Recherche
Plan du site
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 878 - mai 1989

 

Le site est passé à sa troisième version.

N'hésitez-pas à nous transmettre vos commentaires !
Merci de mettre à jour vos liens.

Si vous n'êtes pas transferé automatiquement dans 7 secondes, svp cliquez ici

 

 

< N° Précédent | | N° Suivant >

N° 878 - mai 1989

Par où commencer ?   (Afficher article seul)

Qui est responsable : le système ou la nature humaine ?   (Afficher article seul)

Un cas qui fait réfléchir   (Afficher article seul)

Lu, Vu, Entendu   (Afficher article seul)

Vivre et mourir en Economie distributive   (Afficher article seul)

Après le R.M.I.   (Afficher article seul)

Réflexions du désespoir   (Afficher article seul)

^


Par où commencer ?

par M.-L. DUBOIN
mai 1989

Mêmes causes... ?

Les historiens s’accordent pour reconnaitre, parmi les causes de la Révolution Française, le rôle important joué par l’insuffisance de la production agricole. La famine a fait des ravages et Claude Manceron décrit la détresse des paysans en 1774 , il cite : « La livre de pain noir vaut quatre sols. Un malheureux journalier qui ne gagne que douze sols par jour peut-il vivre avec une femme et six enfants ? » car le pain était alors l’essentiel de leur nourriture et donc la base de la vie quotidienne de trois quarts des Français. Dix à douze millions d’entre eux n’avaient rien devant eux, alors que le prix du pain, depuis vingt ans, avait augmenté bien plus vite que les salaires. Et quand la récolte avait été mauvaise, plusieurs années de suite, il avait fallu faire venir le grain de très loin. Celà coûtait très cher.

Deux cents ans plus tard, comble de l’absurde, le monde rural est en plein déclin... parce qu’on lui reproche d’avoir trop produit ! De six millions à la fin du XIX éme siècle, le nombre des agriculteurs est passé à 3,9 millions en 1970 et vient de chuter à 1,4 millions. On prévoit qu’ils ne seront plus que 600.000 en 1995, dont la moitié seulement pourra continuer à vivre de la terre. Pour survivre, les autres auront dù essayer de se reconvertir... Nous l’avons dit, redit, le secteur agricole a été, historiquement, le premier touché par « ce qu’on appelle la crise », c’est à dire par le changement de civilisation que nous sommes en train de vivre. Cette crise n’est pas différente de celle qui touche tous les secteurs d’activité : elle résulte d’un formidable bond en avant des techniques de production. Mais les responsables économiques, incapables d’en prendre la mesure, s’obstinent à y appliquer des remèdes d’un autre âge alors qu’ils se révèlent totalement absurdes et catastrophiques la C.E.E. dépense les trois quarts de son budget pour maintenir artificiellement élevés les prix agricoles tandis qu’un nombre croissant de « nouveaux pauvres » ne mangent pas à leur faim, elle subventionne les agriculteurs proportionnellement à leurs productions et le nombre des « petits » agriculteurs éliminés, en faillite, réduits eux aussi à la misère ne cesse d’augmenter, enfin elle décide le gel ou favorise le « bétonnage » des terres... avec toutes les conséquences écologiques que cela entraine.

Le comble des combles du non-sens, c’est de faire passer toutes ces dépenses absurdes au nom de la rentabilité économique ! Toutes ces aides mal placées au nom de la défense de la liberté du marché !

Commencer par le primaire

Quelle honte, au XXe siècle, de sacrifier des milliers d’existences faute d’oser prendre des mesures, dont le bon sens est évident, mais qui ont le tort épouvantable de n’avoir encore jamais été essayées !
Puisque le secteur agricole a été le premier touché par La Grande Révolution (celle des moyens de production), n’est-il pas évident que c’est par ce secteur qu’il faut commencer d’appliquer la solution qui s’impose d’elle-même : l’économie distributive ? Toutes ces subventions, allocations et autres dépenses que font les contribuables, malgré eux, pour geler ou détruire, ne seraientelles pas mieux utilisées en proposant aux agriculteurs en faillite un contrat simple : un revenu individuel, décent, assuré, contre l’engagement de prendre en charge leurs terres ? Et celà aurait en outre l’avantage de sauver notre environnement rural : abandonner l’entretien des terres, c’est laisser faire l’érosion, c’est l’appauvrissement assuré des sols. Dans le midi, c’est la destruction de la couverture végétale et le plus sûr moyen de voir s’y propager de terribles incendies, on en a eu la démonstration récemment. Et ce n’est pas seulement l’environnement naturel qui est en cause, c’est aussi l’équilibre de la population : les changements prévisibles des conditions de travail vont bientôt permettre de mettre fin à la concentration des villes, le rôle de la population agricole doit devenir aussi celui d’aménager aux citadins qui le souhaiteront, un autre cadre de vie.
Le complément de cette politique intelligente de commencement de l’économie distributive par l’agriculture serait le lancement de la monnaie verte, dont nous avons déjà parlé, et qui permettrait aux agriculteurs d’adapter la production aux besoins alimentaires réels et non plus aux seul besoins solvables, comme aujourd’hui.

La révolution de 1989 ?

