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AED La Grande Relève Articles > N° 887 - mars 1990

 

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N° 887 - mars 1990

Course dangereuse   (Afficher article seul)

Des chiffres   (Afficher article seul)

Dix mille pour un seul   (Afficher article seul)

Les orphelins du socialisme   (Afficher article seul)

Lu, vu, entendu   (Afficher article seul)

Où va l’URSS de la Glasnost ?   (Afficher article seul)

Créditisme   (Afficher article seul)

Le communisme en question   (Afficher article seul)

Retraite au XXIe siècle   (Afficher article seul)

Les joies de l’économie des ressources   (Afficher article seul)

Inconscience   (Afficher article seul)

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Éditorial

Course dangereuse

par M.-L. DUBOIN
mars 1990

Il me semblait, en Novembre (1) dernier, que pour répandre nos thèses, il fallait maintenant que l’essentiel de nos efforts soit consacré à "démystifier les processus de la création monétaire" et "faire comprendre la nécessité d’en repenser les mécanismes" ; de les adapter aux besoins et aux moyens de notre époque.
L’actualité toute récente vient encore de conforter cette conviction, car il apparait qu’une course s’est engagée entre la réunification de l’Allemagne, conçue pour en faire un bloc économique imposant sa puissance aux autres, et la formation d’une Europe unie sur des bases humainement plus saines.
Ainsi, deux points de vue radicalement opposés s’affrontent, dans cette course mise en évidence par le refus du Chancelier Kohl d’avancer la date de la conférence prévue à propos de l’Union économique et monétaire de la Communauté Européenne.
D’un côté, les affairistes de l’Ouest voient dans la réunification de l’Allemagne la formation d’une puissance économique dont ils seraient évidemment les bénéficiaires. Peu leur importe si pour arriver à ce renforcement de leur pouvoir, il faut étouffer l’espoir de démocratie des peuples de l’Est , sous ce qui sera présenté comme "la nécessité", les "contraintes économiques", la "loi d’airain" ou la "loi du marché", "l’austérité nécessaire" ou "le chômage inévitable", etc... Refrains connus, que les politiciens ont mis dans leur répertoire en s’inféodant à "l’économisme" (2) en vigueur.
De l’autre côté, il y a des gens qui veulent que l’Europe se fonde sur des bases saines, c’est à dire susceptible d’offrir au monde l’exemple vivant d’une société équilibrée, dont l’idéal ne soit plus la croissance à tout prix, mais l’épanouissement des êtres humains, tous considérés comme des citoyens à part entière. Et ces penseurs, que les autres prennent par conséquent pour des utopistes sans moyens, se voient obligés de lutter aussi contre tous ceux qui voient dans des nationalismes exacerbés le moyen de défendre leurs intérêts contre les trop puissants affairistes.
Penser l’Europe dans ce contexte est une gageure que n’effraie pas l’association (3) "Europe 1993". Mais il faudrait pourtant, sous peine d’inutilité, qu’elle sache prendre la mesure du danger qu’il y aurait à laisser aux affairistes le pouvoir monétaire. Car c’est bien l’arme toute-puissante de "l’économisme" en question. Le Président de la Banque Fédérale de l’Allemagne Fédérale en a, lui, judicieudement pris la mesure, en défendant une "Banque Centrale indépendante" des injonctions politiques qui pourraient venir d’un parlement Européen. Les Gouverneurs d’une Banque Européenne doivent, à ses yeux, disposer d’une véritable autonomie, et, pour celà, être nommés "pour une durée suffisamment longue" et ne pas pouvoir être démis de leurs fonctions, leur indépendance personnelle étant assurée par "un revenu financier adapté, pendant et après leur mandat" .... En élaborant un projet pour une Europe des citoyens, on ne peut pas se dispenser d’une réflexion approfondie sur la création monétaire, ni trop se prémunir contre le pouvoir des banques. Saluons à ce propos le formidable courage du député européen J. Ziegler dénonçant dans son livre "La Suisse lave plus blanc" les moyens couramment utilisés, et en toute légalité, pour blanchir, entre autres, l’argent de la drogue.
Citons également, dans le cadre de cette réflexion sur le pouvoir bancaire et monétaire, le travail que Katia De Brabandere, vient de publier en Belgique, dans le N°1 de janvier 1990 de sa remarquable revue intitulée "Coopé
rance". (4)

1) Voir l’éditorial de la Grande Relève N°884
2) le mot , je crois, est de Claude Julien
3) Dont nous avons souvent parlé, en particulier en citant dans notre N°884 une proposition sous le titre "L’émergence d’une économie plus distributive", discutée par des lecteurs dans le N°885.
4) "Coopérance , coopération et interdépendance", les Nouvelles Coopératives ASBL, 21 Bld des Archers. 1400 NIVELLES. Belgique.

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Des chiffres

mars 1990

Le prix du marché libre

Les prix flambent en Pologne : + 38 °/ pour le pain, + 55 °/ pour le jambon, + 100 % pour une communication téléphonique, + 400 % pour l’électricité, + 600 % pour le charbon...
Et d’après l’International Herald Tribune (3.1.90), les six prochains mois seront rudes...
Le Brésil est un pays riche en ressources naturelles et humaines..., son PNB est estimé à 354 milliards de dollars. Sa dette extérieure est de 124 milliards...
Entre 1972 et 1988, le Brésil a versé aux banques commerciales 176 milliards d’intérêts (soit 52 milliards de plus que le montant de sa dette). Ces intérêts, pour la seule année 1988, correspondent à plus de 266 millions de salaires mensuels au minimum vital, ou au logement de 30 millions de personnes.

(d’après le Monde Diplomatique, février 1990)

***

L’aide accordée en 1989 par les pays riches du Nord est estimée à 47,6 milliards de dollars et dans le même temps, ils ont reçu du Sud, au titre du "service de la dette", 178 milliards de dollars...

(d’après le Journal de Genève, 14.12.89)

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Baisse de quel chômage ?
Sur 9 millions de contrats de travail signés en France en 1988, 5,5 millions étaient des contrats d’intérim, 2,5 millions étaient des contrats à durée déterminée, 1 seul million d’embauches fermes... C’est ainsi que 400.000 dossiers de demandes d’allocations à l’UNEDIC ont été rejetés pendant les quatre premiers mois de 1989, dont la moitié pour durée d’affiliation insuffisante.

(d’après Liaisons sociales, 9.11.89)

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Forces tranquilles
Au pays de la Force Tranquille, 22.000 dealers ont pignon sur rue et approvisionnent en toute légalité quelques millions de consommateurs. Qui sont-ils ? Les pharmaciens, qui, en 1987, ont vendu 150 millions de somnifères et autres tranquillisants, soit une moyenne de 80 comprimés par adulte et par an. Un triste record mondial, après celui de la consommation moyenne d’alcool par habitant.

(Science et vie, janvier 89)

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Industrie : France et Etats-Unis
France : depuis 1984, l’aiguille du baromètre de nos échanges industriels descend vers le sombre. Face à une demande mondiale qui a progressé de 19 % au cours des six dernières années, la France a perdu 10 % de ses parts de marché dans le monde, pendant que l’Italie en gagnait 9 °/, la RFA 14 % et le Japon 23 °/ .... Si on essaie de rattraper notre retard à bride abattue, le risque n’est-il pas grand de voir l’écart se creuser un peu plus entre les citoyens d’une France à deux vitesses ?
(Le Monde du 9 janvier analysant le livre de Jean-Louis Levet "Une France sans usines ?’)
Etats-Unis : Echec dans les mémoires électroniques. "US memories" jette l’éponge. Mauvaise nouvelle pour l’électronique américaine dans les mémoires électroniques dites "dynamiques" (DRAM) qui équipent entre autres les microordinateurs. Le consortium envisagé pour lutter contre les Japonais qui occupent 70 % du marché des DRAM abandonne. Et les Coréens, derrière Samsung se sont engouffrés sur le marché".

(D’après le Monde du 17 janvier)

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Criminalité et délinquance
"Elles ont augmenté à Paris de 7 % en 1989... Près de 20.000 délits supplémentaires ont été relevés dans la capitale... "
(Le Monde, 20 janvier)
"En cinq ans, le nombre de meurtres commis par an à Washington a augmenté de 151 %, de 148 à 372.
(d’après Newsweek, mars 1989)
Avec la société duale qui s’approfondit, ça ne peut que croitre et embellir, quoi que fasse la police.

