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EDITORIAL
Quand on entreprend d’expliquer à un Enarque
ou à un homme d’affaires que nos règles économiques
et monétaires doivent être radicalement modifiées
en raison de la croissance exponentielle des diverses nuisances qu’elles
engendrent, on se heurte généralement à un mur
d’incompréhension. C’est que tout économiste orthodoxe,
voire n’importe quel ancien élève d’une école de
commerce, a été tellement bien conditionné, formé
à penser de manière conventionnelle, qu’il lui est impossible
de remettre en cause ses modes de penser, si bien que toute personne
qui n’adhère pas à sa vision du monde et ose en imaginer
une autre est pour lui un simple d’esprit, un rêveur, un utopiste.
La même sclérose intellectuelle se rencontre tant chez
les défenseurs des économies occidentales que chez les
admirateurs des économies dites socialistes de l’Est, que l’on
essaie de montrer aux uns où nous mène la toute-puissance
déshumanisée des sociétés multinationales
ou que l’on tente de dénoncer aux autres les méfaits d’une
bureaucratie tout aussi déshumanisée et omnipotente. Ainsi
donc rien ne bouge, personne n’évolue !
Cela ne devrait pourtant pas être le cas des chercheurs en général.
N’est-ce pas parmi eux que l’on devrait trouver la plus grande ouverture
d’esprit, l’imagination la plus entreprenante ? Ce n’est, hélas,
pas le cas. Nous avons bien quelques collègues physiciens qui
lisent ce journal et qui sont capables d’admettre que les changements
que nous proposons sont rationnels et seduisants mais, pris par l’esprit
de compétition dont ils n’ont pas su préserver leur domaine,
ils s’avèrent incapables de sacrifier un peu de leur temps pour
réfléchir aux conséquences de leurs recherches
pour l’avenir de notre société. C’est ainsi que, consciemment
ou pas, ils laissent à d’autres (économistes aveugles,
« entrepreneurs » sans scrupules ou politiciens rétrogrades)
le soin de transformer leurs découvertes en produits ou applications
de tous ordres, souvent inutiles, voire nuisibles, comme les armements
(nucléaire ou pas). Jamais le conditionnement de mes collègues
physiciens ne m’est apparu plus clairement que le jour où, ayant
fait remarquer à l’un d’entre eux qu’Alfred Kastler (prix Nobel
de physique) avait, lui, le courage de prendre parti pour des causes
étouffées par les grands média, il me répondit
que si Kastler s’occupait de ces causes c’était « parce
qu’il avait vieilli et qu’il n’était plus capable de faire de
la physique ». Comme quoi tous mes collègues ne sont pas
des Einstein qui, devant les applications guerrières de ses découvertes
- la bombe atomique - regrettait de ne pas avoir choisi la profession
de plombier.
Pourtant, malgré tout, ce sont les physiciens qui restent les
mieux placés pour faire évoluer la pensée de nos
contemporains. Pourquoi ? Parce que leur domaine, la physique, a subi,
au début de ce siècle, une révolution de même
ampleur que celle que les économistes doivent aujourd’hui constater.
Admises depuis des siècles, deux notions fondamentales, celle
de l’espace et celle du temps, durent s’effondrer avec l’approfondissement
des recherches sur les constituants de l’atome. Quand la précision
des mesures montra que ces notions ne convenaient . as pour expliquer
les observations, il fallut bien les abandonner et les remplacer par
une théorie qui parut révolutionnaire. Et ce n’était
pas tout : l’étude des particules plus petites que l’atome obligea
bientôt les physiciens à remettre en cause d’autres notions
qui paraissaient inébranlables, tellement elles étaient
évidentes dans la vie courante : les notions de matière
et d’énergie, et la relation si familière de cause à
effet. Il fallut donc renoncer à l’idée si profondément
ancrée que la matière est faite de particules élémentaires
solides et indestructibles qui s’assemblent ou tournent les unes autour
des autres dans un espace et un temps « absolus », cartésiens,
conformes aux lois de la mécanique de Newton.
Bien sûr, il fut très difficile de faire admettre à
la communauté scientifique un tel bouleversement de nos conceptions
de l’univers. Certes, les mentalités avaient changé depuis
Galilée ! Mais tout de même... Einstein, lui-même,
qui avait par deux articles publiés en 1905, ouvert la voie aux
nouvelles conceptions du monde, avoua avoir éprouvé un
choc en face de la nouvelle physique qui était en train de naître.
Il ne cacha pas qu’il avait fait tous les efforts possibles pour essayer
d’adapter les anciens fondements de la physique à ces découvertes
et, lorsqu’il s’aperçut que ses efforts étaient vains,
« il se sentit, dit-il, comme si le sol se dérobait sous
ses pieds sans qu’il puisse trouver où se raccrocher ».
N’est-ce pas ce même vain effort de se « raccrocher aux
branches » que font aujourd’hui nos économistes quand ils
cherchent à tout prix à ajuster les « lois »
capitalistes pour les faire encore « coller » avec, par
exemple, la chute vertigineuse des besoins en travail humain dans les
processus de production ? C’est cette obstination qui les conduit à
vouloir encore mesurer toute activité en termes de temps de travail,
comme au temps où le travail manuel était la source de
toute la production.
Les physiciens, contraints de modifier leurs anciens dogmes, imaginèrent
donc autre chose. Et ce furent la théorie de la Relativité
généralisée et la mécanique quantique.
Aux économistes (ou à nous, car l’économie nous
concerne tous) d’imaginer autre chose que le système des salaires
quand il s’avère que les revenus ne peuvent plus être basés
sur la durée du travail humain dans les processus de production.
