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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 849 - octobre 1986

 

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N° 849 - octobre 1986

Revenu de base   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

Les boulangers dans le pétrin   (Afficher article seul)

"L’imposture monétaire"   (Afficher article seul)

Charité ou revenu social ?   (Afficher article seul)

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Revenu de base

par M.-L. DUBOIN
octobre 1986

A l’initiative de Philippe Van Parijs, coordinateur du collectif Charles Fourier, la première conférence internationale sur le revenu de base, ou allocation universelle, s’est tenue, en anglais, à l’Université Catholique de Louvain-la-Neuve, du 4 au 6 septembre derniers.

Les 70 (et quelques...) personnes qui y participaient ; venues de 14 pays d’Europe, avaient toutes déjà publié des travaux sur le revenu garanti pour tous. Cette convergence est, en soi, une excellente nouvelle : la preuve que l’idée est enfin répandue, et que, puisqu’elle est dans l’air, on va de plus en plus en parler...

Et on en a beaucoup parlé au cours de ce congrès... tellement que je ne peux pas rapporter toutes les choses intéressantes qui ont été dites au cours des quelque 70 exposés, sans compter les conversations de couloir. Je vais donc me contenter, pour commencer, d’en indiquer quelques points marquants. Nous reviendrons plus tard et plus en détails sur certains exposés : ils ouvriront ou nourriront des débats dans ces colonnes.

***

Voici en quels termes le collectif Charles Fourier présentait, en Mars 1984, l’allocation universelle :
« Supprimez les indemnités de chômage, les pensions légales, le minimex, les allocations familiales, les abattements de crédits d’impôts pour personnes à charge, les bourses d’études, les, cadres spéciaux temporaires et les troisièmes circuits de travail, l’aide de l’Etat aux entreprises en difficulté. Mais versez à chaque citoyen une somme suffisante pour couvrir les besoins fondamentaux d’un individu vivant seul. Versez-la lui qu’il travaille ou qu’il ne travaille pas, qu’il soit pauvre ou qu’il soit riche, qu’il habite seul, avec sa famille, en concubinage ou en communauté, qu’il ait ou non travaillé dans le passé. Ne modulez le montant versé qu’en fonction de l’âge et du degré (éventuel) d’invalidité. Et financez l’ensemble par un Impôt progressif sur les autres revenus de chaque Individu.

Parallèlement, dérégulez le marché du travail. Abolissez toute législation imposant un salaire minimum ou une durée maximum de travail. Éliminez tous les obstacles administratifs au travail à temps partiel. Abaissez l’âge auquel prend fin la scolarité obligatoire. Supprimez l’obligation de prendre sa retraite à un âge déterminé.

Faites tout cela. Et puis observez ce qui se passe. Demandez-vous, en particulier, ce qu’il advient du travail, de son contenu et de ses techniques, des relations humaines qui l’encadrent ».

D’un exposé préliminaire de synthèse fait, en ouverture de Congrès, par Philippe Van Parijs, Professeur de Philosophie et d’Économie à l’Université de Louvain-la-Neuve, exposé destiné à cerner les débats, il semblait ressortir que nous étions tous à peu près d’accord sur l’attribution de l’allocation universelle, mais qu’une question était à discuter : cette allocation pouvait-elle être versée aussi à quelqu’un qui refuserait absolument et définitivement de travailler ?
L’introduction faite ensuite par Gabriel Fragnière, Directeur du Centre Européen pour le Travail et la Société, à Maastricht (Pays-Bas) était un effort remarquable pour élever les débats : « Beaucoup d’arguments avancés en faveur du revenu de base, dit-il, le présentent comme une extension, ou une généralisation des systèmes de sécurité sociale tels qu’ils existent dans les différents pays... la discussion est ainsi liée à l’échec actuel de ces systèmes et de façon générale à la crise de l’Etat-Providence. Et le revenu de base apparaît comme une façon d’aider le système à survivre... C’est pour cela que la question a surtout été débattue par des techniciens responsables de la sécurité sociale. Il est cependant important de noter la croissance rapide du nombre d’économistes en général, aussi bien que de philosophes (mais est-ce différent, se demanda-t-il ?) qui entrent dans le débat. Or, cette croissance ne peut continuer que si les problèmes de valeur et de politique sont pleinement posés : ce qui est en question, ce n’est pas de trouver un meilleur système pour garantir des revenus à ceux qui ont du mal à en trouver, mais de redécouvrir la valeur réelle de la création de richesses et comment le droit de tous les êtres humains d’avoir leur part de ces richesses peut être garanti ». Après une excellente analyse de l’évolution du travail « qui n’est plus désormais une action individuelle mais une participation au processus global, organisé, de la production des biens ». Le travail se trouve donc directement lié à ce processus alors qu’il n’est plus qu’indirectement lié (par le salaire) à la survie et au confort du travailleur et de sa famille : «  L’idée de valeur du travail, action considérée comme spécifiquement humaine, a été remplacée par la valeur du revenu de l’emploi ; la valeur du travail n’est plus ce que l’homme fait... mais ce qu’il gagne » ! Or, dans le travail il y a plus que le revenu : « avoir un emploi est une valeur sociale, une espèce de manifestation sociale de l’individu et ceci, indépendamment du rapport financier qui y est attaché. C’est ce qui justifie les politiques de plein emploi suivies par la plupart de nos gouvernements  : les besoins de revenus et le besoin d’être socialement reconnu étaient satisfaits en même temps. Mais nous savons depuis la crise et notre prise de conscience des changements qui affectent ce qu’on appelle nos sociétés post-industrielles, que ceci n’est plus possible parce qu’il n’est plus nécessaire que tant de gens interviennent dans les processus de production... nous redécouvrons la valeur fondamentale qui consiste à faire quelque chose que nous aimons, parce que nous y trouvons une valeur en soi, comme un artiste, ou parce que nous y voyons la valeur sociale de notre effort ».
Et la conclusion de G. Fragnière fut claire « Aujourd’hui, en dissociant la production du partage des richesses, il faut établir un nouveau système pour garantir le pouvoir d’achat. Il n’est pas seulement question de trouver une meilleure façon de calculer le budget de l’État où les coûts sociaux, mais de l’étique d’une politique d’ouverture et de solidarité qui est rendue possible par nos nouvelles capacités de développement et de création de richesses pour tous... La création en Europe d’une Communauté de plus de 320 millions de citoyens est l’occasion d’un renouveau social et politique qu’il ne faut pas manquer ».

