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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 1058 - octobre 2005

 

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N° 1058 - octobre 2005

La campagne électorale   (Afficher article seul)

Le sens des élections   (Afficher article seul)

EXTRAIT DE LA GR15, 16-31 MAI 1936

L’abondance appartient à tous   (Afficher article seul)

EXTRAIT DE LA GR N°29 (DU 16 AU 31 DÉCEMBRE 1936)

Ma rencontre avec l’économie distributive   (Afficher article seul)

QUELLE “fin” du travail ?   (Afficher article seul)

EXTRAIT DU NUMÉRO SPÉCIAL (GR972) CONSACRÉ À LA “FIN” DU TRAVAIL

La monnaie   (Afficher article seul)

EXTRAIT DU NUMÉRO SPÉCIAL (GR972) CONSACRÉ À LA“FIN” DU TRAVAIL

L’emprise du marché   (Afficher article seul)

EXTRAIT DU NUMÉRO SPÉCIAL (GR 984) MAIS OÙ VA LE SERVICE PUBLIC ?

70 ans de lutte   (Afficher article seul)

Le droit au travail   (Afficher article seul)

EXTRAIT du Droit Au Travail - 1ère ANNÉE N°1 (BI-MENSUEL)

Lettre ouverte à M. Gaston DOUMERGUE   (Afficher article seul)

EXTRAIT du Droit Au Travail - 1ère ANNÉE N°1

Repères   (Afficher article seul)

La galaxie distributive    (Afficher article seul)

Au lecteur   (Afficher article seul)

EXTRAIT DU PREMIER NUMÉRO, DATÉ DU 16 AU 31 OCTOBRE 1935

Le chômage   (Afficher article seul)

EXTRAIT DU PREMIER NUMÉRO, DATÉ DU 16 AU 31 OCTOBRE 1935

Droit au travail ! Droit à la vie !   (Afficher article seul)

EXTRAIT DE LA GR N°5 (DU 16 AU 31 DÉCEMBRE 1935)

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GR13, 16-30 AVRIL 1936

Pour la France l’événement politique le plus important de l’année 1936 est l’arrivée au pouvoir du Front Populaire. La Grande Relève, et notamment Jacques Duboin dans ses éditoriaux, met en garde le nouveau gouvernement contre la tentation de gérer l’économie de façon orthodoxe. Il n’a pas été entendu. Pas plus que nous ne l’avons été en 1983 quand nous avons édité la brochure Sortir le socialisme de la crise . Nous l’avons envoyée personnellement à chacun des parlementaires socialiste, notre intention étant d’avertir le PS de ce qui l’attendait s’il s’obstinait à ne pas changer les règles économiques et monétaires. On sait ce qu’il advint dans les deux cas.

La campagne électorale

par J. DUBOIN
octobre 2005

La campagne électorale bat son plein et certains s’étonnent de ne pas voir le “Droit au Travail” y prendre une part active.

S’imaginerait-on que nous nous en désintéressons  ?

Mais toute notre action porte, on le sait, sur le terrain économique. Nous nous efforçons de faire comprendre aux hommes de toutes opinions politiques que le problème économique est à la base de toutes nos difficultés, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur ; que ce problème exige une transformation profonde de toute la structure sociale dans les pays qui, comme le nôtre, sont modernement équipés.

Toute notre propagande n’a qu’un but : faire saisir au plus grand nombre la prodigieuse transformation que vient de subir, au cours de ces dernières années, la production des choses utiles aux hommes ; que cette transformation entraîne une nouvelle division du travail rendant inéluctable une nouvelle répartition des produits.

Que cette transformation doive avoir des répercussions politiques, qui en douterait ? Mais comment le faire admettretant que l’on n’est pas convaincu des causes exactes des désordres, tant qu’il reste de l’espoir de ressusciter la vieille économie  ? ... Nous réclamons pour nous la liberté que nous laissons aux autres. C’est dire que nous sommes contre toutes les atteintes à la liberté de pensée et de réunion : bien décidés à intensifier notre propagande, nous votons donc contre le fascismesous toutes les formes qu’il lui plairait de prendre. Nous sommes contre la destruction des produits utiles... Nous sommes contre tous ceux qui parlent de résorber le chômage autrement que pour une répartition des tâches encore nécessaires et des loisirs heureux.

Nos camarades estiment qu’aimer son pays ne consiste pas à haïr les autres. Nous sommes tous pour la paix que seul le régime de l’abondance peut apporter aux hommes en faisant disparaître cette nécessité de conquérir les marchés internationaux qui a toujours été la cause des conflits armés. À plus forte raison encore sommes-nous contre les luttes de race ou de religion.

Mais nous combattons énergiquement quelques candidats se réclamant de l’abondance s’ils l’accommodent à leur façon pour les fins d’une politique qui lui est diamétralement opposée...

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GR15, 16-31 MAI 1936

Le sens des élections

par J. DUBOIN
octobre 2005

On peut épiloguer à perte de vue sur le sens de la consultation populaire, mais tout le monde est d’accord pour reconnaître que la majorité des Français veulent que cela change. Maintenant sont-ils d’accord pour dire comment cela doit changer, c’est une autre histoire, car, ainsi que nous l’avons écrit, la question n’était pas posée avec la netteté nécessaire... C’est ainsi que nombre de candidats élus avaient inscrit dans leur programme la revalorisation des produits, sans se douter que cette revalorisation n’a d’autre but que d’augmenter les profits. Plus le prix d’un produit est élevé, plus il y a de profit à l’échanger contre autre chose ; mais pour qu’il ait une valeur marchande, il faut qu’il ne soit pas trop abondant. Alors va-ton continuer à créer artificiellement de la rareté pour faire renaître les profits ?

D’autres candidats élus veulent augmenter la capacité d’achat des masses. Se doutent-ils qu’elle est actuellement créée par la production, laquelle est régie parle profit ?

Presque tous se sont prononcés pour la défense du franc sans se douter que l’intangibilité du franc n’est nécessaire que dans le régime des comptes ..., bref dans le régime économique dont tout le monde se plaint mais dont personne ne veut sortir. Tous veulent résorber le chômage sans se douter qu’il est la rançon de ce progrès technique que l’on célèbre à l’envi sans se douter quela diminution du travail humain est le but de toutes les applications scientifiques. Quel candidat a osé dire que le chômage de quelques uns devrait être transformé en loisir pour tous ?

Certes nous ne nous dissimulons pas la lourde tâche qui attend le gouvernement issu de la majorité de ceux qui veulent que ça change : et nous supposons qu’il se décidera bien à expliquer nettement au pays que la transformation qu’il espère ne peut pas résulter des errements d’autrefois.

Déjà on parle avec insistance d’un grand programme de travaux publics. Certes ceux-ci sont indispensables à la minute où l’initiative privée ne peut plus les entreprendre, faute de profit. Mais si l’on espère les financer d’une manière orthodoxe, nous ne voyons pas bien comment on y parviendra. Aucun pays jusqu’ici n’a pu réveiller l’activité économique sans des entorses répétées au régime basé sur les échanges... Les prédécesseurs du nouveau gouvernement furent contraints de s’engager dans cette voie car ils n’avaient réussi ni à équilibrer le budget, ni à empêcher l’or de sortir des caves de la Banque de France... L’orthodoxie pratiquée par les orthodoxes a fait faillite.

Nous ne supposons pas que ceux qui veulent que cela change vont nous ramener à l’orthodoxie.

De sorte qu’il faut leur faire confiance en tenant compte des difficultés qu’ils ont à vaincre et qui, en grande partie, proviennent d’un corps électoral insuffisamment renseigné sur l’étendue de la transformation qu’il réclame.

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GR N°29 (DU 16 AU 31 DÉCEMBRE 1936)

Le mot “abondance”, quand on l’emploie aujourd’hui, soulève un tollé. Quand Duboin le lance, c’est précisément pour expliquer qu’on ne peut pas conserver des règles économiques basées sur la rareté, d’où vient le profit, depuis qu’on sait fabriquer n’importe quoi. L’article qui est ici reproduit est sa réponse à ceux qui s’inquiètent en voyant que certains reprennent cette explication et la diffusent comme si elle venait d’eux. Il éclaire donc sur les objectifs du mouvement : seulement faire comprendre, pas en tirer un avantage personnel. ll est d’actualité, parce que le débat entre engagement purement citoyen et ambition politicienne va se développer...

L’abondance appartient à tous

par J. DUBOIN
octobre 2005

Quelques camarades manifestent des inquiétudes. Tous les partis, disent-ils, inscrivent l’Abondance dans leur programme ; chacun cherche à l’utiliser aux fins de sa propagande ; c’est à qui se réclamera de nos idées pour les dénaturer.

Et qu’importe ! Voulez-vous que nous y réfléchissions un moment ?

Lorsque notre campagne commença, bien avant la création de la Grande Relève, combien étions-nous ? Vous en souvient-il, Jean Decroix ? Une vingtaine ou une trentaine tout au plus. Sur ce nombre, la moitié ne tarda pas à se défiler pour une raison ou une autre, ou sans raison du tout. Nos premières réunions publiques n’attirèrent presque personne. Lorsqu’elles commencèrent à être suivies, la plupart des auditeurs haussaient les épaules en nous regardant avec pitié. Par-dessus le marché, la presse nous étouffait sous un silence de mort. Puis, après une série de conférences en province, en Belgique, en Suisse, des sections s’organisèrent un peu partout ; la Grande Relève fut créée. Des camarades dévoués accoururent de tous côtés pour assumer le travail matériel, préparer les réunions, prendre la parole devant des auditeurs de plus en plus nombreux et répondre aux contradicteurs venus des quatre coins de l’horizon politique. Une pléiade d’écrivains surgit ensuite, en véritable bouquet ; puis vinrent les grandes réunions de dix mille personnes avec Langevin, s’il vous plaît !

