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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 1002 — août-septembre 2000

 

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N° 1002 — août-septembre 2000

Les dés sont pipés   (Afficher article seul)

De nouvelles bases   (Afficher article seul)

Sur quoi sont fondées nos propositions, économie distributive et contrat civique.

Au fil des jours   (Afficher article seul)

Chômage : une autre lecture des statistiques   (Afficher article seul)

MILLAU 2000 : impressions   (Afficher article seul)

Un témoin raconte sa participation au rassemblement de Millau.

La citoyenneté   (Afficher article seul)

Une revendication qui se mondialise.

La richesse ou l’argent ?   (Afficher article seul)

Pages d’anthologie d’Alan Watts, retrouvées par P. Vincent.

Impressionnant “rapport” ...   (Afficher article seul)

... et vibrant cri d’alarme    (Afficher article seul)

Les chiffres   (Afficher article seul)

Réaction d’un lecteur    (Afficher article seul)

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Éditorial

Les dés sont pipés

par M.-L. DUBOIN
août 2000

De nouveaux abonnés s’étonnent de ne pas trouver nos propositions dans chacune de nos parutions. Mais, outre que ce serait très monotone, comment les résumer en quelques lignes sans en donner une idée fausse, voire caricaturale parce que tronquée ? Imagine-t-on expliquer en quelques phrases le système économico-social actuel ?

Présenter nos propositions sans expliquer à quelle nécessité elles répondent mène à l’incompréhension et sont souvent écartées d’un simple « pourquoi changer le système de fond en comble alors qu’il serait sûrement plus facile de l’aménager ? ». Pour les aborder, il faut avoir vu où et en quoi, dans le système actuel, les dés sont pipés et prendre conscience du niveau auquel se situent les changements nécessaires. Ce niveau est celui de la motivation des gens et la finalité des entreprises. Plus précisément c’est parce que le système depuis un ou deux siècles, mais surtout ces vingt dernières années, met la recherche de “rentabilité” comme finalité obligée, cet obstacle à surmonter dévoie ou modifie toute aspiration, tout projet, toute entreprise.

Il faut réfléchir à ces mécanismes financiers, à l’importance prise par la bulle spéculative, à celle de la formation arbitraire des prix ; connaitre la façon occulte dont sont créés les moyens de paiement sous forme de crédits remboursables contre intérêts et comprendre qu’une implacable l’obligation de croissance en découle ; être critique à propos des jeux de la Bourse, penser au poids des taux d’intérêt, insister sur le rôle immense joué par la publicité, voir les raisons avancées pour imposer l’équilibre aux budgets des états et ce que le coût des Dettes pour les uns représente de gain pour d’autres, sans oublier la complexité et l’insuffisance des multiples dispositifs de REdistribution, les rapports entre fiscalité, justice et blanchiment d’argent sale, les conséquences de tout ordre de la compétitivité et des fusions d’entreprises, le pouvoir des fonds de pension, le rôle financier des compagnies d’assurance, et puis comparer le risque d’inflation avec… la certitude du creusement du fossé entre riches et laissés pour compte.

Ensuite, il est facile de montrer qu’une société peut très bien fonctionner sans tous ces mécanismes de la finance “moderne” imposés au monde entier par l’idéologie libérale, et que renoncer à un principe dont on a compris la perversité permet de fonder une société plus ouverte, plus transparente et plus juste.

C’est une prise de conscience qui demande beaucoup plus de réflexion que d’imagination. Notre démarche est donc d’abord d’observation, de tri et d’analyse critique de l’information, en essayant d’aller au fond des choses. Ne pas s’arrêter aux effets et épuiser ses forces à tenter de les réparer tout en les déplorant, mais bien chercher pourquoi ils se renouvellent, pourquoi ils s’aggravent, où est le vice fondamental qui ouvre les vannes de toutes les dérives constatées.

Chercher l’erreur

Cette méthode nous a amenés à une première déduction : le principe qui permet ces dérives c’est le credo du libéralisme économique, résumé par la formule des physiocrates “laissez faire, laissez passer !” qui stimule tous les égoïsmes sous prétexte qu’une main invisible les transformera à coup sûr, et par miracle, en bonheur général !

La seconde déduction concerne les moyens par lesquels cette organisation maléfique est imposée et maintenue. Au plan idéologique, ce moyen est la croyance que toute autre base de société est impensable, impossible, irréalisable, illusoire, perverse ou fatalement abominable, etc, etc.

Sur le plan pratique, le moyen est le passage obligé de tout processus économique par une monnaie de nature capitaliste. Car c’est bien parce que la monnaie est capitaliste qu’elle donne au capital priorité sur l’humain et sur la nature. La monnaie d’aujourd’hui a en effet totalement perdu ce qui a été à l’origine sa raison d’être ; elle n’est plus rien d’autre que l’outil imaginé, créé et imposé par une véritable dictature, celle de la finance, qui s’en sert pour mettre le monde à son service. Elle a même réussi, il faut en prendre conscience parce que c’est vraiment la clé, à faire confondre couramment le capital avec les vraies richesses !!

Voila où les dés sont pipés et pourquoi il faut refuser ce jeu de massacre.

Mais soyons objectifs, tout n’est pas à rejeter dans le système ; il faut en retenir la nécessité de susciter la créativité et favoriser la liberté d’innover et encore mieux, assurer à chacun un maximum d’autonomie pour décider de ses activités ; il faut aussi garder le contact humain que le marché est censé ( ??) assurer, et, mieux encore, développer le débat civique à propos de ce qu’il semble bon d’entreprendre et de ce qu’il paraît mauvais de continuer, etc.

Changer les règles du jeu

Donc, d’abord nier le“laissez faire !”. Non, le “chacun pour soi !”, le “que le meilleur gagne !” et le “malheur au perdant !” ne créent pas une société. Pire, ils la détruisent en engendrant la violence, le mépris des autres. Non, on ne peut pas tout laisser faire. Assez de cette croyance libérale : elle ne mène pas au bonheur de tous, pas même du plus grand nombre, ni hier, ni aujourd’hui, ni demain [1]. C’est une imposture de l’affirmer tout en exaltant l’individualisme. Mais pour aller plus loin il ne faut pas suivre ceux qui démissionnent en affirmant qu’il ne peut pas y avoir d’alternative au marché capitaliste, et cela quel que soit le prétexte qu’ils invoquent, qu’il soit du type “Plus rien à faire, c’est la fin de l’Histoire ” (Fukuyama), “cela a toujours été comme cela (ce qui est faux) donc ce sera toujours comme cela”, “c’est une loi de la nature” ou que l’argument soit du type, tout aussi démobilisateur, de “il faudrait d’abord changer l’homme” ou “changeons-nous d’abord nous-mêmes” ou “comptons sur les forces occultes de l’au-delà qui nous dirigent”.

Nous ne voulons pas nous contenter d’ajouter nos efforts à ceux qui cherchent indéfiniment à coller des rustines sur une chambre à air, sans voir que celle-ci est poreuse par nature. Toutes ces inerties reviennent à ce “laissez faire !” inculqué dans les mentalités depuis des générations conditionnées par tous les moyens.

Ce sont ces deux obstacles, d’ordre psychologique, qui sont les plus difficiles à franchir.

Car ensuite il est tout à fait possible de s’entendre sur des bases claires, humainement acceptables. Non pas en donnant libre cours à l’imagination sans se préoccuper du possible. Mais en se servant de l’expérience acquise, y compris des échecs du passé, et en tenant compte des moyens qui existent. C’est dans cet esprit que se situent nos propositions pour quelques règles de bases très simples ; les modalités peuvent en être diverses tout en évoluant dans le cadre dont voici les grandes lignes.

