la société, de l’amont des moyens de production proprement dits (recherches et développements scientifiques, techniques, méthodologiques…) aux services publics et privés (système bancaire, assurances, transports, éducation, santé…). Par contre, les profits sont accaparés, pour l’essentiel, par une caste de plus en plus concentrée et richissime.

En s’employant à annihiler toute contestation démocratique grâce aux différentes structures planétaires illégitimes qu’elle finance et contrôle pour dominer le monde, la caste des oligarques bascule progressivement dans les pratiques mafieuses de prévarication, de coercition, de violence guerrière et de dissimulations financières massives dans les paradis fiscaux. Tous les gouvernements des grands pays industriels leur sont assujettis et les simulacres de démocratie élective sont de bien peu de poids pour faire valoir les aspirations des peuples.

Dans leurs exercices vertigineux de pouvoir, les oligarques sont, bien sûr, divisés par les rivalités inter impérialistes et les instabilités systémiques du capitalisme, mais ils ont su utiliser à leur profit l’outil moderne de domination que constitue le marché. En le poussant toujours plus loin dans ses possibilités, ils ont réussi à faire mieux que les inquisiteurs : ils ont transformé la conscience des hommes, moyen de la critique sociale, en marchandise sous contrôle.

(à suivre…)

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C’est un dossier essentiel qu’ouvre ici Bernard Blavette : celui de la démocratie. Il l’aborde par une des manifestations les plus efficaces, mais trop souvent ignorée, de son mépris, voire de son déni : l’intervention des lobbies.

Les lobbies contre la démocratie

par B. BLAVETTE
28 février 2009

En nos temps de grande confusion, notamment sémantique, il n’est pas inutile de rappeler ce qu’est un lobby, ou groupe de pression en bon français.

Un groupe de pression est un ensemble de personnes physiques ou morales qui, ayant des intérêts communs, regroupent leurs moyens afin d’exercer une influence sur les centres de pouvoirs. La nature et les buts de ces groupes peuvent être très divers. Il peut, bien sûr, s’agir d’intérêts commerciaux et financiers, mais aussi de minorités ethniques, culturelles, religieuses ou sexuelles qui désirent être reconnues par la société et obtenir une égalité de droits (possibilité de pratiquer une langue locale ou un culte, mariage homosexuel, etc…)

Tout cela n’est pas forcément répréhensible, et peut même être légitime, dans la mesure où les moyens utilisés et les buts recherchés ne vont à l’encontre ni des procédures démocratiques ni de l’intérêt général.

Il faut ici placer une remarque importante : un lobby n’est que l’expression de l’intérêt d’un groupe particulier, jamais de l’intérêt général.

Ainsi ne saurait-on parler de lobby dans le cadre de la défense de la protection sociale ou des services publics, par exemple, car il s’agit alors d’une prise en compte de l’intérêt de l’ensemble de la collectivité humaine. Certains acteurs du mouvement social font une grave erreur en se considèrant comme des lobbies parmi d’autres, car dans cette démarche ils légitiment des groupes de pression, disposant de moyens financiers infiniment supérieurs aux leurs, dont les buts et les pratiques sont généralement incompatibles avec les principes démocratiques les plus élémentaires.

Examinons plus en détail l’organisation et les méthodes de ces groupes, en prenant comme exemple ceux qui gravitent autour de la Commission Européenne de Bruxelles, et en gardant à l’esprit que nous pourrions faire exactement la même analyse à Washington ou à Tokyo.

Nous nous intéresserons à des pratiques quasi-officielles, émanant d’organismes ayant pignon sur rue, en laissant de coté les manœuvres occultes et franchement délictueuses qui constituent la partie immergée de l’iceberg et demanderaient une étude spécifique [1].

Les principales organisations.

On estime qu’environ 15.000 professionnels du lobbying, appartenant à quelque 700 organisations, hantent les couloirs de la Commission de Bruxelles et, dans une moindre mesure, du Parlement de Luxembourg. Nous allons dresser le portrait des plus influentes d’entre-elles :

• La Table Ronde des Industriels Européens (ERT = European Round Table).

Fondée en 1983 avec l’appui actif du Commissaire Européen, Etienne Davignon, inconnue du grand public, elle constitue pourtant l’une des principales forces de la scène politique européenne. Il s’agit d’une sorte de club où les adhésions sont personnelles, mais dont les membres sont les dirigeants des firmes européennes les plus importantes : Total, Siemens, Nestlé, Lafarge, Volvo, Philips….

L’ERT cible les décideurs politiques au plus haut niveau (Chefs d’État, Premiers Ministres, Commissaires Européens) et elle influence profondément les décisions les plus importantes. En 2000 l’ERT a publié un rapport intitulé « Les retraites en Europe : un appel à la réforme », et depuis lors, ses préconisations sont largement appliquées dans les différents pays européens.

