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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 1069 - octobre 2006

 

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N° 1069 - octobre 2006

Au fil des jours    (Afficher article seul)

Jean-Pierre Mon montre, par des exemples récents, que la façon dont est utilisé le progrès technique mène, non pas à déplacer des emplois vers les services, mais à les supprimer. Et les banques n’ont jamais tant fait de profit !

Suivez le mouvement ! … on va vous y aider !   (Afficher article seul)

Marie-Louise Duboin dénonce les moyens utilisés par les zélateurs de notre système économique afin que personne n’ose imaginer le mettre en question.

Faites le test !   (Afficher article seul)

Des acteurs, qui acceptent ce système et en vivent, témoignent de leur façon d’agir et de penser. Il faut du recul pour prendre conscience que les objectifs qu’ils poursuivent avec zèle mènent l’humanité à son suicide.

I- Cessons d’avoir à mendier du travail !    (Afficher article seul)

L’abolition du marché du travail, explique Jean Mathieu, est dans la logique de l’Histoire, et ce ne serait pas une calamité comme on le prétend.

Tour de France de la pollution ignorée   (Afficher article seul)

Caroline Eckert nous avertit : une incroyable quantité de sites très dangereux, dus à la négligence de pollueurs impunis, ont été découverts. Mais tout le monde semble les ignorer.

L’immigration choisie n’est pas une idée neuve   (Afficher article seul)

Paul Vincent en a trouvé la preuve dans ce qu’un médecin raciste publiait sous l’occupation, en 1942.

Avis de tempête   (Afficher article seul)

Gérard-Henri Brissé avertit les futurs candidats qui s’essouflent en belles déclarations : ce n’est pas ce qu’attendent les électeurs, et ils sont mécontents.

Le revenu d’existence seul ne peut pas être suffisant.   (Afficher article seul)

Eric Goujot explique que, tant que le profit restera la motivation de tous, cette allocation minimum sera vite récupérée et galvaudée.

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Chronique

Au fil des jours

par J.-P. MON
25 septembre 2006

Progrès technique et emploi

Calitel cerises, Calitel abricots, Calitelwist… Ce sont les noms des trois dernières “calibreuses” mises au point par l’entreprise Caustier [1]. La première est conçue pour trier les tomates cerises, les litchees, les kumquats,… la seconde pour calibrer les abricots et fruits de même taille, la troisième les pêches, pommes, tomates,… En plus de leur capacité à manipuler des fruits délicats, elles sont équipées d’un dispositif permettant de séparer les queues des fruits jumeaux ou triples. Les fruits sont pesés au gramme près et déposés délicatement dans les compartiments définis par un programme informatique. La cadence, actuellement de 8,5 godets à la seconde, sera bientôt portée à 10.

Le fabricant ne dit pas combien cela supprime d’emplois d’emballeuses de fruits.

Mais l’entreprise fabrique aussi des calibreuses moins sophistiquées, ne faisant pas appel à l’informatique, par exemple les calibreuses mécaniques de mangues pour le Burkina Faso (qui ne dispose pas d’informaticiens à proximité des lieux de production) sont capables de traiter 25 tonnes de mangues à l’heure. Il n’est donc pas étonnant que les Burkinabés viennent chercher du travail en Europe… où ils n’en trouvent pas davantage.

Les économistes orthodoxes persistent cependant à nous dire que le progrès technique ne crée pas de chômage, que ceux qui perdent un emploi dans les secteurs primaire ou secondaire en retrouvent un dans celui des services et des nouvelles technologies. C’est ainsi que :

• Le cablo-opérateur NOOS-UPC va se séparer de 862 salariés, ce qui correspond aux deux tiers de son personnel [2]. Les licenciements toucheront particulièrement les services techniques, administratifs et les centres d’appel téléphoniques qui seront externalisés. Même si NOOS-UPC prévoit de recruter près de 150 commerciaux, le bilan est quand même 712 salariés en moins.

• L’ancien N°1 mondial de l’accès à internet, AOL, va supprimer 5.000 emplois dans les six prochains mois [3], ce qui correspond à un peu plus deu quart de ses effectifs. C’est la cinquième vague de suppressions d’emplois chez AOL depuis 2000.

• Le PDG du groupe américain Intel, premier fabricant mondial de microprocesseurs, a prévenu ses salariés : « Intel doit devenir une compagnie plus agile et plus efficace » [4]. Il faudra pour cela supprimer 10.500 emplois, ce qui permettra d’économiser 2 milliards de dollars en 2007 et 3 milliards en 2008. L’entreprise a pourtant réalisé un bénéfice net de 7,5 milliards en 2004 et puis de 8,7 milliards de dollars en 2005. Mais où vont donc se recaser les licenciés de ces secteurs “porteurs” ? Dans l’emballage des fruits ?

La souveraineté de la BCE

L’Eurogroupe [5] est présidé par le premier ministre et ministre des finances luxembourgeois Jean-Claude Juncker. Son mandat arrive à terme à la fin de l’année. Il envisage de le prolonger, mais à condition de disposer d’une “feuille de route” claire pour « travailler de manière sérieuse et professionnelle » [6]. Il souhaite notamment mieux coordonner les politiques économiques des pays membres et pour cela intensifier le dialogue avec la BCE, la banque centrale européenne.

Au printemps, M. Juncker avait donc exprimé le désir de rencontrer plus souvent le Président de la BCE, Jean-Claude Trichet, afin d’améliorer le pilotage macro-économique de la zone euro. Pas question : arguant de l’indépendance de l’institut d’émission, J-C Trichet avait décliné l’invitation, et J-C Juncker avait averti : « Si nous ne discutons pas dans un salon, il m’entendra par haut-parleur ».

Il faut savoir que J-C Juncker est le père de la réforme du pacte de stabilité et qu’à la fin de l’année 2005 il s’est permis de mettre en garde la BCE contre toute décision trop hâtive de hausse des taux.

Bravo les banques !

Jamais les banques n’ont été aussi riches6. Elles s’imposent comme l’un des “secteurs moteurs” de l’économie (avec les groupes pétroliers et de construction). Au premier semestre 2006, BNP-Paribas a réalisé un bénéfice de 3,9 milliards d’euros. Juste derrière elle, le Crédit agricole (CA) faisait 3,7 milliards d’euros de profits dont 2,7 milliards pour ses activités cotées en Bourse. Avec “seulement” 2,8 milliards d’euros la Société générale arrivait donc bien après. Les experts financiers pensent qu’en 2006 l’ensemble de la profession établira un nouveau record et le CA aussi, dont le président, M. Carron, estime que la rentabilité du groupe n’a plus rien à envier à celle des grandes banques privées, elle atteint 19 % !

Ses dirigeants “croient à une synthèse heureuse entre capitalisme et mutualisme” et que malgré sa mondialisation à outrance, le Crédit agricole ne perdra pas son âme mutualiste. Pour le responsable de son développement en France, Jacques Lenormand, le Crédit agricole « incarne un modèle de banque efficace, conjuguant accès aux marchés et stabilité des caisses régionales défendant un “capitalisme industriel” plutôt qu’un “capitalisme financier” obsédé par le cours de Bourse ». Qui le croit ?

Signes de ralentissement aux E-U.

« Les dépenses de consommation ont augmenté lentement dans la plupart des régions, grevées par de mauvaises ventes d’automobiles et de biens immobiliers […] Dans certaines régions, les stocks des concessionnaires automobiles débordent » [7]. Au deuxième trimestre, la productivité non agricole a augmenté d’à peine 1,6% en rythme annuel et les coûts unitaires du travail ont progressé de 4,9% (et de 5% sur un an, rythme le plus élevé depuis 1990). « C’est une mauvaise nouvelle pour la Fed », estime l’économiste en chef de Global Insight, qui précise que « la combinaison d’une croissance plus faible et l’accélération de l’inflation des salaires met la Fed dans une position difficile car l’augmentation des coûts du travail devrait sans doute encore pousser vers le haut l’inflation de base, hors alimentation et énergie ».

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[1] L’Indépendant, 10/08/2006.

[2] La Tribune, 07/09/2006.

[3] Le Monde, 6-7/08/2006.

[4] Le Monde, 07/09/2006.

[5] L’eurogroupe est une instance informelle où siègent les douze ministres des finances de la zone euro, formée par les pays de l’Union européenne qui ont adopté l’euro comme monnaie.

[6] Le Monde, 08/09/2006.

[7] Livre Beige de la Réserve fédérale américaine, 06/09/2006.

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Actualité

Suivez le mouvement ! … on va vous y aider !

par M.-L. DUBOIN
12 octobre 2006

Suivez le mouvement ! :

Cette fin de civilisation dont nous sommes témoins est bien difficile à vivre.

