Les vendeurs de mal-bouffe sucrée, la télévision qui bénéficie de leur publicité et leurs cabinets de lobbying sont très forts, plus que les sénateurs : ils ont eu raison du ministère de la santé qui croyait pouvoir enrayer l’obésité ! Le président d’Attac aura-t-il plus de courage ?
JEAN-PIERRE MON montre, une fois de plus, que ce n’est pas en augmentant la durée du travail qu’on fera diminuer le chômage.
PAUL VINCENT tente de mettre en pratique la loi censée permettre à tout le monde de créer avec un euro et en un jour sa propre entreprise…
Un exemple d’initiative locale, sympathique et courageuse… à imiter.
GÉRAD-HENRI BRISSÉ qui vécut longtemps au Cambodge, aux côtés du roi Norodom Sihanouk, témoigne de la tragique histoire récente de ce pays.
Pour PAUL VILA, on ne sauvera la démocratie sociale que si la distribution du crédit et l’ajustement des flux financiers aux échanges économiques sont assurés par la Banque nationale.
MARIE-LOUISE DUBOIN commente sa lecture du livre La pauvreté est-elle soluble dans le libéralisme ? que son auteur, Ph. Arondel, nous a adressé.
ACTUALITÉ
L’obésité, et surtout celle des enfants, est un problème de plus en plus grave dans les populations riches. L’Agence française de sécurité sanitaire des aliments s’en inquiète, et constate que la courbe du poids moyen des enfant suit celle des publicités télévisées les incitant à se gaver de gâteaux et de boissons sucrés. Le danger est tel que l’Assemblée nationale a voté en avril un texte de loi sur la santé publique contenant deux articles anti-obésité, dont un visait à interdire les distributeurs de cette mal-bouffe dans les lycées et les collèges. Des distributeurs gratuits d’eau fraîche sont évidemment plus sains. Mais voter cette loi c’était, de la part des députés, compter sans le lobbying dont sont capables les entreprises qui font fortune en plaçant ces distributeurs automatiques à la portée des enfants. La santé de leurs clients n’étant pas leur problème, ils se sont vite mobilisés pour empêcher que la loi soit adoptée par le Sénat en deuxième lecture. La Chambre syndicale nationale de vente et services automatiques a aussitôt lancé sa contreattaque (selon un plan qui est décrit sur internet) : recrutement d’un cabinet de lobbying politique, conseils mis à la disposition des distributeurs pour qu’ils sachent comment s’y prendre pour faire pression sur les élus et argumentaire envoyé au ministère de l’éducation nationale.
Et ce jeu d’influence a marché [1]. Le ministère de la santé qui s’était inquiété en constatant : « l’obésité et le surpoids des enfants ont triplé en France en 20 ans », défend maintenant ces distributeurs automatiques ! « Ce type d’équipement participe de la mission éducative de l’établissement scolaire » a osé dire le rapporteur de la commission des affaires sociales du Sénat, qui, avec le soutien du gouvernement, a remanié les deux articles anti-obésité : il n’est plus question d’interdire les distributeurs automatiques dans les collèges et lycées.
Quant à la publicité à la télé pour des « boissons avec ajout de sucres, de sel ou d’édulcorants de synthèse et de produits alimentaires manufacturés », elle devra simplement contenir une information sanitaire…mais les annonceurs pourront même déroger à cette obligation, il leur suffira pour cela de verser une contribution au financement d’une campagne télévisée d’éducation à la santé !! « C’était abusif de vouloir imposer aux industriels de dénoncer leurs produits. Il faut des messages de santé publique mais aussi responsabiliser les parents et les enseignants » a d’ailleurs renchéri le lobby des chaînes de télévision, inquiet de voir baisser ses recettes publicitaires de la part des industries alimentaires.
D’ailleurs, quel est le rôle de la télévision ? — Le PDG de la première chaîne, Patrick Le Lay, répond lui-même [2] en ces termes sans équivoque « …soyons réalistes : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit ». Et il va même jusqu’à préciser : « pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont [donc] pour vocation de le rendre disponible, c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. Rien n’est plus difficile, ajoute-t- il sans ambage, que d’obtenir cette disponibilité ». Il n’y a donc pas de mystère : ce sont bien des esprits creux que forme la télévision. Rien d’étonnant à ce qu’ils ne lisent pas ensuite La Grande Relève !
La pub de nos dirigeants, après avoir voulu faire croire à l’absolue nécessité de certains bouleversements sociaux (retraites, santé, etc), invite l’opinion à admirer le courage de ce gouvernement. Mais imposer ces réformes au mépris de toutes les manifestations légales de la désapprobation des électeurs n’est pas du courage, c’est tout simplement laisser voir qu’on s’est fait élire pour défendre certains intérêts et qu’on se fiche bien de la fracture sociale. Si ces pressions occultes des lobbies se multiplient en France, comme depuis longtemps aux États-Unis et à Bruxelles, c’est parce que nos élus manifestent un penchant évident pour ces intérêts particuliers et qu’ils sont leurs alliés objectifs (certains y étant liés financièrement, plus ou moins directement).
La réaction primaire à cette attitude est celle du Tous pourris ! des abstentionnistes et de l’extrême droite. La réaction autrement plus responsable consiste à expliquer, à dénoncer ces procédés, tout en cherchant comment les empêcher. Nous ne sommes pas seuls à l’avoir adoptée, puisque c’est la vocation que s’est donnée l’association Attac. Même si celle-ci est débordée par la profusion des luttes qu’elle engage tous azimuts, et que beaucoup de ses adhérents s’en désespèrent, il semblerait que son Président vienne [3] de faire preuve à la fois de courage et d’inspiration au point de secouer un colloque UMP auquel il avait été convié. Il y a en effet osé dire : « La politique de la France ne se fait pas à la corbeille, avait dit le général De Gaulle. Or, désormais, elle s’y fait entièrement ». Il a même été jusqu’à parler de renationalisation des banques, « des entreprises comme les autres » ! Jusqu’où ira son courage ?
