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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 886 - février 1990

 

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N° 886 - février 1990

Pour une contestation globale   (Afficher article seul)

Liberté sous nos conditions   (Afficher article seul)

Lu, vu, entendu   (Afficher article seul)

Libres propos   (Afficher article seul)

A propos d’Europe 93   (Afficher article seul)

Les Japonais trichent-ils ?   (Afficher article seul)

Ils y viennent, de partout !   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

Du « pourquoi pas » au « tout est possible »   (Afficher article seul)

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Éditorial

Pour une contestation globale

par P. HERDNER
février 1990

Notre ami, Marcel Dieudonné, s’interroge sur le meilleur moyen de réaliser le plus rapidement possible une transformation radicale des structures économiques et nous demande à tous de donner notre opinion à ce sujet. Je réponds  : si nous voulons accélérer cette évolution qui rencontre tant d’obstacles, c’est en l’insérant dans une contestation globale de la civilisation actuelle que nous aurons le plus de chances d’y réussir.
II ne faut pas isoler le facteur économique, ni exagérer l’influence qu’il exerce sur les autres rouages de la société  : elle est énorme, mais non exclusive. Certes le système actuel semble conditionner presque toute la politique, et par l’intermédiaire d’une certaine presse, il agit même sur la mentalité du public, sa philosophie, sa morale. Mais il existe des forces d’une autre nature, qui ont en nous des racines profondes. Ce sont elles qui provoquent les grands sursauts d’indignation et la volonté de combattre l’injustice. Le système fondé sur le profit est une entrave au développement de ces forces, mais il ne peut les étouffer. Aussi bien, notre philosophie concerne à la fois, souvent indiscernables, des questions d’ordre éthique et des problèmes économiques.

La société est un milieu complexe où tout agit sur tout. On peut y observer de nombreux phénomènes de causalité réciproque. Méfions-nous des théories qui admettent un facteur dominant. Les vaines controverses relatives à un prétendu ordre de priorité font trop souvent obstacle à la coopération des mouvements d’avant-garde, et par là nuisent beaucoup à leur efficacité.

Les recherches théoriques ne peuvent aboutir à des réalisations que si elles sont soutenues par un élan pur moteur suffisamment puissant. Les mouvements révolutionnaires qui ont sombré dans le fanatisme ne créent que violence et confusion. Mais il est des périodes historiques où les foules se mobilisent dans la paix, où l’enthousiasme n’exclut pas la raison.
Elles recèlent des possibilités particulièrement remarquables quand ces remous ont une dimension internationale. Même si l’action est d’abord limitée à un seul domaine, il semble que ces périodes soient très favorables à des transformations de caractère global et susceptibles en même temps d’être exceptionnellement rapides.
Après les grandes manifestationspacifistes qui eurent lieu, notamment en Allemagne et en Hollande, en Octobre 1983, j’ai souhaité - en insistant, une fois de plus, sur la complémentarité des doctrines - que cette contestation pacifiste s’élargisse en un mouvement d’ensemble visant à transformer la société toute entière (1). Aujourd’hui, les événements qui ont surgi à l’Est ont créé une situation riche de développements imprévisibles : la lutte pour la démocratie a été le point de départ, mais il n’est pas impossible qu’elle donne lieu à un grand renouveau de la pensée. Et il me semble, c’est là une intuition à laquelle je ne saurais donner une forme bien précise -, que ces bouleversements pourraient bien avoir des conséquences importantes dans l’Europe entière.
Imagine-t-on l’ampleur des changements qui pourraient résulter d’une conjonction entre les esprits novateurs de l’Est et de l’Ouest  ? L’enthousiasme communicatif et le courage des peuples de l’Est seraient pour nous tous un stimulant précieux. II appartiendrait d’autre part aux "nouvelles gauches" de l’Ouest, et plus particulièrement aux distributistes, de les mettre en garde contre la tentation de se rallier inconsidérément à l’économie de marché. C’est pourquoi le plus urgent pour nos amis me parait être de contribuer à organiser, sous une forme ou une autre, de telles rencontres.
Ne laissons pas échapper la chance que nous offre, sur le plan européen, une de ces périodes de grande effervescence collective où se manifeste, avec une force inhabituelle, l’accélération de l’histoire. Telle est la réponse que je ferai, pour ma part, à Marcel Dieudonné.

1. G.R. n°’ 822, avril 1984.

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Dans une série d’articles édifiants publiés par le Figaro, Maurice Allais pose claire-, ment les conditions que nos économistes mettent à "notre aide" aux pays de l’Est. Voici par exemple des extraits de l’article publié le 22 Décembre :

Liberté sous nos conditions

par A. PRIME
février 1990

"Tant que la Russie soviétique maintiendra le principe du parti unique, il n’y a pas lieu de lui apporter une aide ou de lui consentir des crédits .... II faut encore et surtout subordonner notre aide à un retour progressif à l’économie de marché, ...et au retour à la propriété privée... Elle doit en deuxième lieu consister dans l’ouverture de crédits remboursables, car tout ce qui est gratuit est gaspillé. Elle doit enfin consister dans le développement des échanges commerciaux, il faut acheter et non donner...
Ce qui n’empêche pas notre Prix Nobel de conclure :

Nous devons nous réformer

C’est pour une très grande part la prospérité de l’Occident qui explique l’effondrement des systèmes collectivistes totalitaires. Mais nous devons bien réaliser que notre exemple ne pourra être réellement convaincant pour les millions d’hommes libérés de leurs chaines à l’Est que si nous pouvons valablement répondre aux aspirations éthiques qui ont été à l’origine des sociétés collectivistes.
Tel n’est pas actuellement le cas d’une part, en effet, l’Europe Occidentale connait un chômage massif tout à fait insupportable et éthiquement inadmissible à tous égards, et d’autre part l’économie occidentale tout entière, qui repose sur de gigantesques pyramides de dettes est potentiellement instable, et elle parait s’être abandonnée à une sorte de délire financier et spéculatif où apparaissent des revenus énormes sans fondement réel, dont les effets démoralisants sont réellement tout à fait sous estimés (’"). Qu’il me suffise de rappeler ici, une fois encore, que les flux financiers entre les pays du groupe des Sept s’élèvent à plus de 400 milliards de dollars par jour, alors que les flux correspondant à des échanges commerciaux ne sont que de l’ordre de 12 milliards de dollars.
Les débats politiques ne sont que trop souvent falsifiés et fondamentalement intolérants. Pour ne prendre qu’un exemple, on ne voit que trop fréquemment certains commentateurs de la radio et de la télévision se livrer sur des questions fondamentales à une sorte de désinformation et d’endoctrinement idéologique. Face aux problèmes pressants d’aujourd’hui, nous aurions le plus grand tort de nous contenter de nous réjouir de l’effondrement des systèmes collectivistes totalitaires de l’Est, sans chercher à remédier réellement aux perversions que peut entrainer le libre jeu des marchés, lorsque le cadre institutionnel dans lequel ils fonctionnent est fondamentalement inapproprié.
Toute économie de marché soulève deux questions essentielles : l’efficacité et l’éthique. Pour l’essentiel, nous avons réussi à répondre à la première. Mais nous avons sans aucun doute largement échoué quant à la seconde.
En répondant de manière inappropriée à la question éthique, les sociétés de l’Est n’ont réussi ni l’efficacité, compromise par des organisations bureaucratiques et centralisatrices, ni l’éthique, bafouée notamment par les privilèges indus des nomenklaturas et par des violations permanentes des droits de l’homme à une échelle sans précédent. Gardons nous bien d’essayer de remédier aux insuffisances d’ordre éthique de nos sociétés en nous engageant dans la voie qui, inévitablement, a mené les sociétés de l’Est à des situations désastreuses.

