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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 1073 - février 2007

 

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N° 1073 - février 2007

Essai sur la candidature   (Afficher article seul)

Paul Vincent a retrouvé les conseils prodigués dans l’Antiquité à Cicéron : tout dans l’apparence…

Pour une belle aventure commune…   (Afficher article seul)

… conseils que Jacques Chirac avait suivis avec succès en 1995 :

Penser, dépenser, dé - penser   (Afficher article seul)

Pour faire son choix, l’électeur est beaucoup moins averti, et Roland Poquet observe même qu’il est bien conditionné pour ne plus réfléchir ni juger.

Nous enrichir, disent-ils...   (Afficher article seul)

Jean-Pierre mon préfère regarder de près ce qui est présenté avec beaucoup de tintamarre par le ministre-candidat de l’U M(edef) P, et comparer avec les faits.

La démocratie ou ce “Marché” ?   (Afficher article seul)

Marie-Louise Duboin s’interroge sur le pouvoir qui reste aux “élus du peuple” quand le vrai pouvoir de décision a été abandonné aux marchés financiers.

Un droit de plus… et puis ??   (Afficher article seul)

Gérard Henri Brissé constate que toutes les lois annoncées, et toujours à grand fracas, n’ont pas répondu aux appels réitérés par l’Abbé Pierre. Il exprime quand même aux candidats ce qu’il voudrait les voir faire.

La société contre elle-même   (Afficher article seul)

Le dernier livre de Roger Sue.

Plaidoyer pour une société évoluée   (Afficher article seul)

Pour François Châtel, l’égalité des revenus est le signe de la maturité d’une société, et il explique pourquoi.

^


Actualité des élections

L’actualité, en France, est apparemment dominée par la perspective des élections. Tout candidat dispose aujourd’hui d’un enseignement sur l’art et la manière de plaire aux électeurs, qui lui est dispensé par des maîtres. Et ce, depuis l’Antiquité : la preuve, Paul Vincent a retrouvé les recommandations que dispensait déjà, à Cicéron, un siècle avant Jésus-Christ, son frère Quintus.

Il en a extrait ceci :

Essai sur la candidature

Lettre de Quintus Tullius Cicero à son frère Marcus
14 février 2007

Chaque jour, en descendant au forum, méditez ces idées : « je suis un homme nouveau ; je demande le consulat ». Faites paraître ensuite le nombre et la qualité de vos amis. Plus heureux qu’aucun homme nouveau, vous avez pour vous tous les publicains, l’ordre équestre presque entier, beaucoup de villes municipales, plusieurs corporations, tant de personnes de tous les ordres défendues par vous, une foule de jeunes gens que vous attache l’amour de l’éloquence… Votre soin doit être de conserver ces avantages… et par tous les moyens possibles, de persuader à ceux qui veulent vous servir et à ceux qui le doivent, qu’ils ne trouveront aucune autre occasion, les uns de vous prouver leur reconnaissance, les autres d’acquérir des droits à la vôtre.

Rien ne seconde plus efficacement un homme nouveau que l’assentiment des nobles… Il faut leur persuader que, pour nos sentiments politiques, nous avons toujours été unis au parti des grands, et très éloignés de celui du peuple ; que si jamais nous avons parlé dans le sens populaire, nous ne l’avons fait que pour nous concilier Pompée, afin qu’un homme d’un si grand crédit secondât le succès de notre candidature, ou du moins ne s’y opposât pas.

Vous demandez le consulat : tous vous en jugent digne, beaucoup vous l’envient… tous, je crois, hors ceux qui vous portent une affection extrême, sont jaloux de votre élévation… Deux moyens de succès partagent les soins d’un candidat : le zèle de ses amis et la bienveillance du peuple. L’un est le prix des bienfaits, des services, de l’ancienneté des liaisons, de l’obligeance et de l’amabilité naturelle. Mais, dans la candidature, ce nom d’amis souffre une acception plus étendue que dans le reste de la vie : quiconque vous témoigne de la bonne volonté, de la considération, quiconque se montre fréquemment dans votre maison, doit être compté au nombre de vos amis…Acquérez, en un mot, des amis de toutes les classes…Attachez-vous et confirmez dans leur bonne volonté ceux qui peuvent payer des suffrages de leur centurie un bienfait qu’ils ont reçu ou qu’ils attendent de vous…Efforcez-vous de bien distribuer et de faire bien remplir son emploi à chacun de ceux que vous avez obligés ; et si, jusqu’à ce jour, vous n’avez, comme je le sais, rien exigé d’eux, qu’ils sentent que vous avez réservé pour le moment actuel tout ce que vous pouviez attendre de leur reconnaissance…discernez soigneusement ce que chacun peut faire, afin de savoir comment vous devez capter sa bienveillance, et ce que vous pouvez en espérer et en exiger…Au milieu de tant de désagréments, cette position vous offre du moins l’avantage de pouvoir, sans honte, vous unir d’amitié avec qui vous voulez ; ce que vous ne sauriez faire le reste de la vie…Il suffira qu’il pense que vous attachez un grand prix à ses bons offices,…qu’il les place bien, et que, de cette occasion, doit naître une amitié solide et durable, et non point passagère et bornée au temps des comices…Ils vous désireront pour ami, dès qu’ils croiront que vous désirez leur amitié. Pour qu’ils n’en doutent pas, employez les discours les plus propres à le leur persuader.

Puisque j’ai parlé du cortège d’un candidat, j’observe qu’il est indispensable de réunir chaque jour près de vous une multitude d’hommes de toutes les classes, de tous les âges, et de tous les ordres…

Si vous découvrez, ou si l’on vous fait apercevoir dans les promesses d’un client l’intention de vous tromper, ayez grand soin de dissimuler que vous le sachiez ou qu’on vous l’ait dit… N’en cherchez pas moins à pénétrer les intentions réelles de chaque individu, afin d’y proportionner votre confiance…Partout sont à craindre la ruse, les embûches, la perfidie…Pour guérir de leur prévention défavorable ceux qui vous haïssent sans cause, adoucissez-les par de bons offices, par des espérances, par l’assurance que vous chercherez à leur être utile.

Après avoir suffisamment parlé des moyens de vous assurer des amis, je dois traiter de l’autre partie de la candidature, qui a pour objet la faveur populaire…Faites d’abord éclater le soin de bien connaître vos concitoyens…Gagnez ensuite sur vous de paraître agir naturellement dans ce qui est le plus éloigné de votre naturel…vous avez ici besoin d’une sorte de complaisance qui, vicieuse et déshonorante dans le reste de la vie, est indispensable dans la candidature…un candidat ne peut s’en passer, lui dont les traits, la physionomie, les discours, doivent se ployer aux idées et aux affections de tous ceux qu’il aborde.

C.Cotta, cet homme consommé dans l’art de la brigue, disait qu’il promettait à tout le monde … et qu’il s’acquittait envers ceux dont la reconnaissance lui semblait la plus avantageuse : « Le risque est d’offenser celui qu’a trompé votre promesse, mais cet inconvénient est incertain, est éloigné, et ne s’étend qu’à peu de gens, tandis que vous promettez à tous. Par des refus, au contraire, vous indisposez certainement, et dès à présent, un plus grand nombre de personnes… car les gens qui veulent pouvoir compter sur votre assistance sont plus nombreux que ceux qui en usent. Il vaut donc mieux offenser un jour, peut-être, quelques clients dans le forum, que tous, et sur-le-champ, dans votre maison. Les hommes sont plus irrités contre celui qui les refuse que contre celui qu’ils voient empêché, par une cause légitime, de tenir sa promesse, mais plein du désir d’y satisfaire aussitôt qu’il le pourra ».