***

Hélas, les interventions qui suivirent ne furent pas toutes au même diapason. Certaines s’attachèrent à montrer que le revenu de base étant essentiel pour la création d’emplois, d’autres que ce serait le meilleur stimulant pour les petites entreprises. Des études très sérieuses présentées sur les propositions faites dans les divers pays d’Europe, il est ressorti que le revenu de base a été défendu par des gens de droite, comme le moyen d’améliorer le système de sécurité sociale, de rendre supportables l’existence de groupes désavantagés, du supprimer, avec le piège de la pauvreté, l’incitation au travail « au noir » et enfin, d’encourager les emplois mal payés. « En période d’âpre compétition pour la recherche d’un emploi, il pourrait être intéressant d’aider ceux qui sont volontaires pour se retirer de la course ».
Mais l’assemblée de Louvain-la-Neuve était surtout faite de gens de gauche, bien rôdés à la démonstration des avantages humains d’un revenu assuré à tous. Ann Miller, fondatrice du groupe de recherche pour le revenu de base à Edimbourg analysera tout l’intérêt que représente pour les femmes l’assurance de leur indépedance économique et fustigea les mouvements féministes qui se contentent comme devise de «  égalité de paie et de conditions, et le plein emploi pour tous ». Cette « solution » du plein emploi pour, à la fois, les hommes et les femmes, remarque Ann Miller, oublie certaines dures vérités... Il faudrait d’abord définir le plein emploi et savoir s’il est à nouveau possible comme au cours des années 50 et 60 ! Les femmes ne semblent pas comprendre, dit Ann Miller, le rôle potentiel d’un revenu assuré, en tant que fondement d’une foule de possibilités dans une économie alternative.

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Le point a été fait, pour chacun des pays représentés, de la situation et de l’éclat des débats sur la garantie d’un revenu de base pour tous.
Autres exposés intéressants : les tentatives pour en chiffrer le coût, dans différents pays. Et nous abordons là la question cruciale : comment financer un revenu décent pour tous ? Tous les autres intervenants ne conçoivent ce financement que sous la forme d’une redistribution : l’argent doit être prélévé par des impôts, impôts seulement sur les entreprises et les capitaux pour certains, impôts également sur les salaires pour les autres. Le montant du revenu garanti, dans ces conditions, ne peut être que le minimum de survie. D’ailleurs quelqu’un a judicieusement fait remarquer que les débats s’enveniment toujours dès que cette question du montant est abordée... !
J’ai eu deux occasions de montrer l’avantage d’une véritable distribution du pouvoir d’achat. Au cours de mon intervention au congrès sous le titre « le revenu garanti en tant qu’héritage*  » et surtout au cours de la conférence du soir, en Français, « Aux origines de l’idée d’allocation universelle en France  : l’économie distributive ». Ce fut le moment de situer l’économie distributive face aux redistributeurs qui oublient que nous avons désormais les moyens de pourvoir Paul sans enlever à Pierre. Ce fut aussi l’occasion de répondre aux questions posées par un public venu nombreux* (plus encore qu’au Congrès lui-même) à cette conférence, fort bien organisée par le Collectif Charles Fourier qui en avait pris l’initiative.

***

Le dernier jour du Congrès, il a été décidé de créer un mouvement européen afin de maintenir le lien entre tous les participants et d’organiser le travail autour de l’allocation universelle en Europe. Un siège social et des moyens sont attendus du Centre Européen pour le Travail et la Société.
Ce mouvement a reçu pour nom : BIEN c’est-à-dire « Basic lncome European Network ». La Grande Relève s’est offerte pour en publier régulièrement des nouvelles : nos lecteurs ne seront donc pas étonnés s’ils découvrent dans nos colonnes une « Neswsletter » du BIEN, en Anglais. Nous nous efforcerons de la traduire pour eux.

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*« Basic income as an inheritance », le texte est disponible au journal pour les lecteurs qui voudraient l’utiliser.

