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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 850 - novembre 1986

 

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N° 850 - novembre 1986

Sautons le pas   (Afficher article seul)

Revenu garanti : Bonne ou mauvaise idée ?   (Afficher article seul)

Voyage dans la Chine en 1986   (Afficher article seul)

Le marché   (Afficher article seul)

Abondancisme et terrorisme   (Afficher article seul)

Le tribunal sur la pauvreté des femmes   (Afficher article seul)

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Éditorial

Sautons le pas

par M.-L. DUBOIN
novembre 1986

« Comment se fait-il que vos propositions ne soient pas plus commues ?, « Pourquoi me passez-vous pas plus souvent à la télé ? », « On me voit jamais la Grande Relève aux rayons des libraires », « Pourquoi-les journalistes de la radio me citent-ils pas la Grande Relève ?  », etc...
La réponse à ces questions que nous posent très souvent nos abonnés, est simple à comprendre : notre journal a un trop faible tirage pour avoir les moyens de payer une présentation qui attire l’oeil et son prix est trop bas pour offrir un intérêt commercial pour les revendeurs. Alors ceux-ci ne la montrent pas... et les efforts que nous faisons pour la diffuser dans toute la France par l’intermédiaire des NMPP ont pour effet... un retour d’invendus.
Or quelle est la raison d’être de la Grande Relève ? Ce n’est pas seulement d’être en contact entre convaincus pour les aidera être convaincants. Ce n’est pas d’être un simple bulletin de liaison entre militants puisque tous les groupes abondancistes ont leur bulletin interne.
La « Grande Relève » a été fondée pour utiliser le media qu’est la presse écrite afin de répandre les thèses distributistes, d’attirer l’attention des gens qui n’en ont jamais entendu parler, de préciser ces thèses auprès de ceux qui en ont une idée vague, ou fausse, et d’élargir à tous la réflexion sur ces thèmes.
Quels sont en effet les moyens de répandre une idée, une réflexion, des propositions pour l’avenir ?.
1. Les contacts directs : conférences publiques, prises de parole ( ou passage de cassettes enregistrées) au cours de réunions ou sur les ondes de radios libres. C’est le moyen d’emploient les militants, que ce soit à titre individuel ou dans le cadre d’associations distributistes.
2. Les grands médias à l’échelle nationale : télévisions et radios, campagnes par panneaux publicitaires. A utiliser comme pour lancer un produit commercial : il faut des millions. Or quand il s’agit d’un produit commercial, la publicité est payée par les profits tirés de sa vente. Ce m’est pas notre cas. A ranger dans la même catégorie : le lancement d’un film : nos lecteurs ont eu les détails dans notre numéro d’Avril dernier.
3. La presse écrite. Sous deux formes : livres, la difficulté est alors de trouver un éditeur, et presse périodique. Celle-ci jouit d’un avantage : la loi sur la liberté de la presse. Mais comme tout en l’état actuel de notre monde, elle est soumise à la loi du marché. Cela veut dire que pour élargir la diffusion de la Grande Relève, toucher un nouveau public, il faut en faire un « produit » plus commercial ». Il faut d’abord que sa couverture attire l’oeil, et, de nos jours, cela veut dire qu’elle soit en couleurs. Ensuite, à l’intérieur, il faut des photos, des dessins. A l’heure actuelle, ce qui « se vend » le mieux, c’est la bande dessinée. Il lui faut une bande dessinée. De préférence à épisodes. Pour faire revenir le lecteur. Et cela demande le travail d’une équipe de professionnels. Et puis, il faut faire de la publicité pour le journal, dans d’autres journaux par exemple, ou sur des radios. Et tout cela se paie, et se paie très cher. Or pour financer ces moyens de mous faire connaître, il faut plus que la souscription permanente « pour que vive la Grande Relève » car celle-ci suffit exactement à la publication telle qu’elle est... parce que mous me payons que l’imprimeur (composition clichés, papier), la poste (dont les tarifs viennent d’augmenter en douce de près de 10%), et les NMPP. Pour payer l’impression d’une couverture en couleurs et une bande dessinée, une solution : ouvrir une page du journal à de la publicité payante...
Tel est notre dilemme. Faut-il, parce que mous sommes convaincus des méfaits qu’engendre aujourd’hui la loi du marché, renoncer à utiliser la Grande Relève pour élargir notre audience ?
Je me crois pas que J. Duboin ait crée ce journal, et lui ait consacré tant d’efforts, mi que son journal ait survécu plus de 50 ans à bien des difficultés, pour en arriver à cette conclusion.
En lançant, en avril dernier, une souscription pour un film, mous avons reçu peu de réponses, mais un peu d’argent. Ce peu de réponses mous a incités à remettre le projet. Avec l’accord des souscripteurs, et en mettant au bout de ce qu’ils ont versé, mous allons tenté le coup, au moins pour six mois. Doublant le coût du journal, il faudrait dans cet intervalle doubler le nombre de nos lecteurs...
Donc en décembre commencera la nouvelle série, avec une couverture en quadrochromie et une bande dessinée en dernière page. Il faudra particulièrement en sélectionner les textes (A. Ducrocq, A, Gorz, J. Robin mous aideront-ils ?) car ce premier numéro servira à prospecter des « annonceurs », il contiendra une feuille de tarifs à leur présenter...

Et ce ne sera pas facile. Nous avons beau rentrer dans le système commercial, parce que « qui veut la fin, veut les moyens-, il ne saurait être question d’accepter m’importe quelle publicité. Il faudra dont « sélectionner » les annonces - si nous en trouvons - dans les domaines des loisirs (expositions, voyages, sports, concerts, conférences), des nouvelles technologies (de l’informatique, par exemple) de certains livres, ou revues, ou radios qui, en échange (par exemple) feraient de la publicité pour nous.
Abonnés, si vous voulez que vos aspirations fassent tache d’huile : c’est le moment d’agir en aidant la Grande Relève : envoyez-lui de bons papiers à publier, trouvez-lui des rédacteurs connus (de préférence bénévoles), cherchez-lui des annonceurs (payants). Est-ce vraiment la quadrature du cercle ?
La Grande Relève est votre affaire. Une promesse en échange : si le tarif au numéro va être augmenté, c’est nécessaire, celui de l’abonnement, pour tous les abonnés actuels, restera inchangé en 1987. On a beau se lancer dans le « commerce  », ce ne saurait être, pour nous, au détriment des abondancistes de la première heure !

