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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 867 - mai 1988

 

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N° 867 - mai 1988

Le nerf de la guerre !   (Afficher article seul)

Crise ou mutation   (Afficher article seul)

Avancées électorales   (Afficher article seul)

Nous sommes tous menacés   (Afficher article seul)

Travail et salariat   (Afficher article seul)

Reflexions sur la politique   (Afficher article seul)

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Éditorial

Le nerf de la guerre !

par M.-L. DUBOIN
mai 1988

Il est évidemment impossible, dans un journal mensuel de suivre l’actualité au jour le jour et nous ne pouvons donc guère commenter la campagne électorale : les propos des candidats courageux (1) qui se sont présentés sans espoir seront déjà oubliés quand sortira ce numéro, entre les deux tours !

Nous sommes tous écoeurés de voir que les candidats les plus populaires sont finalement d’accord pour mettre l’économie au service des entreprises. Pour les candidats de droite, c’est l’essentiel ; pour celui de gauche on peut, peut-être, espérer un désir un peu plus sincère d’intervention de l’Etat pour une redistribution plus juste -mais si peu- des profits.

Le candidat d’extrême-droite tient un raisonnement qui a fait ses preuves dans les années 30. Tout était alors de la faute des Juifs. Pour lui, tout est aujourd’hui de la faute des immigrés. On a vu où mènent ces analyses sommaires.

Mais les "petits candidats" n’ont guère évolué, eux non plus. Mettons à part le candidat vert qui a su dire qu’en notre époque d’abondance potentielle, c’est un revenu maximum et non minimum qu’il faudrait garantir à tous. Les autres ne rêvent que de travail. Ariette Laguiller, par exemple, dont la voix vibre d’émotion et sans artifice, quand elle parle à ses "travailleuses, travailleurs" ; reproche au patronat de moderniser les entreprises c’est-à-dire d’en réduire les effectifs pour qu’elles soient plus "rentables". Elle devrait savoir que c’est l’aboutissement logique de tous les progrès accumulés afin de soulager l’être humain de sa peine à assurer sa survie. Qu’elle réclame donc le partage des fruits de cette production robotisée et non pas du travail, lorsque celui-ci n’est plus utile !

Mais comment faire profiter tout le monde des fruits des progrès techniques ? En réduisant la main-d’oeuvre nécessaire, ceux-ci font diminuer le pouvoir d’achat distribué, alors ? Comment faire vivre ceux dont le travail n’est plus nécessaire  ? Voilà le vrai, le seul, le plus urgent problème de notre temps. Pas un seul candidat ne l’a abordé. Pourquoi ?

Parce qu’il repose sur la remise en question de la création monétaire. Et cette question parait un véritable tabou, tant aux candidats qu’à leurs électeurs. Que ceux qui profitent du pouvoir de création monétaire, que ceux qui vivent de la spéculation - qui s’est développée de façon foudroyante ces derniers temps - que tous ces parasites étouffent la question, c’est logique. Mais que l’immense majorité des gens, qui voient les prodigieuses possibilités d’abondance de notre époque, acceptent que cette abondance soit détruite, freinée, stérilisée, détournée et qu’on puisse leur présenter pareille énormité comme une nécessité économique, cela dépasse l’entendement !Comment a-t-on pu mettre dans la tête des gens que pour accéder aux fruits de la
production, il fallait absolument les échanger contre des bouts de papier qui n’ont aucune valeur mais que quelques personnes ont (pourquoi ?) le privilège exorbitant de pouvoir fabriquer... et en profiter ?

Pas un candidat à "l’autorité suprême" pour dénoncer l’absurdité là où elle est. Pas un candidat pour démythifier le culte du billet de banque qu’on croit encore "payable au porteur" parce qu’il fut créé en tant que reçu d’une quantité d’or déposée dans une banque. Tout le monde semble avoir oublié que ces billets ont totalement perdu leur valeur le 2 Août 1914 quand fut, tout simplement, déclarée l’inconvertibilité... pour la simple raison qu’on avait émis beaucoup plus de billets, c’est-à-dire de faux reçus (2), qu’il n’y avait d’or en dépôt dans les banques ! Pas un candidat non plus pour dénoncer (3) le rôle abusif du dollar américain dans l’économie de tous les pays du monde : il servit de monnaie internationale parce qu’il avait, lui, gardé sa convertibilité en or. Mais cela n’a plus de raison d’être depuis le 15 Août 1971 : il a alors perdu lui aussi sa convertibilité parce que les stocks d’or des Etats-Unis étaient tout à fait insuffisants pour garantir les avoirs en dollars... Donc depuis, sur les marchés internationaux, comme en France et comme partout, on échange des bouts de papier qui ne représentent absolument rien, mais tout le monde fait comme si... Et personne pour dénoncer cette énormité, et on continue tous à admettre les "lois" qui découlent de pareilles inepties ?

En fait, on n’échange même plus de ces bouts de papier. On se contente de taper des chiffres sur un clavier d’ordinateur. Les ordres d’achat ou de vente sur n’importe quelle place boursière sont donnés par ce moyen moderne et s’exécutent ainsi en quelques secondes.

Mesure-t-on bien la portée, la puissance, de cette "monnaie dématérialisée" ?

Il y a 20 ans, les marchés des capitaux obéissaient encore aux Etats. Les taux de change étaient garantis : le rapport entre les réserves officielles des dix Etats les plus développés et les avoirs privés était de 5 à 1, ce qui donnait aux Etats les moyens de réguler les marchés des changes.