[1] La grande presse, en règle générale, ne dénonce jamais ces manœuvres. Fait exceptionnel, le quotidien Le Monde en a parlé dans son édition du 10/07/04. Recommencera-t-il ? Car le président de la commisssion des affaires sociales du Sénat le lui a immédiatement reproché (voir Le Monde des 11-12/07/04).
[2] Dans un livre intitulé Les dirigeants face au changement aux éditions du Huitième jour.
[3] Nicolas Weill : Le président d’Attac secous l’assistance d’un colloque UMP Le Monde du 3/7/4, page 8.
Dans Un combat perdu davance, commentant, en janvier dernier [1], le discours prononcé le soir du 31 décembre 2003 par le Président de la République, dans lequel il faisait de la lutte contre le chômage sa priorité absolue pour 2004, je soulignai que « dans ce combat contre linsécurité sociale, les effets dannonce à la Sarkozy ou la communication à la Raffarin seraient impuissants face aux contraintes imposées par léconomie néo-libérale ». Lanalyse de quelques statistiques mamenait à conclure : « Vouloir répartir un nombre croissant de chômeurs dans un nombre décroissant demplois tout en augmentant la durée du travail relève de la quadrature du cercle. Le problème ne peut se résoudre quen diminuant fortement la durée du travail, tout en allouant à chacun un revenu décent. Or cela ne peut se faire quen redonnant dabord à lÉtat la maîtrise de la création monétaire ».
À peu près en même temps, on pouvait lire dans le bulletin n°14 du Cercle pour un Partage Équitable du Progrès [2] lanalyse suivante, qui rejoint entièrement la notre : « Le Chef la dit pour démontrer la force de ses intentions, Jacques Chirac a même promis de faire voter une loi au Parlement, et de mettre en place de nombreuses autres mesures, dont malheureusement certaines sont déjà passablement usées. Vux pieux, angélisme ou tromperie ? Comme sil ne suffisait que dune loi pour créer des emplois ! Comment la Droite peut-elle croire, après avoir tant critiqué la douteuse loi de modernisation sociale concoctée en son temps par la Gauche, quelle réussira, avec une loi dite de mobilisation pour lemploi ? Cela fait bien 30 ans que dans la marmite sociale, lon touille sensiblement les mêmes ingrédients, et pourtant le chômage saccroît inexorablement. On sait aujourdhui, que des certitudes absurdes, comme augmenter la croissance pour la croissance, ou réduire les impôts, nont jamais eu deffets bénéfiques sur lemploi. Sinon enrichir encore plus les entreprises et les nantis au détriment des salariés et des paumés de la vie. Quand nos politiques comprendront-ils que pour créer des emplois il faut soit créer plus dactivités, soit réduire les horaires ? Il ny a aucune autre alternative !
Et comme laccroissement de lactivité devient de plus en plus aléatoire, il ne reste, quon le veuille ou non, que la Réduction du Temps de Travail. Beaucoup pensent que cette disposition si décriée par le Medef est devenue obsolète. Quelle grossière erreur ! Au train où se développe le chômage aujourdhui, il ne va falloir que quelques années pour que cette mesure de progrès revienne à lordre du jour »
SIX MOIS APRÈS
Le jour même où Jean-Louis Borloo, ministre de lemploi et de la cohésion sociale, présentait son plan, son ministère annonçait une forte hausse du chômage (0,8% en mai, soit 20.300 nouveaux chômeurs en un mois, le plus mauvais chiffre depuis le début de lannée 2004). Au sens du Bureau international du travail, le nombre des demandeurs demploi est maintenant de 2.883.200 ; en un an le chômage des jeunes a augmenté de 6,4%, celui des femmes de 3,9%, etc. Ce qui na pas empêché J-P. Raffarin de déclarer le 26 mai : « la croissance est là, la reprise est là, lemploi repart ». Alors ?!
Le chômage connaît sa plus forte hausse depuis le début de lannée Le Monde, 1 juillet 2004 |
« La France doit augmenter le nombre dheures travaillées » JEAN-PIERRE RAFFARIN Le Monde, 2 juillet 2004 |
LOCDE prévoit 36 millions de chômeurs en 2005 Le Monde, 8 juillet 2004 |
La croissance du chômage nest dailleurs pas une spécificité française. Dans un de ses rapports annuels [3], lOCDE prévoit que plus de 36 millions de personnes seront encore au chômage en 2005 dans ses trente pays membres, ce qui représente 7% de la main duvre totale. Pour améliorer la situation lOCDE recommande aux gouvernements de mettre en uvre une plus grande flexibilité du temps de travail On sait ce que ça veut dire. Cest encore le jour même où J-L Borloo présentait son plan supposé mettre en uvre le virage social annoncé par J. Chirac au lendemain des élections régionales, que le ministre de léconomie N. Sarkozy, déclarait [4] devant plusieurs centaines de patrons de PME, réunis à Paris par la Confédération générale des petites et moyennes entreprises : « Il ne faut pas craindre une réforme profonde des 35 heures [ ] qui sont un contre- sens économique [ ]. Il faut donner le choix à chacun de rester à 35 heures ou de pouvoir en sortir pour ceux qui veulent travailler plus ». Quelle hypocrisie et quelle aberration ! Dune part, il est évident que de nombreux salariés, à temps partiel ou nayant que de faibles revenus, essaieront daméliorer leur fin de mois en travaillant plus en faisant des heures supplémentaires, ce qui du même coup diminuera les possibilités demploi pour les chômeurs ; dautre part, on sait que le salarié ne choisit pas son temps de travail mais que cest « lemployeur qui fixe unilatéralement la durée du travail ; pour les temps partiels, pour les temps complets, comme pour les heures supplémentaires. Tout contrat implique une durée, et ce qui caractérise un contrat de travail, juridiquement, cest un lien de subordination. Cest pourquoi personne, absolument personne ne choisit, ni ne peut choisir sa durée de travail. Par contre lordre public social en vigueur limite à 48 heures la semaine de travail imposée par un employeur (en dehors de circonstances exceptionnelles qui peuvent, après dérogation, la porter exceptionnellement à 60 h). Cette limite de 48 h, ce nest pas une durée maximale française mais elle correspond à une directive européenne. Enfin, les heures supplémentaires sont décidées et imposées par le seul employeur, et ne pas accepter de les faire peut constituer une faute grave » [5]. Pas étonnant, au vu de ces dispositions, que laile libérale de lUMP [6] prépare un projet de loi pour modifier profondément le code du travail et le statut de linspection du travail.
