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Editorial
Chômage et inflation sont les deux mamelles
du malheur de la France, et des autres pays industrialisés. Nous
avons souvent parlé dans ces colonnes du chômage, loisir
dont personne ne profite, alors que c’est l’aboutissement logique, voulu,
de siècles de recherches et d’ingéniosité déployées
par les hommes pour inventer les machines qui travaillent aujourd’hui
à leur place. Nous y consacrerons un prochain numéro.
Abordons le problème de l’inflation. N’oublions pas d’abord que
la vie économique repose sur des échanges, dont la société
ne saurait se passer, tant il est évident que chacun de nous
n’est pas en mesure de produire seul tout ce dont il a besoin.
C’est pour faciliter ces échanges que la monnaie a été
créée. C’était naturellement, depuis l’origine,
une monnaie-objet, un objet-tiers, qui permettait de différer
dans le temps le troc entre deux autres objets. Ceci répondant
à une nécessité.
Ce n’est que récemment que cette monnaie- marchandise a disparu.
Et on l’oublie trop souvent : tout a changé avec la monnaie-papier
(billets) puis avec la monnaie-scripturale (chèques) ; les lois
du marché en ont été tellement transformées
qu’elles nous font aujourd’hui perdre de vue que ce sont des biens ou
des services que nous échangeons, et non pas des chiffres. Ces
jeux d’écriture, conçus pour simplifier les relations
sociales, ont donné naissance à un tel imbroglio, à
de si invraisemblables complications, que nos économistes se
retrouvent comme l’apprenti sorcier, incapables de maîtriser ce
qu’ils ont inventé : ils ne sont pas encore parvenus à
se mettre d’accord sur la signification du mot inflation, ni seulement
pour distinguer les effets des causes : J. Rueff, l’un des plus réputés
d’entre eux, commence ainsi son dernier exposé dans « le
Monde » du 10 mai : « Contrairement à une idée
très répandue, l’inflation est cause, non effet, de tous
les désordres dont souffre l’Occident. » Comment s’étonner
alors, en voyant leurs brillants résultats, qu’ils s’y perdent
tous ?
Nous refusons de nous laisser entraîner. Et pour cela nous ne
perdons pas de vue l’origine des complications monétaires qui
nous valent tant d’interdits et tant d’absurdités : la racine
du mal se situe au niveau de la création de nos moyens de paiement,
que nous rappelons pour cela plus loin : c’est en effet en abusant de
la crédulité de nos concitoyens qu’est entretenue en eux
la conviction que seul l’Etat détient le monopole de fabriquer
ces moyens dont dépendent les échanges de la société.
Ce sont les banques qui détiennent cette ahurissante toute-puissance,
attribut essentiel de la souveraineté. Même les banques
étrangères fabriquent des francs ! Mieux encore, la Banque
de France prête à l’Etat et c’est nous, pauvres con...tribuables
qui remboursons les intérêts, sans même en avoir
conscience !
Mais d’où leur vient ce droit aberrant ? Les banques l’ont pris,
un beau jour. Et depuis, nous continuons à l’accepter, les laissant
diriger, en fait, tout le système économique des prix-salaires-
profit. Même la Gauche, qui porte aujourd’hui l’espoir de tant
de Français, n’ose pas remettre ce droit en question et voue
ainsi à l’échec tout changement de société
(on se rappelle ce qui s’est passé au Chili). Tout le monde se
comporte comme si ce droit récent et arbitraire était
une de ces lois de la nature, immuables et universelles. Même
ceux qui déplorent la lamentable course au profit qui en résulte,
avec ses méfaits, immédiats et à plus long terme
!
Ayant remis à nu la racine du mal qui nous ronge, nous apportons
des analyses sur ses symptômes, chiffres à l’appui :
- aux économistes de tout bord qui se lamentent devant l’inflation,
J. Carlesse et P. Gaffré rappellent que l’augmentation du volume
monétaire est nécessaire à un pays qui se veut
en expansion : lorsque croissent les échanges, la démographie,
la production, il faut bien que les moyens de paiement augmentent. Mais
dans le système économique actuel, cet accroissement n’est
pas maîtrisé. Il le serait en économie distributive
;
- à tous ceux qui craignent les crises comme des malédictions
divines, J. Le Morvan, en se référant à l’I.N.S.E.E.,
montre qu’une crise, encore appelée inflation, apparaît
lorsque la masse monétaire a été créée
plus vite que ne le nécessite la production. D’où notre
théorie : ne créer la monnaie que pour distribuer la production
en laissant la liberté du choix ;
- aux salariés qui s’évertuent à réclamer
leur droit de pouvoir acheter ce qui leur revient naturellement, J :
P. Mon montre que ce sont les règles du marché qui s’opposent
à ce que les salaires suivent les prix. Ce sont en effet les
lois de la comptabilité, que même les syndicats ne contestent
pas, qui font que toute élévation de salaire entraîne
une augmentation encore plus élevée des prix. Cette démonstration,
bien que faite par un physicien, ne fait appel à aucune formule
mais s’appuie sur les définitions qui fixent les règles
de la comptabilité nationale.
Comme toutes ces analyses sont arides, nous avons pensé que nos
lecteurs aimeraient ensuite se détendre. C’est pourquoi F. Lévy
leur propose de rêver avec lui à ce que pourrait être
une société vraiment socialiste.
Dossier : MONNAIE ET INFLATION
Tout s’achète et tout se vend, dit-on. Et avec
quoi ? Un chèque, des billets, en un mot de l’argent. Celui qui
en a, peut tout se permettre et en gagner beaucoup ; celui qui n’en
a pas, n’a pas de quoi vivre. Dans notre société aussi
absurde qu’injuste, ceux qui n’ont pas de quoi s’acheter le nécessaire
sont sans cesse sollicités par des magasins débordant
de superflu.
Et qui détient le pouvoir de fabriquer cet argent dont tout dépend
? Ce n’est même pas l’Etat !
L’ORIGINE DES BILLETS
Sans remonter au Déluge, ni à la monnaie-
coquillage, souvenons-nous que naguère, toute transaction se
réglait en monnaie métallique, d’or pour les plus importantes.
Puis, comme le rappelle Jacques Duboin dans « Pourquoi manquons-nous
de crédits ? » [1] les billets, tels que ceux que nous
utilisons encore pour les achats les plus courants, furent, à
leur origine, des reçus remis par des orfèvres de la Cité
de Londres aux voyageurs prudents qui leur confiaient leurs pièces
d’or. Les Anglais en vinrent à les utiliser comme monnaie tant
il était certain que les porteurs de tels reçus pouvaient
à volonté, les échanger contre les pièces
d’or déposées.
Puis un beau jour un orfèvre futé s’avisa de fabriquer
de faux reçus. Ceci lui permit de réaliser un sérieux
profit puisque, évidemment, tous les porteurs ne réclameraient
pas en même temps l’or qui leur était dû.
Son exemple fut suivi par les autres orfèvres, puis par les banquiers.
Et c’est ainsi que sans même y prendre garde, les rois perdirent
leur monopole de battre monnaie.
L’expérience malheureuse de Law amena cependant le gouvernement
français, en 1803, à concéder à la seule
Banque de France le droit d’émettre cette monnaie, monopole qui
lui fut renouvelé jusqu’en 1945. Mais elle ne fut jamais tenue
de conserver un rapport entre le montant de ses billets et son encaisse-or.
L’émission de ses billets, d’abord libre, fut limitée
à partir de 1870 par un « plafond » fixé par
la loi (mais qu’une autre loi vient surélever si nécessaire !).
LA FIN DE LA MONNAIE-OR
Catastrophe, le 2 août 1914, des milliers de
porteurs réclament ensemble l’or correspondant à leurs
billets... Alors en TROIS JOURS, une révolution prodigieuse s’accomplit
en France : le gouvernement décrète le « moratoire
des dépôts » ce qui veut dire que l’exécution
des obligations est suspendue : les banques ne sont plus tenues de rembourser
en or les billets ! Et les autres pays suivent cet exemple. C’est ainsi
que le billet de banque cessa d’être une monnaie-marchandise et
perdit à jamais toute valeur intrinsèque.