…Ayez soin enfin que toute votre candidature soit pompeuse, brillante, mémorable, populaire, et qu’elle unisse l’éclat à la dignité …Songez que vous êtes l’homme le plus propre à inspirer à vos compétiteurs la crainte d’une accusation et d’un jugement. Qu’ils sachent que vous les surveillez, que vous les épiez …

^


Ces conseils se résument donc par : tout dans l’apparence. Et aujourd’hui encore, on peut constater que c’est le discours qui fait gagner, il suffit de relire les beaux accents qu’avait su trouver le vainqueur des Présidentielles de 1995. Paul Vincent a sélectionné quelques belles phrases dans La France pour tous que Jacques Chirac avait publié en 1994, aux éditons Nil : douze ans après, ce “programme” pourrait encore servir …

Pour une belle aventure commune…

14 février 2007

page 48 : Plusieurs millions de nos compatriotes privés d’emploi, de logement … sont sur la pente de l’exclusion. Comment ne pas craindre des révoltes ?

page 83 : conséquences les plus choquantes de la nouvelle pauvreté : l’errance devant nos portes de sans-logis voués à la misère physique et morale, acculés à mendier leur survie. Maire d’une grande ville, je connais trop leur détresse pour n’être pas résolu à agir vite.

page 12 : Tandis qu’augmente chaque jour le nombre des exclus, des spéculateurs s’enrichissent, des privilégiés étalent leur vénalité…

page 46 : Je ne conçois la France qu’unie et solidaire, sans laissés-pour-compte… Depuis au moins dix ans, l’ascenseur social est en panne. 

page 68 : Cessons de valoriser ceux qui trichent avec succès, volent l’Etat, s’enrichissent sans profit pour l’économie.

page 72 Il n’est pas fatal que le travail soit taxé plus que le capital, que le coût de la protection sociale repose essentiellement sur des salaires qui stagnent

page 137 : je suis confiant, déterminé et sincère... je vais à la rencontre du peuple français avec le désir et l’espoir d’une belle aventure commune.

^


Mais l’électeur, qui doit choisir parmi des candidats ainsi passés maitres dans l’art de le séduire, comment est-il, lui, placé en situation pour pouvoir juger leurs engagements ?

C’est à cette question que veut répondre Roland Poquet :

Penser, dépenser, dé - penser

par R. POQUET
14 février 2007

Les historiens du futur tiendront sans doute la seconde moitié du XX° siècle comme une période-charnière dans l’histoire des pays aux économies de marché développées.

Mis à mal dans les années 30 par des crues de production à répétition, résorbées dans un premier temps par des mesures malthusiennes, puis, de façon plus radicale, par la destruction d’une partie non négligeable de l’appareil productif de l’Europe et du Japon de 1939 à 1945, le capitalisme fait preuve, dès la paix revenue, d’une énergie décuplée grâce à l’utilisation de technologies de pointe et de produits nouveaux, grâce aussi aux conditions exceptionnelles offertes par un état de rareté retrouvé : en vingt ans, de 1950 à 1970, la production mondiale de produits manufacturés se voit multipliée par quatre, soit une progression de 20 % l’an ! (Honte à la Chine qui n’a vu son PIB n’augmenter que de 10,7 % en 2006, malgré un potentiel technique actuel supérieur en efficacité !)

En diversifiant les produits, en réduisant leur durée d’usage et en stimulant les envies de chaque consommateur par une publicité de plus en plus délirante, le capitalisme va confirmer, année après année, ses facultés d’adaptation en sortant du cadre étroit des besoins élémentaires à satisfaire pour explorer les régions encore vierges du désir humain. Cette nouvelle perspective de développement économique n’est en rien incompatible, pense-t-on, avec un développement humain que permettent la sécurité du lendemain, la réduction du temps de travail hebdomadaire, l’offre accrue de loisirs et un potentiel culturel en plein essor (presse, livres, spectacles, radios, télévision). Notre regard actuel ne peut qu’envier cette période dite des Trente Glorieuses, trente cloches qui sonnent à toute volée dans le beffroi du futur. Soucieux de se libérer au plus vite de l’emprise de la rareté, le monde occidental retrousse ses manches et se promet de gagner « la bataille du charbon et de l’acier » : « il est impossible d’approuver la moindre grève » s’écrie en 1945 Maurice Thorez, premier secrétaire du Parti Communiste, en s’adressant aux délégués mineurs du Nord-Pas-de-Calais ; tous au travail ! C’est à ce prix que la pauvreté et la misère disparaîtront et que l’abondance pour tous deviendra réalité. Rares sont ceux qui osent alors prédire que le chômage de masse est pour bientôt et que la valeur travail sera sérieusement mise à mal.

Comme dans toute période euphorisante de l’Histoire, le souffle de l’esprit accompagne cette guerre sur le point d’être gagnée sur la matière. En France, les forces vives issues des combats de la Libération portent leurs réflexions sur une nouvelle donne politique, économique et sociale et proposent la mise en place d’une économie mixte qui marierait la dynamique du capitalisme à la vigilance de l’État. De façon symbolique d’abord, en portant le théâtre en banlieue, puis de façon plus visible, par la mise en place d’un réseau national d’institutions artistiques et culturelles, le monde des artistes participe à sa manière à la formation sensible des esprits.

Dans un éditorial paru dans le bulletin du Syndicat National des Acteurs en 1958, le comédien Gérard Philipe, tout récemment élu président de ce syndicat, salue l’arrivée de la télévision dans les foyers les plus reculés : formidable outil de développement culturel, elle sera, pense-t-il, le précieux complément de l’éducation nationale.

En 1961, la diffusion d’une création télévisée, Les Perses d’Eschyle, à une heure de grande écoute, connaît un extraordinaire retentissement et demeure, aujourd’hui encore, le symbole d’une télévision intelligente et exigeante.

Mai 1968 marque le point d’orgue de cette période qui s’est placée sous le signe de l’optimisme. La parole est libérée. La toute puissance de la pensée semble définitivement assise, même si le faire est plus que jamais nécessaire.

Las ! Mai 68 ne peut soupçonner la contre-attaque qui s’annonce et qu’elle cautionne en quelque sorte « à titre posthume », à ceci près que ce ne sont plus les paroles qui sont libérées mais des forces beaucoup plus redoutables.

En 1974, l’abandon des accords de Bretton Woods est prononcé, et la libéralisation des changes monétaires va sonner le départ de la mondialisation. Larguant ses amarres, le capitalisme s’ouvre à tous les vents pour mieux les capter. Les tenants d’un ultralibéralisme se réveillent, élaborent une théorie pure et dure du “tout économique” et s’évertuent à placer à la tête des États des hommes et des femmes aptes à l’appliquer dans toute sa rigueur. Pour que la machine économique tourne à plein régime et sans à-coups, il faut non seulement produire mais aussi consommer. Alors que le ministre André Malraux souhaitait faire surgir des « cathédrales de la culture » sur tout le territoire, à leur place fleurissent ces « cathédrales de la consommation » que sont les grandes surfaces commerciales.

Penser n’est plus à l’ordre du jour.

Par contre, dépenser est vital pour assurer le triomphe du capitalisme.

Trente ans après la libéralisation des changes, aucun économiste ne se risquerait à appeler à nouveau ces années les Trente Glorieuses, sauf par dérision. Capitalisme commercial, capitalisme actionnarial, capitalisme boursier. Peu importe le flacon puisqu’il s’agit d’appellations non contrôlées, étiquetées au mépris du désarroi des jeunes, du creusement des inégalités et des dégâts environnementaux.

Donne-t-on aux citoyens des outils pour comprendre ce monde économique et financier devenu de plus en plus complexe ? L’ignorance dans laquelle sont tenus la plupart d’entre eux permet d’éviter toute réflexion tant soit peu poussée et nos responsables politiques ont beau jeu d’asséner vérités et contre-vérités avec le même aplomb. Chaque jour apporte la confirmation d’une pensée en berne ou, plus grave encore, d’une volonté d’étouffer toute velléité de pensée. Souvenons-nous du cynique aveu du patron de TF1, Patrick Le Lay, chargé d’imposer aux téléspectateurs des émissions débiles destinées à faire passer la publicité dans les meilleures conditions : « ce que nous vendons à Coca Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible ».

