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N° 845 - mai 1986

Conservateurs de tous poils...   (Afficher article seul)

Enfin !   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

Productivité automobile   (Afficher article seul)

« Le temps du changement »   (Afficher article seul)

La misère dans l’abondance   (Afficher article seul)

Technologie contre chômage   (Afficher article seul)

Déjà cette transition   (Afficher article seul)

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EDITORIAL

Conservateurs de tous poils...

par M.-L. DUBOIN
mai 1986

Quand on entreprend d’expliquer à un Enarque ou à un homme d’affaires que nos règles économiques et monétaires doivent être radicalement modifiées en raison de la croissance exponentielle des diverses nuisances qu’elles engendrent, on se heurte généralement à un mur d’incompréhension. C’est que tout économiste orthodoxe, voire n’importe quel ancien élève d’une école de commerce, a été tellement bien conditionné, formé à penser de manière conventionnelle, qu’il lui est impossible de remettre en cause ses modes de penser, si bien que toute personne qui n’adhère pas à sa vision du monde et ose en imaginer une autre est pour lui un simple d’esprit, un rêveur, un utopiste. La même sclérose intellectuelle se rencontre tant chez les défenseurs des économies occidentales que chez les admirateurs des économies dites socialistes de l’Est, que l’on essaie de montrer aux uns où nous mène la toute-puissance déshumanisée des sociétés multinationales ou que l’on tente de dénoncer aux autres les méfaits d’une bureaucratie tout aussi déshumanisée et omnipotente. Ainsi donc rien ne bouge, personne n’évolue !
Cela ne devrait pourtant pas être le cas des chercheurs en général. N’est-ce pas parmi eux que l’on devrait trouver la plus grande ouverture d’esprit, l’imagination la plus entreprenante ? Ce n’est, hélas, pas le cas. Nous avons bien quelques collègues physiciens qui lisent ce journal et qui sont capables d’admettre que les changements que nous proposons sont rationnels et seduisants mais, pris par l’esprit de compétition dont ils n’ont pas su préserver leur domaine, ils s’avèrent incapables de sacrifier un peu de leur temps pour réfléchir aux conséquences de leurs recherches pour l’avenir de notre société. C’est ainsi que, consciemment ou pas, ils laissent à d’autres (économistes aveugles, « entrepreneurs » sans scrupules ou politiciens rétrogrades) le soin de transformer leurs découvertes en produits ou applications de tous ordres, souvent inutiles, voire nuisibles, comme les armements (nucléaire ou pas). Jamais le conditionnement de mes collègues physiciens ne m’est apparu plus clairement que le jour où, ayant fait remarquer à l’un d’entre eux qu’Alfred Kastler (prix Nobel de physique) avait, lui, le courage de prendre parti pour des causes étouffées par les grands média, il me répondit que si Kastler s’occupait de ces causes c’était « parce qu’il avait vieilli et qu’il n’était plus capable de faire de la physique ». Comme quoi tous mes collègues ne sont pas des Einstein qui, devant les applications guerrières de ses découvertes - la bombe atomique - regrettait de ne pas avoir choisi la profession de plombier.
Pourtant, malgré tout, ce sont les physiciens qui restent les mieux placés pour faire évoluer la pensée de nos contemporains. Pourquoi ? Parce que leur domaine, la physique, a subi, au début de ce siècle, une révolution de même ampleur que celle que les économistes doivent aujourd’hui constater. Admises depuis des siècles, deux notions fondamentales, celle de l’espace et celle du temps, durent s’effondrer avec l’approfondissement des recherches sur les constituants de l’atome. Quand la précision des mesures montra que ces notions ne convenaient . as pour expliquer les observations, il fallut bien les abandonner et les remplacer par une théorie qui parut révolutionnaire. Et ce n’était pas tout : l’étude des particules plus petites que l’atome obligea bientôt les physiciens à remettre en cause d’autres notions qui paraissaient inébranlables, tellement elles étaient évidentes dans la vie courante : les notions de matière et d’énergie, et la relation si familière de cause à effet. Il fallut donc renoncer à l’idée si profondément ancrée que la matière est faite de particules élémentaires solides et indestructibles qui s’assemblent ou tournent les unes autour des autres dans un espace et un temps « absolus », cartésiens, conformes aux lois de la mécanique de Newton.
Bien sûr, il fut très difficile de faire admettre à la communauté scientifique un tel bouleversement de nos conceptions de l’univers. Certes, les mentalités avaient changé depuis Galilée ! Mais tout de même... Einstein, lui-même, qui avait par deux articles publiés en 1905, ouvert la voie aux nouvelles conceptions du monde, avoua avoir éprouvé un choc en face de la nouvelle physique qui était en train de naître. Il ne cacha pas qu’il avait fait tous les efforts possibles pour essayer d’adapter les anciens fondements de la physique à ces découvertes et, lorsqu’il s’aperçut que ses efforts étaient vains, « il se sentit, dit-il, comme si le sol se dérobait sous ses pieds sans qu’il puisse trouver où se raccrocher ».
N’est-ce pas ce même vain effort de se « raccrocher aux branches » que font aujourd’hui nos économistes quand ils cherchent à tout prix à ajuster les « lois » capitalistes pour les faire encore « coller » avec, par exemple, la chute vertigineuse des besoins en travail humain dans les processus de production ? C’est cette obstination qui les conduit à vouloir encore mesurer toute activité en termes de temps de travail, comme au temps où le travail manuel était la source de toute la production.
Les physiciens, contraints de modifier leurs anciens dogmes, imaginèrent donc autre chose. Et ce furent la théorie de la Relativité généralisée et la mécanique quantique.
Aux économistes (ou à nous, car l’économie nous concerne tous) d’imaginer autre chose que le système des salaires quand il s’avère que les revenus ne peuvent plus être basés sur la durée du travail humain dans les processus de production. Imaginons de nouvelles relations économiques afin que chacun reçoive sa part des biens produits par la société à laquelle il participe. C’est le principe de l’économie distributive que nous proposons.
A l’heure où le travail à plein temps de tous n’est plus nécessaire, et de loin, un changement radical de nos structures économiques et donc des modes de penser s’impose. Pourquoi ce qui a été possible en physique ne le serait-il pas en économie ?
Il y a au moins un physicien qui pense ainsi, c’est F. Capra : son travail fait l’objet des dossiers de La Grande Relève de ce numéro.