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[1] Lire à ce sujet les solides arguments de René Passet dans son livre, l’illusion néo-libérale analysée dans GR-ED 1001, page 7.

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Éditorial (suite)

De nouvelles bases

par M.-L. DUBOIN
août 2000

Il ne s’agit pas de sortir d’une dictature pour tomber dans une autre, de remplacer celle de l’argent par celle d’un parti, celle d’une classe ou celle d’une secte. Le respect des Droits de l’Homme (avec un H, évidemment, il n’est pas question d’exclure les femmes !!) doit donc être à la base de la société, qui doit être laïque, ouverte, dynamique, évoluant de façon à ce que chacun ait les moyens de s’épanouir librement, tout en respectant cette même liberté chez les autres. À ceci, les “distributistes” prétendent ajouter la conscience que l’ensemble des vivants dispose de la terre, de la nature, du savoir, comme d’un patrimoine transmis par les générations précédentes et qu’il a le droit d’en disposer comme de l’usufruit d’un héritage commun mais à charge de le transmettre aux générations futures, en l’améliorant autant que possible.

C’est en application de ces principes qu’ont été formulées les règles pratiques que nous proposons, elles permettent à chaque groupe humain de s’organiser en une économie le plus souvent qualifiée de distributive, qui est une économie conviviale, une économie de partage en fonction des besoins, mais on la décrit encore mieux en disant qu’il s’agit d’étendre la démocratie au domaine économique :

Une priorité

Commençons par désarmer la dictature financière. Il est totalement illusoire d’imaginer que celle-ci va laisser grignoter son pouvoir en acceptant par exemple de payer de nouvelles taxes ou bien de collaborer avec la justice pour dénoncer la criminalité… financière précisément, ou bien qu’une société peut fonctionner avec, en même temps et en bonne harmonie, une économie de luxe pour quelques riches et un “secteur solidaire” chargé de réparer les dégâts du premier.

Non, empêcher le pouvoir financier de se substituer au pouvoir politique exige une mesure de précaution qui est prioritaire : mettre l’usage de la monnaie capitaliste définitivement hors la loi. On ne fonde pas une nouvelle société en abandonnant à ses ennemis les armes pour la détruire !

La monnaie distributive

Pour que les citoyens aient la maîtrise de leur économie il faut qu’ils instituent la monnaie qui leur remette ce pouvoir : l’économie distributive implique une monnaie conçue à cette seule fin.

Ancrée sur la réalité, cette monnaie est le moyen de gérer les richesses produites et de les mettre à la disposition de tous parce que, par définition, elle n’est pas autre chose qu’un pouvoir d’achat qui ne peut être utilisé qu’une fois. Elle s’annule lors d’un achat, mais contrairement à un bon ou un ticket, elle laisse au consommateur toute liberté de choisir ce qu’il achète. Monnaie de consommation, elle est gagée sur la production : créée au fur et à mesure que des produits sont offerts à la vente, elle en représente la valeur. Elle ne circule pas, elle est distribuée nominalement à tous les citoyens et surtout, elle ne peut pas être placée afin de rapporter un intérêt.

Grâce à cette monnaie, c’est le politique [1] qui va pouvoir prendre les décisions économiques, assurer les services publics et les investissements nécessaires, et enfin organiser la distribution la plus équitable possible du pouvoir d’achat entre les citoyens.

Des possibilités tout à fait nouvelles

C’est ainsi que l’économie distributive résout les deux problèmes cruciaux qui dominent notre époque et que l’économie capitaliste, incapable de les surmonter, ne fait qu’aggraver.

• Le premier est d’ordre social. Il provient du fait que la production des biens de consommation vitale étant de plus en plus automatisée, elle n’a plus besoin du travail de tous à plein temps. Dans l’économie capitaliste, ceci se traduit par emplois précaires, chômage, exclusion. Ce n’est plus le cas en économie distributive parce que celle-ci permet de ne plus faire dépendre les revenus d’un travail effectué. Un revenu suffisant peut donc être garanti à tous, toute la vie, et un roulement organisé pour que tout le monde, chacun son tour, participe aux tâches nécessaires.

• Le second écueil est la destruction accélérée des ressources non renouvelables et la détérioration de l’environnement. Au lieu de la croissance dévastatrice qu’impose l’économie de marché parce qu’elle est orientée par la recherche aveugle d’une rentabilité financière, l’économie distributive permet de gérer les ressources : débattre des productions à réaliser et des moyens à mettre en œuvre, en se fondant sur les critères bien plus pertinents que sont le développement durable et l’épanouissement humain.

Et un contrat de citoyenneté

Cet objectif est, entre autres, à l’origine de l’idée [2] du Contrat Civique, par lequel tout citoyen propose et définit, pour une période donnée, sa participation personnelle à la vie de la société, et en débat au sein du Conseil économique et social concerné par son projet. Au citoyen revient donc l’initiative, l’organisation de son propre temps.

Pour être bref, rappelons simplement que la responsabilité d’un tel Conseil à instaurer est politique en même temps que financière, puisque toute production est accompagnée de la création monétaire correspondante. Ces conseils sont donc le siège d’une véritable démocratie étendue à l’économie, de même que les contrats civiques sont le moyen de permettre au citoyen de gérer sa vie, d’alterner ainsi des périodes d’activité utile aux autres (dans la production, la gestion, l’administration, l’instruction, la santé, la recherche, etc.) avec des périodes qu’il entend réserver à des activités d’intérêt plus personnel, mais tout en conciliant ses propres aspirations avec les besoins et les moyens de son entourage.

Une mine à explorer

Ceci soulève, au premier abord, une foule de questions. Mais en y réfléchissant, on s’aperçoit que c’est une mine incomparable de possibilités à exploiter.

J’espère bien que les vacances vont permettre à nos lecteurs de les découvrir, d’en discuter autour d’eux, et puis de nous faire part de leurs propres réflexions et des questions rencontrées.

Alors, bonnes vacances !!

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[1] sens étymologique du mot politique = gestion de la cité

[2] présentée dans ces colonnes en juin 1990.

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Chronique

Au fil des jours

par J.-P. MON
août 2000

Faire l’Europe des citoyens

C’est aussi ce que souhaite ( ?) Nicole Fontaine, présidente du Parlement européen, quand elle approuve l’idée d’une Constitution européenne en ces termes : « à l’aube du XXI ème siècle, est-il vraiment exorbitant de reconnaître à tout citoyen de l’Union le droit à un logement décent, comme on lui reconnaît le droit à la solidarité sociale ? Face aux désastres écologiques, est-il vraiment exorbitant de reconnaître le droit de tous à un environnement sain ?… Après l’Europe économique, avec l’Europe politique, il est temps enfin de faire l’Europe des citoyens, c’est à dire en fait, celle des consciences [1] ».

