Le site est passé à sa troisième version.
N'hésitez-pas à nous transmettre vos commentaires !
Merci de mettre à jour vos liens.
Si vous n'êtes pas transferé automatiquement dans 7 secondes, svp cliquez ici
Éditorial
Se faire « refaire la façade » par des spécialistes peut paraître, pour un journal qui a passé la cinquantaine, pure coquetterie. La vérité est que si nous avons décidé de mettre notre journal à la mode, c’est que nous ressentons le besoin de nous faire entendre et que « La Grande Relève » nous paraît pour cela le moyen le plus efficace s’il réussit à être largement diffusé.
***
Quand Jacques Duboin publia, après le krach de 29, ses livres « Nous faisons fausse route (1) » et « La grande relève des hommes par la machine (2) », personne à part lui, n’avait encore compris les conséquences de la révolution technologique qui commençait. Dans son journal, puis dans d’autres ouvrages, il annonçait pourtant « La grande révolution qui vient (3) » et expliquait que « ce qu’on appelle la crise (3) » n’était pas une crise passagère, « conjoncturelle » mais l’indice d’une véritable mutation de nos modes de vie : il montrait que cette révolution technologique offrait à l’homme la possibilité d’une véritable « Libération » (4) à condition qu’il ait la sagesse d’opérer une révolution de même ampleur dans ses habitudes socio-économico-financières. Et il avertissait que, faute de cette adaptation, le monde s’enlisait dans une situation absurde décrite par « Kou, l’ahuri » : « la misère dans l’abondance » (5). « L’ère des loisirs, écrivait-il, fait son entrée dans le monde par la porte basse du chômage ». Hélas, son cri d’alerte ne fut entendu que par quelques milliers de gens, mais les économistes de l’époque ne le prirent pas au sérieux. Si bien que le chômage des années 30 ne fut résorbé, et seulement pour quelques temps, qu’au prix de la Seconde Guerre Mondiale. Depuis,- La grande révolution » a repris de plus belle, et le monde, avec tous ses spécialistes en économie, l’a laissé se transformer en une monstrueuse absurdité : des milliards d’êtres humains crèvent de faim cependant que d’autres se désespèrent de ne pas trouver de clients pour ce qu’ils appellent leurs « surproductions » !
Et voilà pourquoi nous voulons pouvoir hurler
« Arrêtez ces massacres ! Ils ne servent à rien.
Ouvrez les yeux : il est enfin possible aujourd’hui de faire tellement
mieux et sans sacrifier personne. Puisque les moyens existent potentiellement
de fournir à tous de quoi vivre, puisque les problèmes
qu’a posés la production, au cours des siècles, sont aujourd’hui
résolus, attachons-nous à résoudre ceux que pose
la distribution du pouvoir d’achat. Même si pour y parvenir il
faut faire preuve d’imagination ! »
Nous voulons les moyens de hurler ceci parce que nous estimons que cela
nous concerne tous. Les spécialistes, les économistes,
ont fait leurs preuves.
Ils ont mis plus de cinquante ans à seulement comprendre que
la fameuse « crise » est « structurelle » citons
par exemple « Le Monde » du 31 octobre dernier, où
dans un article intitulé « La fin des travaux forcés »,
Pierre Drouin reconnaissait que « Bien que de experts ont dû
ranger au magasin des accessoires des enseignements complètement
condamnés par les faits... et il est malheureux de dire que le
seul « remède » qui ait vraiment réduit drastiquement
le chômage fut la préparation de la guerre et la guerre
elle-même ». Cinquante ans pour arriver à cette constatation.
Et il ajouta enfin : « L’illusion la plus périlleuse est
de penser que dans l’état de la société et des
technologies nouvelles une croissance même forte aura raison du
chômage ». Il ne faut donc pas désespérer
des économistes... mais il est plus prudent de ne pas compter
sur eux pour faire évoluer les mentalités au rythme de
l’évolution des techniques. Un autre spécialiste en économie,
du même journal, Paul Fabra l’écrivait lui-même,
deux jours plus tôt, dans sa chronique : « les économistes
sont isolés par rapport aux autres professions et par rapport
à la matière qu’ils traitent, pour la bonne raison « qu’il
n’existe pratiquement plus, aujourd’hui, en fait de sciences économiques,
qu’une pensée officielle ». « De nos jours, ajoutait-il,
les gouvernements, les grandes entreprises, les institutions internationales
(OCDE, FMI, CEE) font appel à un grand nombre d’économistes,
et ce que ces organisations leur demandent... « c’est non pas
qu’on leur ouvre de nouvelles voies, mais qu’on leur donne les moyens
et les justifications DE SE PERPÉTUER » (6) !
Donc, n’attendons rien de ce côté.
Côté politique ? Politiciens et économistes : même
combat, même politique, même conservatisme. De plus, les
campagnes électorales sont devenues de « grosses affaires »
de publicité. La France, et les autres pays occidentaux, s’alignent
sur le modèle des États-Unis où le parti républicain
vient de mettre 500 millions de dollars dans la campagne des législatives
partielles... (et s’est fait battre). Nous pouvons donc bien avoir de
meilleures idées que Reagan à proposer, mais comme nous
ne disposons pas de telles sommes, les instruments de la « démocratie
» ne sont pas nous !
Alors ?
Alors il nous reste la réflexion et la volonté de toutes
celles et de tous ceux qui en ont ras-le-bol de politiciens, d’économistes
et de médias qui ne leur apportent plus ni espoir, ni illusion.
Tous ceux qui, comme Matias (7) ont pris conscience que c’est au niveau
de son organisation économique que notre société
a, de toute urgence, besoin d’un projet constructif., Tous ceux qui,
comme ce lecteur qui nous écrit du Pradet (8), ressentent l’inutilité
de luttes éparses, fussent-elles les plus nobles (Tiers- Mondistes,
écologistes, anti-racistes, etc...) si elles ne font pas bloc
pour s’attaquer à un pouvoir économico-financier implacable...
et qui tire sa toute-puissance de notre consentement !
Or, ce tacite consentement n’est en général que le résultat
d’un manque d’information ou d’un manque de réflexion. Manque
d’information, par exemple, sur les nombreuses possibilités de
production que notre XXe siècle vient d’acquérir. Manque
de réflexion ou d’imagination pour oser chercher les moyens de
mettre tant de possibilités au service de TOUS.
Cette prise de conscience est notre objectif.