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Le revenu garanti est décidément dans le vent... En même temps que se tenait à Louvrain-la-neuve le colloque dont nous avons rendu compte le mois dernier, P. Fabra s’attaque à l’idée même de revenu garanti... et R. Marlin lui répond :

Revenu garanti : Bonne ou mauvaise idée ?

par R. MARLIN
novembre 1986

Jacques Duboin ayant été, comme dans beaucoup d’autres domaines de l’économie, un précurseur en matière de revenu social, notre mensuel a publié de nombreux articles à ce propos. En juillet 1985, ainsi qu’en janvier et mai 1986, la reprise de cette idée dans la plate-forme du P.S. en vue des élections législatives de mars et des réalisations par certaines municipalités nous ont fait revenir sur le sujet. Il est de nouveau bien entendu qu’il s’agirait d’une application en régime capitaliste, pouvant d’ailleurs se ranger parmi les mesures de transition, et non pas de revenu social tel que nous l’entendons dont le caractère essentiellement différent serait d’être maximal et non minimal..
« Le Monde », dans ses pages économiques datées du mardi 26 août 1986, reproduit une chronique de Paul Fabra intitulée : « une fausse bonne idée : le revenu minimum garanti » intéressante, non par des objections nouvelles propres à enrichir la discussion, mais par deux arguments souvent utilisés et qui le sont aussi par les opposants à nos thèses. Mais résumons d’abord l’étude de Paul Fabra.

Comme il est habituel au « Monde » le journaliste prend bien soin de ne jamais se référer à Duboin, mais à un certain Serge Milano auteur de « La pauvreté en France » (1) et de « Revenu minimum social : un droit local à la solidarité » dans la revue « Futuribles » de juillet-août. Il rappelle la position du P.S. et actualise la question par deux interviews de son journal les 8 et 20 août ; la première où Philippe Séguin ministre des affaires sociales et de l’emploi avouait, avec un certain courage, mais aussi pour prévenir les critiques futures, qu’il y aurait un nombre « incompressible de 2 à 2,5 millions de chômeurs », la seconde, réponse d’Edmond Maire, secrétaire général de la C.F.D.T. : « Le chômage peut être vaincu » paraît-il par une déréglementation de l’emploi !
Afin de ne pas déformer la pensée de M. Fabra, citons sa première phrase-clé qui vient juste ensuite :
« Si, en conformité avec ce que pensait pendant les années 30 Keynes, mais en contradiction avec ce qu’à toujours proclamé le grand courant de la pensée économique libérale, le pessimisme du ministre... était justifié, la question se poserait inévitablement de savoir dans quelle mesure il conviendrait de prévoir de nouvelles formes de revenus, pas nécessairement liées avec le travail, fut-il passé (2) (l’homme aujourd’hui privé de son emploi est indemnisé en fonction de celui qu’il occupait) ».
Ainsi, mais seulement un instant, rassurez-vous ( !!), et avec quelles contorsions P. Fabra envisage l’attribution d’un revenu pas forcément reine avec un travail. Comment alors qualifie-t-il toutes les allocations familiales, de logement, de naissance, etc... qui ne sont en aucune façon la contrepartie d’un travail ?
Remarquons ensuite, sans aller plus loin dans la controverse sur le chômage incompressible, car le lecteur sait ce que nous en pensons (3), que Edouard Balladur ministre de l’économie, des finances et de la privatisation, le « premier des ministres, a, au cours de « l’Heure de vérité » du 10 septembre sur Antenne 2, et en présence de Philippe Séguin, mollement démenti celui-ci qui ignorait peut-être avoir commis le crime impardonnable par les temps qui courent, de lèse-libéralisme. Mais M. Balladur, n’en a point pour autant, et pour cause, promis le retour au plein-emploi.