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Enfin !

par M.-L. DUBOIN
mai 1986

Nous avons reçu le n°2 du journal CASH publié par l’association des chômeurs et des précaires. Quel espoir, quel enthousiasme à cette lecture ! Enfin des gens qui ont compris qu’il faut « remettre en cause les fondements mêmes du système de production et de répartition des richesses » et qui pensent que, pour cela, « une seule vie est possible, l’organisation lente, consciente et en profondeur d’un futur qui exclura cette folie historique qui voit cohabiter la richesse la plus grande que notre monde ait jamais connue avec des misères dignes du Moyen-Âge ».
Non seulement ils dénoncent « la misère dans l’abondance » mais ils expliquent pourquoi : « on produit plus grâce aux nouvelles machines mais on paie globalement moins de salaires », et ajoutent-ils, pourquoi ne pas laisser les machines faire le travail si elles le font pour tout le monde ? »
Et ce qu’il y a de plus formidable dans cette rencontre avec nos propres thèses, c’est que les rédacteurs de CASH veulent «  arriver à une revendication unificatrice qui n’oppose pas les chômeurs au reste de la classe ouvrière... qui tienne compte de la situation réelle (à savoir que le chômage va durer) et ne voit plus la revendication passéiste, irréaliste et de bas compromis qui consisterait à réclamer le retour à la chaîne qu’heureusement le progrès tend à faire disparaître ».
Les chômeurs et les précaires sont évidemment les mieux placés pour comprendre la situation. Il n’est donc pas étonnant qu’enfin « ils y viennent ». Mais avouons qu’il y a tout de même un sacré bout de temps qu’on attendait ça !

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Au fil des jours

par J.-P. MON
mai 1986

Le revenu minimum garanti ? une idée qui continue à faire son chemin : En Novembre 1985, la Convention Nationale du Parti Socialiste, admettant que la croissance à elle seule ne pourrait résorber le chômage et qu’à court terme (laissons-leur leurs illusions !) la modernisation va détruire plus d’emplois qu’elle ne va en créer, proposait l’institution, en contrepartie d’un travail ou d’une formation, d’un supplément de ressources permettant d’arriver à un revenu minimum garanti. Juste avant les élections. M. André Laignel, responsable de la campagne du parti socialiste, déclarait au « Matin  » : « De nouvelles avancées peuvent et doivent être faites : par exemple, la mise ne place d’un revenu minimum garanti, de façon qu’aucun Français ne vive au dessous du seuil de pauvreté... C’est par des avancées successives que nous atteindrons le but qui est le nôtre : l’instauration d’une société où l’homme l’emportera sur l’argent ».
Nous apprenions aussi que le 4 mars dernier, Mme Georgina Dufoix, à l’époque ministre des affaires sociales, avait signé avec le président du conseil général du Territoire du Belfort une convention pour la mise en place d’un « minimum social  » accompagné d’un programme de réinsertion à partir du 1er Mai prochain, financé par l’Etat et le département. Notons que des formules de revenu garanti existent déjà dans plusieurs villes, notamment Besançon, Charleville, Epernay, Fougères, Nîmes, Rennes et Saverne, mais que c’est la première fois qu’un tel programme est organisé à l’échelle d’un département. Une originalité : cette convention est baptisée « contrat personnalisé d’autonomie ». En échange de l’allocation, le bénéficiaire s’engage à tenter de retrouver son autonomie (rechercher du travail, suivre une formation, accomplir une tâche d’intérêt collectif).
Toujours dans le même esprit, parlant des risques d’une déflation incontrôlée, M. Yoland Bresson, professeur d’Economie à l’Université Paris XII, écrit dans « le Monde » du 20 Mars 1986 : « Certes rien n’est sûr. Ni l’explosion du chômage ni la terrible crise financière ponctuant la déflation. Mais attention à ne pas tromper le peuple encore une fois ! La seule vraie réponse à sa légitime inquiétude, c’est la transformation du mode d’attribution des revenus. C’est l’intégration systématique de tous les exclus du salariat - jeunes, mères au foyer, chômeurs - dans le jeu de l’économie en leur rendant la dignité. Comment ? Par l’allocation inconditionnelle à chaque citoyen d’un revenu minimum, identique, sans autre considération que le fait d’exister ».
Ainsi, n’en déplaise aux éternels grincheux, nos idées font quand même leur chemin. Bien sûr, nous n’en sommes pas encore à l’économie distributive intégrale, mais toutes ces mesures, bien partielles, avec tous les risques qu’elles comportent comme nous ne manquons pas de le souligner dans ce journal, nous en approchent chaque jour un peu.