C’est malheureusement un problème d’audience. Dans un monde conditionné
par une publicité monstrueuse, nous ne pouvons pas nous battre
par des campagnes dont la plus timide exige des millions. Alors, nous
avons choisi la seule voie qui nous soit accessible, grâce à
la loi sur la presse, pour tenter de toucher partout où ils se
trouvent les gens « de bonne volonté » : la diffusion
d’un journal mensuel.
A priori, cela pourrait paraître une gageure. Cependant ce journal
qui ne reçoit pas de subsides comme tant d’autres, qui n’est
aidé ni par de la publicité, ni par des journalistes de
métier, est-il arrivé à battre tous les records
du genre : voilà plus de cinquante ans qu’il parait, par la seule
volonté de ses abonnés !
Pourquoi ? Mais parce qu’il possède une force contre laquelle
personne ne peut rien : il est dans le vrai, car ses analyses s’appuient
sur la simple constatation des faits. Et de plus, ses propositions vont
dans le sens de l’évolution. Dans un monde qui s’écroule
par une monstrueuse et stupide fuite en avant, il propose une issue
logique, simple, et qui ne lèse personne. C’est ce qui explique
que quiconque a, un beau jour, compris nos analyses et nos propositions
ne peut plus en démordre tout ce qu’il voit le conforte dans
ses convictions ! Voilà pourquoi il existe des « distributistes
» dans tous les milieux, du PDG au chômeur. De l’O.S. à
l’informaticien, ils veulent dire à ceux qui, plutôt qu’à
se battre sans cesse CONTRE leurs semblables aspirent à vivre
AVEC eux : « Un monde formidable de possibilités s’offre
enfin à l’humanité en ce XXe siècle, si bien que
ce qui était, hier, encore, rêves d’utopistes devient aujourd’hui
réalisable : prenez-en conscience pour que nous en profitions
tous ». C’est pour faire entendre ces voix de la raison qu’il
faut que notre journal puisse être lu par la foule de tous ceux
qui n’en ont jamais entendu parler. C’est l’objectif de cette nouvelle
série, avec son nouveau « look » en couleurs et sa
BD de dernière page, à suivre... si nos abonnés
ajoutent leur travail de diffusion (démarches auprès des
revendeurs ?) à nos efforts pour être très «
présentables ».
Pourquoi maintenant ? Parce que l’évolution des faits économiques,
qui conforte la base de nos propositions d’une société
d’abondance, vient- enfin - de faire évoluer les mentalités.
Il y a eu, certes, une très longue mise en route -au début
du siècle quiconque émettait l’idée qu’un travailleur
puisse être autorisé à se reposer le dimanche, et
même quelques jours en été, tout en continuant à
toucher un salaire, passait pour utopiste. Au milieu du siècle,
on en est pourtant arrivé à trouver normal que des allocations
soient accordées à des chômeurs. Bref, l’idée
de verser des revenus sans compensation d’un travail s’est imposée
lentement.
Mais elle est en train de s’accélérer. Nous avons rapporté
récemment sur les débats d’un colloque international qui
eut lieu à Louvain, en septembre dernier, autour de l’allocation
universelle : une allocation qui, versée à tous, homme,
femme, enfant, sans aucune enquête sur ses conditions de vie,
d’emploi ou de revenus, assurerait une véritable autonomie économique.
C’est donc la reconnaissance des droits économiques qui entre
dans les esprits.
Nous n’en sommes pas à l’économie distributive, car ces
allocations sont toujours conçues comme devant être prises
dans la poche des uns pour être REdistribuées aux autres.
C’est qu’on n’a pas encore pris la mesure de l’immensité de l’héritage
dont notre époque bénéficie et l’idée «
qu’il y aura toujours des pauvres » fait tolérer une société
duale au milieu de l’abondance. Puisqu’il a fallu plus de cinquante
ans aux plus éclairés des économistes pour comprendre
que la sueur n’est plus nécessaire pour faire le pain, ne nous
étonnons pas qu’il y ait des associations de chômeurs qui
sont incapables d’imaginer une autre revendication que celle d’un emploi
(utile ou non, d’ailleurs), mais rejouissons-nous qu’il y en ait d’autres
(9) -enfin ! - qui ne mangent pas de ce pain là et qui réclament
des revenus pour tous, parce que, pour elles, le travail n’est qu’un
moyen, il n’a jamais été une fin. Ainsi leurs aspirations,
comme celles des promoteurs de l’allocation universelle, rejoignent
les nôtres : il ne s’agit pas de revendiquer une aumône,
ou une cotisation, pour certains, parce qu’ils ne trouvent pas à
se vendre sur le marché du travail. Il nous reste encore à
faire comprendre que l’abondance, bien exploitée, permet maintenant
de DISTRIBUER à tous, non pas un minimum, mais un optimum vital.
Dans un contexte où l’opinion publique est conditionnée
par les médias, les politiciens, les banquiers, les assureurs
et autres affairistes pour avoir le culte de l’argent, pour considérer
qu’en gagner en jouant en Bourse est une preuve de grandes vertus et
que la spéculation est un art, etc..., etc..., notre tâche
nous amène sans doute à aller à contre-courant.
Mais puisque nous ne sommes plus seuls, redoublons d’efforts en pensant
qu’au fond, le seul reproche qu’on ait fait à J. Duboin et contre
lequel il n’eut rien à répondre, est d’avoir « eu
raison TROP TÔT » ! Continuons donc à être en
avance sur l’opinion générale, puisque nous sommes suivis.
L’important, c’est de ne pas avoir compris TROP TARD !
(1) Publié en 1931 aux Editions des Portiques.
(2) Publié en 1932 chez Fustier.
(3) Publié en 1934 aux Editions Nouvelles.
(4) Livre publié en 1937 chez Grasset.
(5) Livre publié en 1935 chez Fustier et réédité
en 1982.
(6) Voir ci-dessous plus de détails dans le « Fil des jours
».
(7) Voir son témoignage ci-dessous.
(8) Voir en page « courrier ».
(9) Par exemple l’Association des Chômeurs et des Précaires,
53, av. des Gobelins 75013 Paris.
Annoncée en musique dans les années
60 par le Rock’n Roll, le Pop Art, la route et ses beatnicks, la prise
de conscience de mai 68 reste d’actualité, par les libertés
acquises, autant dans les pratiques individuelles qu’au niveau des courants
socio-économiques et culturels.
Dans les années 70, les copines flirtent avec le M.L.F. et les
copains jouent aux « folles » avec le PHAR. Raoul Vaneghiem,
Wilhem Reich et l’expérience de Summerhill éveillent les
jeunes esprits aux possibilités de renouvellement des structures
sociales.