Il y a de quoi désespérer à voir, chaque jour, les grands médias accompagner un numéro de cirque du ministre qui ne pense qu’à sa prochaine candidature, à sentir la haine qui sourd entre les éléphants du PS, à chercher à faire le tri dans la multitude de ceux qui se voudraient l’unique candidat(e) d’une “vraie” gauche mais qui ne proposent pourtant qu’une série de réformes, alors que celles-ci sont toutes en contradiction avec le principe même de cette économie de marché (mot qui remplace celui de capitalisme) qu’ils n’osent pas mettre en cause.

D’une telle foire d’empoigne ne peut émerger aucun projet d’avenir.

Nos décideurs nous entraînent toujours plus vite dans la même voie* : il faut que la France soit plus compétitive, il faut que ses entreprises exportent le plus possible, qu’elles aient une forte croissance, laquelle sera assurément la panacée pour tous.

Ceux qui sont en mesure de leur prendre le volant ont renoncé à envisager un changement d’itinéraire, aveuglés par leur ambition personnelle ils sont incapables de prendre de la hauteur pour voir où il mène.

Peut-on encore se contenter de demander un coussin pour que les cahots soient moins douloureux aux plus mal placés ?


… on va vous y aider ! :

*… Car pour que tout le monde soit bien convaincu que c’est une voie unique, la grande presse et le discours des politiciens pourraient ne pas suffire.

Alors pour compléter ce qu’on peut franchement appeler une action de propagande en faveur de cette voie, le patronat a mis sur pied l’équivalent des ”think tanks“ américains qui ont été décrits, par exemple par Keith Dixon dans Les évangélistes du marché [1], et qui sont des institutions, largement subventionnées dans le but d’orienter l’opinion.

Le think tank des patrons français a été créé sous le nom d’Institut de l’entreprise (IDEP) en 1975, par le patron du patronat de l’époque, François Ceyrac avec l’aide du patron de la société l’Oréal. Rassemblant aujourd’hui plus de 120 personnes, pour la plupart membres de grandes entreprises ou de groupes d’entreprises, cet institut multiplie les contacts pour agir sur l’enseignement de l’économie, et par là sur l’opinioin en matière économique.

Tout commence par un institut patronal …

C’est ainsi qu’au cours des six dernières années, l’IDEP a mené des actions ciblées sur quelque 5.000 professeurs de sciences économiques et sociales afin de les amener à diffuser sa conception de la micro économie auprès des 200.000 élèves de lycée qui suivent des filières économiques. D’après J-P Boisivon, l’ancien directeur de l’Écoles supérieure des sciences économiques et commerciales (l’Essec) qui a dirigé ces actions, leur résultat serait déjà assez sensible puisqu’il rit en affirmant « qu’il n’y a plus aujourd’hui que Francis Mer pour penser que les manuels scolaires d’économie sont marxistes ». Mais cela ne lui paraît toujours pas suffisant car il ajoute : « force est de constater que l’économie enseignée ne sort guère de la vulgate keynésienne, elle est [trop] macroéconomique et donne globalement une vision … [trop] négative de l’entreprise et de la mondialisation ».

J-P Boisivon avec son équipe, ses conseillers et ses experts, a mis au point une base de documentation sur internet, puis lancé de grands “entretiens” thématiques. Les premiers de ceux-ci par exemple, ceux de 2003, portaient sur “la mondialisation et les entreprises”. Un effort particulier a été ciblé sur les 200 enseignants en économie qui ont fait des “stages d’immersion” en entreprise, de deux mois, alternant périodes dans l’entreprises avec périodes d’étude dans le Think Tank patronal où ils suivaient des cours sur, par exemple, le gouvernement d’entreprise, le client, la conjoncture, le marché. Cette mise en condition a pourtant soulevé bien des protestations : « quand nous avons lancé les stages d’immersion, avoue leur promoteur, l’ensemble des syndicats et l’association des professeurs de sciences économiques et sociales écrivaient deux fois par an à leur ministre de tutelle pour mettre fin à cette opération ». Mais J-P Boisivon se réjouit que ces protestations soient restées sans effet : « nous n’en sommes plus là aujourd’hui », il s’en félicite et en profite pour aller plus loin : « Notre pédagodie serait de toucher assez rapidement 400 à 500 enseignants… ».

« On domine d’autant mieux que le dominé en demeure inconscient. »
Ignacio Ramonet,
dans Propagandes silencieuses.

En outre, cette propagande qu’elle sait si bien présenter comme de la pédagogie ou même de la formation, l’IDEP l’exporte auprès d’autres catégories socio-professionnelles, par exemple auprès des journalistes, des politiciens et même des syndicalistes.

Mais le pédagogue du patronat estime que c’est encore insuffisant. C’est aussi l’avis de Michel Pébereau, président à la fois de cet IDEP et de la BNP Paribas. Il fallait donc faire mieux, puisque selon les termes d’un des conseillers du ministre de l’économie et des finances : « l’acceptation d’une économie de marché fait encore débat » [2].

Quoi, la supériorité du marché pourrait être mise en doute en France ? Notre pays pourrait être une exception ? Il est insupportable qu’il puisse être en “retard” d’une telle “modernité” !

et on aboutit à un Conseil dédié à la culture économique.

Alors, notre brillant Ministre, Thierry Breton, a pris l’initiative d’aller plus loin.

Il a confié [3] à un “Conseil pour la diffusion de la culture économique” (le Codice) le soin de trouver des « vecteurs nouveaux » pour « faire progresser la culture économique dans notre pays », puisqu’il estime qu’elle y est « sous développée ».

C’est fait. Ce Conseil vient d’être officiellement lancé le 4 septembre dernier. Il a pour président Claude Perdriel, le patron de la revue Challenges, entre autres publications. Celui-ci va ainsi disposer, à Bercy, d’un budget, d’un site sur internet et d’une équipe d’une quinzaine de personnes, parmi lesquelles le délégué général du Think tank des patrons qui va lui faire profiter de son expérience, et pouvoir agir sans contestation, avec les moyens.

Il serait impensable ainsi que dans six mois au plus il y ait encore en France une seule personne qui puisse douter des vertus du marché ou ignorer que ses règles sont éternelles et universelles. Ou alors il ne s’agirait que de quelqu’un d’ignare ou d’irréaliste, à qui personne, par conséquent, n’aurait la folie de prêter attention.

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[1] aux éd. Raisons d’agir, en 1998.

[2] Le Monde, 3-4/09/2006.

[3] Voir GR 1068, août-septembre 2006, page 2.

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Lectures

Faites le test !

par M.-L. DUBOIN
12 octobre 2006

Vous vous étonnez qu’on ne vous prenne pas au sérieux quand vous proposez, à la place de l’économie de marché, une économie solidaire, fondée non sur l’égoïsme mais sur le partage, ayant pour objectif non plus le profit financier individuel mais l’épanouissement de tous les êtres humains et qui fonctionne par cooptation et coopération et non plus par rivalité et compétition permanente ?

— Mais c’est parce que vous vous adressez à des gens intoxiqués, à qui on a mis dans le crâne, systématiquement, que la rivalité est la meilleure des stimulations, qu’il faut se battre en permanence contre tous parce que l’homme est mauvais par nature, qu’il ne faut pas avoir mauvaise conscience à agir par égoïsme, car non seulement c’est naturel et légitime, mais parce que la main invisible du marché fait que la somme de tous les individualismes conduit à l’équilibre idéal pour tous, que l’économie c’est par essence la recherche du profit maximum en raison d’une loi universelle que les spécialistes savent scientifiquement démontrer, qu’il faut obliger les travailleurs à travailler toujours plus, pour qu’il y ait croissance économique, que cette croissance est une nécessité parce s’il n’y a pas croissance il y a forcément régression puis mort, et enfin qu’imaginer autre chose, c’est soit un rêve bien gentil mais stupide, soit la volonté dissimulée sous de belles paroles d’instaurer, au contraire un régime autoritaire, totalitaire, etc, etc.

*

Si vous avez besoin d’un thermomètre pour mesurer le degré d’intoxication de votre interlocuteur, il en existe un depuis février dernier : c’est le livre intitulé Soleil capitaliste, publié par les éditions du sextant. Bien entendu, vous le lisez d’abord, pour vous faire une opinion, et puis vous demandez à votre interlocuteur quelles sont ses réactions à sa lecture. Il s’agit d’un livre facile à lire parce qu’il est la transcription d’entretiens, donc le style en est celui du langage parlé, il y a bien un peu de franglais, la “novlangue” des gens branchés, mais même quand on ne la pratique pas, on la comprend. L’auteur du livre, Isabelle Pivert, est allée trouver plusieurs personnes, en général sorties de la grande école de commerce qu’est HEC, toutes proches du sommet de leur carrière (elles ont une quarantaine d’années) et qui exercent un métier dans la finance ou la gestion d’entreprise, et elle leur a demandé simplement de se présenter, de décrire leur activité, de dire quel était leur objectif en choisissant leur métier, quels en sont les intérêts et les difficultés.