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Dix mille pour un seul

mars 1990

Pour lutter contre la surproduction (par rapport aux besoins solvables, cela va sans dire), la CEE subventionne le gel des terres.
C’est croire qu’on peut asservir l’abondance ! Car un lecteur nous envoie un rapport sur des expériences menées en France et qui montre qu’en mettant un sol en jachère (ce qui permet de recevoir une prime de l’Etat) pendant un an, et en le laissant se rééquilibrer avec un engrais vert qu’on fauche et qu’on laisse en surface, ce sol est capable ensuite de produire un blé d’hiver ayant un rendement exceptionnel : 10.000 grains de blé pour un seul
II convient, pour obtenir un tel rendement, de savoir jouer sur l’association d’acacias, de trèfle rampant et de bleuet, plante médicinale de surcroit...
Renseignements. sur cette technique qui ne favorise pas la rareté chère à nos économistes certes, mais qui, au moins, est très écologique, à : PERMACULTURE PYRENEES 11300 Bouriège

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Les orphelins du socialisme

par A. PRIME
mars 1990

L’espoir, l’espérance ? Tout va si mal, tout va si vite qu’on peut se demander à qui, à quoi les gens de gauche au sens large - et les distributistes plus que les autres - vont bien pouyoir se raccrocher pour ne pas se sentir, quelque part dans leur jardin secret, orphelins du socialisme. Et certaines raisons d’espérer, qui demeurent à l’heure où j’écris, auront peutêtre à leur tour disparu lorsque vous recevrez la Grande Relève de Mars.
Laissons - çà durera encore quelques mois les naïfs, les ignorants ou les réveurs à la liesse bien compréhensible que leur procurent les événements actuels ; mais restons lucides devant le cynisme, l’hyprocrisie ou les propos lénifiants de tous ceux - hommes politiques, hommes d’affaires, de médias ou d’église -, qui s’abritent derrière l’enthousiasme des généreux révolutionnaires pour préparer le triomphe quasi-universel du libéralisme, au sortir d’une crise de quinze années.
Ce n’est pas parce que Staline, puis Brejnev, ont perverti le socialisme que le désespoir du sincère et dévoué militant de Billancourt n’est pas émouvant et infiniment triste. L’état d’esprit de ceux qui le soir du 10 mai 1981 criaient : "On a gagné, on a gagné" est-il si différent ?

France

II y a en effet très peu de chances maintenant que le parti socialiste instaure un véritable socialisme. Un événement passé presque inaperçu, dans le cadre de la préparation du congrès de Rennes, est pourtant éclairant : il s’agit des modifications de la "Déclaration de principes" des statuts. Antérieurement, on pouvait lire  : "Les socialistes estiment qu’il ne peut exister de démocratie réelle dans la société capitaliste. C’est en ce sens que le Parti Socialiste est un parti révolutionnaire. Le socialisme nécessite le développement d’une société d’abondance et la disparition du gaspillage engendré par le capitalisme... II ne s’agit pas d’aménager le système, mais de lui en substituer un autre"...
Balayé tout cela dans la nouvelle "Déclaration de principes" établie lors du Comité directeur de janvier. "Parti de rassemblement, le Parti Socialiste met le réformisme au service des espérances révolutionnaires...". Et d’autres généralités du même genre.

Et si Mitterrand peut continuer de déclarer, pour son "image" - ça ne coûte rien :"L’Etat doit veiller à une répartition équitable des produits du travail de tous", son Premier Ministre rassure les patrons (1) :"Le retour de la croissance ne saurait s’accompagner d’un relâchement de nos disciplines". En matière de rémunérations, il faut poursuivre "le même rythme déterminé et sage".
Le Parti Socialiste renâcle, de temps en temps, pour la galerie. Seuls quelques rénovateurs clairvoyants et courageux de la Nouvelle Ecole Sociale (voir Grande Relève Octobre 89), auxquels il faut ajouter Max Gallo, qui vient de publier (2) une terrible charge contre le capitalisme, tentent de sauver l’honneur d’un parti qui trahit une fois de plus ses idéaux, et donc ses militants et ses électeurs. Objectif pour ses dirigeants : bien servir le capitalisme pour pouvoir mieux faire carrière
le spectacle lamentable - surtout aux heures graves que vit le socialisme - des "écuries pour présidentiables" (dixit Delebarre) est là pour témoigner.

Europe

En fait, les socialistes français se sont accordés avec la social-démocratie européenne, en particulier celle de RFA. En modifiant ses statuts, elle réalise son "Bad Godesberg"(3). L’Europe des marchands peut commencer, quels que soient les partis au pouvoir chez les Douze, et plus tard chez les Dix-huit ou Vingt. Tous les pays de l’Est libérés du communisme ont opté pour l’économie de marché (de toute façon, laissés à euxmêmes, en plein marasme, ils ne peuvent plus faire autrement) ; le Comecon, le pacte de Varsovie sont des coquilles vides.
C’est vraiment la ruée vers l’Est, avec des sous plein les poches  : RFA en tête (la Kholonisation, ironisait un journaliste) ; le Japon (tournée de Kaifou) ; la France avec Mitterrand pour les dépôts de gerbes et les grands discours humanistes - noblesse et postérité obligent -, mais avec, dans ses bagages, une cohorte de ministres et représentants des milieux d’affaires.
La Grande Confédération Européenne, la BERD (Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement), c’est parti I On surveille tout de même l’Allemagne : on espère qu’elle ne jouera pas un jeu personnel (4).
En bref, tout rêve, tout espoir de voir les pays de l’Est trouver une troisième voie vraiment socialiste entre le communisme et le capitalisme - et sa servante la socialdémocratie - est à mon avis irréaliste. Le seuil de non-retour est déjà dépassé.
II faut se résoudre à les voir passer par la phase capitaliste, phase au cours de laquelle les luttes pour le socialisme devront repartir à zéro ; elles se développeront, car le libéralisme va amener son cortège de malheurs, comme c’est déjà le cas en Pologne. Nous en avons déjà parlé, mais il y a du nouveau depuis :
"Braises polonaises
Beaucoup des ingrédients d’une telle dégénérescence sont en tout cas déjà réunis : démoralisation de la population par un plan d’austérité extrêmement dur entré en vigueur le premier janvier dernier, et dont le coût social va se traduire par des centaines de milliers de chômeurs, poursuite de l’exode des cerveaux, blocage des réformes économiques, mécontentement croissant dans les campagnes souvent encadrées par une hiérarchie catholique particulièrement réactionnaire et ne portant pas dans son coeur les esprits critiques de Solidarité. "
(Le Monde 17 janvier)
"Conflit ouvert entre le Gouvernement et le pays
... l’atmosphère à la campagne est de plus en plus mauvaise... La panique gagne les paysans, ils vendent leur cheptel à vau-l’eau, indique le communiqué de Solidarité rurale. Les cheptels porcin et bovin diminuent dans des proportions inquiétantes." Presque chaque jour, la télévision polonaise diffuse des images d’abattoirs déserts et de boucheries désespérément vides. Les paysans clament à cor et à cri que leurs propriétés ne sont plus rentables d’autant que l’aide alimentaire occidentale s’oppose au développement de la production agricole nationale".
(Le Monde 13 janvier)
Cocasse, non, cette dernière remarque !
Ajoutons à cela la grève des mines de Silésie, c’est ce qui attend, avec des variantes selon l’état actuel de leur économie, tous les pays de l’Est. Voilà comment J.F. Kahn voit l’avenir de ces pays : "Augmentation vertigineuse des prix... rude baisse du pouvoir d’achat, restauration draconienne de la discipline du travail nécessaire au relèvement de la productivité, licenciements massifs et fermeture de milliers d’usines archaïques, accession plus coûteuse au logement .
... II apparaitra qu’une minorité parvient très rapidement à s’enrichir, que des spéculateurs tirent les marrons dorés du feu... et que se reconstitue une manière de bourgeoisie possédante ...
.. En Hongrie, selon un sondage, il se trouve déjà une majorité pour affirmer vivre moins bien que sous Kadar"
Quand on connait l’anticommunisme viscéral de J.F. Kahn et son admiration pour l’économie marchande, on peut lui faire confiance pour la lucidité de ses propos.
En conclusion, pas de socialisme véritable dans la Grande Europe. Partout la lutte pour arracher des concessions à un capitalisme maitre du jeu, ce que nous faisons chez nous depuis plus d’un siècle.