C’est l’époque du retour à la campagne, des squatts d’appartements
vides, des crèches autogérées, des tentatives de
vie en communauté, de l’influence de la mode hippie, des grands
festivals de musique et des manifs dans la rue.
« Libération » lance sa souscription de démarrage
et « Actuel » offre ses dossiers sur le sexe, la drogue,
l’armée, la route, etc. L’autogestion titille concrètement
les esprits avec Lip. L’amour et la paix peuvent se retrouver au corps
à corps dans les grands rassemblements du Larzac. Carlos Castaneda
en fait rêver plus d’un et les écologistes rajoutent le
vert au rouge et au noir. Les luttes antinucléaires ponctuent
la décennie, anticipant une actualité brûlante.
***
Tout cela, assimilé par le « Système » réapparaît de différentes façons : sous forme de lois : loi Weil sur l’avortement, loi pour l’égalité des hommes et des femmes, des hétéro et homosexuels face au travail... lois sur les pollutions dues aux industries... droits des mères célibataires ou des couples en union libre... ou bien sous forme de pratiques populaires : voyages autour de la planète, tenues vestimentaires plus osées, essor de produits biologiques et des médecines douces, recherche de la nature, mode de vie plus individualisé...
***
Puis les années 80 habillent de rigueur cette
profusion d’alternatives. Les babas raccourcissent leurs cheveux et
les activistes de tous bords reprennent du poil de la bête. Les
squatters n’ont de rares survivants que dans des situations extrêmes
comme à Berlin Ouest.
Libération s’accorde des pages de publicité et Actuel
soigne son look. La « réal politik » attache les recentrés
à leur emploi, les néo-ruraux à leur territoire
et les tribus de décalés/démarqués à
leur besoin de voyager ou à leurs plaisirs de luxe. Les oublis
exemplaires de Lip et du Larzac relèguent l’autogestion, l’amour
et la paix au rang des anachronismes.
Pourtant, mai 81 offre l’occasion à l’éventail des minorités,
de rejoindre la tradition socialiste et de voter Mitterand, « ici
et maintenant ». Les ministres socialistes de l’environnement et
des droits de la femme, les nationalisations des grands trusts français,
industriels ou bancaires, la culture« de gauche » au pouvoir,
vont-ils permettre enfin de transformer la structure sociale et de changer
ainsi les manifestations de la nature humaine ?
Il est encore trop tôt : les forces de l’argent et la loi du marché
continuent d’imposer leur mode de société et si les pseudo-libéraux
regagnent du terrain, c’est que l’opinion publique hésite encore
à franchir un cap.
***
Nous sommes nombreux entre 30 et 50 ans à pouvoir
partager ces réflexions. En pleine forme physique et l’esprit
jeune, nous n’appartenons ni au passé, ni au culte de la performance
sociale. Démarqués ou recentrés, nous nous sommes
adaptés... Entre l’attitude conservatrice et autoritaire de la
droite, « dont la liberté ressemble à celle du renard
dans le poulailler » et l’attitude étatique/gestionnaire
de la gauche, nous avons inventé une attitude mariant les situations
insolites à celles de l’ordinaire et intégré la
part de l’aventure dans le quotidien.
Cette adaptation nous condamne cependant à vivre un décalage
entre notre conscience, synthèse des années 70 et 80 et
notre pratique socioéconomique, encore trop sous l’emprise du
19e siècle et de ses préjugés et d’une Europe qui
risque la fossilisation de ses structures.
Heureusement, les années 80 témoignent aussi de leur dynamisme :
les restaurants du coeur réunissent les Français autour
de la grande table de la solidarité alimentaire et « touche
pas à mon pote » porte la convivialité à sa
spontanéité optimum avec« SOS Racisme ». La
créativité bat son plein, en publicité ou dans
le design industriel, transcendant parfois tous les filtres. Les radios
FM, dans leur diversité, sont un frémissement annonçant
une ouverture plus large de la culture.
Au niveau mondial, l’accident de Tchernobyl ravive la conscience antinucléaire
et comme celui de la navette spatiale américaine, pose le problème
de la conscience humaine dans la conquête des énergies.
Les concerts « Band Aid » pour l’Afrique sont suivis par
plus d’un milliard de terriens (grâce aux satellites de retransmission)
et l’Apartheid secoue les consciences occidentales.
Les activistes n’ayant pas fait de miracles, l’ensemble du tissu social
a admis la « crise » comme une réalité quotidienne
indéboulonnable. Les bombes des terroristes font déjà
partie des habitudes médiatiques.
***
Tout cela ne suffit donc pas et c’est encore plus loin
qu’il faut rechercher nos références : vers les droits
de l’homme qui sont restés à l’état de chrysalide,
soumis aux potentiels économiques et militaires et vers la démocratie
qui dépend encore du charcutage électoral.
Pour que la démocratie et les droits de l’homme soient vraiment
appliqués, il faut qu’ils passent du domaine socio-culturel et
politique au domaine socio-économique et financier.
Le social et le culturel ont souvent fait l’objet de
réflexions suivies de transformations (pour le 20e siècle,
ne serait-ce que les surréalistes, le front populaire, le Bauhaüs
ou Mai 68) mais l’économique n’a pas suivi l’évolution
de ses propres bases ( !) technologiques ou scientifiques, particulièrement
depuis la seconde moitié de ce siècle.
Pour sortir de cette contradiction (révolution technologique
- stagnation des structures économiques), génératrice
de chômage et fondatrice d’une société duale, l’opinion
publique doit comprendre les bases d’une économie présentant
une alternative réaliste aux modèles du capitalisme made
in USA et au socialisme étatique d’URSS.
Ce sont ces bases économiques - faisant appel aux droits de l’homme
sur le plan philosophique et social, mais s’appuyant d’une part sur
un nouveau rapport du couple production/distribution et d’autre part
sur un rôle assaini de la monnaie - qui ont manqué aux
mouvements alternatifs des années 70 et au gouvernement socialiste
des années 80, pour que les structures sociales changent vraiment.
***
CES BASES EXISTENT, c’est notamment pour les exposer
que ce mensuel est publié.
Seule la prise de conscience de nouvelles possibilités quant
aux structures socio-économiques et financières pourra
permettre d’achever les transformations entreprises en mai 68 et 81
et permettre ainsi d’engranger définitivement leurs bénéfices.