En 2002 l’ERT a apporté sa contribution aux travaux de la Convention sur le Traité Constitutionnel par un document, « Une gouvernance européenne favorable à la compétitivité », qui recommande une Commission forte et un Parlement européen aux pouvoirs réduits.

Plus récemment l’ERT s’est évertuée à vider d’une partie de sa substance la circulaire REACH (Registration, Evaluation and Authorization of Chemicals) qui vise à vérifier l’innocuité des substances chimiques entrant dans la composition des produits mis sur le marché. Actuellement l’ERT s’efforce de retarder toute législation contraignante destinée à réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Par ailleurs, l’accès de l’ERT aux structures décisionnelles de l’UE s’est institutionnalisé par la participation à des groupes de travail, dont certains ont même été créés à son intention, comme le Groupe Consultatif de Compétitivité (CAG) qui lui permet de présenter ses propositions à la veille de chaque sommet européen dans le cadre d’un organisme disposant d’un statut officiel.

• L’Union des confédérations de l’industrie et des employeurs d’Europe (UNICE).

Créée en 1958, il s’agit d’une sorte de MEDEF au niveau européen, dont le président actuel est une vieille connaissance, le baron Ernest-Antoine Cellière.

Son but est « d’améliorer la compétitivité des entreprises européennes et de veiller à ce que leurs intérêts soient pris en compte ». Elle y réussit brillamment : chaque projet de directive ou de réglementation est soigneusement analysé et des “suggestions” sont transmises en retour à la Commission.

• Le Trans Atlantic Business Dialogue (TABD).

Cette organisation regroupe les PDG des 150 plus importantes entreprises européennes et américaines. Son rôle est de favoriser la libéralisation du commerce mondial dans le cadre de l’OMC ainsi que les échanges entre l’Europe et les États-Unis à travers le Partenariat Économique Transatlantique (PET).

Comme dans le cadre de l’ERT des liens étroits sont tissés avec la Commission, notamment par l’intermédiaire d’un document de travail interne à cette dernière (TABD Implementation Tables) qui fait le point sur l’exécution des recommandations formulées par le TABD.

• Le Comité européen des chambres de commerce américaines (AMCHAM).

L’AMCHAM regroupe environ 145 géants de l’industrie américaine implantés en Europe (Boeing, Monsanto, General Motor, Mc Donald’s…) et s’efforce de modifier ou d’éliminer les réglementations de l’UE qui pourraient être contraires à l’intérêt de ses membres. Elle participe chaque année à de nombreuses réunions avec la Commission et le Parlement.

Elle entretient aussi des liens étroits avec l’ERT et l’UNICE, ce qui prouve que les puissances industrielles internationales savent mettre de coté la concurrence lorsque leurs intérêts essentiels sont en jeu.

• Europabio.

Il s’agit de l’un des plus ambitieux et des plus efficaces réseaux de lobbying européen qui regroupe pratiquement toute l’industrie biotechnologique européenne, soit plus de 600 entreprises.

Sa plus grande réussite a sans aucun doute été, en 1998, de faire adopter par la Commission et le Parlement la circulaire 98/44 autorisant le brevetage du vivant au terme de ce qui est encore aujourd’hui la plus grande campagne de pressions de l’histoire européenne.

Le géant pharmaceutique SmithKlineBeecham y a consacré à lui seul plus de 30 millions d’euros, réussissant à instrumentaliser certaines associations de malades : le jour du vote, des personnes en chaises roulantes manifestèrent à Strasbourg devant le Parlement, clamant le slogan de l’industrie pharmaceutique : « Pas de brevets, pas de remèdes ! ».

Pour compléter ce bref panorama du système de lobbying auprès des instances européennes il nous faut encore évoquer une autre catégorie d’acteurs dont le rôle est loin d’être négligeable : les agences de relations publiques et de communication.

Au départ ces agences aidaient leurs clients, surtout étrangers, à établir des contacts importants, à naviguer au sein des infrastructures administratives, à comprendre les subtilités juridiques ou culturelles de l’Europe.

Mais, très vite, elles proposèrent aussi d’autres services. Il s’agit alors, en complément des campagnes de lobbying, de remodeler la réalité en modifiant la perception de telle ou telle entreprise auprès du grand public aussi bien que des décideurs politiques. On s’appliquera ainsi à “verdir” l’image d’une multinationale pour la faire apparaître comme soucieuse d’écologie, ou bien on s’efforcera de donner l’illusion d’une entreprise dotée d’une “conscience sociale”…

Burson-Marsteller, l’une des plus importantes de ces agences, déclare être spécialisée dans la “gestion d’image” et son palmarès est éloquent, il comprend notamment :

— l’amélioration de l’image de la compagnie pétrolière américaine Exxon après le naufrage de l’Exxon Valdez qui déclencha en Alaska l’une des pires marées noires que le monde ait connue.