Ce livre montre ainsi la réalité du capitalisme vu de l’intérieur, et même de l’intérieur de ses acteurs, leurs motivations et les impératifs auxquels ils sont soumis, comment et pourquoi.

*

« Un État totalitaire vraiment “efficient” serait celui dans lequel le tout-puissant comité exécutif des chefs politiques et leur armée de directeurs auraient la haute main sur une population d’esclaves qu’il serait inutile de contraindre, parce qu’ils auraient l’amour de leur servitude. La leur faire aimer, telle est la tâche assignée dans les États totalitaires d’aujourd’hui aux ministères de la propagande, aux rédacteurs en chef des journaux et aux maîtres d’école. »
Aldous Huxley,
dans Le Meilleur des mondes.

Il est probable que les gens intoxiqués à 100 % seront remplis d’admiration devant l’intelligence, la compétence, la quantité ahurissante de travail fourni et toutes les autres qualités exceptionnelles dont témoignent ces personnes, qui méritent ainsi les salaires qu’elles perçoivent. Ils y trouveront même la preuve que lorsqu’on se trouve devant l’obligation de mettre quelqu’un à la porte, il suffit de lui laisser le temps de sentir venir le coup pour que ce soit une catastrophe. Quand on peut, bien sûr.

À l’opposé, la note zéro en intoxication revient à ceux qui partagent l’analyse qu’en tire l’auteur dans sa conclusion : le capitalisme est un totalitarisme. Il ne s’agit plus de distinguer une race pure et puis d’éliminer tous ceux qui n’en sont pas. Mais il s’agit de même de distinguer ceux qui, ayant compris que le but de l’homme ici-bas est de chercher le profit maximum, sont capables d’agir efficacement dans ce sens et puis d’éliminer tous les autres, ceux qui refusent ce but, comme ceux qui ne sont pas ou ne sont plus capables d’efficacité. Et les lecteurs qui auront droit à un zéro pointé se rappelleront que les totalitarismes finissent par imploser, qu’ils se détruisent eux-mêmes, de l’intérieur. Ainsi le capitalisme ne se contente-t-il pas de détruire l’environnement, il détruit l’humanité en éliminant, dans ceux qu’il asservit, et parfois même dans ses victimes, tout ce qu’ils avaient d’humain.

Que les “zéro pointé” en concluent qu’il est urgent, non seulement de résister avant qu’il soit trop tard, mais aussi de réfléchir à un système économique susceptible de donner à l’humanité une autre motivation que celle qui la mène à sa propre destruction.

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I- Cessons d’avoir à mendier du travail !

par J. MATHIEU
12 octobre 2006

La “fracture sociale” que nous déplorons est d’autant plus pernicieuse que nous n’avons plus à affronter le prédateur clairement désigné des luttes sociales du XIXème siècle, mais les fausses évidences d’une logique de marché sans état d’âme, et que personne n’ose plus contester.

Cette insolite fracture déstabilise en fait un postulat tellement banalisé qu’il paraît naïf de le rappeler : notre système économique est censé offrir à chaque citoyen de ce pays la possibilité de gagner honorablement sa vie en vendant son travail ou le produit de son travail. Ceux qui n’y parviennent pas sont plus ou moins handicapés, ou des gens coupables de ne pas faire d’efforts suffisants. Des mesures peuvent être prises pour leur venir en aide en cas de conjoncture défavorable, mais quoi qu’il en soit, aucune autre méthode de gestion n’est sérieusement envisageable. Le marché du travail est une institution aussi pérenne que le système solaire, point final.

* Philippe Seguin par exemple, et il n’a rien d’un trublion : « Nous n’avons plus à simplement rechercher les bonnes recettes pour sortir d’une crise classique conjoncturelle… Nous devons nous préparer à une société nouvelle, une société que l’on peut imaginer sans grand risque comme une société post-marchande. Et nous devons concevoir pour cette société une organisation qui satisfasse à trois critères fondamentaux : donner à chacun un revenu, l’insérer socialement, lui garantir l’accès à la dignité… Un changement radical est inévitable. Il est clairement annoncé. Il s’agit en réalité d’une véritable révolution »

Pour ce qui est de l’effort, une sérieuse remise en question serait nécessaire de la part de ceux qui ont en charge d’éclairer la société. Remplacer le mot “conjoncture” par le mot “fracture” signifie bien que le marché du travail a pour le moins du plomb dans l’aile. Les commentateurs de “l’horreur économique” s’accordent à reconnaître la nécessité d’inventer autre chose. Déplorons qu’ils tardent à le faire. On ne cesse de dénoncer la maladie, mais le diagnostic manque de précision, et quant à la prescription on pressent qu’elle sera difficile. Certains osent parler de révolution(voir ci-contre).

Nombreux sont les écrits qui par ailleurs témoignent de l’embarras à expliquer l’origine du mal. Tous se rejoignent cependant au même point d’interrogation : pourquoi tant de détresse d’un côté va-t-elle de pair avec tant de prospérité de l’autre ? D’où vient que l’enfouissement des “excédents” s’articule avec les “restos du cœur” ?

La réponse à cette question tient pourtant en peu de mots : la surcapacité technologique de produire engendre une sous-capacité monétaire de consommer parce qu’il devient de plus en plus difficile de vendre son travail, donc de se procurer de l’argent.

Cette fracture qui se creuse entre la possibilité de l’offre et l’impossibilité de la demande n’est d’ailleurs que la conséquence d’un processus sans mystère puisque de tous temps les hommes se sont ingéniés à s’épargner du travail. Non contents d’avoir créé des outils perfectionnés qui leur portaient concurrence, les travailleurs ont fini par inventer les moyens de leur quasi totale éviction de la production des biens.

Mais de quoi sont–ils évincés ? S’ils ne l’étaient que d’une corvée excessive de travail, on devrait appeler ça le progrès par l’émancipation intelligente. Malheureusement c’est de leur valeur marchande qu’ils sont dépossédés, donc du droit même à l’existence dans une société entièrement fondée sur des rapports marchands.

Force nous incombe donc de choisir qui sera finalement évincé : l’homme ou le marché ? On sait que les Verts, amenés à plancher sur le sujet, ont adopté la formule qui a l’avantage de permettre tout ce qu’on veut « Non à l’économie de marché, oui à l’économie avec marché ». On aimerait qu’ils en arrivent à se prendre au mot au lieu de jouer à cache-cache. Car après tout, le marché du travail n’est pas tout le marché. C’est seulement celui qui rabaisse l’homme à l’état de marchandise. Des marchandises, il en reste bien d’autres à négocier pour ceux qui en ressentent la vocation. Il ne s’agirait là que d’en finir avec un marché tellement sinistré qu’il devient difficile pour nos gouvernants de le prolonger sans perdre la face à chaque législature.

Une calamité ?

L’abolition du marché du travail serait-elle donc une calamité sans précédent ? Un état de non-droit impossible à gérer ? Certes, l’exploitation de l’homme par l’homme est vieille comme le monde, mais notre marché du travail libéral, n’en faisons pas un monde, il n’est qu’un dérivé de la machine à vapeur, il a environ deux siècles d’existence. Le marché du travail a éliminé le marché des esclaves au temps des crinolines de Scarlett O’Hara. L’abolition de l’esclavage se limitait en fait à remplacer des travailleurs asservis mais précieux par des travailleurs libres mais jetables à volonté. Certes, le gain d’humanité n’est pas contestable. Mais est-il possible de croire que cette promotion marque un point final à l’émancipation de la société ?

L’histoire du nouveau monde américain est exemplaire parce qu’elle illustre la filiation directe de l’esclavage au salariat. L’Europe n’en diffère que par l’étape de l’économie féodale, laquelle n’impliquait guère plus de rapports marchands. Entre le serf et le seigneur, entre le métayer et son maître, on ne se vend rien, on ne compte pas en écus mais en parts de récoltes. Ce n’est ni un marché, ni un échange, ni un troc, c’est véritablement un partage.