Imaginons de nouvelles relations économiques afin que chacun
reçoive sa part des biens produits par la société
à laquelle il participe. C’est le principe de l’économie
distributive que nous proposons.
A l’heure où le travail à plein temps de tous n’est plus
nécessaire, et de loin, un changement radical de nos structures
économiques et donc des modes de penser s’impose. Pourquoi ce
qui a été possible en physique ne le serait-il pas en
économie ?
Il y a au moins un physicien qui pense ainsi, c’est F. Capra : son travail
fait l’objet des dossiers de La Grande Relève de ce numéro.
Nous avons reçu le n°2 du journal CASH
publié par l’association des chômeurs et des précaires.
Quel espoir, quel enthousiasme à cette lecture ! Enfin des gens
qui ont compris qu’il faut « remettre en cause les fondements
mêmes du système de production et de répartition
des richesses » et qui pensent que, pour cela, « une seule
vie est possible, l’organisation lente, consciente et en profondeur
d’un futur qui exclura cette folie historique qui voit cohabiter la
richesse la plus grande que notre monde ait jamais connue avec des misères
dignes du Moyen-Âge ».
Non seulement ils dénoncent « la misère dans l’abondance »
mais ils expliquent pourquoi : « on produit plus grâce aux
nouvelles machines mais on paie globalement moins de salaires »,
et ajoutent-ils, pourquoi ne pas laisser les machines faire le travail
si elles le font pour tout le monde ? »
Et ce qu’il y a de plus formidable dans cette rencontre avec nos propres
thèses, c’est que les rédacteurs de CASH veulent «
arriver à une revendication unificatrice qui n’oppose pas les
chômeurs au reste de la classe ouvrière... qui tienne compte
de la situation réelle (à savoir que le chômage
va durer) et ne voit plus la revendication passéiste, irréaliste
et de bas compromis qui consisterait à réclamer le retour
à la chaîne qu’heureusement le progrès tend à
faire disparaître ».
Les chômeurs et les précaires sont évidemment les
mieux placés pour comprendre la situation. Il n’est donc pas
étonnant qu’enfin « ils y viennent ». Mais avouons
qu’il y a tout de même un sacré bout de temps qu’on attendait
ça !
Le revenu minimum garanti ? une idée qui continue
à faire son chemin : En Novembre 1985, la Convention Nationale
du Parti Socialiste, admettant que la croissance à elle seule
ne pourrait résorber le chômage et qu’à court terme
(laissons-leur leurs illusions !) la modernisation va détruire
plus d’emplois qu’elle ne va en créer, proposait l’institution,
en contrepartie d’un travail ou d’une formation, d’un supplément
de ressources permettant d’arriver à un revenu minimum garanti.
Juste avant les élections. M. André Laignel, responsable
de la campagne du parti socialiste, déclarait au « Matin
» : « De nouvelles avancées peuvent et doivent être
faites : par exemple, la mise ne place d’un revenu minimum garanti,
de façon qu’aucun Français ne vive au dessous du seuil
de pauvreté... C’est par des avancées successives que
nous atteindrons le but qui est le nôtre : l’instauration d’une
société où l’homme l’emportera sur l’argent ».
Nous apprenions aussi que le 4 mars dernier, Mme Georgina Dufoix, à
l’époque ministre des affaires sociales, avait signé avec
le président du conseil général du Territoire du
Belfort une convention pour la mise en place d’un « minimum social
» accompagné d’un programme de réinsertion à
partir du 1er Mai prochain, financé par l’Etat et le département.
Notons que des formules de revenu garanti existent déjà
dans plusieurs villes, notamment Besançon, Charleville, Epernay,
Fougères, Nîmes, Rennes et Saverne, mais que c’est la première
fois qu’un tel programme est organisé à l’échelle
d’un département. Une originalité : cette convention est
baptisée « contrat personnalisé d’autonomie ».
En échange de l’allocation, le bénéficiaire s’engage
à tenter de retrouver son autonomie (rechercher du travail, suivre
une formation, accomplir une tâche d’intérêt collectif).
Toujours dans le même esprit, parlant des risques d’une déflation
incontrôlée, M. Yoland Bresson, professeur d’Economie à
l’Université Paris XII, écrit dans « le Monde »
du 20 Mars 1986 : « Certes rien n’est sûr. Ni l’explosion
du chômage ni la terrible crise financière ponctuant la
déflation. Mais attention à ne pas tromper le peuple encore
une fois ! La seule vraie réponse à sa légitime
inquiétude, c’est la transformation du mode d’attribution des
revenus. C’est l’intégration systématique de tous les
exclus du salariat - jeunes, mères au foyer, chômeurs -
dans le jeu de l’économie en leur rendant la dignité.
Comment ? Par l’allocation inconditionnelle à chaque citoyen
d’un revenu minimum, identique, sans autre considération que
le fait d’exister ».
Ainsi, n’en déplaise aux éternels grincheux, nos idées
font quand même leur chemin. Bien sûr, nous n’en sommes
pas encore à l’économie distributive intégrale,
mais toutes ces mesures, bien partielles, avec tous les risques qu’elles
comportent comme nous ne manquons pas de le souligner dans ce journal,
nous en approchent chaque jour un peu.
***
L’informatisation fait sentir ses effets dans tous
les domaines. Même dans la police. Un de nos lecteurs nous a fait
parvenir une coupure du « Provençal » du 17 Février
1986 dans laquelle on pouvait lire : « Pour la petite histoire,
l’informatisation de la police nationale mettra au rebut 15.000 machines
à écrire. De plus, le ministère de l’Intérieur
estime que la généralisation des ordinateurs dans les
commissariats correspond à l’embauche de 18.000 fonctionnaires
».
Encore une source d’emploi qui se tarit !
