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AED La Grande Relève Articles > N° 801 - juin 1982

 

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N° 801 - juin 1982

La mission historique de l’Europe   (Afficher article seul)

Que sont les camemberts devenus ?   (Afficher article seul)

L’atome en question   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

Association   (Afficher article seul)

Le commencement de la fin   (Afficher article seul)

À propos du projet Hunebelle   (Afficher article seul)

Questions monétaires   (Afficher article seul)

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Éditorial

La mission historique de l’Europe

par J. MALRIEU
juin 1982

SI le mouvement pacifique se borne à dénoncer la course aux armements et à refuser l’implantation des missiles américains en Europe, alors il n’est qu’une démission , il ne fait qu’exprimer l’angoisse des hommes devant la montée des périls, sans lui donner de réponse.
Si au contraire, comme nous le soutenons, il prend et fait prendre conscience que l’établissement de la paix passe par l’abolition de la société marchande et l’instauration de nouveaux rapports économiques entre les individus et les peuples, alors il joue un rôle positif, alors il remplit une mission historique.
Je viens de lire un remarquable article de Pierre Hassner dans le n°  d’avril de la revue « Esprit » « Le deuil sied à l’Europe » A l’hypothèse d’une Europe unilatéralement désarmée et neutraliste où il voit, non sans raison, une prime à l’agression, il oppose une perspective assez proche de la nôtre « A l’équilibre américano-soviétique, elle voudrait substituer, non le vide d’une Allemagne et d’une Europe dénucléarisée et neutralisée, mais le plein d’une défense européenne unie et éventuellement nucléaire qui pourrait garantir sa propre autonomie par rapport aux deux Grands et exercer une attraction sur l’Europe de l’Est. » Il ne récuse pas toutefois une politique moins ambitieuse, comme l’Ostpolitk de W. Brandt, qui sans remettre en cause la structure actuelle de l’ordre mondial, s’efforcerait de diminuer la tension entre les deux blocs et d’obtenir la réduction simultanée de leurs armements. C’est ce qu’il appelle la finlandisation réciproque de l’Europe de l’Est et de l’Ouest. Pour lui, la solution la plus satisfaisante consisterait à combiner les deux perspectives, la finlandisation réciproque s’appuyant sur la constitution d’une Europe autonome, maîtresse de ses destinées, déconnectée de l’Alliance Atlantique et se donnant les moyens de faire échec aux visées .expansionnistes de l’URSS.
 ;L’auteur ne se dissimule pas les difficultés d’une telle entreprise dans les conditions actuelles de l’Europe en proie à la crise économique et aux divisions intestines. A partir de là son analyse tourne court. C’est là que nous prenons le relais.
Nous disons que l’Europe des marchands agonise. L’unité politique de l’Europe, dans le cadre du capitalisme, n’a jamais été qu’une utopie fallacieuse. Elle est aujourd’hui d’autant plus irréalisable que le système marchand est en train de s’effondrer en suractivant les antagonismes.
Ce qu’il faut, ce n’est pas essayer de le replâtrer comme s’y emploient les sociaux-démocrates de tous bords, à commencer par nos « socialistes » français. Ceux qui ont encore des illusions sur la portée des solutions réformistes devraient lire l’article de Michel Beaud « Des compromis nationaux au compromis mondial » paru dans « le Monde diplomatique  » de septembre 1981. Le professeur Beaud mange allègrement le morceau. Après avoir invoqué Olaf Palme (« Nous autres socialistes, nous vivons dans une certaine symbiose avec le capitalisme. La crise actuelle du capitalisme est en même temps la crise de la société industrielle. Notre tâche est de la sauver.  »), le Pr. Beaud nous expose avec ingénuité la stratégie « socialiste » : primo : la négociation d’un compromis à l’échelle mondiale entre les classes dirigeantes et les forces du travail est à l’ordre du jour ; secundo : ce compromis n’est réalisable que dans une économie en expansion ; tertio : c’est encore ce bon vieux capitalisme qui est le mieux à même d’assurer cette expansion. C.Q.F.D. C’est en gros le discours que l’on retrouve dans le rapport de la commission Brandt sur le Dialogue Nord-Sud ou le fumeux projet du ministre Cheysson sur la relance planétaire. Voilà la camelote que ces aimables imposteurs veulent nous refiler sous le label du « Nouvel Ordre Economique mondial ». La conclusion du Pr. Beaud ne laisse place à aucune ambiguïté  : « Aujourd’hui, les social - démocraties d’Europe sont obligées de rechercher les conditions d’un meilleur fonctionnement des capitalismes européens... ». Après ça, il n’y a plus qu’à tirer l’échelle.
Il ne faut donc pas s’étonner si toutes les solutions préconisées par la gauche gouvernementale pour sortir de la crise se ramènent en définitive à la vieille recette de la droite classique  : soyons plus compétitifs. C’est la rengaine que l’on nous ressert inlassablement, de Debré à Delors, de Barre à Rocard, de Priouret à André Fontaine. Comme si ce n’était pas précisément parce que chaque pays et chaque entreprise s’efforce d’être plus compétitif que ses concurrents que le monde court à la catastrophe.
Mais allez faire comprendre cela à des cerveaux omnubilés par les dogmes du libre-échange et les thèses de Milton Friedman, incapables de voir que les politiques d’austérité au niveau de chaque Etat ne font qu’aggraver la crise au plan global, en réduisant les débouchés. Logique aberrante à laquelle les travailleurs eux-mêmes ne sont pas insensibles comme le montre l’exemple des syndicats américains et japonais acceptant des réductions de salaires pour sauver leur emploi. La classe ouvrière n’en a jamais fini de capituler devant les impératifs de la société de compétition.
A cette politique absurde, sans autre issue que l’intensification de l’exploitation et du chômage, nous opposons une politique «  alternative » qui vise à rompre avec la logique mortelle du marché. Politique alternative dont Jacques Duboin est un des pionniers incontestables. C’est ce courant « alternatif » qui rejette à la fois le « modèle » capitaliste et le « modèle » du collectivisme bureaucratique, considérés comme de simples variantes du système marchand (ni Jungle, ni Goulag), qui est en train d’émerger en Allemagne Occidentale, si l’on en croit la radioscopie de Joseph Rovan publiée dans le n° d’« Esprit » d’avril 82. Radioscopie d’autant plus éclairante que son auteur est loin de souscrire à toutes les idées contestataires qu’il voit surgir du sol germanique « Nous sommes en présence d’un phénomène politique et moral puissant qui met en cause à la fois l’engagement de l’Allemagne occidentale dans les alliances et ancrages extérieurs, et les structures de la société, libérales, capitalistes, élaborées depuis la guerre... Il s’agit d’un mouvement à la fois pacifiste, neutraliste et - ce néologisme s’impose face à une réalité nouvelle - « alternativiste  ». Il est à la fois politique, moral et même religieux ou para-religieux. Il ébranle profondément un nombre croissant d’esprits, notamment parmi les jeunes, et il laisse sans voix, sans réaction, sans idées claires quant aux ripostes possibles, les majorités et leurs représentants. »
Le parti social-démocrate d’Helmut Schmidt est le plus contaminé par la nouvelle opposition, mais elle s’infiltre aussi dans les rangs de la C.D.U. et déborde en Allemagne de l’Est. J. Rovan nous apporte des informations précieuses et cite un nom qu’il faudra retenir : « L’opposition de gauche au sein du S.P.D. a aujourd’hui un porte-parole qui sera peut-être demain un nouveau chef pour le parti tout entier et qui est déjà l’homme dans lequel se reconnaissent la plupart des contestataires, ennemis du réarmement-rattrapage, de l’énergie atomique, de la course aux armements, partisans de l’aide au tiers-monde. Cet homme, c’est EHRARD EPPLER, naguère ministre fédéral du Développement, ancien président du S.P.D. de Bade-Wurgtemberg, un protestant austère et militant... EPPLER n’est pas un agitateur extrémiste, c’est un homme politique qui propose une alternative sérieuse, dans la ligne des préférences de la jeunesse, politique qui peut très rapidement devenir majoritaire au sein de la social-démocratie, avec ses connotations religieuses (on parle souvent à présent d’une politique tirée du Sermon sur la montagne), pacifistes et écologiques. Nous prenons acte en observant que la référence à l’Ecriture Sainte en vaut beaucoup d’autres. Cette synthèse des courants religieux, pacifiste et écologique en train de s’opérer en Allemagne, sous la houlette d’Ehrard Eppler, pourrait bien être le tiercé gagnant des prochaines décennies.
Lucide, allergique aux emballements, J. Rovan porte un regard clinique sur une situation mouvante comme les sables du même nom : «  Les structures officielles, écrit-il, voient peu à peu le sol se retirer sous leurs pieds. La République fédérale fondée en 1949, modèle triomphaliste de l’économie sociale de marché et de -la concertation entre partenaires sociaux, alliée fidèle et exemplaire dans le cadre de l’Alliance Atlantique est peut-être en train de se décomposer... ». Cette déstabilisation de la R.F.A. inquiète Rovan ; il craint qu’elle ne favorise les desseins de l’Union Soviétique. Mais il observe que la décomposition atteint également l’Europe Orientale. Le colosse de l’Est a lui aussi des pieds d’argile.