Désormais un seul mot d’ordre : amener le citoyen à ne plus penser, à dé-penser - le décerveler, prophétisait le père Ubu.

En trois décennies, notre système économique et financier aura réussi l’exploit de freiner l’élan de la pensée, de laisser croire au citoyen que dépenser constitue l’acte le plus noble de l’aventure humaine et que le penser doit se mettre au service du dépenser. Bravo l’artiste ! Petite caméra en main (on n’arrête pas le progrès et il faut faire “modeste”) le capitalisme vient de tourner la suite des « Trente Glorieuses », cette fois en version originale et en toute tranquillité.

Quant à l’abbé Pierre, en près de soixante années de combat stérile, il aura connu les deux versions : on comprend son souhait de gagner au plus vite le ciel.

Post-Scriptum : Pire que le cynisme d’un patron de chaîne télévisée de grande écoute, il y a l’inculture et le mépris de la culture ouvertement affichés d’un candidat à la présidence de la République française. Sa saillie, qui suit, est à déguster sans modération : « L’autre jour je m’amusais, on s’amuse comme on peut, à regarder le programme du concours d’attaché d’administration. Un sadique ou un imbécile, choisissez, avait mis dans le programme d’interroger les concurrents sur La Princesse de Clèves. Je ne sais pas si cela vous est souvent arrivé de demander à la guichetière ce qu’elle pensait de La princesse de Clèves. Imaginez un peu le spectacle ! »

^


Ainsi préparé à ne pas penser, l’esprit de l’électeur est donc “disponible” pour béer d’admiration devant ce qui est proposé comme “programme économique”. Jean-Pierre Mon préfère regarder de plus près celui que présente, dans un impressionnant tintamarre, le candidat de … l’U.M(édef).P. :

Nous enrichir, disent-ils...

par J.-P. MON
14 février 2007

« Il faut que les Français en aient pour leur argent »

C’est le titre de la Une du Monde du 23 janvier, introduisant l’entretien que le candidat Sarkozy a accordé à ce quotidien.

Florilège : « La priorité des priorités est de revaloriser le travail. La crise morale française porte un nom : c’est la crise du travail. C’est lui qui est créateur d’emplois, et pas le partage du travail. Le travail crée le travail. Il faut donc récompenser le travail, créer de l’activité, favoriser la croissance. Et ce sont les réformes qui feront la croissance, pas les économies budgétaires […] Pourquoi avons-nous, depuis quinze ans, un taux de croissance inférieur de 1% à celui des meilleurs des pays libres [1] ? Parce que les salaires sont trop bas, les charges trop lourdes, la pression fiscale trop élevée. Les 35 heures ont servi de prétexte à la rigueur salariale et creusé le déficit de l’État. 17 milliards d’euros, sur les 22 milliards d’euros d’allègements de charges, servent à les payer ».

Pour sortir la France de ce marasme, le ministre-candidat propose tout simplement « une véritable révolution économique » qui consiste à ramener les prélèvements obligatoires français au niveau de ceux de la moyenne de l’Union européenne à 15. « On peut donner aux Français des prestations meilleures en dépensant moins. Si on réduit de 4 % nos prélèvements obligatoires, on rend 68 milliards d’euros aux Français : 2.000 euros rendus aux Français par foyer et par an, y compris les retraités et 4.900 euros par foyer si l’on s’en tient à la France qui travaille ». Sarkozy prétend atteindre cet objectif en réduisant la fiscalité qui pèse sur le travail : tout le monde y trouverait son compte, y compris l’État car « lorsque les salariés ont plus de pouvoir d’achat, ils consomment davantage et les recettes de TVA augmentent ».

Glanées aussi, ces propositions révolutionnaires : réduire l’emploi dans la fonction publique en ne remplaçant qu’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite ; en matière de santé, responsabiliser les patients et instaurer une franchise modeste par famille sur les premiers euros de dépenses annuelles en consultations médicales ou en examens biologiques ; ne fixer aucune limite pour l’âge de la retraite, etc. Mais où se cache donc la “révolution tranquille” dans tout ce fatras de mesures ultralibérales puisées dans la panoplie des économistes du XVIIIe siècle ?

En fait, cette droite n’étant pas bien sûre que les Français se laisseront convaincre par le candidat Sarkozy, elle a, sans tardé, cherché des cautions moins sulfureuses, présentées comme apolitiques parce que venant de la société civile, des “forces vives” du pays.

Où ? Vous avez trouvé : au Medef [2].

Et enfonçons le clou

Deux jours après l’interview de Sarkozy au Monde, le Medef tenait au Palais des Sports de Bercy une Assemblée générale extraordinaire [3] qui a réuni plus de 6.000 entrepreneurs. Sa présidente Laurence Parisot y a dévoilé Besoin d’air. Ce Livre blanc des entrepreneurs présente leur projet de société, dont l’objectif principal est « d’augmenter la richesse de tous les Français ». Comme Sarko !

Ce projet s’articule autour de trois grands thèmes : prospérité, liberté, responsabilité, pour l’avenir des entreprises (il ne faut quand même pas s’oublier) et pour l’avenir de la France. Dans son discours Laurence Parisot attaqua d’entrée : « Il n’y a pas d’autre pays au monde où le fardeau des prélèvements obligatoires sur les entreprises est aussi élevé […] Il faut que les entreprises puissent respirer, aient un peu plus d’air ».

Rêvons un peu avec la présidente : « Avoir en France un taux de chômage inférieur à 5 % et une croissance de 3 ou 4 %, c’est possible. Pendant très longtemps, nous n’avons pas été capables d’accrocher les 3 % et encore moins 4 % de croissance, alors que je pense qu’ils sont atteignables, de même qu’est tout à fait atteignable un objectif de plein emploi ». Un peu plus loin dans son discours, la patronne des patrons s’étonne « qu’on parle si peu du chômage » [4] dans la campagne présidentielle, mais, ajoute-t-elle, « j’apprécie beaucoup que trois des principaux candidats à la présidentielle cherchent à revaloriser le travail ». Mais, « la chose qui serait vraiment utile, c’est de supprimer en France le concept de durée légale du travail et de permettre aux partenaires sociaux de négocier branche par branche, entreprise par entreprise la durée du travail qui est optimum » [5].

En ce qui concerne marché du travail, elle propose la création d’un “contrat de mission”, intermédiaire entre le CDD et le CDI, ou bien l’instauration d’un nouveau type de divorce entre l’employé et l’employeur : “la séparabilité à l’amiable” et de modifier les règles du Smic pour qu’il soit fixé par une commission indépendante et non par le gouvernement.

Allait-elle oublier l’essentiel : la fiscalité ? Bien sûr que non ! Elle l’avait réservée pour la bonne bouche. Elle estime que le dispositif d’aides publiques aux entreprises [6], qui aurait avoisiné 65 milliards d’euros en 2005, est un « système de rustines ». En effet, « les entreprises versent à l’État plus de 280 milliards en prélèvements obligatoires de toutes sortes et sur ces 65 milliards, 20 milliards sont mis de côté pour les 35 heures ». C’est « un dédommagement du préjudice que les entreprises et le monde du travail ont subi avec les 35 heures […] il reste 40 milliards, dont des choses qui ne sont certainement pas des aides directes mais des prêts, des cautions ».

Elle a ensuite comparé les prélèvements qui pèsent sur les entreprises françaises et sur « les entreprises anglaises qui ne versent que 120 milliards ». « Tout cela veut dire qu’il faut réformer profondément notre fiscalité et notre système de protection sociale », a-t-elle conclu. Dans un entretien aux Échos, ce même jour, L. Parisot avait même déclaré qu’elle « souhaite voir figurer dans la Constitution le droit à une fiscalité non confiscatoire, non rétroactive et non cumulative » et elle conseille, tout comme Sarkozy, « d’exonérer d‘ISF les sommes investies par des particuliers dans les PME ».