Il y a 10 ans, ce qu’on appelle "les forces du marché" ont commencé à contrecarrer celle des Etats, qui renoncèrent donc à maintenir des taux fixes : les capitaux privés atteignaient 700 milliards de dollars, alors que les réserves officielles, or compris, n’étaient plus que de 200 milliards de dollars. Le rapport était passé de 5 sur 1 à 1 sur 3, donc au détriment des Etats, en faveur du "marché".
Aujourd’hui, ce rapport est de 1 à 10 ! Les banques et les entreprises détiennent plus de 2.400 milliards de dollars. Alors elles peuvent les déplacer à leur gré, les Etats sont débordés : ils n’ont plus aucun pouvoir sur les taux de changes, sur la valeur de leur propre monnaie. Les marchés n’obéissent pas aux Etats, ils leur imposent leur politique. Et les Etats ne peuvent plus contrôler les flux économiques, à commencer par les flux monétaires.

A la lumière de ces faits, on comprend mieux l’impuissance du pouvoir politique. On explique le succès des politiciens soutenus par le monde des affaires (Chirac et consorts) et l’impuissance de toute idéologie allant à l’encontre. Mais on voit surtout où aurait dû se situer le niveau de la reflexion.

Les candidats sont tous passés à côté de l’essentiel.

(1) Beaucoup de lecteurs nous ont écrit "Pourquoi ne vous présentez-vous pas ?"La réponse est simple  : nous n’en avons pas les moyens. Ne parlons pas des millions. Il fallait aussi 500 signatures de notables. Que les lecteurs capables de nous assurer ces signatures se fassent connaître. On comptera.
(2) Ainsi les banques sont des faux-monnayeurs ayant pignon sur rue.
(3) Seul F. Mitterand a parlé, à plusieurs reprises, de ses efforts pour qu’un débat international ait lieu sur cette question monétaire... Que fera-t-il ?

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Crise ou mutation

par A. PRIME
mai 1988

Lionel Stoléru, à l’Université d’été de l’UDF, dans les années 80, s’écriait : "La crise est terminée". Il y a environ un an, dans le Monde, il tentait de persuader les lecteurs qu’il y avait deux sortes de crises, les bonnes et les mauvaises. Celle des années 30 était mauvaise : faillites, chômage, misère, guerre... ; par contre celle que nous vivons (remarquons en passant, qu’elle n’est pas terminée comme le croyait Stoléru) est une bonne crise, saine, constructive parce qu’elle n’a pas conduit à l’effondrement de l’économie et qu’elle est en fait la manifestation d’une grande mutation qui oblige à repenser l’économie et la société (1).
La plupart de nos hommes politiques, journalistes, économistes parlent couramment de "la crise", en précisant parfois qu’elle est davantage devant nous que derrière nous ; quelques-uns, dans des écrits ou discours plus savants, parlent de mutation ou mieux de "profonde mutation". Il arrive qu’on marie crise et mutation : la profonde mutation qui s’opère est cause de la crise actuelle, quand ce n’est pas la mutation qui est fille de la crise.
Alors, crise ou mutation ? Mutation ou crise ? Je serais tenté de répondre : les deux. Echappatoire, boutade ? Ce n’est pas si sûr, car telle est vraisemblablement la vérité.

***

La crise des années 30 fut comme J.Duboin le comprit et l’analysa immédiatement, la conséquence de la forte accélération des progrès techniques dans la production des biens, accélération due en partie à la guerre. L’imprévision totale, le manque de garde-fous sociaux fit que l’économie s’effondra brutalement et qu’on entra dans une crise qui ne trouva de "solution" que dans la seconde guerre, mondiale par essence. On peut donc dire qu’il y eut successivement : grande mutation technologique... puis crise... jusqu’en 1945.

Dans la crise actuelle, les protections sociales ont joué, l’économie ne s’est pas effondrée malgré un taux de chômage - seul point vraiment noir - de 8 à 14 % de la population active dans les principaux pays industrialisés. Alors crise ou mutation ?

Une fois encore, et bien qu’ils fussent sur le qui-vive, les intéressés furent surpris et les chocs pétroliers eurent bon dos pour masquer leur imprévision. En ce sens, on a pu parler de crise ; une baisse de 3/4 points de la production suffit à engendrer un certain marasme dans les affaires et un chômage dont personne n’avait imaginé l’ampleur. Comme avant 1929, il se trouve que les 15 années qui ont précédé le déclenchement de la crise ont connu une fantastique avancée technologique. Du jamais vu, bien illustré par le voyage sur la lune (1969), extraordinaire synthèse des progrès de la science. Les robots se multiplient, l’électronique envahit tous les domaines ; dans l’agriculture, l’amélioration des rendements et la mécanisation réduisent les paysans à moins de 7 % de la population active.

Autre remarque importante : la crise elle-même conduit à une compétitivité accrue, qui accéléra encore le développement technologique, qualitativement et quantitativement. Autrement dit, la "crise" renforce et précipite la mutation : le chômage, par exemple, croit sensiblement plus vite qu’il n’aurait fait "naturellement" sous la seule poussée du progrès technique. Et il continuera à croître parallèlement à ce progrès.
-On peut donc résumer ainsi la période actuelle : très forte mutation technologique (années 60) ; crise (vers 1975), avec développement important, continu et irréversible du chômage, malgré un traitement social qui masque le nombre réel de chômeurs ; maintien d’une croissance de 2 à 3 %, tout cela provoquant une mutation de la société dans divers domaines.

La mutation est multiple.

1 - Technologique
Nous ne nous étendrons pas sur ce chapitre patent pour tous et évoqué ci-dessus. Rappelons simplement que le tertiaire, voire le primaire, sont envahis par la technique au même titre que le secondaire et les trois secteurs comportent désormais de larges plages de recouvrement technique.