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L’informatisation fait sentir ses effets dans tous les domaines. Même dans la police. Un de nos lecteurs nous a fait parvenir une coupure du « Provençal » du 17 Février 1986 dans laquelle on pouvait lire : « Pour la petite histoire, l’informatisation de la police nationale mettra au rebut 15.000 machines à écrire. De plus, le ministère de l’Intérieur estime que la généralisation des ordinateurs dans les commissariats correspond à l’embauche de 18.000 fonctionnaires  ».
Encore une source d’emploi qui se tarit !

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Quant à l’investissement qui crée des emplois, il faut déchanter : on pouvait lire dans « Sud-Ouest  » du 14 janvier dernier : « Investissements industriels ; la Charente prend le large... mais l’analyse de l’utilisation des fonds confirme une tendance amorcée depuis plusieurs années  : les investissements industriels ne créent plus d’emplois ».
Cela aussi il y a longtemps que nous le disons !

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Devinette : mais à qui donc profite la soi-disant bonne santé de l’économie britannique ? On pouvait lire dans deux numéros successifs du « Monde » (28 Février et 1er Mars 86) que la balance des paiements courants de la Grande-Bretagne avait enregistré en Janvier un excédent de 1141 millions de livres (le meilleur depuis trois ans !) et que le chômage venait de battre un nouveau record absolu avec 3.210.000 demandeurs d’emplois à la mi-Février, ce qui porte à 13,3 % le taux de chômage outre-Manche. L’analyse par régions se révèle encore plus inquiétante puisqu’on note des taux de chômage de 22 % en Irlande du Nord, de 18,3 dans le nord de l’Angleterre et 16,6 au Pays de Galles.
Mais nos voisins britanniques n’ont pas fini de souffrir. Leur ministre des finances leur prépare un nouveau budget de rigueur. C’est qu’en effet la Grande-Bretagne a le grand tort d’être un pays exportateur de pétrole et la chute des cours de l’or noir va réduire de près de la moitié les recettes pétrolières de l’Etat. (Comme quoi, encore une fois, l’abondance est vraiment une calamité !). Du coup, les promesses de vastes allégements fiscaux, régulièrement renouvelées depuis sept ans par les conservateurs, sont une fois de plus reportées aux calendes grecques. Pour atténuer cette déconvenue, le chancelier de l’Echiquier (leur ministre des finances), a consenti une mini- baisse de l’impôt sur les revenus et une réduction sur les droits de timbre, sur les opérations de bourse ainsi qu’une série d’abattements fiscaux et d’encouragements pour les actionnaires. En contrepartie de ces « efforts », le ministre a annoncé un accroissement des impôts indirects, notamment sur l’essence ! Finalement, ce budget, bien que jugé assez terne, a été bien accueilli par les milieux de la City, ce qui s’est traduit par une augmentation des cours de la Bourses... No comment  !
Et dire que le nouveau gouvernement RPR-UDF veut s’inspirer du modèle économique britannique... Il faut croire que les électeurs français ne savaient pas que le revenu moyen des britanniques n’atteint guère que les trois quarts de celui de français  !

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Dans son discours de rentrée au Tribunal de Commerce de Bastia, le Président Gérard Comte -a fait état de chiffres qui intéressent nos lecteurs :

Productivité automobile

par G. COMTE
mai 1986

Dans l’industrie, les robots arrivent, les constructeurs nippons automatisent à marche forcée leurs chaines de production. Près d’Hiroshima dans l’usine la plus moderne du monde, chaque ouvrier produit avec des robots 158 voitures par an.
En Italie, FIAT a construit en un an l’usine la plus moderne d’Europe. Dès à présent 1000 ouvriers produisent plus de 2600 moteurs par jour. Bientôt l’Italie n’aura plus rien à envier aux Japonais dans le domaine de la rationalisation industrielle, ses constructeurs automobiles ont compris qu’il fallait automatiser au maximum ou disparaitre.
Nous pouvons dès ce jour affirmer par exemple que la Régie Renault en France dans un très bref délai ne devra pas réduire ses effectifs de 100.000 ouvriers à 80.000 ouvriers, mais qu’elle devra les réduire de 80.000 ouvriers pour les ramener à 20.000 ouvriers. N’oublions pas en effet que le déficit de la Régie Renault en 1984 a été de 12,5 milliards de francs ce qui représente pour 300 jours de fonctionnement des usines dans l’année 42 millions de francs par jour soit à l’heure 42/24 = 1.750.000 (175.000.000 de centimes), et à la minute 1,75/60 = 29.166 francs, c’est-à-dire 2.916.600 centimes. En 1985 on espère que le déficit sera réduit à 10 milliards de francs ; ce qui représente encore 2.333.280 centimes de perte par minute.
Encore une comparaison, avec l’argent perdu par la Régie Renault en 1984, on aurait pu construire à peu près 50 voies de front de mer comme celle de Bastia, depuis le cimetière jusqu’au rond point du nouveau port.
Une révolution technologique plus grande encore que ce que nous soupçonnons avance à grands pas, les ordinateurs obéiront demain aux ordres vocaux sans que l’opérateur ait à pianoter sur un clavier. Albert DUCROCQ le cybernéticien bien connu du monde scientifique et même à présent du public explique que grâce aux phonèmes que nous articulons (les phonèmes sont les sons élémentaires, il y en a 34 dans la langue française) nous pourrons parler quasiment en clair aux machines, beaucoup plus agréablement et surtout beaucoup plus efficacement qu’avec des touches, la commande vocale autorisera de plus une sauvegarde linguistique. Il suffira d’intercaler entre la machine et le bloc d’analyse des sons « un module » qui permettra d’entendre n’importe quelle langue.
Un des systèmes à commande vocale le « KATALAVOX  » a reçu récemment le prix « grand siècle  », il permet le réglage à la voix des microscopes en micro-chirurgie, de même la commande à la voix de fauteuils roulants pour handicapés.
La technique permet de même en écologie la sélection des bactéries consommatrices d’hydrocarbures, puis leur élevage et leur conservation par lyophilisation. Ces micro organismes engloutissent les hydrocarbures des nappes de pétroles déversées en mer après l’échouage d’un pétrolier, et ensuite viennent nourrir le plancton qui sert de nourriture à toute une population d’animaux marins. Nous. n’aurons plus ainsi besoin de ces milliers d’ouvriers, de militaires, de pompiers pour dépoluer les rivages atteints par le naphte avec des pelles et des seaux comme nous les avons vu faire sur les écrans de télévision lors des échouages de l’AMOCOCADIZ et du TORREY CANYON en Bretagne.
Pendant longtemps, les économistes et surtout les hommes politiques ont répété que s’il était vrai que les hommes étaient chassés de la production et de la transformation par les machines, les services eux créeraient des emplois.
Que constatons-nous à présent ? Le secteur des télécommunications a perdu régulièrement 2000 emplois par an depuis 10 ans.
L’informatique permet d’ores et déjà d’économiser dans les bureau 50 % du temps de travail.
Dans les banques la suppression des guichetiers grâce ou à cause de l’informatique se profile. Bientôt la carte de crédit porteuse d’une puce (microprocesseur) constituera dans votre poche un terminal bancaire volant.
Ne cherchons pas à faire de liste exhaustive de toutes les suppressions d’emplois dans le tertiaire, nous n’en avons pas le temps et ce serait ici fastidieux, mais sachons que des gains spectaculaires de productivité peuvent être réalisés par l’élimination des activités abusives, protégées, administratives monopolitiques.