**Merci aux amis Belges venus de Liège pour cette soirée qui se termina très tard.

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Au fil des jours

par J.-P. MON
octobre 1986

Vous ne serez sans doute pas surpris qu’en ces temps de rentrée je vous parle un peu de ce que j’ai glané dans la presse pendant les vacances.

Tout d’abord un titre fracassant dans « le Monde  » du 8 août donné à une interview de Philippe Séguin, ministre des affaires sociales et de l’emploi : «  L’objectif n’est plus le plein emploi productif ». Diable, c’est là une véritable révolution culturelle pour un ministre (et pour « le Monde » aussi !). Constatant que 2 à 2,5 millions de chômeurs est un nombre incompressible, M. Séguin déclare « Il faut dire les choses comme elles sont : le secteur productif et le tertiaire traditionnel ne peuvent plus à eux seuls répondre à la demande. Quantitativement, c’est une évidence. Les réserves de productivité de l’industrie et des services classiques sont énormes, et la compétition internationale les fera jouer toujours plus à plein. Il y a désormais un décalage structurel entre le rythme de l’évolution technologique et la capacité d’adaptation, sur la base des modèles traditionnels du corps social... Et si on était tenté d’attendre béatement la fin du chômage, voyons ce qui s’est passé au Royaume-Uni. Je suis de ceux qui estiment que Mme Thatcher a plutôt réussi sa politique économique. Mais l’amélioration de l’emploi... n’a pas empêché l’augmentation du chômage... C’est un sacré sujet de réflexion ».
Mais ne vous réjouissez pas trop tôt et n’imaginez pas que M. Séguin va vous proposer l’économie distributive  ! Reconnaisant qu’il existe déjà en France une société duale (encore un bon point pour cette franchise), le ministre entreprend l’apologie du « nouveau secteur » (périphérie des entreprises, travail à domicile, activités d’utilité collective,...) et propose de « réintégrer dans l’économie officielle tout ou partie de l’économie souterraine qui s’est développée à notre insu ». Evidemment tous ces emplois mirifiques, il n’est pas question de les payer décemment, ne serait-ce qu’au SMIC.
Reconnaissons, cependant, que c’est la première fois qu’un ministre en exercice reconnaît l’impossibilité du plein emploi : c’est déjà un progrès !

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Plus retardataire qu’un ministre, le secrétaire général de la CFDT se scandalisait des 2 à 2,5 millions de chômeurs « incompressibles » que reconnaissait M. Seguin et, dans une belle envolée, s’indignait : « Eh bien, non ! Franchement non ! Parce que le syndicalisme authentique reste bien vivant, c’est-à-dire porteur de sens pour les salariés, tous les salariés, et donc pour la société toute entière, il lui appartient par un grand effort sur lui-même de montrer comment surmonter l’inacceptable. » C’était une phrase pour meubler parce que ça ne veut pas dire grand chose... Mais les solutions que propose E. Maire, c’est : -en premier lieu donner une impulsion nouvelle à l’action de redressement économique et de création d’emplois... » (toujours le même refrain  !). Et plus loin : « Le nerf de la guerre l’atout décisif pour gagner la bataille économique moderne, ce n’est pas le capital, c’est le travail ; une stratégie financière peut faire rentrer les capitaux. Mais si l’investissement stagne aujourd’hui en France, ce n’est pas faute de capitaux, c’est faute de rentabilité des entreprises ». Ce brave Edmond devrait quand même savoir que pour être rentable une entreprise doit s’automatiser au maximum et donc supprimer de la main-d’oeuvre, puisque le travail humain est plus cher que le travail des machines. Ce n’est donc pas en investissant davantage qu’on créera des emplois... Rejoignant Séguin, Maire propose « des activités utiles partiellement solvables, actuellement inexplorées ou abandonnées au travail noir » (services industriels à domicile, entretien de l’habitat, services ménagers, garde des enfants,...). Moyennant quoi, Maire conclut : « il est possible, dès aujourd’hui, de donner à chacun dans ce pays soit une activité, un salaire ou une ressource. Cela n’ira pas sans risques, c’est vrai. Souvent ceux qui ont un emploi ne voient pas d’un bon oeil le changement nécessaire à la réalisation du chômage zéro ».
Ce brave Edmond, il ne dit pas que des bêtises, il est plein de bonnes intentions, mais il a encore l’air de croire que la gateau qu’on a à se partager est de taille constante et qu’il faut prendre aux uns pour donner aux autres. Il n’a pas encore compris ce qu’était la révolution technologique que nous sommes en train de vivre.

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Entre 1980 et 1985 la population agricole des Etats-Unis a diminué de 11,5 %, ce qui ramène à 5,36 millions le nombre d’américains vivant dans une exploitation agricole, soit 1 sur 45, alors qu’il y en avait 1 sur 7 en 1950 et 1 sur 4 en 1930. Ce qui n’empêche pas les États-Unis de ne plus savoir que faire de leur production agricole. L’abondance pose décidément bien des problèmes !
A tel point que pour faire plaisir à ses agriculteurs (qui sont aussi ses électeurs), Reagan veut vendre du blé subventionné à l’Union Soviétique. Et ce pour 4 millions de tonnes. Le problème, c’est que les soviétiques ne veulent plus accepter les règles du jeu jusqu’ici fixées par les américains : ils ne veulent plus payer 100 % du prix à l’embarquement et se réservent le droit de renvoyer une cargaison aux frais des américains si le grain ne possède pas aux yeux des experts soviétiques les spécifications requises. Qui plus est, ils veulent aussi bénéficier des « conditions du marché », c’est-àdire en ce moment, payer leur blé moins cher. Ils savent qu’ils ont tout intérêt à attendre et ils ne s’en privent pas.

