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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 865 - mars 1988

 

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N° 865 - mars 1988

L’Économie Distributive ? ça marche !   (Afficher article seul)

La société duale ? Un duel entre l’épi et l’épée    (Afficher article seul)

Le chômage : Un virus de notre temps   (Afficher article seul)

Sur la monnaie   (Afficher article seul)

Lu, vu, entendu   (Afficher article seul)

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LE SCOOP DU MOIS ?

L’Économie Distributive ? ça marche !

par J.-P. MON
mars 1988

Pour tout autre journal que la Grande Relève, ce titre devrait constituer un véritable scoop, bien autre chose que les "non-événements" que sont les annonces de candidatures à la Présidence de la République de Chirac ou de Barre, dont tout le monde, depuis de nombreuses années, connait l’ambition. Le véritable événement serait qu’ils ne soient pas candidats ! Mais, au service des puissants, la grande presse ne sait que faire pour conforter leur certitude. Les vrais problèmes de mutation de société, elle préfère les éviter. Ils se gardent bien de faire connaître au grand public nos propositions d’adaptation de l’économie aux progrès des techniques, et, lorsqu’ils le font, rarement, c’est pour les qualifier d’utopie. Et pourtant, l’économie distributive existe bel et bien, et depuis longtemps, pour un grand nombre de personnes qui, pour la plupart, en profitent en l’ignorant. Ces personnes, ce sont les retraités.
Tempérons, cependant cette affirmation, en précisant, qu’à nos yeux, ces retraités qu’on peut assimiler à des gens vivant en Économie Distributive sont les retraités relativement jeunes et disposant d’une retraite relativement importante pour leur assurer une certaine insouciance matérielle du lendemain.
Ils ne constituent pas, hélàs, la majorité des retraités, mais ils sont la preuve que l’Économie Distributive peut très bien fonctionner. En effet, ils reçoivent un revenu régulièrement et ils ne fournissent en échange aucun travail. N’est-ce pas là un des points fondamentaux de la doctrine distributive : la dissociation des revenus et du travail.
Et nos retraités nantis font maintenant ce qu’ils veulent de leur argent et de leur temps !
"Mais diront nos détracteurs, ils ont auparavant beaucoup travaillé pour mériter leur retraite". C’est vrai  ! Mais de moins en moins, car l’âge de la retraite s’abaisse régulièrement quoiqu’on en dise, tout comme la durée du travail. (Il est d’ailleurs réconfortant de voir que dans de nombreuses enquêtes, la cinquième semaine de congé et la retraite à 60 ans sont considérés comme les conquêtes sociales les plus importantes de ces dernières années. C’est comme la Sécurité Sociale, la majorité de nos concitoyens ne veulent pas qu’on y touche. C’est tout de même une évolution remarquable des mentalités : le travail n’est plus sacralisé, les loisirs prennent de plus en plus d’importance...).
Quoi qu’il en soit, nous pouvons répondre facilement en disant qu’en Économie Distributive, il existe quelque chose qui ressemble au travail "classique" ; c’est le service social, mais qu’à la différence de ce qui se passe aujourd’hui, nous le voulons le plus court possible.
Alors, en y réfléchissant bien, qu’y-a-t-il de différent, en ce qui concerne le travail et les revenus, entre ces retraités bien nantis et les futurs bénéficiaires de l’Economie Distributive ?
On peut encore en dire bien plus, car si la plupart des retraités d’aujourd’hui ont participé au processus de production des richesses, il en est aussi parmi eux qui n’ont jamais rien produit mais qui, bien au contraire, ont beaucoup pris sur le budget de la nation : les militaires. Leur passé "improductif" ne les empêche pas de profiter pleinement de leur retraite et on ne les montre pas du doigt pour autant !
Alors, que l’on ne nous dise plus que l’Économie Distributive est une utopie puisqu’elle existe déjà pour un nombre toujours croissant de personnes. Ce que nous voulons maintenant, nous distributistes, c’est étendre le bénéfice de cette économie à tous nos concitoyens.
On peut le faire tout simplement en raccourcissant au maximum la durée du service social qu’on veut continuer à nous imposer. Nous savons, nous que c’est possible sans dommage pour notre "niveau de vie" bien au contraire, par la mise en oeuvre massive des moyens de production gigantesques que nous offre le progrès technique. Or, les gens qui nous gouvernent font tout ce qu’ils peuvent pour empêcher cette révolution tranquille. Au lieu de nous inciter à profiter de l’abondance qui éclate, ils nous prônent la rigueur. Ils veulent tous faire de nous des Japonais ! (Mais si nous étions tous des Japonais, à qui vendrions-nous ? Et que feraient les marchands de loisirs ? Des chômeurs peut-être  ?...). Il n’y a pas un seul gouvernement nouvellement élu (et, ce qui est bien pire, pas de candidat) qui n’inscrive la rigueur et l’austérité à son programme. Nous n’aurions, paraît-il, pas "les MOYENS" de faire autrement. Nous serions, paraît-il, obligés de travailler encore plus pour produire des richesses dont nous pourrions profiter, peut-être, plus tard, bien plus tard. En quelque sorte, au Paradis, s’il existe !
Enfin bref, vous l’avez tous compris, nous manquons d’argent, et, sans argent on ne peut rien faire.
Et, nous, nous savons que ça n’est pas vrai, car l’argent, la monnaie, ça n’est pas ce qu’on nous raconte et qu’hélas, trop de gens croient. Alors si nous voulons vraiment changer la société, il faut avant tout changer la monnaie. Toutes les tentatives, si généreuses soient elles, d’instaurer un monde meilleur (je pense à nos amis du P.S., aux écologistes et à bien d’autres,...) resteront vouées à l’échec tant qu’on n’aura pas remis en cause la nature de la monnaie.
Notre travail, à nous distributistes, c’est maintenant de DÉMYSTIFIER LA MONNAIE.
Nous vous en donnerons les moyens.