Et, ô miracle, ceci permit de faire la guerre ! Il n’y aurait
jamais eu assez d’or pour payer les armements. Alors la Banque de France
émit les billets nécessaires.
Comme quoi, lorsqu’il s’agit de fabriquer des armes, on sait bien adapter
le système économique à cette évidente nécessité.
Mais lorsqu’il s’agit de permettre la consommation de la production,
on vous explique que les lois auxquelles est soumis le « Budget
» de l’Etat montrent que les Français vivent au-dessus
de leurs moyens !
Mais revenons aux billets de banque. Depuis 1914 leur volume ne cesse
de s’accroître d’une façon vertigineuse : en moins de 50
ans, il est passé de 11 à 3 930 milliards (357 fois plus
!) tandis que les pièces précieuses ont disparu !
LA NOUVELLE MONNAIE
Passons, car ceci, tout le monde le sait sans doute.
Mais ce qu’on sait moins c’est que malgré leur volume, ces billets
ne constituent plus aujourd’hui qu’une faible part des moyens de paiement
: 27% en France, à la fin de 1973 (et 10 seulement en Italie).
Alors que, aussi invraisemblable que cela paraisse, cette faible part
(ce quart pour nous) est la seule à laquelle la grande majorité
de nos concitoyens ont accès. Ils ignorent les trois autres quarts
pour la simple raison qu’ils ne les voient pas !
Posez à votre voisin la colle suivante : je dépose à
ma banque un million ancien, soit 10 000 francs, que j’ai économisé.
Quelle somme ce dépôt permet-il à ma banque de prêter
? Je vous parie (le gain du pari sera versé pour La Grande Relève)
que la plupart du temps la réponse qui vous sera faite sera une
somme inférieure ou, au mieux, égale aux 10 000 francs
déposés. Votre voisin pense qu’une banque, comme chacun
de nous, ne peut pas prêter plus qu’on ne lui a confié
et que ce sont les intérêts des prêts, qu’elle effectue
ainsi, qui lui paient son travail d’intermédiaire !
Quelle erreur ! Erreur grâce à laquelle on peut vous faire
croire tout ce qu’on veut sur les Nécessités de l’Economie.
Si vous déposez à la banque 10 000 francs, celle-ci fait
ce que faisaient les orfèvres de la Cité de Londres à
qui des voyageurs confiaient leur or : elle vous remet un reçu
(sous forme d’un compte en banque). Mais là encore, à
l’instar de l’orfèvre futé qui inventa le faux reçu,
elle fait l’équivalent de plusieurs reçus pour une même
somme. C’est-à-dire qu’elle alimente plusieurs comptes de crédit
estimant qu’on ne lui réclamera pas en même temps, comme
le 2 août 1914, tout l’argent correspondant à tous les
comptes qu’elle a ouverts. Elle se contente de conserver un rapport
minimum entre les sommes qui lui sont versées et celles qu’elle
prête. Toutes ces sommes, sans distinction, donnent lieu à
l’ouverture d’un crédit sur un compte bancaire, et constituent
les 3/4 de nos moyens de paiement, c’est la monnaie bancaire, ou monnaie
scripturale car elle n’est matérialisée que par un simple
jeu d’écriture : elle sortait naguère de la plume d’un
employé de banque, elle provient aujourd’hui, le plus souvent,
de la perforation d’une carte d’ordinateur. Et toutes les affaires se
règlent avec cette nouvelle « monnaie » . imagineriez-vous
acheter une voiture avec des billets ? Un chèque, une signature,
des chiffres qui changent sur deux comptes. L’affaire est réglée.
Suivons donc cette monnaie bancaire de sa naissance à sa mort,
à l’aide des 10 000 francs que vous avez déposés
tout à l’heure à votre banque. Ce dépôt vous
a valu, en plus de la considération ( ?) de votre banquier, l’ouverture
d’un compte crédité de 10 000 francs et la remise d’un
carnet de chèques. Mais en même temps ceci permet à
votre banquier d’ouvrir d’autres crédits, de créer 20
000 francs, par exemple pour financer la construction d’une usine. Supposons
que votre voisin Durand envisage de monter une entreprise ou de se faire
construire un appartement. A qui va-t-il s’adresser pour se faire prêter
l’argent qui lui manque ? A une banque. Et celle-ci lui ouvrira un compte
sur lequel Durand tirera des chèques pour payer un entrepreneur
qui, pas plus que lui, n’exigera de billets en paiement. Ainsi les 10
000 francs que vous avez déposés ont été
à l’origine de la création de toute pièce (si j’ose
dire) des 20 000 francs prêtés à Durand et il y
a maintenant 30 000 francs de moyens de paiement supplémentaires.
LE POUVOIR DE DECISION
Ouvrons ici une parenthèse pour souligner un
autre privilège des banques, tout aussi arbitraire qui choisit
de créer de l’argent pour aider Durand plutôt que Dupont
? Est-ce la collectivité, en comparant l’utilité de ce
que veut entreprendre Durand à celle de ce que propose Dupont
? Pas du tout ! C’est la banque qui choisit, après une enquête
faite sur des critères qu’elle établit seule et en toute
liberté, c’est-à-dire en fonction seulement de son propre
intérêt.
Revenons à notre exemple : Durand est le bénéficiaire
( ?) du prêt de 20 000 francs ouvert par la banque, qui tient aussi
10 000 francs à votre crédit. Il ne faut pas se hâter,
à ce stade du raisonnement, de dire que la somme que vous avez
déposée ayant donné naissance à trois fois
plus de monnaie bancaire, cela explique « l’inflation monétaire
». Ce serait oublier que si la banque a ce privilège de
créer des moyens de paiement par un jeu d’écritures, elle
a aussi celui d’en détruire, par le même procédé,
lorsqu’on lui rend l’argent qu’elle a prêté. Seulement
voilà : elle exige plus ! En plus du remboursement du capital,
elle veut que lui soient versés des intérêts.
Durand a été averti que sa demande de prêt a été
acceptée. Avant de lui ouvrir un compte, son banquier exige des
garanties. Durand devra s’engager à rembourser dans un délai
fixé (court ou long terme) non seulement les 20 000 francs prêtés,
mais un intérêt. Par exemple, 1 600 francs (soit 8 %) au
bout d’un an. La banque inscrira 20 000 francs à son compte,
qu’elle annulera après remboursement, mais elle inscrira aussi
la promesse de rapporter les intérêts, qu’elle gardera.
Et à long terme, cela peut signifier le doublement à son
profit. On s’explique la prospérité des banques et le
développement de tant de succursales votre argent les intéresse
!
LE PROFIT-ROI
Quand Durand aura payé son entrepreneur avec ses 20 000 francs, il va falloir qu’il tienne sa promesse. Et comme, lui, il ne fabrique pas d’argent, il s’en tirera probablement en vendant plus cher sa marchandise, surtout s’il a déjà d’autres usines qui marchent. S’il n’y arrive pas, c’est la faillite. Pour lui bien sûr, car la banque n’y perdra pas : elle fera vendre ses biens et se paiera intérêt et capital. Mais comme ceci lui demandera quelques démarches, on comprend qu’elle choisisse de prêter... aux riches. Ainsi s’explique comment « l’argent amène l’argent » et comment ces lois capitalistes créent et augmentent l’injustice. Le régime de dettes dans lequel nous vivons, tout en favorisant l’inflation, consolide le pouvoir absolu des banques.
[1] Paru en 1961 aux Editions Lédis et encore disponible.