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LES DOSSIERS DE LA GRANDE RELEVE

Étude du livre de F. CAPRA

« Le temps du changement »

LA MÉTHODE HOLISTIQUE
par M.-L. DUBOIN
mai 1986

La révolution qui a bouleversé la physique au début du XXe siècle (voir éditorial) a conduit à une nouvelle conception de l’Univers impliquant des changements « d’outils » suivant le niveau d’observation où on se place.
Ne serait-il pas plus conforme à la réalité de considérer partout ces différents niveaux dans leur ensemble  ? C’est ce que propose un physicien de l’Université de Bakeley, F. Capra, sous le nom de méthode « holistique », mot formé à partir du grec « holos » qui désigne le tout, l’ensemble. Sa méthode dépasse largement le cadre de la physique, et dans un livre récent (*), il passe en revue tout ce que l’on peut espérer de l’application de la méthode holistique aux diverses activités humaines.
Capra montre notamment qu’il n’y a plus aucune raison de s’obstiner à appliquer les lois de la mécanique rationnelle au corps humain et que c’est pourtant ce que font les médecins aujourd’hui quand ils persistent à traiter le malade comme une machine, un peu comme ils le feraient avec leur voiture, quand son carburateur a des défaillances. Un être humain doit être considéré d’une part dans son ensemble, corps et esprit intimement liés, et d’autre part comme partie d’un ensemble plus grand : sa famille, son environnement, la planète entière. Ainsi les soins médicaux ne consisteront plus à « réparer  » la « partie » malade d’un client à l’aide de drogues définies par des spécialistes (et qui ont surtout pour effet de favoriser le développement des multinationales de l’industrie pharmaceutique) mais au contraire à aider le malade à retrouver la santé, en mettant à son service les méthodes les mieux appropriées, à commencer par de gros efforts de prévention, donc d’éducation dispensés éventuellement par des infirmières. J’ai eu plaisir à trouver dans ce livre de Capra des comportements que j’ai attribués aux « affranchis de l’an 2000 ». On voit donc que Capra est un révolutionnaire... C’est aussi un physicien qui rappelle bien que si la physique classique s’applique à un système isolé, elle montre que celui-ci tend vers une entropie maximum, où son activité cesse, alors que, tout au contraire, les biologistes observent que l’univers vivant évolue vers des états de complexité croissante, donc vers l’ordre c’est-à-dire que leur entropie décroit.
Après avoir ainsi démontré pourquoi la physique mécaniste de Newton ne peut pas s’appliquer aux phénomènes vivants, Capra dénonce les erreurs commises, dans tous les domaines, en s’obstinant à vouloir l’appliquer. Il aborde, entre autres, le domaine des maladies mentales d’une façon originale, et présente, par opposition, l’ouverture que propose la méthode holistique qui par bien des côtés se trouve rejoindre curieusement les pratiques de la médecine chinoise et les croyances intuitives de la tradition chamanique qui fut à l’origine de nombreuses cultures, dans le monde entier.
Son analyse des erreurs que commettent les économistes rejoint parfaitement la nôtre, alors qu’elle s’appuie sur le raisonnement physique de l’inadaptation de la méthode, cartésienne aux phénomènes humains : L’économie, dit-il, «  se caractérise de nos jours, par une approche fragmentaire et réductionniste, typique de la plupart des sciences sociales », c’est-à-dire précisément suivant la méthode cartésienne. Et il ajoute « Les économistes ne reconnaissent pas que leur discipline n’est, en fait, qu’un aspect d’une vaste structure écologique et sociale, d’un système vivant composé d’êtres humains en interaction continue les uns avec les autres et aussi avec les ressources naturelles. L’erreur fondamentale est de diviser cette structure en fragments supposés indépendants...  » or les économistes critiques qui désiraient étudier les phénomènes dans leur contexte réel, se sont vus contraints de se situer en dehors de la « science » économique, « épargnant ainsi à ses représentants la pénible tâche de devoir prendre en considération les problèmes que soulevaient leurs critiques ».
Capra poursuit : « Les seules valeurs apparaissant dans les modèles économiques actuels sont celles qui peuvent être quantifiées sous forme monétaire. C’est ce qui donne à l’économie l’apparence d’une science exacte, alors qu’aucune distinction n’est faite entre les biens renouvelables et ceux qui ne le sont pas et que les coûts sociaux, ceux par exemple engendrés par les nuisances du système, sont mis à l’actif du produit National Brut  ! »
Capra émet ensuite une autre critique : « les économistes ont complètement ignoré la recherche psychologique sur le comportement des individus considérés comme des consommateurs et des investisseurs parce qu’il leur était impossible d’intégrer les résultats d’une telle recherche dans le cadre de leurs analyses quantitatives ». Là, nous ne sommes pas d’accord, en ce sens que nous ne pensons pas qu’il n’y a pas de recherches psychologiques sur le comportement des consommateurs. Notre critique est bien plus grave. Nous pensons que de telles recherches sont faites couramment et avec de gros moyens. Mais qu’elles sont dévoyées : elle ne servent pas aux économistes à déterminer quels sont les besoins des consommateurs pour les satisfaire, elles servent aux entreprises pour savoir comment manipuler les consommateurs par la publicité, pour les amener à vouloir consommer ce que les entreprises veulent leur vendre afin d’augmenter leur puissance et leurs profits.
Au passage, Capra donne quelques citations édifiantes. Par exemple celle de Milton Friedman au cours d’une allocution à l’Association économique américaine « Je crois que nous, économistes, avons, au cours de ces dernières années, causé beaucoup de tort à la société dans son ensemble et à notre profession en particulier... ». Et cette déclaration du Secrétaire au Trésor, M. Blumenthal, en 1978 : «  Je crois véritablement que les professionnels de l’économie sont sur le point de ne plus rien comprendre à la situation actuelle, que ce soit avant ou après les faits ! ».