Au cours de la même réunion, le secrétaire dÉtat au budget, D. Bussereau, un fidèle de Raffarin, avait déclaré : « Nous voulons redonner toute sa place au travail. Cest dans cet esprit que nous examinons, sans esprit dogmatique, les possibilités dassouplissement supplémentaires des 35 heures » et en clôture de la réunion, J-P Raffarin nhésitait pas à proclamer avec laplomb et lhypocrisie qui caractérisent ce gouvernement : « La France a un modèle social dont elle est fière. Pour le préserver elle doit augmenter le nombre total dheures travaillées ». À les entendre, le bon sens ne semble plus être « la chose la mieux partagée au monde » : comment en effet faire augmenter le nombre dheures travaillées tout en supprimant de plus en plus demplois.
Pour ceux qui en douteraient encore, le gouvernement français, comme la plupart des autres, ne fait que mettre en application les principes de la World Company [7].
On voit ainsi le FMI saluer les réformes économiques (retraites, assurance-maladie) lancées par le gouvernement français, qui « lèvent petit à petit les obstacles à une augmentation de la croissance à long terme », tout en regrettant « quune fiscalité lourde et un taux demploi faible, auxquels viennent sajouter un déficit important et un choc démographique imminent, assombrissent les perspectives de croissance à long terme ». Suivent les conseils : « bien que cela ne constitue pas une source déconomies immédiates, la vague actuelle de départs en retraite de la fonction publique doit être véritablement mise à profit pour favoriser la consolidation budgétaire à long terme ». Quant aux 35 heures et au SMIC, ce sont : « des mécanismes influant négativement sur les performances du marché du travail ». En conséquence, le FMI invite la France à « repenser en profondeur le SMIC car son niveau actuel élevé et son augmentation continue [ ] conduisent finalement à exclure de lemploi un nombre toujours plus important dactifs potentiels ». Il convient donc « déviter des hausses supplémentaires en termes réels du SMIC ». Et, coup de poignard final pour le plan de cohésion sociale de J-L Borloo : « il ne faut pas retomber dans le piège qui consiste à utiliser des ressources budgétaires pour encourager lemploi non marchand ».
Le FMI salue les réformes engagées par le gouvernement français Le Monde, 18-19 juillet 2004 |
La BCE souhaite que les salariés eoropéens travaillent plus Le Monde, 3 juillet 2004 |
Dans cet hymne à lemploi, la Banque centrale européenne (BCE) nest pas en reste. Elle appelle à améliorer la productivité du travail par plus de flexibilité et estime que les salariés de la zone euro « travaillent, en moyenne, beaucoup moins dheures par an quailleurs ». Toujours et uniquement préoccupée par le risque dinflation, elle demande aux partenaires sociaux de ne pas conclure de hausses de salaires supérieures à 2% par an, même si linflation dépassait ce niveau. Elle invite les gouvernements européens à « des changements supplémentaires de politique pour soutenir loffre de travail et son utilisation et ainsi augmenter les perspectives de croissance à moyen terme, cela afin de protéger les niveaux de vie moyens dune population vieillissante ».
Dans le même registre de sincérité, M. Trichet, directeur de la BCE, sans se prononcer sur lassouplissement des 35 heures en France ou sur laugmentation du temps de travail sans hausse de salaire et avec suppressions de primes dans certaines usines de Siemens en Allemagne et chez Bosch en France, en échange de renoncement à des projets de délocalisations, ne craint pas daffirmer que « tout ce qui va dans le sens dune plus grande souplesse, dune plus grande flexibilité, dune plus grande capacité dadaptation, dune plus grande productivité va dans la bonne direction ». Comme si productivité et croissance de lemploi avec augmentation de la durée du travail étaient compatibles !
On ne sétonnera donc pas en apprenant quen visite à Berlin J-P Raffarin ait vivement approuvé ces propos !
[1] La Grande Relève, N° 1040
[2] www.cerclepep.com
[3] Perspectives de lemploi, 07/07/2004.
[4] Le Monde, 02/07/2004
[5] Gérard Filoche, inspecteur du travail, février 2002.
[6] UMP = Union pour une Minorité de Profiteurs
[7] La Grande Relève, N° 985, février 1999.
RÉFLEXIONS
À l’âge de 67 ans je me suis vu contraint de prendre ma retraite, mais je rêve comme beaucoup de jeunes de créer mon entreprise. Aussi m’étais-je enthousiasmé pour Jean-Pierre Raffarin qui, lors de son arrivée en mai 2002 à Matignon, promettait de rendre l’opération rapide et peu coûteuse, un sondage lui ayant révélé que ceux des jeunes qui ne comptaient pas pouvoir entrer dans la fonction publique avaient presque tous envie de monter leur propre affaire, ce que les gens du Medef lui présentaient comme un plébiscite sans ambiguïté en faveur de la libre entreprise. Avaient-ils vraiment de quoi se réjouir de ce que, a contrario, presque plus personne n’eût envie de bosser pour un patron ? Et tous ces nouveaux patrons, en plus des autres, comment allaient-ils se trouver du personnel ? Mais ce n’était pas mon problème, mon idée étant de travailler seul ou entre copains, sans être obligé de recourir à des mercenaires, et s’il était vrai, qu’avec un capital de un euro et en un jour, j’allais pouvoir être enregistré comme créateur d’entreprise, j’étais partant. Je me sentais même prêt à en créer une tous les matins. C’était pour moi plus excitant que de jouer au Loto.