Alors on commença à nous combattre avec les armes habituelles : la calomnie, le mensonge, l’anonymat, etc. C’était la réussite ! La preuve, en tout cas, qu’on ne pouvait plus nous ignorer !

Aujourd’hui, tout le monde parle de l’abondance ; tous les partis s’en réclament ; tous prétendent vouloir y donner leurs meilleurs soins. Et vous vous en plaindriez, chers camarades ?

Vous avez peur qu’on nous la défigure ? Vous craignez qu’elle serve à des fins obscures ? Je vous réponds : non, c’est impossible. Il n’est pas dans la nature même de l’abondance de pouvoir être accaparée par quelques-uns. L’abondance ne peut pas être traitée d’une manière ou d’une autre. L’abondance se distribue, car elle rend les échanges impossibles ! L’abondance appartient à tout le monde !

Et qu’importe que les gens qui en parlent ne se doutent pas encore de ce qu’elle signifie ? En parler est déjà un prodigieux succès, car, hier encore, ils haussaient dédaigneusement les épaules. Ils considèrent que l’abondance est possible, puisqu’ils l’utilisent comme argument, comme moyen de séduire la foule. Mais, si elle est possible, il faut qu’elle règne ! C’est ce que leurs auditeurs leur crieront aux oreilles avant longtemps. Donc ne nous inquiétons pas ; I’abondance fera son chemin envers et contre tous ; quel que soit le nom dont on affuble une rose, elle ne cessera pas d’embaumer.

Alors je vous en supplie, ne sombrons pas dans le ridicule en affirmant que l’abondance est notre bien et que nous sommes seuls qualifiés pour en parler. Si tel était notre état d’esprit, à quoi diable aurait pu bien rimer notre propagande ? Voyez ce qui arrive à mon ancien collègue Daladier. À force de l’avoir chapitré (Maillot en sait quelque chose), le voici qui parle de notre doctrine dans un discours ministériel et dominical. Que dit-il à Eveux ? Que nous sommes à une époque où le monde a été transformé : la Science a fait éclater la Nature. Le seul problème à résoudre, c’est celui de la répartition de l’abondance ! Mais, dites-moi donc, ce n’est pas trop mal pour un début ; encore un effort, et le ministre de la Défense nationale fera la conférence-maison.[...] Ceci, évidemment, ne veut pas dire que Daladier est disposé à transformer la vie économique et tout le régime social ! Mais c’est déjà bien beau qu’il sache où aller. Ceci nous prouve, une fois de plus, la nécessité d’intensifier notre propagande et surtout de faire comprendre au plus de gens possible.

Car c’est une plaisanterie d’un goût douteux que de prétendre que tout le monde a compris, et d’écrire et de pérorer comme si tout le monde était au fait. Ou c’est nous faire un compliment que nous ne méritons pas encore...

Chers camarades, je vais vous faire une prédiction : de même que j’ai découvert que ce sont toujours les fripons qui me cherchent des querelles, de même vous découvrirez que ceux qui prétendent inutile d’expliquer le régime d’abondance sont précisément ceux qui n’y ont absolument rien compris. Ils veulent l’abondance contre quelqu’un ; ils inventent l’abondance démocratique, comme si une abondance aristocratique pouvait être conçue ; ils en font un tremplin, leur chose, tant ils demeurent encroûtés, envoûtés, desséchés dans le régime de la rareté.

Laissez-les crier. J’avoue ne pas comprendre l’émoi d’un petit nombre d’amis à l’idée que certains de nos camarades se laissent prendre à ce pauvre battage et risquent, paraît-il, de nous quitter pour courir derrière. D’abord où voulez-vous que ces agités puissent recruter du monde, si ce n’est dans nos rangs ? Vous ne supposiez pas cependant qu’ils puissent s’adresser au tout-venant, puisqu’ils affirment que tout le monde est informé et convaincu ! Ensuite, de deux choses l’une : ou ceux qui nous quittent n’ont rien compris : alors, bon débarras, car ils nous encombraient ; ou, au contraire, ils ont compris : ils essaieront de faire comprendre ailleurs.

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TÉMOIGNAGE

Pendant la guerre, La Grande Relèvene paraîtra pas. Son dernier numéro que nous avons retrouvé (le 73) est daté du 27 juillet 1939. Cependant, en zone libre, la section du DAT de Marseille réussit à regrouper ses membres et à poursuivre sa propagande pour l’économie distributive. Elle reparaît dès juin 1945, sous la forme d’un simple recto-verso, mais sur quatre pages à partir du n° 2 , de juillet. Dans le même temps, le DTAa pris le nom de Mouvement Français de l’Abondance (MFA) et les JEUNES, celui de Mouvement du Socialisme de l’Abondance (MSA). Dès la Libération du territoire, le MFAa réorganisé ses sections et repris ses conférences, à nouveau il fait salles combles. Un Cours hebdomadaire d’Économie de l’Abondance a débuté à l’automne 1945, 31, rue Pierre-Ier-de-Serbie à Paris, par une conférence avec projections, donnée par M. Alfred Doërr et intitulée : La science et le problème social.

Ma rencontre avec l’économie distributive

par R. POQUET
octobre 2005

1945 - 1948

La France bouillonne de la liberté retrouvée : Albert Camus dynamise le quotidien d’opinionCombat, les meetings politiques attirent un public avide de perspectives après cinq années d’occupation et les caves de Saint-Germain des Prés, comme les cafés de Pigalle, s’ouvrent aux expériences musicales d’outre-atlantique. Soif de renouveau et espoir d’une nouvelle donne économique et politique : chacun pressent que les progrès scientifiques, accomplis depuis un demi-siècle et accélérés par la seconde guerre mondiale, laissent entrevoir une ère nouvelle.

UN SOIR D’HIVER 1948-1949

Sous un ciel de rouille d’où s’échappent quelques flocons de neige, je mets mes pas dans ceux d’un groupe d’adultes, en direction de la ville voisine, distante de sept kilomètres. Quand nous entrons dans le préfabriqué qui abrite le siège de la Chambre de Commerce et d’Industrie, un conférencier offre aux quelque trente personnes présentes un spectacle insolite : une tortue électronique se déplace sur le sol sous les seules impulsions d’une source de lumière. La science cybernétique va bouleverser, explique-t-il, les procès de production et de distribution ; la grande relève des hommes par la machine est en marche et les conséquences sur notre système économique seront incalculables. Ce cybernaute s’appelait Albert Ducrocq.

*

Quelques mois après, nouvelle marche nocturne vers la ville. Cette fois, nous gagnons un théâtre municipal plein à craquer. Plus de tortue mais deux prophètes. L’un, Robert Laurent, professeur de sciences physiques, met l’accent sur l’irruption de progrès techniques de plus en plus rapprochés. Le second, Jacques Guggenheim, orateur hors pair, lauréat du concours radiophonique d’éloquence produit et animé par André Gillois“Vous avez la parole”, tire les conséquences de cet événement : l’abondance pour tous est envisageable, à condition que d’autres structures économiques et financières se substituent aux anciennes.

Dans une France qui sortait péniblement du rationnement des denrées de base, l’argumentation était pour le moins osée. L’auditoire, médusé, applaudit à tout rompre. Les questions fusent. Le maire de la ville se risque à la contradiction et se voit contraint de quitter la salle sous les huées. Une atmosphère pré-révolutionnaire secoue le vénérable théâtre qui assiste, impuissant, à cette nouvelle bataille d’Hernani, tant la foi en l’avènement d’une société nouvelle excite les esprits. J’apprends par la suite que les conférences ont été organisées par la section locale d’un certain Mouvement Français pour l’Abondance (MFA) ; cette association a pour membres actifs le proviseur du lycée de garçons, un avocat, un médecin et un représentant de commerce. Avec quelques copains du lycée, j’adhère au Mouvement.

Cette initiation inattendue à l’économie politique me vaut de devenir lauréat d’un concours organisé par les Coopératives de France. À ce titre, quelques étudiants et moi-même sommes invités à visiter (récompense ou pensum ?) l’ensemble des coopératives de production d’une Ile de France élargie. Au retour, je me rends au siège du MFA, rue de Miromesnil, où je rapporte brièvement les étapes de mon odyssée à Jacques Duboin.

Je me souviens l’avoir fait rire en lui racontant que l’un des participants au voyage, un étudiant en sciences économiques, m’a soutenu que Bretton Woods était un célèbre économiste australien.

Le service militaire, puis les opérations en Algérie, m’éloignèrent pour un temps du MFA. Je savais par ailleurs que la plupart de ceux qui avaient rêvé d’une transformation rapide, par la voie parlementaire, de nos structures économiques et financières, avaient perdu leurs illusions. Début 1976, j’appris avec tristesse la disparition de Jacques Duboin. Ironie du sort : à cette date, les accords de Bretton Woods venaient d’être abandonnés, place était laissée à la libéralisation des changes et au développement conséquent de la mondialisation ; la perspective de voir s’instaurer l’économie distributive s’éloignait.

*

Un dernier rappel de la mémoire. En 1936, Jacques Duboin eut l’occasion de présenter cette nouvelle perspective économique à Léon Blum, alors président du Conseil. Aucune suite ne fut donnée à cet entretien, ni à la lettre qui a suivi celui-ci. J’ai toujours pensé qu’il y avait là, pendant le Front Populaire, une chance à saisir : les conditions étaient des plus favorables pour opérer ce “saut de l’ange”.

*

Aujourd’hui, 70 ans après le lancement de La Grande Relève, l’économie distributive se présente toujours comme un magnifique phare qui éclaire notre réflexion et alimente les espoirs que nous mettons en une société plus juste et plus humaine. Hélas, notre système économique et financier excelle à attiser en chacun de nous l’appât du gain, la volonté de pouvoir et les forces obscures du désir. Que les générations futures méditent cette prédiction du peintre Goya « le sommeil de la raison engendre des monstres ».