De cette conscience dépend aussi l’avenir du monde et personne
n’y réfléchira à notre place, surtout si nous voulons
à la fois une société conviviale de création,
une technologie du futur au service de l’homme et une économie
distributive de l’abondance...
Paul Fabra, chroniqueur économi-que du « Monde »,
ne se voit pas quand il se regarde dans un miroir. Sa pensée
ne pêche pas par originalité et il fait plutôt preuve
d’imperméabilité à toute nouveauté économique.
Ne lui parlons pas, bien entendu, d’économie distributive. C’est
vraiment trop !
Or, que lit-on dans sa chronique du 28 Octobre dernier intitulée
« Le consensus des économistes » ? Que 4 es économistes
sont isolés non seulement par rapport aux autres professions
mais encore par rapport à la matière qu’ils ont à
traiter (ce qui est un comble) parce qu’il n’existe pratiquement plus
aujourd’hui, en fait de sciences économiques, qu’une pensée
officielle ». Et Fabra précise sa pensée : «
De nos jours les gouvernements, les grandes entreprises, les institutions
internationales... font constamment appel aux services des économistes.
Ils en emploient un grand nombre. Or, dans la plupart des cas, ce que
demande une organisation, qu’elle soit publique ou privée, c’est
non pas qu’on lui ouvre de nouvelles voies, mais qu’on lui donne les
moyens et les justifications de se perpétuer. L’échange
continuel d’observations, d’analyses, d’études entre, d’une part,
le pouvoir sous toutes ses formes et, de l’autre, la « profession »
favorise grandement la recherche du « consensus »... La méthode
la plus facile pour les économistes d’être écoutés
et pris au sérieux, c’est de laisser entendre qu’ils sont tous,
à des nuances près, d’accord pour recommander telle ou
telle politique. A u cas où ils ne le sont pas, il est indispensable,
pour qu’ils conservent leur crédibilité, qu’ils posent
les problèmes en des termes identiques, quitte à suggérer
des solutions différentes... Tant et si bien que le « consensus »
est rarement le résultat comme on pourrait le croire, d’une discussion
approfondie. L’expression renvoie plutôt au dictionnaire des idées
reçues ». Lorsqu’il y a des contradicteurs, même célèbres,
s’ils ne font pas partie de la grande caravane du « consensus
on les ignore. « La caravane avance (elle « évolue »),
mais elle ignore superbement qu’il puisse y avoir d’autres chemins que
le sien, même si elle ne suit aucune direction claire ».
L’analyse de Paul Fabra est fort pertinente et nous montre, entre autres
choses, pourquoi les politiques de droite ou de gauche ne sont pas fondamentalement
différentes (elles prônent toutes les deux la « rigueur
pour les plus démunis et la nécessité du profit
pour les nantis, avec pour corollaire, la rareté considérée
comme un phénomène naturel incontournable).
Mais quel dommage que Fabra ne se considère pas concerné
par son analyse !
***
Un autre débat classique qui refait surface,
c’est celui de l’investissement. Les hommes politiques de tout bord
se posent gravement la question : faut-il aider l’investissement (R.
Barre, les représentants professionnels, certains socialistes,...)
ou faut-il au contraire procéder à un abaissement général
des charges fiscales et des charges sociales et accélérer
la « libéralisation de l’économie pour favoriser
la rentabilité des entreprises (J. Chirac, E. Balladur, et le
R.P.R. en général...) ?
C’est que dans ce domaine là aussi, il y a « consensus
» : les profits d’aujourd’hui feront les investissements de demain
et les emplois d’après-demain (à Pâques ou à
la Trinité, eh réalité !).
Comme si les chefs d’entreprise étaient masochistes ! S’ils investissent,
c’est pour faire plus de profit, pour produire à moindre coût
et donc vendre plus. Or le travail de la machine coûtant de moins
en moins cher et le travail humain revenant, lui, de plus en plus cher,
il est évident qu’il faut informatiser, automatiser, robotiser
à outrance, donc supprimer dés emplois. C’est une évidence
qui crève les yeux mais que les hommes politiques et les économistes
n’osent pas avouer car cela remet en cause la notion sacrée de
travail et de hiérarchie. Les chefs d’entreprise, eux, l’ont
bien compris mais n’en disent rien non plus : ils se contentent d’utiliser
leurs profits pour spéculer sur les marchés financiers.
En différant leurs investissements, ils ralentissent la progression
du chômage. C’est que pour vendre, il faut avoir des clients solvables
et, dans le système actuel la solvabilisation se fait pour l’essentiel
grâce aux salaires. Le plus difficile dans ce jeu, c’est de conserver
l’équilibre.
***
Pour faire plus sérieux, je vais vous répéter en langage économico-financier ce que je viens de vous dire ci-dessus en français de tous les jours et pour cela je vais laisser la parole à M. Christian de Boissieu, professeur à l’Université Paris-l, qui écrivait dans « le Monde » du 28 octobre dernier sous le titre « Le désenchantement : « L’économie mondiale s’est installée depuis quelques mois dans un immobilisme qui pourrait aussi bien laisser présager l’enfoncement dans une récession durable que les prémices d’une reprise de la croissance réelle, autorisée par un assainissement coûteux en termes de montée du chômage... Nous vivons dans un monde ou certains prix cruciaux s’ajustent nettement plus vite que les quantités conditionnant le rythme de la production et le niveau de l’emploi... Dans le domaine financier, les « bulles spéculatives prennent le pas sur les variables fondamentales, qu’il s’agisse des marchés de capitaux ou du marché des changes. L’inertie de l’investissement et de l’emploi face aux innovations financières suggère une autonomie croissante et potentiellement dommageable de la finance par rapport aux grandeurs réelles. » C’est bien dit, non ?
***
En attendant, le dernier rapport de l’OCDE sur « les perspectives de l’emploi,,, publié le 25 Septembre dernier, n’est guère optimiste : en 1987, comme en 1986, l’ensemble des 24 pays de l’organisation devrait compter 31 millions de demandeurs d’emplois, ce qui représente 8,25 % de la population active. Au total, les pays de l’OCDE auront toujours 12 millions de chômeurs de plus qu’en 1979. Le rapport ne laisse aucune illusion sur une amélioration à moyen terme.
