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N° 792 - août-septembre 1981

Le mondialisme ou la mort   (Afficher article seul)

Homme d’Etat   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

Pour sortir de la crise   (Afficher article seul)

Vers la nouvelle société   (Afficher article seul)

Grêve de gratuité   (Afficher article seul)

L’espoir   (Afficher article seul)

Ah, que la soupe était bonne !   (Afficher article seul)

Les contre-pouvoirs   (Afficher article seul)

L’Economie Distributive, est-ce pour demain ?   (Afficher article seul)

Pour une seconde monnaie   (Afficher article seul)

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Editorial

Le mondialisme ou la mort

par M.-L. DUBOIN
août 1981

LA décolonisation politique, qui vient pratiquement de s’achever avec l’accession du Zimbabwe à l’indépendance, a malheureusement été suivie à peu près partout d’une colonisation économique plus pernicieuse, plus diffuse et certainement pas moins nocive. L’aide des pays industrialisés aux pays en voie de développement, parce qu’elle était plus dictée par l’intérêt des premiers que par les besoins des seconds, a conduit ces derniers à orienter leur production vers l’exportation et non vers la satisfaction des besoins vitaux de leurs populations.

La situation actuelle

Le résultat est une situation absolument dramatique qu’on peut résumer par deux seuls chiffres en 1975, dans les pays à revenu faible, où le revenu moyen par habitant et par an est inférieur à 1 050 francs français, un milliard deux cent millions de personnes ont une « existence précaire qu’une marge étroite sépare de la catastrophe absolue  ». Et la situation de ces pays s’est détériorée dans les années 70 : alors que leur croissance, faible, ralentissait de façon continue, l’aide internationale était plus que contrebalancée par la baisse du pouvoir d’achat de leurs exportations...

Les ressources

Une étude récente vient de faire le point des travaux nécessaires pour nourrir convenablement tous les être humains, d’ici l’an 2000. Tenant compte de ce que la production alimentaire suffisante n’est pas la seule nécessité, mais qu’il faut améliorer la conservation et le traitement des aliments, cette étude, publiée par Nevin Scrimshaw et Lance Taylor, et d’où il résulte, en particulier, que moins de la moitié de la surface des terres cultivables est exploitée, conclut à la nécessité d’investir environ 400 milliards de francs (soit 80 milliards de dollars) dans l’agriculture des pays en voie de développement.

Deux chiffres éloquents

Ce chiffre de 80 milliards de dollars à investir est à rapprocher d’un autre : de 1973 à 1980, les pays (non pétroliers) en développement ont emprunté 332 milliards de dollars et ils ont dû payer pour le service de cette dette, au cours de la même période, 338 milliards de dollars, soit 6 milliards de dollars en plus que le montant des emprunts obtenus !
Et l’augmentation des taux d’intérêts, lancée par la politique Reagan, pénalise aujourd’hui encore plus les pays du Tiers-Monde. Bien plus que l’augmentation du prix du pétrole. Les pays en développement sont obligés de chercher 100 milliards de dollars par an pour payer le service de leurs dettes.

L’impasse

C’est ainsi que l’économie de marché conduit le monde dans une impasse : le quart de sa population est menacé de mort, ses ressources naturelles sont pillées par l’ignorance des uns et la cupidité des autres, tandis qu’on dépense un million de dollars par minute (plus de 500 milliards de dollars par an) pour des armements monstrueux. Nous sommes dans une situation explosive.

Des voix s’élèvent

Le salut ne peut venir que de l’abandon des règles édictées par la finance, au plan mondial.
Citoyenne du monde, je me réjouis de constater que de toute part des voix s’élèvent en ce sens.
Lesquelles seront entendues ?
Celles qui font appel au désir de justice et d’équité, telle la déclaration faite à l’issue de la sixième session extraordinaire de l’O.N.U., réclamant un nouvel ordre économique mondial pour substituer au système actuel «  caractérisé par l’injustice, la domination, la dépendance, l’égoïsme et une aide... mal conçue » de nouvelles règles du jeu fondées sur « la justice, l’égalité... l’interdépendance, l’intérêt commun et la coopération  » ?
Celles des scientifiques, tels N. Scrimshaw et L. Taylor cités plus haut et qui soulignent « mais surtout il faudra une plus grande justice sociale, c’est-à-dire une répartition plus équitable des revenus au sein des pays en voie de développement  » ?
Celle des économistes, par la « récente prise de conscience par la communauté internationale des effets négatifs de l’ancien ordre économique mondial sur les bases productives de l’économie », comme le souligne K. Dadzie dans «  Scientific American », qui conclut : « l’enjeu de la partie qui se joue actuellement est important pour les pays industriels comme pour les pays en voie de développement... La réponse au problème du développement requiert une politique internationale de survie de l’humanité, fondée sur une certaine compréhension mutuelle et des politiques gouvernementales lucides et courageuses »  ?
Celles de l’intérêt ? Car, comme le montre A. Angelopoulos, ancien gouverneur de la Banque nationale de Grèce, non seulement la limitation du financement permanent des pays du Tiers-Monde conduirait à un krach financier plus profond que celui de 1929, mais «  deux autres facteurs conduisent l’économie mondiale à l’impasse absolue : la course aux armements car... au cours des années 80-82, les dépenses militaires doivent augmenter deux à trois fois plus vite que la croissance économique ce qui apportera de nouvelles pressions inflationnistes, ... et l’augmentation permanente des dépenses d’assistance aux chômeurs... qui a des conséquences néfastes sur l’activité économique ».

*

Le problème est bien posé et il est urgent : c’est l’économie distributive au plan mondial ou la mort.