Les bonnes intentions du gouvernement se sont effectivement concrétisées dans un texte intitulé « Loi N°2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique ». Votée à toute allure avant l’exode massif des Français, Président et gouvernement en tête, cette loi fondamentale destinée à faire redémarrer l’économie passa inaperçue au milieu de leurs problèmes caniculaires. Moi-même ne découvris son existence qu’après la période des congés. À la mairie du 6ème où un comité Créer son entreprise tenait sa permanence, des cadres retraités de vingt ans plus jeunes que moi m’accueillirent avec étonnement et bienveillance. Ils étaient désolés de n’avoir encore reçu aucune instruction quant à l’application de la nouvelle loi, mais de toutes façons leur expérience les rendait très sceptiques sur la possibilité de créer une entreprise en un jour. Et ils ne voyaient pas comment quelqu’un pourrait arriver à travailler avec seulement un euro de capital. Sur ce dernier point ils avaient sans doute tort, car c’était le prix d’un café pris au comptoir et moi je voyais des hommes politiques et/ou avocats connus percevoir des honoraires pour de simples conseils donnés dans des lieux publics, ce que je comptais bien faire au début dans les bistrots de mon quartier. Devant ma détermination, ils m’adressèrent au CFE, le Centre de Formalités des Entreprises, qui est installé dans l’enceinte de la Bourse de Commerce, près des Halles. Mais là non plus ils ne savaient encore rien sur la nouvelle loi. Je décidai donc d’aller tout simplement en acheter le texte à la Direction des Journaux Officiels, qui se trouve être près de chez moi, afin de l’étudier moi-même.
Cette première avancée pour la création de mon entreprise me parut encourageante. Il avait fallu moins d’une minute au personnel de l’accueil pour me trouver le numéro du J.O. contenant la fameuse loi et je n’avais pas trop entamé mon capital : 0,70 euro pour 95 pages format magazine. C’est certainement la littérature la moins chère que l’on puisse se procurer, et qui rassemble des signatures prestigieuses, jusqu’à des membres ou futurs membres de l’Académie française. La numérotation et la pagination se faisant en partant du début de l’année, ce numéro, le 179ème de l’année 2003, commençait à la page 13.441. Qu’on ne vienne pas nous dire que nos parlementaires, ou que les fonctionnaires dans nos ministères, ne font rien ! La loi pour l’initiative économique occupait seulement 14 pages, 8 autres contenant les réfutations par le Conseil constitutionnel de toutes les objections que l’opposition avait soulevées et dont il l’avait saisi.
Je fus tout d’abord frappé de respect en voyant que ce monument historique était cosigné dans l’ordre par Jacques Chirac, Jean-Pierre Raffarin, François Fillon, Francis Mer, Dominique Perben, Hervé Gaymard, Alain Lambert et Renaud Dutreil. Mais sous ses 7 titres, qui se répartissaient en pas moins de 58 articles, je ne réussis pas à découvrir de dispositions répondant clairement à mes attentes.
Dans le chapitre Simplification de la Création d’Entreprise, sur la façon dont cette simplification est présentée, voici quelques exemples :
• dans l’Article 1er : « Le dernier alinéa de l’article 27 de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947... est supprimé ».
• dans l’Article 4 : Le III de l’article 4 de la loi n°94-126 du 11 février 1994 relative à l’initiative et à l’entreprise individuelle est ainsi rédigé : « III – Par exception au I, lorsqu’elles sont transmises par voie électronique, les déclarations relatives à la création de l’entreprise, à la modification de sa situation ou à la cessation de son activité sont faites dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat. »
Pour comprendre en quoi consistent ces deux seules simplifications apportées par la nouvelle loi, il faut donc se procurer également les textes des deux lois de 1947 et 1994 auxquelles elle se réfère, lesquelles, si elles sont rédigées suivant la même technique, doivent renvoyer à d’autres lois encore plus antérieures, et ainsi de suite jusqu’au moins à Napoléon Premier. Il faut aussi partir à la recherche de ce mystérieux décret pris en Conseil d’Etat. Je ne puis résister à la tentation de citer également cet admirable début de phrase dans l’Article 16 : « La sous-section 1 de la section 1 du chapitre 1er du titre VI du livre 1er du même code est complétée par un article L.161-1-3 ainsi rédigé.… » Au secours les juristes et bravo pour les créations d’emplois dans ce secteur !
Cette nouvelle loi est un fourre-tout universel où l’on trouve ici et là quelques apartés, à l’intention par exemple des agriculteurs, des architectes, des citoyens de l’ancienne Alsace-Lorraine bénéficiant toujours d’un statut spécial, celui-là hérité de Bismarck, de même, pour d’autres raisons, ceux de la Polynésie française, de Wallis-et-Futuna, de Nouvelle-Calédonie et de Mayotte auxquels l’article 58 est entièrement consacré, avec des réserves concernant Mayotte dont le statut est encore un peu plus spécial.
Cela a beaucoup enrichi ma réflexion, et je n’ai pas manqué de remarquer que, dans une optique structuraliste, l’étude de la législation apparaîtrait comme la recherche de stratifications successives, l’apparentant à des disciplines pourtant fort éloignées : géologie, archéologie, sociologie, voire théologie.
Quant à mes projets de Conseil en communicologie (ou en communictique : j’ai fait breveter les deux appellations, mais laissé la communictance à Jean-Pierre Raffarin), le lancement de ma Société Faux-nez-tique et Lis-tes-ratures pour la promotion de nouveaux langages, ça n’est pas encore pour aujourd’hui…
ACTION
« Quand est banalisée notre métamorphose de citoyens en consommateurs, quand homo-économicus mène le monde à un suicide, avec toujours plus de pollutions, avec toujours plus d’injustices et d’inégalités, quand notre actualité politique n’est faite que d’une campagne européenne mensongère et stupide, d’un mariage hors loi par trop médiatisé et du seul retour de Jospin comme rupture, avec toujours en fond d’écran, Gaza et Bagdad, il serait fou de poursuivre, il faut se prendre en mains et agir ! »
C’est en ces termes qu’à l’occasion de la fête de la musique, Frédéric, animateur du Centre Culturel de Moussy-le-Vieux, en Seine et Marne, avait convié à une réunion amicale pour débattre d’un problème essentiel, occulté par les politiques et les médias : la monnaie.