Comme nous sommes d’accord avec Capra quand il écrit : «  La mauvaise gestion actuelle de notre économie remet en question les concepts de base de la pensée économique... » et qu’il ajoute que les économistes, bien que conscients de l’état de crise actuel, ont le tort de croire qu’il vont trouver la solution dans le cadre existant ! Car, dit-il, « ce cadre se fonde sous des concepts et des variables énoncés il y a plusieurs centaines d’années et dépassés du fait des bouleversements sociaux et technologiques ». Sa méthode « holistique  » nous apporte une nouvelle façon de présenter notre analyse « la remise en questions des concepts », dit-il, « ... doit prendre en considération tout le système de valeurs sous-jacent et reconnaitre sa relation avec le contexte actuel. Vus sous cet angle, beaucoup de problèmes sociaux et économiques trouvent leur origine dans les difficultés d’adaptation des individus et des institutions aux valeurs mouvantes de notre temps »... car, conclut-il, « l’économie qui se concentre essentiellement sur les biens matériels représente actuellement l’expression même des valeurs matérialistes ». Il explique que ce système de valeurs, encourageant la poursuite de buts à la fois dangereux et amoraux, a institutionnalisé des attitudes que le christianisme tenait alors pour péchés mortels  : gourmandise, orgeuil, envie, avarice, et il a remplacé, au XVIIe siècle, un ensemble de valeurs où figuraient la désapprobation du prêt usuraire, l’exigence du respect du « juste prix », la conviction « que le profit et la thésaurisation doivent être découragés, que le travail doit profiter à tous et au bien-être de l’âme, que le commerce ne se justifie que par la satisfaction des besoins communautaires »... Le « marché » n’avait alors de sens qu’au plan local. « L’une des conséquences plus importantes de ce renversement des valeurs, dit Capra, fut le naissance du capitalisme », qui, d’après Max Weber, est liée à la croyance, apparue avec la Réforme, dans les sectes puritaines, que le travail est une vertu divine et que l’accumulation des richesses qui en résulte, est la preuve tangible d’un devoir accompli.
Poursuivant son analyse du rôle de l’esprit cartésien et « mécaniste » dans les modèles économiques, Capra conclut : « L’une des caractéristiques les plus remarquables de l’économie, tant capitaliste que communiste, est son obsession de la croissance... cette croyance en la nécessité d’une croissance continue... peut être rattachée aux notions newtoniennes d’espace et de temps absolus... elle est un reflet de la croyance erronée que si quelque chose est bon pour un individu ou un groupe, augmenter ce quelque chose revient nécessairement à augmenter ce bien-être... Le prix que nous payons pour cette habitude culturelle excessive est la dégradation continuelle de la véritable qualité de la vie - l’air..., la nourriture..., l’environnement et les relations sociales ».
La méthode holistique appliquée à la démographie permet à Capra de conclure « la crise de la population mondiale est un effet de l’exploitation internationale, »... toute exploitation produisant un retour de flamme à l’encontre de l’exploitant. D’où il déduit que l’équilibre écologique implique une justice sociale et que le meilleur moyen de contrôler la croissance de la population est d’aider les peuples du Tiers-Monde à accéder à un niveau de bien-être qui les encourageait "à limiter volontairement leur fertilité. Notons au passage que Capra s’empresse de souligner que notre monde dispose de suffisamment de richesses pour satisfaire tout un chacun et accéder ainsi à un taux de population équilibré. Seulement, à l’heure actuelle, aux Etats-Unis, surconsommation et gaspillage sont devenus un mode de vie et 5 % de la population mondiale consomme 1/3 des ressources globales, tandis que les frustrations créées et entretenues par la publicité accroissent les crimes, la violence et autres pathologies sociales.
On le voit donc, le raisonnement d’un physicien, tirant parti de la leçon de l’expérience qui montre qu’il est parfois nécessaire, devant les faits, de changer ses modes de pensée, le conduit aux mêmes conclusions que nous. Sa méthode holistique, qui implique un souci écologique fondamental, l’amène à dire que la technologie ne doit plus être poussée par le désir de croissance, mais développée dans son sens le plus large, l’application de la connaissance humaine à la solution des problèmes pratiques, à la résolution de conflits, d’accords sociaux, de coopération, de recyclage et, ajoute-t-il, de redistribution. On voit donc qu’il n’a pas encore franchi le pas à propos de la véritable distribution destinée à affranchir les individus des soucis matériels primaires. Il n’en est pas loin, car son analyse des grandes multinationales est pertinente. « Elles fonctionnent comme des machines » dit-il en reprenant sa critique de la méthode mécaniste en vigueur dans l’économie, « et non comme des institutions humaines dès qu’elles ont dépassé une certaine taille...  ». Ainsi, ajoute-t-il, « la gestion de la taille jouera un rôle crucial dans la réévaluation de notre système économique et de notre technologie ». Nous avons besoin de grandes et de petites structures, la tâche est de trouver un équilibre.
Même accord avec la « dynamique » que doit être pour nous l’économie distributive ; car Capra dit bien qu’il faut une évolution dynamique à l’économie car les stratégies acceptables à un stade peuvent devenir inappropriées à un autre ». Il y a une limite à déterminer et à ne pas dépasser, au lieu de croire comme nos économistes distingués, à la vertu de la croissance en général.
Même critique sur la tendance des économistes « à considérer que le système de répartition des richesses est quelque chose de posé et d’immuable ». Mais Capra ne va pas jusqu’au bout, se contentant d’imaginer de faire payer par des impôts supplémentaires les coûts sociaux et environnementaux engendrés par les entreprises, dans un souci écologique primordial qui l’amène presque à prôner un retour à la terre qui résoudrait le problème du chômage... Par contre, il laisse totalement de côté le rôle d’incitation des banques à tous les processus de « croissance pour la croissance » dont il dénonce pourtant si bien les effets néfastes.
Comme tant d’autres dont les analyses rejoignent les nôtres, il n’imagine pas que « le changement de la société  » passe par le changement de la monnaie.

