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Éditorial
Il me semblait, en Novembre (1) dernier, que pour répandre
nos thèses, il fallait maintenant que l’essentiel de nos efforts
soit consacré à "démystifier les processus
de la création monétaire" et "faire comprendre
la nécessité d’en repenser les mécanismes" ;
de les adapter aux besoins et aux moyens de notre époque.
L’actualité toute récente vient encore de conforter cette
conviction, car il apparait qu’une course s’est engagée entre
la réunification de l’Allemagne, conçue pour en faire
un bloc économique imposant sa puissance aux autres, et la formation
d’une Europe unie sur des bases humainement plus saines.
Ainsi, deux points de vue radicalement opposés s’affrontent,
dans cette course mise en évidence par le refus du Chancelier
Kohl d’avancer la date de la conférence prévue à
propos de l’Union économique et monétaire de la Communauté
Européenne.
D’un côté, les affairistes de l’Ouest voient dans la réunification
de l’Allemagne la formation d’une puissance économique dont ils
seraient évidemment les bénéficiaires. Peu leur
importe si pour arriver à ce renforcement de leur pouvoir, il
faut étouffer l’espoir de démocratie des peuples de l’Est
, sous ce qui sera présenté comme "la nécessité",
les "contraintes économiques", la "loi d’airain"
ou la "loi du marché", "l’austérité
nécessaire" ou "le chômage inévitable",
etc... Refrains connus, que les politiciens ont mis dans leur répertoire
en s’inféodant à "l’économisme" (2) en
vigueur.
De l’autre côté, il y a des gens qui veulent que l’Europe
se fonde sur des bases saines, c’est à dire susceptible d’offrir
au monde l’exemple vivant d’une société équilibrée,
dont l’idéal ne soit plus la croissance à tout prix, mais
l’épanouissement des êtres humains, tous considérés
comme des citoyens à part entière. Et ces penseurs, que
les autres prennent par conséquent pour des utopistes sans moyens,
se voient obligés de lutter aussi contre tous ceux qui voient
dans des nationalismes exacerbés le moyen de défendre
leurs intérêts contre les trop puissants affairistes.
Penser l’Europe dans ce contexte est une gageure que n’effraie pas l’association
(3) "Europe 1993". Mais il faudrait pourtant, sous peine d’inutilité,
qu’elle sache prendre la mesure du danger qu’il y aurait à laisser
aux affairistes le pouvoir monétaire. Car c’est bien l’arme toute-puissante
de "l’économisme" en question. Le Président
de la Banque Fédérale de l’Allemagne Fédérale
en a, lui, judicieudement pris la mesure, en défendant une "Banque
Centrale indépendante" des injonctions politiques qui pourraient
venir d’un parlement Européen. Les Gouverneurs d’une Banque Européenne
doivent, à ses yeux, disposer d’une véritable autonomie,
et, pour celà, être nommés "pour une durée
suffisamment longue" et ne pas pouvoir être démis
de leurs fonctions, leur indépendance personnelle étant
assurée par "un revenu financier adapté, pendant
et après leur mandat" .... En élaborant un projet
pour une Europe des citoyens, on ne peut pas se dispenser d’une réflexion
approfondie sur la création monétaire, ni trop se prémunir
contre le pouvoir des banques. Saluons à ce propos le formidable
courage du député européen J. Ziegler dénonçant
dans son livre "La Suisse lave plus blanc" les moyens couramment
utilisés, et en toute légalité, pour blanchir,
entre autres, l’argent de la drogue.
Citons également, dans le cadre de cette réflexion sur
le pouvoir bancaire et monétaire, le travail que Katia De Brabandere,
vient de publier en Belgique, dans le N°1 de janvier 1990 de sa
remarquable revue intitulée "Coopé
rance". (4)
1) Voir l’éditorial de la Grande Relève
N°884
2) le mot , je crois, est de Claude Julien
3) Dont nous avons souvent parlé, en particulier en citant dans
notre N°884 une proposition sous le titre "L’émergence
d’une économie plus distributive", discutée par des
lecteurs dans le N°885.
4) "Coopérance , coopération et interdépendance",
les Nouvelles Coopératives ASBL, 21 Bld des Archers. 1400 NIVELLES.
Belgique.
Le prix du marché libre
Les prix flambent en Pologne : + 38 °/ pour le
pain, + 55 °/ pour le jambon, + 100 % pour une communication téléphonique,
+ 400 % pour l’électricité, + 600 % pour le charbon...
Et d’après l’International Herald Tribune (3.1.90), les six prochains
mois seront rudes...
Le Brésil est un pays riche en ressources naturelles et humaines...,
son PNB est estimé à 354 milliards de dollars. Sa dette
extérieure est de 124 milliards...
Entre 1972 et 1988, le Brésil a versé aux banques commerciales
176 milliards d’intérêts (soit 52 milliards de plus que
le montant de sa dette). Ces intérêts, pour la seule année
1988, correspondent à plus de 266 millions de salaires mensuels
au minimum vital, ou au logement de 30 millions de personnes.
(d’après le Monde Diplomatique, février 1990)
***
L’aide accordée en 1989 par les pays riches du Nord est estimée à 47,6 milliards de dollars et dans le même temps, ils ont reçu du Sud, au titre du "service de la dette", 178 milliards de dollars...
(d’après le Journal de Genève, 14.12.89)
***
Baisse de quel chômage ?
Sur 9 millions de contrats de travail signés en France en 1988,
5,5 millions étaient des contrats d’intérim, 2,5 millions
étaient des contrats à durée déterminée,
1 seul million d’embauches fermes... C’est ainsi que 400.000 dossiers
de demandes d’allocations à l’UNEDIC ont été rejetés
pendant les quatre premiers mois de 1989, dont la moitié pour
durée d’affiliation insuffisante.
(d’après Liaisons sociales, 9.11.89)
***
Forces tranquilles
Au pays de la Force Tranquille, 22.000 dealers ont pignon sur rue et
approvisionnent en toute légalité quelques millions de
consommateurs. Qui sont-ils ? Les pharmaciens, qui, en 1987, ont vendu
150 millions de somnifères et autres tranquillisants, soit une
moyenne de 80 comprimés par adulte et par an. Un triste record
mondial, après celui de la consommation moyenne d’alcool par
habitant.
(Science et vie, janvier 89)
***
Industrie : France et Etats-Unis
France : depuis 1984, l’aiguille du baromètre de nos échanges
industriels descend vers le sombre. Face à une demande mondiale
qui a progressé de 19 % au cours des six dernières années,
la France a perdu 10 % de ses parts de marché dans le monde,
pendant que l’Italie en gagnait 9 °/, la RFA 14 % et le Japon 23
°/ .... Si on essaie de rattraper notre retard à bride abattue,
le risque n’est-il pas grand de voir l’écart se creuser un peu
plus entre les citoyens d’une France à deux vitesses ?
(Le Monde du 9 janvier analysant le livre de Jean-Louis Levet "Une
France sans usines ?’)
Etats-Unis : Echec dans les mémoires électroniques. "US
memories" jette l’éponge. Mauvaise nouvelle pour l’électronique
américaine dans les mémoires électroniques dites
"dynamiques" (DRAM) qui équipent entre autres les microordinateurs.
Le consortium envisagé pour lutter contre les Japonais qui occupent
70 % du marché des DRAM abandonne. Et les Coréens, derrière
Samsung se sont engouffrés sur le marché".
(D’après le Monde du 17 janvier)
***
Criminalité et délinquance
"Elles ont augmenté à Paris de 7 % en 1989... Près
de 20.000 délits supplémentaires ont été
relevés dans la capitale... "
(Le Monde, 20 janvier)
"En cinq ans, le nombre de meurtres commis par an à Washington
a augmenté de 151 %, de 148 à 372.
(d’après Newsweek, mars 1989)
Avec la société duale qui s’approfondit, ça ne
peut que croitre et embellir, quoi que fasse la police.
Pour lutter contre la surproduction (par rapport aux
besoins solvables, cela va sans dire), la CEE subventionne le gel des
terres.