***
À propos d’Europe

Le passage des monnaies européennes à l’euro devait être simple et gratuit pour le grand public. Mais selon une enquête menée par les journalistes du Monde, il semble qu’il n’en sera rien, l’échange de francs en euros, hors de sa propre banque, sera payant dès le premier jour pour tout citoyen lambda. Et les banques n’ont pas renoncé à faire payer les chèques…

***
Encore un dinosaure…

C’est du “mis en examen” Jean-Claude Trichet, par ailleurs toujours gouverneur de la Banque de France, qu’il s’agit. Selon lui pour « contrer l’inflation, donc pour assurer croissance, solidité et longévité », il faut : « être aussi ouvert que possible aux nouvelles technologies et aux gains de productivité de manière à avoir les coûts de production les plus faibles possible : augmenter résolument les investissements des entreprises de manière à desserrer les goulets d’étranglements actuels… Tout ce que nous pouvons faire pour desserrer les goulets d’étranglement de l’économie est bon pour la stabilité des prix, bon pour la croissance, bon pour la lutte contre le chômage. Cela dit nous n’avons pas encore vu, en France et en Europe, le sursaut de productivité que nous appelons de nos vœux… ». Apparemment M. Trichet ne se souvient pas que la forte croissance que la France a connue pendant les “trente glorieuses” était accompagnée d’une forte inflation. Il croit encore au “théorème” de l’ancien chancelier Schmidt : l’épargne d’aujourd’hui, ce sont les investissements de demain et les emplois d’après demain. Cela n’a guère fait qu’un peu plus de 4 millions de chômeurs officiels en Allemagne et presqu’autant en France (voir “une autre lecture” ci-après et les chiffres p. 12…). Quant aux bienfaits des gains de productivité, en voici un exemple :

***
MIRS

Le fabricant Italien de pneus haut de gamme Pirelli vient de présenter à Milan un nouveau concept d’usine, appelé MIRS (Modular Integrated Robotized System) qui devrait permettre d’accroître de 25% la productivité du groupe [2]. Comme le résume le directeur marketing de Pirelli-France : « Avec ce système, la production de pneus ne sera plus tout à fait assimilée à de la manufacture ». En effet, ce nouveau système de fabrication est constitué d’une micro-usine sans ouvrier, dans laquelle un petit nombre de robots, répartis sur une petite surface, sont capables de produire 125.000 pneus par an. L’ensemble est commandé par trois hommes en blouse blanche surveillant le processus devant leur écran d’ordinateur. Tout est géré par un logiciel qui contrôle le mouvement des robots, l’approvisionnement automatique des lignes, le choix des dimensions des pneus, le moulage. La production se fait à flux continu, ce qui réduit au minimum les stocks et améliore considérablement le temps de réponse aux commandes. Qui plus est, MIRS permet d’abaisser de 60% les délais de développement en intégrant au tout début du processus de fabrication l’ingénierie et le design des nouveaux produits. Bref, MIRS permet de réaliser des efforts de productivité gigantesques puisque, de la matière première au produit final, un pneu sera fabriqué en 72 minutes contre six jours avec le procédé classique. à production égale, les effectifs nécessaires pour faire fonctionner cette micro-usine sont réduits de 80%, la surface utilisée divisée par 5 et le coût de production diminué de 25%. Bien entendu, Michelin et Goodyear disposent aussi de procédés aussi révolutionnaires, mais ils les tiennent secrets pour le moment.

***
Un beau rendement…

Selon le mensuel Challenges, la fortune professionnelle des 500 patrons français les plus riches atteint 1.260 milliards de francs, en hausse de 58% par rapport à 1999.

Ce qui ne les empêche pas de continuer à pleurer sur les difficultés de leurs entreprises !

***
L’heure de vérité ?

Dans la nouvelle économie américaine, chez les start-up, licenciements et restructurations viennent de faire leur apparition [3]. Tout a commencé en avril dernier lorsque le Nasdaq a plongé avec les stock-options. The Industry Standard, qui a créé une rubrique “Flop Tracker” pour enregistrer les échecs des start-up note qu’au 15 juin elles avaient supprimé 4.650 emplois (ce qui ne représente pas grand chose puisque, selon des estimations de l’Université du Texas, 2,5 millions d’emplois ont été créés par Internet). Cependant l’évolution est inéluctable d’après l’analyste de chez Merrill Lynch : « la majorité des sociétés Internet, jusqu’à 75%, ne gagneront jamais d’argent et finiront par disparaître, par le biais de consolidation ou en faisant faillite ».

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[1] Le Monde, 4/7/2000.

[2] Le Monde, 15/7/2000.

[3] Le Monde, 30/6/2000.

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Dans son éditorial du numéro 994 de la GR-ED, intitulé “Tout va bien, mais…”, Jean-Pierre Mon dénonçait l’optimisme du gouvernement et des médias sur la baisse du chômage. Président de Combat pour l’emploi, P.Larrouturou va dans le même sens en s’appuyant sur des données officielles,… particulièrement révélatrices :

Chômage : une autre lecture des statistiques

par P. LARROUTUROU
août 2000
C’est le devoir du citoyen de dire la vérité à haute voix. Il ne s’agit pas de s’ériger en juge de ceux qui exercent le pouvoir, mais de rendre compte objectivement de la situation.
Vaclav Havel

Le 30 mars 1993, en quittant le Ministère du Travail, Martine Aubry annonçait que le chômage venait de franchir la barre des 3.000.000. Elle affirmait alors qu’il s’agissait d’un échec considérable, pour notre pays comme pour le gouvernement.

Le 31 mars 2000, elle déclarait au contraire que l’on était « en passe de gagner la bataille du chômage ».

Or les chiffres du Ministère indiquaient que, avec l’ancienne façon de compter (total des catégories 1 et 6), le chômage s’établissait à 2.993.000. En 1993, la barre des 3.000.000 symbolisait l’échec de la gauche. Cette année, ces 2.993.000 attestent d’une victoire !

Comme ces chiffres [1] ne parlent pas d’eux même, il faut chercher ailleurs l’origine de l’optimisme officiel. Le nombre des chômeurs est le même qu’en 1993, mais peut-être leurs conditions de vie se sont-elles nettement améliorées ? Non hélas, seulement 41% des chômeurs sont indemnisés aujourd’hui alors qu’ils étaient 53% en 1993. Les communiqués de victoire du gouvernement s’expliquent-ils par une franche amélioration d’autres indicateurs ?

•Il y avait eu 50.000 radiations administratives en 1993, il y en a eu 185.000 en 1999.

•Il y avait 700.000 RMlstes en 1993 ; ils sont 1.140.000 aujourd’hui.

• 800.000 personnes étaient à temps partiel subi en 1993. Elles sont 1.400.000 aujourd’hui.

•Le total de l’intérim et des CDD représentait 800.000 personnes en 1993. Il y en a aujourd’hui 1.300.000.

•Près de 5.000.000 de salariés sont en dessous du SMIC...

Voila pour les statistiques officielles… qui ne disent pas la souffrance des personnes. Elles ne parlent pas non plus de tous les jeunes en situation de galère qui ne s’inscrivent pas à l’Assedic car ils n’ont droit à aucune allocation et ne sont pas inscrits au RMI car trop jeunes. Une enquête réalisée dans une mission locale indique que 60% des 18-25 ans qui la fréquentent ne sont “inscrits” nulle part. Rappelons que 500.000 jeunes sont accompagnés actuellement par une mission locale !

Et combien de milliers d’hommes et de femmes de plus de 55 ans sont “dispensés de recherche d’emplois” ? Pour résumer, le chômage est au même niveau qu’en 1993 et le nombre de personnes en situation précaire a augmenté de presque 1.500.000, sans compter les conjoints et les enfants ! Les communiqués de victoire du Ministère du travail semblent donc prématurés pour ne pas dire indécents.

Certes, le climat est meilleur qu’en 1993. Certes, l’accalmie est appréciable. Certes, le gouvernement a su favoriser le retour de la croissance et rétablir une certaine confiance, en particulier grâce aux emplois jeunes. Certes, pour les salariés qualifiés, le chômage a nettement reculé. Ce sont des points importants. Mais on ne peut pas laisser dire qu’on est « en passe de gagner la bataille du chômage » sauf à accepter l’idée qu’une précarisation grandissante de la société constitue le seul horizon possible.