Et URSS

Gorby va-t-il tuer Gorbatchev ? En ce qui concerne l’URSS, il apparait que dans notre article de janvier, nous étions encore trop optimistes.
Gorby ! Rappelons-nous la Gorbymania aux Etats-Unis, en Italie, en RDA  ! Gorby sacré premier homme de l’année en Occident ! Y avait-il, derrière les foules enthousiastes, des calculateurs froids, subtils pour, en l’encensant, le pousser à aller toujours plus loin ... trop loin ? Car, plus on acclamait et admirait Gorby à l’étranger... pour sa politique étrangère précisément, plus pérestroïka et glasnost se traduisaient à l’intérieur de l’URSS, chez Gorbatchev, par une dégradation de l’économie et un murissement en profondeur du problème des nationalités qui explose aujourd’hui, avec une force quasi irréversible : 65 millions de musulmans, près du quart de la population de l’URSS, des Azéris armés par l’Iran (500 à 600 km de frontière commune), sur le territoire desquels se trouvent les usines fabriquant 70% des équipements pétroliers et gaziers indispensables pour les régions productrices comme la Sibérie.

Pas besoin d’un grand discours pour comprendre la triple gravité de la situation : guerre civile, paralysie économique, risque d’extension à d’autres républiques fédérées  : républiques musulmanes, Arménie, pays baltes et, pourquoi pas, Ukraine (6).
Gorby, emporté dans son élan, sincère sans aucun doute, aveuglé par son succès, a peutêtre tué le révolutionnaire de bonne volonté Gorbatchev. Celui-ci n’aurait sans doute jamais dû se lancer dans une grande politique étrangère, très médiatique à l’Ouest (et pour cause !) sans avoir, avec méthode, en prenant tout le temps nécessaire, d’abord réformé l’économie et ouvert progressivement l’espace de liberté intérieur (7).
Mon avis est que Gorbatchev s’est fait piéger par l’Occident  : on s’est servi de lui pour accélérer à l’Est le cours de l’Histoire, engagé par la victoire de Jean-Paul II et de Solidarité en Pologne : l’extension à toute l’Europe de l’Est, grâce à la pérestroïka , s’est faite en cinq ou six mois au lieu de cinq ou six ans (8). Mitterrand, le plus fin des grands dirigeants politiques actuels, ne s’y est pas trompé : partie de Russie, a-t-il dit, la révolution, après avoir balayé les pays de l’Est, reviendra à son point de départ.
Nous y sommes. Que peut-il se passer (peutêtre avant que ces lignes ne vous parviennent) ? La détermination des Azéris d’autres suivront - va conduire à une guerre civile irrépressible, sans doute hélas à des bains de sang, donc à des haines inexpiables. Si, compte tenu de son tempérament humaniste, Gorbatchev manque de fermeté ou tergiverse, il est perdu. Ou c’est l’implosion de l’URSS ou l’armée reprend les choses en mains, et on revient en quelque sorte à la case départ, Europe de l’Est en moins, troubles larvés en plus, soit aux marches de l’Empire, soit à l’intérieur du pays (9).
Quoiqu’il en soit, le pôle potentiel d’un renouveau socialiste "humaniste" que nous évoquions - sans trop y croire - en janvier, deviendrait caduc. La guerre froide reprendrait ; la grande Europe, réalisée dans trois à cinq ans, se doterait d’un pacte militaire commun et deux grands blocs se retrouveraient en présence, l’un lié aux EtatsUnis. La course aux armements conventionnels reprendrait de plus belle et une situation aussi dangereuse qu’avant 1940 serait à nouveau créée.
Et le socialisme ? Renvoyé aux calendes, réduit à la lutte de classes Nord/Nord et Nord/Sud, qui dure depuis deux siècles, en attendant la prochaine crise du capitalisme ... ou la victoire finale  !!!

De toute façon, le monde n’est pas "fini", achevé avec la victoire du libéralisme, comme l’a prétendu l’Américain Francis Fukuyama.
Deux siècles de pensée et de luttes sociales ne peuvent être sans fondement et sans suite.
Dans son dernier livre, Max Gallo a le courage de dire que la philosophie marxiste n’est pas morte. Est-il si ringard, en effet, celui qui a écrit, il y a un siècle et demi : "le temps libre devient la vraie richesse de l’homme" ?
Ce sont ceux - vainqueurs pour le moment qui maintiennent le monde dans la misère et la guerre, qui détruisent les richesses, qui sont ringards. Comme nous, Anatole France est dans le vrai quand il écrit : " L’utopie est à la base de tout progrès". Ainsi, nous nous sentons moins orphelins. Et de toute façon, c’est dans la logique de la vie, les orphelins d’aujourd’hui sont les acteurs de demain.

(1) Forum de l’Expansion, le 11 janvier 1990. Michel Rocard devant de nombreux chefs d’entreprise.
(2) Manifeste pour une fin de siècle.
(3) Bad Godesberg : référence au congrès extraordinaire du SPD Ouest allemand qui se tint en 1959 dans cette ville. Le SPD renonçait à abolir le capitalisme, abandonnait toute référence au marxisme et se ralliait à l’économie de marché.
(4) A propos de l’union économique et monétaire, dans l’éditorial du Monde du 18 janvier, on peut lire : "L’attitude du chancelier Kohl comme les propos que tenait mardi à Paris le président de la Bundesbank disent assez qu’il ne s’agit pour eux, dans le meilleur des cas, que d’une affaire de raison qui ne suscite pas l’enthousiasme .... Ce qui fait vibrer les Allemands actuellement, c’est l’Allemagne..." La Grande Allemagne, bien entendu !
(5) EDJ , 11-17 janvier
(6) "Chaine humaine en Ukraine : des dizaines de milliers d’Ukrainiens ont fait une chaine humaine dimanche 21 pour commémorer la brève existence de l’Ukraine indépendante, il y a soixante-dix ans. La chaine avait permis de relier Kiev à la ville de Lvov, à 500 kilomètres à l’est. Environ cent mille personnes y auraient participé". (Le Monde 23 janvier).
(7) "La pérestroika a été mal engagée. La direction soviétique a commis énormément d’erreurs, aussi bien stratégiques que tactiques... Les décisions relatives à la réforme économique ont été prises à la va-vite sans consulter les experts". Propos tenus par Léonid Abalkine, vice premier ministre soviétique.
(8) C’est le temps que donnent précisément les experts pour redresser l’économie en URSS.
(9) Cela explique le soutien apporté par Bush et autres chefs occidentaux à Gorbatchev après l’intervention de l’armée en Azerbaidjan.

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Lu, vu, entendu

par A. PRIME
mars 1990

Le fric fait tout pardonner
Après la répression du mouvement populaire chinois en faveur de la démocratie, en juin 1989
1 ° Les États-Unis vendent à la Chine trois satellites de communication à lancer par des fusées chinoises.
2° Les États-Unis autorisent la banque exportimport "Eximbank" à financer des activités de compagnies américaines en Chine.
3° La France va installer une usine Citroen en Chine.
4° Le Japon reprendra, dès avril 1990, ses prêts à la Chine.
5° La Banque Mondiale (dit l’International Herald Tribune du 27 décembre) reprendra son programme de prêts à la Chine dès janvier 1990.
Nota : quand on songe à toutes les déclarations d’indignation après la sanglante répression de la Place Tian’anmen... II n’aura pas fallu six mois pour que l’appât du fric fasse oublier l’horreur des scènes vues par le monde entier.

(Tam-Tam, janvier 1990)

Dans ce même ordre d’idées, le PDG de la banque Franco-Roumaine se félicite de ce que Ceausescu ait remboursé les dettes de la Roumanie (au prix de quel appauvrisement pour les Roumains ? ). C’est pour lui un point très positif en matière de développement économique car la Roumanie "dispose dans le monde entier d’un fonds de commerce de clients réguliers".