Notre destin se joue...

Nous sommes entrés de toute évidence dans une ère de turbulence dont tout peut sortir, le pire comme le meilleur.
Je voudrais, en guise de conclusion, laisser la parole à un des observateurs les plus aigus de notre époque. C’est un extrait de « L’Esprit du Temps » d’Edgar Morin : « Le destin de l’humanité oscille entre deux possibilités, plausibles et improbables. La première, pouvant aller jusqu’à un quasi-anéantissement atomique est celle de la régression généralisée. La seconde possibilité extrême serait un progrès décisif : la constitution d’une métasociété qui s’articulerait de la relation interpersonnelle à la fédération internationale : une révolution aussi considérable - il s’agirait en fait d’une nouvelle naissance de l’Humanité
est malheureusement non probable pour ce siècle. Entre ces deux pôles antagonistes, se situe la zone intermédiaire diversement et instablement progressive et régressive... Sommes-nous au début d’une ère nouvelle, de la vraie grande révolution qui supprimerait les rapports d’exploitation entre les hommes ? Ou bien le communisme d’appareil qui prétend incarner et forger cette révolution, ne constitue-t-il pas la médiévalisation et la régression en un âge de fer, de l’idée de révolution ? N’est-ce pas la réaction qui noyaute aujourd’hui la révolution, de même que le christianisme fut noyauté par le catholicisme pendant deux millénaires ? Tout cela nous contraint à reposer jusque dans ses principes, la problématique de la révolution culturelle qui doit contribuer à réinterroger et à réformer l’idée de révolution... La culture, en tant qu’ensemble de principes, de normes, de règles, apparaît comme « l’infratexture générative  » de nos sociétés qui oriente, donne forme à la vie quotidienne. à nos existences... L’idée d’une révolution au niveau de la prise du pouvoir, des rapports de production, des structures juridiques de propriété apparaît radicalement insuffisante  : nous savons désormais que l’exploitation et la domination renaissent souvent plus fort encore après l’arasement, puisqu’on n’a pas révolutionné les structures génératives. Par conséquent, le vrai changement doit s’opérer au niveau génératif, dans les profondeurs paradigmatiques où s’effectuent les contrôles de l’existence. »
Est-il besoin de souligner qu’avec Edgar Morin, nous sommes aux antipodes de la vision marxiste de l’Histoire ? Comme l’a dit un autre transfuge du marxisme, Roger Garaudy : « L’Histoire pose les problèmes, ce sont les prophètes qui donnent les réponses. »
Les réponses concrètes, institutionnelles aux problèmes de la fin du 2e millénaire sont encore imprévisibles. Mais il n’y a aucun doute qu’elles se situeront dans la direction qu’indique le mouvement pacifiste et alternatif actuel. La double certitude qu’exprime ce mouvement, c’est qu’en raison des pouvoirs techniques dont dispose aujourd’hui l’humanité, les procédures conflictuelles de la guerre et de l’économie marchande sont devenues incompatibles avec sa survie et qu’elles doivent être dépassées. C’est cela la mission historique de l’Europe : apporter au monde un nouveau « modèle » de société conviviale et non plus compétitive. Face au défi que lance à l’humanité les progrès de la science, la référence à Nietzsche ne nous paraît pas incongrue
« L’Homme est un animal qui doit être surmonté. »

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Que sont les camemberts devenus ?