En 1993, face a des chiffres catastrophiques, toute la classe politique en appelait à un sursaut d’imagination et de solidarité. Aujourd’hui, on se réjouit de chiffres pourtant tout aussi inquiétants.

Un expert de la DARES (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du Ministère de l’Emploi) explique : « je crains qu’on ait mangé notre pain blanc » La baisse du chômage va sans doute se ralentir pour trois raisons :

• On va bientôt arriver au taquet pour les emplois - jeunes. Dans quelques mois, les 300.000 embauches seront réalisées. L’effet sur le chômage des jeunes va s’estomper et le problème de leur pérennisation va arriver au premier plan.

• On bénéficie en ce moment des embauches liées à la première Loi Aubry. Tous les accords signés avant le 1er janvier 2000 comptaient 6% de créations d’emplois. Les entreprises signataires sont en train de les mettre en œuvre et d’embaucher. Mais la deuxième Loi Aubry augmente la flexibilité et ne comporte aucune obligation de création d’emplois.

• On est sans doute au sommet de la vague de croissance. Aux Etats-Unis, la gravité des déficits et l’augmentation des taux d’intérêt vont provoquer un ralentissement de la croissance. Le nombre de permis de construire commence déjà à diminuer. Ce ralentissement atteindra ensuite l’Europe.…

Les résultats du chômage annoncés par le Ministère du Travail sont encourageants (de 12,6% en septembre 1997, on est passé à 9,8% en mai 2000), mais cette baisse ne concerne qu’une partie des chômeurs inscrits à l’ANPE : la catégorie 1 qui recense les personnes sans emploi, immédiatement disponibles et à la recherche d’un emploi à durée indéterminée et à temps complet. Mais quid de tous ceux qui, faute de mieux, recherchent un emploi à temps partiel ou un emploi à durée déterminée, de ceux qui ont travaillé plus de 78 heures par mois dans l’attente d’un meilleur emploi ou des chômeurs trop vieux et dispensés de recherche d’emploi ?

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[1] Nous les avons utilisés pour tracer les courbes de la page 12 ci-dessous, qui “parlent” mieux que les chiffres “secs”.

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Actualités

Voici le témoignage d’un lecteur et militant d’ATTAC qui a participé à la grande manifestation du 30 juin dernier, à Millau :

MILLAU 2000 : impressions

par G. LEROY
août 2000

Digne et cohérent, déterminé et impressionnant, mais jovial et ouvert… Bref, très réussi malgré l’alibi footbalistique que la “grande presse” était trop contente de se donner pour ne pas répercuter l’événement à sa juste mesure.

Un juste soutien

D’abord, il fallait y aller, et Millau, c’est plus loin que notre bureau de vote. Mais nous fûmes nombreux à traverser la France au lieu d’aller à la pêche. Les politiciens se poseront-ils des questions ?…

Nous pouvons bien choisir “nos taulards”…

Il était évident que nous devions soutenir ceux qui, en dernier recours, prennent de gros risques (prison, amendes, réparations) [1] pour défendre de façon digne et cohérente non seulement leurs moyens de vivre mais aussi une (notre) saine alimentation. Tout cela en application [2] de principes humanistes et écologiques tels que l’autosubsistance alimentaire partout dans le monde. Ce solide bon sens, courageux et légitime, se trouve, bien sûr, en totale contradiction avec les diktats mercantiles et suicidaires de l’OMC.

Cette dignité et cette cohérence des luttes de la Confédération Paysanne et de ses membres ne faisaient aucun doute dans l’esprit des syndicats, associations et bénévoles associés pour la réussite de ces deux journées où chacun s’y retrouvait [3]. Leur bonne volonté et leur enthousiasme étaient impressionnants. Un exemple : malgré une nuit ultra courte pour cause de concert, l’aurore a vu plusieurs centaines de bénévoles nettoyer spontanément et impeccablement l’immense terrain du concert ainsi que les rues de la ville. La démagogie n’étant pas de mise, l’assemblée a été gentiment mais fermement invitée à se servir des poubelles de la Conf.

Impressionnante aussi la détermination qu’il a fallu pour mettre en place cette gigantesque logistique en dépit de l’hostilité du maire (pour la petite histoire, il avait entre autres mesquineries fait retirer “ses poubelles à lui”).

Impressionnante enfin cette marée humaine joviale et sûre d’elle même. Elle déambulait calmement entre les nombreux stands et banderoles sous les ombrages très appréciés. Nous avions pour consigne de ne pas faire trop de bruit en passant devant le tribunal (les provocations ont été soigneusement évitées de part et d’autre) mais de temps en temps, une rumeur parvenait de ce secteur et une onde parcourait la foule qui voulait connaître les derniers développements de l’affaire. Les caméramen s’y précipitaient comme ils le pouvaient.

Non loin du tribunal, la terrasse d’un bar servait de P.C. à l’équipe de Daniel Mermet qui, juste après la grève de France Inter, reprenait son excellente émission “Là-bas si j’y suis” en direct de Millau. Dans les rues, les journalistes ne manquaient pas pour filmer et interviewer.

J’ai déjà participé à des manifestations imposantes mais je dois avouer que j’ai été éberlué… et distrait par toute cette ambiance au point de manquer les forums que j’avais repérés sur mon programme !

Le concert

Dans la nuit, vers 3h30, après de nombreux départs, j’ai enfin eu l’opportunité de m’approcher un peu, d’escalader un portique, puis de juger de la foule encore frémissante et impressionnante en nombre. Au plus fort de la soirée, il y a eu certainement plus de 100.000 personnes… pour écouter un programme éclectique : Stevos Teen, Joël Favreau, Zaragraf, Francis Cabrel, Noir Désir, Zebda, Rude Boy System. De nombreux artistes s’étaient proposés spontanément et à titre bénévole, tous n’ont pu être à l’affiche. Bien que je sois devenu un peu trop sensible aux décibels, j’ai beaucoup apprécié ceux qui se sont produits.

Aucun incident sérieux ne fut à déplorer, malgré l’affluence, sur ces deux journées. Bien sûr il y a la chance, mais, encore une fois, on peut louer la détermination sérieuse des organisateurs et des participants. Nous, participants, avons peut-être aussi été décrispés par la bonhomie de la région et de l’époque pré-estivale ainsi que par la “bonne bouffe” du terroir abondante sur le marché de Millau.

La présence de nombreux clochards et de leurs chiens nous rappelait si nécessaire que nous ne participions pas à une quelconque fête de clôture mais à une terrible lutte économique. Espérons qu’ils auront pu y puiser quelques raisons de panser leurs plaies de GIGC (Grands Infirmes de Guerre Civile).

L’espoir

L’espoir nouveau que chacun pourra retirer de Millau 2000 réside autant dans la mixité des générations présentes que dans la diversité des sensibilités progressistes affichées et “co-luttantes” dans l’ouverture…

Fédérer cette lutte semble plus facile pour la Conf., elle n’est la concurrente de personne [4]. En outre, depuis des dizaines d’années, les José Bové, François Dufour et autres agissent, ils n’ont pas attendu la reconnaissance médiatique actuelle pour cela. C’est là un gage de solidité et de constance (que sont loin d’offrir les critiques jaloux de cette médiatisation pourtant sous proportionnée à la cause).

Millau 2000 n’ayant pas trahi la dynamique de reconquête citoyenne amorcée lors de Seattle 99, un Millau 2001 a été proposé lors du meeting de clôture. Il y a du travail d’ici là, notamment la défense des paysans qui luttent contre les OGM.