— la gestion de crise pour la compagnie Union Carbide à la suite de l’explosion de l’usine de Bopal en Inde qui fit plusieurs milliers de morts et de blessés.

L’une des particularités de Rurson-Marsteller consiste dans le fait qu’elle ne dédaigne pas non plus, à l’occasion, d’intervenir sur le plan politique en “gérant l’image” de certaines dictatures, comme ce fut le cas il y a quelques années en Argentine et en Indonésie.

Au terme de cette plongée dans le monde du lobbying bruxellois il est nécessaire d’élargir le propos afin d’en tirer quelques enseignements. Ce que nous avons décrit à Bruxelles n’est qu’un nœud au sein d’une immense toile qui s’étend à l’ensemble de la planète et dont la coordination est assurée par des groupes de pression internationaux.

Il nous faut dire quelques mot du plus ancien et du plus impénétrable d’entre eux : le Groupe de Bilderberg. Sa première réunion s’est tenue en 1954 à l’hôtel Bilderberg (d’où son nom) à Oosterbeek aux Pays-Bas. Il rassemble environ 120 représentants de l’élite mondiale, (dirigeants de grandes multinationales et décideurs politiques) qui se retrouvent chaque année pour débattre à huis clos des problèmes d’actualité.

Il faut bien comprendre que Bilderberg fait partie d’une grande délibération internationale qui décide des orientations des politiques qui seront mises en place : en février se déroule la rencontre de Davos, en avril/mai prennent place Bilderberg et le G20, et en septembre les conférences annuelles du FMI et de la Banque Mondiale.

Toutes ces rencontres et organisations présentent des caractéristiques communes : elles sont auto-proclamées et/ou non élues, elles se déroulent pour l’essentiel à l’abri du regard et du contrôle des peuples, elles visent à contourner et à marginaliser l’instance qui est logiquement destinée à accueillir de tels débats : l’Organisation des Nations Unies.

C’est à une atteinte délibérée à la démocratie que nous avons donc affaire. Traditionnellement il s’agissait pour les lobbies d’obtenir divers avantages, à la marge du système, mais non pas de le modifier dans sa nature. Aujourd’hui il en va tout autrement. Au delà de la défense de certains intérêts commerciaux et financiers, le but ultime de ces groupes consiste bel et bien à substituer aux pouvoirs politiques régulièrement élus le pouvoir d’oligarchies composées principalement de grandes multinationales, de puissants établissements financiers et d’organisations maffieuses.

Du point de vue théorique, ce processus repose sur l’idée que les règles de l’économie sont intangibles, qu’il n’existe que des solutions techniques aux problèmes auxquels nous sommes confrontés et que les décisions peuvent être confiées à des “experts” non élus, choisis uniquement sur la base de compétences supposées. C’est le fameux “There is no alternative” (TINA) de Margareth Tatcher.

De cela témoigne de façon emblématique une déclaration de David Rockefeller, fondateur du Groupe de Bilderberg, en 1999 : « Quelque chose doit remplacer les gouvernements, et le pouvoir privé me semble l’entité adéquate pour le faire ».

Pourtant, alors que s’annonce une phase de désordres globaux, qui pourraient déboucher sur un effondrement de notre civilisation, le concept de démocratie est plus fondamental que jamais. Il y a 60 ans, au sortir de l’horreur nazie, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme était adoptée par la plupart des peuples de la planète. Cette déclaration présente l’immense progrès de faire passer au niveau du droit ce qui n’était jusqu’alors que principes philosophiques : le droit au travail, à la santé, à la culture, le caractère inaliénable de la digité humaine. Cette charte, à laquelle nous oublions trop souvent de nous référer, doit constituer pour le mouvement social une référence, un fil d’Ariane, un rempart contre un retour toujours possible de la barbarie.

Saurons-nous la défendre contre la puissance des lobbies, contre les chantres de la loi du plus fort ?

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[1] Pour en savoir plus : Europe Inc., Ouvrage collectif aux éditions Agone ; Europe, la trahison des élites de Raoul-Marc Jennar édition Fayard.

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De Belem, où il participe au forum social mondial 2009, Patrick Viveret, qui note que c’est une belle illustration d’une nouvelle approche de la richesse, nous envoie le texte ci-dessous de Marilza de Melo Foucher, docteur en économie, consultante internationale, et spécialiste en développement territorial intégré, durable et solidaire. Il est traduit du Portugais :

La place de l’Amazonie au FSM 2009

par M. de MELO FOUCHER
28 février 2009
Dans le vert, vert peur, parmi les pièges,
Dans les lianes, brûlantes des incendies de forêt,
Se pend l’uirapuru,
Dans la clef de son chant.
Paes Loureiro, poète paraense.