Serge Milano et Paul Fabra rappellent les différentes propositions de revenu minimal en présence :
- celle des « idéologues », comme le philosophe Marcuse (dixit P. Fabra) où chacun aurait le choix entre le travail et le loisir, assuré d’un revenu « déjà passablement élevé ». « La forme la plus élaborée - à la limite du canular - de cette utopie est de rapporter la notion de plein emploi à la durée entière de la vie active de chaque individu en particulier, celle-ci consistant en une succession de périodes d’activité et de périodes d’inactivité » (4).
En lisant de pareilles appréciations sous la plume d’un journaliste dit sérieux, l’on est en droit de se demander s’il n’écrit pas n’importe quoi. Comment peut-il oublier les congés parfois de plusieurs mois, les professions saisonnières, les chômeurs à temps partiel, les congés sabbatiques, etc... Même en admettant, et en regrettant qu’il y ait une grave ambiguïté dans l’utilisation du mot travail, il est incontestable que, loin d’être un canular, l’emploi par périodes, dans la vie, dans l’année, dans la journée, est une réalité d’à-présent qui ne pourra que se développer dans l’avenir. Admettons donc seulement qu’il n’y a aucune relation entre le travail du poète et celui de la secrétaire, entre celui de l’ingénieur d’études et celui du mineur de fond, entre celui du professeur et celui de l’O.S..
Paul Fabra approuve également Serge Milano de préférer <la riche diversité du système de protection sociale français actuel, à celui, faussement simplificateur, de l’impôt négatif du néo-libéral Milton Friedman et exprime sa méfiance envers !e système de Marcuse, où le revenu minimal ne pourrait qu’entraîner l’obligation de travail, comme en U.R.S.S., ajoute-t-il froidement ! Ainsi probablement afin d’effrayer, P. Fabra en vient-il à transformer une proposition humaniste destinée à libérer l’homme de sa peine, en une autre qui le condamnerait ! En plus malgré l’adverbe faussement, d’ailleurs injustifié, il se montre partisan de la fameuse maxime : « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Qui, au-delà de l’humour, permet d’éliminer des allocataires potentiels lesquels ignorent leurs droits susceptibles pourtant de les sauver de la misère.
Il faudrait donc, selon M. Milano, « limiter le revenu social à ceux qui sont démunis de toutes ressources et en exclure ceux qui ont déjà des ressources, même si elles sont insuffisantes ». Ainsi ceux qui n’ont rien bénéficieraient du minimum et ceux qui ont moins de ce minimum en resteraient là ! Tout cela est décidément plein de bon sens et de logique...
Surtout, afin de ne pas créer des assistés, la prestation ne serait pas un droit, mais une exception« extralégale, financée par les fonds sociaux des collectivités territoriales et des organismes de sécurité sociale ». Selon les conceptions, le nombre des bénéficiaires serait de 160000 environ, d’après M. Milano, et de 900000 d’après Jean Claude Boulard, membre du bureau exécutif du P.S. et, écrit P. Fabra, chaud partisan d’un revenu minimum légal.
Le journaliste du « Monde » s’inquiète de l’exemple suédois où de nombreux citoyens font appel au bureau d’aide social, pour régler des fins de mois difficiles, si bien que 535000 suédois, 15% de la population, auraient touché une aide en 1985. Demandons donc à M. Fabra si, en raison des abus, il faut supprimer la Sécurité Sociale ?
Alors il conclut : « L’idée que la société devra, dans l’avenir, assurer à tout un chacun un revenu minimum relativement confortable relève d’une illusion. Celle qui faisait croire, au début des années 70, à la veille de la crise que, si les sociétés industrialisées étaient capables d’envoyer des hommes sur la lune, il allait de soi, qu’elles devraient être en mesure de garantir une prospérité croissante à leurs habitants. N’en déplaise aux utopistes : laisser croire qu’il ne sera plus besoin de travailler pour vivre, c’est délibéremen t prendre le risque d’une régression économique ».
Ainsi, d’après M. Fabra les 2,5 millions de chômeurs officiels - selon la définition du Bureau international du travail écartant un grand nombre de chômeurs réels- et tous ceux qui ne vivent que de travaux inutiles, exemple : charlatans de toutes espèces, ou nuisibles, exemple : fabrication d’armements, donc plus du double, soit 20% de la population active ne participeraient pas à la régression économique du pays ? C’est qu’il conserve de la richesse d’une contrée une idée purement financière - et encore dans ce cas, ce n’est pas évident - non une idée économique, c’est-à-dire celle de la production réelle globale matérielle et immatérielle. En fait, il s’allie avec ceux qui font croire aux autres, au temps de l’automatisation à outrance, que le travail salarié est aussi nécessaire qu’auparavant, créant un volant de demandeurs d’emploi bien utile pour refuser tout accroissement des salaires et toute amélioration des conditions de travail.
Je retiendrai donc de cette étude du « Monde » les deux objections annoncées qui nous sont souvent opposées et qui sont reprises ici contre la proposition d’un revenu minimal garanti : le risque d’une société d’assistés et l’absence de la motivation au travail que constitue le besoin de gagner sa vie et celle de sa famille. Sans prétendre épuiser les deux débats qui ont fait l’objet chez les continuateurs de J. Duboin et chez les partisans du socialisme d’état ou du capitalisme sous leurs différentes formes, de longues discussions, je noterai seulement ici quelques remarques :
La société d’assistés nous l’avons déjà : à côté de ceux très rares qui reçoivent uniquement un gage, des émoluments, des honoraires ou le revenu d’un capital, ou bien encore une retraite, combien plus nombreux sont tous les allocataires divers déjà cités, assistés dans une certaine mesure, même si l’aide reçue ne constitue qu’une partie de leur revenu. Et c’est heureux pour le système que défend M. Fabra dont la production s’écoulerait encore plus difficilement sans cela. D’ailleurs de nombreux économistes, même orthodoxes, admettent que le capitalisme évolue irrésistiblement vers un système dual. Alors est-ce vraiment une objection à retenir ou une raison d’aller vers le revenu garanti ? Pourquoi les bénéficiaires se considéreraient-ils comme des assistés alors qu’ils ne sont que les héritiers de la longue quête des générations pour réduire le labeur et obtenir plus de bien-être ?
En ce qui concerne le problème de la motivation, notons qu’il ne se pose pas pour les chômeurs officiels et tous ceux qui voudraient bien travailler mais ne trouvent pas d’emploi. Ajoutons que la question est surtout soulevée par les détenteurs d’un revenu qui seraient excédés de constater que d’autres pourraient vivre sans travailler. La nécessité de participer à la production nationale ou mondiale ne se pose pas puisque les produits s’accumulent sans trouver d’acquéreurs malgré le déploiement universel de la publicité. Je pense plutôt que beaucoup de patrons sont inquiets à la perspective d’une raréfaction des solliciteurs d’emplois sur le marché qui les obligerait à améliorer leur offre. Enfin affirmons que le travail ne relève pas toujours et même pas souvent de raisons purement financières, mais tout autres telles que : ambition, besoin de dominer, recherches de spéculations intellectuelles, affirmation d’un talent ou d’un don, envie de s’occuper, vocation, inspiration, expression, etc. Nous rejetons la soit-disant condamnation de l’homme au travail forcé et nous croyons qu’il ne travaillera volontiers qu’en vue de satisfaire les besoins qu’il se sera assigné. La vraie question est donc celle-ci : les motivations autres que celles purement monétaires serontelles suffisantes pour assurer la production automatisée à l’extrême nécessaire à la satisfaction des besoins ainsi définis ? La réponse est évidemment positive et, dès lors les arguties de Fabra et Milano restent sans valeur.
L’évolution vers un revenu minimal garanti, premier pas vers une économie distributive, largement engagée, est inéluctable. Nous la suivrons et la faciliterons dans la mesure de nos moyens qui ne nous permettent malheureusement pas d’acheter TF1 pour cela, et pourtant notre tâche deviendrait beaucoup plus aisée...