On l’aura compris Sarkozy-patronat même combat. Cela ne surprendra que les gogos. Il doit en rester quelques uns puisque, après avoir présenté Besoin d’air, programme pour la France ( !!!) pour les dix années à venir, la présidente du Medef a cru bon d’ajouter : « Nous souhaitons que les Français achètent notre livre et comprennent notre pensée ».

Nous pensons l’avoir si bien comprise qu’il est utile de rappeler quelques réalités à ces braves gens qui ne pensent, disent-ils, qu’à nous enrichir …

Et la réalité

Depuis plus de trente ans, dans les pays industrialisés, le chômage augmente inexorablement. C’est la conséquence logique du progrès technologique, accaparé par le pouvoir financier alors qu’il devrait être partagé entre tous. C’est un constat que ne veulent faire ni les partis de droite ni les partis de gauche, pour qui la seule solution au problème du chômage ne peut être que la croissance. L’Ump-Medef (et beaucoup d’autres…) voudrait nous convaincre qu’il s’agit d’un problème typiquement français, dù au fait que nos concitoyens ne travaillent pas assez. Haro sur cette catastrophe économique que constituent les 35 heures ! La gauche, elle, pencherait plutôt pour la flex-sécurité en honneur dans les pays scandinaves. Nous en avons souvent parlé [7]. Cela pourrait être effectivement une bonne solution en y mettant le prix et en l’associant à une forte réduction du temps de travail. Or que constatons-nous dans ces pays nordiques dès que des élections amènent au pouvoir un gouvernement de droite, voire une coalition droite-gauche ? Que la flexsécurité est immédiatement remise en cause. Aux Pays-Bas, par exemple, les Chrétiens-démocrates ont commencé à “réformer” des pans entiers de l’État providence : réduction de plus d’un tiers de la durée d’indemnisation du chômage, durcissement d’octroi des minima sociaux, des pensions d’invalidité, suppression des aides à la retraite anticipée. « Comment remettre les gens au travail ? Voilà ce qui a guidé nos actions », explique le ministre des Affaires sociales. Le prochain objectif du gouvernement est d’éliminer les obstacles à l’emploi après 65 ans. Les Suédois se sont engagés dans la même voie.

Remarquons encore que si l’on étudie les statistiques sur l’emploi publiées régulièrement par Eurostat, on s’aperçoit que les pays qui affichent les taux de chômage les plus faibles sont aussi ceux dans lesquels le travail à temps partiel est le plus élevé. Ceci explique en partie cela. Ajoutons aussi que la productivité des travailleurs français est la plus élevée au monde, cela compte, il ne faut pas l’oublier.

Mais puisque nous vivons dans une économie mondialisée, intéressons-nous à ce qui se passe sur l’ensemble de la planète. Dans son rapport annuel [8], publié le 24 janvier, le Bureau International du Travail s’inquiétait de ce que, en 2006, malgré une progression du produit intérieur brut mondial estimée à 4,9 %, le taux de chômage soit resté pratiquement inchangé (à 6,3 %) par rapport à 2005. Il y a encore 195,2 millions de demandeurs d’emplois à travers le monde et les travailleurs pauvres (1,37 milliard de personnes qui survivent avec l’équivalent de 2 dollars par jour) ont très peu bénéficié de la croissance. « Dix ans de forte croissance n’ont eu qu’un très léger impact, et dans une petite poignée de pays seulement, sur le nombre de travailleurs qui vivent dans la misère avec leur famille », a déclaré Juan Somavia le directeur du BIT. Le rapport n’est guère plus optimiste pour l’avenir : « Quand bien même cette forte croissance devrait perdurer en 2007, de sérieuses inquiétudes demeurent quant aux perspectives de création d’emplois décents et de réduction du nombre de travailleurs pauvres ». Les analystes du BIT pensent que c’est la place prépondérante prise par le tertiaire [9] qui se répercute sur les emplois. Pour réduire le nombre de chômeurs et de travailleurs pauvres, le BIT insiste sur la nécessité de créer des emplois “décents et productifs”. Ce qui en toute logique devrait amener à une réduction du temps de travail. Constatant que durant les dix dernières années, la croissance économique s’est surtout traduite par des gains de productivité qui ont crù de 26 % alors que le nombre d’emplois dans le monde n’augmentait que de 16,6 %, le rapport du BIT conclut qu’« une telle tendance n’est pas forcément menaçante pour les travailleurs si la hausse de la productivité entraîne celle des revenus, ce qui n’est pas toujours le cas ».

Le combat social reste donc, plus que jamais, d’actualité, et dans tous les pays du monde !

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[1] L’Allemagne ne doit donc pas être un de ces pays puisque depuis plusieurs années son taux de croissance reste très inférieur à celui de la France, comme le montrent toutes les statistiques européennes.

[2] Mouvement des entreprises de France, le syndicat des entrepreneurs.

[3] Vous pouvez en admirer la video sur le site du Medef.

[4] La réponse vient d’être connue : l’INSEE a décidé de reporter la publication des statistiques sur le chômage à… après les élections. Mais pourquoi donc ?

[5] Sa grammaire est un peu approximative, mais on comprend quand même bien ce qu’elle veut dire !

[6] Le rapport des inspections des Finances, des Affaires sociales et de l’Administration précise que cette somme correspond à 4% de la richesse nationale.

[7] Voir par exemple GR 1072.

[8] Mme Parisot et M. Sarkozy travaillent trop et n’ont pas le temps de lire de tels rapports.

[9] Selon le BIT, pour la première fois, la part du secteur des services dans l’emploi mondial est passée à 40%, devant le secteur agricole (38,7%) et l’industrie (23,3%).

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Nous sommes en démocratie, nous dit-on, parce que nous avons l’occasion, une fois de temps en temps, une fois tous les cinq ans pour la Présidence de la République, d’élire des “représentants”, chargés de décider ensuite pour nous, en notre nom. Mais si ces représentants n’ont pas le pouvoir de prendre les grandes décisions économiques, de choisir les investissements qui déterminent l’avenir, ce n’est plus ni le peuple (démo) ni ses représentants qui décident.

Marie-Louise Duboin a cherché où est passé le vrai pouvoir. Ses réflexions sont réunies dans un livre qu’elle présentera lors de deux conférences-débats :

La démocratie ou ce “Marché” ?

par M.-L. DUBOIN
14 février 2007

Peut-on parler de démocratie, dès lors qu’on nous affirme que la croissance et la compétition sont les deux mamelles de l’économie, et que l’organisation de notre société doit être obligatoirement soumise à ces deux impératifs ?

Alors que la croissance n’est pas toujours possible, qu’elle devient souvent dangereuse, qu’elle n’est pas souhaitable dans tous les domaines, et que ses retombées promises pour mettre fin à la pauvreté ne sont pas au rendez-vous ?

Et que la compétition, qui place chacun en rival des autres, n’est ni la seule façon de stimuler l’activité, ni l’assurance d’en tirer les meilleurs résultats, ni même de favoriser la créativité ?

Pour peu qu’on fasse l’effort d’y réfléchir, on s’aperçoit vite que ces deux obligations sont liées au fonctionnement de la monnaie actuelle, dont la création et l’usage ont été complètement transformés, sans que la plupart des citoyens en aient conscience.

On découvre alors comment cette monnaie de dette dicte nos comportements.

Qu’en renonçant à leur pouvoir régalien en ce domaine, les responsables politiques, quoi qu’ils promettent, n’ont plus les choix qui déterminent l’avenir, ce sont les financiers, les investisseurs, et autres joueurs sur les marchés financiers qui prennent à leur place les décisions les plus importantes.

Alors on comprend qu’il faut d’abord que soit remise en question cette monnaie, qui, en outre, est une rente que les contribuables versent au privé, sans, en général, le savoir.

C’est la condition nécessaire pour qu’une économie plus humaine soit envisageable, pour qu’il soit possible de remplacer cette lutte dévorante vers un profit personnel par la coopération et la solidarité, pour qu’on puisse réfléchir aux conséquences avant d’entreprendre, et qu’on ne recherche la croissance que là où elle est à la fois souhaitable et raisonnable.