par G. LAFONT
juin 1982

LES médias, d’ordinaire si prompts à saisir l’actualité au vol, à en faire de longs commentaires à la télé, de gros titres dans les journaux et périodiques avec de belles images pour en régaler auditeurs et lecteurs, n’a pas accordé toute l’importance qu’il méritait à l’événement dont la ville d’Isigny a été le théâtre en février dernier. Quelques lignes discrètes, quelques commentaires prudents à la rubrique des chiens écrasés dans les jours qui ont suivi, et depuis, plus rien.
C’est, vous vous en souvenez peut-être, l’opération de commando lancée dans la nuit du 8 février dernier par des parachutistes musclés, ces paras dont la France est si fière, contre la fromagerie Roustang-Besnier à lsigny (Calvados) occupée par le personnel en grève, pour sauver 750 tonnes de camemberts en perdition.
Pour une fois que l’armée française remportait une grande victoire sur l’ennemi héréditaire c’était l’occasion ou jamais de lancer à la face de l’univers un vibrant cocorico afin que toute la planète l’entende et se le_ tienne pour dit, d’aller ranimer la flamme sous l’Arc-de-Triomphe, de célébrer un Te-Deum à Notre-Dame, de pavoiser les monuments publics, de défiler en fanfare sur les Champs-Elysées, et de décréter le 8 février fête nationale chômée.
Eh bien, non. On n’en a plus reparlé. Ou si peu. Pourquoi ?... Les paras ont regagné leur base après avoir fêté leur victoire dans les bistrots d’Isigny, les grévistes ont repris le boulot un moment interrompu, mais les camemberts ?. .. Que sont-ils devenus ? Je pose la question.
Les assaillants, à ce que l’on dit, un groupe d’intervention de 200 hommes munis de matraques, pistolets, grenades lacrymogènes et autres joujoux pour grandes personnes nostalgiques du casse- pipes, avec à leur tête un ex-officier de paras dirigeant d’une société de gardiennage, étaient arrivés sur les lieux avec 14 semi-remorques de 38 tonnes et sont tranquillement repartis, mission accomplie, en embarquant 750 tonnes de camemberts.
750 tonnes de camemberts ça se sent de loin et cela ne doit pas passer inaperçu. Alors, je repose la question : qu’en a-t-on fait ? Les paras n’ont pas tout bouffé dans la nuit du 8 février, même arrosés de calva et en restant à table jusqu’aux aurores. J’ai fait le compte, cela ferait 3 tonnes de camemberts pour chaque para...
Il y a là un mystère. Les camemberts se seraient-ils débinés en douce à la faveur d’une nuit sans lune, en profitant d’un moment d’inattention des paras qui buvaient le coup en chantant la «  Marseillaise » ? C’est possible. Mais il se peut aussi que les hommes du commando aient laissé faire, bien contents d’être débarrassés de cette marchandise. Je ne vois pas d’autre moyen d’assainir le marché du camembert. Même en demandant à l’humoriste Topor d’organiser une course de fromages à Isigny, comme il l’a fait outre Atlantique au grand ébahissement des Amerlocs.
Reste une dernière solution : en faire de l’engrais.
Oui, mais avec des engrais on risque d’obtenir des récoltes de plus en plus « excédentaires », et qu’il faudra également « assainir », comme les choux-fleurs et la betterave. Si c’était pour en arriver là, ça valait pas le coup de mobiliser tout un régiment de paras avec son colonel.

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L’atome en question

par P. SIMON
juin 1982

L’ATOME c’est, d’abord et avant tout, une source d’énergie considérable qui peut être utilisée à des fins militaires ou à des fins pacifiques. Mais jamais sans risque. Risques immenses dans le premier cas, risques moins certains dans le second. L’inquiétude légitime que l’atome soulève chez chacun de nous tantôt s’exprime bruyamment tantôt se fait plus discrète. Elle évolue par poussées et c’est une de ces poussées que l’on peut observer actuellement dans plusieurs pays industrialisés.
L’accident survenu le 28 mars 1979 à la centrale atomique américaine de Tare Mile Island n’est pas encore effacé des mémoires. Il a eu pour effet de mettre en évidence les faiblesses du fonctionnement et de l’entretien d’une telle installation. Cependant, avant même qu’il se produise, les compagnies américaines de distribution d’énergie avaient déjà des doutes très sérieux sur l’avenir de l’électricité d’origine nucléaire.
Non qu’elles soient préoccupées par la sécurité de leurs concitoyens. C’est plutôt le prix de revient de plus en plus élevé du kilowatt nucléaire qui les a dérangées. Résultat, depuis 1978, elles n’ont pas passé de commande de nouveaux réacteurs. Bien plus, 35 commandes passées ont été annulées et la construction de 50 autres centrales a été retardée. Plusieurs centrales en cours d’achèvement ont vu les travaux interrompus, alors que des millions de dollars avaient déjà été dépensés.
Ces décisions s’expliquent par des facteurs techniques. En janvier dernier il s’est produit un nouvel accident dans une centrale nucléaire. A cette occasion on s’est aperçu que plus de la moitié des centrales en service présentaient le même défaut  : l’usure prématurée de la tubulure des générateurs.
L’autre raison pour laquelle on ne construit plus de réacteurs est que la demande d’électricité a cessé de croître comme prévu. Depuis 1973 elle n’augmente que de 2,5 % par an contre 7,5 % avant cette date. En 1981 elle n’a pratiquement pas varié par rapport à 1980 .

LES PEACENIKS

C’est le nom qu’on donne outre Atlantique aux partisans de la paix qui, depuis quelque temps, se font de plus en plus souvent entendre. Qu’on en juge.
Plus de 140 parlementaires (sur 435) se sont ouvertement déclarés en faveur d’un arrêt de la course aux armements nucléaires entre les USA et l’URSS. Dans tout le pays, des pétitions ont été signées par plus d’un million de personnes. En Californie, le seuil des 500 000 signatures a été atteint ce qui veut dire qu’en novembre prochain le problème sera obligatoirement soumis à l’opinion de tous les électeurs qui pourront se prononcer lors d’un scrutin.
La Croisade pour la Paix s’organise. Déjà, elle compte plus de 75 groupes qui informent le public sur les dangers d’une guerre nucléaire qui, pour la première fois de l’histoire porterait l’horreur sur le sol national. Parmi les personnalités !es plus remarquées au sein de ces groupes on trouve des ecclésiastiques de toutes les confessions. L’archevêque catholique de Seattle a déclaré qu’il ne verserait que la moitié de son impôt sur le revenu pour protester contre le réarmement américain. Un évêque du Texas exhorte les ouvriers catholiques travaillant dans les usines d’armement atomique à chercher d’autres emplois pendant qu’une organisation collecte des fonds pour secourir les ouvriers qui se retrouveraient ainsi au chômage.
Fin mai, des offices religieux seront célébrés pour la paix dans 3 000 églises et synagogues du pays et prépareront la voie à la Journée Mondiale de la Paix qui doit avoir lieu le 12 juin à NewYork en présence de délégations venues du Japon et d’Europe occidentale.
Il est temps que les peuples de toutes les nations du monde, sans exception, fassent pression sur leurs dirigeants pour les ramener à la raison et mettre un terme à la folie collective qui risque de précipiter l’humanité dans sa dernière aventure.