(*) Le temps du changement. Editions du Rocher, 1983

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La misère dans l’abondance

par P. LECOCQ
23 juin 2009

QUELQUES CHIFFRES EDIFIANTS
(Les données statistiques de ce papier sont puisées dans le Nouvel Observateur, The Economist, commission de la C.E.E)

Il parait que dans les années qui viennent, nous devrons vivre dans la rigueur et dans l’austérité  : c’est LA CRISE ... !
Pourtant, aujourd’hui, le monde capitaliste regorge de tout (sauf d’emplois)  : matières premières, pétrole, céréales, viande, beurre, lait, aciers, capacités de production. Aux Etats-Unis, un million de boisseaux de maïs ont rejoint, en 1985, les stocks de l’année précédente. Les nouveaux producteurs bradent leur fabrication, le Brésil son acier, l’Argentine son blé, la Corée du Sud ses téléviseurs, la Chine ses textiles, l’Arabie Saoudite sa pétrochimie. Et partout les prix s’effondrent. Quant à la Communauté Economique Européenne, elle a battu en 1985 tous ses records d’excédents. Elle subventionne avec peine les exportations pour les rendre plus compétitives sur le marché mondial. Et ce dumping contrarie le efforts des pays en voie de développement pour accroître leur propre agriculture. A fin novembre 1985, le Stock des Excédents Agricoles de la C.E.E. s’établissait comme suit :
BEURRE 1,2 million de tonnes
POUDRE DE LAIT ECREME 0,5 million de tonnes
BOEUF 0,8 million de tonnes
BLE 12,2 millions de tonnes
ORGE 4,6 millions de tonnes
SEIGLE 1,1 million de tonnes
SUCRE 4,8 millions de tonnes
VIN 3,3 billions de litres.

C’est la Crise ?... Oui, mais de l’Economie de Marché  !
II faut, dit-on, réduire le Chômage en « créant des emplois ». L’expression « créer des emplois » est une locution vicieuse : c’est confondre CAUSE ET EFFET. La création d’un produit, la nécessité d’un service sont des CAUSES qui auront pour EFFET des offres d’emplois. Mais il faut avoir le courage de le dire :

IL N’Y AURA JAMAIS PLUS DE PLEIN EMPLOI A PLEIN TEMPS  !

Tout le monde peut constater aujourd’hui qu’avec deux millions et demi de chômeurs, l’Industrie, le Commerce et les Services peuvent assurer pleinement tous les besoins. Alors, que va-t-on proposer comme travail aux chômeurs ? De faire de la surproduction dont on peut constater les résultats aberrants dans la politique agricole ?
L’augmentation problématique du taux de croissance ne résoudra pas le problème car le progrès foudroyant des technologies oriente les investissements vers machines et robots qui se substituent à l’homme avec une productivité supérieure et des coûts inférieurs.
Il est temps que les « Experts » et autres « Economistes  » voient les choses en face : la faillite de l’économie de Marché.
Ce qui leur manque, c’est de l’audace et surtout de l’imagination.