***
Quant à l’investissement qui crée des
emplois, il faut déchanter : on pouvait lire dans « Sud-Ouest
» du 14 janvier dernier : « Investissements industriels ;
la Charente prend le large... mais l’analyse de l’utilisation des fonds
confirme une tendance amorcée depuis plusieurs années
: les investissements industriels ne créent plus d’emplois ».
Cela aussi il y a longtemps que nous le disons !
***
Devinette : mais à qui donc profite la soi-disant
bonne santé de l’économie britannique ? On pouvait lire
dans deux numéros successifs du « Monde » (28 Février
et 1er Mars 86) que la balance des paiements courants de la Grande-Bretagne
avait enregistré en Janvier un excédent de 1141 millions
de livres (le meilleur depuis trois ans !) et que le chômage venait
de battre un nouveau record absolu avec 3.210.000 demandeurs d’emplois
à la mi-Février, ce qui porte à 13,3 % le taux
de chômage outre-Manche. L’analyse par régions se révèle
encore plus inquiétante puisqu’on note des taux de chômage
de 22 % en Irlande du Nord, de 18,3 dans le nord de l’Angleterre et
16,6 au Pays de Galles.
Mais nos voisins britanniques n’ont pas fini de souffrir. Leur ministre
des finances leur prépare un nouveau budget de rigueur. C’est
qu’en effet la Grande-Bretagne a le grand tort d’être un pays
exportateur de pétrole et la chute des cours de l’or noir va
réduire de près de la moitié les recettes pétrolières
de l’Etat. (Comme quoi, encore une fois, l’abondance est vraiment une
calamité !). Du coup, les promesses de vastes allégements
fiscaux, régulièrement renouvelées depuis sept
ans par les conservateurs, sont une fois de plus reportées aux
calendes grecques. Pour atténuer cette déconvenue, le
chancelier de l’Echiquier (leur ministre des finances), a consenti une
mini- baisse de l’impôt sur les revenus et une réduction
sur les droits de timbre, sur les opérations de bourse ainsi
qu’une série d’abattements fiscaux et d’encouragements pour les
actionnaires. En contrepartie de ces « efforts », le ministre
a annoncé un accroissement des impôts indirects, notamment
sur l’essence ! Finalement, ce budget, bien que jugé assez terne,
a été bien accueilli par les milieux de la City, ce qui
s’est traduit par une augmentation des cours de la Bourses... No comment
!
Et dire que le nouveau gouvernement RPR-UDF veut s’inspirer du modèle
économique britannique... Il faut croire que les électeurs
français ne savaient pas que le revenu moyen des britanniques
n’atteint guère que les trois quarts de celui de français
!
Dans son discours de rentrée au Tribunal de Commerce de Bastia, le Président Gérard Comte -a fait état de chiffres qui intéressent nos lecteurs :
Dans l’industrie, les robots arrivent, les constructeurs
nippons automatisent à marche forcée leurs chaines de
production. Près d’Hiroshima dans l’usine la plus moderne du
monde, chaque ouvrier produit avec des robots 158 voitures par an.
En Italie, FIAT a construit en un an l’usine la plus moderne d’Europe.
Dès à présent 1000 ouvriers produisent plus de
2600 moteurs par jour. Bientôt l’Italie n’aura plus rien à
envier aux Japonais dans le domaine de la rationalisation industrielle,
ses constructeurs automobiles ont compris qu’il fallait automatiser
au maximum ou disparaitre.
Nous pouvons dès ce jour affirmer par exemple que la Régie
Renault en France dans un très bref délai ne devra pas
réduire ses effectifs de 100.000 ouvriers à 80.000 ouvriers,
mais qu’elle devra les réduire de 80.000 ouvriers pour les ramener
à 20.000 ouvriers. N’oublions pas en effet que le déficit
de la Régie Renault en 1984 a été de 12,5 milliards
de francs ce qui représente pour 300 jours de fonctionnement
des usines dans l’année 42 millions de francs par jour soit à
l’heure 42/24 = 1.750.000 (175.000.000 de centimes), et à la
minute 1,75/60 = 29.166 francs, c’est-à-dire 2.916.600 centimes.
En 1985 on espère que le déficit sera réduit à
10 milliards de francs ; ce qui représente encore 2.333.280 centimes
de perte par minute.
Encore une comparaison, avec l’argent perdu par la Régie Renault
en 1984, on aurait pu construire à peu près 50 voies de
front de mer comme celle de Bastia, depuis le cimetière jusqu’au
rond point du nouveau port.
Une révolution technologique plus grande encore que ce que nous
soupçonnons avance à grands pas, les ordinateurs obéiront
demain aux ordres vocaux sans que l’opérateur ait à pianoter
sur un clavier. Albert DUCROCQ le cybernéticien bien connu du
monde scientifique et même à présent du public explique
que grâce aux phonèmes que nous articulons (les phonèmes
sont les sons élémentaires, il y en a 34 dans la langue
française) nous pourrons parler quasiment en clair aux machines,
beaucoup plus agréablement et surtout beaucoup plus efficacement
qu’avec des touches, la commande vocale autorisera de plus une sauvegarde
linguistique. Il suffira d’intercaler entre la machine et le bloc d’analyse
des sons « un module » qui permettra d’entendre n’importe
quelle langue.
Un des systèmes à commande vocale le « KATALAVOX
» a reçu récemment le prix « grand siècle
», il permet le réglage à la voix des microscopes
en micro-chirurgie, de même la commande à la voix de fauteuils
roulants pour handicapés.