L’Amazonie a toujours été l’objet d’un intérêt international sous tous les aspects. Elle soulève autant l’attention de l’opinion publique internationale, avocate de son intégrité écologique, que celle des grandes puissances aux intérêts divers dans cette immense réserve de richesses naturelles.

Cette région de dimension continentale a aussi représenté un laboratoire idéal pour démontrer la brutalité du capitalisme avide et prédateur.

La politique “développementiste” et du modèle néo-libéral mis en place en Amazonie, en plus de détruire les écosystèmes ruraux et urbains de la région, a aussi provoqué une explosion de mécontentements qui, au fil des années, se sont transformés en une mobilisation sociale de résistance. De fait, l’idéologie néo-libérale a toujours visé la destruction du tissu social et toujours créé de nouvelles formes de tutelles pour freiner l’avance des mouvements sociaux émergents, à l’exemple des peuples indigènes de l’Amazonie. Les Indiens qui vivent sur le territoire brésilien étaient considérés naguère, par la constitution brésilienne, comme des personnes handicapées.

La reconnaissance, par la Constitution Fédérale, des organisations sociales des Indiens s’est faite très lentement et elle suscite, encore aujourd’hui, des controverses.

Ce constat est révélateur de la discrimination logée dans le conscient et le subconscient de la société brésilienne. Rompre avec la perspective intégrationniste, assimilationniste, de la législation brésilienne, a fait apparaître des divergences entre deux courants qui, malheureusement, en plein 21ème siècle, perdurent encore. On considère les Indiens comme une catégorie ethnique et sociale transitoire, condamnée à la disparition puisqu’ils empêchent le progrès, outre qu’ils mettent en péril la sécurité des frontières !

Autre courant a ouvert, au sein de la société brésilienne, un espace de débat national plus élargi sur des questions qui sont restées invisibles pendant de nombreuses années, qui ne réveillaient pas d’intérêt, ou qui, simplement, étaient ignorées, faute d’informations ou d’éducation sur les droits humains. Ce courant a combattu la dictature, beaucoup se sont exilés, d’autres sont devenus clandestins et résistants et ont participé activement à l’émergence d’une nouvelle société civile qui a réussi, après beaucoup de luttes, à peser sur l’agenda politique brésilien.

Ce courant va ainsi contribuer à l’élargissement des débats sur les questions environnementale, ethnique, sexuelle et sur le droit des populations traditionnelles et des peuples indigènes à avoir l’usufruit des richesses nationales du sol et la possession permanente de leurs terres. Cette reconnaissance signifie aussi le droit des peuples indigènes à une participation active dans les espaces où sont prises les décisions qui les concernent.

Les héritiers d’Ajuricaba (chef indigène dans la résistance aux Portugais) et du Cabanos sont les meilleurs défenseurs des richesses naturelles de l’Amazonie, de leur biodiversité et de la conservation de leurs frontières. Ils continuent à être les gardiens naturels de cet espace d’espoir !

Les forces vivantes de l’Amazonie représentées au FSM

Le Forum Social Mondial va voir, aujourd’hui, jaillir la vitalité du tissu social en Amazonie. Il existe, dans l’Amazonie brésilienne, de fortes identités collectives, qui sont organisées en de petites associations qui s’expriment dans les mouvements sociaux, et des organisations communautaires militantes. Ces diverses organisations ne sont pas seulement réactives, il y a longtemps qu’elles sont en avant-garde de la lutte pour la défense de la biodiversité et de la diversité socioculturelle.

Et elles ont la capacité de proposer des alternatives politiques compatibles avec les caractéristiques de la région.

Aussi ne faut-il pas être surpris par la présence d’une intelligentsia amazonienne, engagée non seulement dans le champ académique et les centres de recherches, mais aussi dans la participation active à l’action politique transformatrice. En plus d’assurer une production et une reproduction scientifique permanente, elle a, depuis quelques années déjà, su tisser des partenariats avec des institutions non gouvernementales, avec des mouvements sociaux et pastoraux et avec de petites associations actives dans la lutte contre l’exclusion sociale et pour un autre développement en Amazonie. Centres de recherche, universités amazoniennes, associations d’étudiants, mouvements sociaux et pastoraux engagés agissent avec une vision holistique du développement, tel que, par exemple, la FASE qui est née dans les années 60.

Grâce à une étroite collaboration, ils font émerger des recherches, des projets, des thématiques nouvelles qui vont appeller l’attention des universitaires européens et d’autres continents à s’investir comme eux.