En somme, d’après Maurice Allais, l’éthique était bafouée à la fois à l’Est et à l’Ouest. Mais à l’Est, c’était inévitable alors qu’à l’Ouest il y aurait des remèdes.
Or la structure des échanges et la nature de la monnaie étaient et restent fondamentalement identiques en capitalisme d’Etat ou en capitalisme privé. S’il y a des solutions respectant la morale dans le système occidental, pourquoi n’ont-elles jamais été mises en oeuvre par les innombrables gouvernements qui se sont succédés depuis deux siècles ?
La Suisse n’est évidemment pas une référence : les scandales financiers ne l’épargnent pas, le dernier exemple ayant touché jusqu’au Ministre de la Justice, Madame Kopp. Enfin, c’est le "coffre-fort"des puissants de ce monde y compris des Marcos et des Ceaucescu...

La réponse de "La Suisse"

D’ailleurs voici une réponse qui vient à point nommé ; il s’agit d’un éditorial du journal "La Suisse" à propos des événements qui viennent de se produire à l’Est :
"...Cependant l’Occident aurait tort d’interpréter cette évolution, avec notamment l’afflux de réfugiés estallemands en République Fédérale d’Allemagne, comme un signe de la supériorité du système capitaliste. S’il est vrai que nos démocraties Occidentales sont assurément les moins mauvais des systèmes, il est tout aussi certain que l’évolution actuelle de l’économie pourrait nourrir, à terme, des révoltes populaires analogues à celle que vivent aujourd’hui les pays de l’Est.
Poussée à l’extrême, l’économie de marché engendre en effet inévitablement des dérèglements  : gaspillage, pollution, injustices sociales... Honnêtement, on se demande vraiment comment l’Europe unie, par exemple, va pouvoir donner du travail à ses 14 millions de chômeurs ?
"

(Extrait d’un article de Michel Baeting publié par le journal "La Suisse" et cité par Claude Citon dans U.N. Spécial de décembre 1989).

(*)(contrairement à une opinion trop commune, ces maux ne sont pas des conséquences inévitables d’une économie de marché. La Suisse, pays développé, compte moins de 1 de chômeurs, et les excès actuels de la spéculation dérivent simplement d’un cadre institutionnel inapproprié).

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Lu, vu, entendu

février 1990

Ils y viennent !
"Surprenant scandale pour l’idéologie matérialiste actuelle : depuis trente ans, la progression considérable de la richesse des Français s’est accompagnée d’un déclin alarmant de leur état psychique, physique et moral. Insidieusement se développe une nouvelle forme de misère la régression de l’homme...
On pollue l’air et l’eau parce qu’il couterait plus cher d’épurer les rejets des usines et des foyers domestiques. On bétonne les espaces verts parce que dans les villes et les zones très touristiques ils valent souvent cent fois moins cher que les terrains à bâtir...
Les objectifs d’un développement écologique seront une industrie non polluante, une agriculture biologique et non plus chimique, un urbanisme vert, un aménagement du territoire qui réduise les mégalopoles au profit des villes petites ou moyennes, un essor de la vie associative et un renouveau des communautés naturelles... "

(Philippe Saint Marc, Le Monde,
Décembre 1989)

L’auteur de ces lignes, Conseiller-Maitre à la Cour des Comptes, n’explique pas comment en arriver là. Mais il n’a plus qu’à se mettre au courant de nos thèses pour trouver , la citation suivante vient d’ailleurs à point pour l’y encourager
"Surplus et déficits de toute nature, chômage et endettement en constante progression, instabilité monétaire endémique, trafics transformant les marchés financiers en vulgaires salles de jeux, protectionnismes en tout genre portant sur des centaines de milliards de dollars dans les économies développées, énormes inégalités entre classes et entre régions, et, maintenant, concentration sans frein d’un pouvoir colossal : telles sont les principales caractéristiques de la guerre économique mondiale, des crises inhérentes au fonctionnement du capitalisme financier"

(Fréderic F. Clairemonte,Le Monde Diplomatique, Décembre 1989)

***

Calvet : le prix de l’entêtement
Jacques Calvet, qui s’était littéralement caché lors de la longue grève de Peugeot, a tenu en décembre une conférence de Presse pour annoncer - et se plaindre - que la grève avait coûté à son groupe la perte de 50.000 véhicules et compromis l’apurement de ses dettes à fin 1989. Pas un mot d’autocritique de ce patron socialement archaïque  !

***

Tiers-Monde et libéralisme
Houphouët-Boigny, dans une interview au Monde du 26 décembre, déclare :
"C’est vous seul qui décidez du prix que vous imposez pour nos matières premières... Prenons le café et le cacao. Que demandons-nous ? Minimum 1000 F. CFA le kilo (1 franc CFA vaut 2 centimes). Jusqu’en 1986, vous nous payiez 1200 F CFA le café et 1100 F CFA le cacao. Brutalement, vous faites chuter jusqu’à 300 F. CFA sans que pour autant le prix à la consommation ait baissé, au contraire. Un kilo de café vous permet de servir 50 tasses au prix moyen de 600 F. CFA" . La valeur ajoutée - 100 fois le prix d’achat pour transport, torréfaction, conditionnement, vente n’est pas mince. Au nom du libéralisme
Qui d’entre nous a constaté une baisse du prix du chocolat ? Houphouët-Boigny poursuit : "Depuis trois ans, le cacao et le café ivoiriens sont tombés de 1000 à 300 milliards de francs CFA. 700 milliards en moins par an. Où sont nos dettes  ?"

***

Flot de réfugiés en RFA
En dehors du fait qu’il manque 600.00 logements, avec 700.000 nouveaux arrivants depuis le début de 1989 en provenance de l’Est, le chômage atteint 120.000 personnes parmi ces réfugiés
on compte30 °/ chez les arrivants de RDA, 50 % chez les autres qui ne parlent pas l’allemand.

(selon le Monde du 27 décembre 1989)

***

Les voeux de Mikhail Gorbatchev
`Des vagues de rénovation socialiste ont déferlé sur l’Europe de l’Est. Les événements dramatiques à Berlin, Sofia, Prague et Bucarest ont de nouveau prouvé avec une grande force l’absolue nécessité d’unir socialisme et démocratie. Nous souhaitons à nos amis succès dans cette voie, ils peuvent toujours compter sur notre solidarité .
... Pour la première fois, nous avons vécu d’importants débrayages dans l’industrie et des perturbations économiques majeures.
II ya eu un manque d’ordre et de discipline. L’exacerbation des relations inter-ethniques a aussi été une source d’inquiétudes majeures, mais nous avons beaucoup appris et nous voyons clairement l’objectif à atteindre : un socialisme démocratique et humain, une société de liberté et de justice sociale".

(Le Monde du 2 janvier 1990)

***

Les marchés financiers en 1989
"Jamais les pays industriels n’ont traversé une phase d’expansion aussi longue. Les marchés financiers sont les reflets fidèles de cette époque. Leur prospérité a été sans égale et le demeure. Presque toutes les places culminent à des niveaux historiques".

