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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 884 - décembre 1989

 

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N° 884 - décembre 1989

L’Europe au pied du mur   (Afficher article seul)

Vraies et fausses contraintes de l’économie   (Afficher article seul)

L’émergence d’une économie plus distributive   (Afficher article seul)

Les monnaies   (Afficher article seul)

L’économie du profit à crédit   (Afficher article seul)

Compétitivité, mère du chômage   (Afficher article seul)

Rupture avec le capitalisme ?   (Afficher article seul)

Faits et arguments   (Afficher article seul)

Lu, vu, entendu   (Afficher article seul)

Accusé, levez-vous !   (Afficher article seul)

Et si demain on rasait pour rien ?   (Afficher article seul)

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Éditorial

L’Europe au pied du mur

par M.-L. DUBOIN
décembre 1989

A l’heure où les peuples de l’Est de l’Europe font spectaculairement entendre leur besoin de démocratie, il ne faudrait pas oublier la lutte que doivent mener ceux de l’Ouest pour que l’Europe en projet, celle de l’Acte Unique de 1993, ne soit pas seulement celle des affairistes, des spéculateurs et autres "raiders". En fait, de ceux-là mêmes qui s’empres-sent tant de faire croire que l’idéal des révoltés de l’Est est de découvrir les méfaits du libéralisme écono-mique (alors qu’ils ne les imaginent probablement pas !).
Le combat lancé par l’Association "Europe 1993", il y a maintenant un peu plus d’un an, et dont nous rapportons ici régulièrement les efforts, doit intéresser à ce titre et au premier chef tous les distributistes. D’autant que la Commission formée par les "économistes" de cette association vient d’achever la rédaction de ses "Propositions économiques, monétaires et institutionnelles", et que sa première partie est clairement intitulée : "L’émergence d’une économie plus distributive". Avec leur permission, nous en publions ci-dessous de larges extraits afin de réunir les commentaires, critiques ou compléments que nos lecteurs voudront bien nous faire parvenir, le plus vite possible.
Ils seront sensibles, c’est évident, au fait de retrouver dans ce texte l’essentiel des thèses "abondancistes". Par exemple : le non-sens qui consiste à vouloir appliquer les règles du calcul économique classique alors qu’elles sont devenues obsolètes avec l’émergence des nouvelles techno-logies et la transformation radicale des moyens de production ; la constatation qu’une part de plus en plus importante des revenus est déjà distribuée par l’Etat ; l’évidence que la mutation technologique rend enfin possible une réorientation de l’économie pour la mettre au service de tous ; la nécessité qu’une allocation universelle (un revenu social distribué à tous les citoyens), croissant avec la production automatisée, assure à chacun et de mieux en mieux des conditions de vie en rapport avec les moyens qui existent ; enfin l’idée que la démocratie économique ne peut être réduite à la cogestion ouvrière et qu’elle doit être étendue à tous.
L’esquisse qui y est faite d’une transition en douceur est intéressante. Elle va dans le sens de la politique d’une réduction program-mée du temps de travail, selon les propositions formulées récemment par André Gorz et que nous avons analysées ici l’an dernier (1). L’intérêt des cartes à mémoire pour la réalisation matérielle de la distribution de revenus y est souligné, comme le fait ici depuis longtemps Henri Muller.
Une grosse lacune apparaît cependant dans ces propositions.
Parce que la réflexion sur la monnaie y est dominée par l’analyse du Rapport du Comité DELORS, le débat est restreint aux questions posées actuellement par l’Acte Unique. Dans ce

cadre, la nécessité d’une monnaie unique y est bien défendue, comme est bien posé le primat souhaitable de la démocratie sur le marché. Mais, par contre, la réflexion sur la création monétaire, qui est pourtant essentielle, y est escamotée . Comme si toute la monnaie était créée par les Banques Centrales ! C’est oublier le rôle primordial du crédit, celui des transactions qui échappent à tout contrôle, celui des "junk bonds" et des raiders qui ont transformé la Bourse en un casino à l’échelle mondiale et où les "faux-monayeurs(2)" patentés ont pignon sur rue, et font la loi dite "économique", grâce, en particulier, aux "dérèglementations".

Cette publication amène à un constat, à savoir, qu’une étape est franchie .
Il y a quelques années, nous nous étions fixé pour tactique de concentrer nos efforts de façon à faire passer une idée à la fois , et nous avions choisi de faire comprendre en priorité qu’il est devenu nécessaire de dissocier revenus et temps de travail. Il semble que cette idée ait fait son chemin. Elle est aujourd’hui acquise, même par un grand nombre de gens qui, il y a seulement dix ans, criaient à l’utopie quand nous en parlions.
Alors,il faut en venir à la seconde étape : démystifier les processus de création monétaire, faire comprendre que l’argent n’est qu’une convention, lancée arbitrairement par ceux qui en profitent, adoptée par les autres, faute par eux d’en avoir pris conscience. Qu’il convient par conséquent d’en repenser les mécanismes, de les adapter aux nouveaux besoins et aux nouveaux moyens.Pour plus de justice.

C’est dans cette optique que nous avons choisi plusieurs des articles qui suivent.