2 - Industrielle
2.1. C’est un des aspects les plus intéressants. Nous voulons parler là, non de technique, mais de restructuration. Certes, nous connaissons depuis longtemps les multinationales. Ce qui se passe depuis le krach boursier est nouveau et déterminant pour le futur. Au moment du krach, c’est à qui découvrait que la spéculation boursière, si juteuse depuis 4 ou 5 ans, était totalement déconnectée de l’économie réelle, que cette "économie casino" ne pouvait durer. Il apparait aujourd’hui que nombreux sont ceux qui, brusquement sortis d’un beau rêve, se retrouvent les pieds sur terre. La spéculation boursière seule ? Dangereux. Retour en force à l’industrie, valeur d’avenir. La guerre économique prend tout son sens. C’est ainsi qu’on assiste à un nouveau spectacle : le "casinoindustrie" : raids (en anglais raider=bandit), OPA sauvages pour contrôler de vastes secteurs : de Benedetti à l’assaut de la Générale de Belgique (1/3 de l’économie du pays), Pirelli s’attaquant à Firestone (finalement enlevé par le Japonais Bridgestone), Schneider surenchérissant sur Framatome pour accaparer la Télémécanique  : là, les ouvriers se fâchent (verra-t-on des grèves anti-OPA ?) et Balladur lui-même doit songer à "moraliser" les OPA. On ne parle plus que des "nouveaux Condottieri", des "Chevaliers noirs"...
Quand ce n’est pas par la violence, les regroupements se font par fusions ou rachats : Vuitton-Moët Hennesy, Printemps-Redoute...
Ce "retour aux valeurs sérieuses", l’industrie, n’exclut pas bien entendu les activités financières juteuses autant que douteuses, quelquefois combinées, liées aux OPA sauvages. Ainsi, dans la bataille qui a opposé l’Anglais Grand Metropolitan au Canadien Seagram pour le contrôle de Firino-Martell, de surenchère en surenchère, l’action est montée à 3 475 F. Quand Grand Metropolitan a renoncé, il a tout de même vendu les 20 % qu’il possédait en encaissant la bagatelle de 400 millions  ; cela, sans aucune production de richesses. Notons que ce sont ces mêmes individus, ou leurs commis gouvernementaux qui prêcheront une politique d’austérité pour les travailleurs...
De plus en plus, les OPA se font au niveau planétaire. Mais la coïncidence krach boursier 1987-Europe de 1992 fait que les regroupements en OPA sont nombreux en vue de cet objectif : européens, japonais, américains sont présents.

2.2. Les industries à bas salaires.
Il y a là un autre aspect, capital, de la mutation industrielle... qui accentue la "crise" (chômage...) dans les "pays riches", c’est le transfert de la production industrielle dans les pays à bas salaires (de 5 à 10 fois moins élevés).
Phénomène déterminant : les usines sont ultra-modernes, possèdent toutes les avancées industrielles de nos pays. En effet, la plupart du temps, elles sont montées par des Japonais, des Américains (Corée du Sud, Taiwan, Singapour) et des Européens. La qualité des produits ne diffère pas de celle des nôtres.
Et dans cette stratégie, les Japonais sont passés maîtres  : dès qu’ils ont vu - notamment après la forte appréciation obligée du yen - les dangers courus pour leurs produits "made in Japan", ils ont immédiatement (en moins de deux ans) délocalisé leurs usines vers des pays voisins à bas salaires. Ainsi des téléviseurs, dont 6 millions sont déjà fabriqués dans ces conditions.
Mais les pays européens - et la France n’est pas la dernière - font également, et de plus en plus, fabriquer dans les pays pauvres.’ Et nos "bons apôtres" qui n’hésitent pas à importer du chômage en France, sont les premiers, par la voix du CNPF, la presse et autres médias, à dénoncer le gouvernement - surtout s’il est socialiste - incapable d’empêcher la montée du chômage, les grèves, les trous de la sécu... Tout leur est permis ils ont le pouvoir réel, l’économie et les moyens d’information.
Peut-on éviter l’évolution d’une telle mutation : délocalisation de productions vers les pays à bas salaires ? A notre avis, non. Il faudra des décennies pour que les nouveaux pays industriels connaissent une augmentation des salaires et charges qui les mette à égalité avec nous. Et, cela serait-il, que de nouveaux pays pauvres prendraient le relais.
Nous avons l’argent, les pays pauvres auront le travail. C’est leur revanche. C’est une nouvelle donne qui peut un jour transformer la mutation en crise aigue, aussi bien au coeur des pays riches qu’au niveau Nord-Sud.

3. Culturelle
Les fabuleux marchés de l’information qui s’ouvrent tous azimuts et ne font que balbutier excitent également les appétits. Cette information aura des répercussions au niveau mondial et, "orientée", elle peut être désastreuse pour toutes les cultures. Prenons le cas des séries télé et de nombreux films américains : amortis avec 250 millions d’habitants, ils sont revendus à bas prix dans tous les pays du "monde libre", trop heureux de meubler leurs programmes à bon marché. Résultat : des cultures aussi différentes que celles d’Amérique du Sud, de l’Afrique, de l’Europe, de l’Asie se trouvent "américanisées". Coca cola de l’esprit, violence en plus. Très grave, surtout pour les jeunes générations : c’est le supermarché de la médiocrité.

4. Démographique
Ce n’est pas la moins inquiétante. Avec l’évolution des mentalités sur la sexualité et la contraception, les pays industrialisés ont réduit considérablement leur développement démographique : disons même qu’à l’heure actuelle, il ne se fait que par l’augmentation de la longévité. Le taux de reproduction est au mieux de 2 ; en Allemagne, 1,3, le plus bas. Le chômage qui s’aggrave développe également le réflexe : "A quoi bon faire des enfants ? Pour qu’ils soient chômeurs ?". Par contre, les pays pauvres en sont souvent - hygiène, religion, contraception - à l’âge de nos aieux ; d’où des familles de 6, de 12, de 18 enfants. Et comme à ce jour, ils représentent déjà plus des 2/3 de l’humanité, on voit la direction - et à terme l’importance historique - de la mutation démographique.