(Le Monde 2 janvier1990)

Que pensent les précaires, les chômeurs, les pauvres, les affamés du Tiers-Monde. Le Casino fait la loi !

***

Dette : les Suisses donnent l’exemple !
Pas banale l’action entreprise par nos amis de la Déclaration de Berne (DB), l’équivalent helvétique d Agir Ici (créé dès 1968 !). Sur le thème :`l’annulation de la dette, faisons-la nousmêmes", la DB vient de lancer une action originale.
Le 20 novembre dernier, 50 personnalités suisses (députés sociaux-démocrates et écologistes, responsables d’Églises...) ont emprunté chacune 1000 francs suisses à leurs banques et ont immédiatement formé un cartel des débiteurs. Ils ont placé ces emprunts dans un fonds commun pour appuyer des initiatives dans le tiers monde qui ont pour objectif de diminuer les effets négatifs pour les populations de la crise de l’endettement Le premier bénéficiaire de cette solidarité d’un nouveau genre a été l’organisation philippine "Coalition pour la libération de la dette" qui regroupe de nombreuses associations de ce pays.
Dernier détail et non des moindres : les 50 emprunteurs ont déclaré qu’ils ne rembourseraient ni les intérêts, ni le capital de cette dette à leurs banques. On estime en effet que les banques suisses abritent près de 150 milliards de dollars provenant de la fuite des capitaux organisée par des dirigeants des pays du Sud avec le consentement des banquiers des "paradis fiscaux". Les emprunteurs suisses estiment que la dette que ces banques continuent de réclamer a déjà été payée.

(Communiqué par `Agir Ici’)

***

"La mémoire courte" juge le gouvernement socialiste
L’association "la Mémoire Courte", proche du PS, émet dans l’éditorial de son bulletin de décembre, - ainsi que nous l’apprend le Monde du 10 décembre 1989, qui en publie quelques extraits, - un jugement sévère sur le gouvernement actuel.
Parce que "rien n’a changé dans la vie quotidienne", lit-on dans ce texte, "le malaise est grand dans l’électorat socialiste" : Attachée aux "valeurs inaliénables" que représente pour elle le socialisme - défense des droits de l’homme, des liber tés individuelles et collectives, de la laïcité", - La Mémoire courte espérait "des idées et des actions révolutionnaires". "Au lieu de cela, dit l’éditorial, nous avons un gouvernement piégé par l’économie et les pesanteurs héritées de la droite (...) Le socialisme, ce n’est pas cela (...) Qu’on vienne nous expliquer clairement, simplement, ce qui ne va pas, pourquoi et comment nous allons y remédier et à quel rythme (...) On attend des socialistes d’autres attitudes dans les relations humaines.( ...)".

(Communiqué par Pierre Herdner)

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Libres propos

par A. PRIME
février 1990

Les distributistes, et singulièrement les lecteurs de la Grande Relève, ont un dénominateur commun : l’économie distributive telle qu’elle a été conçue par Jacques Duboin ; et encore, toutes sortes de nuances peuvent s’exprimer, par exemple, sur les modes de transition, sur les disparités ou non du revenu social, etc...
En dehors de ce dénominateur commun, chaque homme de progrès distributiste est libre de ses opinions : nos lecteurs comptent des socialistes, militants ou non, des catholiques, probablement des communistes ou sympathisants, des "anars", etc... Or il arrive - rarement, heureusement, - que des lecteurs résilient ou menacent de résilier leur abonnement parce que la Grande Relève a publié un ou des articles qui "penchent vers l’Est", ou, au contraire, des articles critiquant l’extrême gauche.
Si nous n’avons pas - surtout dans un monde complexe qui évolue rapidement - un minimum de tolérance, on frémit d’imaginer ce que seraient les luttes, les fractions, les factions qui se manifesteraient si demain, par miracle, les Distributistes prenaient le pouvoir, avec un esprit d’intolérance. Enrichissons-nous plutôt de nos mutuelles différences, comme l’écrivait Valéry.
Cela dit, je tente une formule qui pourrait se développer dans la Grande Relève et qui se situerait entre "Lu-vu-entendu" et le "Courrier des lecteurs" : "Libres propos", sur des sujets ciblés. Chaque "propos pourrait s’exprimer en une cinquantaine de lignes - ou moins - de la Grande Relève. Les sujets économiques, sociaux, politiques, culturels ne manquent pas.

1. Révolutions à l’Est et chômage

Bronislas Geremek, Président du groupe parlementaire de Solidarité, a déclaré, le 17 décembre, au grand jury RTL-Le Monde : "Personne ne connait le nombre des chômeurs potentiels que créeront les nouvelles mesures... Ce chiffre peut se situer entre 300.000 et trois millions pour la première moitié de l’année prochaine. Les Polonais sont conscients qu’ils vont payer le prix des réformes. Ils rêvent de la société du Coca-Cola et de la société des Droits de l’homme... L’avenir des Droits de l’Homme en Pologne dépend de notre réussite dans le domaine économique".
Nous renvoyons également au "Lu-vuentendu" de la Grande Relève de Décembre : dans une usine polonaise privatisée depuis quelques mois, 25% de licenciements, pas d’augmentation des salaires `pour rester compétitifs".
II ne faut pas se faire d’illusions : faute d’avoir su trouver une troisième voie, un "socialisme à visage humain", les pays de l’Est font des "révolutions" où s’exprime le ras le bol du communisme stalino-brejnévien (on les comprend  !), et l’on a pu voir des personnes interrogées rejetant même un "socialisme à visage humain".
Demain donc, il y a fort à parier hélas, que, dans les pays de l’Est libérés du communisme, régnera le capitalisme. En effet :
1) L’Ouest n’aidera l’Est qu’à la condition, nous l’avons montré en Janvier, que soit instituée l’économie marchande et que des élections libres aient lieu.
2) Dans la conjoncture actuelle, les communistes (même s’ils ont modifié le nom du parti) ne recueilleront que 15 % des voix.
Le capitalisme fera donc son entrée "légale" avec, très rapidement, son cortège de chômeurs, de films de violence et de sexe, de drogue, etc... La Pologne, qui fut la pierre angulaire des révolutions à l’Est, montre clairement ce qui attend tous les pays qui auront suivi son exemple.

2 - Gross Deutschland

A l’heure où nous écrivons - 29 décembre 1989 - il ne fait plus de doute pour personne que la réunification allemande n’est plus qu’une question de temps. Tout le monde ou presque - dirigeants et populations l’acceptent, voire l’espèrent.
Lorsque Kohl a lancé son plan début décembre, il a violé les réticences. Mitterrand, interrogé par quatre journalistes vers la midécembre, a avoué que Kohl ne l’avait pas tenu au courant. Un comble
Vraiment Européen, Kohl ?
Si tout le monde est d’accord sur l’inéluctabilité de la réunification à terme, nombreux sont ceux qui expriment leurs craintes. Sur le plan économique d’abord
- Un graphique publié par le Monde du 21 décembre, comparant les échanges commerciaux respectifs de la France et de la RFA avec les pays de l’Est est éloquent
rapport 1 à 4 pour les exportations.
- L’Allemagne possède, en dehors de cette avance initiale, une force de frappe majeure : sa réserve de marks, sans compter son, pragmatisme, son esprit d’organisation méthodique.
- Le dollar baisse, le mark est en hausse c’est que la RFA jugée la mieux placée pour "investir l’Est" attire les investisseurs étrangers (voir le Monde du 29 décembre).
Crainte également, mais plus floue, sur l’avenir politique de l’Europe : à Strasbourg, Kohl a refusé de s’engager sur la ligne Oder-Neisse. C’est grave. Veut-il ménager pour le futur des revendications territoriales ? Les craintes que nous exprimions le mois dernier se font jour dans certains esprits : une Allemagne réunifiée qui ne ferait l’Europe que pour respecter ses engagements, mais du bout des lèvres, tandis qu’elle travaillerait d’arrache pied, mais sans bruit, à constituer une énorme entité commerciale "Gross Deutschland - expays de l’Est", excepté peutêtre la Pologne. Entité qui pourrait bien se teinter d’accords militaires. Aurons-nous joué les naïfs ou les apprentis-sorciers ? L’Europe, l’Europe !!! Quelle Europe ? L’Europe pour qui ? (1)