Il semble que le monde rural soit en train de se révolter contre les absurdités de l’économie de marché. Ce n’est sans doute pas un hasard si j’ai reçu presque en même temps deux témoignages. Le premier est un extrait de Ouest-France du 31 mars, envoyé par un lecteur de Pont d’Ouilly. Il rend compte d’une assemblée de « l’Association des agriculteurs en difficulté d’Ille et Vilaine », tenue à Rennes « L’occasion de dresser un bilan d’une situation dramatique pour nombre de paysans... qui constatent que leurs droits fondamentaux sont trop souvent sacrifiés au profit d’un productivisme et d’une restructuration qui leur échappent  ».. Ils sont « déterminés à s’unir pour faire face à la faillite de leurs exploitations et à la perte de leur statut »... « On estime le nombre d’agriculteurs au bord de la faillite à 1700 en Ille-et-Vilaine et à plus de 4000 dans les Côtes-duNord »...- La création des commissions Nallet a déçu bien des espérances » chez ces « laissés pour compte d’une agriculture compétitive » . Sous le titre « stopper le gâchis humain », les auteurs décrivent le harcèlement des huissiers, les saisies de biens personnels qui sont le lot quotidien de ces paysans - en difficulté, d’autant qu’avec le système des cautions une faillite peut en entrainer quatre autres. Et ils concluent « Tout ceci risque d’entraîner l’abandon des campagnes, un véritable »génocide culturel »... « L’Assemblée appelle ses membres à résister face à ce qu’ils considèrent comme une violation de leurs droits. »
L’autre témoignage m’arrive de l’autre bout de la France : la région du Rhône. Le groupe « Objections en monde rural » publie une circulaire dans laquelle on lit : « Les pénalités pour dépassement de quotas laitiers sont appliquées inégalement, frappant parfois durement les petits producteurs .. Ici des parcelles libérées sont attribuées aux exploitations les plus grandes, là des terres restent en friche. Les trois quarts des exploitants âgés ne peuvent plus payer leurs cotisations sociales et les allocations familiales sont retirées à leurs enfants. L’obligation de compétitivité amène les entreprises à prendre des mesures contraires à l’esprit de solidarité.. Il est vrai qu’avec les excédents et la concentration de la grande distribution, les prix des produits agricoles et alimentaires sont écrasés. Celà répercute dans toute la chaine, jusqu’au producteur, les exigences d’une efficacité économique sans merci. Les producteurs des zones les mieux placées supplantent ceux des zones difficiles.. De tels mécanismes risquent d’aboutir à la destruction du milieu rural... Et la nature ne deviendra-t-elle pas inhospitalière à tous nos concitoyens par pollution d’un côté et par abandon de l’autre ? »

Cette circulaire venant d’un groupe d’agriculteurs chrétiens de l’Ain, de la Loire et du Rhône ajoute qu’à ce constat fait suite une prise de position : « Devant de telle situations, de telles attitudes, nous ne pouvons pas prendre notre parti, en tant que chrétiens, de l’élimination de ceux qui ne satisfont pas aux normes actuelles de la rationalité économique. L’exclusion n’est pas une fatalité. Elle est le fruit de choix politiques pris la plupart du temps au nom d’exigences économiques et financières à court terme. Les responsables politiques et professionnels en mesurent-ils les conséquences humaines et sociales ? »

Et le groupe cité conclut par un appel aux responsables professionnels à « concevoir l’efficacité économique comme un moyen au service des hommes et non comme une finalité qui les élimine. »
En cette période où on parle tant de ta révolution de 1789, le monde rural serait-il prêt à exiger son droit à l’instauration de l’économie distributive, l’économie mise au service des hommes et non plus l’inverse ? Est-il prêt à prendre la responsabilité écologique du territoire, à s’engager à produire selon les besoins tout en entretenant la terre, contre un revenu assuré ?

^


Qui est responsable : le système ou la nature humaine ?

par A. PRIME
mai 1989

Début avril, aux informations sur TF1, on pouvait entendre :

 » L’Unicef lance un appel pour l’enfance en péril : aux Indes, 45 millions d’enfants de 14/15 ans, voire moins, travaillent 14 à 16 heures par jour ; dans le monde, 40.000 enfants meurent chaque jour de malnutrition.

 » Dans la cadre du scandale boursier de la société Recruit, au Japon, où trois ministres ont déjà où démissionner pour corruption, et où dix patrons sont en prison, le Premier ministre est à son tour éclaboussé et l’opposition réclame sa démission.

 » En Afrique du sud, un jeune homme blanc qui refusait de faire son service militaire pour montrer sa désapprobation de l’Apartheid et
des méthodes policières brutales à l’encontre des noirs, est condamné à 6 ans de prison ferme.

 » Il est maintenant certain que le capitaine du pétrolier qui transportait le pétrole de l’Alaska et traversait une zone dangereuse était ivre et reposait dans sa cabine au moment du drame. En outre, on découvre que par économie. on avait changé le radar de guidage et qu’il ne couvrait plus la totalité du parcours.

Voilà ce qu’on pouvait entendre, entre autres "joyeusetés" en quelque 20 minutes. Toutes ces informations ont un dénominateur commun : le profit, l’argent. Elles dénoncent à l’évidence les beautés du système capitaliste, du libéralisme (mot volé au mot "liberté" pour mieux tromper les gogos) qui consacre l’exploitation de l’homme par l’homme. Cela ne nous surprend pas.

¤

Mais, de "l’autre côté", ce n’est pas très brillant. Alors, est-ce le système, là aussi, qui est en cause ou la nature humaine ? Quelques exemples au hasard.
Je voyageais récemment en Algérie. Mon jugement ne porte que sur un seul hôtel, car le reste du temps s’est déroulé en nuits à la belle étoile dans le Hoggar-Tassili.

Nous avons été transférés pour une nuit, près de l’aéroport d’Alger, dans un bel hôtel : superbe hall d’accueil, restaurant de classe. Mais les chambres !!! Sur six occupées par le groupe, quatre avaient des toilettes inutilisables : l’eau coulait sans arrêt, sans être retenue dans la chasse ; les douches étaient dans un état similaire, les draps n’avaient pas été changés...

J’ai parlé au directeur de l’hôtel, sans animosité, pour lui signaler ces faits, en insistant sur l’image de marque qu’en retireraient les touristes plutôt que sur les désagréments, pourtant majeurs. Je lui ai fait comprendre que j’aimais l’Algérie, que j’applaudissais à la lutte de libération menée, que c’était mon deuxième voyage et probablement pas le dernier.

Eh bien, le directeur a nié en bloc l’état des lieux que je lui signalais ce ne pouvait être qu’un cas particulier, inhabituel, alors que je lui précisais que nous étions quatre sur six dans ce cas.

Comment, dans ces conditions, peuton espérer que l’information remonte, que les choses changent ; qui, des ministres ou responsables, est au courant de cet état général dont l’exemple de l’hôtel n’est que l’image ? Cherchent-ils à savoir ? Préfèrent-ils pouvoir continuer à claironner que tout va pour le mieux dans les pays socialistes ou socialisants, dans les pays où prédominent l’Etat ou le Parti ; où l’économie est planifiée et où tout le monde est plus ou moins « fonctionnaire » ?