Mais vraiment, MM. Fabra et consorts vous n’êtes pas pour rien dans l’échec des sociétés industrielles à réaliser tous les espoirs des années 70 dû non à une insuffisance des moyens de production, mais à l’incapacité des financiers et de leur système à gérer le progrès scientifique et technique.

(1) Editions « Le Sycomore » Paris 1982.
(2) C’est nous qui soulignons.
(3) Rappelons, sur ce sujet, le livre d’A. Sauvy « La machine et le chômage - Le Progrès technique et l’emploi » Bordas 1980.
(4) Toujours pas de référence à Duboin...

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Voyage dans la Chine en 1986

par A. PRIME
novembre 1986

Parler de la Chine, même après l’avoir sillonnée sur quelque 6.000 km du Nord au Sud et, assez profondément, d’Est en Ouest - à pied, en bateau, en car, en chemin de fer, mais surtout, hélas, en avion - c’est s’attaquer à un « vaste problème » comme eût dit de Gaulle ! Tout, la géographie, la culture, les cultures, les réalisations de la Chine populaire, la langue et l’écriture, tout invite à la modestie, surtout lorsqu’on n’est pas un « sinologue distingué  ».
Je me contenterai donc, dans un premier temps du moins, d’un survol de ce grand pays.
On peut résumer ainsi la situation de la Chine en 1986 : c’est un pays de plus d’un milliard d’habitants, SOIT 23% DE LA POPULATION MONDIALE, QUI NE DISPOSE QUE DE 7% DES TERRES CULTIVABLES DE LA PLANETE. Et l’on ne peut qu’être admiratif en constatant comment chaque mètre carré est mis en valeur. A titre de comparaison, en France, 32% des terres sont cultivables, contre 14% en Chine, du moins dans l’état actuel des choses.

Les dirigeants chinois ont commis deux erreurs fondamentales : la première, pour mémoire, c’est la révolution culturelle, qui à terme, n’aura que peu de conséquences ; la deuxième, quasi irréversible, c’est de ne pas avoir écouté, au lendemain de la « Libération » (1) ceux qui prônaient déjà la limitation des naissances. Résultat : un doublement de la population en trente ans. En 1949, la population était « estimée » à 450 millions. Or, le recensement terminé en 1953 donna un chiffre de 540 millions. Avec la baisse de la mortalité (2), surtout infantile, la population ne pouvait que croître rapidement. Dès 1970, une véritable course de vitesse s’est engagée pour que l’augmentation de la production dépasse celle de la population. Il était temps : le recensement de 1982 fit apparaître un chiffre de 1,032 milliard d’habitants et ce, malgré les campagnes contraceptives.

Des dispositions drastiques ont été prises : 1 enfant par famille à la ville, 2 à la campagne. Campagne d’affiches, avantages aux familles n’ayant qu’un enfant (attribution d’un logement, par exemple), gratuité des contraceptifs, de l’avortement etc... Malgré cela, la population continue de croître d’environ 13 millions par an : en effet, les villes ne représentent que 20% des habitants et très souvent à la campagne le niveau de 2 enfants se trouve dépassé.

Cependant, les dirigeants se sont fixé 2 objectifs à l’horizon 2000 :
1) une population stabilisée à 1,2 milliard d’individus ;
2) un revenu moyen de 2.300 yuans contre 720 aujourd’hui, soit une multiplication par 3,24.

Il faut savoir-ce qui ne laisse pas d’être inquiétant - que la Chine + l’Inde représentent aujourd’hui 40% de la population mondiale, mais ne totalisent que 3,82% du produit mondial brut, soit moins que la France seule. Il y a donc urgence pour que les dirigeants chinois fassent « décoller » leur pays, s’ils veulent sortir du sous- développement qui pèse sur la plus grande partie du monde.

Voilà donc, planté à grands traits, le « décor » dans lequel se joue le sort de la Chine d’aujourd’hui et de demain ; et, par voie de conséquence, sans doute, le sort du monde.
Et maintenant quelques, aperçus caractéristiques de la Chine de 1986.

" LOGEMENT
La Chine est un immense chantier. Les villes sont truffées d’immeubles en construction, quelquefois en préfabriqué, le plus souvent en briques, matériau national par excellence. Au départ, les immeubles ne comprenaient souvent que 4 ou 5 étages, sans ascenseur. Face à l’augmentation de la population (une ville comme Pékin a vu croître en 30 ans sa population de 2 millions d’habitants, soit l’équivalent de Paris intra-muros), les immeubles atteignent 15 à 18 étages. Les appartements nouveaux, pour un couple avec enfant, comptent 3 pièces pour 30 à 40 m2, ce chiffre ne comprenant pas cuisine et sanitaires.
A la campagne, beaucoup de petites maisons neuves, coquettes, toujours en briques : celles-ci sont faites de matériaux locaux, obtenus dans de nombreux fours à chaux et des fours à briques et à tuiles.
C’est à ce prix que la Chine a pu loger en 3 décennies 500 millions de nouveaux habitants, 10 FOIS LA,, POPULATION DE LA FRANCE.