La technique permet de même en écologie la sélection
des bactéries consommatrices d’hydrocarbures, puis leur élevage
et leur conservation par lyophilisation. Ces micro organismes engloutissent
les hydrocarbures des nappes de pétroles déversées
en mer après l’échouage d’un pétrolier, et ensuite
viennent nourrir le plancton qui sert de nourriture à toute une
population d’animaux marins. Nous. n’aurons plus ainsi besoin de ces
milliers d’ouvriers, de militaires, de pompiers pour dépoluer
les rivages atteints par le naphte avec des pelles et des seaux comme
nous les avons vu faire sur les écrans de télévision
lors des échouages de l’AMOCOCADIZ et du TORREY CANYON en Bretagne.
Pendant longtemps, les économistes et surtout les hommes politiques
ont répété que s’il était vrai que les hommes
étaient chassés de la production et de la transformation
par les machines, les services eux créeraient des emplois.
Que constatons-nous à présent ? Le secteur des télécommunications
a perdu régulièrement 2000 emplois par an depuis 10 ans.
L’informatique permet d’ores et déjà d’économiser
dans les bureau 50 % du temps de travail.
Dans les banques la suppression des guichetiers grâce ou à
cause de l’informatique se profile. Bientôt la carte de crédit
porteuse d’une puce (microprocesseur) constituera dans votre poche un
terminal bancaire volant.
Ne cherchons pas à faire de liste exhaustive de toutes les suppressions
d’emplois dans le tertiaire, nous n’en avons pas le temps et ce serait
ici fastidieux, mais sachons que des gains spectaculaires de productivité
peuvent être réalisés par l’élimination des
activités abusives, protégées, administratives
monopolitiques.
LES DOSSIERS DE LA GRANDE RELEVE
Étude du livre de F. CAPRA
La révolution qui a bouleversé la physique
au début du XXe siècle (voir éditorial) a conduit
à une nouvelle conception de l’Univers impliquant des changements
« d’outils » suivant le niveau d’observation où on
se place.
Ne serait-il pas plus conforme à la réalité de
considérer partout ces différents niveaux dans leur ensemble
? C’est ce que propose un physicien de l’Université de Bakeley,
F. Capra, sous le nom de méthode « holistique »,
mot formé à partir du grec « holos » qui désigne
le tout, l’ensemble. Sa méthode dépasse largement le cadre
de la physique, et dans un livre récent (*), il passe en revue
tout ce que l’on peut espérer de l’application de la méthode
holistique aux diverses activités humaines.
Capra montre notamment qu’il n’y a plus aucune raison de s’obstiner
à appliquer les lois de la mécanique rationnelle au corps
humain et que c’est pourtant ce que font les médecins aujourd’hui
quand ils persistent à traiter le malade comme une machine, un
peu comme ils le feraient avec leur voiture, quand son carburateur a
des défaillances. Un être humain doit être considéré
d’une part dans son ensemble, corps et esprit intimement liés,
et d’autre part comme partie d’un ensemble plus grand : sa famille,
son environnement, la planète entière. Ainsi les soins
médicaux ne consisteront plus à « réparer
» la « partie » malade d’un client à l’aide
de drogues définies par des spécialistes (et qui ont surtout
pour effet de favoriser le développement des multinationales
de l’industrie pharmaceutique) mais au contraire à aider le malade
à retrouver la santé, en mettant à son service
les méthodes les mieux appropriées, à commencer
par de gros efforts de prévention, donc d’éducation dispensés
éventuellement par des infirmières. J’ai eu plaisir à
trouver dans ce livre de Capra des comportements que j’ai attribués
aux « affranchis de l’an 2000 ». On voit donc que Capra
est un révolutionnaire... C’est aussi un physicien qui rappelle
bien que si la physique classique s’applique à un système
isolé, elle montre que celui-ci tend vers une entropie maximum,
où son activité cesse, alors que, tout au contraire, les
biologistes observent que l’univers vivant évolue vers des états
de complexité croissante, donc vers l’ordre c’est-à-dire
que leur entropie décroit.
Après avoir ainsi démontré pourquoi la physique
mécaniste de Newton ne peut pas s’appliquer aux phénomènes
vivants, Capra dénonce les erreurs commises, dans tous les domaines,
en s’obstinant à vouloir l’appliquer. Il aborde, entre autres,
le domaine des maladies mentales d’une façon originale, et présente,
par opposition, l’ouverture que propose la méthode holistique
qui par bien des côtés se trouve rejoindre curieusement
les pratiques de la médecine chinoise et les croyances intuitives
de la tradition chamanique qui fut à l’origine de nombreuses
cultures, dans le monde entier.
Son analyse des erreurs que commettent les économistes rejoint
parfaitement la nôtre, alors qu’elle s’appuie sur le raisonnement
physique de l’inadaptation de la méthode, cartésienne
aux phénomènes humains : L’économie, dit-il, «
se caractérise de nos jours, par une approche fragmentaire et
réductionniste, typique de la plupart des sciences sociales »,
c’est-à-dire précisément suivant la méthode
cartésienne. Et il ajoute « Les économistes ne reconnaissent
pas que leur discipline n’est, en fait, qu’un aspect d’une vaste structure
écologique et sociale, d’un système vivant composé
d’êtres humains en interaction continue les uns avec les autres
et aussi avec les ressources naturelles. L’erreur fondamentale est de
diviser cette structure en fragments supposés indépendants...
» or les économistes critiques qui désiraient étudier
les phénomènes dans leur contexte réel, se sont
vus contraints de se situer en dehors de la « science »
économique, « épargnant ainsi à ses représentants
la pénible tâche de devoir prendre en considération
les problèmes que soulevaient leurs critiques ».