3 - Le XXIe siècle sera religieux

"Le XXIe siècle sera religieux ou il ne sera pas" a écrit l’agnostique Malraux. Longtemps j’ai pris cette affirmation pour une phrase de belle envolée, "à la Malraux".

Depuis quelques mois, je pense que c’était peut-être une forte pensée visionnaire.
1 ! y a une dizaine d’années, je n’osais dire qu’à des amis très proches de mes idées que la nomination en 1978 d’un pape polonais n’était pas innocente : un tel jugement paraissait saugrenu. II y a deux ou trois ans, je me suis risqué à l’écrire dans la Grande Relève. Ces derniers temps, j’ai entendu, vu, lu cinq ou six fois cette idée exprimée par des journalistes ou hommes politiques.
"Le Pape, combien de divisions ?" ironisait Staline. On imagine ce que serait, en cette fin d’année1989, le sourire narquois de Jean-Paul II face à Staline. Lorsque Gorbatchev a rencontré le Pape, les entretiens ont pu se dérouler en tête-à-tête, ce dernier parlant le russe. Ont-ils évoqué ou avaient-ils à l’esprit la boutade de Staline ? Toujours est-il que Jean-Paul II a pu exprimer sa gratitude à Gorbatchev, d’autant plus, qu’en ce qui concerne l’URSS, il a obtenu la liberté du Culte pour les millions d’Uniates d’Ukraine (2).
En tout cas, quelle victoire ! Le Tigre de papier n’était pas celui que désignait Mao Tsé Tung (le capitalisme). Le communisme, dans six pays de l’Est, s’est effondré en quelques mois comme un château de cartes.
Avec combien de divisions ? Un Général
Walesa, les troupes : Solidarité, un aumônier général  : Monseigneur Glemp. Patiemment, pendant une décennie, JeanPaul II , demeuré quelque part Karol Wojtyla, Archevêque de Cracovie, a enfoncé un coin en Pologne, le pays le plus vulnérable par son passé (haine de la Russie) et son fervent catholicisme  : voyage triomphal dès 1979, bientôt suivi de grandes grèves dont celle de Gdansk, qui fit quelques morts devenus rapidement des martyrs, fit connaitre Walesa et donna naissance à Solidarité.
La Pologne "tombée" est devenue exemplaire" : la pérestroïka aidant, les autres pays se sont enhardis et ont imité la Pologne. Sans la pérestroïka, les événements qui se sont déroulés auraient demandé quelques années de plus et fait couler un peu plus de sang sans doute ; comme en Roumanie. C’est tout.
On le voit clairement : partout l’Eglise - les Eglises - ont joué un rôle essentiel ; en Pologne, bien sûr, en RDA (église protestante), en Tchécoslovaquie (3), et même en Roumanie ; alors que l’opposition a du mal à trouver ses marques, déjà deux partis chrétiens sont nés : le "parti chrétien et paysan" qui réclame l’enseignement religieux dans les écoles et le parti de la "démocratie chrétienne".
Le 25 décembre, dans toutes les églises de l’Est, les cloches pouvaient carillonner, les lumières briller, les chants religieux remercier Dieu et son serviteur sur la terre. Ce que les divisions sauvages de Hitler, que ne désavouait pas Pie XII, n’avaient pas réussi à faire, vaincre le communisme, Jean-Paul II l’a fait sans effusion de sang (Roumanie exceptée) sans soldats, mais non sans armées, les armées de l’ombre ... celles probablement que sentait monter Malraux.
Et si les peuples qui ont secoué le joug communiste se retrouvent sous celui du libéralisme, avec son cortège de malheurs chômage, drogue, violence - ils pourront toujours espérer que, faute d’être heureux icibas, ils le seront dans l’au-delà, où les attendra Jean-Paul II.

1. C’est sans nul doute la raison pour laquelle Mitterrand qui sent le danger mais ne peut le déclarer publiquement a, dans ses voeux de Noël, dit sa crainte d’une Europe émiettée, insisté sur l’urgence de renforcer les structures de l’Europe des Douze et souhaité dans les années 90 une confédération européenne de tous les Etats de notre continent".
2. "Des peuples de nombreuses confessions vivent en URSS : tous doivent pouvoir satisfaire leurs besoins spirituels". Signataire  ? Gorbatchev. "La religion opium du peuple", comme c’est loin !
3. Au "téléphone sonné" le 26 décembre, quelqu’un a rappelé qu’il y a déjà plusieurs mois, un homme éminent de l’Eglise avait confié à un Chef d’Etat (Mitterrand, sauf erreur ) : "l’Eglise est là pour catalyser toutes les énergies en vue de la révolution".

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Nous avons reçu les commentaires suivants relatifs au texte "Propositions économiques, monétaires et institutionnelles" publié dans notre n° 884

A propos d’Europe 93

février 1990

de Jean Prédine, Paris :

Le rapport ... m’a largement convaincu, notamment
a) sur le principe de progressivité dans la voie d’une économie distributive. Bien sûr, la machine économique `Poussera" au cours de cette évolution, chaque réforme ne réglant pas à elle seule les effets des vices profonds de notre système actuel. A l’épreuve, on verra aussi que chaque réforme peut être dévorée plus ou moins par le système financier en vigueur, ou bien encore avoir des effets pervers imprévus.
Mais comment éviterait-on tout cela, sauf à créer seulement dans notre imagination une société idéale, éblouissante dès le premier instant, telle Vénus sortant de l’écume de la mer ?
b) sur le principe fédéraliste dont je déplore qu’il soit trop peu exploité partout et qu’il soit à peu près inconnu en France.
Je vous indique cependant que j’aspire à un fédéralisme plus complexifié que celui qui repose seulement sur les États (dont les frontières sont toujours plus ou moins contestables). Les langues, religions et cultures, les pôles économiques, etc... pourraient justifier dans la société de demain - ou d aprèsdemain - des structures fédérales "à plusieurs dimensions" celle des Etats n’étant que l’une d’entre elles.
Bien entendu, ce document d’Europe 93 pourra appeler dans l’avenir de nombreux compléments.
Dans `7a Grande Relève’ ; Marie-Louise Duboin évoque la question de la création monétaire dont l’extrême importance ne peut être niée par Europe 93, et dont l’existence est devenue, peutêtre, légèrement plus perceptible au public depuis le mini krach financier de 1987.
Je voudrais aussi redire l’importance du développement du Tiers-Monde, même vu seulement sous l’angle de l’égoïsme occidental  : comment l’Europe va-t-elle endiguer la vague irrépressible d’immigration, si elle ne fait pas en sorte que les gens des pays pauvres retrouvent chez eux un espoir de développement adapté à leurs besoins ? C’est alors qu’il faudrait parler, je crois ....
a) du système monétaire international, du "primon" projeté par Charles Warin au début des années 80 pour réguler les cours des produits de base (ceci n’est pas contradictoire avec l’adoption de l’écu pour l’Europe).
b) imaginer, pour le Tiers-Monde, une économie plus distributive, non plus au niveau de la distribution du pouvoir d’achat aux individus, mais au niveau de petites collectivités auxquelles on donnerait les moyens (équipements, fournitures) d’assurer un développement local défini par elles-mêmes. Au delà d’un certain développement de ce type d’expérience, il faudrait, bien sûr, des plans régionaux de coordination".

