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Éditorial
« Comment se fait-il que vos propositions ne
soient pas plus commues ?, « Pourquoi me passez-vous pas plus souvent
à la télé ? », « On me voit jamais
la Grande Relève aux rayons des libraires », « Pourquoi-les
journalistes de la radio me citent-ils pas la Grande Relève ?
», etc...
La réponse à ces questions que nous posent très
souvent nos abonnés, est simple à comprendre : notre journal
a un trop faible tirage pour avoir les moyens de payer une présentation
qui attire l’oeil et son prix est trop bas pour offrir un intérêt
commercial pour les revendeurs. Alors ceux-ci ne la montrent pas...
et les efforts que nous faisons pour la diffuser dans toute la France
par l’intermédiaire des NMPP ont pour effet... un retour d’invendus.
Or quelle est la raison d’être de la Grande Relève ? Ce
n’est pas seulement d’être en contact entre convaincus pour les
aidera être convaincants. Ce n’est pas d’être un simple
bulletin de liaison entre militants puisque tous les groupes abondancistes
ont leur bulletin interne.
La « Grande Relève » a été fondée
pour utiliser le media qu’est la presse écrite afin de répandre
les thèses distributistes, d’attirer l’attention des gens qui
n’en ont jamais entendu parler, de préciser ces thèses
auprès de ceux qui en ont une idée vague, ou fausse, et
d’élargir à tous la réflexion sur ces thèmes.
Quels sont en effet les moyens de répandre une idée, une
réflexion, des propositions pour l’avenir ?.
1. Les contacts directs : conférences publiques, prises de parole
( ou passage de cassettes enregistrées) au cours de réunions
ou sur les ondes de radios libres. C’est le moyen d’emploient les militants,
que ce soit à titre individuel ou dans le cadre d’associations
distributistes.
2. Les grands médias à l’échelle nationale : télévisions
et radios, campagnes par panneaux publicitaires. A utiliser comme pour
lancer un produit commercial : il faut des millions. Or quand il s’agit
d’un produit commercial, la publicité est payée par les
profits tirés de sa vente. Ce m’est pas notre cas. A ranger dans
la même catégorie : le lancement d’un film : nos lecteurs
ont eu les détails dans notre numéro d’Avril dernier.
3. La presse écrite. Sous deux formes : livres, la difficulté
est alors de trouver un éditeur, et presse périodique.
Celle-ci jouit d’un avantage : la loi sur la liberté de la presse.
Mais comme tout en l’état actuel de notre monde, elle est soumise
à la loi du marché. Cela veut dire que pour élargir
la diffusion de la Grande Relève, toucher un nouveau public,
il faut en faire un « produit » plus commercial ». Il
faut d’abord que sa couverture attire l’oeil, et, de nos jours, cela
veut dire qu’elle soit en couleurs. Ensuite, à l’intérieur,
il faut des photos, des dessins. A l’heure actuelle, ce qui « se
vend » le mieux, c’est la bande dessinée. Il lui faut une
bande dessinée. De préférence à épisodes.
Pour faire revenir le lecteur. Et cela demande le travail d’une équipe
de professionnels. Et puis, il faut faire de la publicité pour
le journal, dans d’autres journaux par exemple, ou sur des radios. Et
tout cela se paie, et se paie très cher. Or pour financer ces
moyens de mous faire connaître, il faut plus que la souscription
permanente « pour que vive la Grande Relève » car
celle-ci suffit exactement à la publication telle qu’elle est...
parce que mous me payons que l’imprimeur (composition clichés,
papier), la poste (dont les tarifs viennent d’augmenter en douce de
près de 10%), et les NMPP. Pour payer l’impression d’une couverture
en couleurs et une bande dessinée, une solution : ouvrir une page
du journal à de la publicité payante...
Tel est notre dilemme. Faut-il, parce que mous sommes convaincus des
méfaits qu’engendre aujourd’hui la loi du marché, renoncer
à utiliser la Grande Relève pour élargir notre
audience ?
Je me crois pas que J. Duboin ait crée ce journal, et lui ait
consacré tant d’efforts, mi que son journal ait survécu
plus de 50 ans à bien des difficultés, pour en arriver
à cette conclusion.
En lançant, en avril dernier, une souscription pour un film,
mous avons reçu peu de réponses, mais un peu d’argent.
Ce peu de réponses mous a incités à remettre le
projet. Avec l’accord des souscripteurs, et en mettant au bout de ce
qu’ils ont versé, mous allons tenté le coup, au moins
pour six mois. Doublant le coût du journal, il faudrait dans cet
intervalle doubler le nombre de nos lecteurs...
Donc en décembre commencera la nouvelle série, avec une
couverture en quadrochromie et une bande dessinée en dernière
page. Il faudra particulièrement en sélectionner les textes
(A. Ducrocq, A, Gorz, J. Robin mous aideront-ils ?) car ce premier numéro
servira à prospecter des « annonceurs », il contiendra
une feuille de tarifs à leur présenter...
Et ce ne sera pas facile. Nous avons beau rentrer dans
le système commercial, parce que « qui veut la fin, veut
les moyens-, il ne saurait être question d’accepter m’importe
quelle publicité. Il faudra dont « sélectionner »
les annonces - si nous en trouvons - dans les domaines des loisirs (expositions,
voyages, sports, concerts, conférences), des nouvelles technologies
(de l’informatique, par exemple) de certains livres, ou revues, ou radios
qui, en échange (par exemple) feraient de la publicité
pour nous.
Abonnés, si vous voulez que vos aspirations fassent tache d’huile :
c’est le moment d’agir en aidant la Grande Relève : envoyez-lui
de bons papiers à publier, trouvez-lui des rédacteurs
connus (de préférence bénévoles), cherchez-lui
des annonceurs (payants). Est-ce vraiment la quadrature du cercle ?
La Grande Relève est votre affaire. Une promesse en échange :
si le tarif au numéro va être augmenté, c’est nécessaire,
celui de l’abonnement, pour tous les abonnés actuels, restera
inchangé en 1987. On a beau se lancer dans le « commerce
», ce ne saurait être, pour nous, au détriment des
abondancistes de la première heure !
