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Editorial
LA décolonisation politique, qui vient pratiquement de s’achever avec l’accession du Zimbabwe à l’indépendance, a malheureusement été suivie à peu près partout d’une colonisation économique plus pernicieuse, plus diffuse et certainement pas moins nocive. L’aide des pays industrialisés aux pays en voie de développement, parce qu’elle était plus dictée par l’intérêt des premiers que par les besoins des seconds, a conduit ces derniers à orienter leur production vers l’exportation et non vers la satisfaction des besoins vitaux de leurs populations.
La situation actuelle
Le résultat est une situation absolument dramatique qu’on peut résumer par deux seuls chiffres en 1975, dans les pays à revenu faible, où le revenu moyen par habitant et par an est inférieur à 1 050 francs français, un milliard deux cent millions de personnes ont une « existence précaire qu’une marge étroite sépare de la catastrophe absolue ». Et la situation de ces pays s’est détériorée dans les années 70 : alors que leur croissance, faible, ralentissait de façon continue, l’aide internationale était plus que contrebalancée par la baisse du pouvoir d’achat de leurs exportations...
Les ressources
Une étude récente vient de faire le point des travaux nécessaires pour nourrir convenablement tous les être humains, d’ici l’an 2000. Tenant compte de ce que la production alimentaire suffisante n’est pas la seule nécessité, mais qu’il faut améliorer la conservation et le traitement des aliments, cette étude, publiée par Nevin Scrimshaw et Lance Taylor, et d’où il résulte, en particulier, que moins de la moitié de la surface des terres cultivables est exploitée, conclut à la nécessité d’investir environ 400 milliards de francs (soit 80 milliards de dollars) dans l’agriculture des pays en voie de développement.
Deux chiffres éloquents
Ce chiffre de 80 milliards de dollars à investir est à
rapprocher d’un autre : de 1973 à 1980, les pays (non pétroliers)
en développement ont emprunté 332 milliards de dollars
et ils ont dû payer pour le service de cette dette, au cours de
la même période, 338 milliards de dollars, soit 6 milliards
de dollars en plus que le montant des emprunts obtenus !
Et l’augmentation des taux d’intérêts, lancée par
la politique Reagan, pénalise aujourd’hui encore plus les pays
du Tiers-Monde. Bien plus que l’augmentation du prix du pétrole.
Les pays en développement sont obligés de chercher 100
milliards de dollars par an pour payer le service de leurs dettes.
L’impasse
C’est ainsi que l’économie de marché conduit le monde dans une impasse : le quart de sa population est menacé de mort, ses ressources naturelles sont pillées par l’ignorance des uns et la cupidité des autres, tandis qu’on dépense un million de dollars par minute (plus de 500 milliards de dollars par an) pour des armements monstrueux. Nous sommes dans une situation explosive.
Des voix s’élèvent
Le salut ne peut venir que de l’abandon des règles édictées
par la finance, au plan mondial.
Citoyenne du monde, je me réjouis de constater que de toute part
des voix s’élèvent en ce sens.
Lesquelles seront entendues ?
Celles qui font appel au désir de justice et d’équité,
telle la déclaration faite à l’issue de la sixième
session extraordinaire de l’O.N.U., réclamant un nouvel ordre
économique mondial pour substituer au système actuel «
caractérisé par l’injustice, la domination, la dépendance,
l’égoïsme et une aide... mal conçue » de nouvelles
règles du jeu fondées sur « la justice, l’égalité...
l’interdépendance, l’intérêt commun et la coopération
» ?
Celles des scientifiques, tels N. Scrimshaw et L. Taylor cités
plus haut et qui soulignent « mais surtout il faudra une plus
grande justice sociale, c’est-à-dire une répartition plus
équitable des revenus au sein des pays en voie de développement
» ?
Celle des économistes, par la « récente prise de
conscience par la communauté internationale des effets négatifs
de l’ancien ordre économique mondial sur les bases productives
de l’économie », comme le souligne K. Dadzie dans «
Scientific American », qui conclut : « l’enjeu de la partie
qui se joue actuellement est important pour les pays industriels comme
pour les pays en voie de développement... La réponse au
problème du développement requiert une politique internationale
de survie de l’humanité, fondée sur une certaine compréhension
mutuelle et des politiques gouvernementales lucides et courageuses »
?
Celles de l’intérêt ? Car, comme le montre A. Angelopoulos,
ancien gouverneur de la Banque nationale de Grèce, non seulement
la limitation du financement permanent des pays du Tiers-Monde conduirait
à un krach financier plus profond que celui de 1929, mais «
deux autres facteurs conduisent l’économie mondiale à
l’impasse absolue : la course aux armements car... au cours des années
80-82, les dépenses militaires doivent augmenter deux à
trois fois plus vite que la croissance économique ce qui apportera
de nouvelles pressions inflationnistes, ... et l’augmentation permanente
des dépenses d’assistance aux chômeurs... qui a des conséquences
néfastes sur l’activité économique ».
*
Le problème est bien posé et il est urgent : c’est l’économie distributive au plan mondial ou la mort.
POESIES, REFLEXIONS ET PENSÉES
Homme d’Etat, changez donc votre pensée
Ennoblissez-la constamment
Pensez Amour, pensez Raison
Désirez le vrai et le juste
Et changez ainsi vos actions.
Qu’elles deviennent réelles créations
Pour l’élévation des consciences.
Alors...
Pour que luise la vraie liberté
Devenez plus qu’un homme, un être,
Un homme d’Etat qui régénère,
Les lois que l’on a galvaudées.
Ne faites pas de ces longs discours
Débités à en perdre haleine
Et toujours sur des pauvres thèmes,
Sans l’essentiel et sans amour.
Délivrez les emprisonnés
Qui le sont, pour aimer leurs frères,
Ceux qui abhorrent l’argent, les guerres
Et qui ne veulent pas tuer.
Soyez le grand chef objecteur
Que votre vérité jaillisse
Afin que les peuples fleurissent
Toute la terre d’un réel bonheur.
Faites le désarmement vous-même,
L’unilatéral, pour montrer
Votre puissance de volonté
C’est cela la victoire suprême.
Vous serez plus qu’un homme d’Etat,
Vous serez alors un grand maître
De la pensée, et qui génère
Des nations enfin sans soldats.
Bannissez à jamais la guerre
Montrez à toutes les nations
Que vous êtes le guide de raison
Pour établir la Paix sur terre.