" NIVEAU DE VIE
Nous avons déjà vu les objectifs pour la fin du siècle. Pour nous en tenir au présent, constatons qu’entre 1975 et 1984, le revenu national global a doublé. L’accroissement de la consommation par tête est passé d’une moyenne de 7% entre 1979 et 1983 à 11% en 1984. Les salaires sont certes peu élevés : 70 à 150 yuans par mois (un yuan = environ 2 francs). Un ministre touche 250 yuans. Effrayant à première vue, même pour un smicard français. Il faut en réalité traduire en pouvoir d’achat et savoir qu’il n’y a ni retenue sociale, ni impôts. Un loyer coûte de 3 à 5 y. Pour un yuan, on a 3 kg de riz. La Chine n’a pas faim. Les gens sont très correctement vêtus, souvent avec coquetterie, surtout depuis l’abandon, il y a quelques années, du « bleu de chauffe » national, qu’on ne trouve plus guère que dans les campagnes. Une paire de chaussures vaut de 7 à 15y. ; une chemise de 5 à 7 ; un pantalon de 12 à 20.
Bien entendu, certains produits restent chers : un vélo coûte 165 y. (entre 1 à 2 mois de salaire) ; un poste télé en noir, 400 y. ; en couleur, 1000 à 1400y. L’augmentation de la production des postes télé est passée de 10% en 1982 à 46% en 1984 (10 millions d’unités/an).
En ville, 80% des habitants ont la télévision, 50% à la campagne. La télévision couleur se développe. Le Chinois, malgré son faible salaire, est économe (3).

" POLITIQUE ECONOMIQUE NOUVELLE
Après la mort de Mao Zedond (1976), Deng Xiaoping a réussi à donner un nouveau souffle à la production en procédant à une libéralisation prudente, mais efficace. Par exemple, la terre appartient toujours à l’Etat, au « peuple » plus précisément. Mais elle est « confiée » au paysan qui l’exploite à son gré : d’où une nette amélioration en produits divers sur les marchés libres, nombreux. Déjà, dans des conditions moins « motivantes », les récoltes de céréales étaient passées à 161 millions de tonnes en 1952 à 335, 30 ans plus tard. Un pays qui a doublé sa population en 3 décennies et qui a tiré parti de tous les m2 cultivables ne peut survivre que par l’augmentation des rendements.
Un effort colossal a été mené dans tous les domaines. La croissance moyenne industrielle est de 10 %. La production d’acier brut est passée de 1,3 million de tonnes en 1952 à 35 millions en 1981. Le réseau de chemin de fer (60% du frêt total) de 26.000 km à 52.400. Les camions, essentiellement de fabrication chinoise (les taxis et cars étant surtout japonais), assurent une part importante du frêt ; de même les transports par voies d’eau : 40.000 km de fleuves accessibles aux navires modernes, plus 14.000 km de côtes.
L’électrification est réalisée à 950/o, contre 25% en 1949. Nous avons pu voir, tout au long du Yangzi, des lignes desservant les villages et même les maisons les plus isolées. La source principale de production d’électricité reste le charbon, malheureusement de mauvaise qualité. Les hydrocentrales - essentiellement 87.000 petites centrales, souvent sous- produits de contrôle des eaux - fournissent à peine le quart du courant.

La Chine est en manque chronique d’électricité malgré des efforts continus : d’où un déphasage avec la croissance industrielle. Mais de grands projets sont à l’étude. Déjà, en 1981, sur le Yangzi, à Gézouba, a été réalisé un grand barrage de 2,5 km de long, 40 m. de haut, que nous avons franchi dans une écluse en 8 minutes. Ce barrage a permis, outre la production d’électricité, de régulariser le Yangzi dont les inondations étaient catastrophiques (20 millions de victimes, 140.000 morts, par exemple, en 1935). Il faut savoir qu’avec son apport limoneux, le fleuve, bien souvent, ne « tient » que par ses digues, le lit se situant au-dessus du niveau des terres.
Les risques ne doivent être définitivement conjurés qu’avec l’édification d’un autre très grand barrage (150 m de haut), 40 km en amont du barrage de Gezouba. En outre, sa production d’électricité atteindra -dans 10/15 ans - 40 à 50 milliards de kWh, soit l’équivalent de ce qui manque à la Chine en 1986 et on pourra irriguer 4 millions d’hectares, soit 20% des terres cultivables de la France.
Pour mémoire, rappelons que la France a conclu avec la Chine un marché pour la construction d’une centrale nucléaire près de Canton.
Nous ne voudrions pas terminer sans évoquer en quelques lignes le voyage proprement dit que nous avons fait et qui pourrait intéresser des lecteurs (4).
Donc Paris-Pékin : 12 000 km. 4 jours à Pékin, dont un réservé à la visite de la Grande Muraille : 6.000 km. Pékin -Xian, pour la visite des célèbres découvertes archéologiques (1974) : 6000 fantassins et cavaliers debout, grandeur nature, réalisés 2 siècles avant J.C.
Puis Xian-Chongging : de là, 300 km en car au milieu des rizières en terrasses. Travail de fourmis, où le buffle reste l’élément « moteur » numéro un.
De Chongging, deux jours de descente en bateau sur le Yangzi ; le deuxième jour, par grand soleil heureusement, nous avons navigué dans les 3 célèbres gorges. Après 250 km en car, au milieu de cultures variées, dans la plaine du fleuve, envol pour Shangai (11 millions d’habitants), ville née avec les Occidentaux (guerre de l’opium) qui interdisaient leurs quartiers « aux chiens et aux Chinois », et où opéraient 60.000 prostituées entre les fumeries d’opium et les maisons de jeux.
Mais le « clou » sans conteste, sur le plan paysage, c’est Guilin et sa merveilleuse rivière Li. On comprend que Guilin ait été le lieu de prédilection des poètes et des peintres lorsqu’on remonte en bateau la rivière au milieu de merveilleux « pains de sucre ». C’est féérique. En ce qui me concerne, c’est ce que j’ai vu de plus beau au monde ; il est vrai que le soleil était de la partie.
Enfin, Canton. Et, pour terminer, deux jours à Hong-Kong. Un autre monde, bien sûr, assez délirant, mais qu’il faut voir, aussi bien du haut du Pic Victoria que dans les rues, notamment le soir.
Pour conclure, disons que, s’il est difficile de supporter la cuisine chinoise pendant trois semaines (bien que le petit déjeuner soit, heureusement, européen depuis quelques années), on ne se lasse pas d’apprécier la gentillesse des Chinois, leur joie de vivre, leur volonté de vaincre des obstacles qui sont de véritables montagnes. Oui, vraiment, un très grand peuple... d’un milliard d’individus.