C’est croire qu’on peut asservir l’abondance ! Car un lecteur nous envoie
un rapport sur des expériences menées en France et qui
montre qu’en mettant un sol en jachère (ce qui permet de recevoir
une prime de l’Etat) pendant un an, et en le laissant se rééquilibrer
avec un engrais vert qu’on fauche et qu’on laisse en surface, ce sol
est capable ensuite de produire un blé d’hiver ayant un rendement
exceptionnel : 10.000 grains de blé pour un seul
II convient, pour obtenir un tel rendement, de savoir jouer sur l’association
d’acacias, de trèfle rampant et de bleuet, plante médicinale
de surcroit...
Renseignements. sur cette technique qui ne favorise pas la rareté
chère à nos économistes certes, mais qui, au moins,
est très écologique, à : PERMACULTURE PYRENEES
11300 Bouriège
L’espoir, l’espérance ? Tout va si mal, tout
va si vite qu’on peut se demander à qui, à quoi les gens
de gauche au sens large - et les distributistes plus que les autres
- vont bien pouyoir se raccrocher pour ne pas se sentir, quelque part
dans leur jardin secret, orphelins du socialisme. Et certaines raisons
d’espérer, qui demeurent à l’heure où j’écris,
auront peutêtre à leur tour disparu lorsque vous recevrez
la Grande Relève de Mars.
Laissons - çà durera encore quelques mois les naïfs,
les ignorants ou les réveurs à la liesse bien compréhensible
que leur procurent les événements actuels ; mais restons
lucides devant le cynisme, l’hyprocrisie ou les propos lénifiants
de tous ceux - hommes politiques, hommes d’affaires, de médias
ou d’église -, qui s’abritent derrière l’enthousiasme
des généreux révolutionnaires pour préparer
le triomphe quasi-universel du libéralisme, au sortir d’une crise
de quinze années.
Ce n’est pas parce que Staline, puis Brejnev, ont perverti le socialisme
que le désespoir du sincère et dévoué militant
de Billancourt n’est pas émouvant et infiniment triste. L’état
d’esprit de ceux qui le soir du 10 mai 1981 criaient : "On a gagné,
on a gagné" est-il si différent ?
France
II y a en effet très peu de chances maintenant
que le parti socialiste instaure un véritable socialisme. Un
événement passé presque inaperçu, dans le
cadre de la préparation du congrès de Rennes, est pourtant
éclairant : il s’agit des modifications de la "Déclaration
de principes" des statuts. Antérieurement, on pouvait lire
: "Les socialistes estiment qu’il ne peut exister de démocratie
réelle dans la société capitaliste. C’est en ce
sens que le Parti Socialiste est un parti révolutionnaire. Le
socialisme nécessite le développement d’une société
d’abondance et la disparition du gaspillage engendré par le capitalisme...
II ne s’agit pas d’aménager le système, mais de lui en
substituer un autre"...
Balayé tout cela dans la nouvelle "Déclaration de
principes" établie lors du Comité directeur de janvier.
"Parti de rassemblement, le Parti Socialiste met le réformisme
au service des espérances révolutionnaires...". Et
d’autres généralités du même genre.
Et si Mitterrand peut continuer de déclarer,
pour son "image" - ça ne coûte rien :"L’Etat
doit veiller à une répartition équitable des produits
du travail de tous", son Premier Ministre rassure les patrons (1) :"Le
retour de la croissance ne saurait s’accompagner d’un relâchement
de nos disciplines". En matière de rémunérations,
il faut poursuivre "le même rythme déterminé
et sage".
Le Parti Socialiste renâcle, de temps en temps, pour la galerie.
Seuls quelques rénovateurs clairvoyants et courageux de la Nouvelle
Ecole Sociale (voir Grande Relève Octobre 89), auxquels il faut
ajouter Max Gallo, qui vient de publier (2) une terrible charge contre
le capitalisme, tentent de sauver l’honneur d’un parti qui trahit une
fois de plus ses idéaux, et donc ses militants et ses électeurs.
Objectif pour ses dirigeants : bien servir le capitalisme pour pouvoir
mieux faire carrière
le spectacle lamentable - surtout aux heures graves que vit le socialisme
- des "écuries pour présidentiables" (dixit
Delebarre) est là pour témoigner.
Europe
En fait, les socialistes français se sont accordés
avec la social-démocratie européenne, en particulier celle
de RFA. En modifiant ses statuts, elle réalise son "Bad
Godesberg"(3). L’Europe des marchands peut commencer, quels que
soient les partis au pouvoir chez les Douze, et plus tard chez les Dix-huit
ou Vingt. Tous les pays de l’Est libérés du communisme
ont opté pour l’économie de marché (de toute façon,
laissés à euxmêmes, en plein marasme, ils ne peuvent
plus faire autrement) ; le Comecon, le pacte de Varsovie sont des coquilles
vides.
C’est vraiment la ruée vers l’Est, avec des sous plein les poches
: RFA en tête (la Kholonisation, ironisait un journaliste) ; le
Japon (tournée de Kaifou) ; la France avec Mitterrand pour les
dépôts de gerbes et les grands discours humanistes - noblesse
et postérité obligent -, mais avec, dans ses bagages,
une cohorte de ministres et représentants des milieux d’affaires.
La Grande Confédération Européenne, la BERD (Banque
Européenne pour la Reconstruction et le Développement),
c’est parti I On surveille tout de même l’Allemagne : on espère
qu’elle ne jouera pas un jeu personnel (4).
En bref, tout rêve, tout espoir de voir les pays de l’Est trouver
une troisième voie vraiment socialiste entre le communisme et
le capitalisme - et sa servante la socialdémocratie - est à
mon avis irréaliste. Le seuil de non-retour est déjà
dépassé.
II faut se résoudre à les voir passer par la phase capitaliste,
phase au cours de laquelle les luttes pour le socialisme devront repartir
à zéro ; elles se développeront, car le libéralisme
va amener son cortège de malheurs, comme c’est déjà
le cas en Pologne. Nous en avons déjà parlé, mais
il y a du nouveau depuis :
"Braises polonaises
Beaucoup des ingrédients d’une telle dégénérescence
sont en tout cas déjà réunis : démoralisation
de la population par un plan d’austérité extrêmement
dur entré en vigueur le premier janvier dernier, et dont le coût
social va se traduire par des centaines de milliers de chômeurs,
poursuite de l’exode des cerveaux, blocage des réformes économiques,
mécontentement croissant dans les campagnes souvent encadrées
par une hiérarchie catholique particulièrement réactionnaire
et ne portant pas dans son coeur les esprits critiques de Solidarité.
"
(Le Monde 17 janvier)
"Conflit ouvert entre le Gouvernement et le pays
... l’atmosphère à la campagne est de plus en plus mauvaise...
La panique gagne les paysans, ils vendent leur cheptel à vau-l’eau,
indique le communiqué de Solidarité rurale. Les cheptels
porcin et bovin diminuent dans des proportions inquiétantes."
Presque chaque jour, la télévision polonaise diffuse des
images d’abattoirs déserts et de boucheries désespérément
vides. Les paysans clament à cor et à cri que leurs propriétés
ne sont plus rentables d’autant que l’aide alimentaire occidentale s’oppose
au développement de la production agricole nationale".
(Le Monde 13 janvier)
Cocasse, non, cette dernière remarque !
Ajoutons à cela la grève des mines de Silésie,
c’est ce qui attend, avec des variantes selon l’état actuel de
leur économie, tous les pays de l’Est. Voilà comment J.F.
Kahn voit l’avenir de ces pays : "Augmentation vertigineuse des
prix... rude baisse du pouvoir d’achat, restauration draconienne de
la discipline du travail nécessaire au relèvement de la
productivité, licenciements massifs et fermeture de milliers
d’usines archaïques, accession plus coûteuse au logement
.
... II apparaitra qu’une minorité parvient très rapidement
à s’enrichir, que des spéculateurs tirent les marrons
dorés du feu... et que se reconstitue une manière de bourgeoisie
possédante ...
.. En Hongrie, selon un sondage, il se trouve déjà une
majorité pour affirmer vivre moins bien que sous Kadar"
Quand on connait l’anticommunisme viscéral de J.F. Kahn et son
admiration pour l’économie marchande, on peut lui faire confiance
pour la lucidité de ses propos.
En conclusion, pas de socialisme véritable dans la Grande Europe.
Partout la lutte pour arracher des concessions à un capitalisme
maitre du jeu, ce que nous faisons chez nous depuis plus d’un siècle.
Et URSS
Gorby va-t-il tuer Gorbatchev ? En ce qui concerne
l’URSS, il apparait que dans notre article de janvier, nous étions
encore trop optimistes.