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EXTRAIT DU NUMÉRO SPÉCIAL (GR972) CONSACRÉ À LA “FIN” DU TRAVAIL

QUELLE “fin” du travail ?

octobre 2005

« C’est une société de travailleurs que l’on va délivrer des chaînes du travail, cette société ne sait plus rien des activités hautes et enrichissantes pour lesquelles il vaudrait la peine de gagner cette liberté. »

Hannah Arendt

À l’automne 1996, le grand succès de librairie remporté par “L’horreur économique” [1] de Viviane Forrester, puis la parution de la traduction en français [2], préfacée par Michel Rocard, du livre de l’américain Jeremy Rifkin, “The End of Work” [3], ont fait prendre conscience au grand public des dégâts sociaux causés par “la fin du travail”. Si le premier de ces ouvrages n’est finalement que le constat désespéré de l’extension de « la misère dans l’abondance », déjà dénoncée par Jacques Duboin [4] dès 1935, et ne propose aucun remède pour en sortir, le second va plus loin en esquissant les grandes lignes de la société “post-salariale”, mais il reste flou sur son financement. Il n’en demeure pas moins que, malgré leurs lacunes, ces deux livres ont eu le mérite de porter sur la place publique le débat sur la fin du travail, réservé jusqu’alors aux seuls sociologues.

Évoquer simplement cette perspective d’une fin du travail semble pour beaucoup un péché capital. Se rejoignent dans cette défense de la “valeur-travail”, d’une part, les néo-libéraux et le patronat le plus réactionnaire, et d’autre part de nombreux syndicalistes, sociologues, économistes ou hommes politiques de gauche, mais prisonniers de schémas d’une époque à jamais révolue.

Les premiers frémissent d’horreur à la seule pensée d’une possible réduction du temps de travail, même accompagnée d’une baisse proportionnelle des salaires.

Parmi les seconds, beaucoup, victimes de la confusion, plus ou moins volontairement entretenue entre “travail” et “activité”, craignent de voir l’assistanat remplacer le salariat.

Pour les uns et les autres, mais pour des motifs différents, le partage du travail apparaît comme une mesure malthusienne à rejeter sans appel.

Or, dans le bazar de mesures hétéroclites proposées, figurent des concepts que l’on pourrait croire tirés des propositions de Jacques Duboin, par exemple, celui d’allocation universelle...

Il nous a donc paru utile d’éclairer ce débat de société sur “la fin du travail” à la lumière des thèses de l’économie distributive.

Pour cela :
• nous faisons tout d’abord le constat, chiffres à l’appui : les problèmes de production sont résolus par les progrès des sciences et des techniques, mais dans le système économique actuel, celui du marché capitaliste, cela aboutit à une précarisation de plus en plus grande de la majeure partie de la population ;
• nous analysons ensuite la “valeur” attribuée au travail pendant l’ère industrielle afin de la démythifieret de préciser les différences entre activité et travail salarie ? ;
• nous démontons les tentatives de récupération, pour leur plus grand profit, que tentent de faire le patronat et la droite en profitant de la confusion entre travail et activité ;
• nous expliquons pourquoi les propositions des partis de gauche, pour indispensables qu’elles soient, ne sont que des rustinesqui se décolleront vite à l’épreuve de l’accélération du progrès ;
• nous montrons en fin comment nos propositions, celles de l’économie distributive avec l’instauration de “contrats civiques”, permettent de remettre l’économie au service de l’homme et non plus du capital.

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[1] VivianeForrester, L’horreur économique, éd. Fayard, 1996.

[2] Jeremy Rifkin, La fin du travail, éd. La Découverte, 1996.

[3] Nous rappelons, pour nous fait plaisir, que nous en avions parlé dès juin 1995, dans la GR945.

[4] Jacques Duboin, Kou l’ahuri, ou la misère dansl’abondance, éd. Fustier, 1935.

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EXTRAIT DU NUMÉRO SPÉCIAL (GR972) CONSACRÉ À LA“FIN” DU TRAVAIL

La monnaie

octobre 2005

Depuis Bellamy [1], et surtout depuis Duboin, les distributistes que nous sommes ne sont pas restés figés. Car il faut l’inventer cette société post-marchande, la société de l’après-salariat, celle que nous appelons la société distributive, la société des affranchis [2] de la course au travail et de la course au profit.

Des affranchis qui choisissent par un contrat civique [3] leurs activités et y découvrent un épanouissement insoupçonné, soutenu par l’assurance de recevoir, à vie, un revenu suffisant pour bien vivre, considéré comme leur part de la production réalisée en commun à l’aide des connaissances héritées.

Mais pour distribuer à tous un tel revenu, il faut une monnaie qui soit gagée sur ces produits disponibles. Et cette idée d’une monnaie de consommation, parce qu’elle rompt bien évidemment avec toutes les habitudes monétaires de nos ancêtres, est encore difficile à passer. Les gens sentent bien que le capitalisme dresse un mur devant leurs aspirations à plus de justice, beaucoup se révoltent de voir s’agrandir le fossé entre quelques richissimes profiteurs et de plus en plus de laissés-pour-compte, ils voient bien que l’argent a pourri bien des responsables, ils savent confusément qu’il existe des paradis fiscaux, dont ils ne mesurent pas souvent l’importance, ils sont stupéfaits quand ils sont brusquement confrontés dans leur entourage aux dégâts de la drogue, même s’ils n’analysent pas toujours la raison de son développement. Est-ce la peur égoïste du lendemain ou bien la montée de la violence à l’américaine, parce qu’elle envahit nos écoles, qui va leur ouvrir les yeux ?

Espérons que ce sera plutôt une généralisation des SEL. Ces systèmes d’échange locaux ont l’avantage de remettre la monnaie en question : comme elle y est annulée dès qu’elle a servi, les SELhabituent les gens à ne plus voir dans l’argent une fin, mais seulement un moyen de gestion, un outil comptable en quelque sorte, et qui permet de respecter et l’homme, et la nature....

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[1] Allusion au roman Looking backward d’Edward Bellamy 1888.

[2] M-LDuboin Les affranchis de l’an 2000, éd Syros, 1984.

[3] Voir GR 907, janvier 1992.

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EXTRAIT DU NUMÉRO SPÉCIAL (GR 984) MAIS OÙ VA LE SERVICE PUBLIC ?

L’emprise du marché

octobre 2005

L’arrivée au pouvoir en Grande-Bretagne de Margaret Thatcher en 1979, puis celle de Ronald Reagan aux États-Unis en 1981 ont ouvert les portes de l’Occident à l’économie libérale. Au printemps 1981, le “socialiste” Mitterrand, nouveau Président de la République, voulait “changer la France” mais il écrivait “qu’il n’avait pas été élu pour faire la Révolution”. Ses gouvernements successifs se laissaient gagner au fil des ans par l’ambiance néo-libérale, et, qu’ils soient de gauche ou de droite, reprenaient à leur compte l’antienne chère à Margaret Thatcher :“TINA” (There Is No Alternative = Il n’y a pas d’autre solution). En clair, privatisations massives, rigueur budgétaire et, pour cela, amaigrissement du secteur public et nationalisé, fin de l’État-providence, déréglementations en tous genres...

À Bruxelles, sous la présidence du “socialiste” Jacques Delors, les commissaires européens, et notamment les britanniques, laissaient libre cours à leur imagination libérale : libre échange, concurrence générale, ouverture totale des marchés,... De GATT en OMC, ils préparaient déjà l’AMI [1] !

En France, on jetait tout de même un coup d’œil sur ce qui se faisait outre-Rhin, et l’on se délectait à comparer les mérites du capitalisme rhénan, cogestionnaire, et du capitalisme anglo-saxon, pur et dur. La lutte contre le chômage étant déjà la priorité des priorités (du moins officiellement), on glorifia l’entreprise, et on alla même jusqu’à imaginer qu’une entreprise capitaliste puisse être “citoyenne”... !

C’était le temps des golden boys et de l’argent facile, celui “qu’on fait en dormant”.

Enfin, la chute du mur de Berlin en 1989, suivie peu après par l’implosion de l’URSS, balayaient les derniers obstacles qui restaient encore sur la voie de la mondialisation du capitalisme financier. C’était “la fin de l’histoire”.

En 1992 le démocrate Clinton succède au républicain Bush. L’économie américaine redémarre avec ses restructurations sans pitié. Plus les licenciements sont importants et plus Wall-Street flambe... mais le fossé entre riches et pauvres s’élargit et, pour faire bonne mesure, Clinton supprime les fonds fédéraux alloués à l’aide sociale. N’ayant plus aucun opposant idéologique, les États-Unis s’affirment comme les gendarmes du monde et tentent d’imposer leur domination économique à l’ensemble de la planète par le décloisonnement et la déréglementation des marchés. Mais le système est pervers et la bulle financière éclate en Asie du Sud-Est ; la Russie, privée d’État, en proie à la mafia, est en faillite, et le Brésil menace à son tour de s’effondrer... Bref, c’est la crise ! Y compris aux États-Unis où les signes inquiétants s’accumulent : depuis mars, 150.000 emplois industriels ont été supprimés (Boeing vient d’ailleurs d’annoncer quelque 50.000 licenciements prochains), les exportations continuent de s’effondrer et les profits des entreprises commencent à baisser...

Entre temps, l’Union européenne a presqu’entièrement viré au rose (très clair !) : T.Blair en Grande-Bretagne, L.Jospin en France, G. Schröder en Allemagne, ont succédé à des gouvernements conservateurs. à des degrés divers, ils rêvent d’une “troisième voie” qui associerait marché et protection sociale. Autant dire d’apprivoiser le loup lâché dans la bergerie !