(1) Pour les Chinois, la « Révolution  » concerne l’année 1912 lorsque la République de Sun Yat Sen mit fin au règne des empereurs. L’année 1949 est l’année de la « Libération » : proclamation de la République Populaire de Chine.
(2) La mortalité est passée de 25 % en 1950 à 6,36  % en 1981.
(3) Une anecdote vaut d’être racontée. A Shangai, nous sommes entrés par hasard à la Caisse d’Epargne. Un simple comptoir, sans protection, à hauteur de table : derrière, une centaine de machines modernes comptant les billets. Imaginez cela en pays occidental, « hautement civilisé » immédiatement, un hold up.
(4) Il y aurait bien d’autres sujets à aborder. Nous y reviendrons sans doute. Pour le moment, nous en resterons là : les lecteurs de la G.R. peuvent écrire pour apporter des précisions. poser des questions etc... On peut envisager à Paris une conférence-projection (500 photos + films).

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Le marché

par H. MULLER
novembre 1986

Nombril de notre univers économique, point de mire des producteurs et des négociants, le Marché ne figure pourtant qu’une très minuscule planète de cette vaste nébuleuse au sein de laquelle continuent d’errer mille besoins cherchant en vain à se manifester, durant que mille efforts s’y perdent et s’y dispersent attendant que soit fécondé tout un potentiel énergétique et humain. Univers sans vie, univers mort aux besoins qualifiés d’imaginaires, tel apparaît ce no man’s land économique ignoré de l’économètre et du statisticien, bien qu’il grouille d’une humanité débordant d’appétences.
Libre ou organisé, le Marché a ses lois, ses conventions. Aux dires de ses partisans, le libre marché sélectionnerait les meilleurs en éliminant les incapables. Il sanctionnerait les mauvaises gestions, cause de gaspillages, favorisant ainsi le consommateur auquel il garantirait le plus juste prix. De tels propos procurent sans doute un certain confort intellectuel, mais il convient de les tempérer par quelques remarques serrant de plus près la réalité.
Libre marché, libre concurrence, ces mots pièges font penser au libre- renard admis à pénétrer dans un libre-poulailler pour y saigner de libres-poulets. Le Marché s’est organisé sous la pression des circonstances en vue de faire front aux débordements de production qui, à tout instant, peuvent entraîner l’écroulement des prix, des ruines, des faillites, des licenciements, des désordres sociaux, des bouleversements politiques.
Les dimensions du Marché, l’étendue de ses débouchés SOLVABLES, ne s’ajustent qu’accidentellement aux dimensions de l’offre, le divorce ayant tendance à s’aggraver entre les cadences de production et la progression, moins fantasques, des revenus. Alors que dans un marché sous-approvisionné, l’ajustement de l’offre à la demande s’effectue sans difficultés au moyen de hausses de prix, « l’emboîtage », dans un marché surapprovisionné, met en jeu, toute une série de mesures, de roueries, d’astuces, d’artifices, en vue de soutenir les prix, en vue de contenir l’offre, de la limiter à la capacité d’absorption du Marché. D’autre part, l’emboîtage est tenu d’observer des délais tels que l’accumulation des stocks ne franchisse pas le niveau défini au planning de l’entreprise.

C’est dire l’âpre lutte à laquelle doivent se livrer les offrants pour tenter de substituer leurs pro
pres ventes à celles d’autrui, le souci de survivre commandant à chacun de provoquer la mort commerciale d’un concurrent, de se réjouir des épreuves qui l’accablent, d’une maladie, d’un incendie, d’un accident, de tout ce qui peut conduire à réduire son activité.
Tous les malchanceux seraient-ils des incapables ? Doit-on considérer comme tels le petit exploitant qui, en dépit d’efforts consciencieux et des excellents rendements obtenus, n’arrive plus à vivoter sur le produit de ses ventes ? Et cet autre, victime des intempéries, d’une épizootie ? A ce compte, ne devrait-on pas ranger parmi les incapables, les rapatriés, les sinistrés, les victimes des guerres ?
En revanche, l’Economie de Marché fait la part belle aux ruffians, aux escrocs, aux voleurs, aux spéculateurs, aux affameurs, aux profiteurs de guerres, aux joueurs, aux tricheurs, aux fraudeurs, aux intrigants, aux concussionnaires, aux bien-nés, aux usuriers, aux faussaires, aux élus de la chance et du hasard, aux catins, à ceux qui pourrissent les consciences, corrompent et dépravent nos sociétés.
Le consommateur roi ? l’arbitre du Marché ? Drôle de sire en vérité que les publicistes prennent par le bout du nez pour le conduire là où il n’avait nulle envie de se rendre ! Singulière liberté que celle du consommateur anesthésié de propagandes, submergé d’injonctions, abruti d’images et de sons, et auquel est imposée la lourde charge de subvenir, bon gré, mal gré, à l’entretien d’innombrables parasites,

aux inconvenantes dépenses de ceux qui s’enrichissent à ses dépens, au financement d’opérations totalement étrangères à son mieux être, ou dénouées de toute utilité en soi.
Le consommateur à revenus fixes serait bien niais d’attendre du Marché quelqu’avantage de prix dû aux effets de la concurrence. Les rabais passagers qui apparaissent ici et là, ne durent que le temps de soulever la clientèle d’un concurrent. Toutefois, à cette méthode jadis classique, tend à se substituer de nos jours, l’autofinancement d’une publicité démentielle qui, tout en raffermissant les prix, ne manque pas de procurer emplois et profits.