***

Nous avons essayé de noter l’essentiel des mutations ’que recouvre la GRANDE MUTATION qui s’opère sous nos yeux, depuis 15 ans principalement, derrière le brouillard de "la crise". Où celà nous mène-t-il ?

Sortie à droite
En mars 1984, dans un article intitulé "sortie de la crise  : à gauche ou à droite", nous écrivions : "Avec le boom des nouvelles industries liées au microprocesseur et l’augmentation des dépenses militaires, une telle évolution - sortie à droite - n’est pas exclue : il faut que les gens de gauche en soient bien persuadés pour redoubler d’efforts". Quatre ans plus tard, nous pensons qu’une sortie à droite de la crise-mutation, loin d’être exclue, semble, hélàs, l’hypothèse la plus plausible.
Le krach boursier a, nous l’avons vu, suscité une sorte de reconversion industrielle plus solide, plus structurée. Vous lisez chaque jour dans la presse les résultats de 1987 des groupes industriels (Peugeot : 5 milliards de francs), bancaires, assurances : presque tous affichent des bénéfices en hausse, souvent très importants (+ 25 à + 45 %). Des pays engrangent des réserves fabuleuses (RFA, Japon, Taiwan, Corée du Sud...). Nous apprenons que l’Angleterre, qu’on disait en déclin, a vu sa production augmenter de 4,4 % en 1987.
Sur un plan plus prosaïque, on voit de plus en plus de Mercédès, de BMW, de grosses voitures les restaurants font rarement faillite ; les stations de sports d’hiver et d’été affichent complet  ; pour les fêtes de fin d’année en France, des records de consommations d’huîtres, foie gras, caviar, ont été battus.
L’économie capitaliste fonctionne, même avec 1 ou 2 % d’augmentation de la production ; les gens qui ont un job ou une retraite correcte vivent normalement. Enorme point noir les chômeurs ; Alors, on essaie de les oublier (voir la campagne électorale qui en parle  ?) : ce sont des oubliés, des exclus, des non solvables inintéressants.
Le capitalisme, il faut le reconnaître - même si on enrage - garde une faculté d’adaptation assez remarquable. Lénine avait écrit, en 1916 "L’impérialisme, stade suprême du capitalisme". Nous pensons que, si cet impérialisme ne date pas d’aujourd’hui (multinationales, etc...), il passe aujourd’hui, après un krach boursier d’avertissement, la vitesse supérieure.
La mondialisation accentuée de la production et des échanges, les perspectives de l’Europe de 1992, poussent à un impérialisme plus agressif, plus concentré : le capitalisme populaire des Chirac et Balladur ne peut tromper que de braves gens crédules et mal informés.
"The Economist" écrit : "Les français sont maso, ils s’inquiètent alors que l’économie est prospère et le déclin une hypothèse non vérifiée". Avant la crise, les grands groupes avaient reconstitué des "trésors de guerre" (puisque guerre il y a), tant par leurs opérations boursières. Ainsi Siemens dispose de 25 milliards de DM de liquidités, plus de 80 milliards de francs, de quoi racheter 4 ou 5 grosses affaires, en Europe ou ailleurs.
La société duale va s’accentuer, le nombre des déqualifiés et des exclus va croître sous la poussée conjuguée des progrès technologiques et des transferts d’industrie dans les pays à bas salaires. On surveillera les risques d’explosion  : pour cela - tous nos présidensiables parlent maintenant de solidarité - on créera une société de petits boulots. Quand la pression sera trop forte, on donnera un minimum vital, de l’ordre de 2.000 F. Avec les médias - et notamment les télés privées - on favorisera l’inculture des masses, on leur servira - c’est bien parti en France- des jeux (panem - 2.000 F - et circenses). L’université et la formation seront orientées dans un sens élitiste et essentiellement utilitaire.
L’évolution du système s’adaptera, lentement, uniquement sous la pression des faits : ainsi la réduction du temps de travail, bien partie déjà en Allemagne capitaliste (36 h 5 en RDA pour la métallurgie, sans diminution des salaires) : c’est possible dès lors que les gains de productivité compensent la réduction des horaires. Il faut être absolument persuadé que le capitalisme peut réaliser ces "avancées" sur 10 à 12 ans et ce, sans réduction du nombre de chômeurs, au contraire.

Sortie à gauche
Que faire face à cette évolution maintenant perceptible et quasi certaine de la grande mutation en cours ? Je suis désolé de ne pas paraître optimiste, mais tiens à dire que je ne suis pas non plus pessimiste : seulement objectif et, à terme, optimiste. En effet, tout d’abord, il peut survenir des "accidents de parcours" imprévus (cf. Mai 1968, krach boursier...) qui modifieront le cours de l’Histoire.
Deuxièmement, des forces sociales et intellectuelles devront peser sur le développement de cette société inhumaine. Je pense que nous devons faire nôtre cette réflexion de Juquin (France Inter le 21 mars) : "Je n’ai pas fini de déranger".
Dérangeons. L’histoire de l’homme s’est toujours déroulée de façon dialectique. Les plus belles conquêtes sociales ont été obtenues dans l’opposition par l’écrit et par les luttes : il n’y a donc aucune raison de désespérer. Mais il faut faire connaître - nous ne sommes pas seuls - l’autre société, l’alternative : celle du temps libre pour tous, du travail réduit pour tous, d’un revenu maximum pour tous, d’une culture à la portée de tous, de la paix enfin.

***

Conclusion : mutation ou plus précisément mutations ? c’est indubitable, nous l’avons vu. Crise ? Certainement le chômage, la société duale qui s’appronfondit, les guerres "exutoires" ou répressives, les destructions et limitations de richesses, c’est cela la crise. Crise de société, crise de civilisation, comme l’avait déjà souligné Malraux en 1968, avant la "crise" économique.