La méthode du partage n’était pas applicable à l’ère industrielle parce qu’à côté de l’économie agraire de subsistance, elle instituait une économie de biens secondaires facultatifs. Le partage de ces biens n’aurait en rien permis de vivre. De même que les belliqueux seigneurs du Moyen-âge devaient déjà payer des soldats pour entreprendre leurs guerres, la bourgeoisie entreprenante du XIXème siècle dût payer des travailleurs pour creuser des mines et façonner le métal. Il fallait bien qu’en plus du boni de charbon qu’il ramenait à la maison, le mineur reçoive aussi les quelques pièces de monnaie nécessaires à l’achat du repas de famille sans lequel il n’aurait pu retrouver l’énergie pour son travail du lendemain.

Oui, mais ils sont scandaleusement exploités, s’indigne alors toute une intelligentsia généreuse, parce qu’ils ne reçoivent qu’une misérable paye de subsistance et nullement la valeur de ce qu’ils produisent. Et Marx d’expliquer que cette plus-value profitable au patron prend naissance dans des heures de travail non payées. Il convient de préciser, à ce propos, qu’au premier stade de l’investissement la plus-value marxiste n’est effective qu’en nature. Dans une fabrique d’armoires, la masse salariale distribuée en un temps donné représente la valeur de cent armoires pendant que le patron en réceptionne cent trente dans son entrepôt. On pourrait se partager cette vraie richesse créée, comme on se partageait à la campagne les boisseaux de blé. Mais ni le patron, ni ses ouvriers n’ayant l’usage de toutes ces armoires, le deuxième stade de l’entreprise consiste à échanger le tout contre de la monnaie. Et il faut trouver à vendre les armoires pour pouvoir acheter autre chose, et particulièrement ce dont on ne saurait se passer.

La monnaie va dès lors occuper une position stratégique que les banquiers n’auront de cesse d’accaparer, allant même jusqu’à s’approprier le droit régalien d’en fabriquer.

Le fordisme

Aux temps où des millions de Charlie Chaplin serraient encore des boulons sur les tapis roulants de Monsieur Taylor, Henri Ford avait admis qu’il ne parviendrait jamais à vendre toutes les voitures produites à cette cadence si la population des salariés restait elle-même démunie de l’argent nécessaire pour en acheter. Le fordisme ouvrait alors les portes d’une valorisation salariale au-delà des seuls biens de subsistance et permettait de créer la clientèle solvable nécessaire à l’expansion des marchés industriels. La paupérisation marxiste devint quelque peu dépassée. On sait comment, à l’issue d’un siècle d’affrontements dramatiques et passionnés, l’effondrement du Mur de Berlin mit un terme à cette idéologie en consacrant l’incontestable victoire des tenants du marché.

En avons-nous pour autant terminé avec cette histoire, comme certains s’empressent de le proclamer ? Nous pourrions prendre le temps de respirer en effet si le triomphant capitalisme n’était pas lui-même frappé de caducité évolutive par ce qu’il faut bien appeler l’obsolescence du marché du travail. En dépit de toutes les procédures mises en œuvre par nos gouvernants, force est de constater que l’effet combiné de la technologie productiviste et du jeu concurrentiel engendre plus que jamais un processus éliminatoire à triple tranchant :

1• Au niveau des postes de travail robotisés, informatisés, les nouveaux Temps modernes renvoient Charlot à son vagabondage d’antan et lui font jouer Charlot vacataire, Charlot précaire, Charlot flexible, Charlot stagiaire, Charlot SDF, etc. (exit la clientèle de M. Ford).

2• Au niveau du marché mondialisé, les entreprises délocalisent ce qui reste de travail vers les pays où les coûts sont exemptés de la charge des acquis sociaux et culturels des nations les plus évoluées (exit tout projet socialiste).

3• Au niveau des managers de la finance internationale, les champions du rendement boursier avancent des pions “regroupements licenciements” qui vont à l’encontre de l’emploi salarié.

La logique du système se résume finalement à miser sur les techniques qui éliminent le plus de main-d’œuvre dans les pays riches et sur le maintien des plus bas salaires dans les pays pauvres. Comment s’en indigner dès lors que, sous la houlette des grands prêtres du libéralisme, on accepte de participer à une guerre économique clairement déclarée, assimilée au libre jeu des forces du bien contre les forces du mal, et où cependant, seules les méthodes les plus cupides permettent de survivre ?

Sachons tirer les leçons

Le projet d’échapper à l’odieux chantage à la vie qui pervertissait le marché du travail a très tôt motivé les luttes sociales. On sait que les statuts fondateurs de la CGT prescrivaient déjà l’abolition du salariat et du patronat pour but final du combat syndicaliste.

Mais il convient de reconnaître que, de la décevante gestion du communisme au pouvoir, à la non moins décevante fracture sociale du libéralisme triomphant, l’histoire du XXème siècle nous aura instruits d’une double expérience :

1• l’économie collectivisée et technocratiquement planifiée de l’URSS s’est révélée moins productive que celle qui s’en remet à l’initiative intéressée de l’entreprise individuelle.

2• le salariat marchand, débouté par l’essor des technologies productivistes, est de moins en moins en mesure d’assumer la solvabilisation des besoins vitaux des citoyens.

La sagesse serait donc de prendre acte de la caducité du salariat, sans pour autant se priver de l’efficace émulation du patronat. Il ne s’agit donc plus de décréter l’abolition du salariat comme l’a rêvé la génération du “grand soir”, mais d’entériner sans plus d’hypocrisie son inexorable dépérissement en mettant progressivement en place des structures de remplacement. C’est moins radical qu’autrefois, mais il va de soi que qu’il faut “revisiter” pas mal d’idées reçues en matière de comptabilité et de comportement pour concevoir les nouvelles règles du jeu.

(suite dans un prochain numéro ).

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Sous le titre Bonnes vacances ! Caroline Eckert relatait dans la GR 1067 de juillet, le dilemme d’un chercheur, Frédéric Ogé, pris entre le souci de révéler de graves délits de pollution et son devoir de discrétion. Elle le compléte ici par un tour de France des pollutions trop ignorées :

Tour de France de la pollution ignorée

par C. ECKERT
12 octobre 2006

Petit rappel de l’épisode précédent. Mandaté par le ministère de l’Environnement, alors dirigé par Dominique Voynet, Frédéric Ogé a enquêté sur les sites pollués en France. Heureux homme dont l’avenir professionnel n’est pas menacé pourrait-on cyniquement penser ! En effet, depuis le début de l’ère industrielle, les entreprises ont tout bonnement « enfoui une grande variété de produits chimiques sur leurs terrains ou en pleine nature » [1]. Il y aurait entre 300.000 et 400.000 sites potentiellement pollués dans l’Hexagone. En route, donc, pour un tour de France d’un genre un peu particulier.

Comme toujours, au niveau régional, « la palme revient à l’Île-de-France avec 50.000 sites » potentiellement pollués, même si les données officielles n’en retiennent “que” 350, dont curieusement aucun à Paris. Les sous-sols de la maison de Radio-France regorgent pourtant des reliquats d’une ancienne usine à gaz et la construction du parking de huit étages de l’Opéra est stoppée depuis 1992 à cause d’une « pollution coriace aux hydrocarbures, vestige d’une vulgaire station-service ». Un peu plus loin, à Vincennes, un pourcentage démesuré des enfants d’une maternelle était atteint de cancer, or cette école a été élevée à la place d’un établissement Kodak clos en 1986. Plus récemment, le préfet a ordonné « le traitement de plusieurs dizaines de milliers de tonnes de terre qui contenaient trop de cyanure et d’hydrocarbures volatils » lors de la réalisation du Stade de France à Saint-Denis.

Pour la Bretagne, tout le monde a entendu parler des marées noires, même si on ne sait pas toujours que « d’importantes quantités de mazout ou de goudrons dérivés semblent avoir été enfouies dans des sites improvisés pour l’occasion ». Les dégradations des nappes phréatiques dues aux déjections animales sont également connues de tous. Mais d’autres manufactures et mines (usines à gaz, fonderies ...) ont laissé leur empreinte pour longtemps.

Dans la région Pays de la Loire, l’incendie de dépôts chimiques et de réservoirs d’hydrocarbures en 1991 près de Nantes a engendré « la pollution de plus d’un hectare de terrain sur une profondeur de trois mètres à proximité immédiate de la nappe phréatique ». Ailleurs, c’est la production d’additifs pour les carburants qui a infecté les sols et la nappe phréatique avec de l’arsenic, de la pyrite et du plomb, et en concentrations telles que la zone a été déclarée inhabitable.

Dans le Centre, les nombreuses tanneries installées entre Châteauroux et Blois versaient dans une rivière les composés utilisés pour traiter les peaux. Chaux, sulfures, tanins, acides et chrome, lequel est allergène et cancérigène, se sont ainsi disséminés en aval jusqu’à l’arrêt des tanneries. Mais pas de dépollution. Dans le Loiret, la nappe phréatique passant en dessous des bâtiments successivement occupés par plusieurs enseignes, dont la dernière est toujours en activité, est contaminée par des substances chlorées, du phénol et du dichloroéthylène.