(d’après la Tribune de l’Expansion, 29.12.89)

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Dans quel journal peut-on lire ces lignes ?
".. Nous tous, vous tous, cadres ou noncadres, enseignants ou soignants, "prolétaires" ou militaires avons vu depuis quarante ans notre niveau de vie s’améliorer, et cela en partie grâce à l’action du PC relayé par la CGT Cette évolution fut peut-être néfaste pour la compétitivité de l’économie française, mais nous ne l’avons jamais refusée, et nous avons trouvé bien agréables les avantages ainsi obtenus".
L’Humanité ? Eh bien, non : le Figaro du 11 janvier.

***

Aux Etats-Unis, le lobby militaroindustriel s’accroche
"États-Unis : modestes dividendes de la paix.
L’administration Bush s’oppose à une réduction massive des dépenses militaires, titre le Monde du 17 janvier. II ajoute  : A quelques jours de la présentation du prochain budget devant le Congrès, le gouvernement américain semble déterminé à résister aux fortes pressions exercées par de nombreux parlementaires qui, considérant la nouvelle conjoncture politique internationale, souhaitent une réduction massive des dépenses militaires".

En France aussi, l’armée est gâtée
"Défense : 900 millions de francs pour revaloriser la condition militaire".

(Le Monde)

Par contre, Jospin n’a obtenu que 500 millions de rallonge, et encore, parce que les images des étudiants dans les Facs, où il manquait la moitié des places, ont fait scandale.

***

Poubelles
"Les ordures ménagères suisses dans une commune de la Loire. La France ne doit pas devenir la poubelle de l’Europe" déclare Brice Lalonde.
"Depuis le 27 décembre, chaque jour, 30 tonnes d’ordures ménagères de la ville de Lausanne sont acheminées par la SNCF, puis par des camions".

(Le Monde, 20 janvier)

Lausanne est une ville bien propre !

"Greenpeace prend en chasse un bateaupoubelle en mer du Nord. Un bateaupoubelle appartenant à la National Power, compagnie britannique d’électricité (l’équivalent d’EDF), et qui s’apprêtait à déverser en Mer du Nord des déchets de charbon, a dû rebrousser chemin jeudi 18 janvier devant la détermination du navire de l’organisation internationale Greenpeace. Les écologistes veulent obliger la GrandeBretagne à appliquer un accord des pays riverains de la Mer du Nord de novembre 1987 stipulant que tout déversement de déchets doit cesser à compter du premier janvier 1990. Or, Madame Thatcher a déclaré récemment qu’il n’y avait pas pour la Grande-Bretagne d’autre solution que le déversement en mer et que, d’ailleurs, l’environnement n’était nullement menacé. ".

(Le Monde, 20 janvier)

"La présence de nitrates dans l’eau atteint des proportions inquiétantes dans certaines villes. L’agriculture moderne en accusation".

(Le Monde 6 janvier - selon une enquête de "Que Choisir’)

"Pour quelques millions de marks, la RDA reçoit chaque jour des dizaines de camions d’ordures de la RFA. Cela dure depuis des années. Les habitants du secteur concerné de RDA manifestent enfin (nappe phréatique polluée, etc ...)"

(Antenne 2, 25 janvier)

... et vive le libéralisme !

***

L’agriculture produit trop et pollue
Même une revue comme Télérama consacre plusieurs pages à ce problème en s’appuyant sur le livre d’Éric Fottorino, du Monde, auteur de "La France en friche". Voici quelques passages
"En 1987, la Cour des Comptes dénonçait le fait que plus une entreprise agricole est grosse, plus elle est aidée. Les cinq mille exploitations céréalières les plus importantes ont reçu par an 250.000 francs chacune. Contre 20.000 francs à peine pour les plus petites. Etre compétitif, c’est recevoir le plus de subventions. Les plus gros sont donc plus compétitifs. CQFD....
... Un court article dans le Monde du 28 octobre dernier racontait, avec un humour grinçant, que, maintenant que les fameuses montagnes de lait de la CEE ont été liquidées, grâce aux fameux "quota laitiers" réduisant la production, la France était obligée d’acheter sur le marché américain du beurre, pour honorer un contrat avec un pays arabe  ! ...
...Car cette agriculture hyperperformante est polluante. En 1987, un rapport de l’INRA attirait l’attention sur le degré préoccupant de pollution des nappes phréatiques. En Bretagne, à cause du lisier des élevages de porc. En Beauce, où le taux de nitrates dans l’eau est le double de celui qui est considéré comme dangereux. Quand il va falloir faire entrer le coût de la dépollution des nappes phréatiques, notamment en Bretagne, on va s’apercevoir à quel point une agriculture très industrielle est, finalement, coûteuse. "

Les valeurs du socialisme en France
Des déclarations de J. Lang n’ont pas été appréciées en haut lieu : devant un public tchèque, il avait critiqué les télévisions commerciales accusées "d’imposer une dictature de la médiocrité et de la rentabilité immédiate". Bouygues a dû intervenir...

(Selon le Monde)

La valeur des hommes du PS, vue par eux mêmes.
Pour Delors, Chevènement "est un cas désespéré ... Je ne peux plus rien lui prouve"
Pour Chevènement, "J. Delors s’exprime comme un Chef de Gouvernement, alors qu’il n’est qu’un super fonctionnaire". Et il se félicite de "n’avoir pas été invité à l’Heure de Vérité de J. Delors, le 23 janvier".

(Le Monde, 25 janvier)

Bah, les Français continueront pourtant à voter pour ceux qui s’aiment tant !

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Les morts n’ont pas toujours le même poids
En Roumanie, on annonçait 5 à 6.000 morts à Timisohara, et 60.000 pour toute la Roumanie. Et voilà, une fois la révolution faite, que la vérité se fait pour quelques milliers de morts. Mais le comble, ce sont les "charniers de tortures" découverts à Timisohara. Le "Canard enchainé" du 31 janvier résume ce qu’on a pu entendre - oh très brièvement - aux informations : "Le coup des cadavres qu’on sort de la salle de dissection d’un hôpital, où ils sont morts de mort naturelle, pour en faire des martyrs officiels torturés et mutilés par la barbarie "sécuritaire" mérite d’être inscrit d’urgence au "Livre de records".
Quel choc en retour quand je repense à celui ressenti les 24 et 25 décembre, en pleines fêtes de Noël, où la vue des "charniers" me désespérait ! Que la bonne foi des médias occidentaux ait été surprise, je veux bien l’admettre - Dieu sait tout ce qu’on a pu entendre et voir, répété plusieurs fois par jour, pendant deux à trois semaines - Puis la nouvelle de la vérité, brève, une journée, pratiquement sans commentaires. Le mal était fait, c’était l’essentiel. Les journalistes, si chatouilleux dès qu’on émet la moindre critique à leur endroit, ont pratiqué, c’est clair, la désinformation. Où est leur déontologie ?
Au Panama, par contre, ces chers Américains n’avaient fait "que" 250 morts en menant leur opération "juste cause" (toujours ce besoin hypocrite de se justifier !). Or, il apparait qu’il y a eu au moins 2.000 et peut-être 4.000 morts. Quoi d’étonnant quand on sait que des quartiers pauvres et populeux ont été bombardés par l’aviation. Bombarder pour protéger leurs précieux "boys", c’est tout ce que les Américains savent faire quand ils attaquent : peu leur importent les innocentes victimes qui seraient bien moins nombreuses si les G.I.s’engageaient un peu plus : ne sont-ils pas soldats ?

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Où va l’URSS de la Glasnost ?

par L. TISSOT
mars 1990

Tous les indices, disait Trotsky en 1936, portent à croire que les événements amèneront infailliblement un conflit entre les forces populaires et l’oligarchie bureaucratique. L’auteur de "la révolution trahie" émettait deux hypothèses qui lui semblaient les plus vraisemblables. La première était celle d’un parti révolutionnaire ayant toutes les qualités du bolchevisme qui chasserait, à la tête de la classe ouvrière, la bureaucratie au pouvoir. La seconde, à l’inverse, était celle d’un parti bourgeois renversant la caste soviétique dirigeante, et qui trouverait pas mal de serviteurs parmi les bureaucrates d’alors. Car, disait-il, la restauration bourgeoise aurait vraisemblablement moins de monde à exterminer qu’un parti révolutionnaire. L’objectif de ce nouveau pouvoir bourgeois serait de rétablir la propriété privée des moyens de production.