Après un sympathique repas convivial, Frédéric commença par demander à chacun qui, à son avis, créé la monnaie en circulation. Les réponses à ce petit test furent édifiantes : tout le monde pensait que c’était l’État, éventuellement par l’intermédiaire de la Banque centrale, mais sur décision du gouvernement. Frédéric fit alors un exposé très pertinent et très vivant, il avait fait un gros effort de préparation pour défricher le terrain en s’aidant, en particulier, des articles parus dans les numéros 1027 à 1041 de la GR. Dans la discussion qui suivit, l’assistance manifesta son intérêt en posant de très nombreuses questions. L’après-midi se termina en écoutant un guitariste, auteur compositeur et interprète de ses chansons, qui nous parut plus talentueux que ceux dont les médias font la promotion.
Une réunion amicale et intéressante, bref une excellente initiative … à reproduire partout.
SORTONS DE L’HEXAGONE
Nous avons la chance d’avoir parmi les amis qui rédigent leurs réflexions pour La Grande Relève un grand témoin de la transformation du Cambodge, qui la vécut sur place, aux côtés du roi. Sans prétendre reflèter l’opinion de ce dernier, ni de tout autre personnalité khmère, G-H Brissé nous fait un grand honneur en nous révèlant bien des aspects édifiants de cette histoire à la fois proche et restée trop lointaine pour beaucoup d’entre nous :
On a fêté le 6 juin 2004, le soixantième anniversaire d’une Libération par des Alliés qui auraient dû le rester, mais que les aléas de l’Histoire ont engagés, entre-temps, sur d’autres fronts, où un prétendu combat pour la liberté s’est mué en oppression.
On a commémoré, je ne sais pourquoi, le 7 mai 2004, le cinquantième anniversaire d’une défaite annoncée qui fut celle de Dien Bien Phù, mais aussi le terme, que l’on espérait définitif, d’une démarche nommée colonialisme, impérialisme, néo-colonialisme, néo-impérialisme.
En Irak, on a réinventé tous les raffinements de la torture, succédant aux cages à tigre en Indochine, à la gégène en Algérie, j’en passe et des meilleures. Il n’est rien de nouveau sous le soleil noir de la guerre, fléau universel. Et une occupation en chasse une autre.
On n’a pas fêté le 9 novembre 2003. Ce jour-là, à des milliers de kilomètres de chez nous, était commémoré le cinquantième anniversaire de l’indépendance du Royaume du Cambodge, autrefois l’un des trois États associés de l’Indochine française.
Ici, il n’est pas question de tortures, de barbarie. Mais d’un authentique transfert de compétences programmé et réalisé dans le temps par un Souverain et son peuple unis dans une même aspiration à la liberté et à la démocratie. Et ce processus, mené au prix d’âpres négociations, s’est réalisé sans qu’un coup de feu ne fût tiré ! Un protectorat, celui de la France, s’est mué en relations suivies de solide amitié et de féconde coopération dans la réciprocité.
Non seulement le roi Norodom Sihanouk, l’un des hommes d’État les plus francophiles et francophones qui soient, sut tirer habilement parti d’une conjoncture historique a priori défavorable, mais il le fit si bien qu’il réussit tout à la fois à obtenir l’évacuation pacifique de son pays par les forces Viêt-minh qui l’occupaient partiellement, mais aussi à présenter son royaume uni à la Conférence internationale de Genève sur l’Indochine, en juillet 1954. Pierre Mendès- France avait suggéré, pour la commodité d’un accord unanime des puissances représentées au Conseil de Sécurité de l’ONU, le partage des trois États associés au sein de la péninsule indochinoise en deux zones, l’une d’obédience communiste, et l’autre occidentale.
Il convient, pour comprendre la portée réelle de cet acte historique, de le replacer dans le contexte où il s’appliquait : au terme des conventions de Genève, des élections devaient être organisées dans un délai de deux ans, sous contrôle international. La Commission internationale de contrôle, instituée à cet effet, maintînt une présence plutôt symbolique, y compris au Cambodge, mais des élections n’eurent jamais lieu. Les États-Unis installèrent au Sud Vietnam un régime à leur dévotion, et soutinrent au Laos et en direction du Cambodge des forces d’extrême droite, conglomérats de seigneurs de la guerre dont l’objectif avoué était de renverser les régimes en place qu’ils jugeaient trop neutres. Pour ce qui le concerne, Norodom Sihanouk demeurera fidèle à l’esprit de Genève. Dès 1954, il proclame la neutralité de son royaume et se rallie dès 1955 aux cinq principes de la coexistence pacifique proclamés la même année à la Conférence pro-asiatique de Bandung (Indonésie).
En 1955 encore, il abdique pour se rapprocher de son peuple. Il cède le trône du Cambodge à son père, le Roi Norodom Suramarit, puis en 1960, à la suite du décès de ce dernier, à sa mère, la Reine Sisowath Nirireath Kossamak. Il est élu chef de l’État et crée le Sangkum Reastr Niyum (la Communauté socialiste populaire) conçu comme rassemblement national plutôt que comme parti politique.
Il engage son pays dans une ère d’édification nationale et de paix qui va durer quinze ans. Considérant dès 1963 que l’aide américaine constitue un cadeau empoisonné, il la répudie publiquement et, en lançant le slogan Le Cambodge s’aide lui-même, il invite le peuple khmer à prendre en main son propre destin.