Gorby ! Rappelons-nous la Gorbymania aux Etats-Unis, en Italie, en RDA
! Gorby sacré premier homme de l’année en Occident ! Y
avait-il, derrière les foules enthousiastes, des calculateurs
froids, subtils pour, en l’encensant, le pousser à aller toujours
plus loin ... trop loin ? Car, plus on acclamait et admirait Gorby à
l’étranger... pour sa politique étrangère précisément,
plus pérestroïka et glasnost se traduisaient à l’intérieur
de l’URSS, chez Gorbatchev, par une dégradation de l’économie
et un murissement en profondeur du problème des nationalités
qui explose aujourd’hui, avec une force quasi irréversible :
65 millions de musulmans, près du quart de la population de l’URSS,
des Azéris armés par l’Iran (500 à 600 km de frontière
commune), sur le territoire desquels se trouvent les usines fabriquant
70% des équipements pétroliers et gaziers indispensables
pour les régions productrices comme la Sibérie.
Pas besoin d’un grand discours pour comprendre la triple
gravité de la situation : guerre civile, paralysie économique,
risque d’extension à d’autres républiques fédérées
: républiques musulmanes, Arménie, pays baltes et, pourquoi
pas, Ukraine (6).
Gorby, emporté dans son élan, sincère sans aucun
doute, aveuglé par son succès, a peutêtre tué
le révolutionnaire de bonne volonté Gorbatchev. Celui-ci
n’aurait sans doute jamais dû se lancer dans une grande politique
étrangère, très médiatique à l’Ouest
(et pour cause !) sans avoir, avec méthode, en prenant tout le
temps nécessaire, d’abord réformé l’économie
et ouvert progressivement l’espace de liberté intérieur
(7).
Mon avis est que Gorbatchev s’est fait piéger par l’Occident
: on s’est servi de lui pour accélérer à l’Est
le cours de l’Histoire, engagé par la victoire de Jean-Paul II
et de Solidarité en Pologne : l’extension à toute l’Europe
de l’Est, grâce à la pérestroïka , s’est faite
en cinq ou six mois au lieu de cinq ou six ans (8). Mitterrand, le plus
fin des grands dirigeants politiques actuels, ne s’y est pas trompé :
partie de Russie, a-t-il dit, la révolution, après avoir
balayé les pays de l’Est, reviendra à son point de départ.
Nous y sommes. Que peut-il se passer (peutêtre avant que ces lignes
ne vous parviennent) ? La détermination des Azéris d’autres
suivront - va conduire à une guerre civile irrépressible,
sans doute hélas à des bains de sang, donc à des
haines inexpiables. Si, compte tenu de son tempérament humaniste,
Gorbatchev manque de fermeté ou tergiverse, il est perdu. Ou
c’est l’implosion de l’URSS ou l’armée reprend les choses en
mains, et on revient en quelque sorte à la case départ,
Europe de l’Est en moins, troubles larvés en plus, soit aux marches
de l’Empire, soit à l’intérieur du pays (9).
Quoiqu’il en soit, le pôle potentiel d’un renouveau socialiste
"humaniste" que nous évoquions - sans trop y croire
- en janvier, deviendrait caduc. La guerre froide reprendrait ; la grande
Europe, réalisée dans trois à cinq ans, se doterait
d’un pacte militaire commun et deux grands blocs se retrouveraient en
présence, l’un lié aux EtatsUnis. La course aux armements
conventionnels reprendrait de plus belle et une situation aussi dangereuse
qu’avant 1940 serait à nouveau créée.
Et le socialisme ? Renvoyé aux calendes, réduit à
la lutte de classes Nord/Nord et Nord/Sud, qui dure depuis deux siècles,
en attendant la prochaine crise du capitalisme ... ou la victoire finale
!!!
De toute façon, le monde n’est pas "fini",
achevé avec la victoire du libéralisme, comme l’a prétendu
l’Américain Francis Fukuyama.
Deux siècles de pensée et de luttes sociales ne peuvent
être sans fondement et sans suite.
Dans son dernier livre, Max Gallo a le courage de dire que la philosophie
marxiste n’est pas morte. Est-il si ringard, en effet, celui qui a écrit,
il y a un siècle et demi : "le temps libre devient la vraie
richesse de l’homme" ?
Ce sont ceux - vainqueurs pour le moment qui maintiennent le monde dans
la misère et la guerre, qui détruisent les richesses,
qui sont ringards. Comme nous, Anatole France est dans le vrai quand
il écrit : " L’utopie est à la base de tout progrès".
Ainsi, nous nous sentons moins orphelins. Et de toute façon,
c’est dans la logique de la vie, les orphelins d’aujourd’hui sont les
acteurs de demain.
(1) Forum de l’Expansion, le 11 janvier 1990. Michel
Rocard devant de nombreux chefs d’entreprise.
(2) Manifeste pour une fin de siècle.
(3) Bad Godesberg : référence au congrès extraordinaire
du SPD Ouest allemand qui se tint en 1959 dans cette ville. Le SPD renonçait
à abolir le capitalisme, abandonnait toute référence
au marxisme et se ralliait à l’économie de marché.
(4) A propos de l’union économique et monétaire, dans
l’éditorial du Monde du 18 janvier, on peut lire : "L’attitude
du chancelier Kohl comme les propos que tenait mardi à Paris
le président de la Bundesbank disent assez qu’il ne s’agit pour
eux, dans le meilleur des cas, que d’une affaire de raison qui ne suscite
pas l’enthousiasme .... Ce qui fait vibrer les Allemands actuellement,
c’est l’Allemagne..." La Grande Allemagne, bien entendu !
(5) EDJ , 11-17 janvier
(6) "Chaine humaine en Ukraine : des dizaines de milliers d’Ukrainiens
ont fait une chaine humaine dimanche 21 pour commémorer la brève
existence de l’Ukraine indépendante, il y a soixante-dix ans.
La chaine avait permis de relier Kiev à la ville de Lvov, à
500 kilomètres à l’est. Environ cent mille personnes y
auraient participé". (Le Monde 23 janvier).
(7) "La pérestroika a été mal engagée.
La direction soviétique a commis énormément d’erreurs,
aussi bien stratégiques que tactiques... Les décisions
relatives à la réforme économique ont été
prises à la va-vite sans consulter les experts". Propos
tenus par Léonid Abalkine, vice premier ministre soviétique.
(8) C’est le temps que donnent précisément les experts
pour redresser l’économie en URSS.
(9) Cela explique le soutien apporté par Bush et autres chefs
occidentaux à Gorbatchev après l’intervention de l’armée
en Azerbaidjan.
Le fric fait tout pardonner
Après la répression du mouvement populaire chinois en
faveur de la démocratie, en juin 1989
1 ° Les États-Unis vendent à la Chine trois satellites
de communication à lancer par des fusées chinoises.
2° Les États-Unis autorisent la banque exportimport "Eximbank"
à financer des activités de compagnies américaines
en Chine.
3° La France va installer une usine Citroen en Chine.
4° Le Japon reprendra, dès avril 1990, ses prêts à
la Chine.
5° La Banque Mondiale (dit l’International Herald Tribune du 27
décembre) reprendra son programme de prêts à la
Chine dès janvier 1990.
Nota : quand on songe à toutes les déclarations d’indignation
après la sanglante répression de la Place Tian’anmen...
II n’aura pas fallu six mois pour que l’appât du fric fasse oublier
l’horreur des scènes vues par le monde entier.
(Tam-Tam, janvier 1990)
Dans ce même ordre d’idées, le PDG de la banque Franco-Roumaine se félicite de ce que Ceausescu ait remboursé les dettes de la Roumanie (au prix de quel appauvrisement pour les Roumains ? ). C’est pour lui un point très positif en matière de développement économique car la Roumanie "dispose dans le monde entier d’un fonds de commerce de clients réguliers".
(d’après la Tribune de l’Expansion, 29.12.89)
***
Dans quel journal peut-on lire ces lignes ?
".. Nous tous, vous tous, cadres ou noncadres, enseignants ou soignants,
"prolétaires" ou militaires avons vu depuis quarante
ans notre niveau de vie s’améliorer, et cela en partie grâce
à l’action du PC relayé par la CGT Cette évolution
fut peut-être néfaste pour la compétitivité
de l’économie française, mais nous ne l’avons jamais refusée,
et nous avons trouvé bien agréables les avantages ainsi
obtenus".