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La société duale ? Un duel entre l’épi et l’épée

par A. PRIME
mars 1988

TIERS-MONDE
« Les épées plus que les épis »

C’est sous ce titre évocateur que Gérard Grellet, Professeur à Paris VIII, dresse, dans le Monde du 12.1.88, en un raccourci magistral, le procès de la militarisation dans le Tiers-Monde à l’heure de la crise. On a beau avoir, depuis 40 ans, pratiquement tout entendu, tout lu, tout vu sur le rôle des armements dans la survie du capitalisme, on reste néanmoins abasourdi à la lecture de l’article de G. Grellet. Il faudrait le citer en entier, tant son analyse est dense et percutante. Nous essaierons de dégager l’essentiel.
L’auteur signale tout d’abord que, malgré la crise, en 10 ans, les achats d’armes du Tiers-Monde ont augmenté de 38%, pour atteindre 35 milliards de dollars en 1986, chiffres « officiels » vraisemblablement très sous-estimés si l’on se réfère aux scandales des trafics d’armes... non chiffrés bien entendu. Ces chiffres sont à comparer : 10 aux 45 milliards de dollars que les pays en voie de développement (PVD) ont déboursé pour payer les intérêts de leur dette extérieure, et 2°, aux 35 milliards de l’aide des pays de l’OCDE.
Chine exclue, les dépenses militaires totales -il ne s’agit plus seulement des achats d’armes- des pays du Tiers-Monde représentent entre 120 et 150 milliards de dollars, soit 15 à 20% des dépenses militaires mondiales. Pour 25 PVD, ces dépenses servent à faire face à des conflits armés internes.
Les ventes d’armes, certes, font d’abord tourner les industries d’armement des pays industrialisés. Mais les dépenses militaires ont un autre but : Dans tous ces pays, écrit G. Grellet, elles bénéficient d’une priorité budgétaire, en général pour servir les stratégies de domination des groupes au pouvoir... En 1985, le Pakistan y aurait consacré 38,5 % de son budget, le Pérou 33%... Quant au Burkina Faso, un des pays les plus pauvres du monde, il affecte plus de 18% de son budget à l’armée".

L’auteur analyse ensuite les formes de domination en distinguant divers groupes de pays :
" Pays sans conflit déclaré, mais avec de graves difficultés internes, tels que Argentine, Uruguay, Tunisie. "La montée des dépenses militaires peut apparaître a priori surprenante, mais elle peut s’expliquer largement par la crise économique elle-même qui a pour conséquence de renforcer les pouvoirs de l’armée et de la police (faire face aux révoltes), y compris dans les pays en voie de démocratisation ".
" Pays où sont mises en place des politiques restrictives sous l’égide du FMI.
"Ces pays... doivent réduire leurs subventions à la Consommation, arrêter les programmes d’emploi public, diminuer leurs investissements. Il en résulte une baisse du pouvoir d’achat et une montée du sous-emploi. Dans de telles conditions, les pouvoirs en place doivent être en mesure de compter sur l’armée et la police pour contrôler des situations socialement explosives".
" Pays exportateurs de produits manufacturés.
" Ils font appel aux pouvoirs répressifs pour briser les revendications salariales et maintenir des coûts de production compétitifs".
Voir Argentine, Corée du Sud, etc...

30 FOIS PLUS

Le Pakistan, précise par ailleurs G. Grellet, consacre 1,1 % de son budget à la santé (espérance de vie : 51 ans), mais 30 fois plus à son armée. Partout, dans le Tiers-Monde, on sacrifie l’investissement productif aux dépenses militaires par essence improductives... et souvent destructives. "En Afrique Noire, depuis le début des années 1980, le retard annuel de la production sur la, croissance démographique est de 0,9. Stabiliser le produit par tête supposerait d’augmenter de 3 points la part de PNB consacrée à l’investissement. Or ces 3 points manquants équivalent à ceux consacrés par l Afrique subsaharienne à ses dépenses militaires".

Situation dramatique, on le voit. Avec le service de la dette extérieure, les achats d’armes, la démographie galopante (5 enfants sur 6 naissent dans les PVD), les manipulations capitalistes sur les cours des matières premières, sans oublier, pour certains, les catastrophes naturelles, on voit mal comment le Tiers-Monde peut ne pas s’enfoncer dans une immense société .duale Nord-Sud. L’aide des pays développés, quand elle existe, - Reagan par exemple l’a supprimée- évoque les Restos du Coeur au niveau mondial. Et on se demande par quel abus de langage, on ose encore appeler les pays du Tiers-Monde "pays en voie de développement".

HYPOCRISIE

La conclusion de G. Grellet mérite d’être citée quasi in extenso :
"La poursuite de la militarisation du Tiers-Monde dépend largement du bon vouloir financier et technique des grandes puissances. Or la position de celles-ci reste entachée d’une grande hypocrisie. En effet, d’une part, les pays les plus pauvres s’entendent prêcher la rigueur budgétaire, l’effort en faveur de l’investissement productif, la nécessité du remboursement des dettes et voient le Fonds monétaire international s’inquiéter de l’ampleur de leur budget militaire. D’autre part, ces mêmes pays se voient courtisés par les industries d’armement des grandes puissances pour lesquelles ils représentent des débouchés essentiels ; 51 % des ventes américaines d’armes, 76% des ventes soviétiques et 86% des ventes françaises ont été destinées au TiersMonde dans la période de 1982-1986"  :
Vous avez bien lu : 86% des ventes françaises.