Dix-neuf ans après la Révolution d’Octobre, Léon Trotsky affirmait que les ouvriers s’opposeraient à la restauration du capitalisme. Ce jugement s’est révélé valable et rien ne prouve qu’il ne se vérifiera pas encore dans l’avenir. La question qui se pose pour les dirigeants soviétiques, c’est celle de "la vérité des prix". Comment les travailleurs réagirontils au renchérissement du coût de ces produits, même si cela les fait réapparaitre sur les marchés. Le second type de réaction serait plus dangereux pour les projets de ceux des bureaucrates voulant asseoir leurs privilèges en s’assurant la propriété des entreprises. Comment la base réagira-t-elle à la privatisation des entreprises  ? Est-ce que la classe ouvrière soviétique tient encore à la propriété d’Etat des moyens de production  ? Plus exactement, y tientelle au point de la défendre ?
C’est de cette force-là dont Trotsky voulait parler en invoquant la conscience des travailleurs. Que reste-t-il des conquêtes d’Octobre dans cette conscience ? Nul ne le sait et les dix années à venir vont probablement nous l’apprendre.
Tous les progressistes occidentaux en ont conscience, aujourd’hui, notre sort est intimement lié aux évènements qui vont marquer l’histoire des peuples de l’Est. II y a un espoir. Ne serait-ce du fait que le niveau moyen d’instruction de la population est un des plus élevés du monde, sinon le plus élevé. L’URSS est un pays où on lit beaucoup, y compris dans la classe ouvrière. Et celà constitue un incontestable atout... C’est la raison pour laquelle nous invitons les lecteurs de la Grande Relève qui entretiennent des relations amicales avec des citoyens soviétiques à leur faire parvenir de la documentation dont ils ont le plus grand besoin.

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Créditisme

par R. MARLIN
mars 1990

Parmi les nombreuses écoles socioéconomistes qui pratiquent une analyse proche de la nôtre, les créditistes ont retenu spécialement l’attention depuis plus de soixante ans. Soucieux de chercher des soutiens hors de l’hexagone, nous nous sommes souvent penchés sur les thèses du major Douglas et de Louis Even. II nous a paru intéressant de faire le point sur les différentes tendances issues des idées d’origine.

Bref historique

En 1890, aux Etats-Unis, parait un roman d’anticipation intitulé "Looking Backward" dont l’auteur était Edward Bellamy, économiste et sociologue. Cet ouvrage fut édité en France sous le titre "Cent ans après - Ou l’an 2000". Thorstein Veblen, ingénieur newyorkais, écrivit ensuite "Engineers and thé price system" en 1918 et créa avec son collègue Howard Scott la "Technical Alliance" devenue ensuite "Technocracy Society" sur des bases analogues. Bien qu’il n’en fasse pas état, il semble que Clifford Hugh Douglas, major dans la Royal Air Force, se soit également inspiré de Bellamy dans "Economic Democracy" paru en 1919 puis "Social Crédit" une dizaine d’années plus tard.
Douglas devait, plus que Scott et Veblen, inspirer des sucesseurs qui travaillent encore aujourd’hui, peut-être parce qu’il utilisait un langage moins technique et plus financier. Ainsi fut fondé le "Mouvement créditiste". Un Français, Louis Even, Frère des Ecoles Chrétiennes adhérait au Mouvement et s’exprimait dans "Vers demain" créé en 1939 et qui parait toujours (1). II mourut en 1974. Le journal est actuellement dirigé par sa fondatrice Gilberte CôtéMercier.
Au cours des années 1960, à la suite d’une scission, Réal Caouette créait le "Parti Créditiste Canadien" qui eut son heure de gloire puisqu’il parvint à conquérir la majorité dans la province de l’Alberta. Les créditistes figurent encore dans certaines élections, mais le parti est sur le déclin.
En France, hors des représentants de Vers Demain, une "Lettre mensuelle alternative de recherche créditiste" intitulée "Fragments" (2) parait depuis quelques années. Son directeur de publication est M. Janpier Dutrieux.
Examinons les principaux thèmes développés par les créditistes.

Catholicisme agressif

"Vers demain" se veut :"Journal de patriotes catholiques. Pour le règne des Coeurs de Jésus et Marie. Dans les âmes, les familles et les pays’ : II porte aussi en manchette : "Pour la réforme économique du Crédit Social. Par l’action vigilante des pères de famille. Et non par les partis politiques". Son numéro d’avrilmai 1989 titre en première page en gros caractères : "Sa Sainteté Jean-Paul 11, le 26 mai 1986, procurait grand honneur et grande joie à notre Directricefondatrice Gilberte Côté-Mercier en la gratifiant sur parchemin d’une bénédiction apostolique spéciale pour cinquante années de don total à Vers demain".
Les papes, les cardinaux et archevêques sont cités à longueur de colonnes et d’encycliques. Autant et plus que l’économie et la finance, la religion remplit la publication. Elles se mêlent parfois étrangement. Ainsi ce titre "Sous la haute direction du ChristRoi, Roi de toutes les nations - Pour réclamer 12.000 dollars pour la mère au foyer Grands congrès de Vers demain,,. Suit la liste des réunions !
Nos lecteurs le savent, nous ne faisons pas ici profession d’athéisme militant. Les chrétiens ouverts au monde actuel se sentent fort bien parmi nous. Nous avons besoin d’eux pour penser une nouvelle société, comme eux ont besoin des agnostiques ou des incroyants. II y a de bonnes choses dans la doctrine sociale de l’Eglise et dans les encycliques Mater et Magistra (3), Popularum progressio (4) et même Quadragesimo anno (5). Le libéralisme sans frein y est condamné. Dans "Sollicitude rei socialis (6), l’Eglise adopte une :"attitude critique vis-à-vis du capitalisme libéral aussi bien que du collectivisme marxiste".
Cette position nous convient pourvu que les chrétiens acceptent de travailler dans un cadre "laïque". Mais lorsque nous constatons que "Vers demain" reprend, par exemple sur l’éducation sexuelle à l’école et l’avortement, les mêmes positions que l’extrême droite américaine de laquelle il se réclame d’ailleurs précisément, nous ne pouvons que regretter cet amalgame entre des propositions économiques discutables sinon acceptables et l’ultra-cléricalisme :
.. Les cours de sexe sont poussés dans les écoles par les avorteurs. Livrons la guerre aux assassins de notre race.." titre Yvette Poirier dans le numéro d’août-septembre 1989 et elle conclut :"..11 nous faut des saints JeanBaptistes prêts au martyre qui rappellent aux Hérodes du XXe siècle leurs devoirs à remplir vis-à-vis de la population. Seuls les saints peuvent changer la face du monde et attirer la miséricorde divine pour que cessent les ravages infernaux dans la vie de nos enfants". Ce style passe peut-être au Canada, mais en France, même les intégristes religieux du Front National n’emploient pas un langage aussi violent.
Jeanpier Dutrieux parait plus réservé, bien qu’il ne se désolidarise pas du modèle canadien. Au contraire. Par exemple, il propose dans sa "Boutique créditiste" des portraits de "Christ Roi", d"Ave Maria" et de "Saint Michel" qui se réfèrent aussi à "Vers demain" ...Toutefois comme "Fragments" de décembre 1989 reproduit, sous sa signature, la première partie d’une étude intitulée "De la responsabilité" où il critique longuement Jacques Duboin, examinons-la.