Dossier : MONNAIE ET INFLATION
Voici, d’après les rapports du Conseil National
du Crédit (qui sont publiés chaque année et même
chaque trimestre), la proportion des crédits bancaires dans le
total de la masse monétaire, avec une comparaison à 12
ans de distance.
En 1963, la masse monétaire se montait à 167,88 milliards
de francs et les crédits de caractère bancaire à
111,92, soit 66,6 %.
En 1975, la masse monétaire représentait 777,01 milliards
(soit près du quadruple) et les crédits de caractère
bancaire 745,01, soit 95,8 %.
Ce n’est pas une hypothèse, ce sont les chiffres officiels !
Ajoutons encore que ce que le Conseil National du Crédit appelle
« crédits à l’économie » se monfait
en 1963 à 99,55 milliards (soit 59, 3% des utilisations de la
masse monétaire existante) et en 1975 à 657,51 milliards
(soit 84,6 % des utilisations monétaires).
Ce sont des chiffres qui parlent !
Dossier : MONNAIE ET INFLATION
On épiloguera longtemps sur les causes de l’inflation.
Avec Ricardo, les économistes classiques, dont Raymond Barre
est l’un des maîtres incontestés, l’attribuent à
l’augmentation excessive du volume de la monnaie, c’est-à-dire,
de nos jours, du crédit.
D’après l’école post-keynesienne l’inflation serait le
fait même d’une hausse générale des prix.
Mais cette hausse des prix ne peut-elle être aussi la résultante
de l’augmentation du volume de la monnaie, qui, stimulant la demande
face à l’offre enflerait les profits ? C’est ce qui est généralement
admis et c’est ce qui pousse notre grand argentier à restreindre
les crédits et à « geler » les prix.
Mais comme les salaires sont plus ou moins rattachés à
une échelle mobile, ne serait-ce que par le S.M.I.C., on déduit
qu’à tout « ciel » des prix doit correspondre un
« gel » des salaires.
Or l’inflation n’est pas un phénomène nouveau. rite sévissait
du temps de la pénurie et, loin de disparaître à
l’ère de l’abondance, elle semble au contraire s’exacerber avec
l’accroissement de la production. Et c’est en Partie normal puisqu’il
faut, en tout état de cause, plus de monnaie pour acheter une
production de plus en plus abondante.
Pour ce faire on a eu recours très longtemps à la dévaluation
décrétée des devises. Ces dévaluations sont
devenues par la suite implicites avec l’utilisation généralisée
de la monnaie scripturale.
On peut donc suivre l’inflation au cours de l’Histoire en considérant
les dévaluations successives.
Mais si l’on en croit le dixième rapport du Conseil national
du crédit, le seul actuellement en notre possession, les prix
de gros ont évolué de 100 à 2 600 de 1938 à
1955 alors que la production industrielle n’a évolué que
de 100 à 177 durant la même période. Donc avec un
correctif de cet ordre justifiant l’inflation monétaire Par l’inflation
de la production, la courbe des dévaluations donne surtout, à
quelques points près, la courbe de la montée des prix.
Ainsi, en prenant pour coefficient 1 l’indice des prix de l’an XI (franc
germinal) on obtient approximativement les indices successifs suivants :
1914 .......... 2,5
1928 .......... 12 (Franc Poincaré)
1936 .......... 18 (Franc Auriol)
1937 .......... 20 (Franc Bonnet)
1940 .......... 36 (Franc Reynaud)
1945 .......... 115 (Franc Plevenl
1948 .......... 210 (Franc Meyer)
1949 .......... 375 (Franc Petsch)
1965 .......... 1 000
1970 .......... 2 000
1976 .......... 3 600 (295 postes + loyers)
Peut-on raisonnablement attribuer cette flambée
vertigineuse des prix au seul accroissement des profits par le jeu de
l’offre et de la demande ?
Il est indubitable que d’autres facteurs doivent entrer en ligne de
compte. Et ces facteurs ne peuvent être que l’accroissement des
revenus de toute sorte entrant dans la composition des prix.
On frémit à la pensée de ce qui serait advenu si
Poincaré avait décrété un plan d’austérité
semblable à celui de M. Raymond Barre et si l’expérience
s’était poursuivie jusqu’aujourd’hui.
Les théories sociales les plus avancées ne prescrivaient
alors que la satisfaction des besoins matériels de l’homme.
Or quels étaient-ils à cette époque ?
On ne pouvait avoir besoin de ce qui n’était pas encore inventé
ou largement industrialisé.
Les prix et les salaires « gelés » on s’éclairerait
encore à la lampe à pétrole, les habitations n’auraient
ni gaz, ni chauffage central, ni eau courante. Qui pourrait s’offrir
une machine à laver, un réfrigérateur, un poste
de radio ou de télévision, une automobile, des loisirs,
des traitements médicaux coûteux, etc. ?
Aiguillonnés par les progrès de la science, les besoins
de l’homme se sont accrus. Même l’échelle mobile ne peut
suivre cet appel des besoins qui, forcément, tendent à
se traduire par des augmentations de salaires, lesquels, se répercutant
sur les prix les accroissent et justifient de nouvelles revendications.
En réalité l’inflation est un mal nécessaire et
on ne peut pas plus l’arrêter qu’on ne peut arrêter le progrès.
Elle n’est nocive que s’il y a pénurie de marchandises à
vendre. Elle ne peut l’être s’il y a abondance.
Donc, au lieu d’essayer de la juguler par des Plans d’austérité,
il faut la rendre utile en lui
faisant épouser l’inflation de la production et l’accroissement
des besoins de l’homme. En un
mot il faut veiller à ce que ce soit la production, et elle seule,
en se créant, qui détermine la quan
tité de monnaie nécessaire pour l’acheter en irriguant
le pouvoir d’achat de chacun selon ses
besoins.
C’est un des objectifs de l’économie distributive et c’est vers
elle qu’il faut tendre si l’on veut que l’inflation ne soit pas un fléau.
Dossier : MONNAIE ET INFLATION
Ce qu’est l’inflation ? C’est une maladie du capitalisme,
le dernier épisode de la lutte du système contre son ennemi
N°1 : l’abondance !
D’où vient le mal ? D’abord, certains faits sont évidents.
Par exemple, quand les prix montent - et que les marchandises ne s’en
vendent pas moins - c’est que les acheteurs ont en poche la monnaie
d’échange nécessaire. Il a donc bien fallu qu’une création
de monnaie précède la hausse des prix.
A l’origine d’ailleurs, « inflation » signifiait gonflement
monétaire. Il est vrai que ce n’est pas nouveau et que toutes
les monnaies ont perdu de leur valeur. Mais cela se faisait lentement.
L’as romain est passé de 327 grammes à... 2 grammes seulement,
mais en 400 ans. Périclès qui, croit-on, inventa ce genre
de dévaluation, le fit « pour soulager les débiteurs
» (et Voltaire, par-delà les siècles, l’en félicita...)
.
Il est vrai que, pour ne pas payer intégralement leurs dettes,
les emprunteurs ont usé de ce procédé, mais c’était
une inflation rampante. Ce qui distingue notre époque, ce n’est
pas seulement que le papier (ou une simple signature) a remplacé
le métal, c’est que, de rampante, l’inflation est devenue galopante.
DANS L’ANTRE DES SORCIERS
Comment et pourquoi cela se manifeste-t-il ? Pas du
fait des commerçants, oui ne peuvent attraper au passage que
l’argent qui, déjà, circule. Pas de celui des salariés
qui n’obtiennent d’augmentations qu’après qu’on ait constaté
que les prix avaient précédemment monté (ce qui
est conséquence ne saurait devenir cause).
Le cercle vicieux n’est donc pas celui des salaires et des prix, mais
des prix et de la monnaie. Et pour le voir, il faut aller à la
source de la création monétaire, sur laquelle aucune hésitation
ne subsista aujourd’hui : les créateurs sont les banques fies
pièces et billets ne sont plus qu’une monnaie d’appoint).