L’année 1963, c’est aussi l’année où John Kennedy et le Président du Sud-Vietnam, Ngo dinh Diem sont assassinés, puis Robert Kennedy et le pasteur Martin Luther King. La CIA américaine soutient ouvertement contre Phnom Penh les Khmers Serei ; les troupes américano-sudvietnamiennes et thaïs alliées de Washington multiplient les incidents et accentuent leur pression aux frontières du royaume. En 1965, la rupture des relations diplomatiques américano-cambodgiennes est consommée. À la suite du discours du général de Gaulle à Phnom Penh, le 1er septembre 1966, mettant en garde les États-Unis et leurs alliés contre tout engagement armé en Asie, des élections législatives organisées au Cambodge, sous contrôle international, dégagent une majorité de droite pro-américaine qui accède légalement au pouvoir. En vain le chef de l’État crée-t-il un contregouvemement du Sangkum, sorte d’opposition informelle, mais qui ne parviendra pas à recréer un rapport de forces suffisant. En réalité, l’unité nationale se réduit à une fiction.
À partir de mars 1969, sous le prétexte d’éradiquer des sanctuaires viêt-minh en territoire cambodgien, l’armée de l’air américaine se livre à des bombardements massifs, y compris de largage de produits défoliants sur les riches plantations des provinces de l’Est cambodgien. Des milliers de Khmers Serei se rallient au gouvernement de droite. Des flots montants de réfugiés, Khmers Krom fuyant la guerre au Sud- Vietnam, Sud-Vietnamiens et Viêt-minh mêlés, submergent les régions frontalières.
Norodom Sihanouk tente l’impossible : sauvegarder l’indépendance, la souveraineté, l’intégrité territoriale de son pays. Il multiplie les réunions de paix, dont, dès 1965, une Conférence des peuples indochinois ; il sollicite et obtient la garantie internationale d’une quarantaine de puissances quant à l’intégrité territoriale de son royaume, et la reconnaissance de ses frontières ; il préconise une lutte anti-violence contre l’impérialisme ; il obtient l’appui public des libéraux américains, dont le sénateur Mike Mansfield, ou des représentants de la Société des Quakers dont fait partie le Président Richard Nixon.
Toutes ces démarches conjuguées, ces soutiens concertés, seront impuissants à conjurer le cours de l’Histoire : l’irrésistible raz-de-marée idéologique de la Révolution culturelle chinoise à partir de 1966, les dissensions croissantes entre l’URSS et la Chine Populaire, l’effacement progressif et l’impuissance des Non-alignés, la volonté des faucons de Washington d’utiliser le Cambodge comme base arrière pour prendre à revers la résistance Viêt-minh.
Mettant à profit le séjour de Norodom Sihanouk, chef de l’État, à l’étranger, le clan proaméricain de Phnom Penh organise son coup d’État avec le concours de la CIA américaine. La république est proclamée. Une page de l’Histoire du Cambodge est tournée. Pour longtemps.
Nous connaissons aujourd’hui la suite : la montée en puissance du pouvoir Khmer Rouge, auparavant quasi inexistant, la domination à coups de purges sanglantes du clan de Pol Pot, la libération du Cambodge par le Vietnam socialiste voisin, qui en profite pour affirmer sa domination de longues années durant.
Aujourd’hui, le Cambodge, grâce à l’intervention de l’ONU, bénéficie d’une aide internationale importante et se remet lentement de ces mortelles tribulations qui l’ont profondément meurtri. À l’heure où certains milieux américains s’emploient, par le truchement de l’organisation internationale, à mettre en place à Phnom Penh un tribunal international destiné à juger les principaux dirigeants de l’ex- Kampuchea démocratique encore en vie, lesquels, dans leur grande majorité, ont fait leur soumission dès 1996 aux autorités légales, il convient de s’interroger sur les responsabilités des États-Unis dans toutes ces dérives, à la lumière des évènements qui se sont déroulés depuis lors, notamment en Irak.
Est-ce un service à rendre à la cause d’un retour à un ordre de paix que de passer sous silence le soutien actif alloué par Washington et son allié britannique aux Khmers Rouges considérés comme les adversaires les plus efficaces du Vietnam Socialiste ? Dans ce contexte-là, l’initiative américaine visant à l’instauration d’un tribunal international pour juger les Khmers Rouges ne se résout-elle pas à une scandaleuse tartufferie ? Contribuera-t-elle à faire oublier les 800.000 morts au temps de la République Khmère (1970-1975) ? Est-il opportun de rallumer ainsi un brasier en voie d’extinction, celui d’anciennes querelles nées d’une guerre imposée de l’extérieur, dans un pays qui panse à peine ses plaies ?
N’existe-t-il pas d’autres approches plus opportunes pour éviter l’oubli tout en effaçant les tourments qui hantent encore l’esprit des survivants, telle cette grande cérémonie nationale, préconisée dès longtemps par le souverain du Cambodge, qui consiste à incinérer les ossements des victimes et à leur rendre un hommage approprié ?
Sans doute, m’objectera-t-on, il faut bien que justice soit faite. Que les auteurs de crimes abominables soient un jour châtiés. Qu’ils puissent rendre compte de leurs actes. Que les victimes soient honorées.
Soit. On peut se demander qui a intérêt à exciter ainsi indéfiniment l’esprit de vengeance, dès lors que s’impose bien plutôt l’apaisement des esprits. Les Khmers Rouges sont-ils les seuls coupables de cette tragédie ? Ne doit-on pas juger également les grands manipulateurs qui sont à l’origine de ces folies criminelles ? Qui sème la division récolte la tempête...
Les générations montantes ont soif de vérité, plus que de vengeance. Elles veulent savoir ce qui s’est réellement passé. On leur répond par l’obscurantisme : les livres d’histoire de leur pays sont étonnamment pauvres en explications sur ces épisodes tourmentés du passé.
Par delà des avancées certaines : une croissance économique en hausse constante, l’essor du tourisme, le Cambodge contemporain doit faire face à d’autres défis, régulièrement évoqués en termes critiques par son souverain : l’instabilité politicienne, la perte progressive de la souveraineté nationale, l’américanisation trop poussée des élites en rupture avec les traditions nationales, une urbanisation incontrôlée, l’exploitation et la paupérisation des masses paysannes, la corruption et la prévarication érigées en institutions, la déforestation forcenée, la montée de la grande pauvreté qui touche aujourd’hui 43% de la population, et contraint cette dernière à la mendicité dans les pays voisins.