Un exemple, entre autres : le Projet de Nouvelle Cartographie Sociale (PNCSA), ce réseau de chercheurs et de mouvements sociaux, qui reçoit la participation de l’UFPA-Université Fédérale et d’autres universités publiques, a des activités dans toutes les régions du Brésil et des contacts en Colombie, en Guyane française, au Venezuela, en Argentine et en Europe…

Grâce à cette façon d’agir, la vision sectorielle de la connaissance perd du terrain et en cède à la vision pluridisciplinaire. Les chapelles intellectuelles n’ont plus raison de produire ou reproduire des connaissances dans des circuits fermés. La socialisation de savoirs et d’expériences s’est imposée dans la région. Cet apprentissage a été un défi permanent, comme la manière de travailler dans des réseaux et d’avoir une articulation aux plans local, régional, national et international. Ce réseau maintient des liens étroits avec les mouvements et les associations, il appuie leurs actions et les luttes des organisations d’agents sociaux (quilombolas, indigènes, petits extracteurs, riverains, pêcheurs, colons, artisans, charbonniers) dont sa vie sociale et le matériel sont menacés par les changements sociaux et environnementaux.

Si nous nous arrêtons pour faire un bilan des changements positifs qui ont eu lieu ces dernières années en Amazonie, il faut souligner que nous pouvons dire aujourd’hui, sans équivoque, qu’ils ont réussi grâce à cette nouvelle façon d’agir et à la pression de ces forces actives de la région.

Ils font de leur diversité socioculturelle, de leur patrimoine et de l’exercice actif de la citoyenneté, une nouvelle conception de la démocratie.

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Eh bien justement : un collectif, dans la région autour de Thouars, s’était formé pour débattre sur le projet de traité constitutionnel de 2005. Il a organisé, depuis, de nombreuses réunions sous le nom de “cafés publics”. Et le 29 mai dernier, anniversaire du NON au référendum, il s’est transformé en association intitulée “Pour une alternative unitaire à gauche en nord Deux-Sèvres” et il anime ainsi des réunions-débats. Ces réunions, bien organisées, bien annoncées, semblent répondre à un besoin, car la salle du centre culturel était pleine (soit près de 150 personnes, ce qui est beaucoup pour une petite ville) le 15 janvier, pour écouter Marie-Louise Duboin, invitée à venir faire un exposé, auquel les organisateurs, lecteurs de la GR, avaient donné pour titre, reprenant celui d’un article de décembre : « La crise financière et après ? ».

À Thouars, les citoyens s’organisent

par M.-L. DUBOIN
28 février 2009

1. Comprendre

La première partie de la soirée (une cinquantaine de minutes) était consacrée à la projection du film canadien de Paul Grignon L’argent-dette, qui expose pour les non initiés, de façon sans doute un peu simpliste, les mécanismes de la création de la monnaie bancaire. Nos lecteurs savent que celle-ci, qui constitue l’essentiel (85 % environ) des moyens de paiement, fait de notre monnaie une monnaie de dette et ils en connaissent les conséquences…

… Pas l’immense majorité des citoyens venus à cette réunion du 15 janvier.

La projection s’est faite dans un très grand silence, comme si tout le monde était sidéré, abasourdi par ce qui leur était révélé.

Prenant la parole ensuite, j’ai commencé par demander s’il y avait des questions sur le film, sur son contenu, sur cette création monétaire qu’il expliquait. Mais il n’y en eut pratiquement pas. J’en ai donc conclu que tout le monde avait compris ce que ces pratiques permettent au monde de la finance.

2. Proposer

Alors j’ai exposé que, pour sortir de la situation dans laquelle ces mécanismes du crédit ont mis le monde, il importait d’inventer la démocratie en ce domaine. J’ai donc abordé nos propositions d’une monnaie qui ne soit qu’un pouvoir d’achat, équivalant aux marchandises mises en vente, et produites en vue de l’intérêt général, qui doit pouvoir s’exprimer et être pris en considération, contrairement à se qui se passe quand le seul critère qui décide des investissements est de pouvoir rapporter un profit financier à des intérêts privés. Mais ce que je rappellai ainsi, les lecteurs de la GR le savent depuis longtemps…Il y avait dans la salle deux journalistes. Et voici le rapport fait par l’un d’eux dans Le Courrier de l’ouest du lundi 19 janvier :

Marie-Louise Duboin : « Les citoyens doivent décider eux-mêmes de ce qu’ils vont fabriquer »

La planète est secouée par une grave crise financière dont nul ne sait quand elle s’arrêtera. Jeudi dernier, Marie-Louise Duboin a dénoncé la dictature du capitalisme. Puis elle a préconisé sa solution d’une démocratie économique.