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POESIES, REFLEXIONS ET PENSÉES

Homme d’Etat

par A. CHANTRAINE
août 1981

Homme d’Etat, changez donc votre pensée
Ennoblissez-la constamment
Pensez Amour, pensez Raison
Désirez le vrai et le juste
Et changez ainsi vos actions.
Qu’elles deviennent réelles créations
Pour l’élévation des consciences.
Alors...
Pour que luise la vraie liberté
Devenez plus qu’un homme, un être,
Un homme d’Etat qui régénère,
Les lois que l’on a galvaudées.
Ne faites pas de ces longs discours
Débités à en perdre haleine
Et toujours sur des pauvres thèmes,
Sans l’essentiel et sans amour.
Délivrez les emprisonnés
Qui le sont, pour aimer leurs frères,
Ceux qui abhorrent l’argent, les guerres
Et qui ne veulent pas tuer.
Soyez le grand chef objecteur
Que votre vérité jaillisse
Afin que les peuples fleurissent
Toute la terre d’un réel bonheur.
Faites le désarmement vous-même,
L’unilatéral, pour montrer
Votre puissance de volonté
C’est cela la victoire suprême.
Vous serez plus qu’un homme d’Etat,
Vous serez alors un grand maître
De la pensée, et qui génère
Des nations enfin sans soldats.
Bannissez à jamais la guerre
Montrez à toutes les nations
Que vous êtes le guide de raison
Pour établir la Paix sur terre.
Voilà vos seuls efforts à faire
Les seuls réels à entreprendre
Pour aider, éveiller et rendre
Les hommes à leur vrai dessein.
Et enfin votre âme assagie
Sera heureuse à tout jamais
D’avoir pu introduire la PAIX
Pour connaître simplement la VIE.

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Au fil des jours

par J.-P. MON
août 1981

Un exemple à suivre : le Zimbabwe (ex-Rhodésie) veut son indépendance économique et pour cela il a entrepris de lever une armée de « soldats-laboureurs ».
L’embryon de cette armée pacifique est formé sous la devise « réconciliation avec la terre » et est constitué d’anciens combattants appartenant à deux factions rivales de l’armée de libération. Les ex-soldats ont troqué leurs fusils pour des socs de charrue et sont désormais unis dans la lutte commune pour la conquête de l’indépendance économique. Leur formation est assurée à l’Institut Agricole de Kushinga-Phikelela, installé sur près d’un millier d’hectares de terres riches à environ 90 kilomètres de Salisbury. On y enseigne la théorie et la pratique de l’agriculture, de l’élevage et de la gestion agricole. A la fin du cours accéléré de douze mois un certificat d’agriculture sera délivré aux étudiants. Ils rejoindront alors les communautés rurales les plus reculées du pays et enseigneront aux petits paysans les techniques modernes de l’agriculture et de l’élevage. D’autres auront pour tâche de créer des coopératives agricoles modèles. L’objectif est de rendre les communautés rurales autosuffisantes. L’institut envisage de multiplier ses activités au fur et à mesure des besoins. Il est appelé à devenir un centre de formation permanente pour favoriser la réinsertion des anciens guérilleros, des réfugiés, des soldats de l’armée nationale du Zimbabwe.

*

Selon un rapport sénatorial présenté le 3 juillet dernier à la presse, le coût global du chômage en France s’est élevé en 1980 à 104,2 milliards de francs (nouveaux) se décomposant en 34 milliards pour les indemnités de chômage proprement dites, 31 milliards au titre des différentes interventions en faveur de l’emploi (A.N.P.E., Fonds National pour l’emploi, formation professionnelle, aides régionales, exonérations des cotisations patronales, créations directes d’emplois, ...) et 39,2 milliards de pertes de recettes (8 milliards d’impôts sur le revenu, 31,2 milliards de manque à gagner pour la Sécurité Sociale). Ces 104,2 milliards de francs correspondent à un salaire brut de l’ordre de 4 800 francs qui aurait pu être versé aux 1 800 000 chômeurs recensés en 1980 (c’est-à-dire un salaire bien plus élevé que le S.M.I.C.).
Le présentateur du rapport (M. Fosset, sénateur centriste des Hauts-de-Seine) propose évidemment des solutions pour «  limiter les déperditions financières du sous-emploi ». Il ne trouve rien de mieux que de « favoriser la poursuite de la tendance au ralentissement de la productivité globale dès facteurs « travail et capital » en freinant le mouvement de substitution du capital au travail ».
Encore un qui voudrait voir balayer les rues avec une brosse à dents.

*

Ce brave sénateur n est pas au bout de ses peines : au cours d’un congrès sur la micro-électronique qui s’est tenu récemment à Ottawa, on a prévu que quarante pour cent des emplois de bureau pourraient être éliminés d’ici à 1990. Bien sûr de nouveaux emplois seront créés par la micro-électronique mais en nombre bien inférieur à ceux qui seront supprimés. V. Leontief, prix Nobel d’Economie et professeur à l’Université de New-York, pense que la seule solution efficace est de réduire la durée du travail et cela, sans diminuer les salaires. C’est, selon lui, possible car la productivité accrue des travailleurs compensera la réduction des heures de travail. Il a rappelé qu’entre 1870 et la seconde guerre mondiale, le nombre d’heures de travail par semaine était de 72 et qu’il est maintenant passé à 42. Depuis, la baisse s’est ralentie et est pratiquement arrêtée aux Etats-Unis, a-t-il ajouté.

*

On sait que les pays les plus développés se sont lancés dans la lutte contre le chômage en créant de plus en plus d’emplois « tertiaires ». L’économie américaine est en tête du peloton avec trois emplois tertiaires pour un emploi industriel (contre 2 en Europe et au Japon). Dans un livre intitulé « Informatisation et emploi : menace ou mutation ? », M.  Christian Stoffaes précise qu’aux Etats-Unis, le nombre «  d’hommes de loi » s’est accru de 90 % entre 1970 et 1980, portant la proportion de ceux- ci à 1 pour 3 ingénieurs (soit 20 fois plus qu’au Japon et 5 fois plus qu’en Europe). Selon lui, la société américaine « semble consacrer une part de plus en plus importante de ses ressources à régler ses conflits internes et à régler sa propre activité  ». C’est pour l’auteur une conséquence de l’inflation du tertiaire. Allant plus loin, Stoffaes estime que la sortie de cet engrenage peut se faire par l’informatisation et la télématisation des activités tertiaires et par une mutation de la société impliquant « la fin de l’ordre marchand et de la notion de travail-valeur » et l’avènement du temps libre, de l’auto- production et de l’échange convivial.

*

C’est un peu le même point de vue que défend Michel Rocard lorsqu’il déclare : « L’économie doit primer le monétaire et non l’inverse. Pour construire une société plus agréable et accueillante aux Français et à leurs hôtes étrangers, il faut commencer par le vouloir.
L’économie n’est que de l’ordre instrumental, elle doit être au service d’un projet social et culturel à dimension internationale  »...
« Le socialisme ne rompra avec le capitalisme que s’il ne prolonge pas le même mode de production. Aussi la réduction de la durée du travail doit-elle avoir une finalité autre que travailler moins : elle met en cause un ordre social car elle peut devenir un instrument personnel de libération et d’épanouissement par rapport à l’encasernement dans l’industrie ou l’administration. Elle doit être considérée à terme sous cet angle, quitte, dans l’immédiat, à tenir compte des obligations de l’acte de produire ».