Les banquiers ont d’ailleurs une raison de créer de la monnaie
de crédit (appelée aussi monnaie de banque), c’est la
demande des entrepreneurs, à court terme pour retarder les échéances
et à long terme pour investir.
L’OFFRE ET LA DEMANDE
« Investir », c’est créer de nouveaux
moyens de production. Jadis, cela se faisait rapidement et à
bon marché. Les progrès techniques ont accru de façon
extraordinaire le volume des capitaux nécessaires et ont éloigné
de plus en plus le temps où ces nouveaux moyens de production
entreront en service, c’est-à-dire produiront des « marchandises
».
En attendant, les crédits d’investissements, à quoi servent-ils,
sinon à donner à ceux qui construisent ces nouveaux moyens
de production le moyen de vivre ? Sur le marché, ils représentent
donc une demande sans offre correspondante (puisque l’offre correspondante,
ce sera la production qu’ils préparent).
Quand cette sorte de fossé s’élargit, on ne peut plus
le sauter sans que ça se voie : le décalage entraîne
toutes les conséquences bien connues (celles que, par extension,
on a appelées elles- mêmes l’inflation...) .
C’est d’ailleurs parce qu’ils n’ignorent pas ce processus que les gouvernements
capitalistes qui tentent de « juguler » l’inflation ont
pour premier souci d’encadrer (comme ils disent) le crédit.
CETTE VIEILLE ENNEMIE : L’ABONDANCE !
On ne réduit pas le crédit, on le renchérit
seulement. D’ailleurs, s’il pouvait être vraiment réduit,
cela aurait rapidement deux effets au moins, cela produirait une stagnation
génératrice de pénuries et cela ferait faire faillite
aux banques, phénomène dont il n’est pas question pour
le moment !
Alors, au total, pourquoi n’arrive-t-on jamais à y « mettre
bon ordre », comme on le promet sans cesse ?
Parce que, pour les banques, comme pour les entrepreneurs, la seule
loi du régime est celle du profit. Le seul désir est donc
de vendre (le crédit comme les marchandises) plus cher et, dans
ce dessein, toute pénurie, réelle ou artificielle, est
une aubaine.
N’allons pas chercher midi à quatorze heures ni remonter au déluge
: le système des prix-salaires- profits ne redoute qu’une chose
- et il mettrait le feu aux poudres pour l’empêcher - c’est l’abondance
!
Dossier : MONNAIE ET INFLATION
S’il y a des statistiques contestables du fait de
manipulation gouvernementale et du fait aussi des fausses déclarations
patronales, aucune personne informée ne peut mettre en doute
le sérieux des chiffres émanant de la Banque de France
et du Conseil National du Crédit (C.N.C.). C’est principalement
l’indice des Prix, actuellement basé sur 295 articles, chacun
d’eux étant doté d’un coefficieient de pondération,
gui fait l’objet de manipulations politiques. Or ce n’est que par l’I.N.S.E.E.
(Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques) que
nous connaissons cet indice officiel ; c’est lui gui publie chaque année
« les comptes de la Nation » où l’on trouve les chiffres
nécessaires aux analyses économiques. Certes ses fonctionnaires
sont des spécialistes de haute moralité, mais ils dépendent
néanmoins, et on ne peut pas l’oublier, du ministère de
l’Economie et des Finances... De Plus, en dépit des très
grands progrès réalisés au cours de ces dernières
années dans les méthodes oui président à
l’établissement des comptes de la Nation et tout spécialement
de ceux concernant la production nationale, l’absence d’homogénéité
de celle-ci ne Permet Pas de l’accepter globalement. On y trouve, mélangées,
la production offerte aux consommateurs, celle des investissements publics,
celle des armements, etc.
Cette relativité des statistiques de l’INSEE nous oblige à
n’utiliser ses chiffres que dans leurs rapports avec ceux de la Banque
de France et du C.N.C.C. C’est ce que nous allons faire.
La hausse des prix
II est un point sur lequel nous sommes d’accord avec
les économistes du régime, c’est lorsqu’ils enseignent
dans les facultés que l’inflation résulte de deux phénomènes
:
- un phénomène de mouvement des prix :
- un phénomène de circulation monétaire.
Mais contrairement à nous-mêmes, ils se refusent généralement
à établir un lien direct entre ces deux phénomènes.
Serait-ce parce qu’ils raisonnent dans l’abstrait, sans étudier
sérieusement les chiffres qui traduisent ces phénomènes
dans l’économie du pays ? Cependant, ces chiffres parlent clairement
ainsi qu’on va pouvoir en juger par ceux que nous allons citer.
Tout d’abord, il convient de déterminer quels sont les chiffres
gui éclairent le mouvement des prix : ceux des salaires, ceux
des profits, ceux des importations (inflation par les coûts) et
ceux concernant la circulation monétaire ?
Nous savons tous que, dans les temps modernes. c’est-à-dire de
développement de l’économie, les prix n’ont jamais cessé
de monter, mais lentement. Nous avons même constaté, après
la crise
américaine de 1929 qui s’est répercutée en France
quelques mois plus tard, que les prix baissaient et même, parfois,
s’écroulaient lorsqu’il y a « surproduction » par
rapport aux besoins... solvables. En temps normal, il y a une constante
pression des profits et des salaires, pression tempérée
par la productivité résultant des progrès techniques.
C’est ainsi qu’avant la crise actuelle, c’està-dire de 1964 à
fin 1968 (5 ans) la hausse des Prix de pros ne dépassa pas les
5 %, d’après l’I.N.S.E.E. Mais, à partir de 1969 jusqu’à
maintenant, tout changea. Il s’agit de savoir pourquoi.
Personne de sensé ne s’imaginera que, tout à coup, il
y Put des demandes exorbitantes d’augmentation de salaires ou des augmentations
de profits non moins exorbitantes. La cause de l’inflation galopante
est ailleurs. Elle ne peut résulter que de la circulation monétaire
et de son rapport à la valeur de la production nationale offerte.
Les équilibres nécessaires
La loi de l’offre et de la demande s’impose à
toutes les économies monétaires. Ou bien on la domine
en instituant une économie distributive oui équilibre
production et monnaie, ou bien on est dominé Par elle si l’on
conserve une monnaie circulante. Alors, dès que les liquidités
monétaires croissent plus vite que la production du pays, il
y a risque d’inflation. Celle-ci se produit lorsque le rapport liquidité-production
atteint un certain seuil critique à partir duquel il y a la crise
économique.
La démonstration en est faite par les chiffres ci-après
:
Année ..... L.M. ......... P.N. .... Rapport L/P
1965 .... 189,85 .... 438,748 ....... 43,27
1969 .... 416,59 .... 643,388 ....... 64,75
1970 .... 457,32 .... 716,794 ....... 63,80
1974 .... 833,00 .... 1.168,238 .... 71,30
L.M. = Liquidités monétaires
P.N. = Production nationale
(en milliards de francs lourds)
Ce qui signifie qu’en 1965 la moyenne annuelle des
liquidités monétaires était de 43,27 % par rapport
à la Production nationale globale, calculée par l’INSEE.
N’oublions pas qu’une monnaie circulante accomplit, dans l’année,
plusieurs cycles complets production-distribution-production : étant
donné que nous constatons depuis plusieurs années une
accélération de la vitesse de circulation monétaire
(38 % de 1966 à 1974) ce rythme doit être proche aujourd’hui
de 5 cycles complets. Si bien que dès 1965, les liquidités
monétaires représentaient une valeur très sensiblement
supérieure au chiffre donné par l’I.N.S.E.E. pour la production
globale. L’heure de la crise approchait.
Cependant de 1965 à fin 1968, l’I.N.S.E.E. n’indique qu’une hausse
d’environ 1 % par an, ainsi que nous l’avons signalé précédemment.