* **

de Henri Muller, Guérande :

"On ne distingue guère l’émergence d’une économie distributive" ; le "plus" ajouté au titre, créant l’ambiguité.
Du réformisme. Le pire. Dans la tradition Delors, un homme dévoué à ses hauts mandants des milieux patronaux et de la Banque, syndicaliste "défroqué" parvenu au faîte des honneurs pour prix de sa collaboration.
- accuse la sourde lutte entre le capital et l’abondance, mais assimile la vraie richesse (volume et qualité des produits et services) à son expression monétaire associée aux prix, ce qui en fausse l’étendue. La rareté est chère alors que l’abondance ne vaut rien.
Économie au service de l’homme (socialisme intégral) ou au service des banques et des nantis ? Delors a choisi.
Les auteurs n’ont fait que grapiller un peu partout dans les catalogues des idées, y compris celles des distributistes, bien pour leur faire plaisir mais en se bornant à y papillonner sans autrement insister.
En prenant grand soin de ne pas toucher au caractère transférable des moyens de paiements, ils se condamnent à tourner en rond dans une cage d’écureuil, ne risquant pas de découvrir la sortie.
Le distributisme ne postule pas le centralisme. Au contraire, l’initiative s’exerce au niveau local pour la plupart des décisions.
Inciter les actifs à réduire leur taux d’activité  ? C’est parler comme Jacques Marseille (cf son livre : la France travaille trop).
Libre emploi du temps et organisation de son temps libre sont deux concepts différents.
Le crédit, les manipulations monétaires ne sont qu’un moyen, pour les banques, de prélever leur dîme sur le flux monétaire.
En conclusion : un texte assez alambiqué, de lecture peu facile, mélangeant les genres, où l’on note surtout quelques concessions mineures, de convenance à quelques unes des vues distributives.

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Les Japonais trichent-ils ?

par R. MARLIN
février 1990

Les Américains du Nord sont extrêmement perturbés par les Nippons. Leur belle assurance s’effondre lorsqu’ils font le point de l’offensive financière menée tous azimuts par les Asiatiques. La peur de l’avenir a gagné l’Europe. Ce ne sont plus seulement les appareils photographiques et les récepteurs radio portatifs japonais qui monopolisent les marchés, mais toute l’électronique grand public qui est menacée. Les industriels de l’automobile sont effrayés par la menace et, comble de tout, les composants électroniques, sources de tout l’avenir des technosciences de la communication et de la connaissance, sont en train de passer sous la domination exclusive des sociétés nippones.

Un bilan rapide

Tous les indicateurs concordent : le Japon est en tête de toutes les nations pour :
- la balance des paiements courants : 95 Md de dollars d’excédents en 1987,
- le taux de chômage : 2,3 % en 1988 et aussi probablement en 1989, le plus bas des pays industrialisés,
- l’accroissement du pouvoir d’achat du salaire brut moyen : 3,5 % en 1988, 3,4 en 1989,
- l’indice de la production industrielle 136 en 1988 (base 100 en 1980),
- l’augmentation des prix à la consommation : 0,6 % seulement en 1988, 1,7 environ en 1989,
- la croissance de 5,7 % en 1988, estimée 5 % en 1989,
- la diffusion de la presse : l’Asahi Shimbun tire chaque jour à 8 M d’exemplaires, - le record de la capitalisation boursière
2800 Millions de dollars en 1988, etc...
Quelques résultats spectaculaires ont frappé l’opinion aux Etats-Unis et dans la Communauté Européenne :
- rachats de Columbia par Sony et du Rockfeller Center par Mitsubishi,
- classement de dix banques nippones sur les dix premières mondiales (six d’entre elles viennent d’entrer à la Bourse de Paris)
- production de véhicules automobiles de 12,7 M en 1988, devant les Etats-Unis depuis 1981,
- dépôt de 300.000 brevets d’invention en 1988 ; trois fois plus que les Américains et dix sept fois plus que les Français,
- financement des grandes universités américaines par les géants japonais et parmi elles, le célèbre MIT (Massachusetts Institute of Technology) etc.

Une accusation

Devant le danger, les réactions sont vives. En France, on a observé que la négociation "Peugeot" s’est déroulée sur fond de concurrence Honda, Nissan et Toyota. Mais celui qui s’estime le plus en péril est sûrement Alain Gomez, Président Directeur général de Thomson. Devenue l’une des pièces maitresses de l’Occident en matière d’électronique grand public, sa société est exposée en première ligne. A. Gomez s’affole et déclare à TF1, le 24 novembre 1989
"Le marché japonais est totalement fermé. II est organisé par les grands groupes japonais entre eux..." avec pour conséquence que " les prix intérieurs japonais sont nettement supérieurs aux prix mondiaux... Un Japonais n’achète pas un poste de télévision ou un disque compact au même prix qu’un Français en France ou un Américain aux Etats-Unis..." .II achèterait 20 à 30 % plus cher qu’à l’extérieur. A. Gomez poursuit : "Cet argent supplémentaire qui est offert par le consommateur japonais aux industriels de son pays est tout entier consacré à la recherche et au développement.. Le consommateur japonais finance ainsi la guerre à l’extérieur par l’industrie japonaise... dans la mesure où son système social et ses conditions de travail sont bien moins acceptables que chez nous... " Et il conclut : "Le problème est de savoir si nous allons accepter que, du fait de cette tricherie, notre propre système social et notre propre système de vie soient balayés...".
Le PDG de Thomson qui vient d’ailleurs de passer un accord avec Toshiba pour la fabrication commune de magnétoscopes et qui n’est donc pas à une contradiction près, insiste dans "le Point" du 18 décembre 1989 (1). II réitère ses accusations de tricherie et demande une barrière douanière européenne afin qu’en la matière, l’Europe conserve son autonomie de production et de technologie que les Etats-Unis ont perdue. Voulant ignorer que la CEE est dominée par le "libre échangisme" de Kohl et Thatcher, il demande une protection pour ceux qui "ont déjà la corde au cou - les industriels de l’électronique - et ceux qui vont l’avoir - les industriels de l’automobile". II craint que "l’indépendance de nos pays" soit, à terme, en cause.
A. Gomez n’aurait-il pas dû, avant de réagir aussi inconsidérément, réfléchir aux causes de cette situation et à leurs conséquences inéluctables ?

