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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 1046 - août-septembre 2004 > Une simplifiance abracadabrantesque

 

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RÉFLEXIONS

Une simplifiance abracadabrantesque

par P. VINCENT
août 2004

À l’âge de 67 ans je me suis vu contraint de prendre ma retraite, mais je rêve comme beaucoup de jeunes de créer mon entreprise. Aussi m’étais-je enthousiasmé pour Jean-Pierre Raffarin qui, lors de son arrivée en mai 2002 à Matignon, promettait de rendre l’opération rapide et peu coûteuse, un sondage lui ayant révélé que ceux des jeunes qui ne comptaient pas pouvoir entrer dans la fonction publique avaient presque tous envie de monter leur propre affaire, ce que les gens du Medef lui présentaient comme un plébiscite sans ambiguïté en faveur de la libre entreprise. Avaient-ils vraiment de quoi se réjouir de ce que, a contrario, presque plus personne n’eût envie de bosser pour un patron ? Et tous ces nouveaux patrons, en plus des autres, comment allaient-ils se trouver du personnel ? Mais ce n’était pas mon problème, mon idée étant de travailler seul ou entre copains, sans être obligé de recourir à des mercenaires, et s’il était vrai, qu’avec un capital de un euro et en un jour, j’allais pouvoir être enregistré comme créateur d’entreprise, j’étais partant. Je me sentais même prêt à en créer une tous les matins. C’était pour moi plus excitant que de jouer au Loto.

Les bonnes intentions du gouvernement se sont effectivement concrétisées dans un texte intitulé « Loi N°2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique ». Votée à toute allure avant l’exode massif des Français, Président et gouvernement en tête, cette loi fondamentale destinée à faire redémarrer l’économie passa inaperçue au milieu de leurs problèmes caniculaires. Moi-même ne découvris son existence qu’après la période des congés. À la mairie du 6ème où un comité “Créer son entreprise” tenait sa permanence, des cadres retraités de vingt ans plus jeunes que moi m’accueillirent avec étonnement et bienveillance. Ils étaient désolés de n’avoir encore reçu aucune instruction quant à l’application de la nouvelle loi, mais de toutes façons leur expérience les rendait très sceptiques sur la possibilité de créer une entreprise en un jour. Et ils ne voyaient pas comment quelqu’un pourrait arriver à travailler avec seulement un euro de capital. Sur ce dernier point ils avaient sans doute tort, car c’était le prix d’un café pris au comptoir et moi je voyais des hommes politiques et/ou avocats connus percevoir des honoraires pour de simples conseils donnés dans des lieux publics, ce que je comptais bien faire au début dans les bistrots de mon quartier. Devant ma détermination, ils m’adressèrent au CFE, le “Centre de Formalités des Entreprises”, qui est installé dans l’enceinte de la Bourse de Commerce, près des Halles. Mais là non plus ils ne savaient encore rien sur la nouvelle loi. Je décidai donc d’aller tout simplement en acheter le texte à la Direction des Journaux Officiels, qui se trouve être près de chez moi, afin de l’étudier moi-même.

Cette première avancée pour la création de mon entreprise me parut encourageante. Il avait fallu moins d’une minute au personnel de l’accueil pour me trouver le numéro du J.O. contenant la fameuse loi et je n’avais pas trop entamé mon capital : 0,70 euro pour 95 pages format magazine. C’est certainement la littérature la moins chère que l’on puisse se procurer, et qui rassemble des signatures prestigieuses, jusqu’à des membres ou futurs membres de l’Académie française. La numérotation et la pagination se faisant en partant du début de l’année, ce numéro, le 179ème de l’année 2003, commençait à la page 13.441. Qu’on ne vienne pas nous dire que nos parlementaires, ou que les fonctionnaires dans nos ministères, ne font rien ! La loi “pour l’initiative économique” occupait seulement 14 pages, 8 autres contenant les réfutations par le Conseil constitutionnel de toutes les objections que l’opposition avait soulevées et dont il l’avait saisi.

Je fus tout d’abord frappé de respect en voyant que ce monument historique était cosigné dans l’ordre par Jacques Chirac, Jean-Pierre Raffarin, François Fillon, Francis Mer, Dominique Perben, Hervé Gaymard, Alain Lambert et Renaud Dutreil. Mais sous ses 7 titres, qui se répartissaient en pas moins de 58 articles, je ne réussis pas à découvrir de dispositions répondant clairement à mes attentes.

Dans le chapitre ”Simplification de la Création d’Entreprise”, sur la façon dont cette simplification est présentée, voici quelques exemples :

• dans l’Article 1er : « Le dernier alinéa de l’article 27 de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947... est supprimé ».

• dans l’Article 4 : Le III de l’article 4 de la loi n°94-126 du 11 février 1994 relative à l’initiative et à l’entreprise individuelle est ainsi rédigé : « III – Par exception au I, lorsqu’elles sont transmises par voie électronique, les déclarations relatives à la création de l’entreprise, à la modification de sa situation ou à la cessation de son activité sont faites dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat. »

Pour comprendre en quoi consistent ces deux seules simplifications apportées par la nouvelle loi, il faut donc se procurer également les textes des deux lois de 1947 et 1994 auxquelles elle se réfère, lesquelles, si elles sont rédigées suivant la même technique, doivent renvoyer à d’autres lois encore plus antérieures, et ainsi de suite jusqu’au moins à Napoléon Premier. Il faut aussi partir à la recherche de ce mystérieux décret pris en Conseil d’Etat. Je ne puis résister à la tentation de citer également cet admirable début de phrase dans l’Article 16 : « La sous-section 1 de la section 1 du chapitre 1er du titre VI du livre 1er du même code est complétée par un article L.161-1-3 ainsi rédigé.… » Au secours les juristes et bravo pour les créations d’emplois dans ce secteur !

Cette nouvelle loi est un fourre-tout universel où l’on trouve ici et là quelques apartés, à l’intention par exemple des agriculteurs, des architectes, des citoyens de l’ancienne Alsace-Lorraine bénéficiant toujours d’un statut spécial, celui-là hérité de Bismarck, de même, pour d’autres raisons, ceux de la Polynésie française, de Wallis-et-Futuna, de Nouvelle-Calédonie et de Mayotte auxquels l’article 58 est entièrement consacré, avec des réserves concernant Mayotte dont le statut est encore un peu plus spécial.

Cela a beaucoup enrichi ma réflexion, et je n’ai pas manqué de remarquer que, dans une optique structuraliste, l’étude de la législation apparaîtrait comme la recherche de stratifications successives, l’apparentant à des disciplines pourtant fort éloignées : géologie, archéologie, sociologie, voire théologie.

Quant à mes projets de Conseil en communicologie (ou en communictique : j’ai fait breveter les deux appellations, mais laissé la communictance à Jean-Pierre Raffarin), le lancement de ma Société “Faux-nez-tique et Lis-tes-ratures” pour la promotion de nouveaux langages, ça n’est pas encore pour aujourd’hui…

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