***

Autre méfait de l’abondance, les producteurs de café vont contrôler leurs ventes sur le marché afin d’éviter la surabondance de l’offre qui a provoqué depuis le mois de Mars une chute brutale des prix.
A la fin de l’année 1986 la plus grande mine européenne de tungstène, située à Couflens dans l’Ariège, fermera ses portes. Elle ne serait, paraît-il, plus rentable, les cours ayant chuté de 75 à 33 francs le kilo. C’est, disent les experts, la conséquence de la baisse du dollar...
Anecdotique mais révélateur : le gouvernement Chirac veut rétablir le privilège des bouilleurs de cru !

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Réflexions

Voici les réflexions d’un boulanger.
Elles lui ont été Inspirées par la lecture de la Chronique Economique de la revue « Les nouvelles de la boulangerie  » sous la signature de Marie Régnier concernant le livre de Philippe Vasseur Intitulé « Le Chômage, c’est les autres ».

Les boulangers dans le pétrin

par J.-M. FORCADE
octobre 1986

Coïncidence ? Marie Reignier ne savait pas. de dans la page suivant son article, les Nouvelles de la Boulangerie présentaient un reportage sur Europain 86 intitulé : « Des machines extraordinaires », dans lequel il n’est question que de «  rythmes éblouissants, de cadences, d’automatismes, de performances  », ainsi que « de régularité, de sécurité  », et même de « spectacle ». Une preuve incontestable et incontestée du remplacement inévitable du travail de l’homme par la machine.
Mais que nous rapporte Marie Reignier sur les idées que Philippe Vasseur, par ailleurs rédacteur en chef économique du Figaro, développe dans son livre ? Rien de bien nouveau : des réflexions sur la croissance et la flexibilité, un exemple de restructuration de Chrysler aux Etats-Unis, et pour l’avenir, «  des armes nouvelles et un changement des mentalités », c’est-à-dire « le choix de son temps et de son statut » et un « éclatement des structures : partage d’un emploi entre deux personnes ». (je vous fais grâce des expressions américaines, heureusement expliquées).
Nous constatons encore avec regret, le manque d’imagination de nos «  spécialistes en économie », qui restent enfermés dans un système capitaliste basé sur le profil. Pourtant, partout dans le monde des personnes osent remettre en question ces sacro-saints principes. En effet, l’heure n’est plus à l’amélioration ponctuelle d’un système rétrograde, mais à la mise en place de nouvelles formes de sociétés.
Comme le souligne John Farina, professeur à la faculté des Sciences Sociales de l’Université de Waterloo (Ontario) qui déclare dans un article économique du journal «  La Presse » de Montréal (Canada) du 25 Avril 1985 : «  L’homme a inventé des machines pour se dispenser de travailler. Cela a tellement bien marché qu’il y a aujourd’hui un million et demi de chômeurs. Mais, au lieu de nous en réjouir, nous nous en mordons les doigts. Voilà qui est tout. à fait illogique ! ».

Sans vouloir polémiquer sur le nombre de chômeurs en France, quelles proportions faut-il atteindre pour nous amener à réfléchir sur la contradiction existant entre notre système économique et la performance des machines. Faut-il revenir aux temps décrits par RL Sancerre (témoignage toujours intéressant du passé), pour que tout le monde ait du travail ? Dans nos sociétés modernes, la production devenant indépendante du travail humain, ne serait-il pas préférable de dissocier le travail de chaque individu de son pouvoir de consommation ? En d’autres termes, ne pourrait-on pas imaginer un système dans lequel le travail fourni ne correspondrait plus à un salaire mais à un quota précis de biens de consommation ? Dans ce type de société, le chômage ne serait plus aggravé par le phénomène de mécanisation et tendrait à disparaître, les tâches indispensables étant accomplies par l’ensemble de la population active.
Actuellement, le secteur artisanal, encore présenté comme possible créateur d’emplois tiendra-t-il ses promesses ? Sa mécanisation, toujours croissante n’entraînera-t-elle pas une diminution des postes de travail comme c’est déjà le cas dans les secteurs secondaire (industries) et tertiaire (banques) ?
L’évolution du travail en boulangerie est édifiante lorsqu’on fait la comparaison du nombre d’heures de travail humain nécessaire à la panification entre hier et aujourd’hui. Quel sera-t-il demain  ? Quel potentiel d’embauche pouvons-nous prévoir ? Une chose est facilement prévisible : il y aura de moins en moins de travail pour tous, et moins encore pour le personnel non qualifié. Cela augmentera les différences entre deux catégories d’individus :
- des chômeurs devenant plus pauvres et plus nombreux ;
- des « riches » devenant plus riches et moins nombreux.

Jusqu’à quand va se maintenir cette dualité de situation, la même qui sévit entre « pays pauvres  » et« pays riches » ?
Ne serait-il pas « plus facile de faire consommer le surplus de la production aux chômeurs que de faire absorber les chômeurs par une production qui n’a plus besoin d’eux ? ».
Ces commentaires ont été refusés par le journal « Les nouvelles de la boulangerie » à qui elle ont été adressées.