PAYS INDUSTRIALISÉS
La société duale s’aggrave

L’évolution Nord-Sud vers le "dualisme" (Nord toujours plus riche, Sud toujours plus pauvre) se double d’une évolution parallèle au sein des pays industrialisés. L’article de notre ami H. Muller, dans la Grande Relève de Janvier, analysant le livre d’Alain Minc « La machine égalitaire », qui a fait quelque bruit, apporte sur ce problème un éclairage inquiétant. Je n’ai pas lu le livre d’A. Minc, mais j’ai lu plusieurs articles à son sujet. A la lecture de l’article de H. Muller, je me demandais si la société duale, née du fait de la crise, n’était pas en train d’être institutionnalisée, « philosophiquement » pensée, codifiée, seule admise pour l’avenir dans le cadre de la survie du capitalisme, alors que, pendant les « 30 glorieuses », la société était relativement « ouverte ». Lorsque le chômage était limité, les chômeurs avaient des indemnités quasi équivalentes au montant de leur salaire antérieur. Rappelez-vous Pompidou : 1 million de chômeurs, ce serait l’explosion. Et puis, il y a eu 1 million, 1,5, 1,7, 2, 2,5, 3 millions de chômeurs. Pas d’explosion. Au contraire, une sorte de résignation. Les syndicats de chômeurs, qui en parle ? Alors, la classe possédante a respiré. Les plus lucides des patrons savent que la situation est irréversible et qu’il faut la dominer.
Pour les aider à défendre leurs privilèges, les clubs de Droite - presque d’extrême droite comme le Club de l’Horloge- ont dessiné, derrière le paravent du libéralisme, cette société duale où les plus forts doivent gagner -c’est parfaitement normal-, où les faibles subissent : quand ils subissent trop (en fait, quand ils ne peuvent plus subsister), on lance le tam-tam des restos du coeur.
Pour parachever l’oeuvre, comme si les « penseurs » de droite ne suffisaient pas, des gens qui laissent (camouflage de trahison oblige) traîner derrière eux un parfum « d’homme de gauche  » - les de Closets, Minc, Sorman et autres Montand - viennent affirmer que la société qui se développe va bien dans le sens de l’évolution de l’histoire.

SOUS-HOMMES AUX ORDRES

Dans une émission de Cavada fin 1987, sur les manipulations génétiques, on a pu entendre un témoignage horrifiant ; même si, du fait de son caractère excessif, Cavada l’a tourné en dérision, il montre bien jusqu’où peut aller une pensée d’extrême droite. Voici : un Italien propose de créer des mutants rétrogrades, sorte d’hommes de Néanderthal, « pour avoir des sous-hommes pour les tâches subalternes » (sic).

Dommage qu’Hitler soit mort ! cette proposition l’aurait intéressé.
Notre « penseur » se casse bien la tête : déjà 80% des travailleurs actuels -dignes, eux de leur ancêtre sapiens-sapiens de Cromagnonfont des tâches subalternes, ont un travail déqualifié... quand ils en ont un : en France, la réserve est de 3 millions d’individus. Alors...
Et c’est, bien ce que confirme le « colloque sur les mécanismes de création d’emplois aux États-Unis », qui s’est tenu à Paris les 21 et 22 janvier, colloque organisé conjointement par le Ministère des Affaires Sociales et l’OCDE. Ecoutons Philippe Séguin « L’objectif du plein emploi, au sens classique du terme, n’est plus réaliste. Il faut le dire. Il faudrait accepter l’existence de secteurs économiques où la productivité progresse moins vite ». Ce qui impliquerait pauvreté, faible protection sociale, emploi précaire de courte durée et bas salaires... A la lumière des expériences présentées (USA), M. Séguin s’est montré convaincu que des « gisements d’emplois » (l’affreuse formulation, couramment employée également par les socialistes) pouvaient naître "dans le secteur social en développant une approche plus entrepreneuriale de la fonction sociale" (quel charabia !) ou en favorisant ce qu’on appelle aux USA ’l’industrie de la Commodité" (joli, non !) (Le Monde 26.1.88).

DES LENDEMAINS QUI CHANTENT

Pour finir, Ph. Seguin a annoncé qu’il demanderait à M. François Dalle, auteur d’un rapport (1) sur les «  petits boulots », de prendre une initiative susceptible d’encourager partout l’apparition d’un véritable partenariat de développement" (que de mots pour une pensée vide !).
"L’emploi d’aujourd’hui est celui d’un salariat plus fragile... Je note qu’on peut travailler et être pauvre" déclare Ph. Séguin en se référant aux 18 millions d’Américains qui flottent entre un métier et un autre et ne disposent pas du minimum vital.
Si ce n’est pas là l’aveu qu’on a admis, codifié la société duale comme la seule possible, alors les mots n’ont plus aucun sens (2).
Voilà les lendemains qui chantent que nous proposent nos dirigeants
qui, à l’aube de la campagne présidentielle, ont l’audace de nous vanter leur oeuvre, « la France qui se redresse ». Ils n’ont vraiment ni honte, ni complexes !

Mais que feraient les socialistes s’ils revenaient au pouvoir ? Il est remarquable que plus aucun leader ne se risque à parler de la résorption, ni même de la diminution du chômage. La réponse de Bérégovoy à notre camarade Girault (G.R. de janvier) montre clairement, si besoin était, que les socialistes n’envisagent plus un seul instant de sortir de l’économie de marché. Dans ce cas, que proposer qui diffère de la droite ? Ah, bien sûr, on se raccroche à la SOLIDARITÉ... C’est bien le moins qu’on puisse attendre de gens qui se disent de gauche. Mais en fait, c’est quoi ? Soyons clairs : les socialistes nous proposent une société « moins duale », un maintien de la protection sociale... C’est tout, pour l’essentiel.

Au grand jury RTL-Le Monde du 24/1/88, M. Rocard s’est écrié : "Voilà les 2 grands enjeux : qui paie P Et serons-nous une société d’exclusion ou de solidarité ? Ces deux grands enjeux sont en effet une affaire droite-gauche. C’est la grande affaire de l’élection présidentielle".

Programme un peu court, jeune homme, mais bien compréhensible quand on a renoncé à changer le régime du profit. Quel chemin à parcourir, amis distributistes, tant au plan mondial que national ! Oui, il faut vraiment faire lire la Grande Relève... et d’abord aux gens qui se disent de gauche !