L’Humanité ? Eh bien, non : le Figaro du 11 janvier.
***
Aux Etats-Unis, le lobby militaroindustriel s’accroche
"États-Unis : modestes dividendes de la paix.
L’administration Bush s’oppose à une réduction massive
des dépenses militaires, titre le Monde du 17 janvier. II ajoute
: A quelques jours de la présentation du prochain budget devant
le Congrès, le gouvernement américain semble déterminé
à résister aux fortes pressions exercées par de
nombreux parlementaires qui, considérant la nouvelle conjoncture
politique internationale, souhaitent une réduction massive des
dépenses militaires".
En France aussi, l’armée est gâtée
"Défense : 900 millions de francs pour revaloriser la condition
militaire".
(Le Monde)
Par contre, Jospin n’a obtenu que 500 millions de rallonge, et encore, parce que les images des étudiants dans les Facs, où il manquait la moitié des places, ont fait scandale.
***
Poubelles
"Les ordures ménagères suisses dans une commune de
la Loire. La France ne doit pas devenir la poubelle de l’Europe"
déclare Brice Lalonde.
"Depuis le 27 décembre, chaque jour, 30 tonnes d’ordures
ménagères de la ville de Lausanne sont acheminées
par la SNCF, puis par des camions".
(Le Monde, 20 janvier)
Lausanne est une ville bien propre !
"Greenpeace prend en chasse un bateaupoubelle en mer du Nord. Un bateaupoubelle appartenant à la National Power, compagnie britannique d’électricité (l’équivalent d’EDF), et qui s’apprêtait à déverser en Mer du Nord des déchets de charbon, a dû rebrousser chemin jeudi 18 janvier devant la détermination du navire de l’organisation internationale Greenpeace. Les écologistes veulent obliger la GrandeBretagne à appliquer un accord des pays riverains de la Mer du Nord de novembre 1987 stipulant que tout déversement de déchets doit cesser à compter du premier janvier 1990. Or, Madame Thatcher a déclaré récemment qu’il n’y avait pas pour la Grande-Bretagne d’autre solution que le déversement en mer et que, d’ailleurs, l’environnement n’était nullement menacé. ".
(Le Monde, 20 janvier)
"La présence de nitrates dans l’eau atteint des proportions inquiétantes dans certaines villes. L’agriculture moderne en accusation".
(Le Monde 6 janvier - selon une enquête de "Que Choisir’)
"Pour quelques millions de marks, la RDA reçoit chaque jour des dizaines de camions d’ordures de la RFA. Cela dure depuis des années. Les habitants du secteur concerné de RDA manifestent enfin (nappe phréatique polluée, etc ...)"
(Antenne 2, 25 janvier)
... et vive le libéralisme !
***
L’agriculture produit trop et pollue
Même une revue comme Télérama consacre plusieurs
pages à ce problème en s’appuyant sur le livre d’Éric
Fottorino, du Monde, auteur de "La France en friche". Voici
quelques passages
"En 1987, la Cour des Comptes dénonçait le fait que
plus une entreprise agricole est grosse, plus elle est aidée.
Les cinq mille exploitations céréalières les plus
importantes ont reçu par an 250.000 francs chacune. Contre 20.000
francs à peine pour les plus petites. Etre compétitif,
c’est recevoir le plus de subventions. Les plus gros sont donc plus
compétitifs. CQFD....
... Un court article dans le Monde du 28 octobre dernier racontait,
avec un humour grinçant, que, maintenant que les fameuses montagnes
de lait de la CEE ont été liquidées, grâce
aux fameux "quota laitiers" réduisant la production,
la France était obligée d’acheter sur le marché
américain du beurre, pour honorer un contrat avec un pays arabe
! ...
...Car cette agriculture hyperperformante est polluante. En 1987, un
rapport de l’INRA attirait l’attention sur le degré préoccupant
de pollution des nappes phréatiques. En Bretagne, à cause
du lisier des élevages de porc. En Beauce, où le taux
de nitrates dans l’eau est le double de celui qui est considéré
comme dangereux. Quand il va falloir faire entrer le coût de la
dépollution des nappes phréatiques, notamment en Bretagne,
on va s’apercevoir à quel point une agriculture très industrielle
est, finalement, coûteuse. "
Les valeurs du socialisme en France
Des déclarations de J. Lang n’ont pas été appréciées
en haut lieu : devant un public tchèque, il avait critiqué
les télévisions commerciales accusées "d’imposer
une dictature de la médiocrité et de la rentabilité
immédiate". Bouygues a dû intervenir...
(Selon le Monde)
La valeur des hommes du PS, vue par eux mêmes.
Pour Delors, Chevènement "est un cas désespéré
... Je ne peux plus rien lui prouve"
Pour Chevènement, "J. Delors s’exprime comme un Chef de
Gouvernement, alors qu’il n’est qu’un super fonctionnaire". Et
il se félicite de "n’avoir pas été invité
à l’Heure de Vérité de J. Delors, le 23 janvier".
(Le Monde, 25 janvier)
Bah, les Français continueront pourtant à voter pour ceux qui s’aiment tant !
***
Les morts n’ont pas toujours le même poids
En Roumanie, on annonçait 5 à 6.000 morts à Timisohara,
et 60.000 pour toute la Roumanie. Et voilà, une fois la révolution
faite, que la vérité se fait pour quelques milliers de
morts. Mais le comble, ce sont les "charniers de tortures"
découverts à Timisohara. Le "Canard enchainé"
du 31 janvier résume ce qu’on a pu entendre - oh très
brièvement - aux informations : "Le coup des cadavres qu’on
sort de la salle de dissection d’un hôpital, où ils sont
morts de mort naturelle, pour en faire des martyrs officiels torturés
et mutilés par la barbarie "sécuritaire" mérite
d’être inscrit d’urgence au "Livre de records".
Quel choc en retour quand je repense à celui ressenti les 24
et 25 décembre, en pleines fêtes de Noël, où
la vue des "charniers" me désespérait ! Que
la bonne foi des médias occidentaux ait été surprise,
je veux bien l’admettre - Dieu sait tout ce qu’on a pu entendre et voir,
répété plusieurs fois par jour, pendant deux à
trois semaines - Puis la nouvelle de la vérité, brève,
une journée, pratiquement sans commentaires. Le mal était
fait, c’était l’essentiel. Les journalistes, si chatouilleux
dès qu’on émet la moindre critique à leur endroit,
ont pratiqué, c’est clair, la désinformation. Où
est leur déontologie ?
Au Panama, par contre, ces chers Américains n’avaient fait "que"
250 morts en menant leur opération "juste cause" (toujours
ce besoin hypocrite de se justifier !). Or, il apparait qu’il y a eu
au moins 2.000 et peut-être 4.000 morts. Quoi d’étonnant
quand on sait que des quartiers pauvres et populeux ont été
bombardés par l’aviation. Bombarder pour protéger leurs
précieux "boys", c’est tout ce que les Américains
savent faire quand ils attaquent : peu leur importent les innocentes
victimes qui seraient bien moins nombreuses si les G.I.s’engageaient
un peu plus : ne sont-ils pas soldats ?
Tous les indices, disait Trotsky en 1936, portent à croire que les événements amèneront infailliblement un conflit entre les forces populaires et l’oligarchie bureaucratique. L’auteur de "la révolution trahie" émettait deux hypothèses qui lui semblaient les plus vraisemblables. La première était celle d’un parti révolutionnaire ayant toutes les qualités du bolchevisme qui chasserait, à la tête de la classe ouvrière, la bureaucratie au pouvoir. La seconde, à l’inverse, était celle d’un parti bourgeois renversant la caste soviétique dirigeante, et qui trouverait pas mal de serviteurs parmi les bureaucrates d’alors. Car, disait-il, la restauration bourgeoise aurait vraisemblablement moins de monde à exterminer qu’un parti révolutionnaire. L’objectif de ce nouveau pouvoir bourgeois serait de rétablir la propriété privée des moyens de production.