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LES DOSSIERS DE LA GRANDE RELEVE

"L’imposture monétaire"

par D. BLOUD
octobre 1986

Ce livre est paru* peu avant les élections qui ont porté la gauche au pouvoir. Il est signé « Thomas Lefranc », pseudonyme recouvrant un collectif de neuf personnalités appartenant au secteur bancaire ou financier français.
L’analyse de cet ouvrage après l’épisode socialiste est instructive dans la mesure où elle fait apparaître que les suggestions faites dans « L’Imposture Monétaire » par ce groupe de travail de la commission économique du Parti Socialiste n’ont pas été appliquées par ce dernier car elles allaient trop loin et surtout révélaient une tendance antimercantiliste tout à fait dans le sens d’une véritable transition à l’Économie Distributive !
Après l’histoire de la monnaie, « mangée aux mythes  », l’opposition classique du keynésianisme à la thèse classique de Say est bien relevée : ce n’est pas l’offre qui détermine automatiquement la demande mais bien celle-ci (à condition d’être solvable, ce que n’indique pas Keynes) qui détermine l’offre globale. Le monétarisme de Friedmann est bien dénoncé également (le renard dans le poulailler). Mais toutes ces théories classiques supposent avec optimisme (sinon irresponsabilité) l’existence d’un « homo-Sconomicus » jouissant d’un revenu permanent ! I l faut donc reconsidérer les théories en vigueur et chercher un « nouveau modèle monétaire ».
L’Etat a perdu son pouvoir régaléen : « il se contente d’une action globale sur la masse monétaire, mais reste neutre face aux sacro- saints mécanismes du marché ». Les véritables acteurs du jeu économique et monétaire, donc politique à terme, sont les banques, dont la monnaie scripturale « constitue près de 80 % de l’ensemble de la masse monétaire  » ! Le capital et les réserves des banques inscrites «  ne représentent pas 5 % de l’ensemble des crédits consentis à la clientèle ». La part des billets dans la masse monétaire est passée de 36 % en 1964 à moins de 25 % en 1981. Au 1er janvier 1979, le compte des banques inscrites a fait apparaître un dépassement de 16,67 % de la masse des crédits (700 milliards) par rapport à celle des dépôts (600 milliards). Mais le taux de rendement avoué n’est que de 12.6 % pour 1978.
La banque, « bras séculier du capital », n’est pas aimée, souvent à bon droit mais sans raisons très précises car ses opérations sont occultes pour le public. Si 15 000 entreprises disparaissent tous les ans en silence, faute de fonds propres, c’est parce que, en fait, l’Etat fait prendre aux banques, par l’encadrement du crédit, la responsabilité d’une médecine anti-inflationniste symptomatique et superficielle.
Les comptes officiels ne représentent plus la réalité mouvante : les masses « M2 » ou « M3 »** n’ont par exemple pas enregistré l’injection, en 1980, de 46,5 milliards en émissions d’obligations.
On ne mesure pas non plus la vitesse de circulation monétaire, dont on sait seulement qu’elle augmente au fur et à mesure du resserrement du crédit. L’Etat est déconnecté de la réalité monétaire pour ne pas en prendre politiquement la responsabilité, faisant gérer la crise, qu’il devrait tenter de résoudre, aux privés. « Désormais, l’encadrement du crédit est devenu en France le seul moyen de la politique monétaire ». Le rôle de la Banque de France est quasi nul car entièrement au service des banques : les droits de tirage automatiques sur la banque centrale sont, depuis 1977, supérieurs aux actifs acquis par cette même Banque sur le marché monétaire ! Le système des « réserves obligatoires » des banques n’a jamais été appliqué en France. L’encadrement du crédit n’est finalement qu’un aveu d’impuissance de la part de l’Etat, incapable de contrôler autrement la croissance inflationniste d’une masse monétaire qu’il n’émet plus.
« Les pouvoirs publics ont volontairement abandonné les moyens de contrôle dont ils disposaient (pour la création de guichets par exemple à partir de 1967) pour livrer progressivement le pouvoir de battre monnaie au système bancaire ». Ils ont voulu faire le jeu d’un capitalisme sans concession en supprimant « les obstacles à l’exercice des lois du marché  ». Les secteurs risqués, non rentables et non solvables sont condamnés à disparaître, selon ce système. Vaer victis ! Les banques, dont la politique fondamentale est de privatiser leurs bénéfices tout en socialisant leurs pertes, se trouvent bloquées par l’encadrement du crédit, qui manifeste le refus de l’Etat de participer à cette socialisation des risques en les renvoyant à l’envoyeur ; qui dès lors résout le problème en le détruisant, par une coupure de la livraison de monnaie.
« Nous sommes au royaume de l’illusion. Vous croyez que le pouvoir monétaire est entre les mains de la puissance publique, mais en fait les réformes successives, réalisées depuis la dernière guerre, ont bâti un système économique qui a délégué au secteur bancaire le pouvoir de battre monnaie selon les critères de l’économie du marché  ».
Sur le plan international, l’abandon des parités fixes en 1971 a donné une « ampleur sans précédent aux mouvements spéculatifs » et aggravé la situation en internationalisant les mécanismes privés, les rendant ainsi inaccessibles aux seuls gouvernants de chaque pays. Après l’eurodollar, monnaie flottante de comptes internationaux, est apparu l’eurofranc qui, comme le pétrodollar, échappe aux comptabilités nationales en restant sur des comptes extérieurs permettant d’éluder les diverses réglementations de change nationales. Le même système existe sur le plan intérieur : lorsque les banques ont besoin de liquidités, au lieu de s’adresser à la Banque centrale du pays, elles font appel à des organismes de réescompte privés, possédant leurs propres fonds de compensation, qui sont souvent les mêmes que ceux qui se font appeler, selon l’angle sous lequel on les présente, « eurodollars », « eurofrancs », « pétrodollars ».
Même une nationalisation totale des banques par un seul pays, comme la France, ne suffirait pas à résoudre un problème qui s’est internationalisé pour se protéger. La masse des eurodevises (dont 70 environ sont des eurodollars) était en 1980 d’environ 500 milliards de dollars, soit presque autant que l’ensemble des réserves officielles de change des pays du monde, 780 milliards de dollars ! Ces sommes dont du même ordre de grandeur que le fameux « endettement » mondial, qui n’est en fait que comptable (scriptural) et non économique et réel. Ainsi, sans décision intérieure des autorités responsables, la Suisse a-t-elle vu, en 1978, sa masse monétaire augmenter de 17 % par le seul effet du libre jeu bancaire international ! Mais si l’on calcule l’inflation sur la seule masse des pièces et billets, encore émise par la banque centrale, on peut produire des chiffres de 3%, entièrement contrôlables mais ne correspondant qu’à l’argent populaire, l’argent de poche des individus !
La bancarisation internationale évolue vers une association des banques avec le FMI, vers une privatisation bientôt complète et anarchique du système monétaire international. Thomas Lefranc émet ce qu’il reconnaît être des «  voeux pieux » pour un nouveau système : abandon de l’illusion du flottement des monnaies en revenant aux parités fixes (mais sur une autre base que l’or) car « il est inconcevable de continuer à laisser au seul jeu d’un marché dont les errements montrent les faiblesses, une variable aussi essentielle que le taux de change de la monnaie. Ce sont les hommes de droite, de la vraie droite, celle qui ne croit pas que l’être humain et la société humaine soient perfectibles, aussi imperceptiblement que ce soit au long des siècles, qui ont prêché les changes flexibles. Tôt ou tard, ils auront tort ». Thomas Lefranc préconise par ailleurs une « véritable monnaie internationale, émise par une organisation spécifique », « dont le volume serait ajusté en fonction des besoins résultant des échanges mondiaux. « Puis un contrôle des euromarchés par tous les Etats, et un plan d’aide financière au Tiers Monde » recyclant les capitaux flottants par des organismes internationaux de prêt à long terme, à bas taux d’intérêt, aux pays en développement.
Thomas Lefranc se rapproche donc, par la logique de son analyse, des thèses distributistes classiques. Il constate l’échec des « politiques monétaires trop directement inspirées par les maîtres à penser de l’université », qui ont « constitué un club international d’admiration mutuelle » ;« la vanité anachronique du débat entre keynésiens et monétaristes » (politique monétaire par la fiscalité et les dépenses publiques ou par les taux d’intérêt, le budget et l’offre de monnaie). «  Le désarroi de l’internationale des économistes libéraux est devenu visible. Nous assistons en vérité à l’écroulement du scientisme économique officiel » La bourgeoisie n’investit pas son épargne dans le secteur industriel, à risques, mais préfère la spéculation immobiliére, plus juteuse pour elle. Mais « en s’adonnant ainsi aux délices de l’économie de rente, la bourgeoisie a en quelque sorte voté contre le capitalisme industriel, même si politiquement elle lui reste attachée ». Elle n’est pas à une contradiction près.