(1) Rapport commandé du temps où les socialistes étaient au pouvoir.
(2) Très Important : depuis la rédaction de cet article, 2 faits nouveaux sont venus illustrer notre propos.
- Pierre Juquin, lors de son passage à l’Heure de Vérité le 1er février. a brandi des témoignages à la fois dramatiques et hallucinants : : certains employeurs exigent pour des "boulots" de Tuc - à 1200F par mois ! - bac + 2. - Quelques jours plus tard, la presse révélait le contenu d’une lettre comminatoire adressée le 23 janvier par Philippe Séguin au Directeur Général de l’ANPE : prière de rayer des listes de l’ANPE les jeunes de moins de 25 ans qui refuseraient un boulot de Tuc. Même si la manoeuvre électorale est évidente, cette exigence définit bien la société que la droite veut instaurer.
Et comme si la lettre du Ministre ne suffisait pas, le nouveau Directeur de l’ANPE - nouveau, donc nommé par le pouvoir en place - la répercutait à ses subordonnés avec ce commentaire : "Vous devez appliquer sans état d’âme les instructions relatives aux radiations de liste". Autrement dit : pas de pitié !.

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Le chômage : Un virus de notre temps

par J.-M. BLANCHARD
mars 1988

Je prends la plume aujourd’hui ; et ce, pour la première fois afin de m’exprimer au nom de tous les chômeurs actuels à qui l’on ne donne que trop rarement la parole.
Quelle personne, à notre époque, peut se vanter d’elle-même ou de son entourage de ne pas être ou avoir été touchée par ce si terrible virus et pour lequel on ne voit pas poindre l’antidote tant espéré, malgré toutes les grandes phrases qu’utilisent si habilement nos dirigeants avant tout, afin de se donner bonne conscience et de gagner par là même au scrutin majoritaire.
Il ne suffit plus aujourd’hui de promettre ou de calmer l’opinion publique par de médiocres résultats du style de ceux offerts au journal de vingt heures, j’entends par là, ceux des données corrigées des variations saisonnières qui frisent l’hypocrisie à en être écoeurants.
On attend, pour l’heure, des résultats plus concrets et non des pourcentages en baisse tirés par les cheveux ou des tentatives vouées à l’échec par manque de volonté, mais surtout parce que la balance financière s’use à détruire plutôt qu’à bâtir ou à conserver.
La jeunesse, dit-on avec une certaine fierté, est l’avenir du monde de demain que l’on qualifie prématurément déjà de meilleur mais quel privilège de voir que celle-ci fait partie des inutiles et de la masse des oubliés.
Que signifie à votre bon vouloir, ce terme tant employé et si avilissant de « fins de droits », panache de la commission paritaire des ASSEDIC qui à elle seule possède le droit de conclure sur le sort de milliers de gens et par là même de leur supprimer le droit de vivre et de manger. Quelle finesse de psychologie que de faire comprendre aux êtres en dérive qu’ils sont arrivés à échéance de l’aide qui leur avait été si aimablement octroyée. Après cela, que reste-t-il sauf cette merveilleuse chose qu’est la volonté de survivre. La volonté d’être encore quelqu’un aux yeux des autres et non un quidam. De ne pas se sentir rejeté comme un vulgaire objet usagé. Et tout cela parce que notre société n’est plus capable, dans son si bel essor, de faire face au seul droit de tous, celui du travail.
Il existe bien entendu, des couloirs d’orientation comme par exemple celui de l’aide à la création d’entreprise certes, créée pour la circonstance afin de sauver la face et montrer que l’on ne nous oublie pas, mais vous franchissez la porte avec conviction et ressortez de l’entretien ahuri tant le chemin de la procédure est semé d’embûches et vous apparaît comme impossible.
Comment voulez-vous aussi rester crédible aux yeux des organismes financiers alors que pour tous vous être arrivés à l’issue fatale des classés sans revenus. A cause de cela toutes les portes se referment.
Je ne parlerai pas non plus de cette fâcheuse étiquette qui aujourd’hui vous colle à la peau. Comme si vous étiez fautif et coupable de votre condition de chômeur.
Une des choses les plus injustes aussi est le fait même, que tant que vous percevez une allocation, que celle-ci soit de base ou de fin de droits, on ne vous laisse pas tout-à-fait tomber. C’est-à-dire que régulièrement on vous convoque afin d’établir ce que l’on appelle un bilan de situation afin d’essayer de trouver une solution à votre cas personnel. Quant à l’A.S.S.E.D.I.C. elle vous adresse tout aussi régulièrement un questionnaire à compléter afin de s’enquérir de vos démarches personnelles en matière de recherche d’emploi. Mais, là où les choses deviennent insupportables, c’est lorsque vous faites partie des simples demandeurs d’emploi sans toucher la moindre allocation. Alors là, vous vous rendez compte qu’à ce stade vous êtes seul et n’intéressez plus personne. Finies les convocations, finis les formulaires. Vous êtes déjà classés dans les oubliés, car vous ne coûtez plus rien à la société, mis à part le fait que vous restez un assisté au niveau de la couverture sociale.
Il est très facile de dire que la jeunesse se refuse au travail lorsque les seules propositions faites ne sont que diverses formes de contrats à durée déterminée ou encore, plus proche de nous, la pire des trouvailles en matière d’exploitation, je veux dire bien entendu les T.U.C. et que la seule contrepartie de votre travail ne dépasse pas 1.700 Frs par mois, mais il est vrai que cette somme représente aujourd’hui, on ne sait trop sous quel critère, le minimum vital.
En continuant de la sorte, nous conditionnons les jeunes à se laisser aller, à se démotiver pour la vie et par là même nous grossissons volontairement ce qui nous fait le plus peur, la jeune délinquance.
Il est intolérable de penser que la seule solution à ce grave fléau que représente le chômage se trouve entre les mains de ceux qui gouvernent, mais que, faute de ne pouvoir posséder l’argent, c’est toujours lui qui les dirige.
Malgré tout, nous continuons à investir en tous moyens de destruction plutôt que de sauver les hommes du grand piège du monde moderne que représentent les nouveaux pauvres.
Il n’y a pas pire pensée que de se rendre compte qu’en période d’abondance, naissent de plus en plus nombreux les milieux défavorisés. Tout cela parce que les hommes ne maîtrisent plus ce qu’ils appellent la finance et par là même deviennent aveugles à ce qui ne rapporte pas.
C’est pour cette raison qu’il faut continuer à lever la tête, à montrer que nous sommes là, ainsi qu’à clamer inlassablement notre droit au travail comme tous, dans ce monde d’égoïstes.
Je ne pouvais terminer cette réflexion sans remercier certains organismes tel que les restaurants du coeur, créés par un grand homme comme COLUCHE qui lui seul avait compris combien son aide apporterait aux laissés pour compte, chaleur, réconfort et pain quotidien. Derrière tout cela, il faut aussi tirer un coup de chapeau aux bénévoles qui mettent leur temps, mais aussi et surtout leur coeur au service des autres car sans eux rien de pareil n’aurait été possible.
Merci aussi à tous ceux qui dans l’ombre et dans l’anonymat font grandir la solidarité et surtout lui donne son vrai sens. Ceux-là, pour nous, tous, sont de grands hommes.