Dix-neuf ans après la Révolution d’Octobre,
Léon Trotsky affirmait que les ouvriers s’opposeraient à
la restauration du capitalisme. Ce jugement s’est révélé
valable et rien ne prouve qu’il ne se vérifiera pas encore dans
l’avenir. La question qui se pose pour les dirigeants soviétiques,
c’est celle de "la vérité des prix". Comment
les travailleurs réagirontils au renchérissement du coût
de ces produits, même si cela les fait réapparaitre sur
les marchés. Le second type de réaction serait plus dangereux
pour les projets de ceux des bureaucrates voulant asseoir leurs privilèges
en s’assurant la propriété des entreprises. Comment la
base réagira-t-elle à la privatisation des entreprises
? Est-ce que la classe ouvrière soviétique tient encore
à la propriété d’Etat des moyens de production
? Plus exactement, y tientelle au point de la défendre ?
C’est de cette force-là dont Trotsky voulait parler en invoquant
la conscience des travailleurs. Que reste-t-il des conquêtes d’Octobre
dans cette conscience ? Nul ne le sait et les dix années à
venir vont probablement nous l’apprendre.
Tous les progressistes occidentaux en ont conscience, aujourd’hui, notre
sort est intimement lié aux évènements qui vont
marquer l’histoire des peuples de l’Est. II y a un espoir. Ne serait-ce
du fait que le niveau moyen d’instruction de la population est un des
plus élevés du monde, sinon le plus élevé.
L’URSS est un pays où on lit beaucoup, y compris dans la classe
ouvrière. Et celà constitue un incontestable atout...
C’est la raison pour laquelle nous invitons les lecteurs de la Grande
Relève qui entretiennent des relations amicales avec des citoyens
soviétiques à leur faire parvenir de la documentation
dont ils ont le plus grand besoin.
Parmi les nombreuses écoles socioéconomistes qui pratiquent une analyse proche de la nôtre, les créditistes ont retenu spécialement l’attention depuis plus de soixante ans. Soucieux de chercher des soutiens hors de l’hexagone, nous nous sommes souvent penchés sur les thèses du major Douglas et de Louis Even. II nous a paru intéressant de faire le point sur les différentes tendances issues des idées d’origine.
Bref historique
En 1890, aux Etats-Unis, parait un roman d’anticipation
intitulé "Looking Backward" dont l’auteur était
Edward Bellamy, économiste et sociologue. Cet ouvrage fut édité
en France sous le titre "Cent ans après - Ou l’an 2000".
Thorstein Veblen, ingénieur newyorkais, écrivit ensuite
"Engineers and thé price system" en 1918 et créa
avec son collègue Howard Scott la "Technical Alliance"
devenue ensuite "Technocracy Society" sur des bases analogues.
Bien qu’il n’en fasse pas état, il semble que Clifford Hugh Douglas,
major dans la Royal Air Force, se soit également inspiré
de Bellamy dans "Economic Democracy" paru en 1919 puis "Social
Crédit" une dizaine d’années plus tard.
Douglas devait, plus que Scott et Veblen, inspirer des sucesseurs qui
travaillent encore aujourd’hui, peut-être parce qu’il utilisait
un langage moins technique et plus financier. Ainsi fut fondé
le "Mouvement créditiste". Un Français, Louis
Even, Frère des Ecoles Chrétiennes adhérait au
Mouvement et s’exprimait dans "Vers demain" créé
en 1939 et qui parait toujours (1). II mourut en 1974. Le journal est
actuellement dirigé par sa fondatrice Gilberte CôtéMercier.
Au cours des années 1960, à la suite d’une scission, Réal
Caouette créait le "Parti Créditiste Canadien"
qui eut son heure de gloire puisqu’il parvint à conquérir
la majorité dans la province de l’Alberta. Les créditistes
figurent encore dans certaines élections, mais le parti est sur
le déclin.
En France, hors des représentants de Vers Demain, une "Lettre
mensuelle alternative de recherche créditiste" intitulée
"Fragments" (2) parait depuis quelques années. Son
directeur de publication est M. Janpier Dutrieux.
Examinons les principaux thèmes développés par
les créditistes.
Catholicisme agressif
"Vers demain" se veut :"Journal de patriotes
catholiques. Pour le règne des Coeurs de Jésus et Marie.
Dans les âmes, les familles et les pays’ : II porte aussi en manchette :
"Pour la réforme économique du Crédit Social.
Par l’action vigilante des pères de famille. Et non par les partis
politiques". Son numéro d’avrilmai 1989 titre en première
page en gros caractères : "Sa Sainteté Jean-Paul
11, le 26 mai 1986, procurait grand honneur et grande joie à
notre Directricefondatrice Gilberte Côté-Mercier en la
gratifiant sur parchemin d’une bénédiction apostolique
spéciale pour cinquante années de don total à Vers
demain".
Les papes, les cardinaux et archevêques sont cités à
longueur de colonnes et d’encycliques. Autant et plus que l’économie
et la finance, la religion remplit la publication. Elles se mêlent
parfois étrangement. Ainsi ce titre "Sous la haute direction
du ChristRoi, Roi de toutes les nations - Pour réclamer 12.000
dollars pour la mère au foyer Grands congrès de Vers demain,,.
Suit la liste des réunions !
Nos lecteurs le savent, nous ne faisons pas ici profession d’athéisme
militant. Les chrétiens ouverts au monde actuel se sentent fort
bien parmi nous. Nous avons besoin d’eux pour penser une nouvelle société,
comme eux ont besoin des agnostiques ou des incroyants. II y a de bonnes
choses dans la doctrine sociale de l’Eglise et dans les encycliques
Mater et Magistra (3), Popularum progressio (4) et même Quadragesimo
anno (5). Le libéralisme sans frein y est condamné. Dans
"Sollicitude rei socialis (6), l’Eglise adopte une :"attitude
critique vis-à-vis du capitalisme libéral aussi bien que
du collectivisme marxiste".
Cette position nous convient pourvu que les chrétiens acceptent
de travailler dans un cadre "laïque". Mais lorsque nous
constatons que "Vers demain" reprend, par exemple sur l’éducation
sexuelle à l’école et l’avortement, les mêmes positions
que l’extrême droite américaine de laquelle il se réclame
d’ailleurs précisément, nous ne pouvons que regretter
cet amalgame entre des propositions économiques discutables sinon
acceptables et l’ultra-cléricalisme :
.. Les cours de sexe sont poussés dans les écoles par
les avorteurs. Livrons la guerre aux assassins de notre race.."
titre Yvette Poirier dans le numéro d’août-septembre 1989
et elle conclut :"..11 nous faut des saints JeanBaptistes prêts
au martyre qui rappellent aux Hérodes du XXe siècle leurs
devoirs à remplir vis-à-vis de la population. Seuls les
saints peuvent changer la face du monde et attirer la miséricorde
divine pour que cessent les ravages infernaux dans la vie de nos enfants".
Ce style passe peut-être au Canada, mais en France, même
les intégristes religieux du Front National n’emploient pas un
langage aussi violent.
Jeanpier Dutrieux parait plus réservé, bien qu’il ne se
désolidarise pas du modèle canadien. Au contraire. Par
exemple, il propose dans sa "Boutique créditiste" des
portraits de "Christ Roi", d"Ave Maria" et de "Saint
Michel" qui se réfèrent aussi à "Vers
demain" ...Toutefois comme "Fragments" de décembre
1989 reproduit, sous sa signature, la première partie d’une étude
intitulée "De la responsabilité" où il
critique longuement Jacques Duboin, examinons-la.
Distributisme et finance
Le directeur-rédacteur de Fragments ne cite
pas seulement Jacques Duboin, mais aussi Hyacinthe Dubreuil (7). Incontestablement
ses préférences vont au second, en raison de son plus
grand souci, parait-il, non pas de l’indépendance mais, précise-t-il
bien, de l’autonomie de la personne humaine : autonomie qui insensiblement
déborde d’ailleurs l’individu pour s’étendre à
la famille, puis aux groupes de producteurs, c’est-à-dire aux
entreprises, etc...
Nous ne pouvons ici étudier l’ensemble de l’argumentation développée,
car l’auteur ne fait pas dans la concision et nous ne pourrions pas,
même si nous en avions l’intention, le suivre sur ce point. Retenons
seulement quelques éléments qui, d’ailleurs, suffisent
à ruiner l’ensemble du raisonnement.
D’abord Dutrieux tombe dans le contresens habituel à ceux qui
prétendent apprécier les chances de passage vers une économie
des besoins à travers les errements financiers actuels. II se
lance dans le calcul surréaliste de ce que pourrait être
le revenu social, au sens où nous l’entendons, en partant du
PIB, de la Formation Brute du Capital Fixe (FBCF) et des différents
agrégats monétaires. II obtient ainsi la somme dissuasive
de 4315 F. par mois et par personne.