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[1] Avant de déposer symboliquement et à visage découvert devant la préfecture des éléments démontés du Mac-Do, certains avaient déjà eu des peines de prison avec sursis pour leurs valeureuses actions anti OGM.

[2] Au travers de leur militantisme à Via Campesina, organisme international.

[3] En tant qu’humains et citoyens, nous sommes attaqués sur tous les fronts par l’OMC et les IFI

(OMC= organisation mondiale du commerce, IFI = institutions financières internationales).

[4] La FNSEA ne militant pas pour un véritable progrès humain.

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Nous avons souvent bien du mal à faire admettre dans notre entourage ce qui est à la base du Contrat Civique de l’économie distributive : la revendication de l’exercice de la citoyenneté. Mais heureusement nous nous apercevons que ces aspitations sont maintenant partagées un peu partout dans le monde. Voici, en témoignage, un texte reproduit du Correo Informativo n°35, transmis et traduit de l’espagnol par ATTAC. Il pourrait être signé par un “distributiste” !

La citoyenneté

par F. SAVATER
août 2000

Comme je ne crois pas que le futur soit déjà écrit et qu’il soit par conséquent inamovible, la tâche qui consiste à deviner ou à prophétiser l’avenir m’est totalement étrangère. La seule chose que je sache avec certitude c’est que demain sera fait de la conjonction entre les libres choix des êtres humains et le hasard (c’est à dire les évènements imprévisibles) exactement comme hier.

L’acharnement mélancolique à montrer quelles sont les lignes les plus probables que suivra le développement de nos sociétés ne me paraît pas non plus très stimulant parce que tels augures soi-disant scientifiques n’ont en général d’autre base que le pessimisme instinctif - « le pire n’est jamais sûr » - ou la foi en certaines illusions techno-démocratiques actuelles. En revanche, il serait bon que nous parlions du possible, si difficile ou improbable que nous paraisse aujourd’hui sa réalisation. Parce que réaliser le possible dépend dans une grande mesure que nous le désirions efficacement et pour désirer quelque chose en mettant en pratique les moyens de l’obtenir, il est indispensable d’arriver d’abord à l’imaginer. Je ne parle pas d’une imagination “utopique” face à laquelle j’ai de sérieuses réserves, historiquement fondées, mais d’une imagination au service de nos idéaux.

L’idéal social qui aujourd’hui me paraît peut-être le plus important est celui de la citoyenneté. J’entends par citoyen le membre conscient et actif d’une société démocratique : celui qui connaît ses droits individuels et ses devoirs publics, et qui par conséquent ne renonce pas à intervenir dans la gestion politique de la communauté qui le concerne et ne délègue pas automatiquement aux mains des “spécialistes de la direction” toutes les obligations que celle-ci impose. Bien entendu la formation des citoyens responsables repose sur une importante base éducative, c’est à dire une formation intellectuelle aux valeurs communes et aux pratiques de la pensée critique rationnelle (qui incluent aussi bien la capacité de persuader que celle d’être persuadé par des arguments, en excluant par conséquent le fanatisme de principes a priori absolus) comme j’ai essayé de l’expliquer dans un de mes livres. Mais tout en étant très importante, l’éducation seule n’est pas suffisante pour jeter les bases d’une authentique citoyenneté démocratique.

Une certaine base économique qui garantisse l’autonomie effective de chacun des membres de la communauté est également nécessaire. La misère totale, la dépossession complète des moyens de subsistance, comme la précarité abusive des moyens pour l’obtenir, excluent ceux qu’elle affecte de toute participation citoyenne qui ne soit pas pure tromperie ou imitation servile. Le fait de se préoccuper d’un moyen ou d’un autre pour soulager la condition des défavorisés afin de permettre leur participation civique est le signe distinctif de toutes les démocraties à commencer bien sûr par l’athénienne. Si je ne me trompe pas c’est Tom Paine, le courageux auteur des Droits de l’Homme, qui déjà en 1792 a théorisé, pour la première fois dans les temps modernes, sur l’urgence de garantir une série d’aides à des groupes ou des situations sociales en difficulté économique, un tel soutien social étant compris non comme un simple subside aux indigents mais comme un authentique droit des citoyens.

Dans la société technologiquement hyper développée dans laquelle nous vivons aujourd’hui, où les instruments automatiques ont remplacé avantageusement tant de postes de travail, nous sommes prisonniers d’un cercle infernal : le libéralisme plaide pour une dérégulation de plus en plus grande de la législation du travail, augmentant ainsi le niveau de pauvreté réelle existante et excluant une quantité croissante d’individus de la protection sociale, tandis que la social-démocratie ne réussit qu’à promouvoir des lois qui freinent l’initiative privée, le choix d’emplois à temps partiel et les activités non rémunérées mais socialement utiles. Il serait temps de penser à un revenu de base pour tous les citoyens, compris non comme une allocation pour les nécessiteux mais comme un droit démocratique général. Un tel revenu devrait garantir la subsistance minimale des personnes, et ainsi le travail deviendrait un choix libre ou temporaire, on favoriserait la pratique d’actions humanitaires ou créatives qu’actuellement le marché ne récompense pas et on faciliterait la négociation équitable des conditions de travail entre patrons et employés.

D’où sortiraient les fonds pour financer un tel revenu de base ? Il faudrait sans doute réformer les allocations sociales actuelles, grever le travail rémunéré d’un impôt et à plus forte raison les spéculations financières, mais surtout il faudrait prendre clairement conscience que quoi que le développement économique doive sans aucun doute à l’initiative personnelle de quelques-uns, toute richesse est fondamentalement sociale et ne peut se désintéresser de ses obligations communautaires, c’est à dire démocratiques.

(source : informativo@attac.org)

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Pages d’anthologie

C’est Paul Vincent qui vient de retrouver dans sa bibliothèque un ouvrage d’un certain Alan Watts, intitulé “Matière à réflexion”, édité chez Denoël en 1972, traduit d’articles publiés à New York. Il en a sélectionné des extraits à rapprocher de l’analyse faite par Jacques Duboin sur la monnaie et son rôle, dès l’époque de la grande crise des années 30, et les propositions qu’il en déduit sont bel et bien celles d’une économie distributive, qu’on en juge :

La richesse ou l’argent ?

par A. WATTS
août 2000

J’aimerais m’arrêter sur cette idée et, en même temps, tenter d’expliquer l’obstacle majeur qui s’oppose à un progrès technologique bien compris, en dénonçant la confusion fondamentale qui est faite entre l’argent et la richesse. Vous rappelez-vous la grande crise des années 30 ? L’économie de consommation était florissante et chacun vivait à l’aise. Du jour au lendemain, ce fut le chômage, la misère, des queues pour recevoir du pain gratuitement. La raison ? Les ressources physiques du pays — les cerveaux, les muscles, les matières premières — restaient intactes, mais il se produisit une brusque raréfaction de l’argent liquide, un effondrement des cours. Les experts des problèmes bancaires et financiers, à qui l’arbre cache la forêt, ont à leur disposition toutes sortes d’arguments subtils pour expliquer en détail ce type de désastre. Plus simplement, ce fut comme si vous étiez venu aider à la construction d’une maison et que, le matin de la crise, le chef de chantier vous avait déclaré :

— Désolé, mon gars, on ne peut pas travailler aujourd’hui. Nous manquons de millimètres.

— Qu’est-ce que vous voulez dire par : “ Nous manquons de millimètres” ? On a du bois, on a du métal, on a même des mètres à ruban.