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Sur la monnaie

par R. MARLIN
mars 1988

UNE RÉUNION

La monnaie est évidemment un élément capital de tout système économique, depuis le plus primitif jusqu’au plus évolué. Du coquillage de la préhistoire à la monnaie électronique généralisée des prochaines années en passant par l’or, les humains ont toujours recherché le meilleur moyen intermédiaire pour faciliter leurs échanges.
Se fondant sur une abondante documentation et notamment sur l’ouvrage de Jacques Duboin "Les yeux ouverts" (1) Jean-Pierre Mon a traité ce sujet le 18 janvier devant les auditeurs de la salle de "la Libre Pensée" avec le titre principal "Démystifions l’argent" et en sous-titre "la fausse monnaie des banquiers, des Etats et des truands - la vraie monnaie distributive". Cet exposé suivi de questions et de réponses a permis, après un historique complet, de mettre en évidence les caractéristiques essentielles et révolutionnaires de la monnaie que nous préconisons représentative de la production, s’éteignant au premier échange donc non thésaurisable, invariable, précise et stable comme doivent l’être toutes les unités de mesure et celle-là en particulier. Nous ne reviendrons sur cette réunion que pour préciser qu’en attendant l’abandon de toute monnaie souhaitable dans l’absolu, tel que le conçoivent les anarchistes et les libertaires, il nous faut bien, dans une première étape, et en attendant l’instauration de l’abondance généralisée sur la planète, permettant la satisfaction de tous les besoins, passer par des étapes, où la monnaie sera encore nécessaire. Pour le reste, nous renverrons le lecteur au livre cité (1).

LES OUVRAGES DE J.R.

Nous nous intéresserons donc, dans une étape encore moins avancée que l’économie distributive, aux propositions d’un économiste certes anticonformiste mais qui se situe encore dans le cadre du capitalisme. Il s’agit de Jacques Riboud qui anime le centre Jouffroy (2) créé en 1974 par la Revue Politique et Parlementaire"... en vue de provoquer la réflexion et la recherche, de mettre en question les idées reçues sur la monnaie..." Il aime à citer ces phrases de Giscard d’Estaing : « La véritable défaillance n’est pas celle de la volonté, c’est celle du savoir... L’impuissance de la théorie économique a, dans une large mesure, son origine dans l’ignorance de la réalité monétaire » (3).
Urbaniste de formation, Jacques Riboud s’est donc lancé dans le domaine réservé de l’économie et encore plus de la monnaie et, non sans un certain courage, s’est attaché à démolir de nombreux tabous entretenus par les spécialistes de l’économie y compris les plus renommés. Il n’hésite pas à entrer en contradiction avec Frederick von Hayek, Milton Friedman, Samuelson, Tobin (4) et Lord Maynard Keynes luimême. Il a reçu, au centre Jouffroy, bon nombre de ces personnalités et participé avec elles à de nombreux colloques internationaux. C’est dire sa renommée...
Les idées que nous examinerons sont tirées de « Mécanique des monnaies » (461 pages-1978), « La monnaie dans ses artifices » (278 pages1984) et « Controverse sur la banque et la monnaie » (146 pages-1986) (5).

L’IGNORANCE EN MATIÈRE MONÉTAIRE

L’auteur constate, jusque parmi les plus grands, des déficiences dans la connaissance monétaire qui ont eu de tragiques conséquences. Il pense que la « crise » a été aggravée par l’insuffisance des mesures prises pour la juguler. Alors que les liquidités manquaient, les autorités, obnubilées par la défense des monnaies et la crainte de l’inflation n’osèrent pas prendre les mesures qui s’imposaient et prônaient, comme Roosevelt lors de son accession à la présidence en 1933, l’équilibre rigoureux du budget et des décisions d’économie. « ...Ce qui a marqué la grande crise des années 30 est qu’elle ne s’est pas résorbée, qu’elle a persisté et n’a été effacée qu’au début des années 40 par la guerre... » observe Jacques Riboud comme nous le soutenons depuis plus de 40 ans avec de plus en plus d’approbations, il faut l’admettre. Il se consacre à clarifier les mécanismes qui sont à la base de la création, de la circulation et des échanges monétaires, préférant cela aux abstractions d’un grand mérite, peutêtre, mais qui sont de moins en moins accessibles. Or, il convient, afin d’éviter les conséquences tragiques des insuffisances passées, de débattre de ces questions sur la place publique, comme on le fait plus aux Etats-Unis qu’en France. Nous ne pouvons qu’approuver ces remarques de bon sens et applaudir avec l’auteur cet extrait de l’Economist du 11 octobre 1985 : « ..Le système monétaire affecte la vie de tous les jours. Pour des millions, il fait la différence entre, une pauvreté supportable et une pauvreté intolérable... ».