En Poitou-Charentes les principales nuisances peuvent être considérées comme des “dommages collatéraux”. C’est en effet la fabrication de munitions, poudres, gaz de combat, etc., notamment à Angoulême, et leur entreposage qui expliquent la présence d’abondants polluants sur un large territoire.

L’exploitation de l’uranium dont le Limousin est fertile s’est soldée par « de nombreux stocks de résidus radioactifs sur des sites dispersés ». D’autres éléments dangereux (cyanure, arsenic et mercure) ont été abandonnés à l’air libre lors de la fermeture d’une mine d’or, dans les années 50. Ils ont peu à peu rejoint une rivière et été propagés, puis oubliés, jusqu’à ce que « la mort de deux vaches qui avaient pâturé sur le site » fasse reparler d’eux en 1999.

En Aquitaine, une fabrique de matériels à base d’amiante a, pendant 70 ans, jeté les rebuts dans des marécages environnants « en les recouvrant parfois par du béton ou du goudron ». Il a fallu renoncer aux projets immobiliers un temps envisagés, et seule l’édification de hangars ne nécessitant pas de fondation est autorisée.

En Midi-Pyrénées, rien qu’Airbus a huit zones frelatées aux hydrocarbures, chrome, nickel et plomb. De son côté, Eternit « a non seulement pollué les terrains de son usine d’amiante mais ses camions-bennes ont aussi déversé des milliers de tonnes d’amiante dans la garrigue » et dans une décharge d’ordures ménagères. D’autres saletés (métaux lourds, produits azotés, etc.) empoisonnent les alentours de l’ancienne installation AZF et de la Société nationale des poudres et explosifs.

En Languedoc-Roussillon les souillures sont plus éparses. « On s’est aperçu en 1999 que des vapeurs d’hydrocarbure remontaient du sol de la cour de récréation » de l’école de Port-la-Nouvelle. Près de Carcassonne, ce sont les cultures maraîchères de 24 villages que le préfet a interdites à la consommation car leur taux de composants toxiques est trente fois supérieur aux normes sanitaires. Plomb, métaux lourds, dioxines, et furanes se rencontrent un peu partout, résultat du “recyclage” des mâchefers qui sortent des incinérateurs en sous-couches pour les lotissements et la voirie.

Les habitants d’un village de Provence-Alpes-Côte-d’Azur pourraient alimenter leur vélomoteur en allant remplir un bidon au puits. « Les hydrocarbures ont été retrouvés jusqu’à 100 mètres de profondeur. Il a fallu que les citoyens [...] déposent une plainte contre X en février 2002 pour qu’une enquête de gendarmerie débute ». Ailleurs, un atelier de traitement de matériaux réfractaires évacuait ses restes radioactifs dans une décharge d’ordures ménagères. Lorsque l’énormité du taux de radioactivité a imposé l’interdiction de cette pratique, Saint-Gobain, le propriétaire, a un temps gardé ses détritus dans son propre périmètre avant de les passer dans la confection de la laine de verre. Le long de la côte il y a de belles plages bien sûr, mais aussi beaucoup d’endroits où des entreprises ont oublié toutes sortes de mélanges dangereux tels que solvants halogénés, hydrocarbures et métaux lourds. La région Rhône-Alpes « est l’un des grands pôles industriels français de la pétrochimie et de la métallurgie [...] En moyenne, chacune des 157 grandes sociétés implantées dans les huit départements produit chaque année 1.000 tonnes de produits toxiques ». Mais la ville de Lyon semble relativement préservée.

En Auvergne, la nappe phréatique se souvient encore de l’exploitation d’un gisement riche en arsenic. Vingt ans se sont écoulés entre les premiers soupçons, la reconnaissance officielle des dégâts et la démolition des locaux délabrés. Mais les gravats sont restés sur place ! La Cogema, aujourd’hui devenue Areva, a tout simplement déplacé un village d’un kilomètre afin de faciliter l’extraction à ciel ouvert dans une mine d’uranium. Un demi siècle plus tard, « le filon ne s’avérant plus intéressant, la Cogema est partie et une reconversion du secteur a été préparée autour d’un ... lac artificiel destiné à accueillir pêcheurs et baigneurs ». Un golf est également prévu. Mais la population, inquiète, a créé une association et « déposé une plainte contre X pour mise en danger d’autrui et abandon ou dépôt illégal de déchets ».

En Franche-Comté, une grande firme de la chimie tire profit des mines de sel. Quelques années après le début de l’entassement de 50.000 tonnes de déblais dans un bassin de décantation, une altération de la nappe phréatique est décelée, d’abord par des matières peu dangereuses puis par des complexes toxiques. Des travaux ont été effectués et la nappe est surveillée de près, mais les risques n’ont pas disparu pour autant.

Bien connue pour ses vins, la Bourgogne l’est moins pour son “or blanc”, autre nom de l’amiante. Et pourtant elle comptait à elle seule quinze usines. Le nombre exact de dépotoirs est quant à lui inconnu. Ils apparaissent peu à peu à l’occasion de chantiers, à l’image de celui exhumé lors de la création du parking d’un groupe scolaire de Paray-le-Monial. Dans les années quatre-vingt, à Montchanin on « recense deux fois plus de victimes de maladies respiratoires chroniques qu’ailleurs ». Un rapport de la Préfecture attribue ce phénomène à des émanations toxiques provenant de résidus chimiques amoncelés dans une décharge. Et apparemment non sans raison puisque les maladies ont régressé depuis sa fermeture. En Alsace aussi les nappes phréatiques souffrent des sous-produits des industries chimiques, avec parfois interdiction d’aller à la rivière. À Benfeld, non loin de Strasbourg, 13.000 litres de tétrachlorure de carbone (CCl4) s’écoulent lors de l’accident d’un camion-citerne en 1970. Vingt ans après on découvre que l’eau qui coule aux robinets d’un village voisin a un taux de CCl4 trente fois supérieur à la dose maximale fixée par l’Organisation mondiale de la santé. Encore quinze ans plus tard, le CCl4 poursuivant son chemin vers Strasbourg, l’ensemble des communes concernées décide de décontaminer le site d’origine et de réaliser des puits de pompage sur le parcours du polluant. Aux frais de qui ? L’organisme propriétaire du camion-citerne n’existe plus, son assureur a pris les devants en déposant une plainte contre l’État et la commune de Benfeld, au motif qu’ils n’ont rien fait après l’accident !

Les fonderies de Lorraine sont réputées. Leurs méfaits le sont moins. Scories, goudrons, cyanures, plomb, zinc, chrome et autres ont néanmoins atteint les eaux souterraines. Un fabricant de transformateurs au pyralène s’est pour sa part vu obligé de confiner 20.000 mètres cubes de terre. Elle renfermait en effet de grandes quantités de pyralène, constituant toxique qui libère en plus de la dioxine en se dégradant.

En Champagne-Ardenne, le coke utilisé pour chauffer les hauts-fourneaux des aciéries provenait en partie de cokeries de la région. Il en est resté de graves pollutions par des corps toxiques, voire cancérigènes, d’où les inquiétudes pour la nappe phréatique toute proche. Un négoce de retraitement de batteries et de plomb n’a pas craint de laisser derrière lui assez de cadmium, plomb et arsenic pour que tout le territoire de la ville soit vicié, ce qui explique le dépérissement des bêtes observé par un éleveur.

En Picardie, une carrière de grès et de calcaire de quatre hectares a été utilisée comme décharge par la société qui l’avait acquise après sa clôture. Les 260.000 mètres cubes d’immondices qui y ont été accumulés sont menaçants, beaucoup sont nocifs, les eaux peuvent charrier benzène, toluène, xylènes, arsenic, etc. et cela dans toutes les directions parce que la carrière se situait sur la ligne de partage des eaux.

Dans le Nord-Pas-de-Calais on retrouve des problèmes dus aux cokeries. Mais ce n’est pas tout. Des groupes chimiques ont également entreposé des tonnes de débris chargés de métaux lourds. Entassés en terrils, ils ont imprégné les sols avant de rejoindre la nappe phréatique. Toujours à l’air libre, « une colline d’amiante en vrac a surplombé de ses 30 mètres de haut » une commune du Nord.

En Haute-Normandie, Wonder s’est débarrassé de ses surplus (piles, batteries, mercure, plomb ...) dans l’ancienne carrière qu’elle occupait. Près de Rouen, neuf personnes sont mortes dans des galeries souterraines pour avoir inhalé un gaz toxique. Bien que l’administration s’en défende, il pourrait s’agir de gaz employés pendant la seconde guerre mondiale.