Le revenu garanti est décidément dans le vent... En même temps que se tenait à Louvrain-la-neuve le colloque dont nous avons rendu compte le mois dernier, P. Fabra s’attaque à l’idée même de revenu garanti... et R. Marlin lui répond :
Jacques Duboin ayant été, comme dans
beaucoup d’autres domaines de l’économie, un précurseur
en matière de revenu social, notre mensuel a publié de
nombreux articles à ce propos. En juillet 1985, ainsi qu’en janvier
et mai 1986, la reprise de cette idée dans la plate-forme du
P.S. en vue des élections législatives de mars et des
réalisations par certaines municipalités nous ont fait
revenir sur le sujet. Il est de nouveau bien entendu qu’il s’agirait
d’une application en régime capitaliste, pouvant d’ailleurs se
ranger parmi les mesures de transition, et non pas de revenu social
tel que nous l’entendons dont le caractère essentiellement différent
serait d’être maximal et non minimal..
« Le Monde », dans ses pages économiques datées
du mardi 26 août 1986, reproduit une chronique de Paul Fabra intitulée :
« une fausse bonne idée : le revenu minimum garanti »
intéressante, non par des objections nouvelles propres à
enrichir la discussion, mais par deux arguments souvent utilisés
et qui le sont aussi par les opposants à nos thèses. Mais
résumons d’abord l’étude de Paul Fabra.
Comme il est habituel au « Monde » le journaliste
prend bien soin de ne jamais se référer à Duboin,
mais à un certain Serge Milano auteur de « La pauvreté
en France » (1) et de « Revenu minimum social : un droit local
à la solidarité » dans la revue « Futuribles »
de juillet-août. Il rappelle la position du P.S. et actualise
la question par deux interviews de son journal les 8 et 20 août ;
la première où Philippe Séguin ministre des affaires
sociales et de l’emploi avouait, avec un certain courage, mais aussi
pour prévenir les critiques futures, qu’il y aurait un nombre
« incompressible de 2 à 2,5 millions de chômeurs »,
la seconde, réponse d’Edmond Maire, secrétaire général
de la C.F.D.T. : « Le chômage peut être vaincu »
paraît-il par une déréglementation de l’emploi !
Afin de ne pas déformer la pensée de M. Fabra, citons
sa première phrase-clé qui vient juste ensuite :
« Si, en conformité avec ce que pensait pendant les années
30 Keynes, mais en contradiction avec ce qu’à toujours proclamé
le grand courant de la pensée économique libérale,
le pessimisme du ministre... était justifié, la question
se poserait inévitablement de savoir dans quelle mesure il conviendrait
de prévoir de nouvelles formes de revenus, pas nécessairement
liées avec le travail, fut-il passé (2) (l’homme aujourd’hui
privé de son emploi est indemnisé en fonction de celui
qu’il occupait) ».
Ainsi, mais seulement un instant, rassurez-vous ( !!), et avec quelles
contorsions P. Fabra envisage l’attribution d’un revenu pas forcément
reine avec un travail. Comment alors qualifie-t-il toutes les allocations
familiales, de logement, de naissance, etc... qui ne sont en aucune
façon la contrepartie d’un travail ?
Remarquons ensuite, sans aller plus loin dans la controverse sur le
chômage incompressible, car le lecteur sait ce que nous en pensons
(3), que Edouard Balladur ministre de l’économie, des finances
et de la privatisation, le « premier des ministres, a, au cours
de « l’Heure de vérité » du 10 septembre sur
Antenne 2, et en présence de Philippe Séguin, mollement
démenti celui-ci qui ignorait peut-être avoir commis le
crime impardonnable par les temps qui courent, de lèse-libéralisme.
Mais M. Balladur, n’en a point pour autant, et pour cause, promis le
retour au plein-emploi.
Serge Milano et Paul Fabra rappellent les différentes
propositions de revenu minimal en présence :
- celle des « idéologues », comme le philosophe Marcuse
(dixit P. Fabra) où chacun aurait le choix entre le travail et
le loisir, assuré d’un revenu « déjà passablement
élevé ». « La forme la plus élaborée
- à la limite du canular - de cette utopie est de rapporter la
notion de plein emploi à la durée entière de la
vie active de chaque individu en particulier, celle-ci consistant en
une succession de périodes d’activité et de périodes
d’inactivité » (4).
En lisant de pareilles appréciations sous la plume d’un journaliste
dit sérieux, l’on est en droit de se demander s’il n’écrit
pas n’importe quoi. Comment peut-il oublier les congés parfois
de plusieurs mois, les professions saisonnières, les chômeurs
à temps partiel, les congés sabbatiques, etc... Même
en admettant, et en regrettant qu’il y ait une grave ambiguïté
dans l’utilisation du mot travail, il est incontestable que, loin d’être
un canular, l’emploi par périodes, dans la vie, dans l’année,
dans la journée, est une réalité d’à-présent
qui ne pourra que se développer dans l’avenir. Admettons donc
seulement qu’il n’y a aucune relation entre le travail du poète
et celui de la secrétaire, entre celui de l’ingénieur
d’études et celui du mineur de fond, entre celui du professeur
et celui de l’O.S..
Paul Fabra approuve également Serge Milano de préférer
<la riche diversité du système de protection sociale
français actuel, à celui, faussement simplificateur, de
l’impôt négatif du néo-libéral Milton Friedman
et exprime sa méfiance envers !e système de Marcuse, où
le revenu minimal ne pourrait qu’entraîner l’obligation de travail,
comme en U.R.S.S., ajoute-t-il froidement ! Ainsi probablement afin d’effrayer,
P. Fabra en vient-il à transformer une proposition humaniste
destinée à libérer l’homme de sa peine, en une
autre qui le condamnerait ! En plus malgré l’adverbe faussement,
d’ailleurs injustifié, il se montre partisan de la fameuse maxime :
« Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
Qui, au-delà de l’humour, permet d’éliminer des allocataires
potentiels lesquels ignorent leurs droits susceptibles pourtant de les
sauver de la misère.