Distributisme et finance

Le directeur-rédacteur de Fragments ne cite pas seulement Jacques Duboin, mais aussi Hyacinthe Dubreuil (7). Incontestablement ses préférences vont au second, en raison de son plus grand souci, parait-il, non pas de l’indépendance mais, précise-t-il bien, de l’autonomie de la personne humaine : autonomie qui insensiblement déborde d’ailleurs l’individu pour s’étendre à la famille, puis aux groupes de producteurs, c’est-à-dire aux entreprises, etc...
Nous ne pouvons ici étudier l’ensemble de l’argumentation développée, car l’auteur ne fait pas dans la concision et nous ne pourrions pas, même si nous en avions l’intention, le suivre sur ce point. Retenons seulement quelques éléments qui, d’ailleurs, suffisent à ruiner l’ensemble du raisonnement.
D’abord Dutrieux tombe dans le contresens habituel à ceux qui prétendent apprécier les chances de passage vers une économie des besoins à travers les errements financiers actuels. II se lance dans le calcul surréaliste de ce que pourrait être le revenu social, au sens où nous l’entendons, en partant du PIB, de la Formation Brute du Capital Fixe (FBCF) et des différents agrégats monétaires. II obtient ainsi la somme dissuasive de 4315 F. par mois et par personne.
Rappelons donc que nous rejetons entièrement de tels calculs :
- Le Produit Intérieur Brut au sens statistique présent ne représente en rien la production totale utile. II totalise pêle-mêle des chiffres représentatifs de richesses réelles pour le pays, mais également des fausses valeurs (publicité commerciale, gadgets, dépenses pour le jeu ou la Bourse, pour le soutien des prix agricoles, etc..) et des productions néfastes (armement, entretien des armées, alcool, drogue, pollutions diverses, etc..). Ainsi plus il y a d’accidents de la route ou de malades, plus le PIB augmente !
- Le PIB ne comprend pas et pour cause, l’équivalent de ce qui pourrait être offert, sans modifier l’équipement du pays, mais que nous ne produisons pas faute de moyens de transaction solvables. C’est-à-dire en faisant tourner les machines et automatismes divers à 100% de leur capacité au lieu de 50 à 60%. C’est là le B.A. BA de notre thèse qui est fondée sur la constatation que l’appareil productif automatisé ne distribue pas le pouvoir d’achat nécessaire à la répartition de ce qu’il crée.
Dutrieux se laisse prendre au piège tendu par la comptabilité banquière dont le principal résultat est de dissimuler soigneusement la réalité des richesses matérielles derrière des statistiques chiffrées arbitraires.

Distributisme et Etat

S’il est un principe sur lequel nous ne transigeons pas plus que les catholiques, c’est bien celui de la dignité et du respect de la personne humaine. Notre différence avec les créditistes canadiens ou ceux qui s’y associent est que nous ne pensons pas qu’une économie basée sur la concurrence, l’exaltation de la lutte et le mythe du vainqueur soit ou puisse être rendue compatible avec ce souci. Les conservateurs, même éclairés, raisonnent comme si le capitalisme était le résultat final d’une évolution inéluctable. Comme s’il devait toujours se maintenir. Beaucoup acceptent l’identification entre capitalisme et démocratie ainsi qu’entre libéralisme et liberté. Le "moins d’Etat" des réactionnaires de tous poils est leur tarte à la crème. Rappelons donc encore une fois à ceux qui restent catholiques, ces mots de l’un des leurs, le Père Lacordaire : "Entre le faible et le fort, c’est la loi qui protège et la liberté qui opprime".
Dutrieux reproduit de nombreux passages de Jacques Duboin tirés de "Rareté et Abondance" paru en 1945 et de "Economie distributive de l’abondance" paru en 1946. II est exact que notre fondateur était à l’époque très dirigiste. Pour sa justification, l’on peut se souvenir qu’à ce moment tout le monde l’était, gauche et droite confondues. Les politiques ne voyaient que par l’organisation du corporatisme (droite) ou par le plan intégral (gauche). Nous savons bien maintenant que la défense des consommateurs et des travailleurs passe par un planisme souple et en fait plus d’incitation et de prévision que de commandement et de rigueur. Nous savons bien aussi que le socialisme dont nous continuons à nous réclamer, peut parfaitement et beaucoup mieux que le capitalisme se concilier avec la liberté individuelle. Plusieurs d’entre nous s’affirment autogestionnaires et notre auteur ne l’ignore pas. Alors comment peut-il concilier cela avec son reproche d’étatisme  ?

Créditisme

Le créditisme conserverait à chacun ses revenus actuels et se caractériserait en plus par
- des dividendes familiaux chiffrés à 2203 F mensuels par personne en 1987 étant entendu que toutes les allocations y compris celles de chômage seraient supprimées et que la famille devrait subvenir à ses dépenses de santé au moyen, par exemple, d’une assurance privée ... évidemment. Et encore le calcul, dans le détail duquel nous n’entrerons pas, est-il fort contestable.
- un système d’escomptes compensés selon lequel le vendeur pratiquerait à chaque client un rabais qui lui serait remboursé par ... l’Etat
Nous n’avons pas la place pour discuter de ces propositions qui devraient s’équilibrer entre elles, d’après leur promoteur et qui, dans l’économie marchande, quoiqu’affirme Dutrieux seraient fortement inflationnistes. Mais il est curieux de constater qu’il se place strictement dans le système pour critiquer notre thèse, qui se situe nettement en dehors, et qu’il ignore les obstacles inhérents au capitalisme lorsqu’il soutient un réformisme pourtant interne au régime.
Nous n’ignorons pas que l’économie distributive ne pourra s’instaurer qu’après une période durant laquelle des mesures de transition devront être prises. Le projet des créditistes pourrait peut-être, mais il en existe de plus en plus d’autres, dont certains se recoupent, constituer une des étapes nécessaires.
Nous analysons le créditisme d’à présent, non celui d’il y a un demi-siècle et nous demandons à notre commentateur d’en faire autant pour le socialisme distributif.
A la fin de ce premier exposé, Dutrieux fait une ouverture vers une collaboration possible. Nous ne pouvons que donner notre accord à une offre de discussion orientée vers la recherche d’une économie plus démocratique. Néanmoins il faudrait pour cela que le Directeur de Fragments et ses amis essaient, non pas de renoncer à leurs convictions catholiques que nous respectons, mais d’envisager un avenir acceptable pour tous quels que soient les philosophies, religions, syndicats, races et sexes auxquels ils appartiennent ou se réfèrent. II faudrait aussi qu’ils abandonnent leurs préjugés à notre égard et que ces échanges soient menés sans a-priori, même s’ils doivent montrer que le capitalisme est tout à fait inadapté à l’état présent et au futur proche des progrès scientifiques et techniques, et qu’il faut l’abandonner.

(1) Maison Saint-Michel, Rougemont, P.C. Canada et Pélerins de Saint-Michel Saint-Macaire-en-Mauge France. Voir "Nouvelles des créditistes canadiens". GR n° 866.
(2) 5/15 Passage Fontaine del Saulx 59800 Lille
(3) Jean XXIII 15 mai 1961
(4) Paul VI 26 mars 1967
(5) Pie XI 1931
(6) Jean-Paul II 30 décembre 1987
(7) Sociologue (1883-1971) Ouvrages de Dubreuil : Librairie du Compagnonnage 2, rue de Brosse 75004 Paris et Comité H.D. 169, rue du Faubourd SaintAntoine 75011 Paris.