Sans la socialisation de maints débouchés, sans cette razzia de l’épargne à travers l’impôt, les services imposés et les prix, sans l’intervention de l’Etat à presque tous les stades de l’activité économique, sans les gaspillages, sans les guerres, sans les armements, sans ce recours constant aux formules malthusiennes, destructions et stockages, sans la mise en condition du public, les perspectives du Marché seraient aujourd’hui infiniment plus tragiques.
Faut-il se réjouir pour autant de traîner un pareil boulet devenu de jour en jour plus pesant, plus incommode, plus frustrateur ? Doit-on toujours reprocher à nos paysans de trop belles récoltes réputées INUTILES lorsque le Marché les refuse ?
Doit-on continuer d’endiguer cette fausse abondance appelée cependant par des millions de foyers si rarement responsables de leur impécuniosité, entourés d’inaccessibles richesses dont l’écoulement reste si lent durant que les besoins bouillonnent
N’est-ce pas faire preuve d’un singulier égarement de l’esprit, que de conclure, comme le font des moralistes et de pseudo-humanistes trompés par les apparences, à l’efficacité de l’Economie de marché, en passant sous silence les destructions et les millions de morts dûs aux guerres, les gigantesques gaspillages, les déperditions d’efforts, tout ce déchet matériel et humain sur lequel repose une fragile prospérité constamment remise en cause ? Toutes les guerres ne visent-elles pas à de nouveaux partages des Marchés, à l’élargissement des débouchés tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières ? Enfin, n’intervenant qu’après que des équipements aient été construits pour être ensuite détruits ou abandonnés, les faillites ne plongent- elles pas en outre dans la gène des salariés irresponsables ?
L’Economie de marché entrave le Progrès. Elle stérilise les inventions susceptibles d’allonger les durées d’usage, de détruire une rente de rareté, de menacer un investissement avant qu’il ne soit amorti. Des médecins trouvent normal d’abandonner leur clientèle si les soins qu’ils prodiguent ne les enrichissent pas assez vite.
N’incriminons pas les Hommes. C’est au système économique, devenu foncièrement taré, radicalement vicié, qu’il faut s’en prendre, et à lui seul. Cet humanisme auquel se réfèrent si souvent nos grands affairistes ne saurait trouver sa place dans un jeu pareillement cruel, barbare, impitoyable, si parfaitement amoral, conçu pour écraser ceux que le hasard a rendu impécunieux, incitant chacun à se réjouir du malheur des autres chaque fois qu’un profit en est escompté.
La capacité fiscale des assujettis impose sa limite aux débouchés artificiels créés par les dépenses de l’Etat, alors que les forces de production prennent de jour en jour plus d’ampleur. Est-ce à dire que l’effondrement du Marché serait proche, ou bien devrons-nous subir à nouveau les périls d’une guerre chaude ou tiède qui, par ses destructions, l’aidera à respirer en desserrant ce carcan qui l’étouffe : la profusion des richesses ?
Finira-t-on par admettre que puisse naître un Marché LIBRE sur lequel une production LIBRE, libérée de tous ses freins, irait sans effort, grâce à ses prix dissociés des coûts, grâce à d’autres usages monétaires, à la rencontre du consommateur, jusqu’aux confins de cette « nébuleuse » considérée aujourd’hui comme « off limits ».
Mais nos faux « sages » nous embarquent, contre notre gré, sur un chemin qui n’est ni celui de la raison, ni celui du bon sens.

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Abondancisme et terrorisme

par M. PUJOLS
novembre 1986

Pourquoi traiter du terrorisme dans la Grande Relève ? Les abondancistes ont les mêmes raisons que les autres Français de le condamner. Je voudrais montrer qu’ils ont, si c’est possible, encore plus de raisons que les autres de le regretter. Faut-il rappeler que ces attentats contre la population civile, destinés à provoquer la terreur, ont eu, et ont encore probablement, des justifications, qu’ils sont non pas une nouveauté, mais une grande tradition  ? Il existe actuellement des millions d’hommes qui vivent de façon indigne de leur condition d’hommes ; des personnalités énergiques peuvent être tentées de prendre leur cause en mains, pour mettre fin, par des actions terrifiantes, à cette honteuse humiliation : voilà la naissance du terrorisme révolutionnaire, méprisé dans l’immédiat, et dont la littérature s’empare plus tard ! Pour présenter la chose autrement, il y a, d’un côté, les atermoiements des nantis, qui sentent bien que la misère autour d’eux est intolérable, mais qui réunissent des Commissions sur la misère, qui élaborent, des années durant, des Projets sur la misère, tandis qu’à côté d’eux, les miséreux crèvent de faim et de désespoir. Et puis, il y a les « grands coeurs », que ces manoeuvres dilatoires font vomir, et qui se chargent de frapper fort, pour réveiller les opinions ! Il faut bien reconnaître que, malheureusement, ce que nous appelons « terrorisme » n’est parfois qu’un contre- terrorisme. Que des millions d’hommes, sans qu’aucune bombe n’ait été placée dans les lieux qu’ils fréquentent, craignent quotidiennement pour leur vie, vivent dans la terreur du lendemain ! Il n’empêche qu’il me paraît monstrueux de prétendre agir sur les mentalités collectives par la Peur : voici pourquoi.