Il faudrait donc, selon M. Milano, « limiter le revenu social
à ceux qui sont démunis de toutes ressources et en exclure
ceux qui ont déjà des ressources, même si elles
sont insuffisantes ». Ainsi ceux qui n’ont rien bénéficieraient
du minimum et ceux qui ont moins de ce minimum en resteraient là !
Tout cela est décidément plein de bon sens et de logique...
Surtout, afin de ne pas créer des assistés, la prestation
ne serait pas un droit, mais une exception« extralégale,
financée par les fonds sociaux des collectivités territoriales
et des organismes de sécurité sociale ». Selon les
conceptions, le nombre des bénéficiaires serait de 160000
environ, d’après M. Milano, et de 900000 d’après Jean
Claude Boulard, membre du bureau exécutif du P.S. et, écrit
P. Fabra, chaud partisan d’un revenu minimum légal.
Le journaliste du « Monde » s’inquiète de l’exemple
suédois où de nombreux citoyens font appel au bureau d’aide
social, pour régler des fins de mois difficiles, si bien que
535000 suédois, 15% de la population, auraient touché
une aide en 1985. Demandons donc à M. Fabra si, en raison des
abus, il faut supprimer la Sécurité Sociale ?
Alors il conclut : « L’idée que la société
devra, dans l’avenir, assurer à tout un chacun un revenu minimum
relativement confortable relève d’une illusion. Celle qui faisait
croire, au début des années 70, à la veille de
la crise que, si les sociétés industrialisées étaient
capables d’envoyer des hommes sur la lune, il allait de soi, qu’elles
devraient être en mesure de garantir une prospérité
croissante à leurs habitants. N’en déplaise aux utopistes :
laisser croire qu’il ne sera plus besoin de travailler pour vivre, c’est
délibéremen t prendre le risque d’une régression
économique ».
Ainsi, d’après M. Fabra les 2,5 millions de chômeurs officiels
- selon la définition du Bureau international du travail écartant
un grand nombre de chômeurs réels- et tous ceux qui ne
vivent que de travaux inutiles, exemple : charlatans de toutes espèces,
ou nuisibles, exemple : fabrication d’armements, donc plus du double,
soit 20% de la population active ne participeraient pas à la
régression économique du pays ? C’est qu’il conserve de
la richesse d’une contrée une idée purement financière
- et encore dans ce cas, ce n’est pas évident - non une idée
économique, c’est-à-dire celle de la production réelle
globale matérielle et immatérielle. En fait, il s’allie
avec ceux qui font croire aux autres, au temps de l’automatisation à
outrance, que le travail salarié est aussi nécessaire
qu’auparavant, créant un volant de demandeurs d’emploi bien utile
pour refuser tout accroissement des salaires et toute amélioration
des conditions de travail.
Je retiendrai donc de cette étude du « Monde » les
deux objections annoncées qui nous sont souvent opposées
et qui sont reprises ici contre la proposition d’un revenu minimal garanti :
le risque d’une société d’assistés et l’absence
de la motivation au travail que constitue le besoin de gagner sa vie
et celle de sa famille. Sans prétendre épuiser les deux
débats qui ont fait l’objet chez les continuateurs de J. Duboin
et chez les partisans du socialisme d’état ou du capitalisme
sous leurs différentes formes, de longues discussions, je noterai
seulement ici quelques remarques :
La société d’assistés nous l’avons déjà :
à côté de ceux très rares qui reçoivent
uniquement un gage, des émoluments, des honoraires ou le revenu
d’un capital, ou bien encore une retraite, combien plus nombreux sont
tous les allocataires divers déjà cités, assistés
dans une certaine mesure, même si l’aide reçue ne constitue
qu’une partie de leur revenu. Et c’est heureux pour le système
que défend M. Fabra dont la production s’écoulerait encore
plus difficilement sans cela. D’ailleurs de nombreux économistes,
même orthodoxes, admettent que le capitalisme évolue irrésistiblement
vers un système dual. Alors est-ce vraiment une objection à
retenir ou une raison d’aller vers le revenu garanti ? Pourquoi les
bénéficiaires se considéreraient-ils comme des
assistés alors qu’ils ne sont que les héritiers de la
longue quête des générations pour réduire
le labeur et obtenir plus de bien-être ?
En ce qui concerne le problème de la motivation, notons qu’il
ne se pose pas pour les chômeurs officiels et tous ceux qui voudraient
bien travailler mais ne trouvent pas d’emploi. Ajoutons que la question
est surtout soulevée par les détenteurs d’un revenu qui
seraient excédés de constater que d’autres pourraient
vivre sans travailler. La nécessité de participer à
la production nationale ou mondiale ne se pose pas puisque les produits
s’accumulent sans trouver d’acquéreurs malgré le déploiement
universel de la publicité. Je pense plutôt que beaucoup
de patrons sont inquiets à la perspective d’une raréfaction
des solliciteurs d’emplois sur le marché qui les obligerait à
améliorer leur offre. Enfin affirmons que le travail ne relève
pas toujours et même pas souvent de raisons purement financières,
mais tout autres telles que : ambition, besoin de dominer, recherches
de spéculations intellectuelles, affirmation d’un talent ou d’un
don, envie de s’occuper, vocation, inspiration, expression, etc. Nous
rejetons la soit-disant condamnation de l’homme au travail forcé
et nous croyons qu’il ne travaillera volontiers qu’en vue de satisfaire
les besoins qu’il se sera assigné. La vraie question est donc
celle-ci : les motivations autres que celles purement monétaires
serontelles suffisantes pour assurer la production automatisée
à l’extrême nécessaire à la satisfaction
des besoins ainsi définis ? La réponse est évidemment
positive et, dès lors les arguties de Fabra et Milano restent
sans valeur.
L’évolution vers un revenu minimal garanti, premier pas vers
une économie distributive, largement engagée, est inéluctable.