Mais l’année 1969 connaît une hausse de 7 %, l’année
1970, de 8 %... C’est que le rapport liquidité-production augmente
sensiblement d’année en année si bien que l’I.N.S.E.E.
reconnaît. pour 1974 une hausse des prix de gros de l’ordre de
24 %.
Pourquoi un surcroît de liquidités provoque-t-il une hausse
des prix et non une épargne provo-quée par l’impossibilité
d’acheter... ce qui n’existe pas ?
Il s’agit là d’un phénomène psychologique universellement
constaté. Lorsque la valeur d’une production est, par exemple
de 500 milliards et que les liquidités disponibles s’élèvent
à 1.000 milliards, il se produit une « tension inflationniste
» oui provoque une hausse des prix dont le plafond théorique
est de 100 % car l’économie tend naturellement vers l’équilibre.
C’est le phénomène, inconscient, de la vente aux enchères
le consommateur veut consommer et Ie marchand veut vendre.
C’est pourquoi l’unique remède aux crises économiques
moderne, réside dans l’abandon de la monnaie circulante et dans
la sortie du système de l’achat et de la vente.
Dossier : MONNAIE ET INFLATION
Contrairement à ce que l’on pense couramment, la comptabilité n’est pas une science neutre : elle a tendance, tout au contraire, à accentuer l’inflation, comme nous allons le démontrer après avoir donné, pour les non spécialistes les définitions nécessaires :
LA COMPTABILITE MODERNE
De simple enregistrement des mouvements de caisse
et des rapports de dettes et de créances, la comptabilité
est devenue progressivement un instrument d’appréciation de l’activité
économique de l’entreprise.
Elle a maintenant pour objet de mesurer les résultats de l’activité
productive en comparant, au cours d’une période donnée,
les profits réalisés et les capitaux engagés pour
réaliser ces profits. Ceci permet en outre, aux Pouvoirs publics,
de connaître l’évolution des entreprises. Afin de disposer
de critères communs permettant d’apprécier l’activité
économique, les pays développés ont introduit des
plans comptables qui fixent des règles comptables uniformes pour
les entreprises industrielles ou commerciales d’un même secteur.
Le plan comptable général distingue :
- La comptabilité générale, qui a pour but de faire
apparaître la situation patrimoniale active et passive (bilan)
de l’entreprise et de déterminer les résultats globaux
d’exploitation (compte d’exploitation) ainsi que le résultat
net final de l’exercice (compte de pertes et profits) ;
- La comptabilité analytique d’exploitation (ou comptabilité
industrielle), qui est destinée à faire apparaître
les prix de revient et à permettre le contrôle de la rentabilité
de l’entreprise par l’examen des écarts entre les prévisions
(budget) et les réalisations.
Cette comptabilité analytique d’exploitation joue au sein de
l’entreprise un rôle sans cesse croissant. C’est elle qui permet
à l’entreprise de déterminer les prix de revient et les
prix de vente.
C’est donc elle aussi qui va jouer un rôle important dans l’évolution
de l’inflation.
LE MODE DE CALCUL DES PRIX
En effet, afin de faciliter les calculs de prix de
revient et de prix de vente, un certain nombre de méthodes simplificatrices
ont été adoptées dans les textes définissant
les règles comptables.
Ces méthodes simplificatrices font essentiellement intervenir
les notions de coefficients forfaitaires et d’unité d’oeuvre.
Les coefficients forfaitaires permettent de passer :
- dans le commerce, du prix d’achat au prix de vente ; (ils) alors prennent
le nom de marge commerciale ;
- dans l’industrie. du coût de la production aux prix de revient
et de vente (ils sont appelés dans ce cas coefficients de frais
généraux ou marge bénéficiaire).
On introduit la notion d’unité d’oeuvre pour fixer le coût
de production en n’utilisant qu’UN SEUL ELEMENT DE COUT, par exemple
celui de la maind’oeuvre, ou le temps d’emploi des machines ou encore
la quantité de matière employée...
L’utilisation de ces coefficients est sans inconvénient lorsque
les éléments de coût et les rapports entre eux demeurent
stables ; mais l’inflation s’accélère dès qu’augmente
le prix d’un élément car tout se passe comme si tous les
éléments avaient réellement subi la hausse !
Le renchérissement ainsi créé est inflationniste
puisque tous les acheteurs vont le ressentir et le répercuter
s’ils sont eux-mêmes producteurs.
LA MARGE COMMERCIALE,SOURCE D’INFLATION
Prenons à titre d’exemple le cas d’un marchand
de vêtements employant deux vendeurs. Il revend chaque année,
1 200 vêtements qui lui ont coûté 500 francs pièce
(prix d’achat annuel 600 000 francs).
Ce commerçant applique une marge commerciale de 20 %, soit 120
000 francs. Cette marge lui permet de payer ses deux employés,
par exemple 30 000 francs chacun (charges sociales comprises) et de
garder 60 000 francs pour payer ses impôts locaux. l’entretien
de son magasin et pour constituer un bénéfice proprement
dit. Sur ce bénéfice, il paie pour son usage personnel
et celui de ses employés, 6 vêtements soit 3 000 francs.
Si, maintenant, une hausse de 10% intervient sur le prix d’achat des
vêtements nui passe à 660 000 francs, le commerçant,
appliquant la même marge de 20%, réalise alors une marge
totale de 132000 francs, soit 12 000 francs de plus. Ce supplément
de marge ne vient pas dans sa totalité augmenter le bénéfice
du commerçant puisque pour les 6 vêtements qu’il acquiert
pour lui-même et ses employés il va devoir acquitter un
supplément de 300 francs. Il lui reste cependant 11 700 francs,
soit 97,5% de son supplément de marge, qui ne sont pas économiquement
justifiés. Ils constituent un supplément de revenu pour
le commerçant : ils sont inflationnistes.
Cet exemple simple montre clairement que l’utilisation généralisée
de marges commerciales ajoute un supplément de hausse à
la hausse.
LES COEFFICIENTSDE LA COMPTABILITE INDUSTRIELLE, SOURCE D’INFLATION
La marge du commerce englobe la marge de bénéfice et la marge de frais. Dans l’industrie au contraire la comptabilité les distingue : mais ces marges conservent en période d’instabilité des prix le même caractère inflationniste que la marge commerciale. Il suffit en effet que le prix des matières premières ou que le coût de la main d’oeuvre augmente pour que la hausse se repercute sur les coefficients de frais et sur la marge bénéficiaire suivant un mécanisme identique à celui que nous avons mis en évidence dans le cas de la marge commerciale.
LA METHODE DES « UNITES D’OEUVRE »
C’est une excellente simplification pour les calculs
des coûts Prévisionnels et l’établissement des devis,
en période de stabilité des prix, mais c’est une méthode
qui devient rapidement accélératrice de l’inflation dès
que se manifeste une hausse quelconque.
Supposons que pour évaluer le prix de revient d’une fabrication.
un industriel utilise l’unité d’oeuvre « franc de main
d’oeuvre directe ». Il va procéder de la façon suivante
: il calcule pour une fabrication déjà exécutée
le rapport du coût total de production au total des salaires payés
pour la réaliser. Ce rapport constitue le coefficient multiplicateur
qui est ensuite utilisé pour établir dans un devis, pour
une autre fabrication, le coût global de production à partir
de la seule estimation du coût de la main-d’oeuvre. Donc si les
salaires augmentent, le coût global de production est augmenté
dans la même proportion au bénéfice de l’entreprise.
Prenons à titre d’exemple le cas d’un fabricant de meubles de
cuisine qui, pour produire une série donnée de meubles,
a dépensé 200 000 francs de matière première
et 100 000 francs de main-d’oeuvre. Le coût global de fabrication
est donc de 300 000 francs. S’il utilise l’unité d’oeuvre «
franc de main-d’oeuvre directe », pour évaluer ses productions
futures. il obtient un coefficient multiplicateur de 300 000/100 000
= 3. Si le coût de la matière première reste stable
et que seul le coût de la main-d’oeuvre augmente de 10% (Ce qui
porte à 110 000 francs le total des salaires payés pour
cette production). L’industriel va prévoir suivant la règle
en usage un coût de production de 110 000 x 3 = 330 000 francs.