Autre exemple : après plusieurs années déjà de pérestroïka et de glasnost, Gorbatchev tape du poing pour dénoncer « la situation catastrophique  » (sic) de l’agriculture. L’inertie « fonctionnaire » est telle que, si les choses bougent dans la philosophie du nouveau leader, rien de concret n’apparait vraiment : les magasins d’alimentation sont toujours, notamment dans les villes, aussi mal approvisionnés et les queues interminables.

Nous le regrettons doublement, car, que nous reste-t-il à opposer objectivement aux méfaits des pays capitalistes, où, au moins dans les « pays riches » l’abondance et la liberté (fausse à mon avis, mais apparente) semblent aller de pair ?

La glasnost (transparence) ne se résume tout de même pas à ce que j’ai - effaré je l’avoue - lu ou entendu récemment : une danseuse ou actrice russe, je ne sais plus, doit « poser » prochainement dans LUI...

Et aucun des pays socialistes n’émerge véritablement  : Pologne, Roumanie, Yougoslavie, Algérie, Vietnam (celui-ci après avoir montré un courage et une ingéniosité hors du commun en terrassant la plus forte armée du monde). Je ferai une exception -non sans réserve cependant- en ce qui concerne la Chine : éduquer, nourrir, loger une population qui a plus que doublé en trente ans (douze à quinze fois la population de la France en plus), c’est un exploit incontestable.

¤

Alors qui est responsable : l’homme ou le système  ?
« Le socialisme est mort », s’écriait Philippe Séguin au congrès exceptionnel du RPR. Seul le libéralisme aurait fait ses preuves. Tous les pays capitalistes privatisent depuis l’ère Reagan : Angleterre, France, R.F.A., Japon, Pays-Bas, Danemark, etc...

Le seul appétit du gain, l’espoir de devenir un Bernard Tapie, ou une vedette de la chanson, du foot, du cinéma... pour gagner beaucoup d’argent, est-il le seul mobile capable de donner du punch, de la combativité ? La fonctionnarisation, même au sens noble de l’économie, est-elle un obstacle rédhibitoire à son développement, à la marche vers le progrès et l’abondance ?
Question angoissante au vu du double échec des systèmes capitaliste et socialiste.

Un distributiste ne peut se résigner à une telle vision du monde à l’heure actuelle, même si le soleil qui s’était levé à l’Est en 1917 a bien pâli après avoir brillé pour des générations d’exploités, de laissés pour compte.

Marie-Louise Duboin, dans son livre « Les affranchis de l’an 2000 » décrit une société conviviale, humaniste, dans laquelle s’élaborent de la base au sommet une économie et une société où l’Homme s’épanouit dans l’action pour le bien commun, sans être mû par le profit personnel.

Un rêve, une utopie ? Non. Mais que de chemin à parcourir ! Tout, ou presque, reste à faire.

^


Un cas qui fait réfléchir

par M.-L. DUBOIN, L. LE METER
mai 1989

(1)

Une immense tristesse

En arrivant en 1973 sur la ferme de Francquemont, à trois kilomètres de Saint-Péran en Ille-et-Vilaine, Annick et Jules Marot ont retroussé leurs manches. Ils avaient dù quitter une toute petite exploitation du côté de Ploërmel dans la Morbihan. Elle venait de se faire « bouffer » par la quatre-voies.
A Francquemont, il fallait défricher. Mais au bout du compte, ça donnait une ferme de 43 hectares : de quoi vivre avec les cinq enfants. Annick et Jules avaient été encouragés. Ils avaient la réputation d’être courageux. Pas de problème pour acheter la ferme à 320.000F, ni pour acheter le cheptel. Les prêts du Crédit Agricole sont bien tombés.

Le malheur est entré dans la cour

Mais, dans la vie d Annick et de Jules, le malheur a commencé lorsque neuf des vaches sont entrées dans la cour de la ferme de Francquemont en 1975. Les bêtes étaient brucelliques. Quelque temps après, il a fallu vendre tout le cheptel laitier. Et repartir. La sécheresse de 1976 n’arrange rien.
Annick et Jules ne s’en sortent plus. Ils n’arrivent pas à faire face à leurs échéances. Les pressions commencent. En 1978, ils se résignent à vendre la ferme. Commence alors l’alchimie pernicieuse de la liquidation achetée 320.000 F la ferme est revendue 500.000 F En cinq ans, elle a pris 180.000 F car les Marot l’ont défrichée et bien travaillée. lis ont déjà remboursé 10.000 F lis n’ont plus que leurs yeux pour pleurer.

Les abaisseurs de têtes

« Ces gens-là, c’est des abaisseurs de têtes, ni plus ni moins- dit Jules. Il ajoute « Quand une chose comme ça arrive à un gars,il devient honteux. Tu le retrouves rabaissé au ras. Tu n’oses pas te montrer. » Mais avec Annick, ils ont quand même relevé la tête. Ils ont fait un procès « parce qu’il y avait des choses pas claires dans les comptes du Crédit Agricole » . Pourquoi par exemple la banque a-t-elle compté des intérêts pour la construction d’un hangar, qui a été bâti bien avant l’arrivée des Marot ?
Le tribunal note au passage « qu’il est quasiment impossible d’apurer les comptes par la faute du Crédit Agricole, puisque les relevés de compte ne portent aucune référence de remboursements de prêts ».

« Ça use »

Mais la procédure est longue, si longue. « Ca use. Les ennuis ça use. Et pas que nous. Nos enfants et nos parents aussi. », soupire Annick.
« Heureusement, des gens nous font confiance. Ce qui prouve qu’on n’est pas malhonnêtes. »
C’est ce qui donne à Annick et Jules la force de se battre. « Oh, vous savez, dit Annick, il y en a qui sont pire que nous. Nos grands enfants nous aident, et nous venons d’avoir le revenu minimum. (RMI)  ». Mais Jules Marot s’inquiète : « Est-ce que c’est normal de demander ça à des enfants ? Si on ne nous avait pas trompés, on vivrait bien sur notre ferme. » En tripotant les papiers -« toute cette paperasserie » - Jules dit avec conviction : « J’ai confiance dans la justice ».