Voilà vos seuls efforts à faire
Les seuls réels à entreprendre
Pour aider, éveiller et rendre
Les hommes à leur vrai dessein.
Et enfin votre âme assagie
Sera heureuse à tout jamais
D’avoir pu introduire la PAIX
Pour connaître simplement la VIE.
Un exemple à suivre : le Zimbabwe (ex-Rhodésie) veut son
indépendance économique et pour cela il a entrepris de
lever une armée de « soldats-laboureurs ».
L’embryon de cette armée pacifique est formé sous la devise
« réconciliation avec la terre » et est constitué
d’anciens combattants appartenant à deux factions rivales de
l’armée de libération. Les ex-soldats ont troqué
leurs fusils pour des socs de charrue et sont désormais unis
dans la lutte commune pour la conquête de l’indépendance
économique. Leur formation est assurée à l’Institut
Agricole de Kushinga-Phikelela, installé sur près d’un
millier d’hectares de terres riches à environ 90 kilomètres
de Salisbury. On y enseigne la théorie et la pratique de l’agriculture,
de l’élevage et de la gestion agricole. A la fin du cours accéléré
de douze mois un certificat d’agriculture sera délivré
aux étudiants. Ils rejoindront alors les communautés rurales
les plus reculées du pays et enseigneront aux petits paysans
les techniques modernes de l’agriculture et de l’élevage. D’autres
auront pour tâche de créer des coopératives agricoles
modèles. L’objectif est de rendre les communautés rurales
autosuffisantes. L’institut envisage de multiplier ses activités
au fur et à mesure des besoins. Il est appelé à
devenir un centre de formation permanente pour favoriser la réinsertion
des anciens guérilleros, des réfugiés, des soldats
de l’armée nationale du Zimbabwe.
*
Selon un rapport sénatorial présenté le 3 juillet
dernier à la presse, le coût global du chômage en
France s’est élevé en 1980 à 104,2 milliards de
francs (nouveaux) se décomposant en 34 milliards pour les indemnités
de chômage proprement dites, 31 milliards au titre des différentes
interventions en faveur de l’emploi (A.N.P.E., Fonds National pour l’emploi,
formation professionnelle, aides régionales, exonérations
des cotisations patronales, créations directes d’emplois, ...)
et 39,2 milliards de pertes de recettes (8 milliards d’impôts
sur le revenu, 31,2 milliards de manque à gagner pour la Sécurité
Sociale). Ces 104,2 milliards de francs correspondent à un salaire
brut de l’ordre de 4 800 francs qui aurait pu être versé
aux 1 800 000 chômeurs recensés en 1980 (c’est-à-dire
un salaire bien plus élevé que le S.M.I.C.).
Le présentateur du rapport (M. Fosset, sénateur centriste
des Hauts-de-Seine) propose évidemment des solutions pour «
limiter les déperditions financières du sous-emploi ».
Il ne trouve rien de mieux que de « favoriser la poursuite de
la tendance au ralentissement de la productivité globale dès
facteurs « travail et capital » en freinant le mouvement
de substitution du capital au travail ».
Encore un qui voudrait voir balayer les rues avec une brosse à
dents.
*
Ce brave sénateur n est pas au bout de ses peines : au cours d’un congrès sur la micro-électronique qui s’est tenu récemment à Ottawa, on a prévu que quarante pour cent des emplois de bureau pourraient être éliminés d’ici à 1990. Bien sûr de nouveaux emplois seront créés par la micro-électronique mais en nombre bien inférieur à ceux qui seront supprimés. V. Leontief, prix Nobel d’Economie et professeur à l’Université de New-York, pense que la seule solution efficace est de réduire la durée du travail et cela, sans diminuer les salaires. C’est, selon lui, possible car la productivité accrue des travailleurs compensera la réduction des heures de travail. Il a rappelé qu’entre 1870 et la seconde guerre mondiale, le nombre d’heures de travail par semaine était de 72 et qu’il est maintenant passé à 42. Depuis, la baisse s’est ralentie et est pratiquement arrêtée aux Etats-Unis, a-t-il ajouté.
*
On sait que les pays les plus développés se sont lancés dans la lutte contre le chômage en créant de plus en plus d’emplois « tertiaires ». L’économie américaine est en tête du peloton avec trois emplois tertiaires pour un emploi industriel (contre 2 en Europe et au Japon). Dans un livre intitulé « Informatisation et emploi : menace ou mutation ? », M. Christian Stoffaes précise qu’aux Etats-Unis, le nombre « d’hommes de loi » s’est accru de 90 % entre 1970 et 1980, portant la proportion de ceux- ci à 1 pour 3 ingénieurs (soit 20 fois plus qu’au Japon et 5 fois plus qu’en Europe). Selon lui, la société américaine « semble consacrer une part de plus en plus importante de ses ressources à régler ses conflits internes et à régler sa propre activité ». C’est pour l’auteur une conséquence de l’inflation du tertiaire. Allant plus loin, Stoffaes estime que la sortie de cet engrenage peut se faire par l’informatisation et la télématisation des activités tertiaires et par une mutation de la société impliquant « la fin de l’ordre marchand et de la notion de travail-valeur » et l’avènement du temps libre, de l’auto- production et de l’échange convivial.
*
C’est un peu le même point de vue que défend Michel Rocard
lorsqu’il déclare : « L’économie doit primer le
monétaire et non l’inverse. Pour construire une société
plus agréable et accueillante aux Français et à
leurs hôtes étrangers, il faut commencer par le vouloir.
L’économie n’est que de l’ordre instrumental, elle doit être
au service d’un projet social et culturel à dimension internationale
»...
« Le socialisme ne rompra avec le capitalisme que s’il ne prolonge
pas le même mode de production. Aussi la réduction de la
durée du travail doit-elle avoir une finalité autre que
travailler moins : elle met en cause un ordre social car elle peut devenir
un instrument personnel de libération et d’épanouissement
par rapport à l’encasernement dans l’industrie ou l’administration.
Elle doit être considérée à terme sous cet
angle, quitte, dans l’immédiat, à tenir compte des obligations
de l’acte de produire ».
LES pays industrialisés sont tous plus ou moins victimes d’une
crise d’un type particulier qui les affecte depuis plusieurs années.
La responsabilité en a souvent été rejetée
sur les pays producteurs de pétrole qui, par les hausses brutales
et répétées dont ils ont frappé le prix
de l’énergie, ont contribué à déstabiliser
les économies de leurs clients.
Cette crise entraîne une inflation difficile à maîtriser
et un chômage qui s’accroît. Face à ce douloureux
problème, chaque pays réagit à sa manière.