En Basse-Normandie on peut trouver de l’amiante en différents endroits puisqu’il y avait huit concessions d’amiante. Un atelier de traitement des poteaux et des traverses de chemin de fer, appartenant à la SNCF, a de son côté souillé plusieurs hectares avec des hydrocarbures. À cela s’ajoutent du fuel sous l’emplacement de Moulinex, des solvants chlorés sur les lieux d’un établissement d’emballage, et quelques autres témoignages d’activités métallurgiques et sidérurgiques.

Pour terminer, allons jusqu’en Corse et dans les DOM-TOM, pour une fois mieux lotis que les autres, mais pas épargnés. Bien qu’abandonnées depuis les années 50, les quatre usines et mines d’amiante corses ne sont pas toujours inoffensives. Concernant les DOM-TOM, on y recense des hydrocarbures, du cadmium, du chrome, du mercure, du plomb et d’autres composés plus ou moins bien identifiés.

Au-delà d’un inventaire, non exhaustif, le livre de F. Ogé et P. Simon traite d’autres points qui peuvent être utiles, par exemple pour « identifier un terrain contaminé qui n’est pas encore officiellement répertorié », pour savoir ce qu’il contient, le faire assainir et, le cas échéant, tenter d’obtenir une indemnisation. Mais la tâche est rude car « personne ne sait véritablement à ce jour quels sont les effets de ces pollutions accumulées »2. Des bâtiments auraient été évacués d’urgence, des lignes de TGV ou des rocades déplacées. « Selon certaines sources, il faudrait au minimum l’équivalent d’un tiers de budget annuel de l’État pour dépolluer les zones considérées comme polluées » [2]. De plus, les grosses entreprises se protègent en séparant leurs affaires polluantes des autres, et les assureurs en refusant de prendre en charge les risques pour la santé.

Voilà donc un dossier qui demande à être creusé…

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[1] Cette citation et toutes celles qui suivent avant précision contraire, sont tirées de Sites pollués en France, par Frédéric Ogé et Pierre Simon, éd. Librio, 2004, 2 euros.

[2] extraits de Responsabilité, engagement et éthique d’un chercheur, F. Ogé, CAES Magazine, n°64, 7-8/2002.

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L’immigration choisie n’est pas une idée neuve

par P. VINCENT
12 octobre 2006

Déjà, dans L’Illustration du 19 septembre 1942, on pouvait lire ceci : « L’immigration provoquée et l’immigration subie, qui ont inondé la France d’une population hétéroclite depuis 1920, ont rendu évident et immédiat le danger des métissages effectués en dehors de toute règle. En 1930 il y avait en France trois millions d’étrangers. Malgré quelques refoulements maladroits, ce nombre n’a pas diminué, au contraire : de 1933 à 1939 un million de Juifs s’installèrent sur notre vieille terre. »

Et l’auteur de l’article, un certain « Dr. René Martial fondateur du cours d’anthropologie des races à la Faculté de Médecine de Paris », craignant sans doute qu’avec plus de cent mille morts dans la bataille de 1940 et plus d’un million de prisonniers retenus en Allemagne, nous n’ayons bientôt des problèmes de main d’œuvre, proposait des recettes pour l’importation planifiée de travailleurs étrangers. S’il s’agissait d’amener en renfort 1.500 ouvriers agricoles dans un arrondissement rural de 100.000 habitants dont 85% étaient catholiques, 14,5% protestants et 0,5% musulmans, « le meilleur croisement des races, le meilleur rendement de travail et la plus rapide assimilation » devaient être obtenus avec la composition suivante : 600 espagnols, tous catholiques, 600 belges wallons dont 590 catholiques et 10 protestants, 260 hollandais dont 180 catholiques et 80 protestants, 40 serbes dont 39 orthodoxes … et 1 musulman, etc…

Ces curieuses recettes semblaient difficiles à mettre en pratique, d’autant que les peuples évoqués étaient ceux de pays d’Europe occupés par l’Allemagne ou situés dans sa zone d’influence, et que seule celle-ci pouvait se permettre d’en tirer la main d’œuvre dont elle avait besoin. C’est d’ailleurs ce qu’elle était en train de faire chez nous sous couvert d’un accord dit de “relève des prisonniers” (un prisonnier devait être libéré pour trois ouvriers qui partiraient travailler volontairement en Allemagne) et de façon plus coercitive en faisant instituer par le gouvernement de Vichy un Service du Travail Obligatoire. Ces recettes étaient-elles valables pour l’après-guerre ? Sans doute le Dr René Martial n’eût-il pas souhaité étendre le recrutement très au-delà, vu son souci de « prévenir les dangers de l’asiatisation et de la négrification ».

Rien ne peut certainement plus maintenant nous étonner venant de ce personnage. Alors continuons !

À propos des Juifs : « Que si l’on décidait de garder certains d’entre eux (Lorrains, Alsaciens, comtat Venaissin), le statut que leur avaient accordé les rois de France leur serait appliqué… avec interdiction de mariage avec les Français ».

Et voici la liste des tares pour lesquelles il préconisait la stérilisation des personnes qui en étaient affligées : « imbécillité congénitale, psychopathie discordante, manie dépressive, épilepsie, chorée, cécité, surdité congénitale, alcoolisme invétéré, malformations corporelles héréditaires graves. »

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Si seulement il ne s’agissait que d’un éphémère effet du nazisme apparu et disparu avec l’occupation allemande ! Mais ce n’est pas le cas. J’ai trouvé un important ouvrage de ce même docteur René Martial intitulé : La Race Française, publié en 1934 au Mercure de France, et où l’on découvre que déjà à cette époque il était chargé d’un “cours d’immigration” à l’Institut d’Hygiène de la Faculté de Médecine de Paris. Et comme je n’ai pas connaissance qu’il ait eu des ennuis à la Libération, je me demande s’il n’a pas pu continuer à professer ces idées bien après la fin du nazisme, puisqu’il a vécu jusqu’en 1955.

Il s’agit en fait d’un personnage complexe et prolifique. Né en 1873, il avait déjà écrit avant 1934 une vingtaine d’ouvrages, d’une part sur des sujets médicaux variés : hémiplégie, syphilis, tuberculose, d’autre part sur l’hygiène, physique ou mentale : “Hygiène féminine populaire”, “Travail et folie” ;“Hygiène individuelle du travailleur”, “L’ouvrier, son hygiène, son atelier, son habitation”, qui comme le suggèrent ces titres seraient traversés d’idées sociales, sinon socialistes. Cela fait penser à la dérive similaire et contemporaine de son célèbre confrère le docteur Louis Ferdinand Destouches, alias Céline.

Autre curiosité de la part de quelqu’un que l’on peut cataloguer comme “raciste”, c’est malgré tout son admiration pour les Arabes. Dans cet ouvrage que j’ai trouvé de lui datant de 1934, un ouvrage remarquablement documenté sur le plan historique, il consacre une dizaine de pages à exposer tout ce qu’ils ont apporté à l’Occident et se réjouit de ce que nous ayons pu retenir au passage quelques-uns de ceux qui au début du XVIIème siècle avaient été chassés par le roi d’Espagne, avant que nous ne commettions le même genre d’erreur en provoquant le départ d’un bon nombre de nos protestants. Il crédite en particulier ces Arabes d’avoir été à l’origine de la tapisserie à Aubusson.

Après les citations précédentes de L’Illustration de 1942, celles de 1934 (ce qui n’est pourtant pas très éloigné) qui suivent, surprennent : « L’influence du monde arabe sur le monde occidental et en particulier sur la France n’a pas cessé avec la bataille de Poitiers, car nos relations politiques et commerciales avec les Barbaresques, puis notre conquête de l’Algérie, ont fait de la France… une puissance véritablement musulmane. »« Si les Arabes avaient vaincu Charles Martel, ils se seraient peut-être aussi bien assimilés sur le sol français que les Celtes sur le sol ligure. Leur séjour prolongé en Espagne en donne la preuve, de même les vestiges qu’ils ont laissés montrent à quel point leur civilisation dépassait la nôtre, à l’époque. »

Un raciste qui semble déplorer qu’on ait arrêté les Arabes à Poitiers, il y a là de quoi déconcerter Le Pen et de Villiers !

De lui encore : « On ne sait pas qu’il y avait déjà, en 1924, au moins 400 Arabes de l’Afrique du Nord : médecins, avocats, ingénieurs, professeurs, etc. vivant à Paris, mariés à des Françaises, … que nous fréquentons sans les connaître, tellement l’assimilation est totale… » Et il ne s’étonne nullement que cet heureux résultat ait pu être obtenu sans avoir eu besoin d’appliquer les recettes savantes qu’il préconisera quelques années plus tard. Il en attribue alors avec raison le mérite à la qualité de nos écoles.