Mais comme toute entreprise humaine, le capitalisme impérialiste doit dépérir et mourir un jour. Car le ver (les éléments de la crise) est dans le fruit des mutations en cours. Et les hommes doivent continuer à se battre pour acquérir un jour la "citoyenneté intégrale", selon la belle expression (encore lui !) de Pierre Juquin.

(1) Jean Boissonnat, il y a plusieurs années écrivait : "il faut analyser la crise comme une période de transition qui peut durer un quart de siècle".

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Avancées électorales

par R. MARLIN
mai 1988

Lorsque j’écris ces lignes, le 18 mars 1988, j’ignore évidemment quel sera le nouveau président de la République et même les résultats du premier tour. Pourtant je puis prévoir que les débats entre les principaux candidats resteront, comme ils le sont jusqu’à présent, aussi vides sur les problèmes fondamentaux auxquels la société française est affrontée. Les règles formelles de notre démocratie politique, aussi bien pour des élections cantonales que législatives ou présidentielles, la bipolarisation de fait de l’opinion, sont telles que les 4 ou 5 pour cent d’électeurs qui font la décision restent toujours les plus indécis. Ils sont aussi fort évidemment les moins bien informés, les plus influençables et les plus versatiles. Le futur vainqueur ne peut donc pas se permettre le risque de les perdre en prenant position trop nettement sur les sujets sensibles. Il est admis que faute de pouvoir agir sur les citoyens de conviction, les publicitaires polarisent leur action sur la margue fluctuante du centre. Ainsi les centaines de millions de francs dépensés par les grands partis à l’occasion de chaque élection nationale sont gaspillés uniquement dans l’espoir d’influencer le vote de quelques centaines de milliers de personnes. Mille francs pour un bulletin, n’est-ce pas trop cher payer ?

Cette démocratie du fric ou ploutocratie présente des inconvénients rédhibitoires. En particulier, elle oblige les hommes politiques soucieux de leur réélection à des compromissions inacceptables avec les milieux d’argent et le milieu tout court. Casse de Nice, Carrefour du développement, vrais-faux passeports, exportations d’armes, société de développement de l’agglomération rouennaise ne sont que quelques-unes parmi les affaires dont l’origine se situe dans la nécessité du financement des campagnes électorales. Et encore ne sont-elles que celles qui émergent. Combien, parce que mieux montées, c’est-à-dire plus cachées restent inconnues ? Tous les partis, les initiés le savent, sont compromis. Les hommes politiques, eux-mêmes, ne sont pas forcément bénéficiaires de ces trafics. Victimes consentantes de l’hydre publicitaire, ce n’est pas obligatoirement leur avoir propre qui est en cause mais, la fin justifie les moyens, le développement du parti. Pourquoi donc les obliger à d’humiliantes et incontrôlables déclarations de patrimoine avant et après ? Faut-il voter pour les plus aisés et les plus riches dans l’espoir souvent vain qu’ils seront moins cupides pour eux-mêmes et plus généreux pour leur parti, ce qui évitera à celui-ci d’employer des moyens malhonnêtes pour se procurer des fonds ?
Toujours est-il que de telles pratiques font courir de grands dangers à notre système politique. S’il était possible de se débarrasser de la publicité envahissante, ne serait-il pas plus simple, au lieu de limiter les dépenses, de limiter l’affichage et la réclame indirecte ? Beaucoup d’entre nous, conscients de l’impossibilité pour les humains de se dégager des contraintes du profit et de la finance, en déduiront que la démocratie politique restera un leurre tant que la démocratie économique n’aura pas été instaurée.

***

La campagne
Avec l’agrément supposé du lecteur, consacrons la seconde partie de cette chronique à des réflexions plus encourageantes sur le déroulement de la campagne. Deux éléments capitaux me paraissent à retenir.
Au cours de "l’Heure de Vérité" du premier février 1988 sur A2, Pierre Juquin a déclaré qu’étant confrontés de plus en plus à des problèmes mondiaux, il lui paraissait nécessaire que nous mettions en place, pour les résoudre, des institutions mondiales. Il s’est donc déclaré "citoyen du monde" engageant de ce fait ses auditeurs à prendre le même chemin. Certains minimiseront cette prise de position, la trouvant démagogique et peu contraignante pour un candidat sûr d’être battu. C’est vrai. On peut même ajouter qu’une telle déclaration est bien tardive après tant d’années de "langue de bois" et qu’elle correspond fâcheusement avec un besoin de voix à rechercher forcément en dehors des communistes orthodoxes, dans les milieux progressistes. Il n’en reste pas moins que, pour la première fois à ma connaissance, au cours d’une émission grand public suivie par quelques millions de téléspectateurs, un homme politique influent s’est prononcé très nettement pour des organismes mondiaux supra-nationaux. Saluons le courage de celui qui n’a pas hésité à bousculer ainsi quelques tabous. Relevons aussi que cette déclaration n’étant pas neutre, c’est que son auteur, avec probablement quelques raisons, s’il a cru devoir la prononcer, pense qu’elle lui aura apporté des voix. Combien ? nous ne le savons pas. Le score de Pierre Juquin qui sera connu quand paraîtront ces lignes donnera quand même une idée, même vague, de leur nombre.
Je ne saurais manquer de dédier ce nouveau succès à tous mes camarades militants de la cause mondialiste qui ont tant travaillé dans l’ombre et la réprobation des sots, au mieux dans l’indifférence et l’incrédulité des cyniques et des résignés.
Deux manières d’avancer restent compatibles avec notre système électoral. L’une, nous venons de la décrire venant du candidat marginal qui n’a rien à perdre, l’autre par agrément d’ensemble.
L’accord presque général des candidats et des partis en vue d’instaurer sous une forme ou sous une autre, un revenu minimal garanti est à relever également comme l’un des acquis de la controverse politique présente. Nous informons régulièrement nos lecteurs sur les développements de cette idée, en France et à l’étranger. Le réseau européen "BIEN" nous permet de nous tenir au courant des aspects extrêmement divers pris par l’idée de revenu minimal dans les différents pays. Regrettons que notre tradition humaniste et généreuse ait failli à instaurer plus tôt en France une telle mesure.
Certains la récusent encore sous prétexte de disparition de la motivation au travail. Niant le chômage structurel et appelant à toujours plus de travail obligé, ils refusent l’idée de dissocier travail et revenu. Malgré la diffusion donnée à leurs thèses par la presse, la radio et la télévision, malgré le renfort de Raymond Barre et Jacques Chirac, ils sont de plus en plus isolés.
Trop nombreux au regard des placés disponibles sont ceux qui se battent pour un travail rémunéré. Beaucoup sont prêts aux pires compromissions, d’autres proposent de payer afin d’accéder à un emploi. Quel besoin de les motiver encore plus en cette quête ?
Oui, messieurs, nous sommes tous les cohéritiers du patrimoine constitué par les progrès foudroyants des sciences et des techniques ces dernières années. Ni les financiers, ni les industriels, ni tous les privilégiés les plus divers, ni même ceux qui ont encore la chance dans ce régime, de détenir un poste rémunéré, ne sont les propriétaires exclusifs de ce patrimoine, il appartient à tous et tous doivent en recevoir leur part.
Cette idée s’impose. Elle a commencé à trouver, insuffisamment, son expression légale lors du précédent septennat. La loi n’étant en définitive que, avec retard, la traduction des us et coutumes, il faudra bien qu’elle soit codifiée et réalisée dans les faits. Merci à tous ceux, distributistes ou non, qui ont agi depuis des décades en faveur de notre thèse. Encouragés, par les résultats obtenus, nous poursuivons bien sûr notre lutte pour un véritable revenu social maximal. Les événements nous confirment qu’aucune activité militante n’est jamais perdue, si faible et si désespérée puisse-t-elle paraître à première vue.