La France vient de choisir une voie différente de celle qu’elle
avait suivie, les Etats-Unis, en élisant le président
Reagan, ont pris une toute autre orientation.
KEYNES
Durant les années 30, la politique mise en oeuvre outre-Atlantique
pour relancer l’économie, fut d’inspiration keynésienne.
Reprenant les grands principes du célèbre économiste
britannique John Maynard Keynes, le gouvernement américain s’efforça
d’accroître la demande en augmentant les ressources de ceux qui
recevaient les plus bas revenus (ou qui n’en recevaient pas), c’est-à-dire
les chômeurs. Il est bien connu que si l’on touche juste de quoi
vivre on ne va pas se permettre de thésauriser. Dans ce cas,
on n’achète pas de l’or ou du diamant mais des biens de consommation
courante. On n’épargne même pas. Tout l’argent reçu
repart donc immédiatement dans les circuits et l’activité
reprend. L’économie s’oriente vers une nouvelle période
de prospérité.
Cette méthode donne des résultats appréciables,
surtout si une guerre mondiale vient confirmer la relance et la transforme
en une véritable euphorie. Ce fut le cas après 1945. La
poursuite d’une économie de type keynésien présente,
cependant, quelques risques. Le plein emploi, par exemple, marque une
étape où il n’est plus possible de continuer à
produire davantage. Les gains de production ne peuvent plus venir que
d’une augmentation de la productivité, et les syndicats s’y opposent
activement. L’inflation tend à s’installer.
LES MONETARISTES
Nous en savons quelque chose. Le gouvernement va donc s’y attaquer
et s’efforcer de réduire la masse monétaire pour maîtriser
l’inflation. C’est un genre où les monétaristes, dont
le chef de file est Milton Friedmann, s’entendent assez bien.
lis recommandent de réduire les revenus en pesant sur les négociations
salariales, en restreignant le crédit, en réduisant les
dépenses publiques, l’aide sociale, les impôts et en abandonnant
à leur sort les petites entreprises en difficulté.
Les mesures visant à diminuer le crédit consistent essentiellement
à relever fortement les taux d’intérêt. La banque
centrale commence et les banques n’ont plus qu’à suivre. Elles
sont en effet en partie responsables de l’augmentation de la masse monétaire
puisqu’elles créent de la monnaie en fabriquant des crédits
ainsi que l’explique fort bien le numéro spécial de «
Que Choisir » consacré à l’argent et dont il a été
parlé dans cas colonnes.
Ces mesures permettent de ralentir l’inflation mais elles freinent en
même temps l’économie qui s’installe dans la sous-production
et le chômage. Le public, qu’il s’agisse des salariés ou
des chefs d’entreprise, est mécontent et on peut assister à
des retournements de situation.
L’ECONOMIE DE L’OFFRE
Pour réussir, on le voit bien, la doctrine monétariste
doit être appliquée de façon autoritaire, comme
c’est le cas au Chili. Dans nos démocraties, elle a peu de chances
d’aboutir. C’est pourquoi les Américains ont envisagé
une autre solution. C’est l’économie de l’offre.
Pour les nouveaux économistes, les méthodes de Keynes
ont mené à la stagnation économique accompagnée
d’inflation parce qu’elles cherchaient à accroître la demande
globale en accroissant les dépenses publiques avec, en compensation,
une augmentation des impôts qui freine les producteurs donc l’économie.
Ce qu’il faut faire, c’est accroître l’offre par une réduction
d’impôts qui incite les producteurs à produire et les acheteurs
à acheter.
Mais une réduction des impôts entraîne une réduction
des dépenses publiques, et, d’abord, des dépenses d’aide
sociales jugées improductives. Il faut accroître les revenus
des riches car les riches épargnent et aident ainsi à
résorber le déficit budgétaire causé par
les réductions d’impôt en même temps qu’ils financent
l’investissement des entreprises. Tant pis pour les idées généreuses
de redistribution de la richesse. Et si seuls les pauvres sont mécontents
tout le monde sera d’accord pour les faire taire.
L’avenir de l’économie de l’offre ne peut nous laisser indifférents,
car, si elle réussit, au moins partiellement, elle ne tardera
pas à devenir le modèle pour l’Occident.
Soit dit en passant
IL en avait gros sur la patate Giscard, et on le comprend, le jour
de son dîner d’adieu à l’Elysée en mai dernier.
Selon le JOURNAL DU DIMANCHE qui nous rapporte ses propos, l’ex-président
s’est plaint avec amertume des obstacles dressés par M. Ceyrac
et ses amis du grand patronat devant ses projets de réforme :
« Au fond, a-t-il dit à M. Chaban-Delmas, ce sont les mêmes
forces réactionnaires qui nous ont empêché vous
et moi de mener à bien les évolutions sociales nécessaires.
Elles ont d’abord ruiné votre « Nouvelle Société
», puis elles m’ont paralysé et enfin abattu. »
Mitterrand l’a échappé belle. Giscard a peut-être
raison mais il est injuste. Ce n’est pas drôle tous les jours,
allez, d’être chef d’entreprise, petite, moyenne ou grande, même
en régime libéral avancé, par ces temps de guerre
économique. Il y a des frais. Les campagnes électorales
reviennent souvent, et ça coûte cher pour faire élire
les bons candidats. Et puis les repas d’affaires sont devenus hors de
prix. On a de plus en plus de mal à être compétitif
surtout depuis l’arrivée en masse des Japonais sur le marché
européen... Mais comment qu’ils font les patrons à Tokyo
?
Allez donc faire comprendre à un délégué
syndical qui vient vous demander, même pas poliment, un peu de
rallonge pour se payer la belle machine à laver que la mère
Denis lui a montré à la télé, et la semaine
de 35 heures pour créer des emplois nouveaux. Allez donc lui
faire comprendre que la réduction des frais généraux
doit avoir priorité sur les salaires. C’est parler à un
sourd.
Non, croyez moi, ce n’est plus une vie d’être patron. Vaudrait
mieux être éboueur. Pas de bile à se faire. Et on
a de temps en temps le plaisir de prendre son petit déjeuner
avec le président de la République. Pauvres patrons !
Plaignons-les. Je comprends qu’ils soient découragés et
je me mets à leur place. (Façon de parler qui n’engage
à rien, pas plus qu’elle n’engagerait un patron à prendre
la place d’un smicard). Mais ne dramatisons pas. Même s’il n’y
a pas de miracle à attendre, malgré sa bonne volonté,
du nouveau pensionnaire de l’Elysée, il reste un espoir. J’ai
un tuyau.