Il fait donc subir au prix de sa production une hausse de 10 %, alors
qu’en réalité l’augmentation du coût de fabrication
n’est que de 3.2 % (10 000 francs et non 30 000 francs).
D’autres pratiques, autorisés par le Plan Comptable telles que
les emprunts, les amortissements ou la réévaluation des
stocks contribuent aussi à aggraver l’inflation.
Cela tient à ce que la comptabilité actuelle a été
conçue pour un régime de prix stables ou peu variables.
Dans ces conditions les contrôles administratifs ou fiscaux ne
peuvent que se limiter à vérifier les chiffres donnés
par la comptabilité et à constater Ia réguIarité
des méthodes comptables. Ils ne peuvent rien au caractère
excessif de ces pratiques qui est inhérent au système.
Dans un récent article, je soulignais une fois
de plus le malentendu soigneusement entretenu depuis de nombreuses années
en France et qui consiste à lier les réformes économiques,
dont tout le monde sent l’urgente nécessité, à
telle ou telle forme politique de gouvernement.
Il faut croire que cette question est d’actualité, dans la mesure
notamment où elle peut modifier la répartition des suffrages
d’une partie du corps électoral. Ainsi que nous l’avions prévu,
les dernières élections municipales ont donné lieu
à une tentative générale de récupération
des voix des écologistes et, pressentant le danger, « l’Aurore
» du 22 février dernier disait : « Pourquoi lier
la défense de l’environnement à la destruction de la société
libérale ? ».
Ce qui constitue une autre manière de dénoncer le fameux
malentendu.
RECUPERATION
Il n’en reste pas moins que, pour les écolo-gistes, l’ennemi public n°1 est le régime du profit, le règne de l’argent au plus mauvais sens du terme. Il faudrait être en effet aveugle, ou doté d’une mauvaise foi inébranlable, pour ne pas constater que tout conflit entre la défense de la nature et des impératifs financiers se termine toujours au bénéfice de ces derniers. Nous en avons d’ailleurs cité d’innombrables exemples concrets dans ce journal. Mettre fin à cet état de fait doit donc constituer pour les écologistes l’objectif essentiel, le préalable indispensable à toute véritable amélioration de la qualité de la vie. Et c’est pourquoi compte tenu du malentendu que nous dénonçons, nous avons pu constater un report massif des suffrages écologistes sur les candidats appartenant aux partis politiques de gauche, dont le programme économique ne comporte pourtant, jusqu’à maintenant, aucune des deux réformes fondamentales nécessaires à l’instauration d’une économie des besoins, à savoir la création du revenu social et celle d’une monnaie de consommation.
UN PREMIER PAS IMPORTANT
Il va de soi que le même reproche doit être
adressé à tous les actes et programmes économiques
de l’actuel gouvernement, en dépit de quelques mesures concrètes
prises par le Président de la République pour freiner,
voire stopper, certaines des réalisations les plus nocives du
point de vue écologique, mises en oeuvre ou projetées
par ses prédécesseurs.
Afin d’essayer de me faire une opinion valable sur les intentions profondes
de M. Valéry Giscard d’Estaing en la matière, j’ai lu
attentivement l’ouvrage qu’il présente lui-même comme le
programme-cadre de son action future : Démocratie française.
On y trouve bien sûr beaucoup de déclarations d’intentions
parfaitement louables, notamment dans le chapitre intitulé «
La nouvelle croissance » qui constitue une condamnation sans équivoque
des méfaits du libéralisme sauvage « brisant les
habitudes et les sécurités et qui conduirait à
l’épuisement des ressources naturelles et à la névrose
de l’espèce ».
Et d’ajouter :
« Qu’on n’accuse pas le Président de la République
de pointillisme lorsqu’il fait arrêter la construction d’une voie
express face à Notre-Dame, établir un espace vert à
l’emplacement des Halles, protéger la Cité fleurie ou
démanteler des tours obscures et anonymes. Il essaie de donner
les signes d’une grammaire nouvelle permettant de mieux exprimer les
besoins et les préférences, d’une population étouffée
sous le béton, le papier, et l’inextricable circuit des décisions,
et qui n’arrive pas à faire entendre sa voix. »
Fort bien. Mais au plan des réformes qui nous intéressent,
et sans lesquelles il ne peut y avoir de véritable amélioration
de l’environnement, que dit le Président ? A vrai dire, je m’attendais
à un plaidoyer habile en faveur de l’actuelle économie
de marché, assaisonné d’une promesse d’interventions de
plus en plus nombreuses de l’Etat pour en fixer les grandes orientations
et en atténuer les méfaits. Et, si l’on se place dans
une perspective à court terme, c’est bien ce que propose l’ouvrage.
Par contre, j’ai trouvé à la page 59 un texte qui peut
laisser rêveur sur l’avenir à moyen terme envisagé
par le Chef de l’Etat. Parlant de la nécessité d’éliminer
la misère dans le chapitre intitulé « Vers l’Unité
par la Justice », il écrit :
« Pour lutter contre elle, on peut hésiter entre une méthode
générale et des actions particulières. La méthode
générale serait de garantir à tout Français
sans distinction un revenu minimum. Si ses ressources n’atteignent pas
ce minimum, la collectivité les complète. Cette méthode
radicale a pour elle la simplicité. Mais les esprits ne sont
pas encore mûrs pour un changement aussi profond qui entraînerait
au demeurant de lourdes charges collectives. Nous pouvons seulement
l’expérimenter. C’est ce qui va être fait dans un cas précis
: celui des veuves et des femmes isolées ayant charge d’enfant.
»
IL FAUT POURSUIVRE
Ainsi donc vous avez bien lu : voici reconnu par écrit,
et par la plus haute autorité du pays, la possibilité
de créer un jour le revenu social, premier pilier de l’économie
des besoins. Quel progrès dans le cheminement des idées
et quel encouragement à poursuivre notre action pour que tombe
la première objection soulevée par le Président
de la République : le manque de maturité des esprits !
Quant à la seconde objection, à savoir la lourdeur des
charges collectives, nous regrettons qu’il manque un tout petit adjectif,
car il s’agit de la lourdeur des charges collectives financières,
et non des charges collectives économiques réelles. Physiquement
et matériellement Parlant, la collectivité française
est en effet parfaitement capable de produire les biens de consommation
correspondant au montant global du revenu social. Seul le système
financier actuel, pour des motifs analysés en détail par
notre mouvement, s’oppose à cette réalisation. Que survienne
le second pilier de l’économie des besoins, c’est-à-dire
un système monétaire reflétant fidèlement
les réalités économiques au lieu d’en être
le carcan, et la seconde objection tombe puisqu’il devient enfin possible
de solvabiliser les besoins dans les limites des capacités productives
sans écraser quiconque.
Voilà le vrai et le seul problème. Voilà ce que
nous devons répéter et faire comprendre inlassablement
autour de nous, conscients des progrès déjà accomplis
comme de l’importance de l’effort restant à fournir. L’année
qui vient sera propice à notre action, car la préparation
des élections législatives va s’accompagner d’une ardente
confrontation d’idées éminemment favorable à l’accélération
de la maturation des esprits. Et rappelons- nous que l’enjeu va bien
au-delà d’un choix politique de société, puisqu’il
s’agit en fait de la survie de notre espèce.
Il faut exporter, on le sait, et à n’importe
quel prix... même s’il faut payer pour cela. Un certain nombre
de banques allemandes, argentines et brésiliennes viennent d’accorder
un prêt de 700 millions de nos francs lourds au Chili de Pinochet
pour financer des importations de biens d’équipement en provenance
de ces trois pays.