Nous la suivrons et la faciliterons dans la mesure de nos moyens qui
ne nous permettent malheureusement pas d’acheter TF1 pour cela, et pourtant
notre tâche deviendrait beaucoup plus aisée...
Mais vraiment, MM. Fabra et consorts vous n’êtes pas pour rien dans l’échec des sociétés industrielles à réaliser tous les espoirs des années 70 dû non à une insuffisance des moyens de production, mais à l’incapacité des financiers et de leur système à gérer le progrès scientifique et technique.
(1) Editions « Le Sycomore » Paris 1982.
(2) C’est nous qui soulignons.
(3) Rappelons, sur ce sujet, le livre d’A. Sauvy « La machine
et le chômage - Le Progrès technique et l’emploi »
Bordas 1980.
(4) Toujours pas de référence à Duboin...
Parler de la Chine, même après l’avoir
sillonnée sur quelque 6.000 km du Nord au Sud et, assez profondément,
d’Est en Ouest - à pied, en bateau, en car, en chemin de fer,
mais surtout, hélas, en avion - c’est s’attaquer à un
« vaste problème » comme eût dit de Gaulle ! Tout,
la géographie, la culture, les cultures, les réalisations
de la Chine populaire, la langue et l’écriture, tout invite à
la modestie, surtout lorsqu’on n’est pas un « sinologue distingué
».
Je me contenterai donc, dans un premier temps du moins, d’un survol
de ce grand pays.
On peut résumer ainsi la situation de la Chine en 1986 : c’est
un pays de plus d’un milliard d’habitants, SOIT 23% DE LA POPULATION
MONDIALE, QUI NE DISPOSE QUE DE 7% DES TERRES CULTIVABLES DE LA PLANETE.
Et l’on ne peut qu’être admiratif en constatant comment chaque
mètre carré est mis en valeur. A titre de comparaison,
en France, 32% des terres sont cultivables, contre 14% en Chine, du
moins dans l’état actuel des choses.
Les dirigeants chinois ont commis deux erreurs fondamentales : la première,
pour mémoire, c’est la révolution culturelle, qui à
terme, n’aura que peu de conséquences ; la deuxième, quasi
irréversible, c’est de ne pas avoir écouté, au
lendemain de la « Libération » (1) ceux qui prônaient
déjà la limitation des naissances. Résultat : un
doublement de la population en trente ans. En 1949, la population était
« estimée » à 450 millions. Or, le recensement
terminé en 1953 donna un chiffre de 540 millions. Avec la baisse
de la mortalité (2), surtout infantile, la population ne pouvait
que croître rapidement. Dès 1970, une véritable
course de vitesse s’est engagée pour que l’augmentation de la
production dépasse celle de la population. Il était temps :
le recensement de 1982 fit apparaître un chiffre de 1,032 milliard
d’habitants et ce, malgré les campagnes contraceptives.
Des dispositions drastiques ont été prises : 1 enfant par
famille à la ville, 2 à la campagne. Campagne d’affiches,
avantages aux familles n’ayant qu’un enfant (attribution d’un logement,
par exemple), gratuité des contraceptifs, de l’avortement etc...
Malgré cela, la population continue de croître d’environ
13 millions par an : en effet, les villes ne représentent que
20% des habitants et très souvent à la campagne le niveau
de 2 enfants se trouve dépassé.
Cependant, les dirigeants se sont fixé 2 objectifs
à l’horizon 2000 :
1) une population stabilisée à 1,2 milliard d’individus ;
2) un revenu moyen de 2.300 yuans contre 720 aujourd’hui, soit une multiplication
par 3,24.
Il faut savoir-ce qui ne laisse pas d’être inquiétant - que la Chine + l’Inde représentent aujourd’hui 40% de la population mondiale, mais ne totalisent que 3,82% du produit mondial brut, soit moins que la France seule. Il y a donc urgence pour que les dirigeants chinois fassent « décoller » leur pays, s’ils veulent sortir du sous- développement qui pèse sur la plus grande partie du monde.
Voilà donc, planté à grands traits,
le « décor » dans lequel se joue le sort de la Chine
d’aujourd’hui et de demain ; et, par voie de conséquence, sans
doute, le sort du monde.
Et maintenant quelques, aperçus caractéristiques de la
Chine de 1986.
" LOGEMENT
La Chine est un immense chantier. Les villes sont truffées d’immeubles
en construction, quelquefois en préfabriqué, le plus souvent
en briques, matériau national par excellence. Au départ,
les immeubles ne comprenaient souvent que 4 ou 5 étages, sans
ascenseur. Face à l’augmentation de la population (une ville
comme Pékin a vu croître en 30 ans sa population de 2 millions
d’habitants, soit l’équivalent de Paris intra-muros), les immeubles
atteignent 15 à 18 étages. Les appartements nouveaux,
pour un couple avec enfant, comptent 3 pièces pour 30 à
40 m2, ce chiffre ne comprenant pas cuisine et sanitaires.
A la campagne, beaucoup de petites maisons neuves, coquettes, toujours
en briques : celles-ci sont faites de matériaux locaux, obtenus
dans de nombreux fours à chaux et des fours à briques
et à tuiles.
C’est à ce prix que la Chine a pu loger en 3 décennies
500 millions de nouveaux habitants, 10 FOIS LA,, POPULATION DE LA FRANCE.
" NIVEAU DE VIE
Nous avons déjà vu les objectifs pour la fin du siècle.
Pour nous en tenir au présent, constatons qu’entre 1975 et 1984,
le revenu national global a doublé. L’accroissement de la consommation
par tête est passé d’une moyenne de 7% entre 1979 et 1983
à 11% en 1984. Les salaires sont certes peu élevés :
70 à 150 yuans par mois (un yuan = environ 2 francs). Un ministre
touche 250 yuans. Effrayant à première vue, même
pour un smicard français. Il faut en réalité traduire
en pouvoir d’achat et savoir qu’il n’y a ni retenue sociale, ni impôts.
Un loyer coûte de 3 à 5 y. Pour un yuan, on a 3 kg de riz.