Il existe, mais tous les patrons ne le savent pas encore, et c’est pour
eux que j’écris ces lignes, des sociétés spécialisées,
dites « sociétés de conseil », qui offrent
généreusement, mais tout de même pas à l’oeil,
leurs services aux entreprises en difficulté pour étudier
leur problème en vue de réduire le prix de revient pour
devenir compétitives. Elles envoient sur les lieux de travail
des équipes de spécialistes qui constatent, chronomètre
en main, les heures perdues par le personnel en coups de téléphone
inutiles ou prolongés, en conversations d’ordre privé
ou en déplacements abusifs pour aller faire pipi, etc. Et ça
fait beaucoup.
Les patrons ayant eu la bonne idée de faire appel à l’une
de ces sociétés de « dégraissage »,
comme on les désigne désormais, sont souvent agréablement
surpris au reçu du rapport des experts.
Le temps perdu - le saviez- vous ? - dans une entreprise quelconque,
comptabilisé en heures effectives de travail, correspond généralement,
selon les experts, à celui de 10, 15 ou 20 % de l’ensemble du
personnel. Il suffit donc, mais il fallait y penser, pour réduire
d’autant les frais généraux sans réduire la productivité,
de licencier 10, 15 ou 20 % du personnel et de mettre le reste au pas.
Et que ça saute.
Alors, quand les entreprises en compétition, de « dégraissage
» en « dégraissage », en arrivent à
produire avec un seul robot animé par un ordinateur, les patrons
enfin débarrassés des O.S. et autres smicards dévoreurs
de budget devenus encombrants, pourront sourire à la vie et se
rendre à leur déjeuner d’affaires habituel avec optimisme.
En sortant de table ils n’en seront que plus compréhensifs avec
le chef du gouvernement pour « l’aider à mener à
bien les évolutions sociales nécessaires et construire
avec lui la « nouvelle société ».
L’ennui c’est que les robots, à ma connaissance, n’achètent
pas de machines à laver, même à crédit. Il
ne restera plus qu’un petit point à régler : où
trouver des consommateurs ?
La grève de gratuité, proposée depuis des lustres par nos amis, G.S.E.D. est entrée dans les faits à Rotterdam. « Libération » du 26 mai 1981 et « La Vie » du 18 juin signalent que les employés des transports urbains ont décidé de ne plus faire payer les voyageurs. Ce mouvement devait durer un mois, mais le bourgmestre a aussitôt ouvert les négociations : l’initiative risque de coûter 14,3 millions de francs à la ville !
(Informations transmises par C. BARRE et R. MARLIN.)
L’ESPOIR en l’instauration d’une société distributive
ne réside pas tant dans la venue au pouvoir (première
étape indispensable cependant) d’un gouvernement socialiste appuyé
par une solide majorité parlementaire, que dans l’évolution
profonde des idées et des comportements. Je vous en donnerai
deux exemples significatifs concernant l’un le travail et l’autre l’argent.
La société industrielle et capitaliste du XIXe et du XXe
siècles avait sacralisé le travail à un point tel
qu’un chômeur (même bien indemnisé s’il s’agit d’un
cadre) se considère comme un paria, au ban de la société,
bien qu’il ne soit en rien responsable de ce qui lui arrive. L’autre
valeur qu’elle avait sacralisée, c’était l’argent, le
profit : « Enrichissez-vous » proclamait Guizot pendant
que Thiers faisait fusiller les Communards, c’est-à-dire des
ouvriers qui travaillaient beaucoup pour enrichir la bourgeoisie.
Eh bien, de nombreux exemples nous montrent que le travail-valeur sacrée
c’est fini ! Voici ce qu’écrivait J.L. Bredin dans « Le
Monde » des 3 et 4 mai derniers :
« Il n’est guère possible de discuter du chômage
en taisant, par pudeur, le changement survenu dans la relation des jeunes
français et du travail. Voici que bon nombre de nos enfants le
jugent autrement que nous ; qu’ils refusent d’y voir un dogme moral,
un devoir social ; qu’ils observent que cette liberté a tous
les caractères d’une servitude ; qu’ils mesurent le prix qu’il
faut le payer : en souffrance, en ennui, ou simplement en temps pris
au temps. Et sans doute le modèle social garde-t il encore chez
nous, en 1981, sa prééminence. Il faut vivre. Et il ne
reste de normalité que du travail. La plupart des jeunes s’y
soumettent ou voudraient s’y soumettre. D’autres n’osent ou ne peuvent
aller au bout de leur révolte : ils cherchent des compromis.
Certains inventent des métiers nouveaux. Certains n’acceptent
du travail que l’irréductible, refusant promotion ou ambition,
pour se contenter - aux moindres frais - de ses moindres fruits. Mais
qui ne voit les effets d’un tel bouleversement ? Seul le discours politique
continue de parler de l’emploi comme on parle du lait ou de la viande,
en termes de marché alors que le travail - et le non-travail
- ne sont pas seulement, dans notre société, les produits
du système économique : ils expriment une crise de civilisation.
»
Nous pouvons donc espérer que les derniers « drogués
du travail auront disparu avant la fin de ce siècle. Nous devons
nous en réjouir mais je tiens à préciser que ce
que nous souhaitons, c’est la fin du travail en tant que valeur sacrée,
qui a permis l’exploitation de l’homme par l’homme, et non pas du travail
en général. Pour être clair je me bornerai à
rappeler ce qu’écrivait J. Duboin dans la Grande Relève
du 19 avril 1958 :
« Certes, il ne s’agit pas de "déshonorer" le
travail, mais de distinguer le travail obligatoire auquel nous condamne
la lutte pour la vie, et le travail volontaire qui consiste à
travailler à ce qui plaît, et quand cela plaît. Le
premier, consacré à la production des biens matériels,
deviendra une sorte de servitude temporaire pour permettre le second,
celui de l’homme "libre" au vrai sens du mot, pour se perfectionner
et s’accomplir. On voit que loisir n’est pas synonyme de paresse ; jouir
de ses loisirs, c’est les employer d’une manière intelligente,
car il n’existe pas de plus grand plaisir que d’être agréablement
et utilement occupé. Or, il est nécessaire de posséder
de quoi meubler ses loisirs, ce qui implique une certaine culture :
de tous les maux qui nous affligent, l’ignorance n’est-elle pas l’un
des plus grands ? »
En ce qui concerne l’argent, sa « valeur sacrée »
est en train de s’estomper, elle aussi. Comment pourrait-il en être
autrement avec une inflation impossible à maîtriser ? En
fait, ce sont les banques elles-mêmes qui sont en train de scier
la branche sur laquelle elles sont assises. Témoins ce qui se
passe aux Etats-Unis et qui menace l’Europe, si l’on en croit un psychologue,
de surcroit directeur des études à la Caisse d’Epargne
de Paris (« Le Monde Dimanche » du 23 mars 1980) :
« Les banques américaines se livrent à une concurrence
acharnée dans le secteur du crédit à la consommation.