C’est le sujet de mon nouveau livre, dont la parution est prévue fin février.

Je m’en expliquerai au cours des conférences qui sont prévues le mois prochain, où j’espère rencontrer des lecteurs avec qui j’aimerais discuter de cette façon de voir enfin la démocratie dans l’économie.

Tonnay-Charente

Vendredi 16 mars 20 heures au Centre Richard Salle de l’auditorium avenue De Gaulle

organisateur : “L’écho du citoyen” du CAP-Centre Social

Vaulx en Velin

Mercredi 7 mars 19 heures 30 au Centre social et culturel Jean et Joséphine Peyri rue Joseph Blein (la Côte, près de la mairie annexe)

organisateur : le Collectif Citoyens (tel 04 78 79 13 90)

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Un dessin publié par le quotidien Le Monde faisait remarquer, avec beaucoup d’esprit, que le meilleur hommage que les autorités françaises pouvaient rendre à l’Abbé Pierre aurait dù être de réaliser ce qu’il demandait. Elles ont préféré une grand’messe à Notre Dame et une loi sur le logement “opposable”. Et puis ??

Un droit de plus… et puis ??

par G.-H. BRISSÉ
15 février 2007

Après de multiples péripéties, voici donc introduit dans nos institutions un droit au logement “opposable”. Un droit de plus ! Par ses actions spectaculaires, l’Association des Enfants de Don Quichotte a réussi là où d’autres ont à demi échoué. On peut certes créer des logements par ordinateur, dans un monde virtuel où toutes les compositions intellectuelles sont possibles. Prendre conscience du sort matériel de millions de gens laissés au bord d’une route, sous les arches d’un pont ou sur les berges d’un canal, est une chose fort louable. Mais aménager concrètement des logements sociaux, répondant à la variété des soins ou des situations sociales, en est une autre…

Hélas, depuis le rude hiver de 1954 et la voie forte de l’Abbé Pierre, la question du logement en France, en particulier celui des SDF, n’a toujours pas été résolue. Certains répètent à l’envi qu’il suffirait de réquisitionner les appartements vides ; mais s’ils demeurent sans occupants, il doit bien y avoir une raison. Peut-être faut-il la chercher dans le prix des loyers, devenu prohibitif ! Dans ce domaine comme dans tant d’autres, l’État qui a en charge le service public, a abandonné aux lois du marché toutes ses prérogatives. Il a renoncé à intervenir en faveur du bien commun et de la justice sociale. Comme si tous les acteurs de cette pantomime d’affairistes se réduisaient à des marchandises, ou à des animaux que l’on s’échange sur un marché à bestiaux.

Sous prétexte d’un remodelage des plans d’urbanisme, que l’on a nommé je ne sais pourquoi “plan de cohésion sociale”, on a entrepris de démolir des tours d’habitation construites à la hâte dans le souci d’héberger le plus de monde possible. Elles avaient vocation, de toute façon, à disparaître au bout de trente ou quarante ans de services. Mais, pour louable que soit cette disposition, on ne fait que remodeler des quartiers devenus invivables avec le temps ; on les remplace par des réalisations que l’on souhaite à taille humaine, mais qui rassemblent un peu moins de logements.

Certes, on a construit en France, en 2006, un peu plus que les années précédentes. Mais les nouvelles réalisations architecturales n’ont de “sociale” que l’ambition. Le coût de la plupart de ces habitations, neuves ou réhabilitées, les rend inaccessibles aux bourses modestes. Déjà les Don Quichotte replient leurs tentes. On a réglé le problème du logement le temps d’un coup de gueule médiatique en période électorale. Sans rien retirer aux mérites des initiateurs de ce mouvement, on aurait aimé qu’il débouche sur un plan à long terme.

Un droit au logement “opposable”

Un droit au logement opposable figurera donc dans notre Constitution, au même titre que le “droit au travail” qui y est déjà. Le suprême magistrat de France a saisi cette opportunité de faire avancer les droits de « ses chers compatriotes », mais cette proclamation suffira-t-elle à fabriquer du logement ? La réitération d’un “droit au travail” n’a jamais, à notre connaissance, été créatrice d’emplois ! Elle n’a pas fait avancer d’un poil la douloureuse question de l’inactivité forcée, ni de l’exclusion sociale.

Des mots, toujours des mots....

Les problèmes du chômage, du logement, des revenus et de l’insertion sociale sont intimement liés, et on pourrait leur ajouter le droit à un environnement salubre. Mais il ne suffit pas de proclamer des droits. À tous les échelons des responsabilités que chacun d’entre nous est appelé à assumer, se trouve le devoir de transcrire ces droits en termes de solidarité, et d’accompagner de réalisations concrètes ces belles intentions.

Mais (et c’est un travers bien de chez nous) nous accordons notre préférence aux incantations verbales, aux propos à l’emporte-pièce et à l’opposition provoquée des groupes d’individus entre eux. Nous adorons les joutes oratoires. Notre société se pose en champ clos des confrontations partisanes, là où nous devrions faire l’effort de bâtir des communautés ouvertes à la recherche d’une société aussi harmonisée que possible. Ce n’est pas utopique si nous annonçons nos intentions comme un idéal à accomplir. Aux yeux des responsables politiques, il suffit de rédiger des textes et des textes de lois, pour la plupart inappliquées et inapplicables, modifiées ou annulées au gré des changements de gouvernements. Cela suffit pour affirmer que dans le jeu politicien un problème est résolu et que la messe est dite. « Ite, missa est ! » Nous avons atteint nos objectifs !

Que le pouvoir de ces acteurs, ou qui se posent comme tels, soit rétréci de jour en jour par le jeu des privatisations ou de la suppression progressive des services publics, ne semble pas les affecter. Ils osent encore hanter nos palais nationaux et leur environnement doré, d’un passé révolu, pour montrer que l’État est toujours là, pour affirmer, mais en paroles, une autorité chaque jour plus chancelante et plus teintée aux couleurs de Bruxelles. Le Parlement légifère, mais pour mettre en pratique une partition écrite ailleurs, dans les couloirs feutrés d’une Europe encore en quête d’une Constitution.

Elle devient ridicule cette sempiternelle course vers un pouvoir évanescent, vers des portefeuilles que l’on s’imagine comme l’antre de la fortune, vers une représentation nationale qui se dissout dans les arcanes du droit européen.

Alors que les entreprises se délocalisent au nez et à la barbe de nos honorables énarques, on se rappelle ce mot de Lionel Jospin, alors Premier ministre, disant en substance que le pouvoir politique était impuissant à maîtriser un tel phénomène. C’est en réalité tous les attributs du pouvoir qui échappent progressivement à leurs promoteurs, et les fonctions de la Banque de France se ramènent à une coquille vide.

Tel le monstre du Loch Ness, a ressurgi récemment l’éternel débat sur l’évasion des capitaux vers les paradis fiscaux, ou vers les fonds spéculatifs à rendement immédiat. Dans un passé récent, on aurait affirmé haut et fort que l’arrivée de la Gauche au pouvoir avait déclenché un mouvement de panique !

Aujourd’hui cette ruée vers l’étranger est expliquée par d’autres considérations. On aurait sans doute une perception plus saine de ce phénomène si l’on avait le courage de poser les vraies questions, celles qui trouvent leur origine dans l’organisation de notre système fiscal, qui est d’un autre âge, et de notre incapacité à le réformer en profondeur.

Condamnés à la charité publique

On nous annonce périodiquement, à coup de grandes déclarations médiatiques, une baisse en pourcentage de l’impôt sur le revenu. Mais ce qu’on nous cache, c’est qu’il s’agit, en fait, d’une régionalisation perverse qui permet à l’État de se débarrasser sur les régions, les départements et les communes, de missions qui leur incombaient précédemment, et sans la contrepartie financière correspondante. De sorte que les régions et les autres collectivités territoriales ne peuvent que se retourner vers le contribuable pour assumer financièrement ces missions. Le pouvoir politique majoritaire en place se donne ainsi le beau rôle en désignant les collectivités locales, souvent dirigées par des élus de Gauche, comme responsables de la hausse globale des impôts qui en résulte les citoyens ! C’est ce qui s’appelle une arnaque nationale dont la principale responsable est l’UMP, l’Union pour le Mépris du Peuple, elle doit être dénoncée comme telle.