L’essentiel de la doctrine économique de Jacques Duboin était fixé avant 1939. Jusqu’à sa mort, en mars 1976, il a complété sa pensée et commenté l’actualité dans ses éditoriaux de « la Grande Relève » et dans ses ouvrages. Dans son article nécrologique du, « Monde », le 19 mars 1976, Pierre Drouin écrivait, malgré son allergie bien connue à nos thèses : « C’est sans doute parce qu’il verse sans rougir dans l’utopie et que les hommes ont tant besoin de rêver que Jacques Duboin a pu prolonger son audience. Peut-être, au soir de sa vie, a-t-il eu la satisfaction de voir que certaines de ses institutions étaient reprises par les écologistes ». Voire par des hommes proches du pouvoir car « l’impôt négatif n’est sans doute pas sans lien avec le « revenu social » ! Ce qui reprend une actualité certaine au moment où l’on parle un peu partout de revenu minimal ou allocation universelle (1).
***
« Cette doctrine, écrit de son côté
Alfred Sauvy dans « La machine et le chômage, le progrès
technique et l’emploi » (2) a eu une influence bien plus grande
qu’on a pu le penser. Basée sur les apparences (la mévente
étant prise pour de la surproduction absolue et le stock pour
le flux) (3) propre à bercer les hommes, elle est plus libératrice
que toute autre et a fortement, par des canaux semi-conscients, inspiré
la confiance générale dans la semaine de 40 heures (4),
et, dans la suite, confirmé le mythe du robot (5). Si séduisantes
sont ces vues que les économistes, conservateurs ou marxistes,
n’ont pas osé les combattre ! » Je rectifierai la dernière
phrase en : « n’ont pas été capables de les combattre...
y compris M. Alfred Sauvy qui a pourtant bien essayé au cours
des fameuses conférences contradictoires de la Sorbonne des années
50 et dans ses livres ».
Ainsi P. Drouin et A. Sauvy reconnaissent que J. Duboin méconnu,
ignoré par les économistes bien pensants, n’en a pas moins
inspiré des solutions parmi les plus récemment proposées.
Certaines de ses autres idées les plus pillées ne sont
pas citées. Alors, en cette année du dixième anniversaire
de sa mort, affirmons qu’il a été parmi les premiers à
parler de « pouvoir d’achat » : avant les années 50,
même les syndicalistes ne réclamaient que des augmentations
de salaires. La notion de pouvoir d’achat ne s’est imposée que
lorsque dans le système des « prixprofits-salaires »,
la marche des deux premiers fut si divergente en faveur des prix qu’il
fallut définir-+e pouvoir d’achat comme le rapport entre les
salaires et ceux-là. Cela parait simple à présent
mais en matière d’évolution de la pensée collective,
tout est long et compliqué. I l est vrai qu’après avoir
obtenu enfin l’échelle mobile, garantie que les salariés
ne feraient pas les frais de l’inflation, les syndicats ont accepté,
sous le gouvernement du P.S.. l’idée que l’augmentation proportionnelle
des salaires était une des causes de l’inflation et qu’il fallait
donc y renoncer ! A quand la baisse des salaires pour revenir, comme
la R.F.A., à l’inflation presque 0... ? La menace du chômage
n’y serait pas pour rien. Encore une fois, elle jouerait en faveur des
profits contre les salaires.
Un autre domaine dans lequel le régime capitaliste a évolué,
et s’est même radicalement transformé afin d’éviter
les écueils signalés par J.Duboin, est la notion sacrosainte,
avant Keynes, de l’équilibre du Budget. Après un temps
de tolérance, le Budget français étant de plus
en plus en déficit, François Mitterand a brusquement fixé
à 3 du Produit Intérieur Brut la limite à ne point
dépasser pour ne pas faire peur à l’institution boursière
nationale et internationale. L’objectif de 3 % tenu dans le projet 1985
n’a d’ailleurs pas été respecté en fin d’exercice.
Pourquoi 3 % et non pas 2, 4 ou 5% ? Mystère ! certains tenants
du libéralisme pur et dur, derrière Jacques Chirac, parlent
même d’un retour à l’équilibre budgétaire.
Alors, 0% ? Pourtant un déficit de 200 milliards de francs était
bien pratique afin de ne pas aller vers un chômage encore plus
grave. Mais peut-être cette dernière perspective n’effraie-t-elle
pas trop nos nouveaux gouvernants ? Quant aux États-Unis, ils
sont allègrement sur la crête de 200 milliards de dollars
(6) soit environ 1 300 milliards de francs et 6 % de leur P.I.B.. Mais
le pays-phare du capitalisme ne peut-il pas tout se permettre... en
attendant la catastrophe ? Toujours est-il qu’est loin le temps de J.B.
Say où avec un budget en équilibre, le régime capitaliste
distribuait automatiquement, paraît-il, les moyens d’achat nécessaires
à l’écoulement de la production. Alors influence de J.
Duboin ? Non, il écrivait en français, donc personne ne
l’a lu. Sinon Keynes ?
L’abondance dans les contrées développées a également
été jugulée par l’aide aux pays en voie de développement
qui n’est bien souvent qu’un don. Ces crédits permettent l’écoulement
de produits qui sans cela ne trouveraient pas preneur, car elle sous-entend,
la plupart du temps, l’utilisation des sommes versées pour des
achats uniquement auprès du « généreux »
donateur. C’est ainsi qu’on a pu soutenir que cette forme d’aide n’était
qu’un don des pauvres des pays riches aux riches des pays pauvres. Les
crédits à long terme et à bas intérêt
ne sont aussi qu’une manière de soutenir les producteurs intérieurs
en mal de conquête de nouveaux marchés extérieurs.
Les organismes d’assurance contre les risques de change, comme la COFACE,
sont en fait renfloués le plus souvent par le budget national
pour le plus grand bénéfice des mêmes industriels.
Une autre forme de soutien déguisé des entrepreneurs en
risque de faillite consiste à obliger les entreprises nationales
à racheter au prix fort certains marchés sous la menace
de non exécution des commandes ou de fermetures d’usines suivies
de mises au chômage massives. Tout cela bien entendu au nom du
libéralisme...
Si l’on passe donc à l’économie intérieure, citons,
seulement pour mémoire, le prodigieux développement de
la publicité destinée à faire acheter des produits
dont le citoyen n’a bien souvent nul besoin. Ce sont maintenant les
industriels et derrière eux l’Etat qui décident de lancer
des productions à utilité discutable, ou même nuisibles,
dont ils savent que les mêmes publicitaires sauront les imposer
: gadgets électroniques de toutes sortes, machines à laver
à 40 ou 50 programmes, automobiles à multiples options,
appareils photographiques et chaînes HiFi hypersophistiqués,
etc. L’offre, au lieu de répondre à la demande, la crée.