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Au fil des jours

par H. MULLER
juin 1982

REVOLUTION MONETAIRE

Signalée comme un événement relativement mineur, la mise en service à Lyon, CAEN et BLOIS, de cartes de paiement à mémoires, équipées de micro-fusibles, constitue l’amorce d’une véritable révolution monétaire. Chargée d’un certain crédit prélevé sur le compte « avoir » du titulaire, cette carte à circuits intégrés s’en décharge au fur et à mesure des achats, se positionnant dans un lecteur qui enregistre à la fois le débit du client et la recette de son fournisseur.
Quand les gens auront pris l’habitude de cette monnaie électronique, de cette carte que l’on « approvisionne » à la banque et qui se vide en fonction des paiements, alors naîtra la «  monnaie de consommation ». Il suffira de neutraliser dans le lecteur de carte le dispositif transfert débit-crédit et de remettre à chaque consommateur, salariés et non salariés, producteurs et distributeurs, sa propre carte de paiement. Ainsi seront supprimés les mouvements d’argent d’un compte à un autre, chaque personne adulte ayant le sien crédité périodiquement selon un barème à définir à l’intérieur de chaque profession, libre de « charger sa carte à concurrence de ses besoins hebdomadaires ou mensuels, de son revenu ou de son avoir.
Gagée sur un ensemble de valeurs d’offres rendues indépendantes des coûts, la monnaie de consommation distribuée en guise de revenu, devient le revenu lui-même. Ce revenu mis en place selon de nouvelles conventions, doit répondre à de nouveaux critères tenant compte dans une plus large mesure de l’âge et de l’ancienneté, de la qualification de l’individu, de la fonction qu’il remplit, de son utilité sociale, de sa compétence, de son efficacité, enfin de ses besoins particuliers, individuels et familiaux, c’est-à-dire de son revenu antérieur. Il serait en effet maladroit et inutilement cruel de transformer les mieux nantis assurant aujourd’hui des postes de responsabilité, en révoltés victimes d’une révolution qui se veut sans perdants afin d’obtenir ses meilleures chances de réussite, la maintenance à un rythme soutenu d’une production de qualité.
On discerne les immenses simplifications apportées à la vie courante par l’usage d’une monnaie de consommation, celles découlant notamment de la disparition du profit en tant que source de revenus, de la suppression des emplois et organismes dont la seule fonction est, actuellement, d’assurer la circulation de l’argent, la formation des revenus. Gagée par les fruits du travail commun, la monnaie de consommation remplit le rôle d’une monnaie-matière à usages polyvalents. Elle assure la sécurité des familles, moralise les activités, met un terme aux ruineuses concurrences sources de gaspillages. Elle donne le feu vert à la qualité dans l’abondance.
A l’heure où les socialistes sont acculés aux expédients, aux solutions bâtardes pour faire face à une crise qui n’en finit pas, la monnaie de consommation devrait apparaître comme le Deus ex machina propre à résoudre bien des problèmes.

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Premiers melons à 120 F. - Après les asperges à 42 F, les fraises à 60 F, les haricots verts de Haute Volta à 38 F sur les marchés forains de province, c’est au tour du melon à 120 F de relancer l’inflation. Un gouvernement devrait-il laisser le champ libre à une commercialisation de ce genre, insulte à une population effarée d’apprendre qu’il existe une demande à ce prix démentiel ?
Un sondage aurait tôt fait de mettre fin à cette rumeur habilement propagée selon laquelle les producteurs ont l’obligation de faire face aux fantaisies de quelques lots d’acheteurs fortunés, au snobisme accusé, disposant de la faculté d’exercer à leur tour une pression sur d’autres prix, afin de satisfaire leurs envies, leurs lubies. C’est ainsi que de fil en aiguille, de nombreux prix se trouvent chargés, en chaîne, des augmentations apportées au départ à quelques uns d’entre eux, cela, à l’initiative de quelques expéditeurs, grossistes et détaillants.
Le gros des consommateurs attend sagement le mois d’août pour manger du melon. Il n’a que faire des melons poussés en serre chauffée, récoltés en avril. Ce sont les producteurs, toujours à la recherche de prix les plus élevés, qui inventent de telles légendes. Et les commerçants sont ravis de gagner leur journée par la vente de quelques melons à 120 F sans se préoccuper des conséquences sur les autres prix.
Il faut mettre fin au scandale des primeurs affectés de pareils prix. On ne le fera pas en se bornant à constater le fait et à gémir.
Commerce et démocratie n’ont pas tellement d’atomes crochus, sans quoi il y aurait plus d’égard pour une clientèle majoritaire. S’ils sont quelques uns à réclamer du chevreau à 60 F, infiniment plus nombreux sont ceux dont la demande se situe bien au-dessous d’un tel prix. Les intérêts du commerce s’opposent, en permanence, à ceux de la grande majorité des consommateurs qui subissent le dictat des prix. Politiquement, les gens du négoce accordent leurs suffrages aux candidats de ces minorités qui achètent n’importe quoi à n’importe quel prix, font la vie chère et alimentent l’inflation.

(Extraits de « Bloc-Note économique »)

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Association

par M. DUBOIS
juin 1982

J’AI évoqué dans ces colonnes,dernièrement, le livre de LouisPAUWELS intitulé « Lettre ouverte aux gens heureux et qui ontbien raison de l’être ». Il s’agissaitsurtout de confronter avec les réalités les opinions de l’auteur sur lapollution (selon lui, c’est un mythe).
Je voudrais aujourd’hui revenir sur cet ouvrage, mais sous un autre angle : celui des problèmes du Tiers Monde, également traités dans le livre de M. Pauwels.
A vrai dire, l’entrée en matière sera rigoureusement identique puisque dès le prologue nous sommes prévenus :
« Aliénation - pollution - surpopulation sont des mythes. La grande injustice faite au Tiers Monde est aussi un mythe. »

LES IMPOSSIBLES SOLUTIONS

Bien. Ceci posé (avec toujours cette évidente volonté de choquer) M. Pauwels n’en reconnaît pas moins lui-même que (pages 73 et 74) :
« L’Europe colonialiste a maintenu le Tiers Monde dans son passé. ...Les choses étant ce qu’elles sont, la grande affaire du siècle est que le Tiers Monde sort de l’éternité. Nous l’y avons finalement incité. Mais cette grande affaire est aussi une grande tragédie. En juin 68, les Nations Unies ont publié un livre politique essentiel. C’est un rapport statistique de 784 pages. On y voit que l’écart entre pays riches et pays pauvres, au lieu de se réduire, s’aggrave. La raison principale est que notre technologie rend de moins en moins nécessaire les matières premières dont le Tiers Monde est vendeur. »