Rappelons donc que nous rejetons entièrement de tels calculs :
- Le Produit Intérieur Brut au sens statistique présent
ne représente en rien la production totale utile. II totalise
pêle-mêle des chiffres représentatifs de richesses
réelles pour le pays, mais également des fausses valeurs
(publicité commerciale, gadgets, dépenses pour le jeu
ou la Bourse, pour le soutien des prix agricoles, etc..) et des productions
néfastes (armement, entretien des armées, alcool, drogue,
pollutions diverses, etc..). Ainsi plus il y a d’accidents de la route
ou de malades, plus le PIB augmente !
- Le PIB ne comprend pas et pour cause, l’équivalent de ce qui
pourrait être offert, sans modifier l’équipement du pays,
mais que nous ne produisons pas faute de moyens de transaction solvables.
C’est-à-dire en faisant tourner les machines et automatismes
divers à 100% de leur capacité au lieu de 50 à
60%. C’est là le B.A. BA de notre thèse qui est fondée
sur la constatation que l’appareil productif automatisé ne distribue
pas le pouvoir d’achat nécessaire à la répartition
de ce qu’il crée.
Dutrieux se laisse prendre au piège tendu par la comptabilité
banquière dont le principal résultat est de dissimuler
soigneusement la réalité des richesses matérielles
derrière des statistiques chiffrées arbitraires.
Distributisme et Etat
S’il est un principe sur lequel nous ne transigeons
pas plus que les catholiques, c’est bien celui de la dignité
et du respect de la personne humaine. Notre différence avec les
créditistes canadiens ou ceux qui s’y associent est que nous
ne pensons pas qu’une économie basée sur la concurrence,
l’exaltation de la lutte et le mythe du vainqueur soit ou puisse être
rendue compatible avec ce souci. Les conservateurs, même éclairés,
raisonnent comme si le capitalisme était le résultat final
d’une évolution inéluctable. Comme s’il devait toujours
se maintenir. Beaucoup acceptent l’identification entre capitalisme
et démocratie ainsi qu’entre libéralisme et liberté.
Le "moins d’Etat" des réactionnaires de tous poils
est leur tarte à la crème. Rappelons donc encore une fois
à ceux qui restent catholiques, ces mots de l’un des leurs, le
Père Lacordaire : "Entre le faible et le fort, c’est la
loi qui protège et la liberté qui opprime".
Dutrieux reproduit de nombreux passages de Jacques Duboin tirés
de "Rareté et Abondance" paru en 1945 et de "Economie
distributive de l’abondance" paru en 1946. II est exact que notre
fondateur était à l’époque très dirigiste.
Pour sa justification, l’on peut se souvenir qu’à ce moment tout
le monde l’était, gauche et droite confondues. Les politiques
ne voyaient que par l’organisation du corporatisme (droite) ou par le
plan intégral (gauche). Nous savons bien maintenant que la défense
des consommateurs et des travailleurs passe par un planisme souple et
en fait plus d’incitation et de prévision que de commandement
et de rigueur. Nous savons bien aussi que le socialisme dont nous continuons
à nous réclamer, peut parfaitement et beaucoup mieux que
le capitalisme se concilier avec la liberté individuelle. Plusieurs
d’entre nous s’affirment autogestionnaires et notre auteur ne l’ignore
pas. Alors comment peut-il concilier cela avec son reproche d’étatisme
?
Créditisme
Le créditisme conserverait à chacun ses
revenus actuels et se caractériserait en plus par
- des dividendes familiaux chiffrés à 2203 F mensuels
par personne en 1987 étant entendu que toutes les allocations
y compris celles de chômage seraient supprimées et que
la famille devrait subvenir à ses dépenses de santé
au moyen, par exemple, d’une assurance privée ... évidemment.
Et encore le calcul, dans le détail duquel nous n’entrerons pas,
est-il fort contestable.
- un système d’escomptes compensés selon lequel le vendeur
pratiquerait à chaque client un rabais qui lui serait remboursé
par ... l’Etat
Nous n’avons pas la place pour discuter de ces propositions qui devraient
s’équilibrer entre elles, d’après leur promoteur et qui,
dans l’économie marchande, quoiqu’affirme Dutrieux seraient fortement
inflationnistes. Mais il est curieux de constater qu’il se place strictement
dans le système pour critiquer notre thèse, qui se situe
nettement en dehors, et qu’il ignore les obstacles inhérents
au capitalisme lorsqu’il soutient un réformisme pourtant interne
au régime.
Nous n’ignorons pas que l’économie distributive ne pourra s’instaurer
qu’après une période durant laquelle des mesures de transition
devront être prises. Le projet des créditistes pourrait
peut-être, mais il en existe de plus en plus d’autres, dont certains
se recoupent, constituer une des étapes nécessaires.
Nous analysons le créditisme d’à présent, non celui
d’il y a un demi-siècle et nous demandons à notre commentateur
d’en faire autant pour le socialisme distributif.
A la fin de ce premier exposé, Dutrieux fait une ouverture vers
une collaboration possible. Nous ne pouvons que donner notre accord
à une offre de discussion orientée vers la recherche d’une
économie plus démocratique. Néanmoins il faudrait
pour cela que le Directeur de Fragments et ses amis essaient, non pas
de renoncer à leurs convictions catholiques que nous respectons,
mais d’envisager un avenir acceptable pour tous quels que soient les
philosophies, religions, syndicats, races et sexes auxquels ils appartiennent
ou se réfèrent. II faudrait aussi qu’ils abandonnent leurs
préjugés à notre égard et que ces échanges
soient menés sans a-priori, même s’ils doivent montrer
que le capitalisme est tout à fait inadapté à l’état
présent et au futur proche des progrès scientifiques et
techniques, et qu’il faut l’abandonner.
(1) Maison Saint-Michel, Rougemont, P.C. Canada et
Pélerins de Saint-Michel Saint-Macaire-en-Mauge France. Voir
"Nouvelles des créditistes canadiens". GR n° 866.
(2) 5/15 Passage Fontaine del Saulx 59800 Lille
(3) Jean XXIII 15 mai 1961
(4) Paul VI 26 mars 1967
(5) Pie XI 1931
(6) Jean-Paul II 30 décembre 1987
(7) Sociologue (1883-1971) Ouvrages de Dubreuil : Librairie du Compagnonnage
2, rue de Brosse 75004 Paris et Comité H.D. 169, rue du Faubourd
SaintAntoine 75011 Paris.
Les changements politiques intervenus dans les pays
de l’Est posent un problème de fond : le communisme est-il viable
?
L’application du marxisme-léninisme en URSS et dans les nations
satellites n’a pas apporté la preuve qu’il est la meilleure solution
dans les domaines des libertés républicaines et de la
satisfaction des besoins courants des populations. Et il faut véritablement
utiliser des lunettes roses pour affirmer que le bilan est globalement
positif.
Bien sûr, il ne faut pas oublier l’importante contribution de
l’URSS dans la victoire finale de 1945, après le fâcheux
pacte germanosoviétique du 23 août 1939, puis sa rupture
en juin 1941. On ne peut nier non plus les efforts accomplis et les
résultats obtenus dans les secteurs éducatif, scientifique
et technique. Mais les aspects négatifs du système communiste
sont beaucoup plus nombreux, hélas !
Prétendre qu’on ignorait ce qui existait réellement sous
la dictature stalinienne, et même après la mort de Staline
le 5 mars 1953, dans les pays de l’Est, c’est adopter une position extrêmement
confortable, qui dispense de l’autocritique, mais qui ne correspond
absolument pas à la réalité historique.
Car enfin, depuis la guerre 1939-1945, de nombreux articles, reportages
ou ouvrages ont dénoncé soit avant, soit après
le rapport Kroutchev au 20e congrès du PCUS en février
1956, les pratiques totalitaires du stalinisme et des régimes
communistes.