***
Ne parlons pas du déséquilibre des échanges internationaux. Ou plutôt si parlons-en, et attendons l’économiste orthodoxe qui va nous expliquer comment les pays les plus en déficit (Brésil : dette extérieure 105 milliards $, Mexique : 96 milliards $, Argentine : 47 milliards $, Venezuela : 35 milliards $, Nigeria : 17 milliards $, Egypte : 15 milliards $, etc...) vont s’y prendre pour régler leur dû, principalement envers certaines banques américaines qui, dans l’euphorie des « chocs pétroliers » (pas si choquants pour tout le monde), s’étaient laissé aller à des prêts un peu trop généreux ? Alors que l’abaissement des prix du pétrole ne leur permet, et encore,-que de payer l’intérêt de leurs emprunts ? Le rééchelonnement de la dette a déjà fait des victimes parmi les prêteurs. Afin d’éviter un krach retentissant en chaîne, le gouvernement des Etats-Unis a, malgré ses convictions libre-échangistes, été obligé de renflouer une grande banque de l’Illinois. II va arriver un moment où le rééchelonnement s’étalera sur des périodes si longues qu’il équivaudra à une annulation. Mais le principe restera sauf ; la somme figurera aux crédits des banques créancières supportant déjà la charge de la dette intérieure qui, rien que pour les fermiers, s’élève à 200 milliards $. Il n’en reste pas moins que quelques pays (RFA, Japon...) ayant une balance commerciale éternellement ’excédentaire, il faut bien que d’autres aient une balance déficitaire envers eux et l’on ne voit pas, sauf crédit à très, très long terme pour que la machine exportatrice continue à tourner, comment la tendance pourrait s’inverser. Surtout lorsque l’inflation baisse et place les emprunteurs en mauvaise position. Alors un retour à une inflation qui cache tout cela ? Mais alors les intérêts augmenteront ! Là aussi, les principes...
***
Dans le domaine social, J. Duboin n’aura pas connu
la rupture complète et avouée entre le revenu et le travail
que sont les propositions de revenu minimal garanti, les retraites anticipées,
les garanties de ressources, les allocations compensatrices les plus
diverses, les travaux d’utilité collective et tous autres camouflages
du chômage. Cela aussi répond à son idée
souvent rappelée par « la Grande Relève » :
« Il serait plus facile de faire consommer le surplus de la production
aux chômeurs que de faire absorber les chômeurs par une
production qui n’a plus besoin d’eux » (7).
Bien entendu, les bonnes vieilles recettes destinées à
régénérer le profit restent utilisées et
« s’améliorent » : refus de vente, destructions de
récoltes, production d’appareils à durée limitée,
ententes entre industriels et entre vendeurs aux différents échelons
du commerce, gonflement des budgets militaires, etc.
***
On laissera le lecteur et les commentateurs, comme
A. Sauvy et P. Drouin, juger de l’influence exercée par les idées
de J. Duboin sur l’évolution du système économique,
avant et après son décès. Il reste que nous ne
sommes pas en économie distributive et que nous ne passerons
le point de non-retour que l’on pourrait, par exemple, définir
comme l’adoption de la monnaie de consommation, que si nous sommes suffisamment
nombreux.
Ceux qui s’inspirent de J. Duboin et ils sont plus nombreux, effectivement,
qu’on le croit généralement, déforment sa pensée,
ou n’en prennent qu’une partie et presque jamais ne le citent. Ils le
déforment pour le faire entrer dans le système, ils n’en
prennent qu’une partie afin de sauvegarder leurs intérêts
mal compris ou ne pas déplaire aux propriétaires des journaux
dans lesquels ils écrivent, ou bien alors, plus généralement,
aux tenants du système. Ils ne le citent presque jamais, non
pas pour s’approprier ses idées (tout au moins les plus honnêtes),
mais plutôt par crainte qu’on le lise et que ses projets soient
enfin diffusés, par peur de l’avenir, par horreur du vide devant
l’effondrement d’un capitalisme qui paradoxalement les rassure parce
qu’il a traversé... deux siècles !
*
Le système économique dominant s’adapte
progressivement lorsqu’il ne peut plus maintenir un dogme. C’est là
sa force et sa faiblesse. Nous venons de citer quelques exemples de
son adaptation qui ne portent pas encore sur l’essentiel.
Il y a je crois, deux façons de considérer cette évolution
:
1. L’évolution est lente et les contradictions les plus criantes
demeurent. Dans certains cas, elles deviennent insupportables (armement
nucléaire, famines dans le Tiers-Monde, chômage en aggra
vation) et menacent l’existence même de la vie sur terre... Mode
pessimiste.
2. La tendance à l’adaptation existe. Pourquoi ne s’accélérerait-
elle pas en fonction de nos efforts ? Mode optimiste.
C’est notre destin d’aller de l’un à l’autre mode en privilégiant
peutêtre le second, celui de l’effort, du progrès.
N.B. Tous les chiffres cités dans cet article sont extraits du journal « Le Monde », en particulier du Bilan Économique 1985 du 24 décembre 1985.
(1) Voir notamment GR de Janvier, Octobre et Novembre
1986.
(2) Dunod éd. 1980.
(3) On voit bien qu’A. Sauvy simplifie à outrance la pensée
de J. Duboin.
(4) A. Sauvy doit penser comme le ministre P. Seguin que les 40 heures
étaient prématurées en 1936 (il l’a dit à
« Questions à domicile sur A2 le 23 octobre), oubliant
seulement un petit détail : il s’est passé quelque chose
de 1939 à 1945 qui a supprimé pour un temps le potentiel
d’abondance apparu dans la « crise de 1929 ».
(5) A. Sauvy essaie toujours de nous faire croire que l’automatisation
ne supprime pas, globalement, des emplois, quoique son livre soit très
réservé sur ce sujet.
(6) 212 milliards de dollars en 1985.
(7) « Les Yeux Ouverts », J. Duboin, réédité
en 1982.
2,5 millions de chômeurs incompressibles
Je reprends l’évocation déjà faite par J.P. MON dans « Au fil des jours » de la Grande Relève d’Octobre au sujet des déclarations de P. SEGUIN. C’est que, passées les vacances, le chômage - spectre de tous les partis et gouvernements - revient en force à la une des préoccupations.