Les salariés et les retraités les plus modestes voient ainsi leurs revenus fondre comme neige au soleil ; ils sont phagocytés par les prélèvements obligatoires, jusqu’à devoir, pour survivre, leurs biens ou recourir à la charité publique. S’y ajoutent quelques entorses juridiques à ces “niches” fiscales que l’on accorde à gogo d’année en année, mais qui dans la réalité sont l’objet de “redressements” par les services fiscaux, validés ensuite par la voie judiciaire. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que les contribuables qui le peuvent prennent le chemin de l’étranger. Ce phénomène ne concerne pas que les grandes fortunes !

Les retraites, en particulier, augmentent de 1,8 % à partir du 1er janvier alors que la hausse des prix “utiles”, ceux qui concernent directement le consommateur, est de 8,4 % ! Encore une fois, c’est une arnaque ; Ajoutons-y la forte hausse des tarifs de l’énergie, eau, gaz, électricité, essence...

Naguère, dès qu’une hausse des prix, des biens ou des services était observée, au dessus d’un certain seuil, le montant des salaires était ajusté et c’était justice. Cette échelle mobile des salaires a été supprimée, mais on n’en voit pas les conséquences en haut lieu. Et on s’étonne de la “lassitude” des Français qui, à l’occasion des élections passées, ont montré leur désarroi et leur mécontentement.

Assurer un revenu social garanti et dépénaliser le travail

Il faut en premier lieu mettre un terme à ces délocalisations dites “boursières” si préjudiciables à notre équilibre social et au bien-être de nos populations. On peut le faire de plusieurs manières : en accordant des avantages (fiscaux et autres) aux bénéfices réinvestis dans l’entreprise, ou consacrés au développement des secteurs de la recherche, de l’innovation, etc. Actuellement, des entreprises bénéficiaires de diverses exonérations fiscales ne sont pas même contrôlées !

Il ne suffit pas d’annoncer une baisse de l’impôt sur les sociétés ! Il est urgent de modifier l’assiette de l’impôt direct, qui alimente pour 15 % les caisses de l’État. Les revenus fixes (salaires, retraites, etc) constituaient jusqu’à présent le vivier où l’on puisait abondamment pour alimenter ces budgets. Or le montant de ces salaires et retraites va s’effilochant, tandis qu’enflent d’autres types de revenus (issus des produits du capital, de la spéculation, etc)…

Il est donc urgent de substituer au système actuel, qui commence à dater, un prélèvement uniforme et obligatoire pratiquement indolore mais suffisant, de 0,1 à 1 % sur les transferts de fonds financiers : il aurait le grand avantage de puiser également aux sources des produits du capital et du travail, et outre sa modestie, il aurait l’avantage de l’équité et de la simplicité.

En dépénalisant le travail, on le libère des contraintes financières et administratives qui pèsent sur les entreprises ou les particuliers qui embauchent ou souhaitent recruter, on élimine au moins pour partie la tentation du recours au travail clandestin, et on incite fortement l’embauche et la formation. Les salariés recueillent les fruits de leur travail et en acceptant que les transferts de fonds qui les concernent soient amputés en pourcentage d’un modeste prélèvement, ils ont toujours le sentiment de “payer leurs impôts” et de participer à la solidarité nationale. À condition qu’on leur explique clairement à quoi est destiné leur argent !

Enfin sur le versant de la consommation, qu’il est temps d’ancrer plus solidement à la notion de citoyenneté, le revenu social garanti permettrait l’accès de tous les citoyens à des biens et services dits de grande consommation, parce qu’en permanence disponibles sur le marché, par rapport aux produits ou services de luxe ou de demi-luxe, rares et donc chers. Ces deux types de biens ne seraient pas disponibles avec la même monnaie. On accéderait au revenu social garanti ouvert comme un droit à tous par le truchement d’une carte de crédit spécifique sur la base d’un circuit monétaire — dont l’expression pourrait être “le franc” — interdit à toute spéculation.

Peut-être qu’à force de rabâcher ces vérités premières au risque de nous répéter, parviendrons-nous à nous faire entendre ? Loin des sentiers battus et des tristes réalités d’aujourd’hui ? Les médias s’interrogeaient dernièrement pour savoir si le suprême magistrat en place se représenterait. Par delà le spectacle fort artificiel qui nous est présenté, nous aimerions savoir de quoi demain sera fait, dans ce conservatisme ambiant présenté sous les couleurs du renouvellement, voire de la rupture !

Voici mes propositions, elles s’adressent en réalité à tous les candidats :
- une vision politique dans une société harmonisée, fondée sur la reconnaissance de la personne humaine, et non formée d’individus livrés à eux-mêmes, en confrontation permanente, comme des pions sur un échiquier.
- un redressement du niveau et du cadre de vie de l’ensemble des populations, passant par une diminution progressive des charges qui pèsent sur les salaires et les retraites, et l’amélioration du cadre d’existence et environnemental,
- par l’encouragement aux bénéfices réinvestis, la fin des délocalisations d’entreprises dont la recherche du profit maximum à court terme est le seul critère,
- la modification des modes de recouvrement de l’impôt sur le revenu et de la CSG,
- la redéfinition d’une saine régionalisation, avec précision des compétences et assises financières allouées aux missions de chacun,
- la dépénalisation du travail,
- au sein des Conseils d’administration des entreprises, une plus large représentation des fournisseurs, des salariés et de la clientèle,
- l’instauration d’un revenu social garanti, versé en une monnaie spécifique sur laquelle on ne pourra pas spéculer, qui permettra l’accès à des biens ou services de consommation courante préalablement ciblés et largement mis sur le marché, et sa contrepartie du contrat civique, ou pacte anthropolitique, portant l’exigence d’une activité utile à la société.
- une politique vigoureuse de construction de logements sociaux s’inscrivant dans un plan d’urbanisme à l’échelle humaine,
- l’édification d’une Europe confédérale des États et des Peuples,
- la réforme de l’ONU et la création d’une Organisation des Peuples Unis,
- l’instauration d’un gouvernement fédéral mondial ayant compétence pour gérer certains secteurs de l’activité humaine tels que les migrations et leurs conséquences, le maintien des grands équilibres environnementaux, la lutte contre la pollution, le désarmement et la non-prolifération nucléaire universellement contrôlés, les trafics d’armes, de drogues, la sécurité internationale, le maintien de la paix mondiale, la création d’un Corps d’Intervention Rapide permanent en mesure d’intervenir sur tous les fronts y compris les catastrophes naturelles,

Voici ma pierre à ce Désir d’avenir énoncé par une candidate qui veut être à l’écoute des Français et se montre soucieuse d’œuvrer à l’émergence d’un ordre conforme à la justice et à l’équité. Chiche ?

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Lectures

La société contre elle-même

ou La résistible montée du totalitarisme (Collection Transversales/Fayard)
15 février 2007

Ce livre de ROGER SUE entend exposer, éclairer, et si possible contribuer à dénouer un étonnant paradoxe de nos sociétés modernes : comment, dans l’actualité d’aujourd’hui, même une bonne nouvelle se transforme systématiquement en une mauvaise, ce qui finit par accréditer l’idée du déclin, de la décadence et de la décomposition sociale, exigeant d’urgence un traitement de choc ? Comment est-on arrivé à faire croire à un corps sain qu’il était si gravement malade qu’il finit par le devenir ? Est-il encore temps de réagir et comment ?