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Nous sommes tous menacés

par A. VIGIER
mai 1988

L’élection présidentielle de 1988 pourrait être l’occasion d’utiliser les énormes moyens de communications que sont la télévision, les radios, la presse, pour informer le public de la véritable situation qui se présente en cette fin de siècle à toutes les nations, grandes ou petites, riches ou pauvres.
Pour la France, l’I.N.S.E.E qui n’est pas un organisme politique, a publié une étude prospective en Janvier 87 qui évalue le chômage à 3 millions 400000 personnes dans quatre ans. C’est un chiffre moralement et financièrement insupportable, mais c’est surtout la confirmation que ni les privatisations, ni les nationalisations n’ont apporté de remèdes à cette crise économique dont les conséquences sont de plus en plus dramatiques. La plupart des candidats affirment que la "croissance" est le seul remède à cette situation !
Il faut prendre connaissance d’un rapport de cet important groupe industriel qui déclare en substance : "Dans cette usine, en 1980, 875 salariés étaient occupés ; grâce à nos investissements, la croissance a augmenté de 20% avec un personnel .réduit à 650 et il est prévu la même production avec 400 personnes en 1995". Ce n’est pas un cas isolé, ni exceptionnel, c’est la démonstration que la "croissance" n’est pas, ou n’est plus un facteur d’emplois, si on utilise les procédés modernes. Ce sont les ordinateurs, même les robots qui remplacent les personnes.
Un autre facteur intervient pour supprimer des emplois. Les Sociétés multinationales qui n’ont point de complexes patriotiques, installent des usines dans les pays en voie de développement où la main-d’oeuvre existe en abondance, se contente de bas salaires, sans protection sociale et nous sommes envahis de produits de grande consommation à des prix sans concurrence.
En réaction, dans les pays industriels se développe une activité clandestine sous la forme de marché noir du travail qui échappe aux impôts, taxes, cotisations, ce qui contribue à faire disparaître les entreprises qui travaillent régulièrement.
Il faut qu’un candidat courageux dénonce cette situation pour informer l’électorat que les témoignages d’auto-satisfaction, les promesses fallacieuses, les haines raciales sont des arguments électoraux qui n’apportent aucune solution aux problèmes qui se posent en cette fin de siècle. Distribuer des allocations de chômage, des secours à ceux qui ont épuisé leurs droits, des repas à ceux qui ont faim, c’est faire de la charité une institution gouvernementale, c’est s’enfoncer chaque jour un peu plus dans l’injustice et la précarité. Créer des T.U.C., des "petits boulots", même des stages de formation, c’est diminuer les statistiques, ce n’est pas assurer l’avenir d’une jeunesse qui se réfugie souvent dans la drogue ou la délinquance.

L’effondrement de la bourse en octobre 1987, les fluctuations du dollar, le chômage qui grandit, les dettes et les déficits budgétaires qui s’accumulent nous donnent l’impression que notre système financier est au bord de la faillite.