Mais les commissaires européens “libéraux”, eux, sont toujours là et veillent au grain : concurrence oblige, les services publics nationaux doivent s’effacer devant l’entreprise privée dans l’intérêt supérieur des consommateurs. Dans cette affaire les Français sont particulièrement touchés car, comme le fait remarquer Régis Debray [2] : « dans le basic english de Bruxelles, “service public” se traduit par “monopole”... Il en résulte des dialogues de sourds ». D’autant plus que la France bénéficiait jusqu’ici d’un service public jacobin extrêmement développé... et, le plus souvent performant, quoi qu’en disent les grincheux démagogiquement confortés dans leur idée qu’il y a trop de “fonctionnaires”, qu’ils ne font rien et qu’ils nous coûtent cher. L’amalgame se fait bien facilement entre le postier, l’instituteur, l’infirmière hospitalière,... qui gagnent à peine plus que le SMIC, et le haut fonctionnaire sorti de l’ENA ou de l’X qui, de directions centrales en cabinets ministériels, finit par rejoindre le privé pour un salaire quatre ou cinq fois plus élevé que son traitement de fonctionnaire.

Et le brillant énarque ne tardera pas à devenir le pourfendeur zélé de “l’État-patron”.

Pire encore : des années de propagande idéologique pour “le marché” ne sont pas restées sans effet sur les modes de pensée de nombreux responsables (conseillers techniques dans les ministères, directeurs d’administrations centrales ou même cadres dans diverses institutions sociales,...). Anticipant les mouvements de privatisation, essayant de montrer qu’ils savaient gérer aussi bien (ou aussi mal) que le privé dont ils adoptent les méthodes, ... ils privilégient la rentabilité financière au détriment du service à rendre, de la mission à accomplir. Le mal touche indistinctement les services publics dit concurrentiels que les autres, la culture, le sport, ...

Bref, la marchandisation s’attaque maintenant à tous les ressorts de la vie.

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[1] Accord Multilatéral sur les Investissements, voir dans nos N°975 la description de l’accord et la pétition proposée, et N°982 les nouvelles menaces.

[2] dans Le Monde, 7/11/98.

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ÉDITORIAL

70 ans de lutte

par M.-L. DUBOIN
octobre 2005

C’est en 1933, alors que la grande crise née en 1929 aux États-Unis frappe durement la France, que Jacques Duboin, entouré de quelques amis, fonde ce qu’on appelle alors une ligue (on dirait aujourd’hui une association ou un mouvement), la “LIGUE POUR LE DROIT AU TRAVAIL ET LE PROGRÈS SOCIAL” qui publie sous forme d’affiche un bimensuel intitule ?Le droit au travail. Nous en reproduisons le premier numéro ci-contre.

Pour donner une plus grande audience à cette ligue, Jacques Duboin crée en octobre 1935 La Grande Relève des hommes par la science, reprenant ce titre à un livre qu’il vient de publier. Il y pose les premières pierres de ce qui va devenir sa proposition d’économie distributive. La GRpasse l’actualité au fil de sa critique.

Les collaborateurs de Jacques Duboin viennent des horizons les plus divers : le physicien PAUL LANGEVIN, l’agronome RENÉ DUMONT, l’architecte LE CORBUSIER, le biologiste JEAN ROSTAND, le professeur d’économie ÉTIENNE ANTONELLI, les ingénieurs JEAN MAILLOT et LUCIEN PERRUCHE, le chroniqueur scientifique ALBERT DUCROCQ, le cinéaste ANDRÉ HUNEBELLE, le comédien ROBERT MANUEL et tant d’autres. Chacun apporte son point de vue, son témoignage et ses arguments, à l’appui de la thèse.

Quand on reprend la collection de soixante-dix années (moins les quatre de guerre) du journal, on est frappé de voir à quel point ces textes anciens sont restés d’actualité. En relisant les éditoriaux des premiers numéros, on est obligé de constater, hélas, qu’il y a d‘inquiétantes ressemblances entre les années qui ont précédé la guerre 39-45 et la période que nous vivons : crises sociales, économiques et morales, xénophobie, manifestation d’idéologies fascistes, exacerbation des nationalismes ...

*

Dès sa création La Grande Relève explique que la crise est la première manifestation du fait que, grâce aux machines, la capacité de production dépasse la capacité d’achat dans un système capitaliste. Ce système économique étant basé sur la rareté qui fait le profit, l’abondance devient l’ennemi numéro un. Alors, dans tous les pays développés, on s’efforce de détruire des biens et de freiner la production qui n’a pas acheteur solvable. Et on aboutit à ce scandale de la misère dans l’abondanceque dénonce sans relâche la GR. Elle explique pourquoi les pays industrialisés adoptent alors une politique d’armements, et pourquoi, lorsqu’ils ne peuvent plus faire les profits qu’ils attendent, les milieux économiques et financiers ont besoin des dictatures pour perpétuer, fut-ce sous couvert de nationalisme, le vieil ordre économique.

1939. Jacques Duboin avait vu juste. La guerre éclate, qui supprime les chômeurs en même temps que l’abondance, mais seulement pour quelques années. La GR cesse de paraître, interdite sous l’occupation allemande.

Juin 1945. En Europe la guerre est terminée, la GR reparaît. Dans son premier éditorial Jacques Duboin explique que, malgré les apparences, l’abondance est toujours potentiellement présente, et donc que la “crise” va réapparaître !

Les “Trente Glorieuses”. Les reconstructions d’après-guerre et la modernisation des équipements apportant une trève au chômage, on pourrait croire que l’audience du mouvement en est diminuée. Or c’est tout le contraire, la GRdevient même hebdomadaire dans la décennie 1950. Jamais les conférences de J. Duboin n’ont connu tant de succès.

1973-2005. La “crise” réapparaît en effet, comme il l’avait prévu : avec de nouvelles techniques, se développe une production qui a encore moins besoin de main d’œuvre. Les méthodes changent, pas le principe : au lieu de détruire des vivres la Commission Européenne paie les agriculteurs pour mettre leurs terres en jachère. On produit du superflu pour ceux qui peuvent l’acheter. On travaille à flux tendus. La redistribution ne parvient pas à réintégrer ceux que le système exclut. Les guerres se font par nations interposées... mais n’en sont que plus violentes.

Jacques Duboin meurt avant de voir le capitalisme transformer l’abondance qu’il voulait raisonnablement partagée, en ce productivisme qui soumet aujourd’hui toute l’économie mondiale au profit de quelques uns, au mépris des autres et met en outre l’avenir de tous gravement en danger. Ceux qui ont “repris son flambeau” ont donc effectué “la relève” au journal en adaptant sa critique au néocapitalisme et à l’idéologie qui l’impose au monde, en même temps qu’ils approfondissaient ses propositions pour que l’économie soit enfin démocratiquement gérée. C’est ainsi que la GRa dénoncé la politique menée par l’Administration américaine et la course aux derniers gisements de pétrole, qu’elle s’est associée aux groupes citoyens de réflexion sur l’OMC, sur les entretiens de Davos, sur l’AGCS, sur le rôle du FMI et la dette du Tiers monde, qu’elle a dénoncé l’intention cachée des “réformes” des retraites, de la sécurité sociale, de l’enseignement et de la recherche et qu’elle a pris parti contre l’orientation néolibérale du projet de constitution pour l’Union Européenne.

*

En prenant l’initiative de diffuser la Grande Relèveautour d’eux, beaucoup d’abonnés prouvent qu’ils apprécient que la tâche de réflexion et d’information assignée par son fondateur, ait été ainsi poursuivie sans relâche pendant 70 ans. Malheureusement cela ne suffit pas.

Il faudrait beaucoup plus de collaborations et d’initiatives courageuses, et de la part de tous les lecteurs, pour amener le public à aller au fond des choses. Pour lui faire enfin comprendre les raisons profondes du chômage, de la misère, et de la dégradation de l’environnement, pour lui faire voir que les moyens d’en sortir existent. Alors que les grands médias, encourageant savamment sa passivité, s’obstinent à ne pas les aborder.

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1ère ANNÉE N°1
(BI-MENSUEL)
VENDU AU PROFIT DES CHÔMEURS
25 centimes

Le droit au travail

par J. DUBOIN
octobre 2005
 
Rédaction :
17, Rue Pierre-Nicole, Paris
Organe de la “Ligue pour le Droit au Travail et le Progrès Social”
PRÉSIDENT : JACQUES DUBOIN

ACHETEUR, LISEZ CECI
Et vous ne regretterez pas vos cinq sous

Celui auquel vous venez d’acheter ce journal est un homme comme vous. Il a probablement femme et enfants. Or il est dans la plus noire détresse, lui et les siens. Pourquoi ? Parce qu’il n’a pas de travail. Est-ce sa faute ? Si vous êtes de ceux qui considèrent les chômeurs comme des paresseux, trouvez-lui donc du travail ! Il acceptera... Mais vous ne trouverez rien, entendez-vous  ! Sinon il aurait trouvé lui-même, car il a cherché ... Personne n’a besoin de lui !

*

Vous croyez peut-être que son dénuement est passager et que demain la chance le favorisera. C’est faux.

C’est faux parce que son travail n’est plus nécessaire. Il y a abondance de blé,...de fruits,...d’appartements vides. Certains inconscients disent même qu’il y en a trop alors que des hommes sont privés de tout.

Il y a abondance parce que le progrès permet de fabriquertoujours davantage avec toujours moins de main-d’œuvre.

*

Mais le progrès ne devrait pas permettre que des hommes dont le travail est inutile soient condamnés à crever de faim et de froid, eux et leurs enfants.

Le progrès est destiné à créer des loisirs à tous, cependant l’imbécillité des hommes est si grande qu’ils n’ont pas encore compris que le chômeur est un homme accablé des loisirs qu’il faudrait répartir entre tous, afin que chacun vive largement comme l’abondance de toutes les choses utiles permet de le faire aujourd’hui-même.

*

Lisez tous :

Ce qu’on appelle LACRISE ! !
et La Grande RÉVOLUTION qui vient
par JACQUES DUBOIN

En vente partout :
le volume de 224 pages, 5 francs

Réfléchissez que demain ce sera peut-être votre tour. Demain vous pouvez être retranché de la société comme le malheureux auquel vous avez acheté ce journal. Vous ne le voulez pas ? Alors faites campagne pour qu’on donne du travail aux jeunes et que les vieux aient les moyens de se reposer.