La gauche a, instinctivement, une répulsion pour les questions financières assimilées au « capital  » de droite, ce qui limite ses capacités à affronter le montre : « en effet, entre l’idôlatrie monétaire de la droite au pouvoir et le refoulement monétaire distillé par l’idéologie marxiste et communiste, la gauche socialiste semble souvent faire un complexe dont il est grand temps qu’elle se débarrasse ». Cela était écrit en 1981 ; et, en 1986, l’on peut constater qu’une telle mise en garde n’était pas vaine !
Comme solutions proposées à la future gauche au pouvoir, mais non appliquées finalement par celle-ci, Thomas Lefranc préconisait la nationalisation de l’intégralité du système bancaire pour « restituer à la nation son pouvoir régalien de création monétaire » y compris sous forme scripturale. Cela ne serait qu’un retour à ce qui avait été envisagé en 1945 dans le projet de loi présenté à la Constituante par le Ministre des Finances d’alors, René Pleven. Lefranc reconnaît que l’existence en France de plus de 300 banques et de quelque 550 établissements financiers est incohérente car « cette pléthore n’a aucune justification économique  ». Mais au lieu, comme Gautier dans « La Monnaie au Service des Hommes », de préconiser un seul et unique établissement central, Lefranc se méfie de la bureaucratie et préfère une « organisation pluraliste » : « nationaliser les banques sans étatiser le crédit » ; mais avec, quand même, création d’une grande marque nationale d’investissement (B.N.I.).
De telles contradictions montrent les limites de l’analyse de la commission économique du Parti Socialiste et expliquent son échec dans la pratique. Lefranc croit en effet au mythe du plein emploi et n’ose pas, malgré ses critiques sévères, aller jusqu’à l’élimination du système marchand, puisqu’il écrit : « La résolution de ces problèmes structurels est nécessaire au rétablissement du plein emploi et des conditions d’efficacité des firmes du secteur marchand, l’un n’allant pas sans l’autre ». A partir de là, le reste du livre ne présente plus beaucoup d’intérêt malgré de grandes affirmations telles que : « la nécessité du combat contre l’inflation suppose que l’on contrôle la création monétaire par les banques », et même l’autocritique de son propre parti politique et de son « projet socialiste », qui affirme que « la source de l’investissement ne saurait trouver ailleurs que dans l’épargne des Français ». Ces Français épargnants ne sont malheureusement pas ceux qui soutiennent ce projet ! Et pourtant Lefranc s’approche des vraies solutions : « le principe nous paraît devoir être retenu d’une suppression à terme du marché monétaire, la Banque de France jouant le rôle de ce dernier », avec mise en place concomitante d’un « système de contrôle quantitatif de l’offre de monnaie « banque centrale » et d’une «  déconnexion partielle des marchés internes et externes de capitaux » (en taxant les achats de devises étrangères et en incitant à la facturation en devises des exportations). Mais on reste dans le partiel et Thomas Lefranc ne va pas jusqu’au bout de ses idées.
Son analyse frise souvent le distributisme, dont il semble même connaître l’existence et la valeur. Mais il n’y fait qu’une timide allusion en conclusion de son ouvrage, tout en critiquant au passage la société d’abondance, présentée comme un mythe dépassé par la crise actuelle. Lefranc dénonce l’erreur héritée des économistes classiques, selon laquelle la monnaie n’est qu’un voile qui cache la réalité, idée reprise par la gauche gestionnaire pour se démarquer d’une droite monétariste. « Ce résidu funeste de la pensée ricardienne, doit être sévèrement dénoncé ».
« Sans doute, sur le plan idéologique, le mythe reste-t-il très fort d’une société sans monnaie, non pas celle que les banquiers préparent et qui ne sera qu’un pas de plus vers la dématérialisation absolue des signes monétaires, mais celle d’une société d’abondance, dans laquelle chacun recevra selon ses besoins ».
Mais, d’après Lefranc, « la crise a mis un terme à cette douce illusion » ; ce qui contredit ses propres déclarations plus haut : « nous sommes au royaume de l’illusion ».
Le rôle d’un groupe de travail d’une commission économique de parti politique n’était-il pas plutôt de proposer une autre illusion, comme l’économie des besoins, plus logique que la présente, vécue dans l’échec.