Ouvrons une parenthèse pour rappeler que cette citation date de 1971 mais que 10 ans plus tard, en dépit des chocs pétroliers et des hausses de matières premières, l’écart entre riches et pauvres s’est encore creusé.
Mais revenons au livre :
« En 2000, l’exploitation des richesses minières et pétrolifères du monde développé, terres et océans, la fabrication des produits de synthèse, les conversions de l’énergie nucléaire, feront que l’Amérique, la Russie, et avec un peu de chance l’Europe, pourront se passer quasi totalement du Tiers Monde. Ceci n’est pas de la stratégie offensive. C’est le poids des choses.
Le poids des choses, c’est aussi que l’analphabétisation des pays pauvres ne diminue pas avec l’indépendance ; elle augmente. Il y a huit cent millions d’illétrés au moment où Brejnev annonce la formation en 5 ans du dix millionième ingénieur soviétique. »

Après avoir ainsi reconnu les drames du Tiers Monde, Louis Pauwels fait le procès des fausses solutions.
« Le romanesque historique (GUEVARA) n’embellit pas l’histoire  : il la travestit. L’illusion lyrique (la COMMUNE) ne galvanise pas les énergies : elle les gâche. On n’oppose pas à une société l’indignation on lui oppose une autre société.  »

Voilà au moins un dernier point sur lequel nous sommes d’accord, encore que l’indignation consécutive à la prise de conscience d’une injustice soit souvent le déclic qui permette précisément la recherche des vraies solutions.
Ce qui irrite Louis Pauwels, c’est l’indignation stérile ou snobinarde, et il n’est pas tendre à l’égard de ceux qu’il soupçonne, à tort ou à raison, de s’y laisser entraîner. Ainsi s’explique cette violente attaque contre l’écrivain Bernard CLAVEL :
« Alors ST CLAVEL s’avance, déliant la société, la poitrine offerte aux balles de l’ennemi de l’homme. Avec 40° de fièvre, il va d’abord mourir pour le peuple, dans un chambardement extatique. Puis il ressuscitera le 3e jour pour le sauver. »

Effectivement, M. Bernard Clavel s’est préoccupé des problèmes du Tiers Monde et, en 1970, il a publié aux Editions Laffont un livre intitulé « Le massacre des Innocents  ».
Cet ouvrage est un témoignage, constitué par un échange de lettres entre l’auteur et le représentant sur le terrain de la fondation « Frère des Hommes ». Cette oeuvre se donne pour mission de sauver le plus grand nombre possible de ces malheureux bébés et gosses du Tiers Monde, dont Bernard Clavel nous révèle, avec une sobriété exemplaire, l’atroce calvaire. Et il sait déjà donner une première signification à son indignation puisqu’il abandonne la totalité de ses droits d’auteur sur ce livre à la fondation. De plus, Bernard Clavel aborde ce drame avec des réactions que nous ne saurions désavouer. En voici quelques-unes, parmi d’autres :
« Non il n’est plus l’heure de faire la charité, mais l’heure de rendre justice...
Cet hiver, dans un hôpital de Marseille, une fillette de 4 ans est morte parce qu’elle est atteinte d’une maladie très rare. Cette maladie est si rare que pour des raisons de rentabilité - tu as bien lu, de rentabilité - on n’a pas encore pu entreprendre de recherches qui donneraient un remède. Ce que nous voudrions, c’est qu’on nous parle aussi de rentabilité pour les recherches entreprises dans le domaine de la destruction du monde...
Il y a encore en Europe, comme ailleurs, pas mal de négriers. Peu importe pour eux la santé ou la vie d’un gamin, ils ont leurs problèmes de fric. Ils travaillent dans un monde où le mot rentabilité efface souvent le mot humanité...
En mai 68, quand j’ai vu les étudiants et quelques autres jeunes se lever en masse pour contester une société de consommation, j’ai eu un grand espoir. Un mois plus tard je le perdais en constatant que leur mouvement ne songeait même pas à contester l’essentiel de ce qui est contestable : l’injustice qui fait que l’on peut ici se plaindre de l’abondance et, à deux pas, crever de faim. »

UN POINT DE RENCONTRE

En dépit de cette excellente analyse, Bernard Clavel, tout au moins à ma connaissance, ne propose aucune solution constructive pour aller au-delà de ces opérations de sauvetage qui, pour spectaculaires et admirables qu’elles soient, me rappellent le vieux proverbe chinois « Si tu donnes un poisson à un malheureux, tu lui tires un repas. Si tu lui apprends à pêcher, tu le sauves de la famine pour toute sa vie ».
Quand à Louis Pauwels, il écrit : « je pense fermement que la seule chance du Tiers Monde, marxiste ou pas, est dans le compromis avec la surpuissance occidentale. Je pense tout aussi fermement que le progrès passe par le néocolonialisme, à base de bonnes affaires réciproques. »

Nous connaissons, hélas, ce que peuvent être pour les plus déshérités, dans une économie de profit, les bonnes affaires réciproques, et si cette solution avait été la bonne il y a belle lurette que toutes les difficultés du Tiers Monde seraient résolues.
Et pourtant, en dépit de tout ce qui précède, c’est paradoxalement dans le livre de Louis Pauwels que j’ai trouvé les idées sur lesquelles pourraient se rencontrer ces deux hommes si différents dans leurs réactions, mais également ouverts au grand drame de leur siècle. Lisez plutôt :
Page 88 : « Ce monde sur-industriel dégage des ressources limitées. Le problème d’une répartition juste de richesses sans fin se pose. Par exemple Buckminster FULLER et son équipe de l’Université de CARBONDALE étudient les moyens de passer d’une économie marchande à une économie de distribution pure et simple. Mais ce problème se pose tout autrement que dans le monde ancien, où l’on se basait sur des notions de paupérisation totale. Et en effet, comme le prévoyait Lénine, la violence a cessé d’être un moyen et une méthode de progrès.  »

Bravo, le voilà enfin le terrain de rencontre pour une action constructive vraiment efficace. D’autant plus que Louis Pauwels développe longuement cette idée en annexe :
Pages 149 et 150 : « Ni l’eau, ni l’air, ni les métaux, ni l’énergie, ni la nourriture, ne risquent de manquer à la planète. Là dessus, toutes les études de futurologie basées sur les cycles sont formelles...
Parmi les espoirs, je crois en ceux-ci :
- l’abaissement constant du prixdes produits de consommation,
- un revenu de base pour tous les hommes des pays post-industriels, de l’ordre de 5 000 F du pouvoir d’achat actuel (en 1971),
- une liberté complète d’expression et une liberté complète d’utilisation des sources d’information.
Ce revenu de base et ce temps de travail, si l’on se fixe sur le taux de croissance normal actuel, peuvent paraître relever de l’utopie. Nous n’entrons pas dans un monde de taux de croissance normal, mais dans un monde de points de rupture en séries et d’énormes bonds technologiques. Déduire le revenu de la société postindustrielle du revenu de la société industrielle présente, c’est comme si l’on avait déduit le nombre des transistors en 1970 du nombre des postes à lampes en 1930. Quant à la semaine de 20 H, elle est déjà en experimentation dans plusieurs entreprises.
Les sociologues se demandent avec angoisse ce que l’homme moyen fera de son temps libre. Mais tout porte à croire que l’homme moyen a plus de ressources en lui-même et d’intelligence de la vie que n’importe quel sociologue... »