LA NATURE DE L’ARGENT

Un premier préjugé auquel il s’attaque concerne la nature de l’argent. La théorie classique veut que la monnaie actuelle soit « représentative d’un bien ». Cette idée doit être abandonnée. Le signe monétaire n’est qu’« ...une simple créance sur une institution (arbitraire et artificielle : institut d’émission, banque) qui a le pouvoir remarquable d’être échangée directement contre une fourniture de biens et services et d’assurer ainsi les transferts et la conversion de production en consommation ou investissement, fondement de l’économie... ». C’est bien également ce que nous pensons sur la dématérialisation progressive de la monnaie capitaliste.

LA CRÉATION MONÉTAIRE

Nous ne perdons pas de vue que les thèses examinées sont celles de l’économie actuelle et ne s’écartent donc pas de l’orthodoxie, notamment : la régulation des échanges par le marché. Néanmoins l’on dècouvre à la lecture que leur auteur n’hésite pas à dénoncer un grand nombre d’idées reçues. Ainsi, nous nous retrouvons également sur les mêmes positions, en ce qui concerne la création de monnaie. Voilà bien longtemps que les distributistes soutiennent que les états ont perdu leur pouvoir exclusif et autrefois régalien de battre monnaie au profit des banques. Jacques Riboud est de cet avis, mais il conteste que la création ait pour origine le prêt. Les économistes modernes expliquent la multiplication des signes monétaires, partant de la monnaie centrale créée par la banque d’émission, par le principe du multiplicateur ou des vagues successives de crédits consentis par les banques commerciales. Notre auteur s’inscrit en faux contre cette thèse car les vagues n’aboutiraient qu’à une contraction et non à une expansion de la somme originelle. Cette position n’est guère convaincante, car elle se réfère au bilan de la banque et non à l’ensemble des banques prêteuses et à la quantité de crédit mise en circulation.
Au contraire J.R. donne au moyen de tableaux à double entrée des éclairages clairs et satisfaisants sur cet autre moyen de multiplier la monnaie qu’est la compensation. Disons seulement que les représentants des banques se réunissent journellement au sein de chambres de compensation (6) où ils présentent les chèques tirés par leurs clients. Les banques ne se règlent entre elles, en monnaie centrale, que les montants restant dus après annulation des quantités qu’elles se doivent réciproquement. Des exemples simulés et quantifiés et les statistiques du Conseil National du Crédit montrent que les sommes mises en circulation, qui elles continuent à s’échanger, sont dix fois supérieures aux règlements interbancaires. C’est ainsi que les banques créent de la monnaie.

LES MASSES MONÉTAIRES ET LEURS MOUVEMENTS

Il faut en effet distinguer les différentes masses monétaires, ou agrégats, ci-après groupés en fonction de leurs rôles dans l’économie et le mécanisme monétaire
Mo=« Monnaie centrale » constituée par les billets et pièces en circulation dans le public auxquels s’ajoutent les réserves des banques en compte à la Banque Centrale.
Ml=« Disponibilités monétaires », soit la monnaie centrale en circulation dans le public (Mo) plus les soldes créditeurs des comptes courants bancaires.
M2=« Masse monétaire » soit Ml + les autres dépôts en banque.
M3=M2+ les autres signes dits liquides (dépôt aux caisses d’épargne, etc...). J.R. critique d’ailleurs cette classification qui ne distingue pas assez la monnaie de règlement de celle qui ne l’est pas et confond des composants dont la liquidité est différente. Il l’utilise néanmoins car elle fait l’objet de publications statistiques qui permettent de suivre l’évolution des prix (p), du volume de la production (P), de la masse monétaire (M2) en fonction de la vitesse de circulation (ou vitesse revenue) (v) (7) et du Produit intérieur brut (PIB).

L’on peut écrire, en effet :

v = PIB/M2 = Pp/M2

et les variations p’ = M2 + v’ - p’

Ces équations monétaristes permettent théoriquement aux responsables financiers de réguler les prix en fonction de la vitesse de circulation et de l’évolution prévue de la production (connues) en agissant sur M2 par le moyen de Mo (rapport de 1 à 10).
Tout est donc théoriquement parfait mais, l’auteur le signale lui-même, les différents facteurs ne sont pas indépendants les uns des autres. Ainsi les variations du niveau des prix réagissent sur l’évolution de la production, la vitesse de circulation n’est pas constante, elle évoluera encore davantage avec la généralisation des cartes de crédit électroniques, etc... De plus, des inconnues subsistent : SICAV et FCP sont-elles des liquidités  ? Quel est l’effet exact des indexations diverses ? Il faudrait également faire intervenir, écrivait Paul Fabra, dans « Le Monde » du 19 novembre 1985, l’accroissement de la productivité, etc...
Les équations reproduites ci-dessus semblent toutefois expliquer pourquoi les politiques monétaires de relance de la production échouent. En effet avec v - 4,5, il faudrait que P soit multiplié en un an par 4,5 également pour que le niveau des prix reste constant.
Quoiqu’il en soit et en raison des interactions, nul n’a encore trouvé, en ce régime, comment relancer la production sans créer de l’inflation. « ...Le monétarisme, écrit J.R., repose sur de saines notions, tout comme l’étalon-or, il y a cinquante ans ; mais l’application rigoureuse et systématique d’une théorie abstraite sur une économie complexe peut avoir des effets seconds imprévus, dévastateurs... ».