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Pour sortir de la crise

par P. SIMON
août 1981

LES pays industrialisés sont tous plus ou moins victimes d’une crise d’un type particulier qui les affecte depuis plusieurs années. La responsabilité en a souvent été rejetée sur les pays producteurs de pétrole qui, par les hausses brutales et répétées dont ils ont frappé le prix de l’énergie, ont contribué à déstabiliser les économies de leurs clients.
Cette crise entraîne une inflation difficile à maîtriser et un chômage qui s’accroît. Face à ce douloureux problème, chaque pays réagit à sa manière. La France vient de choisir une voie différente de celle qu’elle avait suivie, les Etats-Unis, en élisant le président Reagan, ont pris une toute autre orientation.

KEYNES

Durant les années 30, la politique mise en oeuvre outre-Atlantique pour relancer l’économie, fut d’inspiration keynésienne. Reprenant les grands principes du célèbre économiste britannique John Maynard Keynes, le gouvernement américain s’efforça d’accroître la demande en augmentant les ressources de ceux qui recevaient les plus bas revenus (ou qui n’en recevaient pas), c’est-à-dire les chômeurs. Il est bien connu que si l’on touche juste de quoi vivre on ne va pas se permettre de thésauriser. Dans ce cas, on n’achète pas de l’or ou du diamant mais des biens de consommation courante. On n’épargne même pas. Tout l’argent reçu repart donc immédiatement dans les circuits et l’activité reprend. L’économie s’oriente vers une nouvelle période de prospérité.
Cette méthode donne des résultats appréciables, surtout si une guerre mondiale vient confirmer la relance et la transforme en une véritable euphorie. Ce fut le cas après 1945. La poursuite d’une économie de type keynésien présente, cependant, quelques risques. Le plein emploi, par exemple, marque une étape où il n’est plus possible de continuer à produire davantage. Les gains de production ne peuvent plus venir que d’une augmentation de la productivité, et les syndicats s’y opposent activement. L’inflation tend à s’installer.

LES MONETARISTES

Nous en savons quelque chose. Le gouvernement va donc s’y attaquer et s’efforcer de réduire la masse monétaire pour maîtriser l’inflation. C’est un genre où les monétaristes, dont le chef de file est Milton Friedmann, s’entendent assez bien.
lis recommandent de réduire les revenus en pesant sur les négociations salariales, en restreignant le crédit, en réduisant les dépenses publiques, l’aide sociale, les impôts et en abandonnant à leur sort les petites entreprises en difficulté.
Les mesures visant à diminuer le crédit consistent essentiellement à relever fortement les taux d’intérêt. La banque centrale commence et les banques n’ont plus qu’à suivre. Elles sont en effet en partie responsables de l’augmentation de la masse monétaire puisqu’elles créent de la monnaie en fabriquant des crédits ainsi que l’explique fort bien le numéro spécial de «  Que Choisir » consacré à l’argent et dont il a été parlé dans cas colonnes.
Ces mesures permettent de ralentir l’inflation mais elles freinent en même temps l’économie qui s’installe dans la sous-production et le chômage. Le public, qu’il s’agisse des salariés ou des chefs d’entreprise, est mécontent et on peut assister à des retournements de situation.

L’ECONOMIE DE L’OFFRE

Pour réussir, on le voit bien, la doctrine monétariste doit être appliquée de façon autoritaire, comme c’est le cas au Chili. Dans nos démocraties, elle a peu de chances d’aboutir. C’est pourquoi les Américains ont envisagé une autre solution. C’est l’économie de l’offre.
Pour les nouveaux économistes, les méthodes de Keynes ont mené à la stagnation économique accompagnée d’inflation parce qu’elles cherchaient à accroître la demande globale en accroissant les dépenses publiques avec, en compensation, une augmentation des impôts qui freine les producteurs donc l’économie. Ce qu’il faut faire, c’est accroître l’offre par une réduction d’impôts qui incite les producteurs à produire et les acheteurs à acheter.
Mais une réduction des impôts entraîne une réduction des dépenses publiques, et, d’abord, des dépenses d’aide sociales jugées improductives. Il faut accroître les revenus des riches car les riches épargnent et aident ainsi à résorber le déficit budgétaire causé par les réductions d’impôt en même temps qu’ils financent l’investissement des entreprises. Tant pis pour les idées généreuses de redistribution de la richesse. Et si seuls les pauvres sont mécontents tout le monde sera d’accord pour les faire taire.
L’avenir de l’économie de l’offre ne peut nous laisser indifférents, car, si elle réussit, au moins partiellement, elle ne tardera pas à devenir le modèle pour l’Occident.