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Technologie contre chômage

par H. MULLER
mai 1986

A s’efforcer de relancer l’emploi à tout prix, à n’importe quel prix, à seule fin d’entretenir la formation de revenus et de créer des occasions de profit, trop de responsables à tous niveaux perdent la notion de l’utile. La rentabilité entre en conflit permanent avec l’utile. D’immenses approvisionnements, de gigantesques efforts sont gaspillés en vain, ingénieurs et cadres complices souvent inconscients de tels gaspillages. «  Pourquoi, écrivait J.K. Galbraith (2), rendre la vie insupportable dans le but de fabriquer des produits sans importance ? Si les produits cessent d’avoir un caractère d’urgence, pouvons-nous sérieusement commander aux gens de quitter leur foyer afin de produire ces biens avec le maximum d’efficacité ? »

L’article d’Octave Gélinier fait fi de ce réalisme et sa thèse du « bourgeonnement » présuppose une nuée de marchés porteurs le plus souvent mort-nés, le moindre créneau découvert étant très vite assiégé par des concurrents accourus de partout ; l’exemple de la SILICON VALLEY auquel Gélinier se réfère, est là pour en témoigner. Les ordinateurs domestiques sont en pleine déroute. Quant à l’électronique japonaise, il lui faudrait un budget dé la Défense consistant pour la tirer du marasme où elle a commencé à s’enliser. La « guerre des étoiles » pourrait répondre à ce voeu.
Un bourgeonnement d’activités nouvelles débouche généralement dans les services parasitaires ou pseudo-services dont les coûts chargent les prix. GILDER, SERMAN en ont énuméré un certain nombre. Longtemps maître à penser de cadres et chefs d’entreprises, GELINIER semble, d’autre part, négliger le financement de ces activités bourgeonnantes, le fait que quelque 90 % des initiatives individuelles se heurtent à un veto bancaire faute de garanties suffisantes. Il suppose enfin qu’il reste aux personnels des petites entreprises, du temps à distraire du quotidien, des problèmes immédiats, pour se lancer dans la recherche, dans la création, de leur propre initiative, en mobilisant des facteurs nécessaires aux profits à court terme.
GELINIER n’aura pas noté que l’efficacité n’est pas l’apanage des entreprises libérées d’un contrôle étatique et que la motivation pécuniaire n’accompagne pas toujours l’esprit d’invention, de découverte, d’innovation, que le progrès technologique tient plus à la qualification des personnels subalternes qu’aux acrobaties financières des investisseurs.
Que le profit, comme l’écrit GELINIER, soit un critère souverain pour juger des résultats d’une action, une règle du jeu tenue d’éluder la finalité humaine du travail, l’étendue des besoins non solvables au regard desquels ceux du marché représentent moins qu’un epsilon. Le profit est, d’essence, malthusien.
C’est la règle du jeu qui doit être changée pour que les technologies nouvelles prodiguent leurs faits les plus attendus  : la qualité dans l’abondance, l’allègement de vains efforts, de la durée du travail, au bénéfice d’une meilleure liberté, d’un loisir enrichi.

(1) Titre d’un article d’Octave GELINIER, président d’honneur de la CEROS, publié dans le numéro 21 de Sciences et Techni
ques (Décembre 85)
(2) « L’ère de l’opulence » (Calmann Lévy Ed.) p. 268.

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Déjà cette transition

par A. PRIME
mai 1986

« Nombre de nos contemporains comprennent ou sentent plus ou moins confusément que le régime économique et social actuel est en train de s’effondrer. Mais ils sont effrayés ou s’inquiètent du PASSAGE entre le monde d’aujourd’hui et ce monde nouveau dont ils pressentent la nécessité.
Le saut dans l’inconnu leur fait peur.
Cette brochure est faite pour calmer ces inquiétudes.
Elle montre que ce passage n’a rien d’effrayant ni de surnaturel ; elle prouve qu’il est possible de sortir du régime actuel sans mettre le pays à feu et à sang ».

Ces remarques « d’actualité » datent... de Septembre 1938. Elles figurent dans l’avant-propos d’une brochure de 40 pages éditée par JEUNES (Jeunes Equipes Unies pour une Nouvelle Economie Sociale) sous le titre « UN PLAN DE TRANSITION  » : c’est précisément le débat auquel la G.R. invite ses lecteurs à participer.
La « faiblesse » de cette ancienne brochure me semble, comme beaucoup de nos études et propositions à ce jour, résider dans le fait qu’elle suppose un gouvernement, une autorité en place pour instaurer une économie et une monnaie distributives. Un demi-siècle plus tard, cette hypothèse apparaît encore plus aléatoire qu’en 1938, période de crise grave sur fond de guerre probable et même imminente. Nous relèverons néanmoins un certain nombre d’idées judicieuses.

Les deux premières parties font l’analyse que nous connaissons bien d’un capitalisme qui ne peut plus fonctionner, empêtré dans ses contradictions. Notons simplement cet appel angoissé (nous sommes en 1938) : « Allons-nous donc demain nous égorger tous au pied des immenses montagnes de produits qui feraient le bonheur de l’Humanité, et cela, au nom d’une fidélité à un dogme vétuste qui, lui, nous abandonne ? ».
Venons-en à la 3e partie, intitulée « Le régime nouveau. Période de transition », et à ses propositions « constructives ». Constructives encore une fois, si nous avions pouvoir de décider ; or, ce qui est d’ABORD demandé aux lecteurs de la G.R., actuellement, ce n’est pas cela : c’est comment, dans le contexte politique, économique, social, que connaissent la France et le monde, comment, dis-je, espérer passer à une économie distributive (moyens, temps nécessaire etc...). Mais... rêvons un instant à l’après « prise de pouvoir », avec nos camarades en 1938 :