L’UNITÉ

L’auteur reconnaît néanmoins la nécessité d’une unité monétaire extranationale, c’est-à-dire dégagée des influences d’un gouvernement qui tente, en agissant sur sa monnaie, de réguler son économie intérieure, sans se soucier des implications extérieures pour les autres nations, aussi néfastes soientelles. Cette réforme drastique devrait se faire malgré une profession bancaire et une haute administration hier encore très défavorables. J.R. propose pour cela l’« écu constant » qu’il avait appelé dans ses premiers ouvrages « eurostable ». Il s’agirait d’un écu modifié afin de se défaire entièrement des variations actuelles de cette unité dues aux différences de change de ses monnaies nationales européennes constitutives ; non seulement entre elles, mais vis-à-vis des monnaies extra-européennes. La modification consisterait à faire varier la valeur et la composition de l’écu afin de lui permettre de conserver un pouvoir d’achat constant dans tous les pays européens, c’est-à-dire de correspondre à l’échange possible avec un panier de produits fixé ! En somme, c’est la parité du pouvoir d’achat (P.P.A.) de l’écu (8).
Par rapport à la proposition de nouvelle monnaie de l’économiste mondialiste décédé Charles Warin, le projet de J.R, comporte un aspect positif : sa constance et un aspect négatif : son européanisme. Charles Warin proposait lui une unité mondiale basée sur la valeur d’un panier de matières premières.
Comme l’envisageait Frederick Hayek déjà cité : « Tout le monde devrait pouvoir faire sa monnaie, la meilleure gagnerait. Le marché ne peut se tromper... ». N’est-ce point là faire une confiance aveugle au libéralisme dont nous avons toutes les raisons de nous méfier ? D’ailleurs J.R. bien qu’ayant soutenu son projet devant des aréopages internationaux et prévu qu’un groupe d’eurobanques pourraient le soutenir ne semble pas avoir beaucoup progressé dans sa réalisation. C’est qu’il se heurte à des oppositions puissantes dont il a conscience d’ailleurs. Sa description du fonctionnement des instances financières internationales, comme le FMI ou la Banque Mondiale, le montre bien. Il sait que la monnaie est un moyen capital entre les mains des maîtres du système qui leur permet de diriger les échanges à leur guise. il décrit l’emprise des États-Unis sur les institutions et le peu de cas que leurs représentants font de l’avis des autres membres.

LE SOCIAL

Néanmoins notre auteur ne se décourage pas, semble-t-il. Il multiplie les propositions et les mises au point. Les préoccupations sociales ne sont pas absentes de ses livres. « La monnaie dans ses artifices » contient une proposition d’allocation complémentaire de revenu minimal » qui s’apparente aux multiples projets dont nous entretenons nos lecteurs régulièrement. « Mécanique des monnaies » est préfacée par Henri Guitton de l’Institut dont on sait les attaches avec le christianisme social. On sent d’ailleurs que H. Guitton n’adhère pas tout à fait à la conviction de Riboud selon lequel : « ...il y a une mécanique des monnaies, comme il y a une mécanique des sols, une mécanique des fluides... ». Les êtres vivants, écrit le préfacier, ont des réactions (financières) plus mystérieuses, plus difficiles à saisir que les simples effets physiques. II faudrait savoir d’ailleurs si les phénomènes physiques sont aussi simplistes que le pense Henri Guitton.
J.R. nous parait donc intéressant dans la mesure où, praticien de talent de la monnaie, il rejoint nos idées sur des nombreux points. Son apport à la connaissance étroite des échanges monétaires dont nous n’avons pu donner ici qu’un rapide aperçu, est essentiel. Ainsi que les propositions de revenu de base, l’écu constant pourrait peut-être, c’est à discuter, apparaître comme une transition vers une monnaie distributive européenne. Nous ne pouvons nous permettre d’ignorer Riboud et nous pourrions tirer, au contraire, le plus grand profit, non seulement à l’étude de ses travaux, mais du soutien que ces propositions pourraient nous apporter dans notre longue marche vers la démocratie économique.

(1) En vente à la Grande Relève.
(2) 88bis, rue Jouffroy 75017 Paris.
(3) Préface de "Monnaie et Financement’.’ par Jean Denizet (Ed. Dunod).
(4) Tous prix Nobel de "Sciences Économiques".
(5) Tous édités par la Revue Politique et Parlementaire, diffusés le premier par Armand Colin, les deux autres par les P.U.F.
(6) Ce pourrait être fait également plus rapidement par des interconnexions d’ordinateurs, avec des conséquences dont nous dirons un mot plus loin.
(7) En 1985, v était d’environ 4,5, c’est-à-dire que la disponibilité monétaire ou masse de monnaie de règlement, donc les signes monétaires effectuaient en moyenne 4,5 transactions finales dans l’année, soit une tous les 81 jours environ.
(8) Voir "Economie politique" dans la G.R. n° 861.

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Lu, vu, entendu

mars 1988

Dans "La Croix l’Evénement" du 19 novembre 1987, Jean Dubois estime qu’il faut
REMETTRE LE TRAVAIL A SA PLACE

Il écrit notamment :
Il est temps de prendre nos distances à l’égard du travail, urgent de ne plus lui laisser la place centrale qu’il occupe dans notre société depuis le XIXe siècle. Séduits par les promesses de ceux qui nous disaient que, grâce à son travail, l’homme serait maître de son avenir, nous sommes devenus les victimes de son impérialisme. Celuici est tel que, pour l’homme moderne, perdre son travail c’est tout perdre à la fois : ses ressources, sa raison de vivre, son identité sociale. Focalisés par le travail, nous oublions que, dans l’histoire des sociétés, la nôtre, constitue une exception. Loin d’être le couronnement de l’histoire, la civilisation du travail pourrait bien n’en être qu’un accident.
Toutes les sociétés qui nous ont précédés se sont posé les mêmes grandes questions que nous comment survivre ? Comment se développer ? Comment vivre ensemble ? La nôtre est la seule à avoir imaginé pouvoir se contenter d’une seule réponse : travailler... Nous sommes en train de découvrir que nous nous sommes fourvoyés dans des impasses dont nous ne sortirons qu’en cessant de faire du travail la valeur centrale de notre société.
Première impasse : celle où nous a conduits la volonté de lier l’attribution d’un revenu au travail effectué. Le développement de systèmes techniques aux performances croissantes chasse progressivement les hommes des lieux de la production. Dans cet univers d’un travail devenu abstrait, impossible d’affecter à chacun la part précise correspondant strictement à son effort. On en arrive à cette absurdité : travailler ne veut plus dire que vous faites quelque, chose mais simplement que vous percevez un salaire. L’inscription sur les registres d’une entreprise vous donne le droit de gagner votre vie.
Puisqu’il est à prévoir que l’on ne pourra même plus donner de l’emploi à tous, il faudra bien se résoudre à déconnecter travail et revenu pour trouver d’autres critères de répartition des ressources.
Deuxième illusion : à savoir que le progrès, en nous libérant des tâches serviles, nous permettrait d’accéder à l’ivresse du travail créateur. Le malheur est que l’on ne demande pas au travailleur moderne de réaliser l’oeuvre personnelle qui serait la concrétisation de son rêve original. Si un travail choisi et enrichissant reste le privilège d’une petite minorité de concepteurs, le travail subi est le lot de la masse des exécutants. Il ne leur reste plus qu’à attendre la fin du travail pour commencer à s’occuper de leur réalisation personnelle.
Troisième espoir déçu : qu’au lieu d’être figés à vie dans l’identité imposée par leur carte de naissance, les individus aient enfin une chance égale, par la grâce de leur seul travail, d’acquérir une identité propre... Le choix n’est plus qu’entre le conformisme ou la marginalisation.
Ce ne sont pas des modifications, obligatoirement mineures, des modalités actuelles du travail quinous feront sortir de ces impasses. Il n’y a pas d’autre issue que de dévaloriser ce travail qui a donné son nom à notre société pour instaurer une nouvelle société sur d’autres valeurs.
(Envoi de H. Muller)