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Son évolution certes peut surprendre. Et que dire de celle de la direction de L’Illustration qui, deux années et demie avant les texte cités, faisait place, le 30 mars 1940, au contraire, à un article particulièrement va-t-en guerre et triomphaliste de notre historien, académicien, diplomate et ex-ministre des Affaires Etrangères Gabriel Hanotaux. Selon lui, si nos avions pouvaient « survoler quotidiennement l’Allemagne, y compris Berlin, sans recevoir un coup de canon d’une défense passive quelconque, comme s’il n’y en avait pas d’organisée », c’est parce qu’Hitler aurait eu peur de démoraliser les Allemands en attirant leur attention sur nos exploits ! « On ne veut pas que l’Allemagne pressente, écrivait-il, qu’elle aura à subir les souffrances de la guerre et de l’invasion ». Mais six semaines plus tard c’était nous qui étions envahis.

*

De tels exemples montrent que l’avenir et le devenir restent largement imprévisibles et que rien ne peut être considéré comme “impensable”.

Si de trop naïfs aficionados pouvaient en tirer aussi cette leçon, après la révélation des mensonges de tels de leurs héros au-dessus de tout soupçon, je reconnaîtrais au sport une certaine utilité.

On en voit des exemples plus graves tous les jours et il en est de plus célèbres dans l’Histoire. Etait-il “pensable” qu’un petit lieutenant corse pourrait profiter d’une révolution ayant aboli la royauté pour, douze ans plus tard, se proclamer empereur et conduire de victoire en victoire des Français enthousiastes (bien que 800.000 d’entre eux, paraît-il, y périrent) … jusqu’à la défaite finale ?

Et il n’est donc pas “impensable” que nous nous fassions encore … piéger.

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Avis de tempête

par G.-H. BRISSÉ
12 octobre 2006

Voici venu le temps des bateleurs de la grande foire politicienne. Ils surgissent par dizaine comme des pantins qui se sentent soudain une vocation de suprême magistrat d’une France qui s’est déjà dissoute dans une Europe élargie. À les entendre, ce sont eux seuls qui peuvent sauver le pays !

—Il faut croire, me chuchote à l’oreille un citoyen rencontré par hasard dans la rue, que la place est bonne : ils en veulent tous !

Or cette campagne électorale n’a pas encore officiellement démarré. C’est un peu comme si des coureurs se mettaient en position à quelques kilomètres avant la ligne de départ ! Ils vont partir déjà fort essoufflés ! Les sondages, photographies de l’instant, reflètent bien ce décalage entre les résultats et les pronostics quelques mois ou semaines à l’avance.

Les grandes manifestations à coups de banderoles colorées, les beugleries en forme de promesses de n’importe quoi relèvent du spectacle et rien de plus. La parade s’est américanisée, elle a dépassé l’aire des préaux d’écoles. Les “blogs” par millions succèdent aux tribunes des journaux, des bras se lèvent comme naguère dans le forum de Nuremberg, des mains s’agitent, des corps se lèvent puis s’abaissent à la mesure des discours enflammés, quelques-uns sourire aux lèvres prennent un bain de foule. Et l’on nomme cela “démocratie” ? Demain tout sera oublié et l’on passera à autre chose... On est loin de l’attitude qui invite au recul face à l’événement, à la réflexion, à la compréhension qui suit l’appréhension globale des faits. Tous comportements suscités par ce “désir d’avenir” auquel nous invite une femme candidate : cette démocratie-là est celle de l’instant, des petits ajustements démagogiques qu’on ose présenter comme des réformes profondes. Bâtir l’avenir pour assurer le bien-être de tous les citoyens sans exclusives exige une toute autre attitude.

Un contenu précis

Le recours au référendum populaire pour élire le président de la République au suffrage universel a été taillé à la mesure de l’Homme du 18 Juin, héraut de la libération de la France et de la sauvegarde des libertés contre la camarilla d’Alger. Mais tous les prétendants n’ont pas son envergure historique et le contexte a profondément changé. Depuis lors, nous avons bâti l’Europe même si cet édifice ressemble plus à l’héritage des de Wendel qu’à une construction citoyenne.

Nous avons déjà montré que la candidature à la magistrature suprême dépasse de fort loin l’énergie et les capacités d’une seule personne. Quelles que soient sa disponibilité, ses connaissances, son expérience, son ambition, un homme (ou une femme) seul(e) est tributaire à tout moment d’un accident quelconque.

Pour être crédible, un projet politique doit être l’œuvre d’une équipe suffisamment homogène, et ses grandes lignes doivent être énoncées à l’avance afin d’être connu et reconnu comme tel. Enfin il faut pouvoir appréhender le rôle de chacun dans son application.

La mission du suprême magistrat dont le rôle fondamental est d’arbitrer avant de décider ne saurait être efficace que si elle s’appuie sur deux vice-présidents dont les activités sont orientées, l’un vers la politique extérieure, l’autre sur les relations avec les corps constitués, le poste de Premier ministre tel que nous le connaissons étant supprimé.

Le slogan “un idéal, un programme, une équipe” doit guider toute candidature. Il convient de développer les grands axes d’une “méta politique” pour notre temps et donner un corps de réflexion à ce “désir d’avenir” qu’évoque une candidate. Un programme s’avère indispensable pour définir les grandes orientations d’une action politique sur cinq ans et même au-delà ! Enfin les électeurs doivent savoir quelle équipe sera chargée de mettre en œuvre ces grandes orientations .

C’est pourquoi la démocratie participative est aussi importante que la démocratie représentative. Il est urgent de délimiter la mise en place de nouvelles structures et des modalités de représentation.

Dans le domaine économique, il devient urgent de mettre un frein à l’évasion des capitaux disponibles vers la spéculation stérile au profit d’une caste minoritaire. Une réforme monétaire en profondeur s’impose. Il faut avoir le courage de le dire et de le faire !

Un constat : la baisse du niveau de vie

Depuis la grande révolution de 1789, jamais l’écart ne s’est révélé si grand entre les aspirations profondes du plus grand nombre et cette sphère que le bouillonnant observateur Jean François Kahn a désignée tout récemment sous le vocable de “bullocratie”. Il désigne par là une caste de technocrates-ploutocrates qui vit et s’agite dans un univers qui n’appartient qu’à eux, qui réagissent selon les schémas d’une pensée unique et se partagent de juteux profits pendant qu’une masse de plus en plus étendue de citoyens constate que son niveau de vie décroît, que ses conditions de vie se détériorent. Et là haut, tout en haut, dans ces milieux que l’on nomme encore par dérision “l’État”, de bons esprits, tous formatés dans le même moule, continuent à proclamer que tout va bien, que les prix sont stables, que le chômage diminue, que la crise du logement est résolue, que les conditions d’existence des citoyens s’améliorent, etc.

Or, il suffit d’interroger le commun des mortels, qu’il appartienne aux milieux les plus modestes comme aux classes dites moyennes : il vous dira que depuis l’introduction de l’euro les prix des produits de base n’ont cessé de grimper, qu’il doit faire face à l’augmentation continue des prélèvements obligatoires, des impôts aux loyers en passant par les tarifs de l’eau, du gaz, de l’électricité, sans pour autant qu’une péréquation soit observée avec les salaires et les retraites. Voilà une réalité qui échappe totalement à nos “experts” en tous genres, qui se retranchent derrière des statistiques nationales ou transnationales qui ne reflètent pas, comme l’on dit, les réalités du terrain.

Lorsqu’on observe attentivement les statistiques du chômage, on s’aperçoit qu’elles coïncident avec une certaine évolution démographique qui tend à accroître la proportion des personnes âgées par rapport aux classes d’âge plus jeunes, en situation de travail. En outre les bataillons de RMlstes et de travailleurs pauvres enflent dangereusement. Enfin la proportion des offres d’emplois n’augmente pas mais on observe une croissance des “petits boulots” et des emplois temporaires ou à temps partiel.

Le pouvoir d’achat des salariés et petits retraités s’érode dangereusement : répondre aux revendications justifiées des “petits” et des “sans grade” est un impératif qui s’inscrit dans l’urgence, faute de quoi elles s’exprimeront dans la rue ! Il faut améliorer le cadre de vie et le logement social, dépénaliser le travail, modifier en profondeur l’assiette fiscale, rendue obsolète par l’évolution de la société où nous vivons. Compenser la précarité et l’incertitude du lendemain par le socle sûr d’un revenu social garanti et des perspectives d’évolution personnelle dans un milieu social harmonisé en redonnant un sens à notre existence : tels sont les enjeux fondamentaux auxquels une équipe de gouvernement renouvelée devra faire face. Sur ces bases seront résolus les problèmes de sécurité et d’immigration clandestine, pour peu qu’on leur accorde l’attention qu’ils méritent, par une redéfinition de l’anti-violence active, de la place que l’on souhaite allouer aux communautés étrangères en évitant les slogans incantatoires ou démagogiques, les solutions de force qui n’aboutissent à aucun règlement concret.