* aux éditions « Anthropos », 12, rue du Maine à Paris, en 1981.
** Rappelons que M1 comprend les pièces, billets, dépôts à vue, transmissibles par chèques, que M2 comprend les comptes à terme, livrets, bons détenus dans les banques, et M3 les dépôts dans les organismes non bancaires comme les caisses d’épargne.

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Charité ou revenu social ?

par D. DELCUZE
octobre 1986

L’ouverture d’un premier colloque international sur le revenu garanti amont ré qu’un certain nombre de gens, en Europe, commençaient à ressentir l’urgence d’assurer aux pauvres au moins un minimum vital. Parallèlement à cette manifestation, la « Coordination Européenne des Femmes » entreprenait d’agir contre la pauvreté. Danièle Delcuze, qui participe à cette coordination a assisté à la Conférence de Presse donnée le 10 juin dernier par un ensemble d’associations charitables. Voici le reportage qu’elle nous en a fait :
Selon la circulaire du 30.10.85, un plan d’urgence contre la pauvreté et la précarité pour l’hiver 1985-1986 avait prévu des axes d’intervention : le logement des familles en difficulté, l’hébergement d’urgence, la nourriture et la réinsertion sociale des personnes les plus défavorisées.
Au terme de l’hiver 85-86 et de ces mesures « Précarité-Pauvreté  » plusieurs associations, qui ont établi des « conventions » avec l’Etat ou la DASS-Paris, se sont rencontrées pour faire le point. Ces associations charismatiques (Armée du Salut, Association Emmaüs, Centre d’Action Sociale Protestant, Conférence Saint Vincent de Paul, Equipes Saint-Vincent, Fonds Social Juif unifié, Secours Catholique, Petits Frères des Pauvres) se voient confrontées tous les jours :
" à des besoins d’écoute et d’accueil : donner la possibilité de se situer humainement, d’être reconnu comme « une personne »,
" à l’afflux des personnes et familles précarisées, parmi lesquelles dominent les « Sans domicile fixe », les « Fins de droits » ou « sans travail » non indemnisés.

La Banque Alimentaire qu’elles ont constituée a servi 524.136 repas.
Durant l’hiver, plusieurs centres d’hébergement ont pu être ouverts grâce à des conventions passées :
" 3 pour Emmaüs avec 315 lits
" 3 pour le Secours Catholique avec 145 lits
" 1 pour le Centre d’Action Sociale Protestant avec 30 lits
" 9 pour l’Armée du Salut, avec 767 lits + la location de « chambres d’hôtel ».
Au total 273.745 nuits d’hébergement.