Je me suis toujours demandé pourquoi, à toute époque, les hommes tiraient si mal partie des ressources naturelles, pourquoi ils produisaient si peu, pourquoi les inventions étaient venues si tard, avaient été si mal exploitées. J’ai cru trouver à cela deux explications : le Parasitisme et la Peur Sociale. Parasitisme d’abord : spontanément, c’est des autres hommes que les hommes attendent leur subsistance ; ils sont naturellement voleurs et mendiants ; leur gibier, leur matière première, c’est d’abord l’homme ; ce n’est qu’ensuite qu’ils se tournent vers la nature. Dans un groupe vraiment soudé, le pourcentage des individus occupés à produire paraît toujours dérisoire : l’homme est malheureusement un être social, c’est-à-dire que son occupation essentielle est de s’occuper des autres. C’est là un terrain tout préparé pour ce que j’appelle la Peur Sociale.
Bien des gens, comme moi, ont dû être surpris par le fait que les tyrans et leurs séides sont toujours infiniment mains nombreux que les victimes. Que les pillards sont une poignée à rançonner des populations importantes. Cette docilité des victimes est’ inexplicable ; car, même avec les progrès de l’armement, les rapports de force leur semblent toujours favorables ! Comment comprendre cette passivité, qui encourage évidemment toutes les vocations de rapaces et de prédateurs, et qui aboutit à cette sanglante suite de catastrophes et d’âneries apocalyptiques que l’on appelle : histoire de l’humanité ? Une seule explication : les hommes ont peur les uns des autres, peur du groupe, de la foule que représentent les autres individus. Peur fondée : les réactions de ce groupe peuvent être sauvages ; la conscience collective le sait ; et si elle l’oubliait, les atrocités régulièrement commises ici et là, et complaisamment étalées, se chargeraient de le lui rappeler. C’est une chose atroce que la Peur  ; il suffit de l’avoir vue dans la mimique de pauvres bêtes qu’on épouvante pour comprendre qu’elle est laide, dégradante, que c’est avec elle qu’on fait les grands troupeaux dociles ; elle est l’instrument idéal du despotisme, le plus sûr garant de la misère. Il est vraisemblable que nous sortons de millions d’années de terreur bestiale. L’humanité a commencé lorsque des individus ont cessé d’avoir peur, lorsque leur sécurité a pu faire tâche d’huile. Je suis persuadé que civilisation et sécurité sont synonymes, que l’individu peut commencer à regarder vers la nature quand il cesse d’épier ses congénères. Si cette sécurité prend une certaine ampleur, alors, c’est le Bonheur qu’on entrevoit ; un degré de plus, et c’est l’Abondance. Elle se devine, elle se souhaite, lorsque les individus conviennent entre eux, explicitement ou implicitement, de vivre moins entassés, d’occuper plus d’espace, de respecter pour chacun, physiquement et moralement, une sphère de sécurité. Cela a vraisemblablement demandé des millions d’années. C’est une acquisition récente, et précaire. Il suffit d’un rien pour qu’elle vole en éclats.
Cela signifie que le devoir absolu d’un homme qui aime la vie, qui aime cette terre et les autres hommes, qui souhaite de tout son coeur le bonheur pour tous, c’est d’abord de rassurer. Des milliards d’autres frères de misère ont fait cela avant moi ; c’est à eux que je dois cet espace de vie qui me permet de sourire, d’affronter le rébus indéchiffrable de l’existence, qui me donne envie que ça continue, puisque ce n’est plus un cauchemar, qui me pousse même à rêver que ça dure éternellement ! A moi de ne pas transmettre la Terreur venue du fond des âges, qui avilit l’humanité : le Bonheur, la Lumière, sont de l’autre côté de la Peur. La manipulation des groupes par la Terreur aboutit fatalement à la tyrannie d’un côté, à la servitude de l’autre. Les Révolutionnaires, du XVIIIe au XXe siècle, le vérifient : aucun groupe humain ne s’est facilement relevé des traces formidables que les terreurs ont imprimées dans sa conscience. Ces sociétés nées de la terreur sont aptes à la guerre, au sacrifice, à l’égoïsme et à la débrouillardise : elles sont radicalement inaptes à l’abondance. Si la Gauche se propose effectivement le bonheur de tous les hommes, il faut alors conclure qu’il n’y a jamais eu. qu’il n’y a pas, et qu’il n’y aura jamais de terrorisme de Gauche.

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Le tribunal sur la pauvreté des femmes

par D. DELCUZE
novembre 1986

Création des restaurants du Coeur par Coluche, reprise des « soupes populaires » par l’Armée du Salut sont quelques-unes des initiatives qui mettent en lumière la paupérisation en France. Pas une voix ne s’est élevée jusqu’ici pour dire que la pauvreté est devenue le problème majeur des femmes. Il faut analyser cette pauvreté spécifique, être à l’initiative d’actions, exiger des mesures. Cette pauvreté toute relative par rapport aux pays du Tiers-Monde est tellement présente et indiscutable que le Conseil des Ministres de la CEE a décidé fin 84 d’une « Action Communautaire de lutte contre la Pauvreté » pour laquelle il a débloqué un budget de 25 millions d’Ecus, soit 150 millions de nouveaux francs pour 1985 à 1988. Sa définition des personnes pauvres est la suivante : « ... celles dont les ressources (matérielles, culturelles et sociales) sont si faibles qu’elles sont exclues des modes de vie minimaux acceptables dans l’Etat Membre dans lequel elles vivent ». L’objectif de ce programme est de « promouvoir ou aider financièrement la diffusion ou l’échange de connaissances, la coordination et l’évaluation des actions de lutte contre la pauvreté ainsi que le transfert de méthodes innovatrices entre les Etats Membres. Que se passe-t-il en réalité 2 C’est bien sûr la pauvreté en général qui va être étudiée, des Organismes de recherche seront sollicités, puis, les études seront enterrées comme par le passé. La situation particulière des femmes, les causes et les conséquences de leur pauvreté n’apparaîtront pas. Les femmes de la CEE ont donc décidé d’agir. Regroupées au sein de la Coordination Européenne des Femmes (CEF) Groupe de Pression Féministe Européen créé en 1983, des Associations et groupes de femmes des 12 pays de la CEE projettent d’organiser un Tribunal Européen sur la Pauvreté des Femmes. Il aura lieu à Bruxelles en Mars 1988 pendant 4 jours. L’objectif de ce Tribunal sera triple :
1) Echange d’informations entre les femmes des 12 pays sur leur pauvreté, avec témoignages.
2) Permettre aux femmes d’élaborer elles-mêmes une stratégie de lutte contre leur pauvreté.
3) Faire connaître à tous les Gouvernements et aux Instances communautaires cette pauvreté, proposer et exiger des mesures d’envergure.

Pour contact :
Tribunal sur la Pauvreté, Maison des Femmes, 8, cité Prost 75011 Paris

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