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LES DÉMARREURS DE VALEO

Le numéro un français de l’équipement automobile investit. Et supprime des emplois. Ainsi, une nouvelle usine Valeo sera mise en service fin 1988 à l’Isle-d’Abeau dans l’Isère. Cette modernisation s’accompagne d’une réduction d’effectifs. Pour une capacité de production de plus de deux millions de démarreurs, on ne comptera plus que mille deux cents personnes. Alors que l’établissement lyonnais en employait jusque-là deux mille deux cents...

"Le Monde des Affaires" 9.1.88

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BOTTES ASIATIQUES

Pour la première fois, de mémoire de statisticien, les importations françaises de chaussures en provenance des pays en voie de développement (Asie du Sud-Est notamment) ont dépassé les importations en provenance de la CEE.
Cette statistique n’est qu’un élément du triste bilan que la Fédération nationale de l’industrie de la chaussure fait de 1987. L’année dernière, les effectifs dans ce secteur (50.000 personnes au 1e, janvier 1987) ont diminué de 10 %. Ce sont les importations en provenance des pays à bas salaires qui sont mises en cause par les professionnels. Alors qu’en 1985, une paire de chaussures sur deux était importée, 70 % de notre consommation intérieure viennent aujourd’hui de l’étranger.
C’est l’Asie du Sud-Est qui a le plus bénéficié de ce phénomène.

"Le Monde des Affaires" 9.1.88

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BIEN JOUÉ

Les Français ont joué, en 1987, 45 milliards de francs au Loto et au PMU. C’est, à un pneu près, le chiffre d’affaires de Michelin.
Le PMU et le Loto sont, dans l’ordre, selon le journal l’Expansion, les troisième et quatrième sociétés de services derrière Air France. "Le Monde" 13.1.88
A comparer avec les pertes boursières !

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Dans la rubrique "A travers les revues" et sous le titre "les deux figures du chômage" par Michel Beaud "Le Monde" du 19.1.88 publie un article dont nous avons relevé les 2 extraits suivants qui vont dans le même sens que ce que nous écrivions récemment dans la G.R. D’abord concernant les statistiques Chef de la division Emploi du département Populations-ménages de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), Claude Thelot nous donne quelques clés pour la mesure du chômage et de son évolution. Car l’observateur attentif et de bonne foi a de quoi être troublé : il y a un écart important entre le nombre des chômeurs au sens du Bureau international du travail (BIT) et celui des demandeurs d’emploi en fin de mois à i Agence nationale pour l’emploi (ANPE) : en mars 1987, respectivement 2567000 et 2689000. Bien plus, il y a divergence dans leurs évolutions : de mars 1986 à mars 1987, le premier a augmenté de 4,9  % et le second de 8,4 %

Avec beaucoup de pédagogie, Claude Thelot fait la part de la fragilité des instruments de mesure. S’agissant des chômeurs au sens du BIT, ils sont mesurés sur la base de l’enquête emploi qui porte sur un échantillon de 64 000 ménages : compte tenu des aléas, on peut être presque sûr que leur nombre a augmenté, en un an, dans une fourchette comprise entre 1,6 % et 8,2 %... S’agissant des demandes d’emploi en fin de mois, il y a eu une modification dans le traitement des statistiques du marché du travail en cours d’année, et il a donc fallu "reconstituer" le chiffre de mars 1986, ce qui introduit une "petite incertitude" mais leur évolution "est très probablement comprise entre 7,9 et 8,8 %".
Puissent les hommes politiques qui se targuent d’un infléchissement de quelques dixièmes de point de tel ou tel indice lire et méditer cet article...

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Ensuite sur l’emploi de l’expression "sciences sociales" (voir Économie Politique G.R. n° 861).
J’entends encore Jean Bouvier : "L’épithète de scientifique a le don de me hérisser profondément (...). Je n’emploie plus cette expression de scientifique, ni à propos de l’histoire - celle que je fais, - ni à propos de l’analyse économique. Les "sciences humaines et sociales" font ce qu’elles peuvent. Recherchent-elles la scientificité ? Je n’en sais rien ; je ne sais plus ce que c’est. A mes yeux, ce qui compte, c’est l’honnêteté intellectuelle du chercheur"
Au terme d’un article sur "l’expansion et la diversification croissante de l’univers des sciences sociales", Frédéric H. Gareau, professeur à Florida State University, aboutit à une conclusion voisine.
Il rejette le concept même de "sciences sociales" : à ses yeux, il y a, dans le domaine de la connaissance, d’un côté les sciences (exactes et naturelles) et de l’autre les "nonsciences" ; au sein desquelles se rangeraient les prétendues "sciences sociales". Dès lors, ’l’appellation d"’études sociales" serait une désignation plus honnête et plus fidèle des disciplines dont nous parlons que l’étiquette actuelle qui parait bien prétentieuse".

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