La Chine n’a pas faim. Les gens sont très correctement vêtus,
souvent avec coquetterie, surtout depuis l’abandon, il y a quelques
années, du « bleu de chauffe » national, qu’on ne trouve
plus guère que dans les campagnes. Une paire de chaussures vaut
de 7 à 15y. ; une chemise de 5 à 7 ; un pantalon de 12
à 20.
Bien entendu, certains produits restent chers : un vélo coûte
165 y. (entre 1 à 2 mois de salaire) ; un poste télé
en noir, 400 y. ; en couleur, 1000 à 1400y. L’augmentation de
la production des postes télé est passée de 10%
en 1982 à 46% en 1984 (10 millions d’unités/an).
En ville, 80% des habitants ont la télévision, 50% à
la campagne. La télévision couleur se développe.
Le Chinois, malgré son faible salaire, est économe (3).
" POLITIQUE ECONOMIQUE NOUVELLE
Après la mort de Mao Zedond (1976), Deng Xiaoping a réussi
à donner un nouveau souffle à la production en procédant
à une libéralisation prudente, mais efficace. Par exemple,
la terre appartient toujours à l’Etat, au « peuple »
plus précisément. Mais elle est « confiée »
au paysan qui l’exploite à son gré : d’où une nette
amélioration en produits divers sur les marchés libres,
nombreux. Déjà, dans des conditions moins « motivantes »,
les récoltes de céréales étaient passées
à 161 millions de tonnes en 1952 à 335, 30 ans plus tard.
Un pays qui a doublé sa population en 3 décennies et qui
a tiré parti de tous les m2 cultivables ne peut survivre que
par l’augmentation des rendements.
Un effort colossal a été mené dans tous les domaines.
La croissance moyenne industrielle est de 10 %. La production d’acier
brut est passée de 1,3 million de tonnes en 1952 à 35
millions en 1981. Le réseau de chemin de fer (60% du frêt
total) de 26.000 km à 52.400. Les camions, essentiellement de
fabrication chinoise (les taxis et cars étant surtout japonais),
assurent une part importante du frêt ; de même les transports
par voies d’eau : 40.000 km de fleuves accessibles aux navires modernes,
plus 14.000 km de côtes.
L’électrification est réalisée à 950/o,
contre 25% en 1949. Nous avons pu voir, tout au long du Yangzi, des
lignes desservant les villages et même les maisons les plus isolées.
La source principale de production d’électricité reste
le charbon, malheureusement de mauvaise qualité. Les hydrocentrales
- essentiellement 87.000 petites centrales, souvent sous- produits de
contrôle des eaux - fournissent à peine le quart du courant.
La Chine est en manque chronique d’électricité
malgré des efforts continus : d’où un déphasage
avec la croissance industrielle. Mais de grands projets sont à
l’étude. Déjà, en 1981, sur le Yangzi, à
Gézouba, a été réalisé un grand barrage
de 2,5 km de long, 40 m. de haut, que nous avons franchi dans une écluse
en 8 minutes. Ce barrage a permis, outre la production d’électricité,
de régulariser le Yangzi dont les inondations étaient
catastrophiques (20 millions de victimes, 140.000 morts, par exemple,
en 1935). Il faut savoir qu’avec son apport limoneux, le fleuve, bien
souvent, ne « tient » que par ses digues, le lit se situant
au-dessus du niveau des terres.
Les risques ne doivent être définitivement conjurés
qu’avec l’édification d’un autre très grand barrage (150
m de haut), 40 km en amont du barrage de Gezouba. En outre, sa production
d’électricité atteindra -dans 10/15 ans - 40 à
50 milliards de kWh, soit l’équivalent de ce qui manque à
la Chine en 1986 et on pourra irriguer 4 millions d’hectares, soit 20%
des terres cultivables de la France.
Pour mémoire, rappelons que la France a conclu avec la Chine
un marché pour la construction d’une centrale nucléaire
près de Canton.
Nous ne voudrions pas terminer sans évoquer en quelques lignes
le voyage proprement dit que nous avons fait et qui pourrait intéresser
des lecteurs (4).
Donc Paris-Pékin : 12 000 km. 4 jours à Pékin, dont
un réservé à la visite de la Grande Muraille : 6.000
km. Pékin -Xian, pour la visite des célèbres découvertes
archéologiques (1974) : 6000 fantassins et cavaliers debout, grandeur
nature, réalisés 2 siècles avant J.C.
Puis Xian-Chongging : de là, 300 km en car au milieu des rizières
en terrasses. Travail de fourmis, où le buffle reste l’élément
« moteur » numéro un.
De Chongging, deux jours de descente en bateau sur le Yangzi ; le deuxième
jour, par grand soleil heureusement, nous avons navigué dans
les 3 célèbres gorges. Après 250 km en car, au
milieu de cultures variées, dans la plaine du fleuve, envol pour
Shangai (11 millions d’habitants), ville née avec les Occidentaux
(guerre de l’opium) qui interdisaient leurs quartiers « aux chiens
et aux Chinois », et où opéraient 60.000 prostituées
entre les fumeries d’opium et les maisons de jeux.
Mais le « clou » sans conteste, sur le plan paysage, c’est
Guilin et sa merveilleuse rivière Li. On comprend que Guilin
ait été le lieu de prédilection des poètes
et des peintres lorsqu’on remonte en bateau la rivière au milieu
de merveilleux « pains de sucre ». C’est féérique.
En ce qui me concerne, c’est ce que j’ai vu de plus beau au monde ; il
est vrai que le soleil était de la partie.
Enfin, Canton. Et, pour terminer, deux jours à Hong-Kong. Un
autre monde, bien sûr, assez délirant, mais qu’il faut
voir, aussi bien du haut du Pic Victoria que dans les rues, notamment
le soir.
Pour conclure, disons que, s’il est difficile de supporter la cuisine
chinoise pendant trois semaines (bien que le petit déjeuner soit,
heureusement, européen depuis quelques années), on ne
se lasse pas d’apprécier la gentillesse des Chinois, leur joie
de vivre, leur volonté de vaincre des obstacles qui sont de véritables
montagnes. Oui, vraiment, un très grand peuple... d’un milliard
d’individus.