— D’accord, mais vous ne comprenez rien aux affaires. Nous avons consommé trop de millimètres, et il ne nous en reste plus pour continuer…

Quelques années plus tard les bons esprits affirmaient qu’il était impossible à l’Allemagne d’équiper une armée nationale et de s’engager dans une guerre, parce qu’ elle ne détenait pas assez d’or.

Ce qu’on ne comprenait pas alors — et qu’on ne comprend toujours pas vraiment aujourd’hui — c’est que la réalité de l’argent est de même nature que celle des centimètres, des grammes, des heures ou des degrés de longitude. L’argent est un moyen de jauger la richesse, mais ce n’est pas, en soi la richesse. De quelle utilité peut être un coffre rempli de pièces d’or, un portefeuille gonflé de billets de banque, à un naufragé abandonné seul sur un radeau ? Ce que réclame cet homme en détresse, c’est un bien réel : une canne à pêche, un compas, un moteur auxiliaire, de l’essence et une compagne.

Pourtant, cette confusion très anciennement enracinée dans les esprits entre l’argent et la richesse devient aujourd’hui la raison essentielle pour laquelle nous ne permettons pas aux ressources de notre génie technologique de produire pour chaque habitant de cette planète des biens de consommation (aliments, vêtements, objets d’intérieur) en surabondance. Or cette possibilité existe. Le matériel électronique, les machines à programmer, les techniques de l’automation et les autres méthodes mécaniques de production de masse nous ont, en principe, fait accéder à une ère de prospérité où les idéologies politiques et économiques d’hier, qu’elles soient de gauche, du centre ou de droite, deviennent tout simplement démodées. Finis, les vieux schémas socialistes ou communistes qui voulaient que l’on prenne au riche l’argent qui ferait vivre le pauvre, que l’on finance une équitable répartition du bien-être par la grâce rituelle et défraîchie de la taxation ! Si nous ne nous laissons pas aveugler par le mythe de l’argent, je prédis qu’en l’an 2000, ou même avant, plus personne ne paiera de taxe, plus personne n’aura sur soi de billets de banque, les services publics seront gratuits, tout le monde disposera d’une carte générale de crédit. Cette carte validera la part qui reviendra gratuitement à chacun à l’intérieur d’un revenu de base ou d’un dividende national garanti, une part au-delà de laquelle chacun pourra toujours prétendre gagner plus qu’il n’en aura besoin en pratiquant un art ou un métier, une profession ou une activité commerciale que l’automation aura épargnés. Des hypothèses aussi provocantes feront lever évidemment les mêmes questions indignées : « Mais d’où viendra l’argent ? » et « Qui donc paiera la note ? » Mais le fait est que l’argent n’est pas de même nature que le bois de charpente, le fer ou la force hydro-électrique ; il ne vient et n’est jamais venu de nulle part. Répétons-le : l’argent est un moyen de jauger la richesse. Nous avons donc inventé l’argent, au même titre que nous avons inventé l’échelle thermométrique Fahrenheit ou le système de mesure « avoirdupois ».

Par opposition à l’argent, la véritable richesse est une somme d’énergie, d’intelligence technique et de matières premières…

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Parce que les dettes publiques excèdent de beaucoup les réserves en or et en argent de chaque état, on suppose d’habitude qu’un pays fortement endetté dépense plus que ne lui permet son revenu national et glisse vers la misère et la ruine, mais l’on ne tient pas compte de l’importance considérable de ses ressources en énergie et en matières premières !

C’est encore confondre le symbole et la réalité, en donnant ici prise au pouvoir maléfique du mot dette que l’on entend au sens d’endettement. Or une dette publique devrait logiquement s’appeler un crédit public. Lorsqu’il ouvre un crédit public, un pays donné se crée un pouvoir d’achat, des moyens de distribuer ses biens réels de consommation et de faire fonctionner ses services, toutes choses qui offrent une valeur beaucoup plus grande que n’importe quelle réserve de métal précieux.

Ne vous y trompez pas ! J’écris ces lignes du point de vue d’un simple philosophe et non comme un expert financier ou économique habile à jongler avec les faits, les chiffres et les courbes. Mais le rôle du philosophe n’est-il pas de regarder ces problèmes avec les yeux du jeune héros du conte d’Andersen, Le Costume neuf de l’Empereur ? Le philosophe essaie d’atteindre les évidences les plus fondamentales. Il voit l’humanité gâcher des richesses ou les amasser de façon stérile, faute de posséder des signes purement abstraits qu’on appelle dollars, livres ou francs.

A partir de cette donnée très simple ou, si vous préférez, enfantine, je constate que la technologie admirable que nous avons créée permet un approvisionnement et une distribution de biens qui requièrent un minimum de travail humain. N’est-il pas évident que la raison d’être du monde des machines, c’est de débarrasser l’homme du fardeau du travail ? Quand il n’est plus assujetti au travail qu’exige la production des biens essentiels, l’homme a des loisirs, du temps à consacrer au plaisir ou à la découverte enrichissante de nouvelles expériences, de nouvelles aventures. Mais avec l’aveuglement qui caractérise ceux qui ne savent pas distinguer entre le symbole et la réalité, notre époque accepte que le monde des machines libère les individus du travail, non au sens où il leur donne en échange des loisirs mais au sens où il les laisse démunis d’argent et à la merci d’une aumône humiliante des services publics. Ainsi, dans la mesure où la rationalisation de l’industrie et l’automation gagnent du terrain, l’abolition de l’esclavage humain s’accélère. Mais, parce qu’ils sanctionnent les esclaves qui n’en sont plus et les dépouillent de leur pouvoir d’achat, les industriels, à leur tour, suppriment des débouchés et des marchés pour leurs produits manufacturés. Les machines ne cessent de produire plus, les hommes ne cessent de produire moins, mais les produits eux-mêmes s’accumulent, sans qu’ils puissent être distribués ni consommés, parce que le pouvoir d’achat d’un trop grand nombre est trop restreint et que le plus affamé, le plus cynique, le plus cupide des capitalistes ne peut, à lui seul, engloutir dix livres de beurre par jour…

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L’unique solution de bon sens consisterait, pour la communauté, à s’ouvrir un crédit, sous forme de liquidités, en rémunération du travail effectué par ses propres machines. Cette solution permettrait aux produits manufacturés d’être convenablement distribués, à leurs producteurs et à leurs propriétaires d’être suffisamment bien payés pour qu’ils investissent dans de nouvelles machines, plus grandes et plus perfectionnées. Et, pendant ce temps, l’accroissement des richesses proviendrait de l’énergie mécanique et non des opérations rituelles sur l’or.

C’est ce que nous faisons aujourd’hui d’une certaine manière, mais le crédit (on l’appelle maintenant dette) que nous nous ouvrons sert à fabriquer des engins de guerre.

Solution négative et autodestructrice. Tout ce que les États du monde ont consacré, depuis 1914, aux dépenses de guerre aurait pu, grâce à notre science technologique, procurer un substantiel revenu à chaque habitant de la planète. Mais parce que nous confondons la richesse et argent, nous confondons ces deux notions contraires : ouvrir un crédit et s’endetter. Personne ne s’endette, sauf cas d’urgence ; et, pour cette raison, la prospérité repose sur la menace perpétuelle de la guerre. Nous en sommes donc réduits à cette solution suicidaire qui consiste à provoquer des guerres alors qu’à la place nous aurions pu simplement fabriquer de l’argent, étant entendu que le montant total des sommes ainsi mises en circulation serait resté proportionnel aux richesses réelles qui auraient été produites. Nous devrions substituer l’étalon-richesse à l’étalon-or…

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Il sera fort difficile de faire admettre de telles idées au monde entier : l’humanité a connu pendant peut-être un million d’années une pénurie matérielle relative, et la révolution industrielle ne date que d’un peu plus d’un siècle.