Louis LE METER

(2)

Une prise de responsabilité

En économie distributive, le sort d’Annick et Jules aurait été bien différent.
D’abord, ils n’auraient pas eu à s’adresser à une banque pour « acheter » la ferme de Francquemont, mais à la commune de Saint-Péran. Et ils n’auraient pas eu à apporter un capital, ici le reste de leur expropriation de Ploërmel, pour obtenir un prêt, c’est plutôt leur savoirfaire et leur courage dont la commune aurait demandé la preuve.

Enfin leur prise en charge de la ferme n’aurait pas été faite contre l’engagement de verser des intérêts au Crédit Agricole.

Leur contrat aurait été différent : contre l’assurance , par la commune, de leur verser régulièrement un revenu décent, à vie ; ils se seraient engagés à défricher la ferme, puis à la faire produire en fonction des besoins, tout en prenant la responsabilité de l’environnement, en l’occurence une partie du territoire de Saint-Péran. Ils auraient pu être amenés, ultérieurement, à aménager dans leur ferme un lieu de séjour pour des citadins, avec des moyens que la commune, évidemment, leur aurait alors fournis dans ce but.

En cas de malheur

C’est l’épidémie de brucellose qui, dans le contexte actuel, a été fatale à l’entreprise Marot. Ils auraient pu s’assurer, se mettre à l’abri du risque contre paiement de primes à une compagnie d’assurances. S’ils ne l’ont pas fait, c’est probablement à cause du coût de ces primes.

En économie distributive, pas d’assurances privées, permettant à ceux qui ont les moyens de payer d’être insouciant, de se conduire en irresponsables. C’est encore la commune qui assure, collectivement, mutuellement, ses citoyens. Elle serait donc intervenue pour déterminer si les agriculteurs avaient ou non commis une faute professionnelle, par exemple en ne prenant pas les mesures préventives nécessaires et dont ils auraient été informés.

S’ils sont reconnus coupables, une sanction s’impose  : il faut que l’expérience leur apprenne à prendre leurs responsabilités. Mais pas une sanction financière, pas cette faillite qui porte préjudice à leurs enfants, à toute leur famille. Une sanction professionnelle, à la mesure de la faute : « Vous avez fait preuve d’incapacité, manqué de ce fait à votre contrat, la commune vous retire non pas vos revenus, mais la responsabilité qui vous avait été confiée : au moins provisoirement, vous travaillerez sous les ordres d’un tel, un voisin par exemple, comme ouvriers agricoles. »

Jules et Annick parlent de leur réputation. C’est une chose importante dans une commune rurale où les gens se connaissent, parce qu’ils se voient mutuellement à l’oeuvre. La commune, c’est à dire, finalement les voisins, sauront bien voir si le courage que Jules et Annick avaient toujours montré est la preuve que la mort de leurs vaches était un accident et non le fait de leur incapacité définitive.

***

Il faut continuer l’enquête

Le travail des Marot pour mettre leur ferme en état leur a rapporté 180.000 F en cinq ans. Cela fait un salaire mensuel de 1.500 F. pour chacun d’eux... Combien leur travail a-t-il rapporté au Crédit Agricole ? Les enquêteurs de Ouest-France sont-ils en mesure de le déterminer ?
D’autre part nous savons que la Communauté européenne va dépenser en 1989 plus de 30 milliards d’écus, soit de l’ordre de 210 milliards de Francs pour soutenir le marché agricole. On pourrait diviser ce chiffre par le nombre d’agriculteurs pour avoir une moyenne, mais celà n’a pas beaucoup de sens, étant donnée la disparité de ces allocations. Serait-il possible de déterminer les sommes dépensées, tant par la Communauté européenne que par le gouvernement Français, sous forme d’allocations, subventions, primes et assurances sociales diverses, et correspondant aux seuls agriculteurs de Saint-Péran ?
Enfin, troisième complément d’enquête : quelle aurait été la réponse d’Annick et Jules Marot s’il leur avait été offert un « contrat distributrif »  : le versement assuré de revenus réguliers, à vie, pour chacun d’eux, contre la responsabilité de l’entretien de leur ferme ? A combien estiment-ils que devrait s’élever le revenu ainsi assuré pour que celà, à leurs yeux, vaille la peine qu’ils acceptent pareil engagement ? Sont-ils prêts, eux-mêmes et les autres cultivateurs de Saint-Péran , à assurer la gestion de leur commune sur cette base de co-responsabilité ? Les mêmes questions évidemment sont posées aux agriculteurs de la région du Rhône qui signent l’article intitulé « Des mouvements dans le paysage agricole » dans la circulaire du groupe DES OBJECTIONS EN MONDE RURAL, N°73, de Janvier-Mars 1989.

^


Lu, Vu, Entendu

mai 1989

A la suite de la réunion de La Haye, les représentants, au plus haut niveau, de plusieurs contrées ont signé un appel sous le titre : « Notre pays c’est la planète » et en tête la phrase suivante : « Créer une autorité mondiale dotée de pouvoirs de décision et d’exécution pour sauver l’atmosphère, c’est à cela qu’ont appelé 24 pays prêts à déléguer une parcelle de leur souveraineté nationale pour le bien commun de l’humanité toute entière ». Cet appel est publié par tous les grands journaux des nations signataires.

Les mondialistes dont beaucoup, nous le savons, lisent la Grande Relève, se réjouiront de trouver dans cette déclaration non seulement l’essentiel de leur thèse, mais formulée dans les termes mêmes qu’ils emploient. Ainsi le titre à rapprocher de celui de l’ouvrage autobiographique de Garry Davis : « My country is the world » et cette phrase du texte : « ...Comme le problème est planétaire, sa solution ne peut être conçue qu’au niveau mondial » . Ce n’est pas par hasard. Nous, mondialistes, sommes bien à l’origine de cet évènement.

Il ne s’agit évidemment pour l’instant que de la protection du climat du globe, mais tous les espoirs sont désormais permis, car beaucoup d’autres problèmes se posent à l’humanité toute entière : la paix et le désarmement, l’alimentation, l’information, etc...