Capra poursuit : « Les seules valeurs apparaissant dans les modèles
économiques actuels sont celles qui peuvent être quantifiées
sous forme monétaire. C’est ce qui donne à l’économie
l’apparence d’une science exacte, alors qu’aucune distinction n’est
faite entre les biens renouvelables et ceux qui ne le sont pas et que
les coûts sociaux, ceux par exemple engendrés par les nuisances
du système, sont mis à l’actif du produit National Brut
! »
Capra émet ensuite une autre critique : « les économistes
ont complètement ignoré la recherche psychologique sur
le comportement des individus considérés comme des consommateurs
et des investisseurs parce qu’il leur était impossible d’intégrer
les résultats d’une telle recherche dans le cadre de leurs analyses
quantitatives ». Là, nous ne sommes pas d’accord, en ce
sens que nous ne pensons pas qu’il n’y a pas de recherches psychologiques
sur le comportement des consommateurs. Notre critique est bien plus
grave. Nous pensons que de telles recherches sont faites couramment
et avec de gros moyens. Mais qu’elles sont dévoyées :
elle ne servent pas aux économistes à déterminer
quels sont les besoins des consommateurs pour les satisfaire, elles
servent aux entreprises pour savoir comment manipuler les consommateurs
par la publicité, pour les amener à vouloir consommer
ce que les entreprises veulent leur vendre afin d’augmenter leur puissance
et leurs profits.
Au passage, Capra donne quelques citations édifiantes. Par exemple
celle de Milton Friedman au cours d’une allocution à l’Association
économique américaine « Je crois que nous, économistes,
avons, au cours de ces dernières années, causé
beaucoup de tort à la société dans son ensemble
et à notre profession en particulier... ». Et cette déclaration
du Secrétaire au Trésor, M. Blumenthal, en 1978 : «
Je crois véritablement que les professionnels de l’économie
sont sur le point de ne plus rien comprendre à la situation actuelle,
que ce soit avant ou après les faits ! ».
Comme nous sommes d’accord avec Capra quand il écrit : «
La mauvaise gestion actuelle de notre économie remet en question
les concepts de base de la pensée économique... »
et qu’il ajoute que les économistes, bien que conscients de l’état
de crise actuel, ont le tort de croire qu’il vont trouver la solution
dans le cadre existant ! Car, dit-il, « ce cadre se fonde sous
des concepts et des variables énoncés il y a plusieurs
centaines d’années et dépassés du fait des bouleversements
sociaux et technologiques ». Sa méthode « holistique
» nous apporte une nouvelle façon de présenter notre
analyse « la remise en questions des concepts », dit-il,
« ... doit prendre en considération tout le système
de valeurs sous-jacent et reconnaitre sa relation avec le contexte actuel.
Vus sous cet angle, beaucoup de problèmes sociaux et économiques
trouvent leur origine dans les difficultés d’adaptation des individus
et des institutions aux valeurs mouvantes de notre temps »...
car, conclut-il, « l’économie qui se concentre essentiellement
sur les biens matériels représente actuellement l’expression
même des valeurs matérialistes ». Il explique que
ce système de valeurs, encourageant la poursuite de buts à
la fois dangereux et amoraux, a institutionnalisé des attitudes
que le christianisme tenait alors pour péchés mortels
: gourmandise, orgeuil, envie, avarice, et il a remplacé, au
XVIIe siècle, un ensemble de valeurs où figuraient la
désapprobation du prêt usuraire, l’exigence du respect
du « juste prix », la conviction « que le profit et
la thésaurisation doivent être découragés,
que le travail doit profiter à tous et au bien-être de
l’âme, que le commerce ne se justifie que par la satisfaction
des besoins communautaires »... Le « marché »
n’avait alors de sens qu’au plan local. « L’une des conséquences
plus importantes de ce renversement des valeurs, dit Capra, fut le naissance
du capitalisme », qui, d’après Max Weber, est liée
à la croyance, apparue avec la Réforme, dans les sectes
puritaines, que le travail est une vertu divine et que l’accumulation
des richesses qui en résulte, est la preuve tangible d’un devoir
accompli.
Poursuivant son analyse du rôle de l’esprit cartésien et
« mécaniste » dans les modèles économiques,
Capra conclut : « L’une des caractéristiques les plus remarquables
de l’économie, tant capitaliste que communiste, est son obsession
de la croissance... cette croyance en la nécessité d’une
croissance continue... peut être rattachée aux notions
newtoniennes d’espace et de temps absolus... elle est un reflet de la
croyance erronée que si quelque chose est bon pour un individu
ou un groupe, augmenter ce quelque chose revient nécessairement
à augmenter ce bien-être... Le prix que nous payons pour
cette habitude culturelle excessive est la dégradation continuelle
de la véritable qualité de la vie - l’air..., la nourriture...,
l’environnement et les relations sociales ».
La méthode holistique appliquée à la démographie
permet à Capra de conclure « la crise de la population
mondiale est un effet de l’exploitation internationale, »... toute
exploitation produisant un retour de flamme à l’encontre de l’exploitant.
D’où il déduit que l’équilibre écologique
implique une justice sociale et que le meilleur moyen de contrôler
la croissance de la population est d’aider les peuples du Tiers-Monde
à accéder à un niveau de bien-être qui les
encourageait "à limiter volontairement leur fertilité.
Notons au passage que Capra s’empresse de souligner que notre monde
dispose de suffisamment de richesses pour satisfaire tout un chacun
et accéder ainsi à un taux de population équilibré.
Seulement, à l’heure actuelle, aux Etats-Unis, surconsommation
et gaspillage sont devenus un mode de vie et 5 % de la population mondiale
consomme 1/3 des ressources globales, tandis que les frustrations créées
et entretenues par la publicité accroissent les crimes, la violence
et autres pathologies sociales.