Elles inondent le marché de cartes de crédit, si bien
qu’il leur sera de plus en plus difficile de récupérer
les sommes mises en jeu.
En 1978, le montant des arriérés de paiement sur cartes
Visa et Master Charge s’élevait à 810 millions de dollars,
soit un accroissement de 75 070 par rapport à l’année
précédente. Une banque de San-Francisco a vu ses pertes
sur comptes délictueux passer de 4,3 millions de dollars en 1978
à 6 millions en 1979 »...
« Un tel phénomène, dont l’ampleur pourrait constituer,
selon certains banquiers, le prochain fiasco bancaire, mérite
une réflexion et une explication, d’autant plus nécessaire
que l’épidémie atteint maintenant les rivages de l’Europe.
Les nombreuses campagnes publicitaires de moins en moins sélectives
révèlent la stratégie de séduction. La banque,
par ses maléfices, tend à conjurer le tabou de l’argent,
à exorciser la peur de la dépense.
N’assiste-t-on pas à l’aube d’une ère nouvelle, celle
de la désaffection des symboles par la monnaie électronique
On entrevoit la destruction du vieil ordre symbolique qui assignait
à l’homme la notion de limite et à l’argent la fonction
de réserve de travail : "Tu gagneras ta vie à la
sueur de ton front."
Comme l’étalon-or perd son caractère d’index de la valeur,
l’argent s’émancipe de la loi du travail. La dette s’efface et
la banque donne, distribue sans jamais apurer les comptes. La culpabilité
du débiteur s’abolit dans la mimesis de l’emprunteur. Un nouveau
crédit vient couvrir la créance oubliée.
Les rapports du sujet avec la banque s’inscrivent au registre du ludique
: le jeu dans le jeu... un jeu de cartes... »
Alors, plus de travail, plus d’argent sacrés. Cette fois, c’est
bien la crise, mon bon monsieur !
Et ça, c’est bien vrai :
« La vérité c’est que le monde entier est en crise
et qu’aucun des systèmes qui se disputent le pouvoir n’a réussi,
jusqu’à présent, à l’en tirer, parce qu’aucun ne
s’est adapté aux fabuleuses transformations qui, dans tous les
domaines, ont marqué ce siècle »
(J. Fontaine, « Le Monde » du 24-3-1981.)
L’espoir, notre espoir, c’est que notre nouveau gouvernement accélère
la prise de conscience de tous du changement des valeurs qui s’opère,
de la nécessité de repenser sur des bases nouvelles le
fonctionnement de notre société. Pourquoi ne le ferait-il
pas puisque c’est le seul moyen d’en finir avec la crise ? Cela rejoint
d’ailleurs ce qu’écrivait J. Attali (devenu depuis conseiller
de François Mitterrand) dans « Le Matin » du 23 mars
dernier :
« La création d’un autre mode d’organisation des rapports
sociaux, plus tourné vers les rapports non marchands, vers la
liberté des hommes plus que vers leur satisfaction de spectateurs
permettrait de réduire la dépendance à l’égard
du modèle de consommation standardisé mondialement. Autrement
dit, il faut réussir le formidable bouleversement que la technologie
rend possible vers une société plus décentralisée,
plus rurale, plus solidaire...
Cela exige aussi que les hommes aient le temps de vivre ces rapports
sociaux nouveaux, c’est-à-dire que se réduise la durée
de travail. »
Giscard avait du « PIF ». C’est un instinct à lui
reconnaître. Vous me direz qu’il l’a piqué à ses
labradors. Possible ! Il n’en demeure pas moins qu’avant de déguerpir
de sa niche élyséenne, il avait reniflé qu’il percevrait
un coup de pompe dans le derch qui le projetterait à l’extérieur.
La preuve ? Peu de jours avant de décaniller, il a signé,
en lousdé, pas mal de textes vénéneux. Votre dévoué
caniche Hilarius vous a déjà cité la copieuse pâtée
offerte à messieurs les notaires.
Peu à peu, d’autres se révèlent. Exemple, la suppression
du contrôle sur la publicité pharmaceutique, réclamée
vainement, jusqu’ici, par des gens aussi compétents, qualifiés
et superbement désintéressés que sont les fabricants
eux- mêmes.
Jacques Barrot (barrot : baril à anchois, persifle le dictionnaire)
leur a donné satisfaction, avec la bénédiction
de son maître.
Il faut avouer que la Commission de contrôle s’était rendu
franchement insupportable. En 1980, les cougnafiers la composant avaient
refusé 84 % des projets publicitaires qui leur étaient
soumis. C’était dire, implicitement, que 16 % seulement n’étaient
pas franchement dégueulasses, mensongers, bidons. D’autant plus
bidons qu’il s’agissait dans la plupart des cas, de produits parfaitement
inefficaces, inoffensifs. Reconnus pour n’avoir aucune action quelconque
sur l’évolution de la maladie. Autrement dit : de l’eau de pluie.
Alors, pourquoi les fabriquer, interrogent les corniots ? C’est que
leur production permet des ventes vachement rentables. Aboyer, japper
leur noms tous azimuths, forceraient les ventes avec l’appui inconscient
mais efficace de la Sociale sécurité.
Espérons que tous ces petits décrets innocents passeront
inaperçus des dogues mittérando-marxistes actuels. Les
notaires sauront faire le beau pour garder leur sussucre. Les nobles
mercantis de l’industrie pharmaceutique, chow- chow de l’Ancien Régime,
la truffe basse, la queue entre les pattes, s’organisent. En bon horde,
ils démarcheront sous les lambris socialo-ministériels,
léchant un poing, par-ci par-là, pour obtenir la caresse
rassurante des nouveaux maîtres (chiens).
Faudrait pas qu’on décoche un coup de botte dans la gamelle,
juste au moment où la soupe devenait le consommé suprême
du Chef !