Certes, les autorités vont s’efforcer de colmater les fissures qui apparaissent de toutes parts, soutenir le dollar, tirer un trait sur les dettes irrécouvrables, s’accommoder des déficits, mais la menace d’un krach, pire que celui de 1929 pèse sur l’économie mondiale. Cette économie qui partage les habitants de la terre en deux grandes catégories : celle qui gaspille les sources d’énergie et de matières premières non renouvelables, qui pollue les rivières, les fleuves et les océans, qui détruit ses excédents agricoles et même qui rétribue ses cultivateurs pour qu’ils ne cultivent pas leurs terres ; et celle qui ne sort pas d’une effroyable misère et qui meurt de faim.
Des organisations mondiales sont conscientes que cette situation est profondément injuste, dangereuse et qu’elle ne peut s’éterniser. Elles ont demandé aux grandes nations de consacrer 1% de leur P.N.B. à l’aide au sous-développement sans obtenir cette modeste contribution. D’autres ont proposé l’étude d’une sorte de plan Marshall à l’intention des pays pauvres.
Ce plan a été un événement unique dans l’histoire de l’humanité. Les nations victorieuses n’ont pas rendu responsables les peuples des crimes de guerre que leurs dirigeants avaient commis. Ceux-ci ont été jugés et condamnés, leur pays séparé en deux avec interdiction de reconstituer une puissance militaire. Les États-Unis qui sortaient de cette guerre sans dommage pour leur territoire, avec un potentiel industriel énorme, une monnaie solide qui allait devenir l’étalon pour le monde entier ont conçu ce plan pour relever toute l’Europe de ses ruines et aussi pour transformer leurs usines de guerre en fabrication civile.
La situation actuelle n’est pas sans une certaine analogie sur le plan mondial. Quelques nations détiennent une puissance considérable de productions industrielles et agricoles, bien au-delà de leurs besoins. Leurs possibilités d’échanges commerciaux sont limitées par suite de l’insolvabilité des pays qui seraient acquéreurs de ces produits. Nous sommes dans cette situation absurde où nous devons détruire des excédents agricoles, fermer nos usines ; entretenir des millions de chômeurs alors que la majorité de la population vit dans la malnutrition, quand ce n’est pas dans la famine.
Une sorte de plan Marshall pour aider ces pays à sortir de leur état de sous-développement s’impose. En l’an 2000, on annonce six milliards d’êtres humains sur cette terre. La plupart viendront au monde dans des régions déjà surpeuplées ou dans les bidonvilles dont les occupants sont à la recherche d’emplois et de nourriture. Il ne s’agit plus d’accomplir quelques gestes de générosité, mais d’éviter que cette prolifération de malheureux entraîne des émeutes, des révoltes ou des épidémies.
On ne vaincra pas la faim dans le monde par des quêtes ou des envois de nourriture, mais par la création d’une ou plusieurs sociétés multinationales formées pour apporter dans les régions déshéritées du globe les moyens de rendre la terre fertile et de permettre aux autochtones de vivre dans leur pays natal.
Certes, la rentabilité financière n’est pas assurée à courte échéance, mais il s’agit d’une sorte de croisade qui place les motifs de cette entreprise au-delà des sordides calculs d’intérêts.
Ce n’est pas un programme électoral, c’est un programme pour sortir de la crise, pour éviter un désastre financier, pour donner à notre jeunesse le moyen d’exprimer sa volonté, son courage et peut-être même son enthousiasme au service d’une cause qui consiste à sauver des milliers d’enfants de la misère et de la mort.
Toutes les nations sont devenues solidaires, l’insolvabilité des unes, le paupérisme des autres, sont la cause de nos difficultés croissantes et l’humanisme n’est pas seulement une vertu, c’est une nécessité.

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Lectures

Travail et salariat

par R. MARLIN
mai 1988

La lettre "Science-culture" du GRIT (1) n° 30-31 - décembre 1987, janvier 1988, reproduit des extraits d’un article d’Armand AJZENBERG intitulé "travail et salariat" dans lequel l’auteur constate d’abord que le travail change, c’est une évidence en raison des nouvelles technologies, de l’informatique, de la mondialisation de la division du travail et du chômage de masse. "L’expression "le travail est sacré" est un peu passée de mode... le travail se fait rare..." ajoute-t-il.
Il constate ensuite que le partage du travail parcelisé est facile alors que celui de recherche l’est beaucoup moins. Il cite André Gorz pour lequel l’enrichissement des tâches, est une "douce rêverie" en présence de la révolution technologique et qui déclare que "...le travail doit cesser d’être pour chacun le contenu central de sa vie et la source principale de son identité. Ce sont les "activités autonomes" (qu’on fait par libre choix) qui doivent jouer ce rôle. Le partage du temps actif doit se faire entre travail salarié (que l’on est forcé de vendre) et activités autonomes..."
Après en avoir déduit que le travail ne se trouve plus au centre de l’existence humaine et que l’entreprise n’est donc plus nécessairement le lieu privilégié de transformation de la société l’auteur conteste le discours "libéral" du retour à l’individu ; témoins le minitel, le développement du bénévolat et des associations. Ce sont d’ailleurs ces activités qui fournissent le plus de plaisir. C’est la fin du travail par son dépassement.
Mais actuellement poursuit M. Ajzenberg c’est plutôt la "mystification du travail (et du profit) et la raréfaction de ce travail. Il nous faut donc envisager la transformation de ce présent à partir de nos constatations... (c’est-à-dire)... d’un temps où le pouvoir provient encore de la détention des savoirs et des moyens de production..." à celui de l’imbrication des connaissances et l’usage de la démocratie directe donc un palier".... vers la fin du salariat, vers une société sans classes..."
"...Il faut, écrit-il, poser la légitimité d’une société orientée vers le droit au plaisir... (et)... débarrassée de la "valeur marchande..." ...L’idée d’un revenu garanti à vie ayant rompu son lien avec la durée du travail quitte les pages des livres et des revues. On assiste à l’émergence d’une revendication : le salaire social..." Et de citer Taddaï, Guy Aznar, André Gorz (de nouveau) et le comité des chômeurs.
L’auteur estime lui que toutes les formes de salaire social conduisent au maintien, voire au renforcement de la société actuelle. Il prône la "fin du salariat et la gratuité progressive des services et des usages en progression proportionnelle à la productivité obtenue aux plans industriels et agricoles..." Cette solution est génératrice d’une logique généralisée de "service public" et il conclut : "Dans ces conditions l’entreprise n’a pas à craindre des charges supplémentaires - au contraire, plus elle s’automatise, plus elle est productive, moins elle a de salaires à verser -et le producteur, le salarié n’a rien à redouter de l’augmentation de productivité (au contraire, son temps "obligé" de travail pourra baisser à la condition expresse d’une gratuité plus importante des usages et des services. Il est évident que les gains de productivité ne pourront être pris en compte qu’au niveau d’une entité géographique significative (région, nation, fédération).
Un tel système, qui s’installe de manière progressive, s’accorde totalement avec le dépérissement de la société marchande, avec le dépérissement de la concurrence... et aussi avec le dépérissement de l’Etat.