(1) Pour les Chinois, la « Révolution
» concerne l’année 1912 lorsque la République de
Sun Yat Sen mit fin au règne des empereurs. L’année 1949
est l’année de la « Libération » : proclamation
de la République Populaire de Chine.
(2) La mortalité est passée de 25 % en 1950 à 6,36
% en 1981.
(3) Une anecdote vaut d’être racontée. A Shangai, nous
sommes entrés par hasard à la Caisse d’Epargne. Un simple
comptoir, sans protection, à hauteur de table : derrière,
une centaine de machines modernes comptant les billets. Imaginez cela
en pays occidental, « hautement civilisé » immédiatement,
un hold up.
(4) Il y aurait bien d’autres sujets à aborder. Nous y reviendrons
sans doute. Pour le moment, nous en resterons là : les lecteurs
de la G.R. peuvent écrire pour apporter des précisions.
poser des questions etc... On peut envisager à Paris une conférence-projection
(500 photos + films).
Nombril de notre univers économique, point
de mire des producteurs et des négociants, le Marché ne
figure pourtant qu’une très minuscule planète de cette
vaste nébuleuse au sein de laquelle continuent d’errer mille
besoins cherchant en vain à se manifester, durant que mille efforts
s’y perdent et s’y dispersent attendant que soit fécondé
tout un potentiel énergétique et humain. Univers sans
vie, univers mort aux besoins qualifiés d’imaginaires, tel apparaît
ce no man’s land économique ignoré de l’économètre
et du statisticien, bien qu’il grouille d’une humanité débordant
d’appétences.
Libre ou organisé, le Marché a ses lois, ses conventions.
Aux dires de ses partisans, le libre marché sélectionnerait
les meilleurs en éliminant les incapables. Il sanctionnerait
les mauvaises gestions, cause de gaspillages, favorisant ainsi le consommateur
auquel il garantirait le plus juste prix. De tels propos procurent sans
doute un certain confort intellectuel, mais il convient de les tempérer
par quelques remarques serrant de plus près la réalité.
Libre marché, libre concurrence, ces mots pièges font
penser au libre- renard admis à pénétrer dans un
libre-poulailler pour y saigner de libres-poulets. Le Marché
s’est organisé sous la pression des circonstances en vue de faire
front aux débordements de production qui, à tout instant,
peuvent entraîner l’écroulement des prix, des ruines, des
faillites, des licenciements, des désordres sociaux, des bouleversements
politiques.
Les dimensions du Marché, l’étendue de ses débouchés
SOLVABLES, ne s’ajustent qu’accidentellement aux dimensions de l’offre,
le divorce ayant tendance à s’aggraver entre les cadences de
production et la progression, moins fantasques, des revenus. Alors que
dans un marché sous-approvisionné, l’ajustement de l’offre
à la demande s’effectue sans difficultés au moyen de hausses
de prix, « l’emboîtage », dans un marché surapprovisionné,
met en jeu, toute une série de mesures, de roueries, d’astuces,
d’artifices, en vue de soutenir les prix, en vue de contenir l’offre,
de la limiter à la capacité d’absorption du Marché.
D’autre part, l’emboîtage est tenu d’observer des délais
tels que l’accumulation des stocks ne franchisse pas le niveau défini
au planning de l’entreprise.
C’est dire l’âpre lutte à laquelle doivent
se livrer les offrants pour tenter de substituer leurs pro
pres ventes à celles d’autrui, le souci de survivre commandant
à chacun de provoquer la mort commerciale d’un concurrent, de
se réjouir des épreuves qui l’accablent, d’une maladie,
d’un incendie, d’un accident, de tout ce qui peut conduire à
réduire son activité.
Tous les malchanceux seraient-ils des incapables ? Doit-on considérer
comme tels le petit exploitant qui, en dépit d’efforts consciencieux
et des excellents rendements obtenus, n’arrive plus à vivoter
sur le produit de ses ventes ? Et cet autre, victime des intempéries,
d’une épizootie ? A ce compte, ne devrait-on pas ranger parmi
les incapables, les rapatriés, les sinistrés, les victimes
des guerres ?
En revanche, l’Economie de Marché fait la part belle aux ruffians,
aux escrocs, aux voleurs, aux spéculateurs, aux affameurs, aux
profiteurs de guerres, aux joueurs, aux tricheurs, aux fraudeurs, aux
intrigants, aux concussionnaires, aux bien-nés, aux usuriers,
aux faussaires, aux élus de la chance et du hasard, aux catins,
à ceux qui pourrissent les consciences, corrompent et dépravent
nos sociétés.
Le consommateur roi ? l’arbitre du Marché ? Drôle de sire
en vérité que les publicistes prennent par le bout du
nez pour le conduire là où il n’avait nulle envie de se
rendre ! Singulière liberté que celle du consommateur anesthésié
de propagandes, submergé d’injonctions, abruti d’images et de
sons, et auquel est imposée la lourde charge de subvenir, bon
gré, mal gré, à l’entretien d’innombrables parasites,
aux inconvenantes dépenses de ceux qui s’enrichissent à
ses dépens, au financement d’opérations totalement étrangères
à son mieux être, ou dénouées de toute utilité
en soi.
Le consommateur à revenus fixes serait bien niais d’attendre
du Marché quelqu’avantage de prix dû aux effets de la concurrence.
Les rabais passagers qui apparaissent ici et là, ne durent que
le temps de soulever la clientèle d’un concurrent. Toutefois,
à cette méthode jadis classique, tend à se substituer
de nos jours, l’autofinancement d’une publicité démentielle
qui, tout en raffermissant les prix, ne manque pas de procurer emplois
et profits.
Sans la socialisation de maints débouchés,
sans cette razzia de l’épargne à travers l’impôt,
les services imposés et les prix, sans l’intervention de l’Etat
à presque tous les stades de l’activité économique,
sans les gaspillages, sans les guerres, sans les armements, sans ce
recours constant aux formules malthusiennes, destructions et stockages,
sans la mise en condition du public, les perspectives du Marché
seraient aujourd’hui infiniment plus tragiques.