LEURS procès d’intention ayant fait long feu, les milieux libéraux
invoquent l’absence de contre-pouvoirs pour dénoncer le caractère
totalitaire du nouveau gouvernement. Il serait plus honnête de
reconnaître que la défaite subie par l’ex-majorité
a créé ipso- facto de nouveaux contre-pouvoirs infiniment
plus efficaces que ceux, fantômatiques, exercés hier par
les syndicats face à l’intransigeance patronale et gouvernementale.
Les contre-pouvoirs siègent, aujourd’hui, au niveau des multinationales,
des antennes de cette commission dite trilatérale, créée
tout exprès pour combattre et endiguer la progression du socialisme
dans l’aire du capitalisme. Croit-on que les Etats-Unis laisseraient
se répandre la gangrène socialiste en Europe ? Dieu sait
les moyens dont ils disposent pour faire respecter les intérêts
de leurs sociétés et filiales partout dans le monde. Il
a suffi, au Chili, d’une grève des camionneurs pour paralyser
l’approvisionnement des villes, mettre le pays en condition et amener
le coup d’Etat de 1973 qui mit fin à l’expérience d’Alliende.
D’autres contre-pouvoirs sont entre les mains des chefs d’entreprises
maîtres de l’emploi, des professions libérales et commerciales
maîtres des prix, des financiers et de leurs experts maîtres
du crédit, de la Bourse, de la gestion des épargnes. Mentionnons
encore la nuée des petits et grands chefs des Administrations
qui, sans en référer aux élus, peuvent stopper
un décret d’application, modifier un projet, enterrer un dossier,
égarer des documents ou aller à la pêche. Oui, les
technocrates sont toujours là, tenant les rênes, experts
tout puissants, conseillers techniques aux avis indiscutés, organisés
en confréries, en sociétés quasi-secrètes,
en clubs fermés. Contre cette force : invisible, diluée,
insaisissable, que peut la majorité parlementaire dont la compétence
technique, administrative et financière n’est pas toujours, loin
s’en faut, ce qu’elle devrait être ?
Il y a également la Presse, quand elle est laissée aux
mains de la réaction, soumise à ses grands annonceurs
auxquels le socialisme n’entend justement pas faire de cadeau. Enfin
les contre-pouvoirs sont aussi au sein même du Pouvoir, au sein
d’un parti aux multiples composantes, rassemblant une mosaïque
de tendances, de projets, de programmes et qui n’est pas à l’abri
des éclatements.
Face à toutes ces bastilles et chausse-trappes, la position du
Pouvoir reste inconfortable. Des taupes noyautent toutes les formations
politiques ouvertes et le parti socialiste ne saurait faire exception
en ce domaine. Au lendemain d’une victoire durement conquise, le ver
est déjà dans le fruit. Ainsi le pouvoir socialiste apparaît-il
fragile tant que n’aura pas été rompu le lien entre les
revenus et les prix, entre les prix et les coûts, entre les revenus
et la durée du travail, tant que l’outil monétaire n’aura
pas été ôté des mains de ceux qui s’en servent
pour le profit, remplacé par une monnaie de consommation distribuée
en guise de revenus selon le modèle inspiré de l’utopie
d’Edward Bellamy et adapté aux conditions de notre temps.
Avant peu, il faudra bien que les hommes au Pouvoir, s’ils veulent conserver
celui-ci et réaliser leurs objectifs, se résignent à
changer de cap, à réviser leurs certitudes dogmatiques
au profit d’une construction économique tout autre, articulée
sur de nouveaux usages monétaires de nature à lever la
plupart des obstacles dressés sur la voie d’un véritable
socialisme.
Tribune libre
Les réflexions de Georges Krassovsky, que nous publions ci- dessous, nous montrent qu’une lecture hâtive de nos thèses peut mener à des interprétations inattendues...
Et ceci nous amène à ouvrir ici un débat sur la société distributive, car nos lecteurs profiteront certainement des loisirs qu’offrent les vacances pour réfléchir aux questions soulevées et pour répondre à G. Krassovsky. Nous publierons leurs réflexions au fur et à mesure qu’elles nous parviendront et souhaitons que cet échange de vues soit approfondi et vivant.
J’AI reçu, il y a quelques jours, une intéressante brochure
de Marcel Dieudonné, intitulée Construire l’avenir. L’auteur,
qui est un partisan convaincu de l’économie distributive, y affirme
que cette dernière serait déjà réalisée
à 40 % par le truchement de l’argent que l’Etat donne à
1 500 000 chômeurs, 1 200 000 handicapés physiques et mentaux,
à des millions de parents ayant charge d’enfants, à des
millions de personnes âgées dont les ressources sont insuffisantes,
à des millions de veuves et de mutilés de guerre, de pensionnés
civils et militaires, de femmes isolées ayant charge de famille,
de subventionnés agricoles ou artisanaux, etc. Toujours d’après
l’auteur : « Ces centaines d’indemnités, de primes, d’allocations,
de pensions et de subventions sont, pour leurs bénéficiaires,
des revenus de consommation, ainsi appelés parce qu’ils sont
accordés sans contre-partie de travail. »
Marcel Dieudonné a l’air de se réjouir beaucoup de ce
phénomène, y voyant un début de réalisation
de ses aspirations « abondancistes » et « distributistes
». J’avoue que, pour ma part, je ne partage pas entièrement
son optimisme. Il s’agit, à mon avis, plutôt d’aumônes,
et un bon nombre d’assistés qui en bénéficient
perçoivent juste assez pour ne pas mourir de faim. Ce qui donne
un avant-goût plutôt amer de « l’économie distributive
». Il semblerait, en outre, que l’argent ainsi distribué
soit prélevé surtout sur la classe moyenne et les petites
et moyennes entreprises qualifiées de « nanties »,
sans que les grandes entreprises d’armement, d’automobiles, du nucléaire,
de pétrochimie, etc., soient remises en cause ou voient leurs
bénéfices diminuer au profit des déshérités.
Ceci pour ce qui concerne le présent. Quant à l’avenir,
l’auteur de Construire l’avenir affirme que « la croissance des
charges sociales (c’est-à-dire des « revenus de consommation
» distribués) atteindra plus ou moins rapidement - selon
l’action accélératrice ou retardatrice du gouvernement
- les taux de 50 %..., 80% ..., 90 %. Au taux de 100 %, obtenu grâce
à un coup de pouce final, tous les revenus seront des revenus
de consommation. Par contre, personne ne recevra de rémunération
de son travail, quel qu’il soit. La gratuité de tous les revenus
aura pour complément la gratuité de toutes les activités.