On le voit donc, le raisonnement d’un physicien, tirant parti de la
leçon de l’expérience qui montre qu’il est parfois nécessaire,
devant les faits, de changer ses modes de pensée, le conduit
aux mêmes conclusions que nous. Sa méthode holistique,
qui implique un souci écologique fondamental, l’amène
à dire que la technologie ne doit plus être poussée
par le désir de croissance, mais développée dans
son sens le plus large, l’application de la connaissance humaine à
la solution des problèmes pratiques, à la résolution
de conflits, d’accords sociaux, de coopération, de recyclage
et, ajoute-t-il, de redistribution. On voit donc qu’il n’a pas encore
franchi le pas à propos de la véritable distribution destinée
à affranchir les individus des soucis matériels primaires.
Il n’en est pas loin, car son analyse des grandes multinationales est
pertinente. « Elles fonctionnent comme des machines » dit-il
en reprenant sa critique de la méthode mécaniste en vigueur
dans l’économie, « et non comme des institutions humaines
dès qu’elles ont dépassé une certaine taille...
». Ainsi, ajoute-t-il, « la gestion de la taille jouera
un rôle crucial dans la réévaluation de notre système
économique et de notre technologie ». Nous avons besoin
de grandes et de petites structures, la tâche est de trouver un
équilibre.
Même accord avec la « dynamique » que doit être
pour nous l’économie distributive ; car Capra dit bien qu’il
faut une évolution dynamique à l’économie car les
stratégies acceptables à un stade peuvent devenir inappropriées
à un autre ». Il y a une limite à déterminer
et à ne pas dépasser, au lieu de croire comme nos économistes
distingués, à la vertu de la croissance en général.
Même critique sur la tendance des économistes « à
considérer que le système de répartition des richesses
est quelque chose de posé et d’immuable ». Mais Capra ne
va pas jusqu’au bout, se contentant d’imaginer de faire payer par des
impôts supplémentaires les coûts sociaux et environnementaux
engendrés par les entreprises, dans un souci écologique
primordial qui l’amène presque à prôner un retour
à la terre qui résoudrait le problème du chômage...
Par contre, il laisse totalement de côté le rôle
d’incitation des banques à tous les processus de « croissance
pour la croissance » dont il dénonce pourtant si bien les
effets néfastes.
Comme tant d’autres dont les analyses rejoignent les nôtres, il
n’imagine pas que « le changement de la société
» passe par le changement de la monnaie.
(*) Le temps du changement. Editions du Rocher, 1983
QUELQUES CHIFFRES EDIFIANTS
(Les données statistiques de ce papier sont puisées dans
le Nouvel Observateur, The Economist, commission de la C.E.E)
Il parait que dans les années qui viennent,
nous devrons vivre dans la rigueur et dans l’austérité
: c’est LA CRISE ... !
Pourtant, aujourd’hui, le monde capitaliste regorge de tout (sauf d’emplois)
: matières premières, pétrole, céréales,
viande, beurre, lait, aciers, capacités de production. Aux Etats-Unis,
un million de boisseaux de maïs ont rejoint, en 1985, les stocks
de l’année précédente. Les nouveaux producteurs
bradent leur fabrication, le Brésil son acier, l’Argentine son
blé, la Corée du Sud ses téléviseurs, la
Chine ses textiles, l’Arabie Saoudite sa pétrochimie. Et partout
les prix s’effondrent. Quant à la Communauté Economique
Européenne, elle a battu en 1985 tous ses records d’excédents.
Elle subventionne avec peine les exportations pour les rendre plus compétitives
sur le marché mondial. Et ce dumping contrarie le efforts des
pays en voie de développement pour accroître leur propre
agriculture. A fin novembre 1985, le Stock des Excédents Agricoles
de la C.E.E. s’établissait comme suit :
BEURRE 1,2 million de tonnes
POUDRE DE LAIT ECREME 0,5 million de tonnes
BOEUF 0,8 million de tonnes
BLE 12,2 millions de tonnes
ORGE 4,6 millions de tonnes
SEIGLE 1,1 million de tonnes
SUCRE 4,8 millions de tonnes
VIN 3,3 billions de litres.
C’est la Crise ?... Oui, mais de l’Economie de Marché
!
II faut, dit-on, réduire le Chômage en « créant
des emplois ». L’expression « créer des emplois »
est une locution vicieuse : c’est confondre CAUSE ET EFFET. La création
d’un produit, la nécessité d’un service sont des CAUSES
qui auront pour EFFET des offres d’emplois. Mais il faut avoir le courage
de le dire :
IL N’Y AURA JAMAIS PLUS DE PLEIN EMPLOI A PLEIN TEMPS !
Tout le monde peut constater aujourd’hui qu’avec deux
millions et demi de chômeurs, l’Industrie, le Commerce et les
Services peuvent assurer pleinement tous les besoins. Alors, que va-t-on
proposer comme travail aux chômeurs ? De faire de la surproduction
dont on peut constater les résultats aberrants dans la politique
agricole ?
L’augmentation problématique du taux de croissance ne résoudra
pas le problème car le progrès foudroyant des technologies
oriente les investissements vers machines et robots qui se substituent
à l’homme avec une productivité supérieure et des
coûts inférieurs.
Il est temps que les « Experts » et autres « Economistes
» voient les choses en face : la faillite de l’économie
de Marché.
Ce qui leur manque, c’est de l’audace et surtout de l’imagination.