Et sachez bien que c’est possible, grâce à la science qui peut libérer tous les hommes de la plus grosse part de leur labeur, si les hommes savent s’organiser [...]

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1ère ANNÉE N°1

Lettre ouverte à M. Gaston DOUMERGUE

par L. LAIR
octobre 2005

Cette lettre, communiquée à 112 journaux de Paris et de Province, a été reproduite parquatreet citée par sept.
Sans commentaires !!

Monsieur le Président,

Les résultats que votre politique a obtenus depuis huit mois sont indiscutables : le commerce, l’industrie, l’agriculture n’ont jamais connu d’aussi mauvais jours ; les magasins n’ont plus d’acheteurs, le paysan ne vend pas son blé, le viticulteur ne sait où mettre son vin, tandis que, dans le même temps [...] les traitements et salaires s’amenuisent, le chômage augmente... la situation financière de la France, par le jeu des emprunts à jet continu, ne cesse de s’obérer, etc. Allezvous continuer ?...

Certes, Monsieur le Président, votre courage civique et votre bonne volonté ne sont pas en cause. Vous faites tout ce que vous pouvez, mais vous n’aboutissez à rien parce que vous tournez le dos aux réalités.

La production boude, dites-vous, il faut la revigorer. Cependant, si la production boude, ce n’est pas que les moyens lui manquent ; le problème, en ce qui la concerne, est résolu, car elle est outillée pour produire dix fois, cent fois plus qu’aujourd’hui.

Ce n’est donc pas la production qui a besoin d’être revigorée, c’est la consommation. Or, Monsieur le Président, toutes les mesures de restriction que vous avez prises (car, affirment ceux qui vous conseillent, le train de vie de notre pays est trop grand) ont-elles créé des consommateurs, et des consommateurs solvables qui sont les seuls à intéresser la production ?

Evidemment non. D’autres vous engagent à ralentir le progrès et même à revenir en arrière. M. le Maire de La Rochelle vous donne une leçon quand il décrète que les “grands travaux” de sa ville ne seont faits qu’avec des pelles, des pioches, et des brouettes ; il proscrit les machines qui allègent le travail de l’homme. Mais alors pourquoi, Monsieur le Président... inaugurez-vous chaque semaine des expositions où vous admirez et vantez les réalisations du génie humain qui, toutes, tendent à produire davantage avec moins de travail ?

Car c’est un fait, dont la constance lui a donné force de loi, qu’à toute augmentation de la production correspond une augmentation du chômage ; le chômage devient ainsi la mesure du progrès technique.

Et vous savez qu’on n’arrête pas le progrès, justement parce qu’il est le fruit de l’intelligence humaine dont les possibilités sont illimitées [...]

La confiance manque, avez-vous souvent dit. Même stimulée par un emprunt qui réussit, mais qui nous endette en capital et en intérêts, ou par une hausse du marché des rentes, elle n’est qu’un élément psychologique et artificiel qui ne donne pas de travail aux chômeurs et ne les nourrit pas plus.

[...] Comprenez donc, Monsieur le Président, que l’humanité change de civilisation : pendant les soixante siècles qui nous ont précédés, les hommes ont lutté contre la misère parce que les richesses étaient rares ; aujourd’hui, grâce aux progrès de toutes les techniques, les richesses débordent de partout : c’est la civilisation nouvelle de l’abondance.

Le problème que vous avez à résoudre est avant tout un problème d’organisation : d’un côté, des monceaux de richesses et des moyens d’en créer davantage encore ; de l’autre, des êtres humains que vous avez condamnés jusqu’à ce jour à se restreindre, à se priver comme si vous vouliez les punir de leur intelligence créatrice.

Faites cesser cette situation atroce ; vous avez l’autorité, vous avez le pouvoir : profitez de l’une, utilisez l’autre. Ayez le courage de passer la ligne.

Vous n’avez d’alleurs pas à choisir, car il n’y a plus d’option à prendre. La marche des événements est implacable, elle vous domine ; et vous devez tout de même bien le sentir puisque tout ce que vous avez tenté pour “rétablir la situation antérieure” a échoué.

Première mesure à prendre :reconnaître et organiser le droit au travail, contre-partie équitable et légitime du droit de propriété. Notre plan est prêt, il est à votre disposition. Quelques mots le résument  :

Une place pour chacun, chacun à sa place ; du travail pour les jeunes, une retraite pourles vieux ;de même que l’on distribue les vivres dans une ville assiégée, de même, il faut répartirle travail, devenu denrée rare, entre toutes les parties prenantes : plus le progrès technique se développera (et il ne faut apporter aucune entrave à son développement) moins pénible sera le travail, moins il durera et plus nombreux seront les loisirs.

Si vous n’avez pas le courage de nous guider vers cette nouvelle civilisation dans laquelle quelques privilégiés ont à perdre, mais où tous les autres ont à gagner, vous serez, un jour prochain, rejeté par ceux-là mêmes qui vous ont appelé parce que vous les aurez déçus.

Et vous savez, Monsieur le Président, pour avoir lu l’Histoire, combien violente est la colère d’un peuple qui a faim ; et combien plus violente encore elle doit être quand le peuple sait que le pain qu’on lui refuse est à la portée de sa main.

Veuillez agréer, Monsieur lePrésident, l’expression de nos sentiments distingués.

LIGUE POUR LE DROIT AU TRAVAIL
ET LEPROGRÈS SOCIAL.
Le Secrétaire-Général : Louis Lair.

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LE CONTEXTE DES DÉBUTS

Pour tenter de cerner le contexte économique et politique, tant français qu’international, dans lequel s’est créé le mouvement distributiste, Jean-Pierre Mon s’est plongé dans les livres d’Histoire :

Repères

par J.-P. MON
octobre 2005

LE CONTEXTE ÉCONOMIQUE ET POLITIQUE FRANÇAIS

Les ruines et les morts [1] dus à la guerre de 14-18 n’ont pas empêché l’économie française de décoller rapidement dès la fin du conflit. Après deux années de quasi-stagnation (1920 et 1921), la production globale augmente fortement et double entre décembre 1921 et décembre 1924. En 1928 on produit 55 millions de tonnes de charbon au lieu de 40 en 1914, et deux fois plus d’acier. Avec 50 millions de tonnes, la France devient le premier producteur mondial de fer. La croissance est continue, la création d’emplois forte. Le pays devient largement exportateur de produits industriels et vend à l’étranger 4,3 millions de tonnes de produits sidérurgiques. Les grandes firmes installent des filiales dans toute l’Europe. La faiblesse de la monnaie favorise les exportations. À la fin des années 20, le quart de la production industrielle globale est vendu à l’étranger, ce pourcentage atteignant 67% pour les soieries et les rayonnes, 50% pour les lainages, 34% pour les automobiles, 40% pour la métallurgie (contre 15% pour l’Angleterre et 5% pour les États-Unis).

En 1929 le revenu national dépasse d’un tiers celui de 1913, la croissance du produit national brut par habitant est supérieure à celle de tous les autres pays européens.

Les années 20 s’achèvent en France sur un boom économique, mais aux États-Unis, sur un grand krach boursier dont les effets ne se feront sentir en Europe que quelques années plus tard.

L’onde de choc atteint la France en y provoquant d’abord une crise financière, une chute des cours. Le repli de l’économie française ne commence qu’à la fin de 1930, avec une récession très modérée de 7% de la production industrielle. L’équilibre français est remis en question par la contagion des grandes faillites bancaires européennes et le rétrécissement des débouchés commerciaux. Le textile, l’automobile et les caoutchoucs sont alors les trois premiers secteurs à fléchir pour cause de SURproduction. Les succursales de la Banque de France observent bientôt, dans toutes les régions, un ralentissement des affaires et une baisse des prix de gros. Les travailleurs étrangers regagnent leur pays en grand nombre (770.000 en 1931) et, même s’il n’apparaît pas dans les statistiques officielles, le taux de chômage réel est évalué à 10%. Le rythme de croissance industrielle a été jusqu’ici de 5% par an. En janvier 1933, les chômeurs sont 284.000 ; le 4 février 34, ils sont 326.000 et le mouvement s’amplifie. Les prix agricoles continuent à baisser. La France est maintenant touchée de plein fouet par la crise dont les effets deviennent tragiques. L’État renfloue discrètement les banques en difficulté et soutient artificiellement le prix du blé. Les exportations ont baissé de 25%. La production de l’industrie automobile qui travaillait beaucoup pour l’exportation recule d’un tiers. SaintGobain ne vend même pas la moitié de son verre ; Pont à-Mousson ne fabrique presque plus de fonte. Les entreprises qui ont investi doivent faire face à de lourdes obligations financières, avec un crédit réduit et une Bourse anémique, désertée par les épargnants. 400 banques, petites et grosses, disparaîtront en France entre 1931 et 1935. La chute de la Banque nationale de crédit est particulièrement spectaculaire car elle finançait un groupe industriel de 30.000 salariés. La Banque de l’union parisienne sera renflouée en 1934. En 1935 Citroën, qui est entre les mains des banques, ne fabrique plus que 23.000 voitures alors qu’elle en fabriquait 65.000 quatre ans plus tôt. Avec 900.000 millions de dettes, la firme est liquidée en 1934 et rachetée par Michelin : 65.000 ouvriers se retrouvent à la rue. Il y a 200.000 sans emploi dans le département de la Seine et on compte 65.000 chômeurs dans les mines et la métallurgie du Nord, qui employaient précédemment 110.000 salariés. Le chômage continue de progresser rapidement bien qu’il soit loin d’atteindre les taux américain, allemand ou britannique. Mais la diminution de la durée du travail et le chômage partiel permettent de masquer en partie les effets de la crise et, bien qu’on ne parvienne pas à faire le compte précis du chômage en France à cause de la multiplicité des petites entreprises et des travailleurs à domicile, on estime que le nombre des chômeurs s’élève en 1936 à 436.000. Entre 1931 et 1935, l’effondrement des prix agricoles est d’au moins 50%. Dès 1931, les droits de douane sont passés, en moyenne, de 8 à 16% et des quotas ont été imposés aux marchandises venant de l’étranger. Heureusement qu’il reste encore l’empire colonial, inexpugnable chasse gardée pour les productions métropolitaines !