Quel est le problème ?
Nous avons atteint la troisième partie : l’institution du régime nouveau que nous avons appelé ; LE REGIME DE L’ECONOMIE DISTRIBUTIVE DE L’ABONDANCE.
Mais nous tenons à prévenir le lecteur que s’il n’a pas été convaincu de la faillite du régime capitaliste, même réformé, il est inutile qu’il lise plus avant.
C’est qu’en effet notre système fait table rase de principes trop vieux et de conceptions périmées et qu’il fait disparaître tous les obstacles qui s’opposent actuellement à la vie normale de l’homme et dont les principaux sont : les notions de l’or et du profit.
(Mais on verra que la disparition du système actuel se fait sans heurt, sans coup violent, avec une suffisante souplesse et à la façon d’un embrayage qui communique aux roues de l’automobile la puissance du moteur.
Nous n’avons pas voulu que des situations acquises soient soudainement détruites, et que certains individus se trouvent ainsi privés de toute ressource.
Chacun à l’assurance de vivre et de bien vivre.
Tout notre système, toute notre action n’ont qu’un but ; le bonheur matériel de l’homme, sa liberté,
son total épanouissement.
C’est l’homme en soi qui nous intéresse.
Tout est fait pour lui.
Notre plan, car nous avons un plan, permet, DU JOUR AU LENDEMAIN, de changer de régime.
Nous sommes prêts, soit par l’institution de mesures immédiates et définitives, soit par l’institution de mesures transitoires.
Car vous allez le voir, nous sommes des constructeurs qui savons ce que nous voulons, et comment nous voulons construire.

LA PROPRIETE

Ce problème est longuement traité : il faut reconnaître que c’est une des principales questions sur laquelle nous achoppons lorsque nous voulons convaincre nos interlocuteurs à nos thèses :

Retenons simplement qu’il y a :
a) La propriété qui répond à la nécessité de satisfaire des besoins : le vêtement, la bicyclette, l’automobile, le logement, l’argent en banque ou à la caisse d’épargne.
b) La propriété qui confère une puissance, un revenu  ; le propriétaire d’immeuble, le propriétaire de titres.
c) La propriété qui confère une domination et qui est celle des banques, des trusts, des cartels.
On ne peut traiter d’une façon semblable ces différentes formes de propriétés.
Les premières sont valables et semblent répondre à un sentiment, à un besoin vraiment humain, et il n’apparaît pas qu’elles doivent disparaître.

Les secondes sont consacrées par le temps et répondent aux besoins d’un système, le système capitaliste, lequel, condamné par les faits et par la science, condamne du même coup ces secondes formes de la propriété.

Les troisièmes, qui sont une amplification de ces secondes formes, doivent donc disparaître également.

Mais ces disparitions peuvent- elles se faire brutalement du jour au lendemain et sans transition ?

Est-il admissible que tel individu, telle famille qui a économisé, parfois au prix de durs sacrifices, se trouve, soudainement privé du revenu de son capital ?
Est-il possible d’admettre que tels parents, qui ont mal vécu pour que leurs enfants au moins vivent mieux, se trouvent soudainement dépouillés ?
Il ne nous l’a pas semblé.
Et c’est pourquoi nous avons étudié un système de transition, lequel est inévitablement obligatoire, quelque position révolutionnaire que l’on prenne, car s’il est facile de construire du neuf quand l’on part de zéro, il est impossible de repartir à zéro avec quelque chose. Or ce quelque chose existe : c’est le régime actuel, et il faut compter avec lui.
Le régime nouveau de la propriété a pour but :
1 ° Le maintien de la propriété lorsque celle-ci confère à l’individu la satisfaction de besoins personnels (voir «  a » ci-dessus).
2 ° L’amortissement de la propriété qui confère à son possesseur puissance et domination (« b » et « c » ci-dessus).
3 ° La disparition immédiate du capital proprement dit.

LA MONNAIE, Comme nous le proposons, est rattachée à la production et est fongible. En ce qui concerne le commerce extérieur :
« L’Office du Commerce Extérieur, qui règlera les transactions commerciales et monétaires avec l’étranger, sera créé dès le premier jour.
Précisons enfin deux points importants
1 ° Cette monnaie sera une monnaie intérieure, et n’aura de valeur que sur le territoire français.
2° Pour les paiements internationaux : il sera créé une monnaie spéciale, garantie par le contrôle des changes, - socialement utile, cette fois, puisque sortis du régime du profit, - en attendant que les autres pays adoptent le même système que le notre ».

LE CREDIT est envisagé pour les achats importants  : Les chapitres sur la PRODUCTION ne diffèrent guère de nos analyses actuelles. L’entreprise coopérative est obligatoire au dessus de 20 personnes, facultative, mais soumise au plan, au dessus de 10 personnes, libre pour l’artisanat et les professions libérales. Suivent des chapitres que nous ne pouvons développer ici, sur les divisions administratives, l’organisation syndicale, les professions libérales etc...

En conclusion :
« Notre système repose sur la compréhension et l’intelligence des individus.
Il leur propose de gérer eux- mêmes leurs propres affaires et les affaires de la France.
Mais si ces individus s’estiment incapables d’assurer cette gestion, alors ils sont mûrs pour la dictature et ils l’auront bien méritée.
Si, au contraire, comme nous l’espérons, ils sont capables de secouer leur vieilles formules, leurs vieilles idées et leurs vieilles doctrines, alors l’avenir est à nous.
Ne maudissons pas le régime présent ; il nous a procuré un niveau de vie progressivement meilleur. Aujourd’hui il n’est plus adapté, il est dépassé, il ne peut plus rien ; alors, tout simplement, sans regret, quittons-le ».

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