De même qu’il fut jadis malaisé de convaincre l’opinion publique que la Terre était ronde, qu’elle tournait en orbite autour du Soleil et que l’univers existait à l’intérieur d’un continuum espace/temps, il sera peut-être aussi malaisé de convaincre le “bon sens” que les vertus du gain financier et de l’épargne se sont démodées.

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Lectures

Deux femmes remarquables, Susan George et Éva Joly, viennent, presque en même temps, de publier chacune un livre particulièrement courageux. La première accomplit un gros travail de démystification au sein de l’Observatoire de la mondialisation et à la direction de l’association ATTAC, la seconde est juge et rencontre beaucoup de difficultés pour exercer son métier. Jacques Bonnet nous démontre pourquoi il faut lire et faire lire ces deux ouvrages :

Impressionnant “rapport” ...

par J. BONNET
août 2000

Dans Le rapport Lugano. [1], par le biais de la fiction (le “Rapport” rendu à une instance dirigeante occulte par un groupe d’experts missionnés pour « définir les données stratégiques qui permettront de maintenir, développer et pérenniser l’emprise de l’économie capitaliste libérale de marché » sur le monde), Susan George, dont on connaît l’acuité de l’attention qu’elle porte aux évolutions du capitalisme mondial et à leurs conséquences sur “l’autre moitié du monde”, se livre au jeu de pousser à ses extrémités la logique qui régit actuellement la marche du monde.

Dans une première partie, les “Rapporteurs” établissent que, dans son fonctionnement normal (recherche du profit maximal, gains de productivité par l’information et l’automatisation, concentration concurrentielle, etc.), le système capitaliste produit inéluctablement de plus en plus de perdants, d’inutiles… dont la masse croissante (car ces gens-là, de surcroît, prolifèrent biologiquement plus que les autres !) ne peut qu’alourdir ledit système (assistance), l’asphyxier (crise écologique), tenter d’envahir et déstabiliser sa sphère productive (migrations) ou même de la détruire (révoltes). De ce constat en béton, nos “Rapporteurs” tirent la conclusion qui s’impose le plus rationnellement au regard de leur cahier des charges : « Nous ne pouvons à la fois soutenir le capitalisme et continuer de tolérer la présence de milliards d’humains superflus ».

S’ensuivra, dans la deuxième partie de leur Rapport, l’exposé des SRP (Stratégies de Réduction de la Population) qui permettront, par un usage moderne discret et maîtrisé des “fléaux” traditionnels (guerre, famine, maladie) de ramener et stabiliser la population mondiale au niveau compatible avec la permanence du système, pour le plus grand bonheur et le “développement durable”… des survivants !

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Ainsi résumée cette nouvelle version du “Meilleur des mondes” - où l’on ne se contente plus de hiérarchiser l’humanité en classe de supérieurs et classe d’inférieurs : ici, on éradique ! - peut paraître incongrue, exagérément provocante. Et pourtant… à chaque page, des renvois à des notes en fin de volume montrent à quel point ce rapport imaginaire est sérieusement documenté et ses analyses opérées sur des faits contemporains, bien réels. Le choc vient sans doute de ce que, par le truchement de la fiction, les faits gênants, voire monstrueux, dont on peut voir les prémices à l’œuvre (particulièrement dans les pays du Sud) comme simples “dommages collatéraux” de la mondialisation libérale en cours sont élevés ici à l’état d’intentionnalités assumées. Les tenants et profiteurs du système ne s’y voilent plus la face : « Nous considérons qu’emprunter cette voie est non seulement impératif des points de vue économique, social et écologique, mais qu’il s’agit aussi d’un choix moralement défendable », concluent-ils.

« J’ai peur que la fin du monde soit bien triste ! » chantait, il y a quelque temps déjà, l’ami Brassens…

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[1] aux éditions Fayard

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Lectures

... et vibrant cri d’alarme

par J. BONNET
août 2000

D’abord Notre affaire à tous [1] de la juge Eva Joly se lit avec plaisir et facilité : sa phrase est courte et limpide et l’auteur s’implique sans détour, mais non sans quelque humour, dans son discours qui tient tout à la fois de l’autobiographie, du témoignage courageux sur le fonctionnement, en bien des points archaïque et classique, de la “Justice” en France et du cri d’alarme un peu angoissant sur la vraie nature et les conséquences de la délinquance financière internationale, intimement intégrée au fonctionnement même de l’économie financiarisée.

Pour nous qui voulons nous “réapproprier le monde”, elle éclaire utilement — et très pédagogiquement — certains des mécanismes (sociétés écrans, paradis fiscaux, etc.) par lesquels “l’argent sale” de la corruption et des trafics mafieux vient se fondre, non comme un parasite, mais comme un adjuvant nécessaire, dans les grands flux financiers mondiaux, que les États ne contrôlent plus. La “bulle spéculative” est un terme impropre, explique-t-elle : il y a maintenant « un monde en mouvement perpétuel, où l’argent en circulation, la “Fax money”, de plus en plus virtuel n’a ni couleur, ni odeur, ni véritable propriétaire. Où, puisque rien ne peut plus être interdit, tout est désormais permis ». Lucide sur l’irréversibilité des mutations technologiques, elle termine cependant par une note d’espoir sur la capacité d’une opinion publique mieux informée (c’est le but de son livre) à se mobiliser dans un combat citoyen (c’est “notre affaire à tous” !), notamment pour soutenir la construction de cet espace judiciaire européen, abolissant le secret bancaire, réclamé par les sept juges européens signataires, le premier octobre 1996, de ce trop vite oublié “Appel de Genève”.

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[1] aux éditions Les arènes

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Les chiffres

août 2000

L’emploi précaire

Évolution du nombre de chômeurs

Évolution du nombre de RMIstes

Évolution des radiations administratives

Selon la Dares (Ministère du travail) : « Il se développe dans des proportions grandissantes une nouvelle forme de chômage ou de sous emploi. Il y a une vraie dérive masquée par la baisse du taux officiel ».

Selon l’Unedic, le nombre total de personnes en contact avec le chômage ne baisse pratiquement pas : il était de 4,31 millions en septembre 1997, de 4,37 millions en septembre 1998 et de 4,31 millions en septembre 1999…

(d’après Combat pour l’emploi, e-mail : pourlemploi@voila.fr)

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Tribune libre

Un de nos lecteurs fidèles a relevé dans l’article de Jean-Claude Pichot « Economie distributive ou éco-distributisme ? » [1] des propos qui méritent des précisions. Profitant de cette occasion de dialogue, l’auteur présente ci-après les commentaires qui devaient rassurer ce lecteur, et ceux qui n’ont pas osé, peut-être, réagir comme il l’a fait

Réaction d’un lecteur

par L. T.
août 2000

J-C. Pichot semble parachuté, avec un rôle de plus en plus suspect… après avoir dérivé sur un problème de vocabulaire dont les classes moyennes raffolent (ça occupe), il aboutit cette fois au “coup bas” type “coup de grâce, sous la ceinture” : « fournir à tous ceux qui en ont besoin… conduirait droit dans le mur ». C’est bien là la limite du combat des aboyeurs, alors que la caravane passe (cf. bas de p. 11, n° 1000, bravo H. Muller !). Vous êtes au cœur du sujet (bas de p. 7 n° 1000) mais vous parlez à juste titre de « la volonté exprimée par les citoyens ». Et c’est justement là que se situe le problème moteur. C’est un problème de rapport de forces au niveau des classes sociales. La CIA l’a fort bien compris et “veille au grain”.