Ce qui montre, si besoin en était, de quel côté
sont la finance et l’industrie : ce n’est par le Chili progressiste
du président Allende qui aurait bénéficié
d’avantages comparables.
***
La France n’est pas en retard sur l’Allemagne pour
les aides à l’exportation : le gouvernement vient d’ouvrir pour
1977 un crédit de 1,8 milliard de francs (soit 20 % de plus qu’en
1976) pour un certain nombre de pays en voie de développement
afin de les « inciter » à acheter des biens d’équipement
français. Le taux de ces « prêts » n’est que
de 3 % pour une durée allant jusqu’à trente ans. Ce n’est
pas une mauvaise affaire pour les bénéficiaires de prêts.
Quoi qu’il en soit, le contribuable français n’en est pas à
ça près. Il finance aussi la « garantie de risque
économique », c’est-à-dire l’assurance donnée
par l’Etat aux exportateurs français de biens d’équipement
que si leurs coûts de fabrication augmentent et dépassent
les prix convenus avec les acheteurs étrangers, la différence
sera prise en charge par le Trésor public, c’est-à-dire
encore vous et moi.
C’est ça le libéralisme économique !
***
Malgré toutes ces petites astuces, le déficit
commercial des pays industrialisés, s’est accru l’an dernier.
En effet, selon le Fonds monétaire international, leurs importations
ont augmenté de près de 15 % alors que leurs exportations
n’ont progressé que d’un peu plus de 11 %. Mais le F.M.I. ne
va quand même pas jusqu’à nous dire que ce sont les pays
en voie de développement qui ont bénéficié
de la différence.
C’est en fait une véritable guerre économique que se livrent
les pays capitalistes. Tout le monde veut vendre à tout le monde
et de préférence plus qu’il n’achète.
***
C’est ainsi que la Communauté économique
européenne reproche au Japon d’avoir réalisé à
son détriment un bénéfice de 4 milliards de dollars
en 1976. A quoi les Japonais rétorquent que les membres de Ia
CEE doivent s’efforcer d’accroître leurs exportations... vers
d’autres pays.
Moyennant quoi le Japon reste un farouche défenseur du principe
du libre échange.
Pour tout compliquer au granrd désarroi des économistes
ne voila-t-il pas que certains pays se mettent à pratiquer une
« économie sauvage » qui consiste essentiellement
à pratiquer le troc (Comme les peuplades primitives ! Passe encore
pour l’URSS ou les pays de
l’Est qui le pratiquent depuis fort longtemps, mais voir la France s’y
mettre aussi doit pousser au désespoir les économistes
les plus distingués).
***
C’est pourtant la réalité : on vient
d’apprendre que la société SPIE-Batignolles a accepté
le principe d’un accord de troc avec l’Iran, comportant la construction
de gazoducs, de pipelines, d’autoroutes, de voies de chemin de fer en
échange de quelques millions de tonnes de pétrole brut
par an.
Au lieu de chercher un vain équilibre de la balance commerciale,
c’est cette voie que devrait suivre la gauche française lorsqu’elle
sera au pouvoir.
***
En attendant, le premier économiste de France,
qui est aussi Premier ministre (ça doit être un très
bon élément, il est premier en tout !) veut pour faire
plaisir au patronat, « régulariser le flot de certaines
importations ». Entendez par là qu’il faut éviter
que des produits fabriqués à bas prix dans les pays en
voie de développement viennent concurrencer certaines productions
françaises. Ca permettrait pourtant de faire baisser les prix.
Mais M. Barre juge plus important de « donner de l’air aux entreprises
qui, petites ou moyennes mais quelquefois fort grandes, ont mal supporté
la pression conjointe des salaires, des charges sociales, des impôts
et de la concurrence extérieure ».
Arguant que « les pays de l’Est sont organisés et regroupés,
que les peuples en voie de développement le sont aussi, grâce
notamment à l’OPEP et au Club des 77 ». M. Barre demande
innocemment « Pourquoi ne pas préparer l’organisation des
pays industrialisés à régime libéral autour
du triangle Europe-Amérique du NordJapon ? »
A notre connaissance, c’est déjà fait et M. Barre ne l’ignore
pas puisque, comme J. Carter, président des Etats-Unis, il est
Iui-même membre de la Trilatérale, Ia fameuse Commission
créée à l’initiative du banquier américain
Rockefeller pour s’opposer au développement du communisme !
ANTICIPATION...
Distribuant en abondance de chauds rayons qu’une atmosphère
très pure ne privait plus de ses composants bénéfiques,
le soleil réveilla Jean- Marc. Après avoir lu sur le mur-écran
de sa chambré les dernières nouvelle de la nuit et le
programme des activités de loisirs prévues pour la journée,
il interrompit la projection de la T.V. par câblé, et se
leva. Sur la terrasse-jardin où chaque matin il assurait sa mise
en forme physique, il s’attarda quelques minutés pour contempler
la ville. D’un océan de verdure surgissaient les grands immeubles
en formé d’X dont la croisée des branches contenait le
tunnel réservé aux circulations automobiles, mécaniques
et piétonnières, chacune de ces branches supportant des
logements conçus comme les marches d’un escalier, chacun avec
son jardin suspendu sur le plafond du niveau inférieur.
Toilette faite et petit déjeuner avalé, Jean-Marc rangea
l’uniforme du corps de police qu’il avait revétu la veille. Ç’avait
été son troisième et dernier jour, pour le mois
en cours, où il avait rempli cette forme de service social volontaire,
inspiré du système de l’armée suisse. La police,
en effet, n’était plus assurée qu’en partie par des gens
de métier, la désaffection où était tombée
cette profession au moment de la révolution en ayant sensiblement
tari le recrutement. Et le besoin de professionnels aguerris ne s’était,
depuis, plus fait sentir puisque les principales raisons de la délinquance
avaient disparu : le revenu social avait supprimé la recherche,
à tout prix, du pain quotidien, l’acquisition facile de tout
bien désirable écartait l’éventualité d’une
prise violente, la sérénité de la vie sociale excluait
tout risqué d’affrontement, soit entre les classés, qui
avaient disparu, soit entre les factions, qui n’avaient plus de raison
d’être. La prostitution avait elle aussi disparu, prouvant que
les femmes ne s’y adonnaient pas par vice comme l’avaient toujours soutenu
les esprits forts des temps passés, mais par nécessité
et par peur de leurs souteneurs. Ceux-ci étaient comme tous assurés
de leur subsistance, et l’espèce s’était éteinte.
Seul demeurait donc un corps de police de méfier, chargé
d’assurer la sécurité du pays sur le plan des relations
extérieures (contrôlé aux frontières, aéroports,
etc.). Miliciens périodiques ou policiers à plein temps
disposaient d’un armement excluant la possibilité de tuer. Des
bombes soporifiques, des flèches anesthésiantes permettaient
la mise hors de combat, sans risque, des individus dangereux. Encore
ceux-ci ne disposaient-ils plus d’aucune espèce d’arme à
feu, la fabrication et la distribution en ayant totalement cessé,
au grand dam des chasseurs qui exterminaient toujours, mais sans bruit
et sans douleur pour leurs victimes.
Vetu d’un « jean » et d’un blouson de cuir (on était
en pleine mode rétro), Jean-Marc descendit jusqu au tunnel de
circulation, monta sur le siège individuel d’une chaine progressant
à petite allure et après deux changements, parvint à
l’agence d’architecture dont il faisait partie. Le travail d’équipe
le passionnait et l’amour de son métier l’incitait à prolonger
bien au delà des horaires légaux sa présence à
l’agence. Nulle autre compensation ne l’y poussait, le revenu d’émulation
ayant été abandonné depuis trois ans cela dans
tout le pays, et seule la recherche était sa vraie récompense.
Arrive le premier, il ouvrit le « bruiteur », machine à
musique et à bruit différente des modèles traditionnels,
et qui servait à dissiper de temps en temps le silence total
qui était devenu la régie partout, mais dont les médecins
redoutaient les méfaits à I’égal du bruit abusif.