Nombre de grands dossiers actuels comme la mutation du travail, la nature du développement économique, la recomposition du lien social ou la question démocratique, peuvent être revisités sous cet angle. Ainsi, la sortie annoncée de sociétés essentiellement fondées sur le travail vers des sociétés plus libres, plus diverses, plus développées et toujours plus riches devrait-elle, à juste titre, passer pour une bonne nouvelle. Or, nous avons réussi l’exploit d’en faire le grand mal du monde industrialisé avec son cortège de chômage, de précarité et de misère.

De même, un développement économique plus centré sur le capital humain, la formation, la santé, le lien social, et finalement sur l’individu et son bien-être, est-il riche de promesses. Or, c’est tout le contraire qui se produit : la santé et la formation ne sont pas les ressorts d’une nouvelle croissance mais des charges budgétaires insupportables qu’il convient de limiter ou de réduire au plus vite pour ne pas pénaliser les entreprises “productives”.

On pensait aussi que, dotés d’un plus grand capital culturel, et forts des nouvelles technologies de communication à leur disposition, les individus allaient multiplier leurs relations, renforcer le lien social et participer plus activement à la construction d’une société plus démocratique. Là encore, c’est exactement l’inverse : le lien social semble se décomposer, l’individualisme règne, la violence prospère, la critique de la classe politique devient un grand classique et l’abstention bat tous les records, mettant en danger la démocratie.

Comment en est-on arrivé là ? Comment a-t-on réussi à transformer des solutions en problèmes ? Pour y répondre, l’auteur propose un nouveau regard sur les causes de ce paradoxe qui mêle retard culturel, absence de recul et de perspective historique, conservatisme politique et défense des privilèges des élites que le discours de la peur ou la politique du pire semblent trop bien servir. Contre l’intérêt de la société elle-même.

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Réflexion

A la suite de l’article intitulé Faire marcher une entreprise en économie non capitaliste, paru dans GR 1070, où il était question d’une possible justification d’un supplément personnel de revenu dans un contrat civique, François Chatel s’appuie sur le fait que Jacques Duboin a toujours été partisan de la distribution égalitaire des revenus pour soutenir ci-dessous cette égalité. Elle lui paraît le mode de partage le plus judicieux, et ses arguments s’appuient sur une conception de la société humaine beaucoup plus évoluée qu’elle ne l’est actuellement. Il souhaite amener ainsi nos lecteurs à réfléchir à cette perspective et à en débattre :

Plaidoyer pour une société évoluée

par F. CHÂTEL
28 février 2007

Hiérarchie de valeurs

Aujourd’hui, la valeur que le marché du travail attribue à une profession est fonction de sa rareté, de l’urgence du besoin à pourvoir, et des profits qu’elle est susceptible de générer. Même en considérant que chacun puisse avoir un travail qui lui permet d’accéder à la consommation par le salaire qu’il en tire, ce qui n’est malheureusement pas le cas, ce marché crée les inégalités criantes qu’on peut constater.

La hiérarchie sociale de valeurs qui est ainsi mise en place est une véritable chape de plomb, elle protége le conservatisme et garantit des privilèges acquis.

Le système actuel utilise ces inégalités, et plus particulièrement les frustrations qui en sont les conséquences, par le réflexe de compensation généré au niveau de la consommation et par la motivation qu’elle est censée produire. Il n’a de libéral que le nom puisqu’il produit la précarité, la violence sous toutes ses formes, un abêtissement général c’est-à-dire une dégénérescence de l’esprit critique et créatif, une normalisation de la pensée, un individualisme absurde et dangereux pour tous.

Le système capitaliste et la hiérarchie des valeurs qui lui est associée n’est qu’une stratégie d’exploitation de tous pour le profit de quelques uns.

Cette hiérarchie de valeurs, établie par les inégalités des revenus, ne peut-elle être éliminée dans un système post-capitaliste mettant en avant le développement de l’Etre et non de l’Avoir, la construction d’une véritable solidarité, l’application des principes de non-violence ? L’inégalité serait-elle une règle indissociable des sociétés humaines ? Alors que l’égalité se rencontre dans certains groupes de chasseurs-cueilleurs, qui vivent, il est vrai, dans l’abondance naturelle.

La valeur du travail

Dans le système actuel, le travail humain impliqué dans la fabrication d’un objet ou dans la réalisation d’un service est inséré dans la valeur de cet objet ou de ce service. Cette valeur est mesurée par un coût, dont l’unité est celle de la monnaie utilisée.

Du point de vue de l’éthique, attribuer une valeur mesurable à la durée de vie d’un être humain est insoutenable. Ce concept n’a qu’un mérite : il dévoile l’intention d’exploiter la personne humaine dans un intérêt particulier. Comme la valeur d’une profession évolue en fonction du temps, selon l’intérêt qu’elle suscite, chacun est donc considéré en fonction des connaissances qu’il a acquises et qu’il est susceptible de restituer au profit de celui à qui il se vend.

Un individu peut-il se voir ainsi comparé à un objet, si précieux soit-il, ou à un service, si prestigieux soit-il ? La moindre des choses serait de lui demander son consentement, ce qui n’est pas le cas, puisque son droit à la vie dépend de la vente de sa force de travail.

Mais le fait qu’un individu accepte de se voir attribuer une valeur marchande signifie que sa véritable motivation au travail est davantage le gain financier, donc l’accès à la consommation qui y est associé, que le service rendu et sa qualité. La relation humaine, cet échange entre un individu et la société, se trouve ainsi tronqué, repoussé à un niveau secondaire en rapport à l’appât du gain, ce qui renvoie à la société actuelle, à l’individualisme et tout ce qui lui est associé de néfaste.

Tout véritable progrès humain, et toute société qui s’en réclame doit, à mon avis, remettre en cause ce concept parce qu’il rabaisse l’humain à un objet, à un utilitaire, il nie l’ensemble des qualités humaines.

Si la vie d’un humain se trouve écartée de toute comparaison avec une valeur mesurable comme la monnaie, sa dignité lui est enfin rendue et la séparation du travail et du salaire est alors vraiment établie.

Si, comme on le prétend, l’esclavage a évolué vers le salariat, alors le progrès humain doit conduire à une nouvelle étape, celle du contrat civique. La participation d’un individu pour répondre aux besoins d’une société n’est pas une valeur mesurable, c’est un devoir, et qui se solde, en retour, par l’accès à la consommation, mise à la disposition de tous selon un partage égalitaire.

Le contrat civique, qui ne supprime pas la mise sur le marché des objets et des services de consommation, doit écarter celle du travail. Les êtres humains ne sont pas à vendre !

Le salaire lié au travail disparaissant ainsi avec la notion de valeur attribuée à ce travail, toute hiérarchie de valeurs s’efface ; elle fait place à la hiérarchie de fonctions.

Les fonctions représentent les différents postes occupés auxquels sont attribuées des tâches à accomplir qui dépendent des qualifications, des compétences des personnes occupant ces postes. De l’organisation de ces postes va dépendre l’efficacité d’une entreprise, d’une association ou d’un service public. Une hiérarchie va alors s’instaurer qui restera cantonnée au domaine où s’exercent ces fonctions, sans déborder dans l’espace social, sans déterminer des inégalités de revenus, sans conditionner la liberté de choix des biens et des services de consommation.

Les activités sociales exercées par un individu pouvant être diverses, chacun pourra remplir plusieurs fonctions, donc faire partie de plusieurs hiérarchies dans lesquelles les postes occupés pourront se situer à des niveaux différents.

“Moi” et les Autres

Le concept de salaire lié au travail, et de valeur du travail fonction d’un certain “mérite”, paraît, de nos jours, “normal“. C’est ainsi qu’on peut réclamer un surplus de revenu pour tenir compte d’un savoir-faire particulier, ou d’une technique qu’on a apprise, ou bien d’un résultat qui est le fruit de son imagination créatrice, bref, on prétend accéder à un privilège en raison de la détention de connaissances ou de qualités exceptionnelles.

Ceci amène à considérer la relation entre une personne et la société, entre le “Moi”et les Autres.