Pages 152 et 153 : « Je crois à un monde d’abondance, de vie enrichissante pour tous, et de libertés... Je crois à un monde moyen où l’homme moyen aura la faculté de vivre abondamment selon ses facultés de vivre personnelles. Je ne vois pas d’inconvénients à ce que des grands organisateurs se tuent de responsabilités et de charges, si ça leur plaît, pour avoir un yacht stratosphérique ou un château sur Vénus. Si un monde de richesses et de loisirs pour tous est promis, les pays que le délabrement mental, l’allergie au futur auront conduit à se retirer de la course au développement, subiront un sort analogue.
Pour que la grande technologie libératrice fonctionne, il faut une humanité consciente des valeurs et des promesses du progrès. Une société de découragement, comme dit Maurice DRUON à propos de la société intellectuelle française, risque d’être absente le jour de la distribution des prix de l’effort...
Mon cher ami, l’absolue nouveauté c’est une société qui ne prétend pas vous donner des raisons de vivre. _dais qui vous donne assez de moyens matériels et d’informations, assez dé temps et de libertés, pour que vous en puissiez découvrir une à votre choix. Dieu ou une collection de f faiences, la chasse au colibri ou votre perfectionnement intérieur, le tir ou l’équitation, les mathématiques ou l’homosexualité, etc...
- Mais si en moi-même et dans ce monde je ne trouve pas de raison de vivre ?
- La grande société distributrice et tolérante tolèrera aussi votre suicide... ».

Alors, pourquoi vous chamailler, MM. CLAVEL et PAUWELS, si la grande société distributive et tolérante vous attend l’un et l’autre ? Pourquoi ne pas plutôt unir vos efforts pour hâter sa construction et préciser ses structures ? Abandonnez en choeur l’économie marchande et ses contradictions inextricables. Et surtout, à propos des drames du Tiers Monde, n’oubliez pas que l’Economie des Besoins est le seul système qui permette enfin « d’apprendre à pêcher » aux pays en voie de développement. Pourquoi ? Parce que dans cette économie, les hommes auxquels nous livrerons les clés de nos technologies les plus avancées ne seront jamais des CONCURRENTS, mais des ASSOCIES, auxquels il deviendra possible d’apporter le bien-être et le confort sans abandonner quoi que ce soit de nos propres commodités et sans quête dominicale dans les rues. Il n’y aura pas de bonnes affaires réciproques, mais réciprocité de bons services rendus entre partenaires enfin attelés à la grande tâche commune : l’épanouissement de l’Homme.

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Le commencement de la fin

par P. LECOCQ
juin 1982

INFLATION, dévaluation, chômage sont les syndromes de l’agonie du système d’économie de marché dit «  Capitaliste ». Les lois élémentaires de l’arithmétique sont bafouées au point qu’on admet comme axiome qu’un Etat ne peut faire faillite, alors que les faits prouvent le contraire. Le déficit budgétaire de la France prévu pour 1982 sera de 115 milliards de francs. Celui des Etats-Unis de 130 milliards de dollars (800 milliards de francs). L’endettement de la France en 1983 frisera les 200 milliards. Vingt pays débiteurs des banquiers américains sont incapables d’honorer leurs échéances. Leur dette globale avoisine 150 milliards de dollars. Quant aux pays en voie de développement, ils ne peuvent même pas régler les intérêts des capitaux empruntés ! La Pologne et la Belgique sont en état de faillite virtuelle. En France, les entreprises qui avaient emprunté à long terme à 8 % doivent rembourser aujourd’hui alors que les taux sont à 17 %. Le Crédit Agricole a accordé en 1981 19 milliards de prêts aux agriculteurs. Un grand nombre de ceux-ci sont dans l’impossibilité de rembourser. 80 000 d’entre eux parviennent tout juste à rester à flot. 40 000 sont dans une situation désespérée. Les Etats-Unis, le pays le plus riche du monde, connaît une récession profonde et son taux de chômage est plus élevé qu’en 1929. La vente des voitures a chuté de 60 % et celle des logements de 50%. Les 320 000 employés de la Général Motor ont accepté une réduction de 9 jours de congé et le gel de leurs salaires jusqu’en septembre 1984. La Grande-Bretagne bat tous les records européens du chômage : 3 millions et demi. En Belgique, qui a pourtant adopté la semaine de 35 heures, 12 % de la population active est en chômage (9 % en France). Comme gâchis, il n’y a que les pays communistes pour faire mieux  !
Tous les palliatifs employés pour sortir des crises précédentes sont sans effet aujourd’hui. L’arsenal le plus sophistiqué mis au point par de « distingués économistes » bouffis d’autosatisfaction, est incapable de juguler les évasions de capitaux, les spéculations qui font vaciller telle ou telle monnaie pour aboutir aux dévaluations. Ils essayent d’arrêter la hausse des prix en ralentissant les achats des entreprises et des particuliers en portant le taux de l’argent à des valeurs usuraires dont seuls profitent les spéculateurs qui transfèrent leurs masses de capitaux flottants là où ils sont le mieux rémunérés. L’argent n’a pas d’odeur mais il n’a pas de patrie non plus !
Les dirigeants du monde sont incapables de maîtriser les forces que les apprentis sorciers ont libérées. Ou ils sont asservis par le système, ou ils sont incompétents. (De Gaulle ne disait-il pas que les Japonais n’étaient que « des petits vendeurs de transistors »). Nos technocrates proclament : «  Il faut créer des emplois ». Quels emplois ?? Ou bien il y a du travail, donc un besoin de main d’oeuvre, et on emploie des chômeurs  ; ou il n’y a pas de travail et alors on peut se demander si créer des emplois signifie : pour faire du travail inutile ? L’emploi est la CONSEQUENCE du fait qu’il y a quelque chose à faire, mais il n’en est pas la CAUSE. « Une conséquence est fausse lorsqu’elle ne résulte pas bien des prémisses ». C.Q.F.D.
Or, que passe-t-il ? Les microprocesseurs remplissent de plus en plus les tâches répétitives. Dans les prochaines années la production va s’intellectualiser du haut en bas de l’échelle hiérarchique. Nous ne sommes qu’au début de l’Ere du Robot et déjà nous constatons qu’ils prennent de plus en plus la place des hommes. La British Steel Corp. produit autant d’acier qu’autrefois avec 40% de main d’oeuvre en moins. En France, au lendemain de la guerre, le textile et l’habillement employaient 1 200 000 personnes. Aujourd’hui, les effectifs sont ramenés à 550 000. Cette diminution est liée à l’amélioration des techniques et de la productivité. On s’achemine vers des usines automatiques qui réduisent la main d’oeuvre dans la proportion de 5 à 1. Dans l’industrie automobile, tout le monde a pu voir à la télévision les chaînes robotisées. Et on pourrait multiplier les exemples dans n’importe quelle branche de l’industrie.
La technologie progresse à pas de géant et ce mouvement est bien entendu irréversible. On imagine mal le retour au travail à la pioche à la place du marteau piqueur, au pinceau au lieu du pulvérisateur, à la traction animale au lieu du moteur et à la bougie au lieu de l’électricité.
La vérité qu’il faut proclamer, puisque nos politiciens n’ont pas le courage de le faire, c’est que LE CHOMAGE EST INTRINSEQUEMENT TECHNOLOGIQUE ET QU’IL SERA DESORMAIS ENDEMIQUE dans l’économie de marché. Tant mieux si l’Homme est enfin libéré de la malédiction de « gagner son pain à la sueur de son front ». Le mot chômage devra disparaître avec ce qu’il évoque de peines physiques et morales. Mais pour cela, il faut que le monde change avant qu’il soit trop tard.
L’ECONOMIE DISTRIBUTIVE EST L’ALTERNATIVE QU’IL FAUT SAISIR car il n’y a actuellement RIEN d’AUTRE ! Déjà en France, le tiers des revenus disponibles des ménages provient des prestations sociales allouées par les mécanismes de redistribution. Mais soyons sans illusions. Ce sera long et difficile car les puissances d’argent et les idéologies s’opposeront de toutes leurs forces à cet avènement. Leur loi n’est-elle pas : « Périsse l’Homme plutôt que le profit » ?