UN CHIFFRE A DROITE
Le Ministre des Affaires Sociales et de l’Emploi, faisant fi des promesses électorales de la droite, jette le masque. Peut-être bientôt 3.200.000 chômeurs. En tout cas, 2.500.000 nombre incompressible. Devant le tohu-bohu déclenché par ses déclarations, P. Seguin essaie bien, quelques jours plus tard, de « corriger » le sens de ses paroles : il n’a pas voulu dire qu’on ne pouvait pas espérer retomber, avec beaucoup d’efforts et de temps, à 2 millions de chômeurs... Pourtant sa démonstration était claire.
En attendant, depuis Mars, les demandeurs d’emploi ont augmenté de 120.000 : la courbe va donc bien plus vers les 3.200.000 que vers les 2.000.000. Mais qu’on ne s’y trompe pas : il ne faut pas croire, malgré les timides protestations hypocrites de la droite elle-même, que le Ministre a lancé son pavé sans l’accord de Chirac. Il s’agit d’accoutumer le public à ces chiffres, à cet état de fait. Après tout, pourquoi la droite, « à l’épreuve du pouvoir » serait-elle plus socialiste que les socialistes ? Pourquoi se gênerait-elle ? Les socialistes, défenseurs des classes laborieuses, n’avaient-ils pas fait avant 1981 des promesses mirobolantes ? Or, de Mai 1981 à Mars 1986, le nombre de chômeurs est passé de 1.700.000 à 2.400.000. Et, sans le « traitement social » du chômage - qui a désormais fait son plein- c’est le chiffre de 3 millions qui eut été atteint ; plus 200.000 sans les TUC, sorte de chômeurs « camouflés », au travail précaire et peu payé (même si cela vaut mieux que rien sur le plan moral et social). Autrement dit, la droite, en quelque sorte, est « forte » de l’échec de la gauche en matière de chômage. L’échéance électorale majeure arrivant à grands pas, il faut essayer de « neutraliser » l’effet négatif qu’aurait auprès des électeurs une situation inchangée ou aggravée d’ici 14 à 15 mois.
DU BRICOLAGE A GAUCHE
Laurent Fabius, à l’Heure de Vérité, début Octobre, a, bien sûr, été interrogé sur son plan anti-chômage, dans le cas où les socialistes reviendraient au pouvoir, d’autant que le PS doit tenir en Décembre une Convention consacrée à l’emploi, sous l’égide de Fabius précisément.
Rappelons que Fabius avait préparé son « Heure de Vérité » aidé de 110 experts. Les solutions allaient donc jaillir claires, péremptoires. Las, on l’entendit parler de l’investissement. de la recherche, des TUC... bref, de bricolage. La sanction à cette médiocrité fut immédiate : 26% seulement des sondés (dont 7 à 8% de moins que l’électorat socialiste) se disent convaincus par le Docteur Fabius sur les remèdes qu’il préconise pour guérir du chômage.
***
A quelque temps de là, je participais à
un « Forum » sur l’emploi, forum drivé par un « ponte »
du PS... Lui aussi expliqua qu’on ne réduirait le chômage
que par la reprise de l’investissement, le développement de la
recherche et de la formation, les TUC et même les petits boulots,
les aides fiscales à l’artisanat et au petit commerce (« pour
qu’ils embauchent »). Pas un mot sur le caractère structurel
du chômage, sur la réduction et le partage du temps de
travail, du moins jusqu’à ce qu’un auditeur lui posât la
question. Encore répondit-il que cela ne pouvait concerner que
des cas ponctuels et que c’était une illusion de considérer
le partage du temps de travail comme la panacée. Il revint sur
l’idée que l’investissement productif pouvait seul, à
terme, et surtout dans les nouvelles technologies, être massivement
créateur d’emplois (nous verrons plus loin ce qu’il en est en
Amérique).
Ce qui est grave, c’est d’abord que je le crois « sincère
» le ponte en question et ensuite que l’assistance, en majorité
socialiste, « goba » les remèdes évoqués
comme sérieux et suffisants (1). C’est la preuve qu’ils -les
gens de gauche- n’ont rien compris à la grande révolution
technologique de notre temps (2). Alors que-c’est triste à dire-
Seguin a au moins compris une chose quand il dit : « les réserves
de productivité de l’industrie et des services classiques sont
énormes et la compétition les fera toujours jouer plus
à plein ».
UN « DÉBAT » ENTRE EXPERTS
Le 13 octobre, j’assistais à la Maison de la
Radio, au « Grand Débat » (Emission France Culture
retransmise à 20 h 30 les 17 et 24 octobre). Sujet : « Le
chômage est-il incompressible ? ». Jacques Julliard (Nouvel
Observateur) qui dirigeait le débat était entouré
de E. Malinvaud, Directeur de l’INSEE, Alain Cotta, Professeur à
Paris-Dauphine et chargé de diverses études et missions,
J. Chérèque, CFDT, Chargé par Mitterand en tant
que Préfet délégué du redéploiement
industriel de la Lorraine, et de P. Briançon, Journaliste à
Libération. Je ne sais si certains lecteurs de la G.R. ont suivi
cette émission. Lamentable sur le fond, creuse, aussi bien, sans
généraliser totalement, en ce qui concerne les questions
posées par les auditeurs que les exposés et les réponses
des « spécialistes » réunis par J. Julliard.
Rien sur les vraies causes structurelles du chômage, rien sur
les vraies solutions. Le chômage est cyclique, a toujours existé
(voir 191 siècle) ; le problème est trop complexe pour
en saisir tous les aspects il ne faut rien négliger (tucs, petits
boulots... voir les socialistes dans les paragraphes précédents).
A. Cotta cependant apporta des précisions intéressantes.
Il revenait d’un voyage d’étude aux USA : sur 10 emplois nouveaux
créés, un seul est dû aux technologies nouvelles,
un aux industries traditionnelles. Les 8 autres - ce que nous savons
déjà, nous distributistes - concernent ce qu’il a appelé
le « prolétariat des services » : concierges, gardiens
d’enfants, travaux sous-payés, sans qualification, sans espoir
d’évolution a-t-il précisé. Bref, sans la nommer,
il évoquait ce vers quoi le monde capitaliste s’achemine : cette
société duale que nous dénonçons, effrayante
à terme où les riches seront de moins en moins nombreux
et de plus en plus riches, et les « exclus » de plus en plus
nombreux et de plus en plus pauvres. (Ce qui est d’ailleurs transposable
au niveau planétaire Nord-Sud).