Une motivation

Pour ceux qui croient encore que les guerres modernes peuvent être gagnées ou perdues, le réveil est brutal  : les deux nations qui auraient été "vaincues" en 1945, l’Allemagne et le Japon, sont économiquement parmi les plus puissantes.
Les Japonais ont été humiliés en 1945. Leur ultra-nationalisme a été brutalement choqué par les explosions nucléaires d’Hiroshima et de Nagasaki sans que leurs armes aient pu véritablement être mises en oeuvre sur le terrain. Le proconsul Mac-Arthur s’est substitué à la famille impériale pour conduire le pays. Sacrilège !
L’histoire des relations entre le Japon et les Occidentaux fut d’ailleurs mouvementée. Une suite d’échecs et de revanches la caractérise. Les Orientaux en ont conçu une grande détermination qui, faute de s’exercer dans le domaine militaire, se reporte dans l’économie financière.
Le manque "d’espace vital" avait entrainé le pays à se joindre à l’axe "Rome-Berlin". Le peu de ressources en matières premières le contraint aujourd’hui à se spécialiser dans la "valeur ajoutée" industrielle. Les Japonais ont donc décidé d’égaler puis de dépasser les Américains sur leur terrain. Avec une volonté, une ténacité, une abnégation que certains trouveront admirables et une discipline que d’autres qualifieront d’excessive (2), ils se sont voués en grande majorité à cette tâche et ont, d’ores et déjà, atteint une grande partie de leurs objectifs.
Aujourd’hui, ils souscrivent, en moyenne, 30 % des bons du Trésor américains permettant ainsi d’amortir l’immense dette des Etats-Unis, mais détenant en même temps un gage qui leur permettra d’exercer, lorsqu’ils le désireront, une pression économico-politique décisive sur leurs débiteurs.

Un miraclie ?

Comment en sont-ils arrivés là ?
D’abord, c’est bien connu, en copiant les modèles occidentaux. Mais ensuite en les améliorant, puis en innovant. Le dénigrement n’est plus de mise. Ces Japonais qui étaient, parait-il, des alcooliques du travail (workalcoholic en anglo-américain) incapables de penser en binaire (langage des ordinateurs) et vivant dans des clapiers à lapin, d’après une mission de parlementaires occidentaux, donnent en fait des leçons.
Ils ont commencé par mettre en place un système d’enseignement remarquable entièrement adapté au but à atteindre. Etant donné l’orientation du monde vers la technoscience, ils ont dirigé leurs facultés en ce sens. Aujourd’hui les universités techniques sont les plus prestigieuses. 35.000 diplômés de haut niveau sortent chaque année des facultés scientifiques. C’est le plus fort taux par habitant du inonde.
Suivant en cela les enseignements du Boudha, ils vénèrent les anciens. Ne voulant pas perdre la plus faible partie de l’expérience des vieux médecins , ils leur font enregistrer leur savoir sur ordinateur joignant ainsi, dans un raccourci saisissant et combien révélateur, la tradition la plus ancienne avec la science la plus en pointe.
La voiture à quatre roues directrices, la caméra auto-focus, la vidéo mobile parlante, la télévision miniature portable, l’escalator courbe, le caddy-robot, ce sont eux. Les Américains envisagent sérieusement d’adopter leur système de télévision haute définition de préférence au procédé européen D2 Mac. Ils dominent dans le domaine des ordinateurs de cinquième génération, ceux qui parleront, traduiront et commenceront à penser.
Les tensions engendrées, parmi les adolescents, par un enseignement ultra sélectif, se seraient apaisées et le nombre des suicides d’adolescents serait retombé à la moyenne mondiale.
Les jeunes Japonais bénéficient d’une organisation unique au monde d’apprentissage de la musique et les virtuoses collectionnent les récompenses, dans les concours internationaux, pour la plupart des instruments.

Un avenir

Certains Japonais débordent de fierté !
Akio Morita, PDG de Sony, et Shintaro Ishihara, romancier à succès, viennent d’écrire un livre à scandale "Le Japon peut dire non !" Les auteurs célèbrent la dépendance des Etats-Unis vis-à-vis de leur pays. Malgré l’avertissement faussement candide de l’éditeur Kobunsha suivant lequel cet ouvrage ne serait pas destiné aux étrangers, l’arrogance américaine est ébranlée. Même si les auteurs sont accusés d’extrémisme, leurs thèses font du bruit...
D’autres habitants du pays du "Soleil Levant" reconnaissent que la société "d’abondance" n’est pas encore satisfaisante chez eux. La population vieillit, la contestation s’extériorise de plus en plus, en même temps que la pollution s’accroit. Le système de couverture sociale est très imparfait. Le logement devra être amélioré. Ne doutons pas toutefois qu’après avoir bénéficié de transferts de techniques industrielles, les Nippons sauront apprendre aussi dans ce domaine. Leur nouvelle richesse leur facilitera la répartition. La croissance risque d’être attisée par l’augmentation du budget militaire (139 % sur 15 ans de 1971 à 1986). Malgré la renonciation aux forces armées inscrite dans la Constitution dictée par Mac-Arthur, le Japon a dorénavant le troisième budget des armées au monde, devant la France. La force "d’autodéfense" prend des allures menaçantes étant donné son haut potentiel technique.
L’habileté et l’obséquiosité bien connues des Japonais font merveille. Ils ont su s’introduire en Europe avant 1993, ils y contrôlent 506 usines pour un investissement de 10 M de dollars et leurs trois grandes marques y produiront plus d’un million de voitures avant 1995. Enfin ils ont déjà investi 9 M.de F dans l’immobilier de la région parisienne et les géants de l’assurance commencent à s’installer en France.
La concurrence s’annonce sévère dans tous les domaines...