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À propos du projet Hunebelle

par D. BLOUD
juin 1982

SI le distributisme était appliqué, il est certain que les hommes seraient d’emblée dans des conditions idéales pour rechercher le meilleur moyen de s’alimenter en nourritures de plus en plus élevées, à partir du moment où le problème aurait été résolu...
... Il y a un aspect de philosophie sociale, de sociologie même, qui me paraît très intéressant et utile c’est une réflexion qui analyse et dissèque parfaitement les faits actuels et qui dépasse à mon avis en profondeur les analyses marxistes ou keynésiennes traditionnelles. C’est la France profonde, intelligente, logique et fraternelle qui se manifeste à l’évidence dans « La Grande Relève »...
... La France ne croit plus au capitalisme mais ne trouve rien d’autre pour le remplacer qu’un certain « socialisme » qui fait du distributisme à la petite semaine (ils y viennent). Ce qui me paraît sympathique en France c’est finalement que la crise peut entraîner une réflexion véritable, donc la mise à l’épreuve des idées ultramodernes de Jacques Duboin. Mais pour l’instant l’atmosphère est plus difficile à respirer qu’en Suisse, hélas ! Est-ce le prix à payer pour la gestation d’une France nouvelle, plus égalitaire, plus libre et plus fraternelle, comme nous le souhaitons tous au fond de nous-mêmes ?
... En fait l’Etat se voit contraint peu à peu, par les nécessités, de taire du distributisme sans le savoir, sans l’avouer, tout simplement parce que c’est inéluctable, inévitable ; parce que la société future, automatisée, ne pourra pas survivre sans donner à sa population les moyens d’acheter la production des machines. Le rêve élitiste et cynique des capitalistes attardés serait de « dégraisser » l’entreprise de tout l’élément coûteux, contestataire, irrégulier, fatigable, pour le remplacer par une chaîne automatique, réduisant les frais de production à un minimum, pour un profit maximal. Mais ce raisonnement primaire oublie la question du marché et n’intègre pas ce rêve dans un modèle économique global. Au niveau planétaire l’on retrouve la même inconscience bornée...
...C’est toujours le même système à courte vue, à court terme, qui ne voit que le plus immédiat et qui ne tient pas compte de l’intégration du système. «  Pour produire, il faut donner aux hommes « les moyens d’acheter  » : cette loi évidente, logique, vraie, devra peu à peu s’imposer aux chefs d’entreprise et d’Etat jusqu’à ce que finalement ils l’appliquent systématiquement, consciemment, ayant enfin (sera-t-il encore temps ?) compris sa justesse : ce sera le distributisme organisé...
...Mais combien d’amères expériences ; d’années d’essais et erreurs seront nécessaires pour que l’Etat redécouvre empiriquement les lois que Jacques Duboin avait autrefois formulées si clairement ?...
... Un phénomène de polarisation dialectique se manifeste de plus en plus et va obliger les hommes à effectuer un choix entre deux pôles, qui sont en eux-mêmes : le pôle du mal poussé à l’absolu par la logique interne des systèmes informatiques ou celui du bien, qui peut de même être développé par les machines, qui sont neutres et obéiront aux ordres donnés. D’où finalement, n’en déplaise à ceux que cela gêne, l’obligation de considérer le problème MORAL de la distribution, celle-ci pouvant être le pire ou le meilleur des systèmes selon que le partage est fait fraternellement, équitablement, collectivement, ou au contraire, fait perversement, cyniquement, égoïstement, sur le principe « plus j’en ai mieux ça vaut et tant pis pour les autres » bien connu. Toute idée, même généreuse, peut être récupérée et transformée en son inverse si l’intention morale est différente. Je crois que cette réflexion est nécessaire et utile parce que la lecture de la revue m’a parfois laissé quelques impressions d’optimisme presque naïf quant à la nature humaine. Je crois qu’il faut être prudent et réaliste, et tenir compte de tous les cas de figure possibles, dont les pires...
... Je ne crois qu’au travail concret, à l’exemple même individuel, donné aux autres pour éclairer un chemin. C’est pourquoi le Plan Hunebelle me paraît être la meilleure chose qui soit sortie du distributisme depuis -1934 dans la revue. C’est sur ce plan et non sur des analyses du type commentaires amers de la réalité qu’il faut se concentrer. Comme vous le dites dans un dernier numéro : « il faut agir ». Il est illusoire d’attendre des aides extérieures et même le Plan Hunebelle me paraît entaché d’une certaine naïveté quand il croit pouvoir faire appel aux pouvoirs publics pour l’aider à se développer... Cette incurable tendance à faire pression sur les gouvernants pour leur faire accepter des idées très radicales n’a jamais pu être perdue malgré les démentis historiques. Même si l’idée devait être acceptée et reprise par un gouvernement, ce qui est très hypothétique, elle serait automatiquement récupérée, déformée, transformée, pour qu’on ne puisse pas dire qu’elle a été reprise de quelqu’un d’autre. C’est ce qui se passe pour la plupart des découvertes faites par des non-officiels, qui sont reprises sous un autre nom et une autre forme. Rien ne serait plus facile que de reprendre ainsi le Distributisme sous une autre terminologie et une autre morale !
« Je pense qu’il faut donc passer à l’action dans la légalité mais sans attendre de quelconques aides gouvernementales. Si elles se produisent, tant mieux. Il faut rester pilote libre et maître de l’application orthodoxe des idées de J. Duboin, ce qui ne serait plus le cas en cas de braderie aux officiels. L’idée suggérée par un lecteur de créer une sorte de kibboutz ou d’atelier communautaire me paraît être la bonne : je crois qu’il faut privilégier la production pour pouvoir ensuite redistribuer...
« Il existe en France des groupes marginaux qui parviennent ainsi à vivre sans presque aucun contact avec l’extérieur et qui se développent.
Je crois qu’il serait utile d’envisager une sorte d’interconnexion entre tous les mouvements à vocation d’autonomie ; même s’ils ne pratiquent pas encore une économie purement distributive, afin de regrouper les bonnes volontés, qui ont toutes en commun de lutter contre un système officiel décadent et condamné. Certaines communautés existantes pratiquent peut-être sans le savoir ni le nommer un distributisme spontané ou larvé, qu’il suffirait alors de redresser et d’améliorer pour offrir le noyau d’un futur réseau...
...Il serait peut-être possible de commencer par acheter collectivement, par souscription, un vaste domaine exploitable, qui permettrait d’abord à de nombreux chômeurs de travailler et de manger, ce qui est le plus urgent. Ce projet de communauté agricole est possible parce qu’il en existe déjà beaucoup par ailleurs. Au lieu d’envisager d’emblée que toute la France passe à l’économie distributive avec les mêmes structures, le même réseau fondamental, je crois qu’il serait sage de radicaliser vraiment les idées et de penser à une décentralisation, la plus poussée possible, sur la base d’unités de production autonomes, pouvant par la suite envisager des échanges, des trocs (spécialisation par région naturelle).
Le plus urgent me paraît être de regrouper toutes les bonnes volontés dispersées et de faire circuler l’information. Les chômeurs ne doivent pas automatiquement exiger de retrouver les mêmes conditions de vie et de travail qu’auparavant. Il faut accepter un changement de vie radical.
Les chômeurs constituent une population de type industriel, en général spécialisée et adaptée aux structures que nous refusons. Il nie semble donc qu’il leur faudra passer en général par une phase de réadaptation, par un recyclage en profondeur. Cela n’étant pas seulement vrai pour les chômeurs mais pour nous tous, pour ceux qui un jour comprendront l’impasse désastreuse du système actuel et voudront passer dans l’autre système, fraternel, distributif : personne ne pourra le faire d’emblée, sauf peut-être les paysans véritables (non industrialisés), les vrais artisans, tous ceux qui ont conservé un savoir-faire traditionnel, non industrialisé.
Tout à fait d’accord avec votre formule : « Le monde marchand vous élimine, refusez-le ! ». Mais il faut aller jusqu’au bout de cette idée : refuser ce monde, c’est aller vers un autre univers, donc modifier de fond en comble toute sa mentalité, ses habitudes, éventuellement sa profession et son activité.