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Le communisme en question

par L. GILOT
mars 1990

Les changements politiques intervenus dans les pays de l’Est posent un problème de fond : le communisme est-il viable  ?
L’application du marxisme-léninisme en URSS et dans les nations satellites n’a pas apporté la preuve qu’il est la meilleure solution dans les domaines des libertés républicaines et de la satisfaction des besoins courants des populations. Et il faut véritablement utiliser des lunettes roses pour affirmer que le bilan est globalement positif.
Bien sûr, il ne faut pas oublier l’importante contribution de l’URSS dans la victoire finale de 1945, après le fâcheux pacte germanosoviétique du 23 août 1939, puis sa rupture en juin 1941. On ne peut nier non plus les efforts accomplis et les résultats obtenus dans les secteurs éducatif, scientifique et technique. Mais les aspects négatifs du système communiste sont beaucoup plus nombreux, hélas !
Prétendre qu’on ignorait ce qui existait réellement sous la dictature stalinienne, et même après la mort de Staline le 5 mars 1953, dans les pays de l’Est, c’est adopter une position extrêmement confortable, qui dispense de l’autocritique, mais qui ne correspond absolument pas à la réalité historique.
Car enfin, depuis la guerre 1939-1945, de nombreux articles, reportages ou ouvrages ont dénoncé soit avant, soit après le rapport Kroutchev au 20e congrès du PCUS en février 1956, les pratiques totalitaires du stalinisme et des régimes communistes.
Je citerai entre autres livres : d’abord "Le zéro et l’infini’ d’Arthur Koestler (1945), "J’ai choisi la liberté" de Victor Kravchenko (1947). Après la mort de Staline sont intervenues les insurrections de Budapest en Hongrie enoctobre 1956, et de Prague en Tchécoslovaquie en août 1968, réprimées avec l’armée soviétique. A partir de la même époque sont parus dans des collections populaires comme celle du Seuil les ouvrages suivants
"Bilan de l’URSS 1917-1967’ de J.P. Nettl (1967), "Le stalinisme" de Roy Medvedev (1972), "Histoire des démocraties populaires" de François Fejto (1972), "Les procès dans les démocraties populaires" d’Annie Kriegel (1972) collection "Idées" Gallimard, "Le système totalitaire" d’Hannah Arendt (1972), "L’archipel du Goulag’ d’Alexandre Soljenitsyne (1974), "Les cinq communismes" de Gilles Martinet (1974), "Histoire du phénomène stalinien" de Jean Elleinstein (1976).
Enfin, qui n’a pu voir à la télévision le film "L’aveu" de Costa Gavras, tiré du témoignage d’Artur London, film interdit dans les pays de l’Est ?
Devant tous ces documents, comment prétendre aujourd’hui qu’on ne savait pas ? A moins que certains dirigeants politiques remplis de certitudes rejetaient alors ces travaux comme diffamatoires et se dispensaient systématiquement de les lire ou de les regarder ?
Autre élément évident, dans tous les pays communistes existait la suprématie du parti unique, et celui-ci conduit inexorablement à la dictature, qu’elle soit de droite ou de gauche, puisqu’il interdit toute contestation et toute constitution d’autres partis. Le multipartisme est d’ailleurs une revendication essentielle des pays ayant procédé à leur "libération". Cependant, il existe encore chez eux des discussions sur le rôle dirigeant du parti communiste.
Or la question essentielle est celle-ci comment se fait-il que dans les pays où le parti communiste avait tous les pouvoirs et notamment celui de l’organisation de l’activité économique, il n’ait pas réussi à satisfaire les besoins quotidiens des populations  ? La réponse est évidente. La collectivisation des moyens de production et en particulier de l’agriculture, et la planification centralisée à l’excès créent une bureaucratie plus ou moins compétente et budgétivore avec les gaspillages que cela comporte, une nouvelle classe de privilégiés, et suppriment et interdisent les initiatives individuelles. Or si l’on n’encourage pas l’effort de chacun, s’il n’y a pas de récompense financière (1) de cet effort, comment s’étonner ensuite de l’indifférence, voire de l’apathie des travailleurs non politisés et des producteurs ?
Le retour au capitalisme n’est évidemment pas la solution puisque dans les démocraties occidentales, si le standard de vie est nettement plus élevé, l’idée de participation et d’intéressement des travailleurs, chère au Général de Gaulle, n’a guère progressé. Et les problèmes du chômage, de l’emploi et de la pauvreté restent posés à l’aube de l’accélération de l’automatisation et de la robotique.
La solution, à l’Est comme à l’Ouest, réside vraisemblablement dans un système d’économie distributive mixte (2), et de cogestion des entreprises dans le respect des droits et devoirs de tous les partenaires sociaux.
Car pour l’instant le communisme politique n’a pas prouvé sa supériorité. Et les communismes de l’anarchiste libertaire Sébastien Faure, ou du christianisme primitif ne semblent guère applicables au degré actuel d’évolution des mentalités.

1) NDLR Nous avons tous été habitués à ne voir de récompense que financière. Est-il impensable d’en inventer d’une autre nature, telle qu’une remise de responsabilités, une promotion, etc ?
2) NDLR Il serait intéressant que L.Gilot nous explique ce qu’il entend par "économie distributive mixte

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Retraite au XXIe siècle

par A. LIAUME
mars 1990

2 Janvier 1990. Les "Dossiers de l’écran", sur Antenne 2, passent "La maison du lac", l’admirable film sur la vieillesse. Le débat aborde, ou plutôt effleure l’angoissant problème des retraites et son évolution probable dans les années à venir. Les responsables politiques et sociaux en sont conscients. Ils hésitent à imaginer d’autres structures.
Les systèmes (Etat et complémentaire) sont établis uniquement sur les cotisations employeurs et salariés, c’est-à-dire basés sur l’effectif des travailleurs et les conditions de travail. Les progrès techniques, l’évolution démographique prolongeant l’espérance de vie des salariés, devraient conduire à envisager, pour le premier quart du XXIe siècle, la situation suivante : "un actif aura à assurer la retraite de deux, puis d’un ancien". Hypothèse non rejetée par Alfred Sauvy. Elle est effarante. Elle apporte les germes d’un conflit entre générations et, au minimum, la baisse sensible du niveau de vie de tous les retraités.
La technique financière n’est pas en cause. On trouvera toujours l’équilibre, seul le pouvoir d’achat des retraités est menacé.
On peut imaginer une autre approche pour définir l’assiette des cotisations dans chaque système, en prenant en compte, dans chaque entreprise, les progrès de productivité dus à la fois à la technique et à la gestion. C’est introduire un paramètre supplémentaire en liant salaires, effectifs et progrès. La difficulté est de définir avec équité l’importance de chacun. Le progrès technique et la bonne gestion conduisent à la réduction des effectifs au seul profit de l’entreprise. Pourquoi ne pas demander à celleci qu’une part de ce profit soit consacrée au financement des retraites ?
Ainsi formulée, cette nouvelle hypothèse va soulever un énorme éclat de rire à la fois des patrons et des salariés.
Et pourtant ?
La proposition n’est pas ridicule. La difficulté est de quantifier chacun des paramètres, c’est là où l’imagination doit intervenir. L’imagination et l’esprit de solidarité, avec, pour objectif, l’équilibre entre les générations. Vaste programme ?
L’argument de l’augmentation par ce biais de la quote-part patronale accroissant les charges des entreprises ne parait pas acceptable. II faut sortir de la conception étroite liant aux seuls salaires les cotisations des retraites. II est indispensable de faire intervenir les profits créés par l’amélioration des techniques et de la gestion des unités de production dont la conséquence inéluctable est la diminution du prix de revient, donc des effectifs.
Un examen historique, objectif, sans parti pris de l’évolution de l’industrie automobile, de la sidérurgie ou autre, sur les 25 dernières années, ferait apparaitre des résultats effarants.
Cette étude donnerait les éléments d’une équation équitable entre les trois premiers paramètres signalés plus haut. Elle aurait l’avantage d’ouvrir une perspective qui, liée éventuellement à une contribution budgétaire limitée, intégrerait une notion capitale :"le progrès des techniques est l’héritage commun de l’ensemble des hommes d’une nation, d’une fédération, d’une confédération. Les bénéfices retirés par la collectivité doivent être l’héritage de toutes les générations". Héritage réparti équitablement. (1)
"La vraie richesse étant la pleine puissance productive de tous les individus, l’étalon de mesure en sera non pas le temps de travail, mais le temps disponible..."
... Adopter pour étalon de la richesse le temps de travail, c’est condamner celle-ci à la pauvreté...".

Si les Marxistes du XXe siècle n’avaient pas caricaturé cette pensée de leur Maître, ils auraient évité leur effondrement actuel.
Il n’est pas impossible d’actualiser cette prophétie, de faire de cette utopie une réalité. Est-ce vraiment si difficile  ?
Le dernier tiers du XXe siècle marque l’entrée des pays industrialisés dans une ère nouvelle : celle du temps disponible. La production des biens et des services continuera de croitre en demandant de moins en moins de travail humain. Il faut dessiner des habits nouveaux aux structures de répartition pour remplacer, à la fois, des salaires et les revenus du capital.
On peut même dire que cette période de transition a commencé il y a soixante ans, avec le krach de 1929 aux Etats-Unis.
Quel parcours !!

(1) Cette notion a été entrevue par Karl Marx en 1858 (Inédits de 1857 - 58. Economie II Oeuvres - La Pléiade p. 308, édition publiée par M. Rudel - 1979).

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Nous avons commencé dans notre numéro 881 et poursuivi dans nos numéros 88" et 885 la traduction d’une proposition de réformes qui nous vient du Royaume-Uni tendant à substituer aux multiples taxes en vigueur une taxe unique basée sur l’énergie. Voici la suite de cette traduction.