« Le principe du capitalisme, c’est de faire fructifier l’argent. Les entreprises sont capables de produire des vivres pour 9 milliards d’habitants mais elles ne le font pas parce que cela ne leur rapporte pas. Elles cherchent de nouveaux marchés et produisent du superflu, par exemple en construisant des hôtels de luxe. Ce système est en bout de course. »

RENONCEMENT POLITIQUE

Marie-Louise Duboin, directrice du mensuel de réflexions socio-économiques La Grande Relève a stigmatisé les gouvernements qui ont renoncé à tout pouvoir en matière monétaire et financière. « Leur seul argument, c’est de dire “qu’une main invisible va réguler le marché”. Les politiques défendent les entreprises mais pas leurs salariés. Des lois sont votées mais elles ne sont pas appliquées. Les banques centrales ont le pouvoir d’accorder le crédit, de fixer la valeur de l’argent et elles sont responsables de l’augmentation exponentielle de la dette. »

Pour la conférencière, la solution est de contester l’absence de démocratie, d’imposer au pouvoir politique de reprendre le monopole de la création monétaire, de nationaliser les banques. « Il faut inventer la démocratie économique. Les citoyens doivent décider de ce qu’ils vont fabriquer. Les services publics doivent être assurés pour tous et les revenus partagés équitablement. »

Les réponses à la crise proposées par l’auteur du livre “La crise financière et après ? » ont suscité des réactions parmi les spectateurs. « Je sais bien qu’il y a eu l’échec de l’URSS et une tentative de changement en Argentine avec la création d’une monnaie. Le crédit coopératif et les AMAP sont des exemples de ce qui est possible à condition que cela vienne du peuple… » a-t-elle conclu.

3. Conclusions

Sachons gré à ce journaliste d’avoir honnêtement cherché à être objectif en écrivant ce rapport à l’aide des notes qu’il a consciencieusement prises, même s’il se trompe sur le titre du livre que les organisateurs avaient mis en évidence.

Et pourtant, alors qu’il a sans doute vu le film qui expliquait, le plus simplement possible, comment est créé l’argent-dette, il fait une confusion énorme à propos du crédit, en attribuant à la Banque Centrale des pouvoirs qu’elle n’a pas !

De cette interprétation, et de questions posées dans le public, il faut conclure, d’abord, que le film, aussi didactique soit-il, ne suffit pas à montrer les mécanismes et les conséquences de l’argent-dette actuel. Pour comprendre, il faut plus d’effort, peut-être revoir plusieurs fois le film et puis approfondir, et puis … réfléchir, et un bon bout de temps !

Une autre observation est que le public, en général, n’a pas encore pris conscience de la dimension de la crise, ou plutôt des crises.

Il y a, certes, une évolution. Une démarche manifeste, pour essayer de comprendre une situation inattendue, m’a permis de présenter des propositions qui, il y a seulement quelques années, n’auraient même pas été écoutées parce que jugées “trop irréalistes”. Mais envisager de devoir changer ses habitudes de pensée demande un effort qui, a priori, paraît inimaginable, insupportable. Le public attend encore qu’un sauveur se présente, lui promettant de tout régler, dès demain, et pour lui, personnellement. Ce qui explique sans doute, en partie, l’actuelle dérive de la démocratie.

4. Perspectives

Il reste que le travail des animateurs de cette association, qui « souhaite fédérer toutes celles et tous ceux qui, membres ou non d’un parti politique, veulent… contribuer à faire émerger une force nouvelle porteuse des valeurs véritables de la gauche » est essentiel. C’est sur de telles initiatives, sur ces manifestations d’une conscience venue de la société civile, ou plutôt civique, que repose désormais tout espoir. Pourvu qu’elles se multiplient avant qu’il soit trop tard !

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Suivant le vœu exprimé plus haut par J-P Alletru, il importe de décrypter les informations diffusées par la grande presse. Voici quelques exemples :

Décryptages

28 février 2009

Détourner l’attention est un procédé classique des illusionnistes. Et les grands médias maîtrisent l’art d’anesthésier l’opinion grâce aux sports et aux faits divers. Exemple : le même jour, deux pages sur les déconvenues d’une nageuse, et un petit entrefilet sur le suicide (un de plus) d’un jeune détenu, à Fleury-Mérogis.

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Le 11 décembre, la presse annonce que le conseil syndical du Service des Eaux d’Ile de France (SEDIF) a voté à une large majorité (88 contre 54) la reconduction de la délégation de service public comme mode de gestion. Ce résultat est en complet décalage avec l’opinion publique qui refuse de considérer l’eau comme une marchandise et qui aspire au contraire à une gestion publique, démocratique et transparente. Il est aussi en totale contradiction avec les analyses effectuées tant par les associations de consommateurs que par les cabinets d’audits qui, toutes, révèlent la gravité des dérives du système actuel.

Ce qui n’est pas expliqué, c’est comment on est arrivé à un tel déni de démocratie.