Ces dernières seront devenues des prestations professionnelles.
Autrement dit, chacun sera rétribué en sa qualité
de consommateur, personne en sa qualité de producteurs de biens
et de services ».
Il me semble que cette vision idyllique de l’avenir n’est pas propre
uniquement à M. Dieudonné. Tous les partisans de l’Economie
distributive qui se réfèrent aux théories de Jacques
Duboin la partagent sûrement.
LES GENS NE SONT NI SAGES NI FRATERNELS
Afin d’éviter tout malentendu, je tiens à dire tout de
suite qu’une telle société me conviendrait parfaitement.
J’ai en effet la chance d’avoir des besoins matériels très
modestes : nourriture saine et simple, des vêtements et un lieu
d’habitation décents, je ne fume pas, ne bois pas d’alcool, me
passe très bien du confort, de l’automobile et des différents
gadgets présentés comme des « biens » de consommation.
Je recevrai, par consé
quent, avec gratitude un revenu qui me permettrait de satisfaire ces
besoins, et serai prêt à m’en acquitter en exerçant
une activité utile à la société à
laquelle j’appartiens. Et ceci d’autant plus volontiers, bien sûr,
si la durée du travail n’est pas trop longue et que ce dernier
n’est pas trop pénible et ne risque pas de compromettre ma santé.
Il en résulte qu’une économie distributive, même
très austère, m’irait comme un gant, et je ne me sentirais
nullement frustré à l’idée que d’autres reçoivent
davantage que moi, aient une garde-robe plus garnie, un logement plus
spacieux, etc. Oui, mais, sans en tirer la moindre vanité, j’ai
franchement l’impression que les êtres comme moi sont actuellement
plutôt exceptionnels. Et alors je suis bien obligé de me
demander ce qui se passerait si tout devenait gratuit et si l’obligation
de travailler devenait purement morale. C’est-à-dire si on travaillait
non pour gagner sa vie ou s’enrichir mais pour rendre service aux autres
et à la communauté.
Qu’adviendrait-il si le revenu de consommation, même considérable,
était distribué à 100 % ? Pour les gens sages et
fraternels, ce serait parfait. Ils s’en acquitteraient sûrement
de bonne grâce par un travail bénévole destiné
à assurer la production indispensable pour tous. Mais combien
sont-ils actuellement ces gens « sages et fraternels » ?
Je crains qu’il ne s’agisse que d’une très faible minorité.
Tous les autres - j’entends par là tous ceux qui éprouvent
le besoin forcené de posséder plus que les autres, de
se mettre en valeur, etc. - ne se montreraient-ils pas, comme à
l’habitude, avides et insatiables ? Et je ne parle pas que de la nourriture
que nous ne pouvons absorber qu’en quantité limitée, mais
de tous les autres « biens » de consommation. Les vêtements
(qui ne souhaiterait une garde-robe bien garnie, de beaux costumes,
des robes élégantes, des manteaux « chics »,
etc.). Le logement (qui ne préfèrerait habiter dans une
villa plutôt que dans une mansarde, et même avoir plusieurs
résidences : studio ou appartements en ville et pavillon à
la campagne ?). Voiture : là encore il existe une gamme très
variée, et ce sont évidemment les voitures les plus belles
et les plus puissantes qui auraient le plus de preneurs (surtout avec
l’essence gratuite !). Mentionnons enfin les livres, les objets d’art
qu’il est bien agréable de posséder chez soi. Dans tous
ces domaines, pourquoi les uns devraient-ils se contenter de ceci et
d’autres avoir la jouissance de cela ? Qui le déciderait ? Selon
quels critères ? Des vêtements à gogo ? Des villas
et des appartements luxueux pour tout le monde ? Bibliothèques
et musée à domicile ? Une belle voiture pour chacun ?
Et, si on va par là, pourquoi pas un avion personnel ? Cela créerait-il
des embouteillages monstrueux sur terre et dans le ciel ? Qu’à
cela ne tienne ! Il se trouverait bien des agents de la circulation
bénévoles pour régler tout cela...
Un élémentaire bon sens suffit pour se rendre compte que
notre rêve généreux nous mène à l’absurde
et que cette société de prise sur le tas n’est sûrement
pas pour demain. On se dit même qu’il est somme toute heureux
qu’il y ait des contingences d’ordre économique pour mettre un
frein à certains appétits...
Vers le Goulag ?
Mais ce n’est pas tout. Il y a aussi le problème du travail.
On aura beau construire des machines de plus en plus perfectionnées,
il faudra consacrer un certain temps à fabriquer ces machines,
et ensuite les contrôler et les réparer. Il y aura en outre
toujours des travaux pénibles. Si le travail n’est pas obligatoire,
qui acceptera de le faire ? Qui acceptera de poursuivre des études
souvent ardues pour acquérir un métier ? N’est-ce pas
la loi du moindre effort qui prévaudra le plus souvent ? On a
certes tous un besoin d’activité, mais les distractions, le sport,
les voyages pourraient très bien y suppléer. Les transports
étant gratuits, on pourrait passer sa vie à voyager. Encore
faudrait-il qu’il y ait des personnes dévouées pour assurer
la bonne marche des trains, des bateaux et des avions. S’en trouvera
t-il ?
Donnons, pour terminer, une situation tout ce qu’il y a de plus concrète
: une famille, qui habite dans une spacieuse villa, constate une fuite
d’eau dans la salle de bain qui risque d’inonder tout le rez-de-chaussée.
On appelle un plombier. Ce dernier - faute de villa disponible - habite
avec sa femme et ses gosses dans une mansarde. Il trouve que c’est injuste,
mais comme c’est un brave homme il est prêt à aller réparer
la fuite. Manque de chance, sa voiture est en panne. Il va chez le mécanicien
qui, normalement, devrait la lui réparer gratuitement, mais le
mécanicien est tombé malade (il y a tant de voitures à
réparer !) il est couché et attend le médecin,
mais il se fait que ce dernier joue précisément ce matin
au tennis. Pendant ce temps la fuite continue... Ce n’est qu’un exemple
entre mille autres, mais on voit tout de suite que la moindre prestation
implique une chaîne de solidarité absolument impensable.
Qu’il y ait la moindre faille et rien ne va plus. Non, franchement,
on ne voit pas comment une société à 100 % distributive
pourrait fonctionner sans un nivellement qui ne serait sûrement
pas du goût de tout le monde. Il faudrait instaurer, en outre,
le contingentement par tickets (comme pendant la dernière guerre
!), une bureaucratie monstrueuse et, en fin de compte, un système
de coercition qui transformerait la société entière
en un immense champ de concentration. - « Non, merci ! »
(comme pour le nucléaire !).