-« o »-

Parfaitement d’accord pour penser qu’une des meilleures façons d’agir est de se prendre par la main et s’organiser en économie distributive sans attendre l’aide de l’Etat... Mais ces communautés distributives se placent alors dans des conditions matérielles souvent difficiles car elles sont privées de moyens techniques gigantesques qui existent et rendent aujourd’hui possible la libération de l’homme. Ces communautés doivent donc être considérées comme une démonstration de ce que la fraternité peut réaliser et d’un mouvement de masse qui peut, en les réunissant, imposer l’accès de tous aux moyens modernes par une économie distributive généralisée.

M.-L. D.

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Tribune libre

Questions monétaires

par R. THUILLIER
juin 1982

DEVANT la permanence de l’inflation, qui touche toutes les classes de la société, les problèmes concernant la monnaie ne cessent de préoccuper les économistes... et le grand public.
Chacun tente d’en donner une explication plus ou moins convaincante. Bien entendu, les remèdes proposés restent dans le cadre de l’Economie marchande.
En ce qui nous concerne, nous sommes convaincus que, seule, une Economie Distributive, supprimant la « civilisation du gain », pourrait remettre la monnaie à sa place réelle, c’est-à-dire « Etalon de valeur fixe constituant un pouvoir d’achat constant  ».
On peut constater, pourtant, que c’est par l’inflation généralisée que le capitalisme se sauve temporairement.
Cependant, avant qu’une Economie Distributive soit instaurée, il n’est peut-être pas inutile d’examiner les diverses études qui, tout en restant dans le cadre du régime, tentent de rendre la monnaie à sa fonction normale.
On constate, tout d’abord, que la plupart de ces projets posent comme condition primordiale la constitution d’une monnaie intérieure, non transférable. Ce n’est pas une nouveauté puisque, dès à présent, il est peu de pays qui ne l’ait adoptée. (Essayez de voyager un peu dans le monde, vous verrez  !).
Mais, parmi les divers projets qui nous sont proposés, certains adoptent des solutions qui, sous certains aspects, s’apparentent à ce que nous avons adopté pour une E.D.
C’est ainsi que le Centre d’Echanges Lamennais (1) suggère une Monnaie de Consommation.
Elle serait constituée par des billets millésimés, à validité limitee à deux années. Consacrée uniquement aux ventes au comptant, et dénommée Monnaie Manuelle. Seuls les commerçants pourraient la verser à leurs comptes bancaires.
Mais ce qui nous paraît une nouveauté, c’est la définition de l’unité monétaire. Dénommée Franc Travail elle serait basée sur la rémunération d’une heure de travail d’un smicard. Elle constituerait donc un étalon monétaire à la fois fixe, mais de valeur variable.
Pour permettre la circulation des capitaux, une taxe de stagnation pénaliserait les soldes bancaires excessifs.
Nous ne signalons ce projet qu’en raison de son originalité. Il en existe bien d’autres.
Mais serait plus simple la monnaie de consommation, qui serait instaurée par une Economie Distributive ! Nos lecteurs la connaissent puisque la Grande Relève la décrit dans ses pages de couverture.
Il est vrai que le problème, pour nous, consiste en l’installation de cette Economie Distributive.

(1) 6, rue Saint-Thomas à Rennes.

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