La grande braderie des services publics

Je réside dans une ville que l’on peut qualifier de moyenne, à moins de deux cents kilomètres de la capitale, accessible en deux heures, bientôt moins grâce au TGV. J’y suis né et j’y ai retrouvé, comme l’on dit communément, mes racines, à l’issue de plusieurs années de missions à l’étranger.

Cette cité a profondément changé. La plupart des commerces dits de proximité en centre-ville ont fermé leurs portes et ont dû céder la place à des établissements bancaires, à des sociétés de travail intérimaire ou à des agences de compagnies d’assurances. Les consommateurs vont donc faire leurs achats dans des hyper-marchés implantés en périphérie.

Ce phénomène ne fait que s’accentuer. Récemment, nous avons appris par le grand quotidien régional L’Union que l’agence de FranceTélécom allait fermer ses portes. Il faut pourtant y faire la queue quelle que soit l’heure. Cette annonce a suscité spontanément plus de six cent signatures de protestations. Mais rien n’y fait. Un numéro de téléphone à quatre chiffres fera désormais fonction de service rendu aux usagers. L’afflux des clients - y compris protestataires - montre bien qu’il ne s’agit pas là d’un manque d’usagers mais bien d’une restructuration globale de l’entreprise. La maintenance du matériel, le service aux clients, on s’en fout en haut lieu du moment que l’actionnaire encaisse des profits...

Je ne m’étendrai pas sur le sort de FranceTélecom, hier entreprise prospère lorsqu’elle était au service de l’État qui l’utilisait comme “vache à lait” pour y puiser les deniers dont il avait besoin par ailleurs. Elle est aujourd’hui réduite à affronter la concurrence avec une vingtaine d’opérateurs dont tous les usagers se plaignent. Merci, l’Europe de Maastricht !

J’imagine dans les mois, les années qui viennent, l’évolution de la situation : le bureau de la Poste centrale, où l’on est toujours invité à se ranger sagement dans de longues files d’attente, sera placé sous l’enseigne exclusive de La Banque Postale. Métamorphose semblable pour la Caisse d’épargne toute proche, qui devra disparaître au profit du consortium bancaire Natexis, produit da la fusion récente des Caisses d’épargne avec la Banque Populaire. Un peu plus loin le Trésor Public, qui s’est vu retirer le droit d’exercer une activité bancaire au profit des particuliers, va disparaître aussi.

De l’autre coté de la ville, GDF-EDF, qui furent contraints de divorcer, font désormais bande à part et adressent leurs factures séparément à leurs usagers qui bien évidemment n’y retrouvent pas leur compte ! Bientôt, si l’on en croit les intentions de ce gouvernement, l’enseigne de GDF sera supplantée par celle de Suez. Quant à la Générale des Eaux, elle a fait place à la société Veolia, qui en a profité pour tripler les tarifs de l’eau ! Tout le secteur de l’énergie bascule dans le privé, contrairement aux promesses faites en 2004 par le candidat auto-proclamé de la droite. Pourquoi ne pas réserver le même sort à Areva, qui gére les activités ultra-stratégiques des centrales nucléaires ?

Je me surprends à rêver, pour toutes les entreprises publiques de distribution de l’énergie, un statut de régies coopératives : dans leurs conseils d’administration seraient délégués les représentants des collectivités publiques et territoriales, des salariés et puis en amont, des fournisseurs et en aval, des clients.

Il ne faut pas confondre nationalisation et étatisation comme en 1981-83 : ce dispositif n’exclut pas une certaine autonomie de gestion tout en laissant les entreprises dans le giron de la collectivité publique. On tombe aujourd’hui dans l’excès inverse. Gageons que, comme dans les pays anglo-saxons, la privatisation à outrance aura pour effet les plus juteux profits et un service moindre… tant pis pour les usagers !

De cette évolution, les électeurs ont confusément conscience, et leur mécontentement grandit.

Dans l’Olympe de la bullocratie, on ne voit rien, on n’entend rien.

Mais le temps se gâte et l’orage gronde. Il suffirait d’un éclair pour mettre le feu à la plaine.

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Nos lecteurs militants s’entendent souvent dire qu’ils pourraient bien se contenter de réclamer un revenu minimum pour tous. Éric Goujot explique ici pourquoi cela ne lui paraît pas la solution. La citation encadrée que nous ajoutons en marge va dans le même sens.

Le revenu d’existence seul ne peut pas être suffisant.

par É. GOUJOT
31 octobre 2006

Sans lui retirer l’intérêt de contribuer à changer les mentalités, à les ouvrir à d’autres perspectives, le revenu d’existence seul, me semble-t-il, ne suffira pas et conduira à de grosses frustrations. Car il sera forcement récupéré et galvaudé par le “profit”.

Certaines bonnes idées peuvent donner des résultats décevants lorsqu’elles sont mises en place de manière isolée. Il me semble aujourd’hui que les promoteurs du revenu d’existence se trompent lorsqu’ils préfèrent mettre de côté la globalité de l’économie distributive pour avancer étape par étape. Le système économique actuel nous amène à rechercher le profit immédiat. Nous, ce ne sont pas seulement les “politiques” ou les “patrons”, c’est nous les “petites gens” : consommateurs, commerçants, artisans, agriculteurs... Et nous sommes très forts, surtout en France, pour réussir à tirer profit de toutes les nouvelles mesures. Plusieurs exemples pour illustrer ceci.

Entre 1991 et 1993 en France, les allocations logement ont été attribuées sans conditions de ressources pour les étudiants. Résultat ? Les propriétaires privés (beaucoup de gens comme vous et moi) ont augmenté les loyers du jour au lendemain en disant : « Pas de souci pour vous, grâce aux allocs, vous payez toujours la même chose ». Et les étudiants n’avaient pas d’autre choix que d’accepter, vu la pénurie de logements étudiants. Résultat : cette mesure, si tant est qu’elle eut été vraiment bénéfique, a été immédiatement récupérée par les propriétaires qui ont absorbé la manne. Rares sont les étudiants à en avoir profité. Qu’en disent les chiffres officiels ? Que les loyers n’ont pas augmenté tant que ça. Ce qui est en partie juste, mais uniquement grâce aux logements contrôlés par l’État (gérés par les CROUS). Dans cet exemple, les calculs officiels ont caché la réalité, le galvaudage de cette mesure par les propriétaires privés.

Deuxième exemple : l’augmentation des prix lors du passage à l’euro. À nouveau, les chiffres officiels n’ont rien relevé d’anormal. Mais attention ! Les indices INSEE ne concernent que quelques produits parmi les rayonnages des supermarchés : ceux-ci ont été non seulement épargnés mais maintenus à bas prix. C’est réellement mesquin mais ça s’est déroulé ainsi... Et qui a augmenté les prix ? Quasiment tous ceux qui avaient quelque chose à vendre, des gens comme vous et moi.

Comment l’expérimentation du revenu d’existence dans les favellas du Brésil risque-t-elle de se passer ? Mettons-nous à la place d’un commerçant : ma clientèle super-pauvre hier a un peu de moyens pour acheter de quoi manger mais trop peu pour partir s’approvisionner plus loin. Très logiquement, je vais augmenter mes prix, mes clients n’auront d’autre choix que de continuer à s’approvisionner chez moi et ils seront contents quoiqu’il en soit puisqu’ils mangeront plus qu’avant. Mais c’est moi qui absorberai une bonne partie de la manne du revenu d’existence.

Un autre principe de l’économie distributive a été expérimenté de manière isolée : la réduction du temps de travail. Les 35 heures ont-elles été une mesure vraiment intéressante pour les Français et pour l’économie du pays ? En théorie, ç’aurait pu l’être. Mais c’était sans compter sur le réflexe de la plupart des gens (et pas seulement des patrons) de rechercher toujours plus de revenu. Résultats : d’importants gains de productivité, presque toujours autant de chômeurs et, globalement, la population a perdu du pouvoir d’achat.

On peut être doté de bons sentiments, mais c’est notre porte-monnaie qui gouverne aujourd’hui. C’est pourquoi, à mes yeux, les mesures radicales ne fonctionneront que si l’on retire la recherche de profit financier et que l’on assure à chacun un revenu conséquent. D’où l’importance de la globalité de l’économie distributive.

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