Lorsque je pus, enfin, avoir la parole, je mis bien entendu «
les pieds dans le plat », opposant une autre société
à celle décrite par A. Cotta. Pour faire bon poids face
à ces économistes distingués, je m’appuyais sur
une équation toute simple posée par M. Albert dans le
« Pari Français » :
Production (P) = productivité (p) x temps de travail (t).
Si P est constant, ou peu s’en faut ; si p croît
dans cesse malgré la crise à cause des impératifs
de la concurrence, t ne peut que diminuer : c’est mathématique.
Actuellement, ceux qui gardent leur emploi continuant à travailler
plus ou moins 40 heures, la diminution globale de t ne peut que se traduire
par une augmentation des chômeurs. Et voici ma question Pourquoi
veut-on qu’un processus engagé depuis le début du machinisme,
et singulièrement accentué au cours des dernières
décennies, s’arrête ? Le temps global de travail sur une
vie a été divisé par 2 (scolarité prolongée,
5 semaines de congés payés, retraite à 60 ans,
voire à 55, semaine de 39 heures et souvent moins), cependant
que la quantité de biens disponibles n’a cessé de croître.
Ne peut-on partager l’abaissement constant du temps de travail en :
-« travail moins long +loisirs pour tous ».
au lieu de :
-« temps constant pour certains et chômage accru pour les
autres » ?
Malinvaud me répondit ... si l’on peut dire ...par une pirouette
« une équation mathématique n’est pas nécessairement
une causalité... L’équation de M. Albert est parfaitement
rigoureuse ; mais les conclusions que l’on peut être tenté
d’en tirer ne le sont pas nécessairement... etc ».
AU TOTAL : RIEN POUR EN SORTIR !
En résumé, tout le monde : les politiques
de droite et de gauche, les économistes et syndicalistes (voir
les positions même d’un E. Maire... Ne parlons pas d’un Bergeron
!) ou bien se défilent, ou bien n’ont rien compris. Je penche,
hélas, pour la deuxième hypothèse. Ce qui est,
je le répète, plus dramatique. Le mot n’est pas trop fort
pour les malheureux « exclus » ou « déclassés
» du travail.
Quelle tâche immense en perspective, camarades distributistes
!
(1) Il y a 2 ou 3 ans, pour préparer une Convention,
les sections du PS eurent à remplir un questionnaire. A la question
: « Les progrès techniques réduiront-ils le chômage
dans l’immédiat ? à terme ? A la première, la plupart
des sections répondirent : NON. Mais presque toutes pensèrent
qu’à terme, il serait réduit !
(2) Relire dans la Grande Relève de Mars 1986, page 14, la réponse,
à la lettre d’un camarade, de Strauss-Kahn, responsable des études
économiques au PS.
(3) Les biens disponibles en France ont été multipliés
par 4 de 1929 à 1976 et par 8 depuis le début du siècle.
(4) Par contre, d’après un sondage de la SOFRES, fin octobre,
81 %des Français pensent que le gouvernement actuel ne résoudra
pas le problème du chômage. Le bon peuple lui, n’est pas
expert, mais il ’ sent » les choses !
Lectures
Association pour l’unification du christianisme mondial
(AUCM), Eglise de l’Unification, CAUSA, sous ces dénominations
et à travers une multitude de fondations, de mouvements, de cercles,
d’entreprises industrielles et commerciales, la secte MOON affirme sa
présence dans une centaine de pays en danger de subversion, comme
l’explique J.F. Boyer dans « L’Empire Moon » (1).
« Vaincre les ennemis de DIEU et établir le royaume des
cieux sur la terre ; construire une théocratie mondiale sur les
ruines du socialisme », c’est l’écrit J.F. Boyer, le but
avoué de MOON. « L’Histoire, conclut-il, a-t-elle connu
de projet plus politique ? ».
En fait, il s’agit de préserver les intérêts supérieurs
du capitalisme américain dans le monde en mobilisant l’Occident
chrétien sur le thème de l’anticommunisme. Chevauchant
cette même idéologie, la C.I.A. a servi de fusée
porteuse à la mise en orbite de la secte qui, jusque-là
s’était bornée à jouer la mouche du coche. S’étant
pris au sérieux, le Révérend MOON s’est forgé
l’image d’un MESSIE chargé de combattre le Mal.
L’empire du Mal, c’est la Russie Soviétique devenue capable de
contaminer l’Occident, d’en menacer la prospérité, par
l’exemple qu’elle donne d’une réussite sociale, culturelle, morale,
industrielle et scientifique, d’une société sécurisante
à 100% sans crise, ni chômage, d’une économie en
constante progression, à la veille de pulvériser les records
de croissance, assez pour alarmer les devôts de la libre entreprise,
les hauts financiers, la chevalerie du profit.
La secte : un rassemblement de moines-soldats dans la tradition moyennageuse,
croisés de l’anticommunisme, conditionnés dans le fanatisme,
jetant l’huile sur le feu à coups de désinformation dans
l’espoir d’un embrasement final qui détruira pour toujours la
« patrie du socialisme ».
« Le retour à la détente, note encore l’auteur,
la mise en oeuvre concertée d’un désarmement réel
peuvent ruiner la stratégie mooniste d’investissement de l’exécutif
américain fondée sur le développement de la tension
entre les blocs ».
Le livre nous montre les moonistes à l’oeuvre auprès des
dictatures, des « contrats » du Nicaragua, finançant
les fournitures d’armes, organisant conférences sur conférences
internationales avec participation de maints ténors de la politique
et des médias, chefs de file de manifestations, auteurs de thèmes
de propagande que reprennent à l’unisson le choeur des chroniqueurs
bien-pensants, des journalistes dévoués à CAUSA.
En symbiose avec la C.I.A. la secte finance tout ce qui, dans le monde,
livre combat au communisme. Un combat sans merci qui rapporte au Révérend
assez d’argent pour alimenter les activités de la secte, et étendre
son influence. Aux fonds collectés par les jeunes moonistes vendeurs
à la sauvette, s’ajoutent les revenus d’un empire industriel
et commercial aux dimensions d’une multinationale.
Un millier de noms cités. Une information de premier ordre. Un
ouvrage décapant promis à la trappe, à l’enseigne
des publications qui ont l’audace de clouer au pilori les milieux droitiers
et les cercles antisoviétiques.
L’offensive de MOON sur la France est récente. Si demain, une
publicité pour le « ginseng » est glissée
dans votre boîte à lettres, tenez-vous sur vos gardes :
les moonistes sont là.
(1) L’EMPIRE MOON par Jean-François BOYER (ÉDITIONS DE LA DÉCOUVERTE 1986).