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Soit dit en passant

Vers la nouvelle société

par G. LAFONT
août 1981

IL en avait gros sur la patate Giscard, et on le comprend, le jour de son dîner d’adieu à l’Elysée en mai dernier. Selon le JOURNAL DU DIMANCHE qui nous rapporte ses propos, l’ex-président s’est plaint avec amertume des obstacles dressés par M. Ceyrac et ses amis du grand patronat devant ses projets de réforme :
« Au fond, a-t-il dit à M. Chaban-Delmas, ce sont les mêmes forces réactionnaires qui nous ont empêché vous et moi de mener à bien les évolutions sociales nécessaires. Elles ont d’abord ruiné votre « Nouvelle Société  », puis elles m’ont paralysé et enfin abattu. »
Mitterrand l’a échappé belle. Giscard a peut-être raison mais il est injuste. Ce n’est pas drôle tous les jours, allez, d’être chef d’entreprise, petite, moyenne ou grande, même en régime libéral avancé, par ces temps de guerre économique. Il y a des frais. Les campagnes électorales reviennent souvent, et ça coûte cher pour faire élire les bons candidats. Et puis les repas d’affaires sont devenus hors de prix. On a de plus en plus de mal à être compétitif surtout depuis l’arrivée en masse des Japonais sur le marché européen... Mais comment qu’ils font les patrons à Tokyo  ?
Allez donc faire comprendre à un délégué syndical qui vient vous demander, même pas poliment, un peu de rallonge pour se payer la belle machine à laver que la mère Denis lui a montré à la télé, et la semaine de 35 heures pour créer des emplois nouveaux. Allez donc lui faire comprendre que la réduction des frais généraux doit avoir priorité sur les salaires. C’est parler à un sourd.
Non, croyez moi, ce n’est plus une vie d’être patron. Vaudrait mieux être éboueur. Pas de bile à se faire. Et on a de temps en temps le plaisir de prendre son petit déjeuner avec le président de la République. Pauvres patrons ! Plaignons-les. Je comprends qu’ils soient découragés et je me mets à leur place. (Façon de parler qui n’engage à rien, pas plus qu’elle n’engagerait un patron à prendre la place d’un smicard). Mais ne dramatisons pas. Même s’il n’y a pas de miracle à attendre, malgré sa bonne volonté, du nouveau pensionnaire de l’Elysée, il reste un espoir. J’ai un tuyau.
Il existe, mais tous les patrons ne le savent pas encore, et c’est pour eux que j’écris ces lignes, des sociétés spécialisées, dites « sociétés de conseil », qui offrent généreusement, mais tout de même pas à l’oeil, leurs services aux entreprises en difficulté pour étudier leur problème en vue de réduire le prix de revient pour devenir compétitives. Elles envoient sur les lieux de travail des équipes de spécialistes qui constatent, chronomètre en main, les heures perdues par le personnel en coups de téléphone inutiles ou prolongés, en conversations d’ordre privé ou en déplacements abusifs pour aller faire pipi, etc. Et ça fait beaucoup.
Les patrons ayant eu la bonne idée de faire appel à l’une de ces sociétés de « dégraissage », comme on les désigne désormais, sont souvent agréablement surpris au reçu du rapport des experts.
Le temps perdu - le saviez- vous ? - dans une entreprise quelconque, comptabilisé en heures effectives de travail, correspond généralement, selon les experts, à celui de 10, 15 ou 20 % de l’ensemble du personnel. Il suffit donc, mais il fallait y penser, pour réduire d’autant les frais généraux sans réduire la productivité, de licencier 10, 15 ou 20 % du personnel et de mettre le reste au pas. Et que ça saute.
Alors, quand les entreprises en compétition, de « dégraissage  » en « dégraissage », en arrivent à produire avec un seul robot animé par un ordinateur, les patrons enfin débarrassés des O.S. et autres smicards dévoreurs de budget devenus encombrants, pourront sourire à la vie et se rendre à leur déjeuner d’affaires habituel avec optimisme.
En sortant de table ils n’en seront que plus compréhensifs avec le chef du gouvernement pour « l’aider à mener à bien les évolutions sociales nécessaires et construire avec lui la « nouvelle société ».
L’ennui c’est que les robots, à ma connaissance, n’achètent pas de machines à laver, même à crédit. Il ne restera plus qu’un petit point à régler : où trouver des consommateurs ?

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Grêve de gratuité

août 1981

La grève de gratuité, proposée depuis des lustres par nos amis, G.S.E.D. est entrée dans les faits à Rotterdam. « Libération » du 26 mai 1981 et « La Vie » du 18 juin signalent que les employés des transports urbains ont décidé de ne plus faire payer les voyageurs. Ce mouvement devait durer un mois, mais le bourgmestre a aussitôt ouvert les négociations : l’initiative risque de coûter 14,3 millions de francs à la ville !

(Informations transmises par C. BARRE et R. MARLIN.)

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L’espoir

par J.-P. MON
août 1981

L’ESPOIR en l’instauration d’une société distributive ne réside pas tant dans la venue au pouvoir (première étape indispensable cependant) d’un gouvernement socialiste appuyé par une solide majorité parlementaire, que dans l’évolution profonde des idées et des comportements. Je vous en donnerai deux exemples significatifs concernant l’un le travail et l’autre l’argent.
La société industrielle et capitaliste du XIXe et du XXe siècles avait sacralisé le travail à un point tel qu’un chômeur (même bien indemnisé s’il s’agit d’un cadre) se considère comme un paria, au ban de la société, bien qu’il ne soit en rien responsable de ce qui lui arrive. L’autre valeur qu’elle avait sacralisée, c’était l’argent, le profit : « Enrichissez-vous » proclamait Guizot pendant que Thiers faisait fusiller les Communards, c’est-à-dire des ouvriers qui travaillaient beaucoup pour enrichir la bourgeoisie.
Eh bien, de nombreux exemples nous montrent que le travail-valeur sacrée c’est fini ! Voici ce qu’écrivait J.L. Bredin dans « Le Monde » des 3 et 4 mai derniers :
« Il n’est guère possible de discuter du chômage en taisant, par pudeur, le changement survenu dans la relation des jeunes français et du travail. Voici que bon nombre de nos enfants le jugent autrement que nous ; qu’ils refusent d’y voir un dogme moral, un devoir social ; qu’ils observent que cette liberté a tous les caractères d’une servitude ; qu’ils mesurent le prix qu’il faut le payer : en souffrance, en ennui, ou simplement en temps pris au temps. Et sans doute le modèle social garde-t il encore chez nous, en 1981, sa prééminence. Il faut vivre. Et il ne reste de normalité que du travail. La plupart des jeunes s’y soumettent ou voudraient s’y soumettre. D’autres n’osent ou ne peuvent aller au bout de leur révolte : ils cherchent des compromis. Certains inventent des métiers nouveaux. Certains n’acceptent du travail que l’irréductible, refusant promotion ou ambition, pour se contenter - aux moindres frais - de ses moindres fruits. Mais qui ne voit les effets d’un tel bouleversement ? Seul le discours politique continue de parler de l’emploi comme on parle du lait ou de la viande, en termes de marché alors que le travail - et le non-travail - ne sont pas seulement, dans notre société, les produits du système économique : ils expriment une crise de civilisation.  »

Nous pouvons donc espérer que les derniers « drogués du travail auront disparu avant la fin de ce siècle. Nous devons nous en réjouir mais je tiens à préciser que ce que nous souhaitons, c’est la fin du travail en tant que valeur sacrée, qui a permis l’exploitation de l’homme par l’homme, et non pas du travail en général. Pour être clair je me bornerai à rappeler ce qu’écrivait J. Duboin dans la Grande Relève du 19 avril 1958 :
« Certes, il ne s’agit pas de "déshonorer" le travail, mais de distinguer le travail obligatoire auquel nous condamne la lutte pour la vie, et le travail volontaire qui consiste à travailler à ce qui plaît, et quand cela plaît. Le premier, consacré à la production des biens matériels, deviendra une sorte de servitude temporaire pour permettre le second, celui de l’homme "libre" au vrai sens du mot, pour se perfectionner et s’accomplir. On voit que loisir n’est pas synonyme de paresse ; jouir de ses loisirs, c’est les employer d’une manière intelligente, car il n’existe pas de plus grand plaisir que d’être agréablement et utilement occupé. Or, il est nécessaire de posséder de quoi meubler ses loisirs, ce qui implique une certaine culture : de tous les maux qui nous affligent, l’ignorance n’est-elle pas l’un des plus grands ? »