Un double circuit ?
Faut-il déduire de tout ce qui précède qu’il faille
renoncer au principe même de l’Economie Distributive ? Certes
pas ! Mais il faudrait envisager la création d’un double circuit,
ce qui est peut-être justement en train de se créer. L’analyse
donnée plus haut par Marcel Dieudonné en fait foi. En
termes clairs, cela signifierait l’adoption de deux secteurs de vie
économique. D’une part, le secteur distributif qui assurerait
à chaque citoyen un revenu social qui devrait lui permettre de
vivre modestement mais décemment. Un certain nombre de personnes
sages et bien équilibrées s’en contenteraient sûrement
et seraient même prêtes à consacrer une partie de
leur temps à rendre de menus services à la communauté
qui les entretiendraient. Et puis, d’autre part, un deuxième
secteur pour les voraces, les ambitieux, les insatiables qui, par leurs
initiatives et leur acharnement au travail, pourraient s’enrichir et
acquérir toutes sortes de choses superflues susceptibles de leur
faire plaisir et de les « valoriser » aux yeux des autres
et à leurs propres yeux. Il faudrait, toutefois, surveiller de
près leur esprit inventif afin que leur suractivité ne
porte pas atteinte aux équilibres naturels dont dépend
la vie de tous.
Il s’agirait, somme toute, d’une synthèse entre un socialisme
distributif généralisé et un capitalisme sauvage
auquel pourrait s’adonner une catégorie de la population com
posée de gens particulièrement avides et agités.
Le tout coiffé par un contrôle d’ordre écologique
auquel il appartiendrait de fixer les limites de la croissance en imposant
des garde-fous.
Est-ce qu’une telle synthèse est possible ? C’est aux défenseurs
de l’Economie Distributive de répondre. Pour ma part, je crois
que c’est la seule solution qui ne soit pas utopique. La preuve ? Nous
nous y acheminons rapidement. J’ajouterai, en outre, que seule cette
synthèse m’apparaît susceptible d’instaurer non seulement
la paix sociale mais, ce qui est à l’heure actuelle encore plus
important, la paix entre les pays socialistes et les pays capitalistes.
La voix du milieu est toujours la meilleure car elle résout tout
et réconcilie tout le monde.
DEPUIS le début de l’humanité, les hommes ont été
confrontés avec le problème des échanges : donnant-donnant.
Or, actuellement, les infirmes, les enfants, les personnes âgées,
les chômeurs, n’ont pas le travail comme monnaie t’échange.
Prélever l’argent nécessaire sur ceux qui travaillent
encore, c’est spolier les travailleurs et cela devient impossible.
Le moyen d’échange le plus simple est le troc. Mais dans notre
système beaucoup n’ont rien à troquer.
Y a-t-il une nation qui ait pu résoudre ses problèmes
de chômage, d’inflation, de lutte contre la misère ? Non.
Aucun parti politique ne présente de solutions. Soyons sincères,
on se moque tes travailleurs. Bien sûr, un effort a été
fait en faveur des classes défavorisées, c’est très
bien, mais c’est grand dommage que ce soit ceux qui produisent qui en
font les frais.
Nous ne sommes plus dans une société de disette, mais
au contraire dans une société de surabondance : comment
partager un gâteau qui est beaucoup plus gros que la capacité
de le manger ? Un enfant rirait de ce problème. Les politiciens,
eux, ne rient pas du tout, qu’ils soient de droite ou de gauche.
Pourquoi l’argent qui m’est donné pour acheter les produits de
la terre, mon loyer, mes habits, toutes choses qui me sont nécessaires,
dépendrait-il de la chute ou de la hausse du dollar ?
Je vous fais une comparaison. Il existe une conduite d’eau dite potable,
avec laquelle on arrose son jardin, on lave sa voiture et soi- même,
et si on n’est pas trop difficile, on se désaltère. On
nous raconte partout qu’il n’y aura bientôt plus d’eau potable.
Mais cette eau potable, on la gaspille. Alors pourquoi ne ferait-on
pas deux canalisations, une pour l’eau potable et l’autre pour l’eau
ordinaire ? Il en va te même pour l’argent. On peut imaginer deux
monnaies, l’une intérieure, se détruisant au moment de
l’achat, non capitalisable et gagée sur la production disponible
et une monnaie internationale. La monnaie intérieure permettrait
aux producteurs d’être payés et aux « pauvres »
de ne manquer de rien.
Bien sûr, chacun aurait droit à sa part légitime
de monnaie internationale pour se procurer certains articles, passer
des vacances à l’étranger, etc. Mais pour ce qui concerne
tout ce qui est produit en France, tous les services, médicaux
et autres, il n’y a aucune nécessité à les indexer
sur une monnaie étrangère, quelle qu’elle soit.
Notre idée n’est pas du communisme, ni du capitalisme, elle est
le moyen logique de distribuer la production sans passer par un système
monétaire désuet qui brime tout le monte : il y a une
maison à construire ? les ouvriers sont là, le terrain
est là ; les matériaux sont là... Alors quoi ?
Qu’auraient fait nos ancêtres ? Croyez-vous qu’ils n’auraient
pas construit la maison ?
Moi je suis sûr qu’ils l’auraient construite. Cette idée
n’est pas une révolution sanglante, elle est un moyen logique
de distribuer la production, sans passer par la monnaie dite précieuse.
L’important actuellement, pour notre propagande, n’est pas de présenter
à tout prix l’économie distributive dans son intégralité
à l’opinion publique, mais plutôt « d’agiter »
le problème des deux monnaies qui risque d’être mieux accepté
par le commun des mortels. L’important est que le problème soit
posé et perçu.
En ce qui concerne nos nouveaux élus, il faut leur envoyer un
maximum de lettres en les mettant en garde. Leur tire que s’ils s’obstinent
à rester tans l’économie de marché, avec 1 800
000 chômeurs, en route rapidement vers les 2 millions, ils seront
comme Léon Blum en 1936, torpillés par la finance.
*
* *
Guy Roty-Colard nous précise que son frère Paul, auteur de l’article ci-dessus, est aveugle et vit au S.M.I.C., bien entendu. Mais que vivant dans une lumière intérieure, il est parfaitement heureux et ne désire nullement voir de ses yeux naturels.