L’alternative acceptable :

Les joies de l’économie des ressources

(suite)
par F. BRADBURY
mars 1990

Ce cadre fournit les incitations appropriées, les récompenses et les protections, tout en laissant aux individus et aux organisations la liberté de prendre leurs propres décisions sur les utilisations des ressources les plus efficaces, les plus agréables ou les plus appropriées. II n’est pas nécessaire que le gouvernement ou un autre tiers-parti classe les consommations. Chacun aura sa propre perception des prix et des priorités sur la façon de consommer. On n’évite pas le "coût social" de la consommation ou alors on s’en passe. C’est ça le concept de l’Economie des Ressources, conduisant en pratique à une économie dynamique, équilibrée, alimentant toutes les dépenses gouvernementales.

4.2 II ya des arguments qui s’imposent en faveur de l’Economie des Ressources, même si nous ne sommes pas d’accord sur l’état désastreux des économies du monde actuel. L’inflation nous a appris que les systèmes statiques (le vieil étalon or, par exemple) n’ont plus d’existence réelle. Nous avons été formés à nous occuper de la dynamique des variations rapides des marchés, des valeurs des monnaies, des taux de change, des types de travail flexible, de la participation et du partage des profits, des sources d’approvisionnement changeantes, des technologies qui se développent avec de nouvelles conceptions de fabrication et de nouveaux matériaux, sans parler des règles fondamentales de taxation constamment modifiées et des troubles politiques. Il existe un moyen de faire tourner les économies nationales sans la contrainte ridicule de budgets annuels, et permettant au contraire inéluctablement de toujours équilibrer les dépenses par les recettes.

4.3 Le changement vers l’Economie des Ressources ne s’impose pas non plus, simplement parce que nous voudrions utiliser moins de ressources naturelleset parce que nous avons un surplus global de main d’oeuvre. Beaucoup de gens cependant pourraient utiliser de tels arguments émotionnels. Derrière ces arguments, il ya la vérité de la nature de la production qui est en train de changer. La production tend de plus en plus à s’orienter vers le consommateur et à être riche en ressources, rapidement dépréciée, intensive en capital et destructrice de main d’oeuvre.Elle est devenue insupportable par l’utilisation concentrée des ressources en capital (bien au delà du taux auquel elles peuvent être remplacées) et cependant elle rejette avec mépris la seule ressource renouvelable : l’effort humain qui est en excédent ! Ce comportement extraordinaire renverse effectivement les facteurs classiques de production et pourtant nous ne voyons pas les changements correspondants dans les trésoreries des gouvernements. Le résultat est un phénomène que j’ai décrit ailleurs sous le nom "d’inflation technologique". Par dessus tout, ça nous dit que l’économie classique ne convient plus.

4.4 Le seul traitement de l’inflation technologique mettant en oeuvre les méthodes de l’économie actuelle (néo classique) serait, en disant les choses avec douceur, très douloureux. En bref, il aurait pour conséquence de décourager la production, et, soit de réduire la population, soit d’accepter globalement une sousutilisation massive des ressources de main d’oeuvre  : chômage élevé (dans les "bons" emplois) associé à une baisse moyenne du niveau de vie. En un mot, "retarder les pendules" jusqu’au moment où les facteurs classiques de production (capital et travail) redeviendraient appropriées. Même ainsi, celà n’encouragerait pas à la création de richesses durables puisque nous allons vers une ère de diminution des ressources et de croissance des populations. Celà ne stimulerait pas non plus la distribution de ces richesses (voir le rapport Brandt sur les relations Nord-Sud) puisqu’un plus grand nombre de gens aspire à des niveaux de vie plus élevés.
Continuer à utiliser les méthodes de l’économie classique actuelle n’est pas seulement de plus en plus impraticable, c’est finalement suicidaire.

5.Proposition

5.1 La réponse est toute simple. En plus, elle est facile à mettre en oeuvre, et au lieu d’être pénible, elle pourrait être en fait très agréable. Elle pourrait aussi attirer beaucoup d’électeurs et valoir une bonne popularité politique. Mais il est un domaine dans lequel l’Economie des Ressources ne se conforme pas aux structures capital-main d’oeuvre des sociétés anciennes : elles y sont égalitaires, tout le monde partageant de manière non sélective la prospérité nationale, tout le monde payant inévitablement sa part. Dans cet article, nous adoptons ce point de vue constructif que les deux parties (le capital et le travail) sont correctes (budgets équilibrés dans un marché libre et l’assitance sociale pour tout le monde), plutôt que le point de vue destructif suivant lequel les deux parties sont mauvaises (le fort prenant au faible et l’Etat punissant la réussite par une redistribution forcée). Si un trait est mis en lumière par l’Economie des Ressources, c’est celui d’un développement démocratique et d’une saine écologie de l’environnement (le bien-être humain au prix de la planète). II ne faut pas réfléchir longtemps pour comprendre que c’est là l’ultime conflit. le choix est donc clair entre deux voies distinctes  : ou bien nous gardons le système économique actuel (néoclassique), basé sur des facteurs de production dépassés et attendons-nous à la catharsis d’un violent effondrement de l’humanité ; ou bien nous nous adaptons aux réalités présentes en inversant les vieux facteurs de production pour qu’ils deviennent ceux d’une nouvelle consommation.
Telle est la Proposition de l’Economie des Ressources (PER) qui implique une certaine promotion de la couleur "verte" en train d’émerger en politique et qui reconnait la réalité du consumérisme démocratique.

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Inconscience

par A. CHIFFON
mars 1990

Il est incroyable de constater, au cours de n’importe quelle conversation banale, que dans leur majorité les gens sont incapables d’analyser ce qui, dans leur confort, leurs loisirs, leurs besoins, est apparu le plus récemment dans l’Histoire, ce qu’il en coûte en matières premières, en hommes, en conséquences sur la santé de tous. Ils ne distinguent pas ce qui serait de l’ordre de l’indispensable, parmi les activités produisant des nuisances ou un taux élevé de risques humains, de ce qui, n’ayant jamais existé jusqu’à présent, ne lèserait personne.
Les activités auxquelles on les invite : l’offre précédant la demande, la recherche devançant le faux problème, la publicité et le crédit provoquant l’achat ... finissent par être assimilées si totalement qu’ils croient devoir les pratiquer à l’instar d’activités universelles et de toute éternité, qui répondaient à des besoins ou à des désirs de base, humains, irréductibles, bien avant la toute récente société industrielle. (1)
Exemple : il est très difficile de leur démontrer la différence qualitative (politique, économique) qui existe entre un lieu comme la piscine, où avec des moyens réduits, on enseigne une activité depuis toujours précieuse sur la "planète bleue"... ; la plongée sousmarine avec tel ou tel niveau plus ou moins sophistiqué de matériel ; et les professionnels du genre : "Défi de l’aventure", "Uschuïa", "Sirocco", qui vivent du risque, à un niveau plus spectaculaire, très rémunéré, d’un spectacle de l’Impossible qui fait monter le sacré "audimat".
Ainsi se créent toutes sortes de productions dans tous les domaines, dont la principale raison d’être est la création d’emplois, la vente de matériels divers, de services, de "loisirs", dont personne ne semble s’interroger sur leur véritable sens.. mais tout le monde s’y jette à corps perdu.
Du fait de certaines croyances répandues qui s’appellent "évolutionnisme" (social !), "fatalisme" (religieux), "surpassement de soi" (suspect) , "aventure" ... voire même lorsqu’il s’agit de cette association de chasseurs qui prétendent rétablir l’équilibre naturel des espèces ... par le fait de tuer du gibier "comme" l’homme primitif ( !!...)on voit surgir des paradoxes, des fuites en avant. Comme si, à l’encontre d’une société qui prétendrait avoir tout maitrisé pour offrir (à certains) une douceur de vivre, d’autres éprouvaient le besoin de consommer la dernière trouvaille dans un état d’inconscience irrépressible.
A cause de ces idéologies-béquilles, qui équivalent à une taie sur l’oeil de nos contemporains, rien de ce qui est produit n’est remis en question, ne leur pose problème. Ils n’imaginent pas que cela puisse venir à manquer ou être remplacé par des produits plus rationnels, mieux adaptés, moins coûteux, non polluants et accessibles à tous, à tous points de vue.

(1) Par comparaison avec les quelque 3 millions d’années de l’humanité.

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