En ce qui concerne l’argent, sa « valeur sacrée » est en train de s’estomper, elle aussi. Comment pourrait-il en être autrement avec une inflation impossible à maîtriser ? En fait, ce sont les banques elles-mêmes qui sont en train de scier la branche sur laquelle elles sont assises. Témoins ce qui se passe aux Etats-Unis et qui menace l’Europe, si l’on en croit un psychologue, de surcroit directeur des études à la Caisse d’Epargne de Paris (« Le Monde Dimanche » du 23 mars 1980) :
« Les banques américaines se livrent à une concurrence acharnée dans le secteur du crédit à la consommation. Elles inondent le marché de cartes de crédit, si bien qu’il leur sera de plus en plus difficile de récupérer les sommes mises en jeu.
En 1978, le montant des arriérés de paiement sur cartes Visa et Master Charge s’élevait à 810 millions de dollars, soit un accroissement de 75 070 par rapport à l’année précédente. Une banque de San-Francisco a vu ses pertes sur comptes délictueux passer de 4,3 millions de dollars en 1978 à 6 millions en 1979 »...
« Un tel phénomène, dont l’ampleur pourrait constituer, selon certains banquiers, le prochain fiasco bancaire, mérite une réflexion et une explication, d’autant plus nécessaire que l’épidémie atteint maintenant les rivages de l’Europe. Les nombreuses campagnes publicitaires de moins en moins sélectives révèlent la stratégie de séduction. La banque, par ses maléfices, tend à conjurer le tabou de l’argent, à exorciser la peur de la dépense.
N’assiste-t-on pas à l’aube d’une ère nouvelle, celle de la désaffection des symboles par la monnaie électronique On entrevoit la destruction du vieil ordre symbolique qui assignait à l’homme la notion de limite et à l’argent la fonction de réserve de travail : "Tu gagneras ta vie à la sueur de ton front."
Comme l’étalon-or perd son caractère d’index de la valeur, l’argent s’émancipe de la loi du travail. La dette s’efface et la banque donne, distribue sans jamais apurer les comptes. La culpabilité du débiteur s’abolit dans la mimesis de l’emprunteur. Un nouveau crédit vient couvrir la créance oubliée.
Les rapports du sujet avec la banque s’inscrivent au registre du ludique  : le jeu dans le jeu... un jeu de cartes... »

Alors, plus de travail, plus d’argent sacrés. Cette fois, c’est bien la crise, mon bon monsieur !
Et ça, c’est bien vrai :
« La vérité c’est que le monde entier est en crise et qu’aucun des systèmes qui se disputent le pouvoir n’a réussi, jusqu’à présent, à l’en tirer, parce qu’aucun ne s’est adapté aux fabuleuses transformations qui, dans tous les domaines, ont marqué ce siècle »

(J. Fontaine, « Le Monde » du 24-3-1981.)

L’espoir, notre espoir, c’est que notre nouveau gouvernement accélère la prise de conscience de tous du changement des valeurs qui s’opère, de la nécessité de repenser sur des bases nouvelles le fonctionnement de notre société. Pourquoi ne le ferait-il pas puisque c’est le seul moyen d’en finir avec la crise ? Cela rejoint d’ailleurs ce qu’écrivait J. Attali (devenu depuis conseiller de François Mitterrand) dans « Le Matin » du 23 mars dernier :
« La création d’un autre mode d’organisation des rapports sociaux, plus tourné vers les rapports non marchands, vers la liberté des hommes plus que vers leur satisfaction de spectateurs permettrait de réduire la dépendance à l’égard du modèle de consommation standardisé mondialement. Autrement dit, il faut réussir le formidable bouleversement que la technologie rend possible vers une société plus décentralisée, plus rurale, plus solidaire...
Cela exige aussi que les hommes aient le temps de vivre ces rapports sociaux nouveaux, c’est-à-dire que se réduise la durée de travail. »

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Ah, que la soupe était bonne !

par H. de JOYEUSE
août 1981

Giscard avait du « PIF ». C’est un instinct à lui reconnaître. Vous me direz qu’il l’a piqué à ses labradors. Possible ! Il n’en demeure pas moins qu’avant de déguerpir de sa niche élyséenne, il avait reniflé qu’il percevrait un coup de pompe dans le derch qui le projetterait à l’extérieur. La preuve ? Peu de jours avant de décaniller, il a signé, en lousdé, pas mal de textes vénéneux. Votre dévoué caniche Hilarius vous a déjà cité la copieuse pâtée offerte à messieurs les notaires.
Peu à peu, d’autres se révèlent. Exemple, la suppression du contrôle sur la publicité pharmaceutique, réclamée vainement, jusqu’ici, par des gens aussi compétents, qualifiés et superbement désintéressés que sont les fabricants eux- mêmes.
Jacques Barrot (barrot : baril à anchois, persifle le dictionnaire) leur a donné satisfaction, avec la bénédiction de son maître.
Il faut avouer que la Commission de contrôle s’était rendu franchement insupportable. En 1980, les cougnafiers la composant avaient refusé 84 % des projets publicitaires qui leur étaient soumis. C’était dire, implicitement, que 16 % seulement n’étaient pas franchement dégueulasses, mensongers, bidons. D’autant plus bidons qu’il s’agissait dans la plupart des cas, de produits parfaitement inefficaces, inoffensifs. Reconnus pour n’avoir aucune action quelconque sur l’évolution de la maladie. Autrement dit : de l’eau de pluie.
Alors, pourquoi les fabriquer, interrogent les corniots ? C’est que leur production permet des ventes vachement rentables. Aboyer, japper leur noms tous azimuths, forceraient les ventes avec l’appui inconscient mais efficace de la Sociale sécurité.
Espérons que tous ces petits décrets innocents passeront inaperçus des dogues mittérando-marxistes actuels. Les notaires sauront faire le beau pour garder leur sussucre. Les nobles mercantis de l’industrie pharmaceutique, chow- chow de l’Ancien Régime, la truffe basse, la queue entre les pattes, s’organisent. En bon horde, ils démarcheront sous les lambris socialo-ministériels, léchant un poing, par-ci par-là, pour obtenir la caresse rassurante des nouveaux maîtres (chiens).
Faudrait pas qu’on décoche un coup de botte dans la gamelle, juste au moment où la soupe devenait le consommé suprême du Chef !