D’abord chaque ville compte pour une voix : par exemple, Méry-sur-Oise, 9.000 habitants (et une usine du SEDIF sur son territoire…) compte autant que Montreuil avec ses 100.000 habitants.

Il faut savoir ensuite que le vote s’est déroulé à bulletin secret, ce qui est inadmissible en démocratie.

Enfin, il est clair qu’une part non négligeable des élus communistes et socialistes ont voté contrairement aux consignes officielles de leurs groupes.

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Le business qui connaît la plus forte croissance aujourd’hui est celui des entreprises privées de sécurité. Il y a donc pire que le “renforcement des forces de police”. C’est très grave car les policiers (qui sont des fonctionnaires parmi d’autres) ont tout intérêt au calme (même s’il leur fait perdre quelques heures supplémentaires), par contre les agences privées ont intérêt à la castagne, puisque c’est leur fond de commerce.

Il faut déjà faire peur aux Français pour qu’ils votent bien. Demain il faudra les menacer physiquement pour soutenir le business des milices. Si on s’engage dans ce cercle vicieux il sera très difficile d’en sortir.

Déjà dans les pays les plus mal en point de la planète, les guerres civiles se font par milices interposées, la guerre d’Irak par exemple.

Est-ce là notre horizon pour le XXI siècle ?

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Deux patrons condamnés à rembourser le parachute doré de leur prédécesseur. Le PDG de Rhodia et son prédécesseur ont été condamnés (“pour faute de gestion”), par le tribunal de commerce de Nanterre, à rembourser, sur leurs propres deniers, les 2,1 millions d’euros d’indemnités de départ versées en 2004 à l’ex-patron du groupe. Ils font appel [1].

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La prohibition du cannabis a rendu sa culture et son commerce très lucratifs : 35 milliards chaque année aux États-Unis pour les trafiquants [2].

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Dans l’Académie de Versailles, une employée de la Poste vient d’être nommée en remplacement d’un instituteur en congé pour maladie de longue durée. Du jour au lendemain, elle prend en charge, sans avoir suivi aucune formation adaptée, une classe de CM pour toute l’année scolaire. Elle a, en effet, été dispensée de passer le concours, et de la formation d’un an, « en raison de son ancienneté dans la fonction publique » !!

La règle était jusque là que les remplacements pour de tels congés de longue durée soient confiés aux jeunes qui, après avoir échoué au concours des Instituts Universitaires de Formation des Maîtres (IUFM) sont placés sur une liste d’attente.

Avant les vacances, deux académies de province avaient déjà recruté dans les ANPE locales. Les instituteurs se demandent donc si on va bientôt leur demander de passer aux urgences des hôpitaux pour remplacer le personnel manquant…

Rappelons : comme tous les fonctionnaires, les enseignants des écoles et des collèges sont recrutés par concours. Actuellement, même si de plus en plus de candidats sont déjà à bac +4 ou au-dessus, il suffit d’être titulaire d’une licence (bac+2) pour s’inscrire à un concours d’enseignement. Après une première année d’IUFM, consacrée à la préparation du concours, le candidat est appelé à suivre, en qualité de fonctionnaire stagiaire, donc rémunéré par l’État, une seconde année de formation, celle de la “professionnalisation”.

N.Sarkozy avait annoncé, le 27 mai 2008, qu’à partir de 2010, les enseignants seront recrutés au niveau bac+5 (master), “réforme” qu’il présenta comme une revalorisation de leur métier.

Expliquons : En fait, il s’agit qu’une fois reçus ils soient directement affectés à un poste, accompagnés par des tuteurs, enseignants aguerris, selon le principe du compagnonnage. Le bilan est clair : c’est l’économie pour l’État de l’année pendant laquelle l’enseignant était payé comme fonctionnaire stagiaire !

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[1] Le Monde, 17/12/08.

[2] Le Monde, 2-3/1/09.

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Le Parisien, France Inter, l’AFP, ont annoncé mardi 20 janvier « la mise en examen de Gérard Filoche ». Le témoignage de cet inspecteur du travail, diffusé par mail, est à méditer :

Témoignage

28 février 2009

« … Muet lorsque je dénonce la délinquance patronale, Le Parisien répercute l’annonce qu’un gros patron de la rue de la Paix a réussi, en se portant partie civile, à me faire “mettre en examen”. Le prétexte est rocambolesque : j’aurais fait entrave au comité d’entreprise ! Moi, gêner un comité d’entreprise ? Et puis quoi encore ? S’il y a eu un comité d’établissement au siége de l’importante société de cosmétique Guinot-Marie Cohr, c’est parce que, en tant qu’inspecteur du travail du secteur, j’ai insisté pour qu’il soit mis en place, car la direction n’en voulait pas !