Les salaires baissent et les conventions collectives sont refusées par le patronat. On n’hésite pas à licencier les syndicalistes. Mais la crise persiste : faute de pouvoir d’achat, la relance de l’économie par la consommation n’est pas possible. Le poids des financiers est écrasant  : les investissements industriels ralentissent et certains disparaissent. L’État donne l’exemple du freinage en ne construisant plus de logements : dans le département de la Seine, on ne construit plus que 5.000 logements nouveaux par an au lieu de 40.000, pas de nouvelles constructions de grandes centrales hydro-électriques, pas d’automatisation du réseau téléphonique, etc. C’est le règne de la déflation. Le patronat auto satisfait, pèse de tout son poids sur l’évolution économique et sociale pour s’abstraire de la crise à tout prix. Il a l’appui des politiques. Pour protéger les nombreuses petites sociétés à structure familiale, le Parlement vote des lois limitant la concurrence et protégeant les marchés. Les 2,9 millions d’exploitants agricoles (céréaliers, viticulteurs, éleveurs,... et même les propriétaires non exploitants) attendent tout de l’État. Bref, « en 1934, les classes moyennes françaises ne demandent pas moins d‘État mais plus d’État. Quand les commerçants manifestent dans les ligues, c’est pour renforcer la capacité d’intervention des députés dont on attend qu’ils rétablissent l’ordre économique et distribuent au plus juste les ressources de la République sans faiblesse pour les ennemis de l’ordre. Ainsi la clientèle modeste des ligues se trouve-t-elle en accord profond avec les grands intérêts économiques : davantage d’État libéral, mais un État libéré des contraintes sociales, des pesanteurs syndicales, de la coûteuse corruption parlementaire » [2].

Le 6 février 1934 les ligues de droite et d’extrême droite (Croix de feu, Action française, Jeunesses patriotes, Solidarité française, anciens combattants corses, Fédération des contribuables) organisent une manifestation pour protester contre le renvoi par le gouvernement Daladier du préfet Chiappe, accusé de collusion avec l’Action française. La fusillade déclenchée par les gardes mobiles postés aux abords du Palais Bourbon fait 14 morts et 57 blessés graves. Le gouvernement démissionne et l’ancien président de la République Gaston Doumergue est rappelé pour constituer une nouvelle équipe gouvernementale.

LE CONTEXTE INTERNATIONAL

En URSS, après la mort de Lénine en 1924, Joseph Staline a pris la tête du parti communiste et du pays. Face à lui, prétextant lutter contre le communisme, de nombreuses dictatures voient le jour dans plusieurs pays. Dès 1922, Bénito Mussolini, un socialiste devenu nationaliste pendant la première guerre mondiale, s’est emparé du pouvoir en Italie. Le seul parti politique autorisé est le parti fasciste ; la jeunesse est enrégimentée. En 1935, pour accroître son prestige, il va se lancer dans la conquête de l’Éthiopie. 250.000 soldats italiens franchissent la frontière de l’Érythrée et envahissent l’Éthiopie dont l’empereur, Hailé Sélassié, demande l’aide de la Société des Nations qui ne réagit pas. « Aujourd’hui, c’est nous. Demain, ce sera votre tour », avertit-t-il.

La Société des Nations (dont les Américains n’ont pas ratifié l’existence) n’intervient pas davantage en ExtrêmeOrient où les Japonais ont envahi depuis 1931 le nord de la Chine où ils se livrent à d’horribles atrocités.

Janvier 1933 : en Allemagne, le Président Hindenburg nomme Hitler chancelier du Reich. Bien que s’exprimant au nom du “petit peuple” allemand, il bénéficie d’appuis solides dans l’armée, l’extrême-droite classique et les milieux d’affaires. Dès le 1er février, il dissout le Reichstag qui a refusé de donner la majorité à son nouveau gouvernement. La campagne électorale qui suit, financée sans compter par la grande industrie, s’ouvre dans un climat de terreur orchestré par les nazis. Accusé d’avoir incendié le Palais du Reichstag dans la nuit du 27 février, le parti communiste est aussitôt mis hors la loi. La plupart de ses dirigeants sont arrêtés, ainsi que 4.000 militants d’extrême gauche. Le lendemain, Hitler signe le décret « Pour la protection du peuple allemand »qui supprime les libertés publiques. Le 5 mars, le parti nazi obtient 44% des voix aux élections au Reichstag. C’est insuffisant pour lui assurer la majorité absolue nécessaire pour changer la Constitution. Hitler s’efforce alors d’obtenir le soutien du Zentrum (Centre catholique) par diverses promesses mais surtout en s’engageant à ouvrir des pourparlers avec le Vatican pour la signature d’un concordat. L’apport des voix du Zentrum lui permet de faire voter le 23 mars l’acte d’habilitation qui lui donne les pleins pouvoirs pour quatre ans. La révolution nationale socialiste est désormais en marche et le totalitarisme s’installe dans tous les domaines.

La France, l’Angleterre et les États-Unis continuant à s’opposer vivement au réarmement demandé par l’Allemagne, Hitler annonce le 14 octobre 33 que l’Allemagne se retire de la Société des Nations. Pour parachever son “coup d’éclat” international, Hitler fait dissoudre le Reichstag par Hindenburg. Aux législatives qui suivent, Hitler obtient 92,1% des voix. Plus rien ne l’arrêtera !

En Espagne, l’insurrection déclenchée en juillet 1936 par la droite et l’armée franquiste parviendra avec l’aide de troupes italiennes et allemandes à abattre la République après trois ans d’une sanglante guerre civile. En février 1939, la République espagnole a vécu.

Quelques mois plus tard, ce sera le tour de la République française.

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[1] 55 milliards de francs de pertes physiques et matérielles, 1.394.000 morts.

[2] Pierre Miquel, La troisième République, Fayard, 1989.

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LE CONTEXTE DES DÉBUTS

La galaxie distributive

par J.-P. MON
octobre 2005

C’est dans la période de tensions extrêmes et de conflits que nous venons de décrire, que se développe le mouvement distributiste.

D’abord par le création en 1933 des J.E.U.N.E.S. (Jeunes Équipes Unies pour une Nouvelle Économie Sociale), qui en 1936 adhèrent au Front populaire, puis par celles de La Rénovation Sociale, de la Ligue pour le Droit au Travail et le Progrès Social (D.A.T.P.S.), du groupe DYNAMO, et de Nouvelles Énergies Féminines (N.E.F.).

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Les J.E.U.N.E.S.

« Les J.E.U.N.E.S. c’est d’abord un effort de pensée claire, de pensée logique, de pensée libre.
C’est encore et beaucoup plus qu’une analyse et qu’une doctrine, c’est un état d’esprit et une volonté. Aussi étrange que cela puisse paraître aujourd’hui, les J.E.U.N.E.S. n’ont pas de chef. Personne devant eux qui les mène ! Ni troupeau, ni armée ! Des équipes d’hommes conscients et résolus ! Les J.E.U.N.E.S. sont une fédération d’équipes constituées d’hommes, au cœur et à l’esprit jeunes, unis non pas contre quelqu’un, mais unis pour quelque chose : pour une nouvelle économie !
Les J.E.U.N.E.S. réalisent déjà la démocratie qui sera celle de demain : commissions spécialisées, de techniciens ou de compétences, mettant sur pied des projets que la base approuve ou désapprouve par oui ou par non, sans discussion stérile, et qui sont réalisés dès qu’approuvés. Les J.E.U.N.E.S. sont l’image d’une démocratie vivante et décidée. [...] »

*

LA RÉNOVATION SOCIALE

C’est un centre d’études où s’élaborent en liaison avec le Droit au Travail et d’autres groupements, les plans de réformes économiques et sociales qui « préparent la Civilisation de demain ». Il est présidé par Jacques Duboin.

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LIGUE POUR LE DROIT AU TRAVAIL ET LE PROGRÈS SOCIAL (D.A.T.P.S.)