Dans le domaine de l’acquisition des connaissances, il n’existe pas de génération spontanée. L’imagination est le résultat d’un brassage d’idées et de connaissances acquises et mémorisées. Notre programme personnel pour sélectionner des idées est le produit d’un ensemble formé de notre culture, qui provient de notre milieu et de nos capacités individuelles, qui sont liées à notre héritage génétique, ensemble qui a permis la construction de notre cerveau, de son contenu et de ses modèles de réflexion. De sorte que tout découvreur, tout créateur, bénéficie, en fait, des acquis de son époque et de la constitution de son cerveau.

En quoi, l’individu muni d’un cerveau créateur ou qui détient certaines connaissances particulières, en est-il responsable ?

Car le mérite, qui seul pourrait justifier d’un surplus de rémunération, est basé, bien entendu, sur la responsabilité. L’individu est-il responsable de ses chromosomes, des informations reçues et émises par les autres, d’être né à l’époque et dans le milieu social où il vit et qui lui permet d’avoir acquis ce savoir ? Albert Einstein, s’il était né quelques années plus tôt ou plus tard, ou dans un autre milieu, n’aurait pas été le même Albert Einstein.

L’individu n’étant pas maître des informations qu’il reçoit, ni du cerveau avec lequel il réfléchit, comment peut-il prétendre au mérite de ce qu’il connaît ou de ce qu’il crée ?

Le “Moi” n’est qu’un agencement particulier formé d’éléments du “Nous”, de cet ensemble des humains qui est constitué des anciens et des contemporains. Il est une entité originale qui peut utiliser de l’information, l’analyser, la transformer, l’émettre dans le but d’assurer le maintien, la sécurité et les objectifs de son groupe social et de lui-même. Mais pour être il a besoin des autres, sans eux il n’est rien, et l’ensemble a besoin de lui, à la fois de sa normalité et de sa particularité.

Faute d’une rétribution particulière, le détenteur ou l’inventeur d’une technique pourrait-il la garder pour lui ? La réponse est très probablement non, parce que nous sommes tous mus par la recherche de gratification (instincts de plaisir et de dominance) ou de reconnaissance sociale.

Chacun a besoin de se sentir intégré dans la société en y étant reconnu pour ses qualités, ses actions, sa dévotion, ses réponses aux attentes des autres.

L’effort

Comme dans l’exemple de l’article cité, certains pourraient être amenés à réclamer un surplus d’avantages financiers en raison de l’effort consenti pour exécuter une tâche particulière.

Mais comment mesurer cet effort ? Pour la même tâche, il peut falloir plus de temps à certains qu’à d’autres, ou plus de peine. À propos du temps, la vie d’un individu ne peut être comparé à aucune valeur mesurable. À propos de la peine, mesurer l’énergie calorique dépensée pourrait s’avérer un moyen, mais imagine-t-on équiper chacun d’un compteur ? Hors de toute mesure, l’effort consenti ne peut être estimé, extérieurement, que de façon subjective, et par l’individu lui-même, cette estimation échappe évidemment à toute objectivité et peut-être à l’honnêteté.

Tout effort est motivé par un intérêt personnel, réel ou escompté. Même l’apparence d’un parfait désintéressement et d’un total altruisme ne serait qu’illusion. Les besoins de plaisir ou de reconnaissance motivent nos engagements et nos actes. L’assouvissement de ces besoins représente donc la gratification escomptée.

Le surplus de revenu

La gratification par un surplus de revenu présente plusieurs inconvénients :

• Elle ne remet pas en cause le salariat.

• Elle ne remet pas en cause la mesure du travail humain que prétend faire le système actuel, qui, entre autres aspects néfastes, est source d’inégalités et d’une hiérarchie injustifiée.

• Comment attribuer un privilège à une personne dont le « Moi » n’est rien sans tous les « Autres » ?

• Un supplément financier maintient la gratification au niveau des biens, c’est-à-dire au niveau de l’Avoir, alors que je pense que la perception de la gratification d’un engagement social doit s’élever à un autre niveau.

Une société possède beaucoup d’autres moyens de gratification que celui, primaire, du gain financier. Il faut prendre conscience que si chacun bénéficie de réels avantages c’est grâce aux engagements sociaux des autres et aux moyens mis à sa disposition pour qu’il puisse exercer les activités qu’il a choisies. Ensuite il peut profiter d’un système de promotions mis en place dans les hiérarchies de fonctions, être flatté par la confiance qui lui est exprimée par son maintien dans les fonctions qu’il exerce, par la renommée qu’il peut acquérir, ou encore par des invitations à faire partie des conseils économiques et sociaux en qualité reconnue d’expert, etc.

Vers un autre système

Tout progrès humain qui se donne comme objectifs le développement de l’Être et non de l’Avoir, la non-violence et la construction d’une véritable solidarité se doit, à mon avis, de proposer une autre philosophie que celle de l’apologie de l’individualisme.

Si se trouvent validés les principes capitalistes prônant la poursuite de l’intérêt individuel pour motiver le progrès et faire bénéficier des retombées le reste de la société, l’ensemble des problèmes collatéraux lié à ces principes n’est pas prévu ou est négligé au regard des privilèges escomptés. Guerres, violences en tout genre, exclusions, injustices, pollutions, catastrophes, exploitations diverses et bien d’autres dommages conséquents accompagnent ce système et sa philosophie.

Le système communiste (il ne s’agit pas ici de la dictature Stalinienne) a pour qualités d’apporter la sécurité à chacun, de tendre vers un partage égalitaire des biens et des services disponibles et d’empêcher la pauvreté involontaire, mais il a montré les faiblesses de son organisation pyramidale, lourde, souvent bloquante, exigeante quant à l’abnégation de l’individu et à la négation de toute particularité de celui-ci.

L’individualisme, la philosophie du “Moi” et des rapports de force, qui est celle de l’adolescent, n’a plus lieu d’être, l’âge adulte débouche sur un tout autre état d’esprit. De sorte qu’entre les extrêmes, entre individualisme forcené et étatisme sclérosant, une autre organisation sociale peut désormais trouver sa place.

Au communisme il faut ajouter la prise en considération des besoins d’un individu adulte, la reconnaissance de la richesse et de l’originalité de chacun et l’importance des libertés individuelles.

Le nouveau système doit révéler, favoriser, exalter un comportement de citoyen allant dans le sens de l’évolution. C’est donc une autre culture et une éducation nouvelle. La société offre sa force au citoyen, elle assure sa sécurité et satisfait ses besoins primordiaux, et elle l’accueille pour qu’il contibue à cette force.

Chacun va donc tenir au moins un rôle, reconnu par tous, comme participant à l’équilibre de cet ensemble, suivant les règles d’une organisation politique choisie en commun. Et réciproquement, l’ensemble va s’employer à répondre aux besoins matériels et informationnels de chacun de ses membres, lui assurer les meilleures conditions pour qu’il puisse exercer son rôle au mieux. À tout moment l’individu est ainsi nourri d’une information généralisée sur la situation de l’ensemble et il bénéficie des biens matériels disponibles. En fait, le citoyen au sein de la société est dans la même situation qu’une cellule au sein du corps humain. Celle-ci exerce son rôle pour le bien de tous, elle informe l’ensemble sur sa situation et l’ensemble lui garantit les meilleures conditions possibles en fonction des moyens dont il dispose. Or ces moyens dépendent des rôles de tous : « je donne pour tous et comme tous en font autant, je reçois de tous. »

Comme le corps humain, la société doit constamment s’adapter aux influences, aux fluctuations, aux perturbations accidentelles de son environnement. Elle doit à tout moment faire preuve d’imagination pour répondre judicieusement aux sollicitations extérieures et aux besoins internes. L’organisation politique a donc tout intérêt à solliciter régulièrement les opinions individuelles, à promouvoir et organiser des forums de discussions, des assemblées nationales, régionales ou même de quartier, et des votes afin d’assurer au mieux la cohésion sociale.

Celui qui croit qu’une croissance exponentielle peut continuer indéfiniment dans un monde fini est un fou … ou un économiste.

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