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Les contre-pouvoirs

par H. MULLER
août 1981

LEURS procès d’intention ayant fait long feu, les milieux libéraux invoquent l’absence de contre-pouvoirs pour dénoncer le caractère totalitaire du nouveau gouvernement. Il serait plus honnête de reconnaître que la défaite subie par l’ex-majorité a créé ipso- facto de nouveaux contre-pouvoirs infiniment plus efficaces que ceux, fantômatiques, exercés hier par les syndicats face à l’intransigeance patronale et gouvernementale.
Les contre-pouvoirs siègent, aujourd’hui, au niveau des multinationales, des antennes de cette commission dite trilatérale, créée tout exprès pour combattre et endiguer la progression du socialisme dans l’aire du capitalisme. Croit-on que les Etats-Unis laisseraient se répandre la gangrène socialiste en Europe ? Dieu sait les moyens dont ils disposent pour faire respecter les intérêts de leurs sociétés et filiales partout dans le monde. Il a suffi, au Chili, d’une grève des camionneurs pour paralyser l’approvisionnement des villes, mettre le pays en condition et amener le coup d’Etat de 1973 qui mit fin à l’expérience d’Alliende.
D’autres contre-pouvoirs sont entre les mains des chefs d’entreprises maîtres de l’emploi, des professions libérales et commerciales maîtres des prix, des financiers et de leurs experts maîtres du crédit, de la Bourse, de la gestion des épargnes. Mentionnons encore la nuée des petits et grands chefs des Administrations qui, sans en référer aux élus, peuvent stopper un décret d’application, modifier un projet, enterrer un dossier, égarer des documents ou aller à la pêche. Oui, les technocrates sont toujours là, tenant les rênes, experts tout puissants, conseillers techniques aux avis indiscutés, organisés en confréries, en sociétés quasi-secrètes, en clubs fermés. Contre cette force : invisible, diluée, insaisissable, que peut la majorité parlementaire dont la compétence technique, administrative et financière n’est pas toujours, loin s’en faut, ce qu’elle devrait être ?
Il y a également la Presse, quand elle est laissée aux mains de la réaction, soumise à ses grands annonceurs auxquels le socialisme n’entend justement pas faire de cadeau. Enfin les contre-pouvoirs sont aussi au sein même du Pouvoir, au sein d’un parti aux multiples composantes, rassemblant une mosaïque de tendances, de projets, de programmes et qui n’est pas à l’abri des éclatements.
Face à toutes ces bastilles et chausse-trappes, la position du Pouvoir reste inconfortable. Des taupes noyautent toutes les formations politiques ouvertes et le parti socialiste ne saurait faire exception en ce domaine. Au lendemain d’une victoire durement conquise, le ver est déjà dans le fruit. Ainsi le pouvoir socialiste apparaît-il fragile tant que n’aura pas été rompu le lien entre les revenus et les prix, entre les prix et les coûts, entre les revenus et la durée du travail, tant que l’outil monétaire n’aura pas été ôté des mains de ceux qui s’en servent pour le profit, remplacé par une monnaie de consommation distribuée en guise de revenus selon le modèle inspiré de l’utopie d’Edward Bellamy et adapté aux conditions de notre temps.
Avant peu, il faudra bien que les hommes au Pouvoir, s’ils veulent conserver celui-ci et réaliser leurs objectifs, se résignent à changer de cap, à réviser leurs certitudes dogmatiques au profit d’une construction économique tout autre, articulée sur de nouveaux usages monétaires de nature à lever la plupart des obstacles dressés sur la voie d’un véritable socialisme.

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Tribune libre

Les réflexions de Georges Krassovsky, que nous publions ci- dessous, nous montrent qu’une lecture hâtive de nos thèses peut mener à des interprétations inattendues...

Et ceci nous amène à ouvrir ici un débat sur la société distributive, car nos lecteurs profiteront certainement des loisirs qu’offrent les vacances pour réfléchir aux questions soulevées et pour répondre à G. Krassovsky. Nous publierons leurs réflexions au fur et à mesure qu’elles nous parviendront et souhaitons que cet échange de vues soit approfondi et vivant.

L’Economie Distributive, est-ce pour demain ?

par G. KRASSOVSKY
août 1981

J’AI reçu, il y a quelques jours, une intéressante brochure de Marcel Dieudonné, intitulée Construire l’avenir. L’auteur, qui est un partisan convaincu de l’économie distributive, y affirme que cette dernière serait déjà réalisée à 40 % par le truchement de l’argent que l’Etat donne à 1 500 000 chômeurs, 1 200 000 handicapés physiques et mentaux, à des millions de parents ayant charge d’enfants, à des millions de personnes âgées dont les ressources sont insuffisantes, à des millions de veuves et de mutilés de guerre, de pensionnés civils et militaires, de femmes isolées ayant charge de famille, de subventionnés agricoles ou artisanaux, etc. Toujours d’après l’auteur : « Ces centaines d’indemnités, de primes, d’allocations, de pensions et de subventions sont, pour leurs bénéficiaires, des revenus de consommation, ainsi appelés parce qu’ils sont accordés sans contre-partie de travail. »
Marcel Dieudonné a l’air de se réjouir beaucoup de ce phénomène, y voyant un début de réalisation de ses aspirations « abondancistes » et « distributistes  ». J’avoue que, pour ma part, je ne partage pas entièrement son optimisme. Il s’agit, à mon avis, plutôt d’aumônes, et un bon nombre d’assistés qui en bénéficient perçoivent juste assez pour ne pas mourir de faim. Ce qui donne un avant-goût plutôt amer de « l’économie distributive  ». Il semblerait, en outre, que l’argent ainsi distribué soit prélevé surtout sur la classe moyenne et les petites et moyennes entreprises qualifiées de « nanties », sans que les grandes entreprises d’armement, d’automobiles, du nucléaire, de pétrochimie, etc., soient remises en cause ou voient leurs bénéfices diminuer au profit des déshérités.
Ceci pour ce qui concerne le présent. Quant à l’avenir, l’auteur de Construire l’avenir affirme que « la croissance des charges sociales (c’est-à-dire des « revenus de consommation  » distribués) atteindra plus ou moins rapidement - selon l’action accélératrice ou retardatrice du gouvernement - les taux de 50 %..., 80% ..., 90 %. Au taux de 100 %, obtenu grâce à un coup de pouce final, tous les revenus seront des revenus de consommation. Par contre, personne ne recevra de rémunération de son travail, quel qu’il soit. La gratuité de tous les revenus aura pour complément la gratuité de toutes les activités. Ces dernières seront devenues des prestations professionnelles. Autrement dit, chacun sera rétribué en sa qualité de consommateur, personne en sa qualité de producteurs de biens et de services ».
Il me semble que cette vision idyllique de l’avenir n’est pas propre uniquement à M. Dieudonné. Tous les partisans de l’Economie distributive qui se réfèrent aux théories de Jacques Duboin la partagent sûrement.