Jacques Duboin en rappelle les objectifs dans son éditorial du N°2 de la Grande Relève du 1 au 15 Novembre 1935 :
« Quel est l’objet de cette nouvelle Ligue ?
D’abord, elle n’est pas nouvelle, puisqu’elle a plus d’une année d’existence.
Ensuite, ce n’est pas une Ligue sur le modèle des autres. Ses membres ne se proposent pas de descendre dans la rue et de troubler l’ordre public. Ils déplorent même que ces intentions aient pu germer dans l’esprit de leurs contemporains exaspérés par un mal qui ne sévit pas exclusivement chez nous, mais qui fait des ravages dans tous les grands pays civilisés.
L’objet de notre Ligue n’est même pas politique. Nous prétendons qu’il ne s’agit pas d’être contre quelqu’un, ni même contre un parti, car c’est vraiment un peu simpliste que de s’imaginer qu’on peut résoudre le problème qui se pose en se bornant à changer les hommes. On y a cru aux États-Unis, en Allemagne, en Italie, en Belgique ; nulle part le chômage n’a disparu. Les magasins continuent à être pleins de marchandises et les rues pleines d’aspirants-consommateurs. Les monnaies dansent une sarabande, mais ne viennent pas, pour cela, dans la poche de celui qui en a besoin pour faire vivre sa famille.
Il s’agit donc bien d’un problème qui se pose à tous les gouvernements, quels qu’ils soient. C’est le même que tous les grands pays évolués ont à résoudre et qui se pose ainsi : comment faire pour que les hommes consomment tout ce qu’ils peuvent produire et tout ce qu’il serait si heureux de consommer ?
— Travaillez ! répond la sagesse des nations.
— Mais c’est précisément le travail qui manque ! La Ligue pour le Droit au Travail et le Progrès Social a pour but de faire connaître le sens profond des événements qui se déroulent autour de nous et nous déconcertent par leurs incohérences.
Elle ne demande donc à aucun de ses adhérents de quitter le parti politique de son choix et que le hasard, demain, peut porter au pouvoir. Mais elle voudrait que, dans chaque parti, on voulût bien étudier le problème qu’il faudra résoudre coûte que coûte.
Car il sera résolu, n’en doutez pas ; la Terre ne s’arrêtera pas de tourner sous prétexte qu’un prodigieux progrès de toutes les techniques a rendu le travail humain de moins en moins nécessaire.
La Ligue fait donc appel à toutes les bonnes volontés, qu’elles viennent de droite ou de gauche, car cela n’a pas la moindre importance.
Elle réclame simplement des hommes qui raisonnent de bonne foi en faisant taire, au moins sur ce terrain là, leurs passions politiques.
Elle dit à tous : « Du moment que le travail, même réduit, est encore nécessaire, il est juste que chacun en ait sa part. Sans quoi, il n’est plus possible de vivre... »
Or, voilà bientôt cinq ans qu’on annonce que tout va s’arranger, alors que tout s’aggrave.
N’est-ce pas tout simplement parce que les hommes tournent le dos aux véritables solutions ?
Est-il admissible qu’ils deviennent de plus en plus malheureux sous prétexte que la science vient les libérer de la plus grosse part de leur travail ?
Un grand physicien, Jean Perrin, annonçait, l’autre soir à la TSF, que l’avenir de tous les hommes était magnifique, qu’ils connaîtraient bientôt l’abondance de toutes choses et qu’ils bénéficieraient de loisirs dont ils ne se font aucune idée, même dans leurs rêves les plus extravagants.
Jean Perrin a raison. L’abondance est à nos portes, et les loisirs ont fait leur apparition par la porte basse du chômage.
Mais, pour que la prophétie de Jean Perrin se réalise, il faut s’adapter. Il faut que le progrès social rejoigne le progrès technique.
Cette adaptation se fera inéluctablement, parce qu’il n’est pas possible de faire autrement. S’y opposer, c’est condamner tous les jours un peu plus d’hommes à la misère qui finira par nous submerger tous, sans exception.
Cette adaptation sera imposée par une dictature de droite ou de gauche, même dans le cas où elle n’aurait pas cet objectif en vue. Elle risque simplement d’y parvenir dans un désordre qui fera d’innombrables victimes.
Des Français, épris de liberté, devraient vouloir l’éviter. Et, s’ils le veulent, ils le peuvent. »

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LE GROUPE DYNAMO

« C’est essentiellement une commission de documentation qui travaille avec celles du Droit au Travail et des J.E.U.N.E.S. Son but est de réunir le plus possible de documents concernant la situation économique. Ayant achevé ses études sur les causes de la crise, la commission économique des J.E.U.N.E.S s’attacha tout naturellement à prévoir les grandes lignes d’une économie nouvelle appuyée sur le développement formidable du machinisme, accroissant d’une part le chômage et d’autre part l’abondance des richesses. Si les chiffres du chômage pouvaient être connus (avec une confiance limitée) à partir des statistiques officielles, les chiffres concernant les richesses et les facultés de production du pays restaient inconnus. Pour palier cette carence, les J.E.U.N.E.S. décidèrent de s’entourer de techniciens compétents, représentant toutes les branches de l’activité économique et sociale. Pour bien marquer le caractère technique et impartial des recherches, il fut formellement spécifié que DYNAMO serait intégralement autonome et accepterait comme membre tout spécialiste ou technicien, quelles que soient ses opinions politiques, désireux de collaborer à l’œuvre commune du recensement des richesses de la France et de ses possibilités de production.
Ce travail de documentation est très important puisqu’il complète et renouvelle les arguments des conférenciers, des rédacteurs de la Grande Relève et de tous les militants pour l’économie distributive. »

Signalons aussi que c’est dans la collection DYNAMO que René Dumont, (l’ingénieur agronome qui fut plus tard candidat écologiste à la Présidence de la République), édita son ouvrage Misère ou prospérité paysanne, préfacé par J. Duboin.

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LES NOUVELLES ÉNERGIES FÉMININES (N. E. F.)

Les femmes ne sont pas absentes du combat abondanciste. Nombre d’entre elles écrivent dans La Grande Relève dès sa création. Il n’est pourtant pas encore très fréquent à cette époque, plutôt machiste, que les femmes prennent de telles initiatives ...
Certaines d’entre elles décident de créer leur propre mouvement, Nouvelles Énergies Féminines, indépendant des J.E.U.N.E.S. et du D.A.T.

« Son but est de préparer, pour la société telle qu’elle surgira des travaux entrepris par le groupe DYNAMO, des bases solides et précises au point de vue philosophique et culturel.
Les femmes qui le composent croient avoir compris : elles s’adressent à toutes les autres femmes pour leur faire comprendre, à leur tour, l’absurdité de leur existence. En un temps où le machinisme et la technique ont atteint un développement tel qu’un minimum de travail procure un maximum de bien-être, en ce temps qui pourrait être “l’âge d’or”, que des femmes consentent à travailler comme des esclaves pendant seize heures par jour semble un défi au bon sens. Et c’est un exemple entre cent : le mode d’exploitation de la femme, que ce soit au foyer, au bureau, à l’atelier ou sur le trottoir, revêt les formes les plus variées.
C’est tout simplement monstrueux. Et d’autant plus qu’elles subissent cette vie anormale comme un état naturel et intangible. Elles la subissent sans joie, évidemment ; elles se plaignent, se lamentent, mais là s’arrête leur révolte, purement stérile.
Nous refusons de continuer à “vivre” de cette façon. Cette vie absurde, il faut en changer.[...] »

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Tous ces groupes s’expriment dans La Grande Relève des Hommes par la Sciencedont le premier numéro paraît dans la quinzaine du 16 au 31 octobre 1935.

Pour populariser les thèses développées par le D. A. T. P. S., des sections se constituent dans tous les arrondissements parisiens, en banlieue, en Province, en Algérie, en Belgique.

Des conférences, suivies par un nombreux public, ont lieu un peu partout.

Des débats où interviennent de“grands noms” de l’époquetels Henri Bergson, Jean Perrin, Paul Langevin, Joliot-Curie, Painlevé, Albert Bayet, Le Corbusier, Antonelli, Romain Rolland, Jean Giono, P. Vaillant-Couturier, Aragon, popularisent “l’Abondance”.

Mais la “grande presse”, par contre, s’applique à l’ignorer !

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EXTRAIT DU PREMIER NUMÉRO, DATÉ DU 16 AU 31 OCTOBRE 1935

Au lecteur

par J. DUBOIN
octobre 2005

Le “Droit au travail” est un groupement d’hommes qui se refusent d’admettre qu’il y ait toujours plus de misère sous prétexte, dit-on, qu’il y a trop de tout !

Trop de misère ! Oui. Trop de choses utiles ? Allons donc ! Comment ose-t-on parler de surproduction dans un pays où tant de familles manquent du nécessaire ?

Trop de tout ! Mais ne voilà-t-il pas que l’on détruit les choses utiles : on dénature le blé, on arrache les vignes, on détruit des métiers. Or déjà l’industrie et l’agriculturevont au ralenti ! Nous glissons ainsi tous dans la misère, au nom de principes économiques qui sont faux, archi-faux, car la science les a mis définitivement en déroute.

Le groupement “Droit au travail” le démontre et le répète partout.

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Pourquoi s’appelle-t-il “Droit au travail” ?

- Parce que, dans la société actuelle, celui qui n’a rien est obligé de travailler s’il veut vivre et faire vivre les siens. La société lui doit donc du travail, puisqu’elle en a fait l’équivalent du droit à la vie.

Mais la société actuelle peut-elle assurer du travail à tout ceux qui en réclament ? -Non. La présence de 30 millions de chômeurs dans le monde suffirait à le prouver, si le raisonnement ne permettait pas de démontrer que le chômage ne peut qu’aller en augmentant, au fur et à mesure que la science relève l’homme de son labeur. En conséquence, la société actuelle doit se transformer au plus tôt.

Dans quel sens ? - Dans le sens de l’adaptation sociale aux prodigieux progrès de la science qui ont permis de créer un fond commun de civilisation appartenant à tous les hommes, car ce sont toutes les générations antérieures qui ont permis de le constituer. On doit passer du stade de la civilisation de la rareté, au stade de la civilisation de l’abondance, en répartissant, entre tous, les travaux encore nécessaires et les loisirs heureux.

Cette transformation s’effectue toute seule, petit à petit, mais au prix de souffrances, de misères, peut-être même de guerre civile. On peut et on doit l’éviter, si les élites le comprennent et l’exigent.

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Le “Droit au travail” accueille tous les hommes et les femmes de bonne volonté, sans se soucier de leur origine, ni de leurs convictions politiques.

Notre groupement ne cherche pas à créer un nouveau parti. Ne sont-ils pas déjà trop nombreux ?

Il ne noyaute aucun parti existant. Bien au contraire, au radical il dit : reste radical ; au socialiste, il dit : reste socialiste ; au communiste, il dit : reste communiste ;au ligueur de droite ou de gauche, il dit : reste ligueur si cela te fait plaisir, mais à condition de ne pas cogner sur celui qui n’est pas de ton avis : la violence n’a jamais convaincu personne.

Mais radical, socialiste, communiste, ligueur, dis à tes camarades de parti ou de ligue : le seul problème qu’il faut résoudre est celui de savoir comment chacun de nous va pouvoir vivre demain !

Il existe une solidarité étroite (qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas) qui nous soude les uns aux autres et fait que nous sombrerons tous dans la misère, ou que nous vivrons tous heureux dans l’abondance. Personne ne se sauvera en faussant compagnie aux autres.