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Qui ces centres. d’hébergement ont-ils accueilli  ?
En majorité, des hommes entre 25 et 40 ans ou des plus de 50 ans (chez les Petits Frères des Pauvres). Le plus souvent, des personnes « seules », isolées, peu de couples, mais on en a remarqué cependant une augmentation récente.
Il s’agit de :
" demandeurs d’emploi,
" chômeurs de longue durée, fin de droit,
" sans domicile fixe,
" sortants d’hôpitaux ayant encore besoin de soins,
" de femmes rejetées ou seules avec enfants,
" sortants de prison,
" sortants d’hôpital phychiatrique.
Ils viennent en majorité par le canal des services sociaux, officiels ou privés. La Conférence de SaintVincent de Paul avec 114 implantations, a affaire à des personnes qui viennent par connaissance « de bouche à oreille ».
A toutes ces actions s’ajoutent les actions favorisant l’insertion. En particulier, celles animées par le Secours Catholique aidant à l’accès à des stages de formation professionnelle, ou des stages de français.
Mais ces associations se heurtent à des difficultés de financement. En Avril-Mai, par exemple, elles ont dû faire face au retard du financement d’actions qui avaient été engagées par contrat.
Les besoins, accentués en période de froid, sont permanents, c’est pourquoi l’arrêt brutal du financement des hébergements provisoires et des lieux d’accueil de jour, innovés déjà en 84-85 a été très durement ressenti et s’est manifesté par une recrudescence des appels et sollicitations dans les divers services d’accueil. Ne pas tenir compte de l’aspect durable de ces besoins, c’est empêcher une action à long terme, c’est parfois voir une situation s’aggraver, devenir irréversible, coûter en fait plus cher à la collectivité, que si elle avait été prise à temps.
Sans travail, sans domicile, il n’y a aucune reconnaissance sociale, aucun droit. Or, on observe :
" une augmentation du nombre de personnes sans domicile, de plus en plus jeunes,
" des fins de droit au chômage,
" l’augmentation du nombre de ceux qui avec le développement des emplois provisoires et peu rémunérés vivent une situation de précarité ne leur ouvrant pas droit aux allocations de chômage.

S’y ajoutent des problèmes qui accentuent la marginalisation et font cercle vicieux :
" où trouver à se laver, se changer, c’est-à-dire assurer une hygiène corporelle et la possibilité de se présenter pour en emploi ?
" comment se soigner, enrayer une dégradation de la santé qui rend de moins en moins capable de reprendre une vie de travail ?

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Ces associations veulent que le travail qu’elles fournissent à longueur d’année soit reconnu et qu’on leur donne les moyens de faire face à une année 87 qui s’annonce selon eux, encore plus difficile. De plus, les situations des assistés sont de plus en plus critiques et leur caractère durable exige une action à long terme en vue d’une réinsertion.
Elles estiment donc nécessaire :
" qu’une action soit coordonnée entre elles ;
" qu’un soutien matériel et financier leur soit alloué : État, Région, Département, Ville.

Mais elles se refusent à n’être que des sous-traitants, vers lesquels les Services Sociaux Publics envoient les « cas » qu’ils ne peuvent ou ne veulent assumer...
Elles refusent d’accepter une société « duale » qui entérinerait l’enfoncement dans la misère, sans espoir de réinsertion, d’une partie de la population qu’ils reçoivent.

Voici leurs propositions :
Dans le domaine de l’emploi : une activité pour tous, ce qui signifie des espaces de créativités, un assouplissement des contraintes administratives, et un soutien matériel. Le développement de lieux d’accueil où les chercheurs d’emploi sont écoutés, conseillés, aidés, incités à une formation, et compris dans leur détresse.
Dans le domaine du logement : une véritable politique du logement social*.

Elles demandent :
" que l’accès au logement social soit facilité,
" que le droit à I’APL ne soit pas refusé aux locataires de certains logements sociaux,
" que les Commissions d’Impayés (de loyers et d’Edf-GDF) assouplissement leurs critères d’aide et élargissent leur champ d’action.

Dans le domaine de l’Accueil et de l’Hébergement des personnes à la rue des structures permanentes à la hauteur des besoins. Ces associations demandent aux Pouvoirs Publics de prendre leurs responsabilités pour que :
" des lieux d’accueil permanents à taille humaine où les « Sans domicile fixe » soient vraiment accueillis et où ils se sentent chez eux, soient ouverts,
" des lieux d’hébergement permanents soient créés,
" des lieux pour l’hygiène (les bains-douches à Paris) soient maintenus,
" des lieux pour les soins (les dispensaires à Paris) soient sauvegardés.

*120.000 logements vacants à Paris ! 46.000 familles inscrites au fichier des prioritaires, et seulement 1.500 relogés chaque année. Le coût social des expulsions est énorme par rapport à celui du maintien dans les lieux, de même que le coût des prises en charge par la DASS pour les hébergements.
**15.000 personnes sont sans toit à Paris ! Nombre de personnes accueillies entre le 1/12/85 et le 15/4/86 par l’ensemble de ces associations  : 52.656 personnes.

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