Au-delà de la récrimination

A. Gomez découvre qu’il y aurait des lois dans la jungle capitaliste ! N’est-il pas en contradiction avec lui-même  ?
Comment comparer les prix intérieurs du Japon avec ceux des pays occidentaux alors que tout le monde sait que les taux des changes sont purement spéculatifs et qu’il n’existe aucune parité entre le pouvoir d’achat réel des différentes monnaies ? Du reste, les prix, même dans un seul pays, sont très divers suivant les points de vente, tous les consommateurs le savent.
Les Japonais sont souples, ils se sont imposé une auto-limitation des exportations de voitures aux Etats-Unis contre le maintien du bouclier armé américain. Comment, dans ce sytème, le leur reprocher ?
Les adversaires de Thomson se battent, ils savent tourner les principes capitalistes à leur avantage. Ce sont des gagneurs, des battants, des innovateurs. Ils réussissent. N’est-ce pas là l’idéologie que les patrons veulent enseigner aux jeunes Français ?
Et même si les Nippons paient vraiment plus pour un même produit, où est le mal ? La mode, la publicité et, quelquefois, le snobisme ont bien réussi à convaincre un nombre important de clients d’acheter cinq ou six fois (500 à 600 %) le prix normal des chemisettes de même qualité sous prétexte qu’elles portent un crocodile, des robes ou des bagages qui sont signés par certains stylistes. Les bénéfices qui en résultent n’ont, en France, jamais servi à la recherche ni au développement. Les financiers français sont trop avides et ils laissent de notoriété publique l’Etat procéder à ces dépenses qu’ils considèrent improductives...
Si les travailleurs de l’archipel acceptent quelquefois des salaires et des conditions de travail inférieurs aux habitudes occidentales en ce domaine, c’est aussi par dévouement à leur entreprise, à leur patrie et par consensus syndical (3). Estce que, par hasard, A. Gomez serait partisan d’employer du personnel contestataire qui adhérerait à des syndicats oppositionnels par principe ? Est-ce qu’il embaucherait pour ses fabrications d’armement hautement sophistiquées et donc ultra-secrètes (4), des étrangers ou des Français soupçonnés de convictions internationalistes ?
Les Japonais, c’est vrai, bloquent au maximum leur marché : normes, réglementation, subtilités de langage ou de législation sont prévues pour décourager les importateurs. Dans la "guerre" économique que se livrent les puissances industrialisées, tout le monde en fait autant sans l’avouer. Si nous avions le coeur de plaisanter sur ces sujets, nous rappellerions ces paroles de César  : "Si on ne peut plus tricher avec ses amis, ce n’est plus la peine de jouer aux cartes". (5) Les Occidentaux utilisent entre eux ces mêmes pratiques. C’est la loi du plus fort. Malheur aux perdants La réaction d’ A. Gomez : "Pouce ! je ne joue plus" est infantile.
En résumé, les Japonais dominent le soidisant libéralisme. D’autres les suivent dans cette voie : Coréens, Malaisiens, Chinois des différentes obédiences, etc... Les ennuis des patrons occidentaux ne font que commencer.
Conclusion : détrompons d’abord le lecteur qui penserait que cette chronique chante la gloire du Japon et de ses habitants. Bien au contraire, nous avons tenté de montrer que dans un système pervers par lui-même, ils se sont montrés mieux adaptés, c’est-à-dire plus pervers que leurs concurrents. Mais tricheurs  ? non ! Pour tricher. i ! faudrait qu’il existe des règles claires qui s’imposent à tous, ce qui n’est pas le cas.
Nous sommes évidemment conscients ici que les chefs d’entreprise ne sont pas les seuls en cause. Leur personnel, depuis les directeurs jusqu’aux simples employés ou ouvriers, surtout ces derniers, subira avant eux les méfaits du système.
II serait temps que nous le comprenions tous : ce jeu guerrier est dépassé, comme la guerre elle-même. Les Japonais eux-mêmes commencent à l’entrevoir. La technoscience permet et permettra encore davantage de satisfaire les besoins essentiels, ainsi que les aspirations artistiques, intellectuelles, ludiques, sportives et autres, de tous. Cherchons ensemble les voies vers une économie enfin adaptée à la mutation en cours . Au-delà de la récrimination, c’est la seule démarche raisonnable.

1. D’où nous avons tiré certains renseignements et statistiques pour cette chronique.
2 Le réseau NHK de télévision publique fonctionne grâce à une redevance non obligatoire, mais payée à 97 % par les téléspectateurs.
3. Voir la célèbre histoire du "gréviste" qui porte un brassard signalant sa protestation, mais ... continue à travailler.
4. Dans le sens du secret de Polichinelle.
5. Marcel Pagnol "Marius". acte III , premier tableau.

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A tous ceux qui se lamentent à la pensée que nos thèses d’un revenu social versé à tous, égalitairement et sans relation avec un travail ou un emploi, ne sont pas convaincantes, la lecture des analyses que publie l’association européenne BIEN (*) offre amplement de quoi être réconfortés. Des ouvrages sont publiés partout dans le monde occidental sur le sujet. Notons en particulier :

Ils y viennent, de partout !

par M.-L. DUBOIN
février 1990

Aux Pays-Bas : l’Union des travailleurs de l’alimentation, qui fait partie de la Confédération Générale hollandaise du travail, publie un nouveau pamphlet qui propose l’instauration d’un revenu garanti à tous au plan européen, et conclut qu’il est grand temps que les syndicats abandonnent leur position purement défensive.
Bill Jordan, de l’Université d’Exeter, publie un nouvel ouvrage dont le titre peut se traduire par "le Bien Commun. Citoyenneté, moralité et intérêt personnel" dans lequel il place l’allocation universelle comme la base d’un projet beaucoup plus vaste : la construction d’une société basée sur "l’intérêt commun des citoyens pour une bonne qualité de vie". II souligne que le trait le plus caractéristique de la "nouvelle orthodoxie" est le fait qu’elle exclut une minorité grandissante de la population de tout partage de ce qui est l’un des biens les plus précieux du capitalisme moderne  : un travail régulier à plein temps. II conclut que seul un revenu de base pourrait, sans perte d’efficacité, réintégrer les exclus. Mais sa signification serait limitée s’il n’était pas aussi une façon de promouvoir une nouvelle moralité sociale basée sur l’association volontaire et une active coopération en vue du bien commun. La Commission de Justice de la Conférence des Supérieurs religieux, réunie à Dublin l’an dernier, note également que "les développements économiques actuels en Irlande produisent une importante sous-classe permanente qui ne cesse de croitre" et que la distribution "d’un revenu de base garanti à tous est la façon la plus efficace de sortir de l’impasse actuelle. Une telle mesure rendrait les gens non plus mais moins dépendants, elle ne créerait pas l’injustice, mais au contraire la justice... Le seul problème que pose un revenu non gagné par un travail est que trop peu en ont’. Leur conclusion se rapproche encore d’une autre de nos thèses : "Bien qu’impossible dans le passé, c’est possible maintenant, au moins si les possibilités de production de la robotique et des microprocesseurs ne sont qu’une fraction de ce qu’on prétend qu’elles sont"... "Le besoin essentiel maintenant, conclut le pamphlet, est d’une action en faveur d’un revenu de base garanti à tout le monde".
Pour J. Mathews, en Australie, repensant les objectifs des mouvements des travailleurs pour les années 90, un revenu minimum garanti à tout le monde, conçu comme un droit en tant que citoyen, et non comme une forme d’assistance est le seul moyen pour éviter que les sociétés industrielles ne glissent, dans les dix ans qui viennent, dans un état dual entre travailleurs et sans emploi.

A suivre

(*) Basic Income European Network, dont nous avons beaucoup parlé déjà, surtout lors de sa création en septembre 86 et de sa seconde conférence en septembre 1988.

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Au fil des jours

par H. MULLER
février 1990

La dérive du socialisme

Fermeture des entreprises non rentables, chômage, concurrence, vérité des prix, monopoles démantelés, vente de biens publics et généralisation de celle des terres et des immeubles, autogestion, actionnariat pour les travailleurs achetant leurs entreprises, système bancaire ouvert sur le monde extérieur avec accueil des capitaux étrangers, voilà pour la Pologne où l’on fait "appel à la population pour de nouveaux sacrifices". Déjà 900 % de hausse sur les prix restés à peu près stables depuis une trentaine d’années. De quoi dégoûter les Polonais de l’économie de marché, providence de leurs seuls commerçants. Au fil de 16 dévaluations successives, les épargnants ont perdu leur laine. La veille de chaque nouvelle hausse, les accapareurs vident les boutiques, créant des pénuries commodément imputées à l’ancienne gestion socialiste. Du moins l’Etat apuret-il ainsi peu à peu sa dette intérieure.
Economie de marché, de profits privatisés, de libre concurrence  ? ’On croit rêver. Jetés par dessus bord les fonds de consommation, un système de prix qui assurait leur stabilité, leur bas niveau pour les produits et services courants. Jetés pareillement aux orties le Plan, la globalisation des profits, leur centralisation par un unique investisseur rendu capable des plus étonnantes et gigantesques réalisations, en matière d’urbanisme, recherche, combinats, spatial, mise en valeur, irrigations , enseignement, sport, culture, défense. Révolues la sécurité de l’emploi et du revenu pour chacun, la gratuité des soins, de l’enseignement, bref tout ce qui faisait l’originalité des sociétés de l’Est aventurées aujourd’hui sur la voie périlleuse d’un ultralibéralisme.