Les esprits chagrins diront qu’il s’agit de démagogie à l’approche des élections européennes. Outre le fait que l’Australie, le Brésil, le Canada, l’Egypte, l’Inde, le Japon, la Hongrie, le Sénégal notamment sont signataires aux côtés de la plupart des pays européens, la Grande-Bretagne exceptée, il est bon de remarquer que si les politiciens prennent ainsi position, c’est qu’ils comptent en retirer les fruits, et donc qu’il y a une demande importante des populations. Il est vrai aussi que les deux grands sont absents de la liste.

Néanmoins voilà bien une étape, mais une étape majeure vers l’installation d’autorités mondiales d’arbitrage seules capables de contribuer à résoudre les immenses difficultés de notre temps. Avec nos amis mondialistes, nous en sommes heureux.

Malgré les sarcasmes ou le silence méprisant de certains médias, abondancistes et mondialistes trouveront là un nouvel encouragement afin de poursuivre notre lutte pour la survie et le progrès.

R.M.

***

Le rôle de la Banque Mondiale

L’Etat Indonésien vient de terminer un barrage hydroélectrique dans l’île de Java, sur le fleuve Ombo. Les paysans refusent d’être transplantés de manière autoritaire et demandent à faire valoir leurs droits par un accord négocié. Le conflit dure depuis plusieurs années et depuis l’ouverture des vannes, le 16 janvier dernier, ces paysans résistent en vivant sur des radeaux.
Le Réseau-Solidarité, 5, rue F. Bizette, 35000 Rennes, demande d’envoyer un aérogramme (4,2 F dans tout bureau de poste) au Président de la Banque Mondiale : (adresse Mr. B.B. Conable -President- The World Bank -1818, H Street- Washington D.C.-20433 Etats-Unis) qui finance ce barrage à 75% et « peut par conséquent jouer un rôle déterminant pour que soient convenablement réinstallées et indemnisées les populations expropriées ».
Un test à suivre... le Réseau-Solidarité sera en mesure de dire si le souci de la Banque Mondiale est aveuglément d’aider les Etats ou si elle songe aussi aux retombées sur les peuples....

(transmis par E. B., Paris)

***

Partage et le R.M.I.

« Partage, mensuel d"information sur le chômage et l’emploi » publie dans son numéro de mars 1989 un dossier centré sur le R.M.I.
Dans son article intitulé « A propos du changement » Henri Guitton, de l’Institut, que nous avons souvent cité, précise qu’au delà d’une modification « ...j’ai parlé d’une mutation profonde qui allait vraisemblablement se produire avec l’entrée dans l’ère nucléaire, et pour l’économie, avec la disparition du plein emploi. C’est pour sauver la civilisation en péril et pour être pleinement soimême qu’il faut accepter et préparer la mutation.. ».
« Partage » reproduit des passages du livre d’Alain Lipietz « La croisée des chemins, une alternative pour le 21e siècle  ». Sous le titre « Les impasses du libéral-productivisme  » cet économiste repousse le culte de l’entreprise, l’individualisme, la société à deux vitesses et le retour à l’instabilité économique.

^


Vivre et mourir en Economie distributive

par R. MARLIN
mai 1989

Puisque lors de conversations privées ou de réunions publiques, nos interlocuteurs nous demandent souvent comment les gros achats : véhicules, habitations, etc... et les successions se dérouleraient en économie distributive, pourquoi ne pas évoquer ces questions ?

Prévisions

Tout d’abord le cadre de cet article et même celui du journal ne sont pas suffisants, bien entendu, pour traiter au fond de tous les aspects de ce sujet. Nous nous bornerons donc ici à tracer quelques lignes générales renvoyant le lecteur aux ouvrages de Jacques Duboin et aux « Affranchis de l’an 2000 » qui lui en apprendront beaucoup plus sur nos conceptions.

Restons également circonspects dans nos projections vers l’avenir. Trop de « futurologues » se déconsidèrent. Nous ignorons quand et où, mais surtout dans quel contexte socio-économique le nouveau système finira par s’imposer. Au risque de choquer les inconditionnels, reconnaissons même que la puissance et l’extraordinaire vitalité du régime capitaliste laissent peu de pouvoir de persuasion à ceux qui, en stigmatisent les tares et surtout à ceux qui proposent les moyens d’en changer et de construire d’autres institutions mieux adaptées. Nous avons conscience d’être à contre-courant de la pensée économique dominante actuelle.
Demeurons lucides. L’économie distributive ne se réalisera ni ce mois-ci, ni l’année prochaine, et surtout pas du jour au lendemain. Nous ne savons pas dans quelles circonstances. Comment alors décrire dans tous leurs détails les modalités à envisager ? L’exemple du demisiècle passé où les projets « distributistes » passèrent du dirigisme d’Elysée Reybaud par exemple (1) à l’autogestion de Marie-Louise Duboin nous conduit à cette prudence que d’aucuns trouveront excessive.

Remarquons toutefois que l’essentiel de nos thèmes résiste fort bien à l’épreuve du temps puisqu’elles demeurent compatibles avec les nouvelles idées sur la vie publique. Nos principes de base pourraient également recevoir leur application aussi bien dans une organisation fédéraliste et coopérativiste soutenue par exemple par Pierre Herdner que dans une structure fédéraliste proud’honnienne envisagée par Alexandre Marc, en fait dans toute société socialiste. Le socialisme étant caractérisé par la propriété collective, mais pas étatique, des moyens de production, de recherche et d’information de masse.

Principes et moyens

Notre idée fondamentale réside surement dans la nécessaire adéquation entre les productions possibles de toutes natures et les revenus disponibles permettant à tous de les acquérir. De là résulte la trilogie distributive  : monnaie, service social, revenu social qui caractérise notre thèse.