La porté s’ouvrit, et un militaire apparut. C’était Pierre,
son meilleur ami, un des derniers représentants de l’armée
puisque celle-ci allait être supprimée. L’équilibré
de la terreur nucléaire avait tait place à l’équilibré
économique planétaire, et le monde ne connaissait plus
les raisons de conflits internationaux. Seuls subsistaient et subsisteraient
encore des affrontements de caractère racial ou tribal, qui n’inquiéteraient
plus les nations évoluées. On conservait, à proximité
des points chauds, des contingents de « casques bleus ».
Pierre était en permission pour l’enterrement de son grand-père
disparu à l’âge de 107 ans, par euthanasie. Importé
des Etats-Unis, ce processus était devenu légal en tant
que répondant au voeu écrit de l’intéressé
au temps de son intégrité physique et mentale, en présence
d’un homme de loi assermenté, et accompagné de l’aval
du médecin traitant et des collatéraux en ligne directe.
Aucune autorité spirituelle ou politique n’avait fait obstacle
à cette disposition qui répondait bien à l’une
des formes de libération apportées par la révolution.
Cette libération des cerveaux avait d’ailleurs déclenché
une croissance des besoins de spiritualité, qui trouvait ses
voies dans un renouveau des religions comme dans un affinement de la
librepensée. Les vérités révélées
des religions prérévolutionnaires avaient fait place à
une expression plus large et plus libérale de la conception du
divin et parallèlement les sociétés de pensée
avaient vu s’accroître sensiblement un recrutement qui touchait
tous les âgés et toutes les couches de la population. S’en
était suivi un essor prodigieux de la construction des temples
et lieux de culte, objets des recherches toujours plus neuves des concepteurs
et des constructeurs, et d’une exécution toujours plus raffinée.
Tous les moyens d’expression y trouvaient de nouveaux terrains et une
diversité plus grande des réalisations dans ce domaine
s’ajoutait aux recherches constatées dans les bâtiments
publics et d’habitation, comme aussi dans les ouvrages d’art dont chacun
se voulait un chef-d’oeuvre.
Longtemps ignorés du plus grand nombre, les noms des artistes
étaient devenus aussi connus que l’étaient ceux des anciennes
vedettes des variétés et du sport, et qu’il s’agit des
arts plastiques ou de l’architecture, du théâtre ou de
la littérature, toute novation faisait l’objet des commentaires,
passionnément discutés par chacun, de critiques autorisés
toujours plus nombreux et mieux documentés. Ainsi se précisaient,
se développaient les enseignements enfin dispensés par
l’Ecole et l’Université, dans l’enthousiasme général
nourri aux sources de l’homme nouveau.
Les deux amis convinrent de se retrouver le lendemain à 16 heures
à l’agora Jacques DUBOIN, centre de rencontres et de loisirs
du quartier, et qui groupait, autour de l’aire centrale ombragée
où l’on « prenait un verre », espaces scéniques,
audiovisuels et de musique, bibliothèque, centre de voyages et
de loisirs. Ils y rencontreraient le frère de Jean-Marc, fraiseur
chez CIPEUGNAULT (réunion des 3 firmes automobiles) qui leur
relaterait son récent séjour à BREJNEVGRAD, et
le passage de ce rideau de verre que l’on franchit desormais dans les
deux sens et sans contrôle. Il leur raconterait aussi son passage
en Cour de Justice, mais à titre de juré, pour une affaire
de moeurs. C’était un des rares motifs de subsister qu’avait
la Justice, à laquelle ne s’offraient plus de différends
commerciaux, d’intérêts publics ou privés, de crimes
de droit commun, devenus de plus en plus rares. De même les divorces
ne portaient plus sur des intérêts matériels, les
unions libres offrant d’ailleurs les plus larges possibilités
et le soin des enfants étant toujours, en cas de difficultés,
assuré par (’Etat dans des villages d’enfants basés sur
le principe des kibboutzs.
Sorti de l’agence plus tôt que d’habitude, Jean- Marc se dirigea,
à bicyclette cette fois, ces engins stationnant partout à
la disposition des amateurs, vers le stade où il devait jouer
un match interprofessionnel de hockey sur gazon, sport rapide, précis
et clair. L’équipe adverse était composée de quinquagénaires,
prouvant à la fois que l’activité professionnelle n’était
pas autoritairement limitée par l’âge, et que le sport
était pratiqué jusqu’à la limite médicalement
permise. N’étaient plus qualifiés de sportifs les lecteurs
de journaux spécialisés, les turfistes ni les spectateurs
des stades ou de la télévision I Avant de rentrer chez
lui, Jean- Marc s’arrêta au bibliobus où il choisit deux
livres de science-fiction et deux livres de philosophie, gratuits bien
entendu, et fit un rapide marché. Recevant ce soir-là
sa tendre amie, il prit une boîte de thon d’une valeur de 33,50
F, dont le collectif de base de son quartier avait suggéré
l’approvisionnement par le Magasin Central. Il s’acquitta à l’aide
de billets de consommation qu’il composta lui-même pour les annuler,
avant de les remettre au distributeur-contrôleur. Cette valeur
relativement élevée s’expliquait par l’absence totale
pendant 5 ans de ce poisson que la pollution mercurielle avait rendu
impropre à la consommation, et qui revenait, si l’on peut dire,
à la surface depuis les mesures antipollution des océans
appliquées très fermement par les nations riveraines.
Il choisit ensuite 7 roses chez le fleuriste, et remonta chez lui où
il ouvrit à la fois le bruiteur et l’aspirateur automatique de
poussières, aussi silencieux que son moulin à café.
Car il adorait le café, « sa seule drogue », aimait
à dire ce sportif dont la fierté était une affiche
anti-tabac sortie de ses mains de fin dessinateur (on avait abandonné
le terme désuet de designer).
Après un arrosage rapide de la végétation sur son
jardin-terrasse, il se consacra à l’art qui faisait maintenant
la joie des garçons, et le délice des filles : la cuisine.
La fraîcheur et la qualité des produits, leur extraordinaire
variété, les recettes apprises au cours des nombreux voyages
que permettait la civilisation nouvelle, avaient fait de cet art l’un
des plus recherchés et l’on discutait, entre hommes, de la plastique
du dernier stade construit tout en préparant une fondue bourguignonne,
avec ses sauces multiples et raffinées. Ce soir, le caviar serait
gris, de la Caspienne, gratuit lui aussi depuis que notre champagne
coulait dans les gosiers des Iraniens comme leur pétrole avait
coulé dans nos pipe-lines.
Le dîner fut interrompu par un appel à la jeune amie, sage-femme
de son état. Une urgence l’appelait à la maternité
de son quartier, et ils regrettèrent tous deux, une fois de plus,
que la révolution n’ait pas su, pour la venue au monde des hommes
et des femmes, simplifier les choses comme elle l’avait fait pour leur
vie.
Jean-Marc ouvrit alors un des livres de science- fiction : « Le
meilleur des mondes ». Puis il tenta de s’endormir, sans somnifère,
d’autant qu’on n’en fabriquait plus. Il vit, dans la nuit brune, sur
les peupliers gris, la lune, et lui sourit.
Note de l’auteur.- On aimerait que tout ce qu’on vient de lire puisse concerner notre pays. Cela ne paraît pas possible car les Français ne savent pas que l’intérêt général doit l’emporter sur l’intérêt particulier, que le sens civique est la plus importante des règles de vie, que le foie n’est pas fait pour la cirrhose, le poumon pour le cancer, l’automobile pour le cimetière, et la femme pour la prostitution. Ce n’est qu’après que les autorités responsables auront établi et appliqué les programmes d’éducation, d’instruction, d’information nécessaires, que la femme et l’homme français « transformés » seront capables et dignes de bénéficier de la vie que nous avons tenté d’évoquer.