Le but des Maîtres du Monde (ex. la CIA) est, aujourd’hui, de soutenir une classe sociale dite tour à tour républicaine, démocrate, centriste, cohabitationnaire, qui racole suffisamment d’électeurs enclins à se mobiliser pour améliorer leur propre sort (paysans, artisans, candidats à l’emploi, boursicoteurs, cotiseurs aux fonds de pension, consommateurs d’essence aux week ends et de porno internet en soirée, etc.) Les médias les mobilisent, un jour contre la peine de mort, un jour contre Le Pen ou les Autrichiens, un jour contre Milo, un jour contre l’OMC, un jour contre le racisme à l’entrée des discothèques, ou devant St-Bernard, un an avec le foot, etc. Chacun se donne bonne conscience, éventuellement cotise à une collecte, et… la caravane passe.

Il faut donc atteindre une classe sociale plus large et plus motivée. Il faut donc trouver une revendication qui soit susceptible de pénétrer les masses des jetés et jetables du Système. En 1936-39, les masses, c’étaient les manoeuvres qui faisaient fonctionner mines, hauts fourneaux, etc. et ils auraient gagné si les Capitalistes n’avaient pas retourné la situation en finançant la Ruhr, la Silésie, l’ascension d’Hitler… Aujourd’hui, les masses, c’est ceux qui pourraient se réveiller s’ils réalisaient qu’il suffirait de faire marcher la “planche à billets ”- qui n’auraient peur ni du fantôme de la dévaluation, ni d’un excès de richesse qui nous mènerait “droit dans le mur”. Avant que la “planche à billets” nous mène droit dans le mur” il y a de la marge, non ? … Les humanitaires veulent bien que Nike n’exploite pas les enfants, mais, si ces derniers meurent de faim, c’est tant mieux : avec la surpopulation on irait “droit dans le mur” !

Vous avez raison de fréquenter les militants d’Attac, il y a certainement parmi eux une masse de gens de bonne volonté, mais il faut rester conscients que l’arbre peut cacher la forêt, un train peut en cacher un autre. CIA et FMI sont à la recherche d’économistes mettant en œuvre des banques de crédit pour les pauvres, des associations, etc.

Pendant ce temps, pour être bien sûrs que la “planche à billets” ne soit pas ressortie, on vote des lois l’interdisant, on transfère les pleins pouvoirs à J-C Trichet, puis à un gouverneur de BCE, en fait à qui ?

Et on distille le pouvoir d’achat, sans risque pour l’Ordre établi, puisque c’est à crédit, c’est dans un contexte de lutte pour vivre entre CDD et CDI, dans l’angoisse des vieux jours, et dans un risque de krach contre lequel il faut se prémunir, etc. Dans une telle ambiance, pas de chance que les électeurs prennent le moindre risque en s’égarant hors du consensus de la cohabitation.

J’en conclus qu’il est prématuré de poser comme objectif direct de résoudre la problématique de “Comment recueillir la volonté des citoyens quant à la politique d’une création monétaire selon l’ED”. Il faudrait d’abord militer pour une création monétaire, tout court, pour résoudre, au moins partiellement, les besoins les plus criants.

L.T., Frontignan.

Réponse de l’auteur :

Ma présence parmi l’équipe de la GR-ED est fondée, outre l’amitié que j’éprouve depuis longtemps pour Madame Duboin et sa famille (j’ai eu le bonheur de rencontrer Jacques Duboin, son père, au début des année 60), sur la critique du système actuel et surtout sur un partage de valeurs communes fondamentales telles que la place et le rôle d’un État laïque (respectant et faisant respecter toutes les écoles de pensée qui ne mettent pas en péril la Société, et assurant la solidarité), le fonctionnement démocratique des institutions (il y a bien longtemps que je regrette, par exemple, la démission des États, et maintenant des structures politiques supra nationales, dans le domaine de la création monétaire et de la gestion des flux), la pérennité des services publics fondamentaux (bien menacés aujourd’hui), l’altruisme (sans “l’Autre”, je ne suis rien ; il ne m’est donc pas possible de vivre “honnêtement” sans penser à lui et sans m’efforcer d’agir en sa faveur). Je pense aussi avoir apporté à l’équipe de la GR-ED. une certaine connaissance du monde de l’industrie privée où j’ai passé plus de trente ans.

En proposant le mot éco-distributisme, j’ai souhaité déclencher un débat, tout en exprimant, peut-être maladroitement, le souci d’un nombre croissant de citoyens de voir la dimension écologiste (sans connotation politique) prise en compte de manière durable dans la gestion de la société. Je remercie donc notre ami L. T. d’avoir fait connaître les réactions que lui avait inspirées mon article, et de m’amener ainsi à en préciser certains points. Je ne pense pas avoir fait un « coup bas type coup de grâce sous la ceinture » ni être « un chien qui aboie » en attirant l’attention sur les conséquences d’un développement extrapolé du nôtre en faveur de l’ensemble de l’humanité sans en réviser les caractéristiques. Je me permets de faire remarquer à notre lecteur que Henri Muller, à l’article duquel il se réfère en page 11 du même numéro 1000, parle bien de « l’idée, jamais vraiment débattue, d’une révolution monétaire, sésame d’un changement radical des comportements, des niveaux et genres de vie ».

Par ailleurs, je partage l’avis relativement répandu que le système actuel basé exclusivement sur l’argent, le profit et la spéculation nous conduira inéluctablement un jour « droit dans le mur » ; une question reste toutefois pendante : quand ? Il a en effet, depuis quelques dizaines d’années, la capacité diabolique d’éviter, tout au moins dans nos pays dits évolués, la catastrophe annoncée, ne serait-ce qu’en permettant à un nombre suffisamment important de nos compatriotes de ne pas s’estimer assez malheureux de leur sort pour réagir contre le système qui les fait encore vivre. Comme le rappelle L. T., nous sommes dans une situation où le rapport de force n’est pas en faveur d’un passage à l’économie distributive. C’est la raison pour laquelle je pense que l’un de nos rôles majeurs, outre la critique documentée du fonctionnement de nos sociétés, est de préparer en profondeur le plus grand nombre d’esprits à ce que peut être une humanité véritablement solidaire, à travers l’instauration d’une monnaie de consommation ne pouvant rapporter d’intérêt, et des contrats civiques permettant à chacun de tenir sa place en fonction de ses besoins et de ceux de ses proches ainsi que de ses capacités personnelles. Mais je persiste dans l’idée que nous n’avons plus le droit de “faire l’économie” de l’écologie moderne dans nos propositions, ne serait-ce que parce que les adversaires de nos thèses pourraient un jour avoir beau jeu de nous le reprocher, alors qu’eux-mêmes pourraient justifier leurs comportements (asservissant le monde “non développé” et poursuivant de manière cynique sa paupérisation afin de faire triompher définitivement le profit sur le partage des richesses ?) à partir des réflexions écologistes qu’ils commencent à partager avec les experts. Je reconnais que l’expression “aller droit dans le mur” utilisée dans mon texte est un raccourci quelque peu brutal ; mais elle avait pour but d’attirer l’attention sur deux erreurs que nous devons impérativement éviter : une de fond et une stratégique. Ne serait-il pas dommage que nous “tombions dans le même panneau” que ceux qui mènent le monde actuellement, alors que notre but est bien d’arriver à un développement durable au bénéfice de tous ?

J-C P.
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[1] GR-ED N°1000 pp. 4 et 5.

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