LES GENS NE SONT NI SAGES NI FRATERNELS

Afin d’éviter tout malentendu, je tiens à dire tout de suite qu’une telle société me conviendrait parfaitement. J’ai en effet la chance d’avoir des besoins matériels très modestes : nourriture saine et simple, des vêtements et un lieu d’habitation décents, je ne fume pas, ne bois pas d’alcool, me passe très bien du confort, de l’automobile et des différents gadgets présentés comme des « biens » de consommation. Je recevrai, par consé
quent, avec gratitude un revenu qui me permettrait de satisfaire ces besoins, et serai prêt à m’en acquitter en exerçant une activité utile à la société à laquelle j’appartiens. Et ceci d’autant plus volontiers, bien sûr, si la durée du travail n’est pas trop longue et que ce dernier n’est pas trop pénible et ne risque pas de compromettre ma santé. Il en résulte qu’une économie distributive, même très austère, m’irait comme un gant, et je ne me sentirais nullement frustré à l’idée que d’autres reçoivent davantage que moi, aient une garde-robe plus garnie, un logement plus spacieux, etc. Oui, mais, sans en tirer la moindre vanité, j’ai franchement l’impression que les êtres comme moi sont actuellement plutôt exceptionnels. Et alors je suis bien obligé de me demander ce qui se passerait si tout devenait gratuit et si l’obligation de travailler devenait purement morale. C’est-à-dire si on travaillait non pour gagner sa vie ou s’enrichir mais pour rendre service aux autres et à la communauté.
Qu’adviendrait-il si le revenu de consommation, même considérable, était distribué à 100 % ? Pour les gens sages et fraternels, ce serait parfait. Ils s’en acquitteraient sûrement de bonne grâce par un travail bénévole destiné à assurer la production indispensable pour tous. Mais combien sont-ils actuellement ces gens « sages et fraternels » ? Je crains qu’il ne s’agisse que d’une très faible minorité. Tous les autres - j’entends par là tous ceux qui éprouvent le besoin forcené de posséder plus que les autres, de se mettre en valeur, etc. - ne se montreraient-ils pas, comme à l’habitude, avides et insatiables ? Et je ne parle pas que de la nourriture que nous ne pouvons absorber qu’en quantité limitée, mais de tous les autres « biens » de consommation. Les vêtements (qui ne souhaiterait une garde-robe bien garnie, de beaux costumes, des robes élégantes, des manteaux « chics », etc.). Le logement (qui ne préfèrerait habiter dans une villa plutôt que dans une mansarde, et même avoir plusieurs résidences : studio ou appartements en ville et pavillon à la campagne ?). Voiture : là encore il existe une gamme très variée, et ce sont évidemment les voitures les plus belles et les plus puissantes qui auraient le plus de preneurs (surtout avec l’essence gratuite !). Mentionnons enfin les livres, les objets d’art qu’il est bien agréable de posséder chez soi. Dans tous ces domaines, pourquoi les uns devraient-ils se contenter de ceci et d’autres avoir la jouissance de cela ? Qui le déciderait ? Selon quels critères ? Des vêtements à gogo ? Des villas et des appartements luxueux pour tout le monde ? Bibliothèques et musée à domicile ? Une belle voiture pour chacun ? Et, si on va par là, pourquoi pas un avion personnel ? Cela créerait-il des embouteillages monstrueux sur terre et dans le ciel ? Qu’à cela ne tienne ! Il se trouverait bien des agents de la circulation bénévoles pour régler tout cela...
Un élémentaire bon sens suffit pour se rendre compte que notre rêve généreux nous mène à l’absurde et que cette société de prise sur le tas n’est sûrement pas pour demain. On se dit même qu’il est somme toute heureux qu’il y ait des contingences d’ordre économique pour mettre un frein à certains appétits...

Vers le Goulag ?

Mais ce n’est pas tout. Il y a aussi le problème du travail. On aura beau construire des machines de plus en plus perfectionnées, il faudra consacrer un certain temps à fabriquer ces machines, et ensuite les contrôler et les réparer. Il y aura en outre toujours des travaux pénibles. Si le travail n’est pas obligatoire, qui acceptera de le faire ? Qui acceptera de poursuivre des études souvent ardues pour acquérir un métier ? N’est-ce pas la loi du moindre effort qui prévaudra le plus souvent ? On a certes tous un besoin d’activité, mais les distractions, le sport, les voyages pourraient très bien y suppléer. Les transports étant gratuits, on pourrait passer sa vie à voyager. Encore faudrait-il qu’il y ait des personnes dévouées pour assurer la bonne marche des trains, des bateaux et des avions. S’en trouvera t-il ?
Donnons, pour terminer, une situation tout ce qu’il y a de plus concrète  : une famille, qui habite dans une spacieuse villa, constate une fuite d’eau dans la salle de bain qui risque d’inonder tout le rez-de-chaussée. On appelle un plombier. Ce dernier - faute de villa disponible - habite avec sa femme et ses gosses dans une mansarde. Il trouve que c’est injuste, mais comme c’est un brave homme il est prêt à aller réparer la fuite. Manque de chance, sa voiture est en panne. Il va chez le mécanicien qui, normalement, devrait la lui réparer gratuitement, mais le mécanicien est tombé malade (il y a tant de voitures à réparer !) il est couché et attend le médecin, mais il se fait que ce dernier joue précisément ce matin au tennis. Pendant ce temps la fuite continue... Ce n’est qu’un exemple entre mille autres, mais on voit tout de suite que la moindre prestation implique une chaîne de solidarité absolument impensable. Qu’il y ait la moindre faille et rien ne va plus. Non, franchement, on ne voit pas comment une société à 100 % distributive pourrait fonctionner sans un nivellement qui ne serait sûrement pas du goût de tout le monde. Il faudrait instaurer, en outre, le contingentement par tickets (comme pendant la dernière guerre  !), une bureaucratie monstrueuse et, en fin de compte, un système de coercition qui transformerait la société entière en un immense champ de concentration. - « Non, merci ! » (comme pour le nucléaire !).