Mais ils ont réussi à ce que ce CE soit ce qu’on appelle les “CE bidons” : il ne comporte que 2 membres totalement soumis à la direction au point de ne jamais fonctionner, sauf pour donner un “avis favorable” à un licenciement d’une déléguée syndicale … ce qu’il a fait à deux reprises.

Cette déléguée est … une femme, d’origine arabe, de retour de congé maternité, dont l’entreprise a voulu se débarrasser après 6 ans de bons et loyaux services. Pour la pousser dehors, elle qui s’occupait de la zone commerciale du grand orient, ils l’ont mise à une zone Amérique latine-Pacifique qu’elle ne connaissait pas et dont elle ne parlait pas la langue, ce qui lui demandait deux fois plus de travail. Plutôt que de lui redonner son poste après son congé maternité, ils y ont mis des intérimaires. (C’est de plus en plus fréquent, il faudrait une loi pour protéger les femmes de retour de maternité)… Ils m’ont demandé trois fois de suite l’autorisation de la licencier, la dernière en juin 2004, sous un prétexte kafkaïen, après l’avoir, cette fois, « mise à pied » (privation de salaire), ils ont fait traîner la procédure, négligeant de tenir le CE prévu début juillet. Si je n’étais pas intervenu, ils la laissaient tout l’été sans salaire. Déjouant ce qui était manifestement une sale pratique de la direction, j’ai exigé que le CE se tienne vite, formalité nécessaire, et qu’ils me saisissent vite. Ils ne l’ont fait que le 24 juillet alors que je partais le 26 en congé. Alors j’ai hâté la procédure, je suis allé dans l’entreprise faire mon “enquête contradictoire” légale, prendre acte que le CE avait voté, et pris ma décision de refus d’autorisation de licenciement le lendemain, pour que l’employée retrouve un salaire fin juillet. Alors que je n’étais absorbé que par mon “enquête contradictoire“ pour obtenir le maximum d’éléments et rendre imparable, juridiquement, le refus de licenciement, l’avocat de Guinot, qui se vante dans le Parisien de ma mise en examen, a tenté de mêler la proximité physique de mon enquête, ce matin-là, à la tenue du CE, pour inventer que j’avais “fait du chantage” au CE. Après quoi le Procureur a amélioré la saisine initiale avec un “réquisitoire supplétif” pour “entrave au CE”.

Reprocher à un inspecteur du travail “une entrave” au CE !!

Le ministère a cassé ma décision (ce n’est, hélas, pas le seul cas). Pourtant, tout ce qui s’est passé, d’un bout à l’autre dans cette affaire, aurait dû donner raison à l’employée. Le fait que le Tribunal administratif ait confirmé le ministère me stupéfie. Je ne sais pas si cette salariée ira en Conseil d’État, mais elle est tellement dans son bon droit que cela mériterait d’être tenté.

Le juge m’a convoqué pendant 5 heures le 7 mars 2007, alors que je revenais de Périgueux où avait été jugé et condamné l’assassin de deux de mes collègues (à Saussignac le 2 septembre 2004). Je l’ai surpris en lui apprenant un point de droit qu’il ignorait : un avis du CE favorable au licenciement d’un délégué n’est qu’un élément indicatif et ne s’impose pas à l’Inspection du travail. Entre ce 7 mars 2007 et le 21 novembre 2008, n’entendant parler de rien, je croyais légitimement la plainte pour “chantage” mort-née ! »

G.Filoche commente : « Si des patrons réussissent… à faire convoquer des inspecteurs du travail devant les juges, c’est le contrôle de tout le droit du travail qui sera entravé, et non pas un CE bidon. »

Cherchant à comprendre, il évoque l’attitude du Directeur Général du travail avec lequel il est en conflit idéologique ouvert. Il insiste sur le fait qu’un inspecteur du travail est indépendant selon la convention 81 de l’OIT.

Et il explique : « Nous sommes indépendants mais pas neutres. Nous avons pour mission “d’alerter les gouvernements en place sur le sort qui est fait aux salariés”. Nos assujettis ce sont les employeurs, pas les salariés. C’est aux employeurs que nous devons faire respecter le code du travail de la République. Il faut de l’imagination, pour me mettre, moi, à six mois de ma retraite, après trente ans de métier, en examen, pour “entrave à un CE” !

À l’émission Ripostes, le 10/12/2006, N. Sarkozy m’avait dit « Je ne partage pas votre détestation des employeurs, M. Filoche ». Je ne déteste pas les employeurs sauf ceux qui trichent et spolient leurs salariés de leurs droits. Je fais mon métier avec d’autant plus de vigueur que la délinquance patronale augmente considérablement, que le droit du travail est foulé aux pieds, méprisé bien au-delà de mon secteur (qui s’étend sur 4.500 entreprises et 45.000 salariés)… »

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