Je citerai entre autres livres : d’abord "Le zéro et l’infini’
d’Arthur Koestler (1945), "J’ai choisi la liberté"
de Victor Kravchenko (1947). Après la mort de Staline sont intervenues
les insurrections de Budapest en Hongrie enoctobre 1956, et de Prague
en Tchécoslovaquie en août 1968, réprimées
avec l’armée soviétique. A partir de la même époque
sont parus dans des collections populaires comme celle du Seuil les
ouvrages suivants
"Bilan de l’URSS 1917-1967’ de J.P. Nettl (1967), "Le stalinisme"
de Roy Medvedev (1972), "Histoire des démocraties populaires"
de François Fejto (1972), "Les procès dans les démocraties
populaires" d’Annie Kriegel (1972) collection "Idées"
Gallimard, "Le système totalitaire" d’Hannah Arendt
(1972), "L’archipel du Goulag’ d’Alexandre Soljenitsyne (1974),
"Les cinq communismes" de Gilles Martinet (1974), "Histoire
du phénomène stalinien" de Jean Elleinstein (1976).
Enfin, qui n’a pu voir à la télévision le film
"L’aveu" de Costa Gavras, tiré du témoignage
d’Artur London, film interdit dans les pays de l’Est ?
Devant tous ces documents, comment prétendre aujourd’hui qu’on
ne savait pas ? A moins que certains dirigeants politiques remplis de
certitudes rejetaient alors ces travaux comme diffamatoires et se dispensaient
systématiquement de les lire ou de les regarder ?
Autre élément évident, dans tous les pays communistes
existait la suprématie du parti unique, et celui-ci conduit inexorablement
à la dictature, qu’elle soit de droite ou de gauche, puisqu’il
interdit toute contestation et toute constitution d’autres partis. Le
multipartisme est d’ailleurs une revendication essentielle des pays
ayant procédé à leur "libération".
Cependant, il existe encore chez eux des discussions sur le rôle
dirigeant du parti communiste.
Or la question essentielle est celle-ci comment se fait-il que dans
les pays où le parti communiste avait tous les pouvoirs et notamment
celui de l’organisation de l’activité économique, il n’ait
pas réussi à satisfaire les besoins quotidiens des populations
? La réponse est évidente. La collectivisation des moyens
de production et en particulier de l’agriculture, et la planification
centralisée à l’excès créent une bureaucratie
plus ou moins compétente et budgétivore avec les gaspillages
que cela comporte, une nouvelle classe de privilégiés,
et suppriment et interdisent les initiatives individuelles. Or si l’on
n’encourage pas l’effort de chacun, s’il n’y a pas de récompense
financière (1) de cet effort, comment s’étonner ensuite
de l’indifférence, voire de l’apathie des travailleurs non politisés
et des producteurs ?
Le retour au capitalisme n’est évidemment pas la solution puisque
dans les démocraties occidentales, si le standard de vie est
nettement plus élevé, l’idée de participation et
d’intéressement des travailleurs, chère au Général
de Gaulle, n’a guère progressé. Et les problèmes
du chômage, de l’emploi et de la pauvreté restent posés
à l’aube de l’accélération de l’automatisation
et de la robotique.
La solution, à l’Est comme à l’Ouest, réside vraisemblablement
dans un système d’économie distributive mixte (2), et
de cogestion des entreprises dans le respect des droits et devoirs de
tous les partenaires sociaux.
Car pour l’instant le communisme politique n’a pas prouvé sa
supériorité. Et les communismes de l’anarchiste libertaire
Sébastien Faure, ou du christianisme primitif ne semblent guère
applicables au degré actuel d’évolution des mentalités.
1) NDLR Nous avons tous été habitués
à ne voir de récompense que financière. Est-il
impensable d’en inventer d’une autre nature, telle qu’une remise de
responsabilités, une promotion, etc ?
2) NDLR Il serait intéressant que L.Gilot nous explique ce qu’il
entend par "économie distributive mixte
2 Janvier 1990. Les "Dossiers de l’écran",
sur Antenne 2, passent "La maison du lac", l’admirable film
sur la vieillesse. Le débat aborde, ou plutôt effleure
l’angoissant problème des retraites et son évolution probable
dans les années à venir. Les responsables politiques et
sociaux en sont conscients. Ils hésitent à imaginer d’autres
structures.
Les systèmes (Etat et complémentaire) sont établis
uniquement sur les cotisations employeurs et salariés, c’est-à-dire
basés sur l’effectif des travailleurs et les conditions de travail.
Les progrès techniques, l’évolution démographique
prolongeant l’espérance de vie des salariés, devraient
conduire à envisager, pour le premier quart du XXIe siècle,
la situation suivante : "un actif aura à assurer la retraite
de deux, puis d’un ancien". Hypothèse non rejetée
par Alfred Sauvy. Elle est effarante. Elle apporte les germes d’un conflit
entre générations et, au minimum, la baisse sensible du
niveau de vie de tous les retraités.
La technique financière n’est pas en cause. On trouvera toujours
l’équilibre, seul le pouvoir d’achat des retraités est
menacé.
On peut imaginer une autre approche pour définir l’assiette des
cotisations dans chaque système, en prenant en compte, dans chaque
entreprise, les progrès de productivité dus à la
fois à la technique et à la gestion. C’est introduire
un paramètre supplémentaire en liant salaires, effectifs
et progrès. La difficulté est de définir avec équité
l’importance de chacun. Le progrès technique et la bonne gestion
conduisent à la réduction des effectifs au seul profit
de l’entreprise. Pourquoi ne pas demander à celleci qu’une part
de ce profit soit consacrée au financement des retraites ?
Ainsi formulée, cette nouvelle hypothèse va soulever un
énorme éclat de rire à la fois des patrons et des
salariés.
Et pourtant ?
La proposition n’est pas ridicule. La difficulté est de quantifier
chacun des paramètres, c’est là où l’imagination
doit intervenir. L’imagination et l’esprit de solidarité, avec,
pour objectif, l’équilibre entre les générations.
Vaste programme ?
L’argument de l’augmentation par ce biais de la quote-part patronale
accroissant les charges des entreprises ne parait pas acceptable. II
faut sortir de la conception étroite liant aux seuls salaires
les cotisations des retraites. II est indispensable de faire intervenir
les profits créés par l’amélioration des techniques
et de la gestion des unités de production dont la conséquence
inéluctable est la diminution du prix de revient, donc des effectifs.
Un examen historique, objectif, sans parti pris de l’évolution
de l’industrie automobile, de la sidérurgie ou autre, sur les
25 dernières années, ferait apparaitre des résultats
effarants.
Cette étude donnerait les éléments d’une équation
équitable entre les trois premiers paramètres signalés
plus haut. Elle aurait l’avantage d’ouvrir une perspective qui, liée
éventuellement à une contribution budgétaire limitée,
intégrerait une notion capitale :"le progrès des
techniques est l’héritage commun de l’ensemble des hommes d’une
nation, d’une fédération, d’une confédération.
Les bénéfices retirés par la collectivité
doivent être l’héritage de toutes les générations".
Héritage réparti équitablement. (1)
"La vraie richesse étant la pleine puissance productive
de tous les individus, l’étalon de mesure en sera non pas le
temps de travail, mais le temps disponible..."
... Adopter pour étalon de la richesse le temps de travail, c’est
condamner celle-ci à la pauvreté...".
Si les Marxistes du XXe siècle n’avaient pas
caricaturé cette pensée de leur Maître, ils auraient
évité leur effondrement actuel.
Il n’est pas impossible d’actualiser cette prophétie, de faire
de cette utopie une réalité. Est-ce vraiment si difficile
?
Le dernier tiers du XXe siècle marque l’entrée des pays
industrialisés dans une ère nouvelle : celle du temps
disponible. La production des biens et des services continuera de croitre
en demandant de moins en moins de travail humain. Il faut dessiner des
habits nouveaux aux structures de répartition pour remplacer,
à la fois, des salaires et les revenus du capital.
On peut même dire que cette période de transition a commencé
il y a soixante ans, avec le krach de 1929 aux Etats-Unis.
Quel parcours !!
(1) Cette notion a été entrevue par Karl Marx en 1858 (Inédits de 1857 - 58. Economie II Oeuvres - La Pléiade p. 308, édition publiée par M. Rudel - 1979).
Nous avons commencé dans notre numéro 881 et poursuivi dans nos numéros 88" et 885 la traduction d’une proposition de réformes qui nous vient du Royaume-Uni tendant à substituer aux multiples taxes en vigueur une taxe unique basée sur l’énergie. Voici la suite de cette traduction.