A s’efforcer de relancer l’emploi à tout prix, à n’importe quel prix, à seule fin d’entretenir la formation de revenus et de créer des occasions de profit, trop de responsables à tous niveaux perdent la notion de l’utile. La rentabilité entre en conflit permanent avec l’utile. D’immenses approvisionnements, de gigantesques efforts sont gaspillés en vain, ingénieurs et cadres complices souvent inconscients de tels gaspillages. « Pourquoi, écrivait J.K. Galbraith (2), rendre la vie insupportable dans le but de fabriquer des produits sans importance ? Si les produits cessent d’avoir un caractère d’urgence, pouvons-nous sérieusement commander aux gens de quitter leur foyer afin de produire ces biens avec le maximum d’efficacité ? »
L’article d’Octave Gélinier fait fi de ce réalisme
et sa thèse du « bourgeonnement » présuppose
une nuée de marchés porteurs le plus souvent mort-nés,
le moindre créneau découvert étant très
vite assiégé par des concurrents accourus de partout ;
l’exemple de la SILICON VALLEY auquel Gélinier se réfère,
est là pour en témoigner. Les ordinateurs domestiques
sont en pleine déroute. Quant à l’électronique
japonaise, il lui faudrait un budget dé la Défense consistant
pour la tirer du marasme où elle a commencé à s’enliser.
La « guerre des étoiles » pourrait répondre
à ce voeu.
Un bourgeonnement d’activités nouvelles débouche généralement
dans les services parasitaires ou pseudo-services dont les coûts
chargent les prix. GILDER, SERMAN en ont énuméré
un certain nombre. Longtemps maître à penser de cadres
et chefs d’entreprises, GELINIER semble, d’autre part, négliger
le financement de ces activités bourgeonnantes, le fait que quelque
90 % des initiatives individuelles se heurtent à un veto bancaire
faute de garanties suffisantes. Il suppose enfin qu’il reste aux personnels
des petites entreprises, du temps à distraire du quotidien, des
problèmes immédiats, pour se lancer dans la recherche,
dans la création, de leur propre initiative, en mobilisant des
facteurs nécessaires aux profits à court terme.
GELINIER n’aura pas noté que l’efficacité n’est pas l’apanage
des entreprises libérées d’un contrôle étatique
et que la motivation pécuniaire n’accompagne pas toujours l’esprit
d’invention, de découverte, d’innovation, que le progrès
technologique tient plus à la qualification des personnels subalternes
qu’aux acrobaties financières des investisseurs.
Que le profit, comme l’écrit GELINIER, soit un critère
souverain pour juger des résultats d’une action, une règle
du jeu tenue d’éluder la finalité humaine du travail,
l’étendue des besoins non solvables au regard desquels ceux du
marché représentent moins qu’un epsilon. Le profit est,
d’essence, malthusien.
C’est la règle du jeu qui doit être changée pour
que les technologies nouvelles prodiguent leurs faits les plus attendus
: la qualité dans l’abondance, l’allègement de vains efforts,
de la durée du travail, au bénéfice d’une meilleure
liberté, d’un loisir enrichi.
(1) Titre d’un article d’Octave GELINIER, président
d’honneur de la CEROS, publié dans le numéro 21 de Sciences
et Techni
ques (Décembre 85)
(2) « L’ère de l’opulence » (Calmann Lévy
Ed.) p. 268.
« Nombre de nos contemporains comprennent
ou sentent plus ou moins confusément que le régime économique
et social actuel est en train de s’effondrer. Mais ils sont effrayés
ou s’inquiètent du PASSAGE entre le monde d’aujourd’hui et ce
monde nouveau dont ils pressentent la nécessité.
Le saut dans l’inconnu leur fait peur.
Cette brochure est faite pour calmer ces inquiétudes.
Elle montre que ce passage n’a rien d’effrayant ni de surnaturel ; elle
prouve qu’il est possible de sortir du régime actuel sans mettre
le pays à feu et à sang ».
Ces remarques « d’actualité » datent...
de Septembre 1938. Elles figurent dans l’avant-propos d’une brochure
de 40 pages éditée par JEUNES (Jeunes Equipes Unies pour
une Nouvelle Economie Sociale) sous le titre « UN PLAN DE TRANSITION
» : c’est précisément le débat auquel la
G.R. invite ses lecteurs à participer.
La « faiblesse » de cette ancienne brochure me semble, comme
beaucoup de nos études et propositions à ce jour, résider
dans le fait qu’elle suppose un gouvernement, une autorité en
place pour instaurer une économie et une monnaie distributives.
Un demi-siècle plus tard, cette hypothèse apparaît
encore plus aléatoire qu’en 1938, période de crise grave
sur fond de guerre probable et même imminente. Nous relèverons
néanmoins un certain nombre d’idées judicieuses.
Les deux premières parties font l’analyse que
nous connaissons bien d’un capitalisme qui ne peut plus fonctionner,
empêtré dans ses contradictions. Notons simplement cet
appel angoissé (nous sommes en 1938) : « Allons-nous donc
demain nous égorger tous au pied des immenses montagnes de produits
qui feraient le bonheur de l’Humanité, et cela, au nom d’une
fidélité à un dogme vétuste qui, lui, nous
abandonne ? ».
Venons-en à la 3e partie, intitulée « Le régime
nouveau. Période de transition », et à ses propositions
« constructives ». Constructives encore une fois, si nous
avions pouvoir de décider ; or, ce qui est d’ABORD demandé
aux lecteurs de la G.R., actuellement, ce n’est pas cela : c’est comment,
dans le contexte politique, économique, social, que connaissent
la France et le monde, comment, dis-je, espérer passer à
une économie distributive (moyens, temps nécessaire etc...).
Mais... rêvons un instant à l’après « prise
de pouvoir », avec nos camarades en 1938 :
Quel est le problème ?