Faut-il se réjouir pour autant de traîner un pareil boulet
devenu de jour en jour plus pesant, plus incommode, plus frustrateur ?
Doit-on toujours reprocher à nos paysans de trop belles récoltes
réputées INUTILES lorsque le Marché les refuse ?
Doit-on continuer d’endiguer cette fausse abondance appelée cependant
par des millions de foyers si rarement responsables de leur impécuniosité,
entourés d’inaccessibles richesses dont l’écoulement reste
si lent durant que les besoins bouillonnent
N’est-ce pas faire preuve d’un singulier égarement de l’esprit,
que de conclure, comme le font des moralistes et de pseudo-humanistes
trompés par les apparences, à l’efficacité de l’Economie
de marché, en passant sous silence les destructions et les millions
de morts dûs aux guerres, les gigantesques gaspillages, les déperditions
d’efforts, tout ce déchet matériel et humain sur lequel
repose une fragile prospérité constamment remise en cause ?
Toutes les guerres ne visent-elles pas à de nouveaux partages
des Marchés, à l’élargissement des débouchés
tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des
frontières ? Enfin, n’intervenant qu’après que des équipements
aient été construits pour être ensuite détruits
ou abandonnés, les faillites ne plongent- elles pas en outre
dans la gène des salariés irresponsables ?
L’Economie de marché entrave le Progrès. Elle stérilise
les inventions susceptibles d’allonger les durées d’usage, de
détruire une rente de rareté, de menacer un investissement
avant qu’il ne soit amorti. Des médecins trouvent normal d’abandonner
leur clientèle si les soins qu’ils prodiguent ne les enrichissent
pas assez vite.
N’incriminons pas les Hommes. C’est au système économique,
devenu foncièrement taré, radicalement vicié, qu’il
faut s’en prendre, et à lui seul. Cet humanisme auquel se réfèrent
si souvent nos grands affairistes ne saurait trouver sa place dans un
jeu pareillement cruel, barbare, impitoyable, si parfaitement amoral,
conçu pour écraser ceux que le hasard a rendu impécunieux,
incitant chacun à se réjouir du malheur des autres chaque
fois qu’un profit en est escompté.
La capacité fiscale des assujettis impose sa limite aux débouchés
artificiels créés par les dépenses de l’Etat, alors
que les forces de production prennent de jour en jour plus d’ampleur.
Est-ce à dire que l’effondrement du Marché serait proche,
ou bien devrons-nous subir à nouveau les périls d’une
guerre chaude ou tiède qui, par ses destructions, l’aidera à
respirer en desserrant ce carcan qui l’étouffe : la profusion
des richesses ?
Finira-t-on par admettre que puisse naître un Marché LIBRE
sur lequel une production LIBRE, libérée de tous ses freins,
irait sans effort, grâce à ses prix dissociés des
coûts, grâce à d’autres usages monétaires,
à la rencontre du consommateur, jusqu’aux confins de cette « nébuleuse »
considérée aujourd’hui comme « off limits ».
Mais nos faux « sages » nous embarquent, contre notre gré,
sur un chemin qui n’est ni celui de la raison, ni celui du bon sens.
Pourquoi traiter du terrorisme dans la Grande Relève ? Les abondancistes ont les mêmes raisons que les autres Français de le condamner. Je voudrais montrer qu’ils ont, si c’est possible, encore plus de raisons que les autres de le regretter. Faut-il rappeler que ces attentats contre la population civile, destinés à provoquer la terreur, ont eu, et ont encore probablement, des justifications, qu’ils sont non pas une nouveauté, mais une grande tradition ? Il existe actuellement des millions d’hommes qui vivent de façon indigne de leur condition d’hommes ; des personnalités énergiques peuvent être tentées de prendre leur cause en mains, pour mettre fin, par des actions terrifiantes, à cette honteuse humiliation : voilà la naissance du terrorisme révolutionnaire, méprisé dans l’immédiat, et dont la littérature s’empare plus tard ! Pour présenter la chose autrement, il y a, d’un côté, les atermoiements des nantis, qui sentent bien que la misère autour d’eux est intolérable, mais qui réunissent des Commissions sur la misère, qui élaborent, des années durant, des Projets sur la misère, tandis qu’à côté d’eux, les miséreux crèvent de faim et de désespoir. Et puis, il y a les « grands coeurs », que ces manoeuvres dilatoires font vomir, et qui se chargent de frapper fort, pour réveiller les opinions ! Il faut bien reconnaître que, malheureusement, ce que nous appelons « terrorisme » n’est parfois qu’un contre- terrorisme. Que des millions d’hommes, sans qu’aucune bombe n’ait été placée dans les lieux qu’ils fréquentent, craignent quotidiennement pour leur vie, vivent dans la terreur du lendemain ! Il n’empêche qu’il me paraît monstrueux de prétendre agir sur les mentalités collectives par la Peur : voici pourquoi.
Je me suis toujours demandé pourquoi, à
toute époque, les hommes tiraient si mal partie des ressources
naturelles, pourquoi ils produisaient si peu, pourquoi les inventions
étaient venues si tard, avaient été si mal exploitées.
J’ai cru trouver à cela deux explications : le Parasitisme et
la Peur Sociale. Parasitisme d’abord : spontanément, c’est des
autres hommes que les hommes attendent leur subsistance ; ils sont naturellement
voleurs et mendiants ; leur gibier, leur matière première,
c’est d’abord l’homme ; ce n’est qu’ensuite qu’ils se tournent vers la
nature. Dans un groupe vraiment soudé, le pourcentage des individus
occupés à produire paraît toujours dérisoire :
l’homme est malheureusement un être social, c’est-à-dire
que son occupation essentielle est de s’occuper des autres. C’est là
un terrain tout préparé pour ce que j’appelle la Peur
Sociale.