Un étrange progrès lorsque l’on considère qu’avant 1970, la pauvreté constituait un phénomène vraiment marginal. Au Cambodge, une répartition harmonieuse des richesses demeure encore une vue de l’esprit. C’est pourtant l’une des conditions fondamentales du rétablissement d’un ordre de paix durable.
Le Cambodge, comme tant d’autres pays dits émergents, subit la dure loi d’airain de l’ultralibéralisme conquérant. Ne pouvant s’y soustraire, sans doute pour une part en raison du souvenir exécrable laissé par la gestion socialiste des Khmers Rouges, et d’autre part, à cause de la pusillanimité d’une partie de sa classe dirigeante, il doit composer avec les exigences du marché international dont il subit les contraintes.
Sans doute cet épisode n’aura-t-il qu’un temps, et le Royaume devra se résoudre à rechercher les voies de l’intérêt général par delà les ambitions claniques, s’il veut échapper à d’autres contraintes, celles des lendemains qui déchantent...
RÉFLEXIONS
Les quatre premiers présidents de notre cinquième république, incarnations et verbes de la France dans tous ses états ne nous ont pas rapprochés du rêve Liberté-Égalité- Fraternité d’il y a 210 ans. Et Jacques Chirac, malgré son œil resté vif, achève de perdre la consistance nécessaire au progrès de la démocratie européenne, justement centrée sur l’économique.
En fait nos devenons moins libres. Embarqués après la seconde grande guerre dans un essaim de sales petites guerres de pauvres, sans ligne de conduite autre que l’hypocrite statu quo des puissances d’autrefois, mais où les éminences grises sont totalement secrètes.
Avec les présidences 2 et 3, la stratégie démocratique anti-gaullocrate du réalisme à court terme s’est laissée enliser dans une séquence d’abus militaro-industriels, héritages mal contrôlés de la défense libératrice des compagnons, puis alignement sur les succès des État-Unis.
En 1995, le rôle de commandeur européen du président français a cessé avec la fin tant espérée du service militaire obligatoire. On remplaça cette corvée par les études secondaires, les volontariats humanitaires, Erasmus... Ou simplement par des expériences personnelles...
Hélas la crise monétaire a bien limité ces espoirs. Et dans ce vaste et bas monde notre dépendance du grand frère américain pour la simple survie de l’Europe s’est imposée très vite.
Qu’importe, nous étions déjà les otages du système capitaliste américain, avec une image militaire pacifiste, mais en même temps avec ses complicités de corruption politique avec les dictatures foisonnantes au Sud. Chez nous, il y a eu l’innovation française de double jeu : le réseau Foccard, protecteur des intérêts français dans l’import-export qui écrase les ex-colonisés, mais aussi vendeur de protections mercenaires aux chefs d’États africains (puis de l’Inde et de l’Asie moyenne). Que cela ait été toléré au vingtième siècle doit nous interroger [1]. Mais, faute politique encore pire, le devoir d’égalité fraternelle promis par de Gaulle aux excolonisés africains a été cyniquement trahi : il fallait un ballon d’oxygène aux mêmes intérêts de nos pitoyables citoyens Lefloch-Prigent, Pasqua et de divers collatéraux mercenaires parés de lauriers anti-soviétiques… La coopération française a retardé.
Il n’est donc pas étonnant que dès 1990, avec la fin des peurs de guerre froide, les poussées de haine et d’envie aient remis les chefs de peuples maltraités à la violence… Milosevitch, Saddam, les plus incapables de calmer leurs minorités explosives sont devenus les affreux à contrer par l’intervention humanitaire. Le travail de soutien pacifique aux minorités d’Afrique et d’Extrême- Orient a été abandonné par ses plus purs militants en faveur des zones de conflit des Balkans et d’Afghanistan, tombeaux des empires romain puis britannique.
En conséquence, à la place des affreux nationaux, on voit se lever de nouveaux plus affreux internationaux, contaminés par des romantismes religieux, tribaux, ou très bassement nationalistes. Allons-nous soutenir la secte El Qaeda contre nos braves alliés marchands d’ordre et de loi planétaires, qui plus est, alourdis d’un arsenal inadapté à l’anti-guerilla de cavernes montagneuses ?
L’Europe aurait dû mieux se tenir, et surtout ne pas jouer les apprentis-financiers concurrents du système bancaire éprouvé de Chicago à Dallas.
Malgré ce bilan, le refus par Chirac et Schröder de marcher sur l’Irak a dérangé les intégristes de la Pax americana, juges et parties de l’avenir mondialisé.
Pour cela au moins le président français a tenu la corde en tête, encore merci à lui.
Derrière les erreurs des hommes de la Maison blanche on voit un puissant groupe de manipulation, qui se joue des erreurs de jugement des dirigeants visibles, pour diviser les nations et garder la réelle propriété des richesses et du génie productif de l’occident moderne.
Dans sa sagesse, il importe à ce groupe de conserver son monopole de 300 années sur le système bancaire privé anglais, progressivement mondialisé depuis. Alors l’accès pour l’Europe à une libération du crédit bancaire semble verrouillé [2].
Après les chocs de 2002-2004 le gros système de capital mondial devient-il une forteresse vide ? Notre problème avec de tels monstres c’est leur poids mental sur l’opinion, qui oblige à une préparation tactique très précise de la voie démocratique de remplacement structurel.
Dans ces avatars de domination discrètement menaçants du capitalisme anglo-saxon, le bricolage approximatif de notre Chirac jette une note de pénible légèreté.
D’autre part, il nous faut un groupe de décision très solide pour dire et faire la grande réforme de Bercy. Dans la conjoncture de juillet 2004, le dernier Raffarin peut bien mettre toute son énergie à satisfaire la cohérence administrative et budgétaire, et en même temps à relancer l’emploi ; avec les règles de Bruxelles cela n’est pas possible et on va vers une crise de colère sociale. N’oublions pas que les expédients bancaires du volet monétaire de Maastricht étaient dans l’œuf lors des accords Schmidt-Giscard dits du Serpent nonétaire. Tout cela est bien oublié.