Chine, 400 millions de tonnes de céréales

Presque un record "en attendant les 500 millions". Pourtant, un article de foi place les pays socialistes au trentesixième dessous en matière de production agricole. Qui croire ?

Week-end à Berlin

Un intéressant spectacle pour les Allemands de la RDA. De belles vitrines à regarder. Ils ont défilé devant les boutiques aussi inaccessibles à leurs désirs qu’elles le sont, partout ailleurs, aux familles des chômeurs, à la multitude des sans-le-sou. Du moins, l’énorme processsion des "Trabant" a-t-elle témoigné que la RDA ne comptait pas que des va-nu-pieds. Des carrosseries en platique, des moteurs deux-temps ? Disons du léger, de l’économique. N’avons-nous pas, sans complexe, roulé des années durant dans nos deuxchevaux presque aussi simplettes ?

Trop, c’est trop

La RFA veut bien accueillir un nombre limité de réfugiés bon teint arborant le label du dissident dûment catalogué, juste de quoi alimenter la propagande antisocialiste, à condition que leur présence ne menace ni le confort, ni le revenu des nantis du crû. Mais, trop, c’est trop. Le libéralisme n’a jamais été une institution d’entraide et les fonds de la Croix Rouge ont leurs limites. Les Etats-Unis n’ont-ils pas été les premiers à tirer la sonnette d’alarme en fermant leur territoire à l’accès des dissidents soviétiques. ?
Un certain désenchantement se manifeste déjà parmi les flots des réfugiés et s’esquisse l’amorce d’un reflux. On va leur promettre une part de cette once de liberté qu’ils revendiquent, améliorer leur ravitaillement et ils finiront par réintégrer leur lieu d’origine après une escapade qui leur aura fait découvrir que la vie pouvait être à l’Ouest plus difficile, plus âpre pour les malchanceux.

Berlin, choc en retour

Marché noir, contrebande, trocs, trafics en tous genres, arnaque, la joie pour le commerce, la fête pour les antiquaires. Chassés de la RFA pour faire place aux réfugiés, les Turcs filent sur Strasbourg et Paris.
La perspective d’une réunification ? S’agissant d’une même ethnie, un acte politique peut toujours l’imposer au nom de la démocratie, de sa règle majoritaire. Ce ne serait jamais qu’une entorse de plus aux accords de Postdam déjà violés à maintes reprises par les alliés occidentaux (création de la RFA, réarmement allemand, non démantèlemet de l’industrie de la Ruhr, alliance atlantique et pacte de l’OTAN dirigés contre l’Union soviétique, ingérences multiples, politiques et audiovisuelles en matière de propagnade, réforme monétaire, etc..). Restent à régler le problème des écarts de prix, celui posé par les régimes sociaux. Mais les 14 millions d’Allemands concernés, embrigadés de gré ou de force au sein d’un Etat unifié fort de 80 millions des leurs, ne tarderont pas à s’adapter, bon gré mal gré, à leurs nouvelles conditions de vie, à l’instar de toutes les minorités tenues de se plier à la loi d’une majorité.

Et l’Europe ?

Celle de 1993 a déjà du plomb dans l’aile. Une grande Allemagne n’a que faire de la poussière de ses concurrents ouest-européens cherchant à lui tailler des plumes, et que l’on voit se déchirer à belles dents, sous le masque hypocrite d’une fausse solidarité. Son expansion économique est à l’Est et le basculement dans l’économie de marché, de l’Union soviétique et des démocraties populaires, lui en ouvre la voie royale et pacifique.
Plus de menace militaire, plus d’ennemi à l’Est ? L’anti-soviétisme, ciment de l’Europe des Douze, passé à la trappe ? L’Otan, la "force de dissuasion" reléguées aux vieilles lunes ? De telles perspectives, on le conçoit, n’emballent guère la nuée des affairistes orbitant autour des budgets de la Défense, ni les personnels employés dans ses industries ou siégeant dans ses innombrables bureaucraties.
Les lobbies s’activent. La propagande change de registre. II faudrait temporiser, préparer un point de chute pour cette Europe en voie de désagrégation, prête à tomber en quenouille, quasi-abandonnée par son principal partenaire. Mais tout va trop vite. A l’Est, tout le monde est pressé. On a brûlé les idoles, décapité le Pouvoir. Sur tous les fronts à la fois, l’incendie déferle et il est trop tard désormais pour allumer des contrefeux, pour enrayer une pareille chienlit. Les responsables ? Un chef d’orchestre ? Is fecit cui prodest.
Aujourd’hui, les Allemands ont un tiersmonde à leur porte ; d’immenses besoins à alimenter. Des débouchés pour un siècle. Reste à les solvabiliser, ce dont les systèmes monétaires et financiers englués dans les exigences du profit se sont toujours avéré incapables. Une lueur d’espoir en faveur d’un socialisme à monnaie de consommation.

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Du « pourquoi pas » au « tout est possible »

par A. CHIFFON
février 1990

La tolérance, c’est l’acceptation des différences pour lesquelles on discriminait, à tort, des gens qui n’y pouvaient rien : malades, handicapés, jeunes, vieux, femmes, noirs, arabes, pauvres, marginaux ; ou bien dont les opinions diffèrent des nôtres mais n’entrainent aucune perturbation sociale ou familiale.
Aujourd’hui, ces concepts de différence et de tolérance sont détournés de leur origine et nous ne cessons, tous, de tricher avec nous-mêmes, puisque quotidiennement contraints de tolérer des millions d’horreurs, d’ignominies, de menaces qui peuvent à tout instant nous frapper personnellement, et qui ne sont le fait que de l’incompétence, de la corruption, de l’avidité égocentrique des hommes de pouvoir.
Si nous ne disons rien, nous sommes partie prenante de cette lâcheté, nous sommes partie intégrante des massacres qui, perpétrés ailleurs, rapportent à l’Etat français 35 milliards de francs par an ; nous sommes bénéficiaires indirects, dans tous nos acquis, technologiques et culturels, de l’exploitation du tiersmonde là-bas et ici... de celle même de notre propre prolétariat dès le siècle dit "des lumières" (36 chandelles !!) et de l’institutionnalisation d’un quart-monde aujourd’hui.
Si bien que notre idée de la tolérance est totalement pervertie, ressortie à mauvais escient, tout comme celle d’une liberté qui s’exerce peu. Devant ce peu de choix, nous faisons semblant d’avoir résolu nos problèmes. Nous ne cessons, en fait, de fonctionner sur des leurres :

- celui des Droits de l’Homme, bafoués partout,
- celui de la liberté d’expression, censurée dès qu’elle dérange,
- celui de la laïcité, dans lequel, l’histoire ayant dérivé, on met tout ce qu’on veut,
- celui de la tolérance, qui fait que dès que quelqu’un n’est pas conforme à ce que les pouvoirs en place ont décrété, il se retrouve expulsé, en prison, à l’asile, dans des camps, privé de ressources...

Et chaque Français tolère très bien tout çà, tout en se faisant croire qu’il l’a choisi, qu’il a le choix, mais cependant, n’est ni responsable, ni coupable, et que tout-va-très-bien-merci... jusqu’à ce qu’il lui arrive une tuile. Alors, on crie "Au loup", et on se met à réfléchir...

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