Nous avons atteint la troisième partie : l’institution du régime
nouveau que nous avons appelé ; LE REGIME DE L’ECONOMIE DISTRIBUTIVE
DE L’ABONDANCE.
Mais nous tenons à prévenir le lecteur que s’il n’a pas
été convaincu de la faillite du régime capitaliste,
même réformé, il est inutile qu’il lise plus avant.
C’est qu’en effet notre système fait table rase de principes
trop vieux et de conceptions périmées et qu’il fait disparaître
tous les obstacles qui s’opposent actuellement à la vie normale
de l’homme et dont les principaux sont : les notions de l’or et du profit.
(Mais on verra que la disparition du système actuel se fait sans
heurt, sans coup violent, avec une suffisante souplesse et à
la façon d’un embrayage qui communique aux roues de l’automobile
la puissance du moteur.
Nous n’avons pas voulu que des situations acquises soient soudainement
détruites, et que certains individus se trouvent ainsi privés
de toute ressource.
Chacun à l’assurance de vivre et de bien vivre.
Tout notre système, toute notre action n’ont qu’un but ; le bonheur
matériel de l’homme, sa liberté,
son total épanouissement.
C’est l’homme en soi qui nous intéresse.
Tout est fait pour lui.
Notre plan, car nous avons un plan, permet, DU JOUR AU LENDEMAIN, de
changer de régime.
Nous sommes prêts, soit par l’institution de mesures immédiates
et définitives, soit par l’institution de mesures transitoires.
Car vous allez le voir, nous sommes des constructeurs qui savons ce
que nous voulons, et comment nous voulons construire.
LA PROPRIETE
Ce problème est longuement traité : il faut reconnaître que c’est une des principales questions sur laquelle nous achoppons lorsque nous voulons convaincre nos interlocuteurs à nos thèses :
Retenons simplement qu’il y a :
a) La propriété qui répond à la nécessité
de satisfaire des besoins : le vêtement, la bicyclette, l’automobile,
le logement, l’argent en banque ou à la caisse d’épargne.
b) La propriété qui confère une puissance, un revenu
; le propriétaire d’immeuble, le propriétaire de titres.
c) La propriété qui confère une domination et qui
est celle des banques, des trusts, des cartels.
On ne peut traiter d’une façon semblable ces différentes
formes de propriétés.
Les premières sont valables et semblent répondre à
un sentiment, à un besoin vraiment humain, et il n’apparaît
pas qu’elles doivent disparaître.
Les secondes sont consacrées par le temps et répondent aux besoins d’un système, le système capitaliste, lequel, condamné par les faits et par la science, condamne du même coup ces secondes formes de la propriété.
Les troisièmes, qui sont une amplification de ces secondes formes, doivent donc disparaître également.
Mais ces disparitions peuvent- elles se faire brutalement du jour au lendemain et sans transition ?
Est-il admissible que tel individu, telle famille
qui a économisé, parfois au prix de durs sacrifices, se
trouve, soudainement privé du revenu de son capital ?
Est-il possible d’admettre que tels parents, qui ont mal vécu
pour que leurs enfants au moins vivent mieux, se trouvent soudainement
dépouillés ?
Il ne nous l’a pas semblé.
Et c’est pourquoi nous avons étudié un système
de transition, lequel est inévitablement obligatoire, quelque
position révolutionnaire que l’on prenne, car s’il est facile
de construire du neuf quand l’on part de zéro, il est impossible
de repartir à zéro avec quelque chose. Or ce quelque chose
existe : c’est le régime actuel, et il faut compter avec lui.
Le régime nouveau de la propriété a pour but :
1 ° Le maintien de la propriété lorsque celle-ci confère
à l’individu la satisfaction de besoins personnels (voir «
a » ci-dessus).
2 ° L’amortissement de la propriété qui confère
à son possesseur puissance et domination (« b » et
« c » ci-dessus).
3 ° La disparition immédiate du capital proprement dit.
LA MONNAIE, Comme nous le proposons, est rattachée
à la production et est fongible. En ce qui concerne le commerce
extérieur :
« L’Office du Commerce Extérieur, qui règlera les
transactions commerciales et monétaires avec l’étranger,
sera créé dès le premier jour.
Précisons enfin deux points importants
1 ° Cette monnaie sera une monnaie intérieure, et n’aura
de valeur que sur le territoire français.
2° Pour les paiements internationaux : il sera créé
une monnaie spéciale, garantie par le contrôle des changes,
- socialement utile, cette fois, puisque sortis du régime du
profit, - en attendant que les autres pays adoptent le même système
que le notre ».
LE CREDIT est envisagé pour les achats importants : Les chapitres sur la PRODUCTION ne diffèrent guère de nos analyses actuelles. L’entreprise coopérative est obligatoire au dessus de 20 personnes, facultative, mais soumise au plan, au dessus de 10 personnes, libre pour l’artisanat et les professions libérales. Suivent des chapitres que nous ne pouvons développer ici, sur les divisions administratives, l’organisation syndicale, les professions libérales etc...
En conclusion :
« Notre système repose sur la compréhension
et l’intelligence des individus.
Il leur propose de gérer eux- mêmes leurs propres affaires
et les affaires de la France.
Mais si ces individus s’estiment incapables d’assurer cette gestion,
alors ils sont mûrs pour la dictature et ils l’auront bien méritée.
Si, au contraire, comme nous l’espérons, ils sont capables de
secouer leur vieilles formules, leurs vieilles idées et leurs
vieilles doctrines, alors l’avenir est à nous.
Ne maudissons pas le régime présent ; il nous a procuré
un niveau de vie progressivement meilleur. Aujourd’hui il n’est plus
adapté, il est dépassé, il ne peut plus rien ;
alors, tout simplement, sans regret, quittons-le ».