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Le “Droit au Travail” présente au lecteur le premier numéro de son organe : La Grande Relève des Hommes par la science. Il est rédigé bénévolement par des hommes qui se sont réunis pour faire une active propagande en faveur de ce qu’ils appellent : la « civilisation de l’abondance ».

Tous ceux qui sont de notre avis devraient nous apporter leur collaboration. On ne sera jamais trop nombreux pour faire comprendre que détruire des choses utiles aux hommes et même les empêcher de les créer, c’est reculer les limites de la bêtise humaine.

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EXTRAIT DU PREMIER NUMÉRO, DATÉ DU 16 AU 31 OCTOBRE 1935

Le chômage

octobre 2005

Que signifient ces clameurs ? ces lamentations ?...

Honnie soit la République, qui trouble notre quiétude et provoque notre insomnie, clament les riches bien pensant.

Honnie soit la démocratie qui ne dispense plus les richesse comme avant, au seul profit de la gent parasitaire, qui professe la vertu des fortunes faciles, se lamentent les moralistes vertueux de la religion du capital. Que se passe-t-il donc ? La crise !

Mais la crise au sens calamiteux du mot, puisqu’elle atteint les fortunes respectables.

La crise qui ébranle les bases du temple du veau d’or.

Alors quoi ? Eh bien ! c’est le chômage.

Le chômage c’était la pénitence avant la rédemption, tant qu’il n’affectait que la classe des salariés inférieurs. Mais, du moment qu’il dépasse les limites traditionnelles et menace ceux d’en haut, le chômage devient la maladie honteuse du régime.

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Le chômage, c’est du travail libéré qui, par une contradiction monstrueuse, se transforme en misère pour les travailleurs et ruine pour la société.

Libérés du travail, les chômeurs sont aussi libérés de la consommation. Mais, sans consommation, que devient la société ? Comment établir le bilan de la comptabilité sociale ?

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Impossible de connaître le chiffre exact des chômeurs en France.

Les statistiques officielles sont à dessein imprécises et incomplètes.

Ces statistiques donnent pour 1932, 219.000 chômeurs de plus qu’en 1931, dont le chiffre n’était que de 54.000.

De 1932 à 1934, le nombre des chômeurs a augmenté de 48.666 par an en moyenne.

En 1935, il était supérieur de 39.000 à celui de 1934.

Pour les mois de janvier jusqu’au mois d’août de cette année, la moyenne des salariés en chômage a été de 438.000.

Ces chiffres, donnés, par les services des fonds de chômage et de placement, correspondent à une population d’environ 18 millions d’habitants, puisqu’il n’y a qu’un petit nombre de communes en France qui paient des secours de chômage.

Or, comme la population est d’environ 40 millions d’habitants, il n’est pas exagéré de dire qu’il y a en France au moins un million de chômeurs.

D’ailleurs, les assurances sociales peuvent jeter un peu de lumière dans l’obscurité, peut-être voulue, des statistiques officielles.

Il y avait 10 millions environ de travailleurs assurés obligatoires ; il n’y en a plus que 7 millions environ aujourd’hui. Que sont devenus les autres ?

D’autre part, si la crise est un progrès réalisé par la science, le chômage est une étape dans l’évolution de l’humanité, ce qui prouve bien que celle-ci ne peut pas reculer mais avancer.

Pourquoi les ouvriers ne déclareraient-ils pas, d’accord en cela avec la science, que le chômage doit être transformé en loisirs ? Pour cela il suffirait de le répartir entre tous. Nous atteignons là la plus haute conception de la révolution.

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L’actuel ministre du Travail nous donne à ce sujet des chiffres qui n’infirment pas notre idée. « Il y a, dit-il, 7.000.000 de travailleurs salariés en France.

« Sur ces 7 millions de salariés, il y en a 4.000 qui travaillent 48 heures par semaine, 2.000.000 qui ne travaillent que 30 heures, ce qui fait 252.000.000 d’heures de travail par semaine. »

Or, il reste en effet un million de chômeurs. Alors, de deux choses l’une : ou l’on conservera le régime actuel, et il y a un million de salariés mis à la retraite ; ou on répartira les 252.000.000 d’heures de travail entre les 7.000.000 de salariés et nous aurons alors la semaine de 36 heures, et la journée de 6 heures ; le chômage sera résorbé, officiellement parlant. Il resterait à déterminer le taux de salaire selon le rapport de la production et les besoins de la consommation, pour résoudre définitivement la crise. Qu’en pense le ministre ?...

L’OUVRIER CHOMEUR.

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EXTRAIT DE LA GR N°5 (DU 16 AU 31 DÉCEMBRE 1935)

Droit au travail ! Droit à la vie !

par L. DESLINIÈRES
octobre 2005

« Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant des moyens d’existence à ceux qui sont hors d’état de travailler. »

Qui a formulé, en ces termes impératifs, le devoir primordial du corps social envers ses membres ?

- Une autorité que nul homme de gauche ne récusera : la Convention Nationale, dans la Constitution de 93. « Ouverture première des âges meilleurs ! Aurore du nouveau monde ! » s’écriait Michelet. Hélas, un siècle et demi après cette aurore, nous attendons encore le lever du soleil. Les ténèbres de la contre-révolution continuent à nous envelopper.

L’aristocratie a fait place à la ploutocratie. Le joug de fer est devenu un joug d’argent. En est-il moins lourd ?

- Oui, prétendent certains optimistes. La vie est meilleure aujourd’hui qu’il y a cent cinquante ans. Le progrès est indéniable.

C‘est exact pour les possédants et même pour les ouvriers quand ils se portent bien et qu’ils ont du travail. Mais les chômeurs, mais les incapables de travail : malades, blessés, vieillards, veuves, orphelins, tous les faibles, en un mot, soutiendra-t-on qu’ils sont plus heureux ?

Sans doute une partie d’entre eux sont secourus, maigrement secourus. Pour la grande majorité, c’est la misère.

Nos institutions ont suivi la science d’un pas boiteux dans ses efforts incessants pour l’amélioration des conditions de l’existence humaine. Elles ont laissé stériles ses plus belles conquêtes.

Au sein de notre prétendue civilisation, personne ne jouit du plus précieux des biens : la sécurité. La sécurité qui devrait être complète, absolue, et garantir à tout être humain, de sa naissance à sa mort, la satisfaction de ses besoins.

Cette sécurité-là ne sera qu’un vain mot aussi longtemps que la société reposera sur le funeste individualisme économique, avec sa formule inexorable : chacun pour soi. Elle ne fleurira que dans un régime nouveau ayant pour base le principe de la solidarité.

Certes, aux temps révolus où régnait la disette, la solidarité eût été impuissante. Mais aujourd’hui que nous avons atteint l’ère de l’abondance, elle est le remède souverain à tous les maux de l’humanité.

Car elle doit être la loi suprême entre les hommes et entre les peuples. Et dès lors, elle fera disparaître la misère, la guerre et tous les fléaux sociaux qui en découlent. Mais, pas d’illusions ! La transformation sociale qu’exige l’avènement de la solidarité sera une opération délicate au cours de laquelle un faux coup de barre pourrait nous jeter sur les écueils. Pourtant, il faudrait bien en courir le risque dans le cas où l’effondrement subit et prochain du régime capitaliste nous mettrait dans la nécessité de le liquider et de le remplacer dans les quarante-huit heures. Mais le cours des événements échappe à nos prévisions. Il se peut aussi que son agonie se prolonge et nous laisse le temps d’édifier l’organisation nouvelle.

C’est dans cette hypothèse que j’ai essayé d’ouvrir une voie aussi courte et aussi sûre que possible vers un avenir meilleur. Cette voie présentera, si elle peut être suivie, des avantages évidents.

D’abord celui de nous mener au but sans trouble ni violence, dans l’ordre et la légalité.

Puis celui d’apporter un remède immédiat à cette plaie vive du chômage, qui ronge le monde moderne, et consécutivement d’abolir toute la misère.

Enfin celui de faire évoluer rapidement, mais pacifiquement, notre société individualiste vers le régime de solidarité effective qui sera notre port de salut.

Je présenterai prochainement aux lecteurs de la Grande Relèveun résumé de mon projet, et je terminerai aujourd’hui en démontrant l’insuffisance des moyens actuellement employés pour combattre le chômage.

Elle résulte en premier lieu du fait que le nombre des chômeurs secourus ne cesse d’augmenter, Il est probable, d’ailleurs, qu’il serait beaucoup plus considérable encore si aucune mesure n’avait été prise.

Je veux donc invoquer d’autres arguments et ne m’arrêterai même pas au fait, de notoriété publique, que les chiffres des statistiques officielles sont tout à fait inférieurs à l’effectif réel des sans-travail.

L’assistance aux chômeurs s’est d’abord pratiquée par le versement d’allocations en espèces. On a jugé ensuite qu’il valait mieux, dans la mesure du possible, les occuper à des travaux publics rétribués ; et on aurait eu raison si les travaux envisagés présentaient un réel caractère d’utilité et s’ils étaient vraiment rentables. Or la vérité, c’est que la plupart sont utiles, mais que leur rentabilité est souvent illusoire, de sorte que la plus grande partie de la charge retombe sur l’État et les collectivités locales. Et, dans notre situation financière, cette charge est d’autant plus effroyable qu’elle s`ajoute à la masse, beaucoup plus forte, des secours en argent. Elle écrase les budgets anémiés et, de toute évidence, la fin des ressources arrivera avant la fin de la crise. Que fera-t-on, alors ? À quel degré de dénûment les malheureux chômeurs et leurs familles descendront-ils ?

Il aurait donc fallu s’y prendre tout autrement  ; au lieu de jeter nos disponibilités dans le gouffre sans fond des sacrifices indéfiniment renouvelés, on aurait dû les consacrer à établir les chômeurs dans des conditions telles que les fruits de leur travail pussent assurer leur subsistance dans le présent et dans l’avenir.

Ces conditions sont-elles réalisables ?-Oui. Et je l’établirai dans de prochains articles.

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