Il ne fait aucun doute que, dans la phase ultime, l’égalité économique devra être instaurée. C’est le principe de l’égalité de 1789 élargi au domaine de l’économie. Cet idéal étant fixé ne devra jamais être perdu de vue. Mais si, dans les périodes transitoires, il s’avère nécessaire de prévoir des revenus différenciés ou hiérarchisés en fonction du travail fourni et des services rendus, je ne pense pas que ces distorsions provisoires puissent être refusées systématiquement. Là comme dans d’autres domaines de notre cheminement vers l’économie des besoins, distinguons toujours les étapes nécessaires et le but final vers lequel il convient de tendre.
Toutes les décisions à prendre seront évidemment placées sous le signe de la démocratie. Pour cela, il convient de présenter des conceptions audacieuses certes, mais pas inutilement choquantes puisque destinées à satisfaire la plus grande majorité. Aucune progression ne saurait être prévue qui ne soit à tout moment acceptée et même désirée par les citoyens concernés. C’est l’ignorance ou l’abandon de ce précepte qui a conduit aux pires excès sanglants des révolutions françaises et soviétiques. Plutôt renoncer à une réforme que la réaliser sous la contrainte ou la répression. Méfiance envers les prophètes du chambardement dans l’enthousiasme des réunions groupusculaires.
L’intransigeance est peut-être plus satisfaisante pour certains esprits dont le souci principal est de briller en bouleversant et en étonnant.. Les grands idéaux sont certainement plus mobilisateurs et plus grandiloquents mais souplesse, réalisme et pragmatisme permettent de progresser autant et sans dégâts.

Ces précautions établies, ces principes choisis, ces moyens définis, essayons de les appliquer à quelques opérations courantes de la vie pratique dans le nouveau système.

Et d’abord, demandons-nous si la propriété individuelle devra subsister, pour répondre : oui, encore longtemps. Dans les grandes entreprises, ce sera la direction collégiale que nous avons déjà définie. Pour les autres moyennes et petites, l’autogestion ou la coopération, la participation et la communication seront de règle. Mais la propriété ou la copropriété de la maison ou de l’appartement individuel et familial resteront possibles pour qui continuera à le désirer.

Gros achats

Le revenu social maximal permettra d’y pourvoir. Comme la monnaie distributive s’annule au premier transfert, elle ne donne pas lieu au prêt à intérêts. Elle permet néanmoins toutes les formules possibles et très diverses d’achats ou de locations. Etant entendu que seules les collectivités autogérées pourront donner à louer. Sinon achats échelonnés, locations-ventes, leasings, etc... resteront accessibles, au moins en

période transitoire, pour ce qui concerne les biens propres : habitation principale et son équipement, mobilier, vêtements, outillage personnel, véhicules divers, etc...
Des idées nouvelles telles que location par paiement sur le prix du carburant, mise à disposition gratuite de véhicules par les collectivités territoriales ou les entreprises avec gestion par ordinateur et minitel, prêt gratuit d’outillage, etc... pourront être essayés.

La marche vers l’égalité économique devrait conduire à privilégier d’abord les formules de gratuité, ensuite celles de location, sur la propriété individuelle qui ne serait qu’une subsistance du régime actuel appelée à se réduire progressivement.

Tout cela reste en accord avec le système général de production et de fixation du niveau de revenu qui en est la conséquence. L’exercice « budgétaire » pourrait être d’une durée à étudier en fonction des impératifs des entreprises agricoles et industrielles. En vue de faciliter une prévision moins contraignante qu’actuellement, il serait porté à deux ou trois ans par exemple, ce qui entrainerait à fixer la fin de validité de la monnaie à la même période. Les gros achats nécessiteront le report des sommes correspondantes sur deux ou plusieurs budgets. Le plan de production devra évidemment en tenir compte. La préférence pour la gratuité et la location devra être rapidement effective afin d’éviter cette entorse au principe d’extinction de la monnaie en fin d’exercice.
Une autre solution plus novatrice pourrait consister en. un plan « glissant  » combiné avec une monnaie qui ne s’éteindrait qu’à l’achat, mais ne serait pas limitée dans sa durée. C’est un dispositif qui, en ce qui concerne la production, est déjà utilisé dans certaines entreprises.

En économie distributive, il faudrait apprécier si la tendance à économiser, devenue pourtant inutile ne serait pas favorisée, entrainant des difficultés d’adaptation de l’appareil productif.

Ainsi qu’il est indiqué dans les documents cités, les prix seront formés suivant trois éléments : 1. le coût de la matière première, 2. celui de l’énergie et de la main-d’oeuvre employées pour la fabrication, 3. un coefficient de rareté sur les achats ou services non encore abondants. La diversité extraordinaire des besoins et des désirs de chacun pourra donc s’exercer sur le choix d’une automobile, d’un appartement ou d’une maison dans la seule limite des possibilités écologiques et physiques de la production d’ensemble. Les résidences de prestige, les propriétés immenses et les châteaux dont le coût excèderait le revenu de leurs détenteurs actuels devront être partagés. Il en est d’ailleurs déjà ainsi car ,la plupart de ces habitations trop onéreuses à la succession et à l’entretien doivent être le plus souvent vendues. Elles seront cédées comme à présent à des collectivités ou transformées en centres de réunions et de séminaires ou bien encore tomberont entre les mains de l’état et des provinces en ce qui concerne les demeures à caractère historique. Cette tendance ne pourrait de toutes façons que s’accentuer ; l’égalité y trouvera son compte. Les héritages faciliteront l’évolution.

Héritages

Lors d’un décès, les héritiers, en particulier les enfants, entreront en possession des biens meubles personnels du défunt. Ils auront une priorité sur sa résidence. S’ils désirent l’occuper, ils devront, soit la louer, soit la racheter à la collectivité ainsi qu’ils feraient pour une autre habitation. De cette façon, les profondes inégalités résultant actuellement des situations acquises et des transmissions familiales prendront fin. Il ne sera d’ailleurs plus nécessaire d’assurer une succession en faveur de ses enfants puisque ceux-ci, depuis la naissance, seront crédités de leur revenu social personnel qui permettra de vivre largement et confortablement. S’il n’y a pas d’héritiers en ligne directe, la priorité se transformera en simple option en faveur des parents proches qui devront eux aussi acheter, s’ils le désirent.
Ainsi qu’il est expliqué plus haut, les entreprises de fabrication ou de distribution seront gérées au niveau de la collectivité nationale ou territoriale intéressée, éventuellement sous une forme coopérative ou en tous cas en autogestion.
La propriété privée étant exclue de ce domaine, la question de l’héritage ne se posera pas... et un fils incompétent ne pourra pas succéder à un père doué sous le prétexte de la filiation naturelle.