Bien des gens, comme moi, ont dû être surpris par le fait
que les tyrans et leurs séides sont toujours infiniment mains
nombreux que les victimes. Que les pillards sont une poignée
à rançonner des populations importantes. Cette docilité
des victimes est’ inexplicable ; car, même avec les progrès
de l’armement, les rapports de force leur semblent toujours favorables !
Comment comprendre cette passivité, qui encourage évidemment
toutes les vocations de rapaces et de prédateurs, et qui aboutit
à cette sanglante suite de catastrophes et d’âneries apocalyptiques
que l’on appelle : histoire de l’humanité ? Une seule explication :
les hommes ont peur les uns des autres, peur du groupe, de la foule
que représentent les autres individus. Peur fondée : les
réactions de ce groupe peuvent être sauvages ; la conscience
collective le sait ; et si elle l’oubliait, les atrocités régulièrement
commises ici et là, et complaisamment étalées,
se chargeraient de le lui rappeler. C’est une chose atroce que la Peur
; il suffit de l’avoir vue dans la mimique de pauvres bêtes qu’on
épouvante pour comprendre qu’elle est laide, dégradante,
que c’est avec elle qu’on fait les grands troupeaux dociles ; elle est
l’instrument idéal du despotisme, le plus sûr garant de
la misère. Il est vraisemblable que nous sortons de millions
d’années de terreur bestiale. L’humanité a commencé
lorsque des individus ont cessé d’avoir peur, lorsque leur sécurité
a pu faire tâche d’huile. Je suis persuadé que civilisation
et sécurité sont synonymes, que l’individu peut commencer
à regarder vers la nature quand il cesse d’épier ses congénères.
Si cette sécurité prend une certaine ampleur, alors, c’est
le Bonheur qu’on entrevoit ; un degré de plus, et c’est l’Abondance.
Elle se devine, elle se souhaite, lorsque les individus conviennent
entre eux, explicitement ou implicitement, de vivre moins entassés,
d’occuper plus d’espace, de respecter pour chacun, physiquement et moralement,
une sphère de sécurité. Cela a vraisemblablement
demandé des millions d’années. C’est une acquisition récente,
et précaire. Il suffit d’un rien pour qu’elle vole en éclats.
Cela signifie que le devoir absolu d’un homme qui aime la vie, qui aime
cette terre et les autres hommes, qui souhaite de tout son coeur le
bonheur pour tous, c’est d’abord de rassurer. Des milliards d’autres
frères de misère ont fait cela avant moi ; c’est à
eux que je dois cet espace de vie qui me permet de sourire, d’affronter
le rébus indéchiffrable de l’existence, qui me donne envie
que ça continue, puisque ce n’est plus un cauchemar, qui me pousse
même à rêver que ça dure éternellement !
A moi de ne pas transmettre la Terreur venue du fond des âges,
qui avilit l’humanité : le Bonheur, la Lumière, sont de
l’autre côté de la Peur. La manipulation des groupes par
la Terreur aboutit fatalement à la tyrannie d’un côté,
à la servitude de l’autre. Les Révolutionnaires, du XVIIIe au XXe siècle, le vérifient : aucun groupe humain
ne s’est facilement relevé des traces formidables que les terreurs
ont imprimées dans sa conscience. Ces sociétés
nées de la terreur sont aptes à la guerre, au sacrifice,
à l’égoïsme et à la débrouillardise :
elles sont radicalement inaptes à l’abondance. Si la Gauche se
propose effectivement le bonheur de tous les hommes, il faut alors conclure
qu’il n’y a jamais eu. qu’il n’y a pas, et qu’il n’y aura jamais de
terrorisme de Gauche.
Création des restaurants du Coeur par Coluche,
reprise des « soupes populaires » par l’Armée du
Salut sont quelques-unes des initiatives qui mettent en lumière
la paupérisation en France. Pas une voix ne s’est élevée
jusqu’ici pour dire que la pauvreté est devenue le problème
majeur des femmes. Il faut analyser cette pauvreté spécifique,
être à l’initiative d’actions, exiger des mesures. Cette
pauvreté toute relative par rapport aux pays du Tiers-Monde est
tellement présente et indiscutable que le Conseil des Ministres
de la CEE a décidé fin 84 d’une « Action Communautaire
de lutte contre la Pauvreté » pour laquelle il a débloqué
un budget de 25 millions d’Ecus, soit 150 millions de nouveaux francs
pour 1985 à 1988. Sa définition des personnes pauvres
est la suivante : « ... celles dont les ressources (matérielles,
culturelles et sociales) sont si faibles qu’elles sont exclues des modes
de vie minimaux acceptables dans l’Etat Membre dans lequel elles vivent ».
L’objectif de ce programme est de « promouvoir ou aider financièrement
la diffusion ou l’échange de connaissances, la coordination et
l’évaluation des actions de lutte contre la pauvreté ainsi
que le transfert de méthodes innovatrices entre les Etats Membres.
Que se passe-t-il en réalité 2 C’est bien sûr la
pauvreté en général qui va être étudiée,
des Organismes de recherche seront sollicités, puis, les études
seront enterrées comme par le passé. La situation particulière
des femmes, les causes et les conséquences de leur pauvreté
n’apparaîtront pas. Les femmes de la CEE ont donc décidé
d’agir. Regroupées au sein de la Coordination Européenne
des Femmes (CEF) Groupe de Pression Féministe Européen
créé en 1983, des Associations et groupes de femmes des
12 pays de la CEE projettent d’organiser un Tribunal Européen
sur la Pauvreté des Femmes. Il aura lieu à Bruxelles en
Mars 1988 pendant 4 jours. L’objectif de ce Tribunal sera triple :
1) Echange d’informations entre les femmes des 12 pays sur leur pauvreté,
avec témoignages.
2) Permettre aux femmes d’élaborer elles-mêmes une stratégie
de lutte contre leur pauvreté.
3) Faire connaître à tous les Gouvernements et aux Instances
communautaires cette pauvreté, proposer et exiger des mesures
d’envergure.
Pour contact :
Tribunal sur la Pauvreté, Maison des Femmes, 8, cité Prost
75011 Paris