Pour les maîtres du cartel bancaire, la grande gauche française (PS + Verts + PCF) n’osera pas non plus sauver la démocratie sociale par la distribution du crédit de consommation et l’ajustement, par la banque nationale, des flux financiers aux échanges. En public en tout cas nos éléphants du PS ne discutent que des aspects négligeables du texte de convention bâclé par le groupe Giscard, sans préciser une position sur les mauvais paragraphes de mode d’emploi économique et social de sa troisième partie. D’où la question : les résignés d’avance (à gauche Cohn-Bendit, Attali, Rocard, …) jouent-ils les nigauds pour mieux profiter d’un échec de Raffarin, et ainsi mieux faire accepter la réforme bancaire selon Joseph Stiglitz ? Je n’ose y croire. Ou existe-t-il l’hypothèse d’un sursaut Sarkozyste ?
Quoi qu’il en soit nous arrivons peut-être au terme : ne nous contentons plus de faux-semblants ! L’occasion de faire enfin l’Europe est à saisir bientôt. Le présent débat sur la santé à l’Assemblée nationale, test des capacités respectives des deux tendances, prend ainsi un intérêt probablement capital, bien au delà de son résultat officiellement visible.
Donc deux objectifs :
• En France, la réforme du crédit national à Bercy, banc d’essai n°1 en Europe
• Pour l’Occident, un travail d’accords d’aide stratégique aux poches de pauvreté, que les grandes ONG (Amnesty International, UNICEF, CCFD et les Croix + Croissants) ne cessent de réclamer (aux dernières nouvelles). Les nouveaux militaires de terrain devraient compter quelques petits théoriciens de l’échange en zone de crise, hérités de la bonne coopération.
De l’audace !
[1] Avec le recul il est possible que ces tolérances aient arrangé les puissants groupes privés totalement irresponsables, mais institués par les diplomates américains depuis les années l950 dans l’industrie pétrolière en zone Arabo-persique, pour faire pièce à l’empire stalinien. Cette domination a faibli depuis la résistance iranosaoudienne des années l970 et la découverte des capacités pétrolières de la Mer du nord. La riposte, d’abord insoupçonnée chez nous, a été le dumping financier par les pétrodollars, véritable malédiction pour l‘Europe.
[2] Pourtant l’Europe pourrait tres bien s’en libérer moyennant un léger correctif au traité de Maastricht, comme le suggérait récemment l’auteur du traité, Jacques Delors. Ce serait une ère nouvelle dans l’histoire, le début du réalisme économique, et un grand soulagement pour les peuples. Un tel abandon ne blesserait peut-être pas tellement les grandsmaîtres du présent système mondial, qu’on imagine occupés sans cesse à se surveiller entre eux.
LECTURE
Le club Ulysse réunit des « économistes et des observateurs de la vie politique, économique et sociale » pour « éclairer et enrichir les débats sur les grandes échéances électorales ». Docteur en droit et en histoire économique et sociale, chargé de recherche économique à la CFTC, Philippe Arondel en fait partie et il nous a adressé louvrage intitulé La pauvreté est-elle soluble dans le libéralisme ? quil vient de publier aux éditions Belin, dans le cadre de ce club.
Fort bien documenté, sappuyant sur des faits irréfutables, cet ouvrage analyse la politique menée par la majorité issue du psychodrame du 21 avril 2002 : Elle consiste, dit-il, à graver dans le marbre de la loi des normes salariales au rabais, reformulées sous la dictée du marché et au nom dune prétendue urgence érigée en dogme. Le comble est que ce « putsch contre le droit du travail », selon le terme employé par lauteur, a été présenté comme destiné à aider à la création demplois ! Philippe Arondel semble donc très indulgent lorsquil se demande sil y a « vraiment lieu de suspecter notre Premier ministre duser dune rhétorique perverse, voire dun scandaleux double langage, lorsquil martelait, le 3 jullet 2002, dans son discours de politique générale à lAssemblée nationale : « Les baisses de charge constituent la clé de voûte de notre stratégie. Ce nest pas de lidéologie, mais tout simplement ça marche, ça crée des emplois. Et cest pour ça quil faut le faire Cest pour ça quil faut alléger les charges ».
Effectivement, depuis 1992, les gouvernements ont été unanimes pour favoriser la modération et la flexibilité des salaires, pour aider le développement de lemploi temporaire ou à temps partiel et pour réduire les cotisations patronales comme peau de chagrin. Lauteur ne peut que déplorer léchec de cette politique : la proportion des bas salaires a beaucoup augmenté, et la pauvreté encore plus.
Sil exprime ce constat en termes réservés et prudents : « Sauf à se laiser bercer de rêves illusoires, il paraît difficile dimaginer que lon puisse planifier le moindre recul de la pauvreté sans que le mode de fonctionnement et dallocation de la ressource humaine dans lentreprise ne soit, sinon bouleversé de fond en comble, du moins révisé de façon drastique », notre économiste qui « refuse toute crispation de type néo-gauchiste » ( ?) nen est que plus éloquent auprès dun certain public, celui qui, nayant pas directement été victime de cette politique, a besoin de ce style policé pour, peut-être, commencer à se poser quelques questions à propos de « mythes qui ont la vie dure »
Il nempêche que la conclusion de cette étude rejoint presque celle dAndré Gorz dans son dernier livre Limmatériel (analysé dans GR 1030, p.5). La politique actuelle y est en effet décrite comme menant à « une séparation de corps avec notre histoire » en ces termes : « on se plaît, avec plus ou moins de précaution, à esquisser les grandes lignes de force dune société - ou plutôt dune anti société où lhomme, libéré du lien de subordination salariale traditionnel, deviendrait le capitaliste de lui-même, le vendeur de son portefeuille de compétences et de savoir-être dans un espace économique uniquement piloté par la loi dairain de la concurrence sauvage ».