Certains lecteurs estimeront que les dispositions décrites dans cet article sont utopiques ou trop progressistes, d’autres les trouveront trop prudentes et timorées. C’est avec la conviction que de la confrontation des avis résulte le progrès de la pensée que nous recevrons et éventuellement publierons leurs réflexions notamment sur les sujets abordés ici. Nous pensons que les positions prises sont équilibrées, nécessaires pour permettre l’adaptation du système économique aux progrès techniques, mais pas inutilement démagogiques et provocatrices. C’est au lecteur d’en juger. Nous y reviendrons s’il le souhaite et ainsi un dialogue fécond pourrait s’engager...

(1) « L’économie qu’il nous faut » (1946)

^


Au cours d’une "Table ronde" sur le Revenu Minimum d’insertion présidée par M. Bélorgey, député socialiste de l’Allier, rapporteur du projet de loi sur le R.M.I. à l’Assemblée Nationale, Pierre Vinot, animateur du Centre d’Etudes de la Socio-économie et ancien membre du Conseil Economique et Social a demandé :

« Existe-t-il une raison d’ordre supérieur -et qu’on nous ait tue jusqu’ici...- une raison dont quelque secte d’économistes détiendrait le redoutable secret, mais qu’elle se refuserait à nous communiquer, une raison de priver les populations (et singulièrement les catégories les moins favorisées) des moyens de consommer ce qu’on a les moyens de produire ? Si une telle raison existe, qu’on nous la dise. Elle ne doit pas être couverte par quelque « confidentiel-défense ».

Et si elle n’existe pas, ou si elle s’avère inconsistante - alors qu’on cesse enfin de pratiquer des politiques aussi anachroniques et aussi dénuées de réalisme ».

Voici le problème bien posé. Donnons la parole à P. Vinot :

Après le R.M.I.

La vraie question du minimum social
par P. VINOT
mai 1989

Les conditions dans lesquelles a été conçu le projet de loi intitulé R.M.I., puis dans lesquelles il a donné lieu à une « discussion » parlementaire et a été finalement adopté, ont mis en évidence le niveau déplorablement bas de l’information et de la réflexion des divers milieux politiques, tant du pouvoir que des oppositions. Ceci sur les problèmes de la pauvreté -« grande » et moins grande..- mais aussi conjointement sur ceux du chômage, de ses causes et des moyens de le faire reculer, autrement que par des moyens artificiels.
En ce qui concerne ce dernier, il est évident que la question n’est pas, ainsi qu’on l’entend répéter mécaniquement, de « créer » des emplois - sans se demander pomment s’écoulera la production qu’ils entraineront. Elle est d’assurer des demandes, jusque là rendues défaillantes, alors que ce sont elles qui doivent susciter tout naturellement des emplois, s’étendant en cascade aux divers compartiments de la production.
Bien entendu, on a lieu de se réjouir de tous les cas où cette loi, malgré ses défauts, pourra apporter un dépannage et un soulagement. Mais cela ne peut dispenser de se poser un certain nombre de questions.

Quelques questions

1° Que signifient des conditions de réinsertion dans le travail imposées à des « bénéficiaires » dont beaucoup -et on ne l’ignore pas- sont horsd’état de prendre un tel engagement, et de le tenir. A moins que les conditions ne soient de pure forme, avant d’octroyer tout de même une maigre ressource qui dans maints cas devrait être assurée de plein droit, et sans conditions.
2° En supposant que cette réinsertion dans la production soit effective, que pense-t-on faire des « valeurs ajoutées » supplémentaires résultant du travail des « réinsérés », alors qu’on ne sait déjà pas comment écouler la production obtenue par ceux des travailleurs qui ont conservé leur emploi ?
3° La formation professionnelle procurée à une partie des réinsérables suffira-t-elle à assurer à ceux qui l’auront acquise une occasion de la pratiquer, alors qu’il y a déjà tant de travailleurs qualifiés et expérimentés qui se morfondent à l’ANPE ? Se propose-t-on de grossir, à grands frais et avec beaucoup de formalités, le nombre des chômeurs qualifiés ? Ainsi ne peut-on voir dans ces dispositions une ébauche et une préfiguration de ce qui doit être fait pour recycler vraiment les « exclus » et les oubliés -alors que la quantité de ceux-ci dépasse de si loin les chiffres mis en avant à propos du R.M.I., et auxquels on entend se limiter,- simplement en fixant des plafonds de ressources hors de mesure avec le coût réel d’une subsistance normale.

Une responsabilité pour ceux qui ont réfléchi au problème.

C’est pourquoi ceux qui n’ont pas attendu un rapport - fort utile - du Conseil Economique et Social pour prêter attention à cette situation, et pour réfléchir aux solutions qu’elle appelle , ont maintenant la responsabilité de saisir l’opinion - trop incités à croire que la question serait résolue par cette loi - et d ’inviter ceux qui ont des responsabilités, aux différents niveaux de l’Etat, et tous ceux qui sont appelés à concourir à la mise en application de la loi, à prendre conscience du véritable caractère du problème. Il est grand temps de penser - au-delà de ces mesures de circonstances - aux dispositions générales qui doivent être élaborées, et mises en vigueur, de façon systématique, pour s’attaquer à la fois à la sous-consommation des uns et à la privation de travail des autres.