L’alternative acceptable :
Ce cadre fournit les incitations appropriées, les récompenses et les protections, tout en laissant aux individus et aux organisations la liberté de prendre leurs propres décisions sur les utilisations des ressources les plus efficaces, les plus agréables ou les plus appropriées. II n’est pas nécessaire que le gouvernement ou un autre tiers-parti classe les consommations. Chacun aura sa propre perception des prix et des priorités sur la façon de consommer. On n’évite pas le "coût social" de la consommation ou alors on s’en passe. C’est ça le concept de l’Economie des Ressources, conduisant en pratique à une économie dynamique, équilibrée, alimentant toutes les dépenses gouvernementales.
4.2 II ya des arguments qui s’imposent en faveur de l’Economie des Ressources, même si nous ne sommes pas d’accord sur l’état désastreux des économies du monde actuel. L’inflation nous a appris que les systèmes statiques (le vieil étalon or, par exemple) n’ont plus d’existence réelle. Nous avons été formés à nous occuper de la dynamique des variations rapides des marchés, des valeurs des monnaies, des taux de change, des types de travail flexible, de la participation et du partage des profits, des sources d’approvisionnement changeantes, des technologies qui se développent avec de nouvelles conceptions de fabrication et de nouveaux matériaux, sans parler des règles fondamentales de taxation constamment modifiées et des troubles politiques. Il existe un moyen de faire tourner les économies nationales sans la contrainte ridicule de budgets annuels, et permettant au contraire inéluctablement de toujours équilibrer les dépenses par les recettes.
4.3 Le changement vers l’Economie des Ressources ne s’impose pas non plus, simplement parce que nous voudrions utiliser moins de ressources naturelleset parce que nous avons un surplus global de main d’oeuvre. Beaucoup de gens cependant pourraient utiliser de tels arguments émotionnels. Derrière ces arguments, il ya la vérité de la nature de la production qui est en train de changer. La production tend de plus en plus à s’orienter vers le consommateur et à être riche en ressources, rapidement dépréciée, intensive en capital et destructrice de main d’oeuvre.Elle est devenue insupportable par l’utilisation concentrée des ressources en capital (bien au delà du taux auquel elles peuvent être remplacées) et cependant elle rejette avec mépris la seule ressource renouvelable : l’effort humain qui est en excédent ! Ce comportement extraordinaire renverse effectivement les facteurs classiques de production et pourtant nous ne voyons pas les changements correspondants dans les trésoreries des gouvernements. Le résultat est un phénomène que j’ai décrit ailleurs sous le nom "d’inflation technologique". Par dessus tout, ça nous dit que l’économie classique ne convient plus.
4.4 Le seul traitement de l’inflation technologique
mettant en oeuvre les méthodes de l’économie actuelle
(néo classique) serait, en disant les choses avec douceur, très
douloureux. En bref, il aurait pour conséquence de décourager
la production, et, soit de réduire la population, soit d’accepter
globalement une sousutilisation massive des ressources de main d’oeuvre
: chômage élevé (dans les "bons" emplois)
associé à une baisse moyenne du niveau de vie. En un mot,
"retarder les pendules" jusqu’au moment où les facteurs
classiques de production (capital et travail) redeviendraient appropriées.
Même ainsi, celà n’encouragerait pas à la création
de richesses durables puisque nous allons vers une ère de diminution
des ressources et de croissance des populations. Celà ne stimulerait
pas non plus la distribution de ces richesses (voir le rapport Brandt
sur les relations Nord-Sud) puisqu’un plus grand nombre de gens aspire
à des niveaux de vie plus élevés.
Continuer à utiliser les méthodes de l’économie
classique actuelle n’est pas seulement de plus en plus impraticable,
c’est finalement suicidaire.
5.Proposition
5.1 La réponse est toute simple. En plus, elle
est facile à mettre en oeuvre, et au lieu d’être pénible,
elle pourrait être en fait très agréable. Elle pourrait
aussi attirer beaucoup d’électeurs et valoir une bonne popularité
politique. Mais il est un domaine dans lequel l’Economie des Ressources
ne se conforme pas aux structures capital-main d’oeuvre des sociétés
anciennes : elles y sont égalitaires, tout le monde partageant
de manière non sélective la prospérité nationale,
tout le monde payant inévitablement sa part. Dans cet article,
nous adoptons ce point de vue constructif que les deux parties (le capital
et le travail) sont correctes (budgets équilibrés dans
un marché libre et l’assitance sociale pour tout le monde), plutôt
que le point de vue destructif suivant lequel les deux parties sont
mauvaises (le fort prenant au faible et l’Etat punissant la réussite
par une redistribution forcée). Si un trait est mis en lumière
par l’Economie des Ressources, c’est celui d’un développement
démocratique et d’une saine écologie de l’environnement
(le bien-être humain au prix de la planète). II ne faut
pas réfléchir longtemps pour comprendre que c’est là
l’ultime conflit. le choix est donc clair entre deux voies distinctes
: ou bien nous gardons le système économique actuel (néoclassique),
basé sur des facteurs de production dépassés et
attendons-nous à la catharsis d’un violent effondrement de l’humanité ;
ou bien nous nous adaptons aux réalités présentes
en inversant les vieux facteurs de production pour qu’ils deviennent
ceux d’une nouvelle consommation.
Telle est la Proposition de l’Economie des Ressources (PER) qui implique
une certaine promotion de la couleur "verte" en train d’émerger
en politique et qui reconnait la réalité du consumérisme
démocratique.
Il est incroyable de constater, au cours de n’importe
quelle conversation banale, que dans leur majorité les gens sont
incapables d’analyser ce qui, dans leur confort, leurs loisirs, leurs
besoins, est apparu le plus récemment dans l’Histoire, ce qu’il
en coûte en matières premières, en hommes, en conséquences
sur la santé de tous. Ils ne distinguent pas ce qui serait de
l’ordre de l’indispensable, parmi les activités produisant des
nuisances ou un taux élevé de risques humains, de ce qui,
n’ayant jamais existé jusqu’à présent, ne lèserait
personne.
Les activités auxquelles on les invite : l’offre précédant
la demande, la recherche devançant le faux problème, la
publicité et le crédit provoquant l’achat ... finissent
par être assimilées si totalement qu’ils croient devoir
les pratiquer à l’instar d’activités universelles et de
toute éternité, qui répondaient à des besoins
ou à des désirs de base, humains, irréductibles,
bien avant la toute récente société industrielle.
(1)
Exemple : il est très difficile de leur démontrer la différence
qualitative (politique, économique) qui existe entre un lieu
comme la piscine, où avec des moyens réduits, on enseigne
une activité depuis toujours précieuse sur la "planète
bleue"... ; la plongée sousmarine avec tel ou tel niveau
plus ou moins sophistiqué de matériel ; et les professionnels
du genre : "Défi de l’aventure", "Uschuïa",
"Sirocco", qui vivent du risque, à un niveau plus spectaculaire,
très rémunéré, d’un spectacle de l’Impossible
qui fait monter le sacré "audimat".
Ainsi se créent toutes sortes de productions dans tous les domaines,
dont la principale raison d’être est la création d’emplois,
la vente de matériels divers, de services, de "loisirs",
dont personne ne semble s’interroger sur leur véritable sens..
mais tout le monde s’y jette à corps perdu.
Du fait de certaines croyances répandues qui s’appellent "évolutionnisme"
(social !), "fatalisme" (religieux), "surpassement de
soi" (suspect) , "aventure" ... voire même lorsqu’il
s’agit de cette association de chasseurs qui prétendent rétablir
l’équilibre naturel des espèces ... par le fait de tuer
du gibier "comme" l’homme primitif ( !!...)on voit surgir des
paradoxes, des fuites en avant. Comme si, à l’encontre d’une
société qui prétendrait avoir tout maitrisé
pour offrir (à certains) une douceur de vivre, d’autres éprouvaient
le besoin de consommer la dernière trouvaille dans un état
d’inconscience irrépressible.
A cause de ces idéologies-béquilles, qui équivalent
à une taie sur l’oeil de nos contemporains, rien de ce qui est
produit n’est remis en question, ne leur pose problème. Ils n’imaginent
pas que cela puisse venir à manquer ou être remplacé
par des produits plus rationnels, mieux adaptés, moins coûteux,
non polluants et accessibles à tous, à tous points de
vue.
(1) Par comparaison avec les quelque 3 millions d’années de l’humanité.