(1) Voir notre bloc-notes.

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Reflexions sur la politique

par R. CARPENTIER
mai 1988

"POLITIQUE" : du mot grec "POLITIKOS"  : Art ( ?) de gouverner un État, qui a rapport au gouvernement des États (Dictionnaires).

En société marchande : La politique est un subterfuge employé comme somnifère à des fins de profits ! (1).
La politique !! La politique de droite à l’extrême-droite  ; de gauche à l’extrême gauche ; y compris les alternatifs... la politique est le moteur des systèmes parlementaires dits démocratiques (ou anti-parlementaires dits totalitarisme). C’est le poumon de la société marchande, du profit. Tout ce qui est politique assure la continuité de l’esprit de rentabilité, du capitalisme, du salariat... en un mot de l’inégalité économique. Cette calamité existe depuis l’ère de la rareté et continue dans notre ère d’Abondence pourtant incompatible ! Pourquoi le peuple qui en souffre parce que toujours trahi, les chômeurs qui ont tout perdu, les consommateurs dont le pouvoir d’achat s’évanouit, s’y accrochent-ils comme si leur situation économique pour "un mieux-être" dépendait de la politique ? Comme si la

politique était indispensable à la condition de la vie  ? Pourquoi à chaque convocation électorale se précipitent-ils dans le piège ?...
N’ont-ils pas encore compris, les électeurs, que la politique est la négation, le contraire de l’accès au bienêtre, à la consommation urgente des biens utiles, possible aujourd’hui ; que la politique est la manne des riches, des patrons, des assoiffés de pouvoir ? que la politique est le tombeau des espoirs de libération  ?
Seule l’ÉCONOMIE - non de profit, non politique - mais sociale, de la satisfaction des besoins de tout être vivant, seule l’ÉCONOMIE, réalité antagoniste à la politique est le VRAI problème qui a trait à l’épanouissement des Êtres Humains et à la VIE.
N’est-ce pas l’impérieuse nécessité de manger qui conditionne l’existence de l’Etre vivant ? Ne devrait-on pas tous les jours satisfaire nos besoins impératifs : alimentaires, vestimentaires, de logement, d’hygiène, de santé, de repos et loisirs, d’instruction ?... Est-ce que les politiciens parlent, discourent sur celà ? Proposent comme étant primordial la satisfaction dans la consommation et l’usage ? Inscrivent dans leurs programmes la gratuité des transports en commun et de tous les services publics  ? 11 est tout de même abérrant que des particuliers fassent un profit sur le bien public ! Est-ce que les partis politiques dénoncent celà ? Le moment n’est-il pas venu, avec l’abondance du blé, donc du pain, des pommes de terre, des fruits et légumes, du beurre, du sucre, du lait, de la viande, etc... de les distribuer - au moyen du Revenu Social alloué à Tous en une monnaie de consommation qui s’annule à l’achat- au lieu de les stocker ou les détruire, et imposer le ralentissement de la production et la friche des terres ? à seule fin d’en maintenir les prix, les profits ? Aucun parti politique n’élève la voix et ne s’engage sur de tels programmes ! Bien au contraire ! Ils nous persuadent de nous serrer la ceinture et d’accepter l’austérité - devant des montagnes de produits !!
Salariés, chômeurs, consommateurs, usagers, ne vous laissez plus attraper par ces fous politiques ! Désintéressez-vous de tous les partis politiques. Vous n’avez rien à y gagner, à y espérer sinon à y croupir d’impuissance ! Voilà deux cents ans que l’expérience se fait : ces maîtres de la politique, acrobates et serviteurs de la finance vous prennent pour des demeurés et vous manipulent afin que vous ne touchiez pas aux prébendes de ceux que de tous temps, la Droite par tradition, et aujourd’hui la Gauche, défendent et protègent contre le peuple qu’ils savent endormir par le leurre politique ! ! Aucun parti politique ne vous dévoile celà !
Luttons, forts de notre responsabilité, de notre volonté, dans des associations exclusivement économiques, de défense des consommateurs et des producteurs-salariés. Exigeons avant tout de consommer à notre faim ; agissons pour un mieux-être immédiat : par des luttes en rupture avec la société marchande, par des actions positives telles les grèves de gratuité dans les services publics... Ce sera plus "payant" que d’adhérer à une politique, même alternative, ou de voter !
En résumé soyons réalistes et imposons notre programme en exigeant dès maintenant la garantie du salaire perdu pour tous les chômeurs et futurs licenciés ; prélude au REVENU SOCIAL MAXIMUM pour tous du berceau à la tombe, pour "acheter" l’ABONDANCE, invendue et invendable, qui regorge des magasins, entrepôts, frigos... C’est le seul programme réaliste et positif - qu’aucun parti politique ou syndicat officiel ne revendique- qui permettra à tous de satisfaire les besoins fondamentaux : Les techniques de production, incroyablement perfectionnées - héritage de l’humanité entière - remplaçant le labeur humain et créant l’ABONDANCE permettent enfin aujourd’hui la seule organisation économique et sociale pour accéder au DROIT A LA VIE, réalisable dans la Justice, la Liberté, l’Egalité, la Fraternité : c’est L’ÉCONOMIE DISTRIBUTIVE et son corollaire LE FÉDÉRALISME, dont aucun parti politique ne veut et ne vous parle, et pour cause !!

(1) Paul VALERY a dit à propos de la nocivité de la politique : "La politique est l’art d’empêcher les gens de s’occuper de ce qui les regarde". Quelle vérité  ! En paraphrasant on peut dire que "La politique est l’art d’empêcher les gens de manger à leur faim en pleine abondance !"

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