L’absurdité qui doit prendre fin

Il est absurde de se proposer d’un côté d’opérer à grand peine quelques réinsertions dans un travail dont on n’a pas assuré l’utilité, - et en même, temps, de maintenir en fonctionnement (et il n’y a guère que cela qui marche sans à-coup) - la machine à fabriquer constamment de « nouveaux pauvres ». Car on ne peut interpréter autrement le dispositif de formation du pouvoir d’achat, tel qu’il est organisé depuis trop d’années, et qui a pour caractéristique de perpétuer une inégalité fondamentale entre les Français devant le droit au minimum social . Il y a ceux qui, - pendant la période de leur vie où ils sont « travailleurs » (mais pour la durée de celle-là seulement) -ont droit à un minimum social qu’on s’accorde à proclamer incompressible. Et puis il y a tous les autres - et ce sont les mêmes au cours du reste de leur existence, pendant qu’ils sont encore trop jeunes ou déjà trop âgés pour produire - avec lesquels on s’ingénie à prouver que ce minimum est décidément très compressible, puisqu’on leur octroie, selon les catégories, la moitié, le tiers ou le quart, ou moins encore.
Or ces « autres », ils forment plus de 60% de la population totale : deux consommateurs sur trois - deux qui voudraient bien l’être , et dont tout le monde a intérêt à ce qu’ils le soient et dont on assure - dans les « Déclarations »... -qu’ils sont égaux devant la loi. Egalité dont on ne s’aperçoit guère lorsqu’on voit les barèmes du R.M.I., - et plus largement ceux des allocations familiales ou du « minimum » - combien minimum... vieillesse. Ceux qui ont administrativement mission, dans leurs bureaux bien chauffés, de fixer de tels chiffres, ont-ils une idée de ce qu’il en coûte de chausser des enfants, et de vêtir des adolescents ?
Ce dont il s’agit n’est plus de légiférer dans l’univers mental fictif des technocrates. Il importe de se placer devant les réalités du coût de la vie, tel qu’il est pour les uns comme pour les autres - et de prendre enfin conscience de ce que sont les niveaux de vie effectifs auxquels correspondent les chiffres officiels en vigueur. Et d’établir enfin une juste proportion entre le minimum social des uns et celui des autres. De ceux qui sont, selon une expression qui figurait dans le rapport Rueff de 1958, « les plus proches du minimum vital ».

Les limites du « possible »

On ne manquera pas de demander si c’est possible. C’est -on l’imagine bien- une préoccupation que nous partageons. Et nous ne serions pas fâchés qu’on se décide enfin à placer la question sur ce terrain. Car de Quelle possiblité s’agit-il ? La France a-t-elle, ou n’a-t-elle pas, la possibilité physique de nourrir ses 55 millions d’habitants ? Qu’on interroge à cet égard les dirigeants de l’agriculture. Et si l’on en doutait, il serait alors grand temps de se demander si le plus urgent est de proclamer « irrévocable » la décision de Bruxelles de celer des milliers d’hectares de bonnes terres arables. La France a-t-elle les moyens de construire de quoi loger convenablement toute sa population ? Si on en doute, qu’on se demande pourquoi elle aura traîné tant de chômeurs dans le bâtiment.

Si les économistes ne voient pas les moyens -financiers...- de réaliser effectivement ce qui est physiquement possible, c’est alors que la question les dépasse. Et elle dépasse effectivement une « science économique » qui en est encore aux conceptions du 19ème siècle , ou aux théories - pas si « générales » que cela... des années 35, ou même 50, pour faire face aux capacités de production permises par les procédés et les équipements des années 90. A « l’économie », on a trouvé indispensable d’ajouter le recours à un traitement « social » du chômage. Tiens, tiens... Mais la vraie solution ne peut être dégagée en continuant à compartimenter dans la pensée « l’économique » et le « social » alors qu’en fait on ne peut les dissocier dans les réalités.

C’est ce caractère unitaire de phénomènes entre lesquels on découvre des « interférences multiples  » qu’il est nécessaire de reconnaitre. Comme les physiciens ont dû le faire il y a plus d’un siècle en découvrant l’unité de la thermodynamique. Ce qui a rendu possible tant de progrès.

Et c’est ce qu’il faut faire devant les problèmes conjoints et indissociables du chômage et de la pauvreté. Même si l’on devait pour celà (ce ne serait jamais qu’une fois de plus) changer la dénomination des Facultés de « Sciences économiques ».

^


Réflexions du désespoir

par R. CARPENTIER
mai 1989

On crie « au scandale » dès qu’une oeuvre d’art est volée, disparait ou est démolie ; on restaure les vieilles pierres, les cathédrales, les fortifications, les pyramides, tombeaux, monuments historiques ; on protège et garde jalousement l’art sous toutes ses manifestations - et on en est fier ! - tableaux religieux et peintures militaires, sculptures, stèles, vieilles reliques et vieux drapeaux, sabres et goupillons ; on édicte même des lois préservant leur « existence »...

Mais comble de la bêtise, du non sens, de la folie et du délire, on salit les sites naturels au nom des loisirs, du tourisme ou de l’urbanisme ! On chasse et tue les animaux sauvages sur terre, dans l’air et dans l’eau, par passion de la gachette, par plaisir de tuer ; on coupe et brûle les poumons de la planète, les forêts vierges, au nom de l’élevage, des routes et du papier ; on pollue les eaux, la terre, l’air et les aliments au nom du progrès et de la science ; on ruine les consommateurs et les usagers au nom de la gloire de fusées et de satellites, que seuls les « traineurs de sabres » utiliseront ; enfin, on compromet l’équilibre naturel de tout ce qui est utile à la garantie, à la perpétuation de la nature, de l’environnement, de la vie, au nom de la rentabilité.

On regarde comme nécessaire et on se prosterne devant tout ce qui rappelle un passé de honte, de crimes, de mensonges et de haine, et on détruit tout ce qui est la raison de notre vie !
Tout celà par cupidité, par profit, par propriété, par luxe, par autorité ou domination de « l’homme sur l’homme ».

L’économie de marché a pourri les coeurs et les esprits, détruit la beauté et la vie saine, et le riche, le maitre, le P.D.G., l’actionnaire, le gouvernant, le politicien, le militaire, le religieux, le juge, le commerçant, le policier  ; tout ce qui encadre les populations et les exploite, en un mot tout ce que la société humaine et marchande comporte d’imbéciles, de soumis, de violents, de salauds et d’ignorants, en sont les conservateurs et les défenseurs !

Après des millénaires de civilisation, voilà où nous en sommes !! Il y a de quoi être dégoûté d’être un humanimal...
ou plutôt, de ne pas encore être un Homme !

^

e-mail