Un double circuit ?

Faut-il déduire de tout ce qui précède qu’il faille renoncer au principe même de l’Economie Distributive ? Certes pas ! Mais il faudrait envisager la création d’un double circuit, ce qui est peut-être justement en train de se créer. L’analyse donnée plus haut par Marcel Dieudonné en fait foi. En termes clairs, cela signifierait l’adoption de deux secteurs de vie économique. D’une part, le secteur distributif qui assurerait à chaque citoyen un revenu social qui devrait lui permettre de vivre modestement mais décemment. Un certain nombre de personnes sages et bien équilibrées s’en contenteraient sûrement et seraient même prêtes à consacrer une partie de leur temps à rendre de menus services à la communauté qui les entretiendraient. Et puis, d’autre part, un deuxième secteur pour les voraces, les ambitieux, les insatiables qui, par leurs initiatives et leur acharnement au travail, pourraient s’enrichir et acquérir toutes sortes de choses superflues susceptibles de leur faire plaisir et de les « valoriser » aux yeux des autres et à leurs propres yeux. Il faudrait, toutefois, surveiller de
près leur esprit inventif afin que leur suractivité ne porte pas atteinte aux équilibres naturels dont dépend la vie de tous.
Il s’agirait, somme toute, d’une synthèse entre un socialisme distributif généralisé et un capitalisme sauvage auquel pourrait s’adonner une catégorie de la population com
posée de gens particulièrement avides et agités. Le tout coiffé par un contrôle d’ordre écologique auquel il appartiendrait de fixer les limites de la croissance en imposant des garde-fous.
Est-ce qu’une telle synthèse est possible ? C’est aux défenseurs de l’Economie Distributive de répondre. Pour ma part, je crois que c’est la seule solution qui ne soit pas utopique. La preuve ? Nous nous y acheminons rapidement. J’ajouterai, en outre, que seule cette synthèse m’apparaît susceptible d’instaurer non seulement la paix sociale mais, ce qui est à l’heure actuelle encore plus important, la paix entre les pays socialistes et les pays capitalistes. La voix du milieu est toujours la meilleure car elle résout tout et réconcilie tout le monde.

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Pour une seconde monnaie

par P. ROTY-COLARD
août 1981

DEPUIS le début de l’humanité, les hommes ont été confrontés avec le problème des échanges : donnant-donnant. Or, actuellement, les infirmes, les enfants, les personnes âgées, les chômeurs, n’ont pas le travail comme monnaie t’échange. Prélever l’argent nécessaire sur ceux qui travaillent encore, c’est spolier les travailleurs et cela devient impossible.
Le moyen d’échange le plus simple est le troc. Mais dans notre système beaucoup n’ont rien à troquer.
Y a-t-il une nation qui ait pu résoudre ses problèmes de chômage, d’inflation, de lutte contre la misère ? Non. Aucun parti politique ne présente de solutions. Soyons sincères, on se moque tes travailleurs. Bien sûr, un effort a été fait en faveur des classes défavorisées, c’est très bien, mais c’est grand dommage que ce soit ceux qui produisent qui en font les frais.
Nous ne sommes plus dans une société de disette, mais au contraire dans une société de surabondance : comment partager un gâteau qui est beaucoup plus gros que la capacité de le manger ? Un enfant rirait de ce problème. Les politiciens, eux, ne rient pas du tout, qu’ils soient de droite ou de gauche.
Pourquoi l’argent qui m’est donné pour acheter les produits de la terre, mon loyer, mes habits, toutes choses qui me sont nécessaires, dépendrait-il de la chute ou de la hausse du dollar ?
Je vous fais une comparaison. Il existe une conduite d’eau dite potable, avec laquelle on arrose son jardin, on lave sa voiture et soi- même, et si on n’est pas trop difficile, on se désaltère. On nous raconte partout qu’il n’y aura bientôt plus d’eau potable. Mais cette eau potable, on la gaspille. Alors pourquoi ne ferait-on pas deux canalisations, une pour l’eau potable et l’autre pour l’eau ordinaire ? Il en va te même pour l’argent. On peut imaginer deux monnaies, l’une intérieure, se détruisant au moment de l’achat, non capitalisable et gagée sur la production disponible et une monnaie internationale. La monnaie intérieure permettrait aux producteurs d’être payés et aux « pauvres » de ne manquer de rien.
Bien sûr, chacun aurait droit à sa part légitime de monnaie internationale pour se procurer certains articles, passer des vacances à l’étranger, etc. Mais pour ce qui concerne tout ce qui est produit en France, tous les services, médicaux et autres, il n’y a aucune nécessité à les indexer sur une monnaie étrangère, quelle qu’elle soit.
Notre idée n’est pas du communisme, ni du capitalisme, elle est le moyen logique de distribuer la production sans passer par un système monétaire désuet qui brime tout le monte : il y a une maison à construire ? les ouvriers sont là, le terrain est là ; les matériaux sont là... Alors quoi ? Qu’auraient fait nos ancêtres ? Croyez-vous qu’ils n’auraient pas construit la maison ?
Moi je suis sûr qu’ils l’auraient construite. Cette idée n’est pas une révolution sanglante, elle est un moyen logique de distribuer la production, sans passer par la monnaie dite précieuse.
L’important actuellement, pour notre propagande, n’est pas de présenter à tout prix l’économie distributive dans son intégralité à l’opinion publique, mais plutôt « d’agiter » le problème des deux monnaies qui risque d’être mieux accepté par le commun des mortels. L’important est que le problème soit posé et perçu.
En ce qui concerne nos nouveaux élus, il faut leur envoyer un maximum de lettres en les mettant en garde. Leur tire que s’ils s’obstinent à rester tans l’économie de marché, avec 1 800 000 chômeurs, en route rapidement vers les 2 millions, ils seront comme Léon Blum en 1936, torpillés par la finance.

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Guy Roty-Colard nous précise que son frère Paul, auteur de l’article ci-dessus, est aveugle et vit au S.M.I.C., bien entendu. Mais que vivant dans une lumière intérieure, il est parfaitement heureux et ne désire nullement voir de ses yeux naturels.

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