(1)Voir "Les nouveaux serviteurs" dans le numéro de Novembre 1988 de la Grande Relève
(2)Voir ci-dessous l’article de Denis Bloud

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Vraies et fausses contraintes de l’économie

par P. VILA
décembre 1989

En 1988 l’essor du commerce international a atteint 8,5 % en volume (évaluation GATT, mi-septembre 1989). Dans sa chronique du 19 septembre dernier (le Monde), Paul Fabra analyse cette reprise des imports-exports entre les grands fournisseurs mondiaux et leurs clients.
N’y aurait-il pas là l’indice d’une "sortie de crise"  ? C’est ce que contestent les modèles orthodoxes (sans doute parce qu’ils sont maintenant construits pour ne plus prévoir les "temps meilleurs" qu’ils nous ont régulièrement annoncés depuis 25 ans ?). Ces modèles prévoient un effet pervers du partage de la relance si le pouvoir consentait une injection de monnaie de consommation, car "celle-ci produirait un gonflement de nos importations" ; d’après ce schéma, une prime de 1.000F par fonctionnaire, correspondant à une dépense de 2,5 milliards de F, provoquerait un déficit de 1,75 milliards de F de notre balance commerciale. Paul Fabra intitule sa chronique "Contrainte extérieure et partage" très justement, et il pose bien ici - sans le dire - le problème de la transition entre le règne des banques et une économie libérée par un marché réaliste du crédit réel.
Cette contrainte sort tout droit du cours macro-orthodoxe version Professeur Raymond Barre, assénée aux élèves de gauche P. Mauroy, L. Fabius et M. Rocard... Thème des années 80 : "La rigueur scientifique et morale imposant son modèle économique au pouvoir de gauche"...
Il est vrai qu’en économie régie par le monopole bancaire, il n’est pas d’autre stratégie possible ; et nos petits héros premiers de la classe de droite, la tête farcie des B.D. de la zone Yen, rongent leur frein de ne pouvoir dès demain nous administrer la vraie rigueur.
La farce d’Ubu vainqueur des palotins sera-t-elle inversée ? Seul à lever le doigt, le Dr Paul Fabra : "Il existe beaucoup de circonstances où l’insuffisance de la capacité concurrentielle de l’appareil productif français n’est, en réalité, qu’un alibi pour expliquer le déficit extérieur et l’endettement supplémentaire qui s’ensuit". La reprise de production qui exige un délai non-nul d’investissement n’est rapide que dans les sociétés complètement intégrées à la rentabilité commerciale et à l’auto-investissement.
Cette maladie des guerres-éclair en économie est en passe d’engendrer la société duale du petit Professeur Alain Minc, et d’entraîner l’Occident à une japonisation prématurée. Le véritable fond du problème est ailleurs : les héros asiatiques mythifiés par nos droitistes primaires seront demain déphasés, tout comme les américains aujourd’hui, s’ils n’intègrent pas le crédit à leur économie d’une façon réaliste. Le phénomène révélateur à ce sujet est la dette de tous les "grands" pays industriels aux banques.
Si l’on observe le vieillissement dans l’initiative politique britannique sous la férule de Madame Thatcher, on constate que l’hyper-réaction au pouvoir bloquant des syndicats va redonner au monopole du crédit une pré-éminence destructrice des secteurs clés, santé et éducation, que la Grande-Bretagne avait su rénover vers le milieu du siècle.
La France et ses partenaires du Sud de l’Europe ont encore un goût du terroir et des arts qui l’accompagnent, y compris l’art de vivre ... A nous de trouver, avant que le moloch bancaire ne détruise notre patrimoine collectif, un système de crédit qui ré-instaure la paix en Europe. L’Europe, gibier unique dans la chasse au pouvoir planétaire, va-t-elle s’abandonner aux serres de velours du monopole bancaire ? Les discours tribaux de "Gauches contre Droites" de nos politiciens dépassés masquent encore à l’opinion le ressort profond de la guerre économique ; ils restent un alibi commode pour l’agresseur bancaire. En réalité le mal essentiel du monde moderne est très en amont des contraintes financières discutées par Paul Fabra.
Ici et maintenant, il nous faut engager deux voies de réformes complémentaires
- la création, en approfondissant tous les aspects du crédit réel que nous voulons substituer au crédit d’usure monopoliste des banques
- la protection, par des tactiques internationales capables de faire céder le pas par le pouvoir bancaire aux offices de crédit de l’économie future.

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EUROPE 1993

Propositions économiques, monétaires et institutionnelles

L’émergence d’une économie plus distributive

décembre 1989

...L’appropriation partielle par la puissance publique, à quelque niveau de son organisation que ce soit, la privatisation ou le développement de l’économie sociale doivent servir à la fois la concurrence en Europe et la compétitivité de l’Europe. Les pouvoirs publics doseront les modes d’appropriation selon ces deux critères tout en recherchant le meilleur équilibre possible entre le privé, le public et le social.
Une fois que la production automatique entre en action, le flux du produit dépend beaucoup plus d’un ensemble de dépenses réalisées préalablement en amont des processus de production que des variations affectant marginalement les quantités de tel ou tel facteur de production.
"Revenu marginal, coût marginal, productivité marginale, qui sont les fondements du calcul économique "capitalisé" perdent leur sens. La "plusvalue" du travail manuel, base de la théorie marxienne, ne connaît par un meilleur sort à partir du moment où on ne peut plus parler de productivité d’un facteur isolé, travail ou capital. Et l’on ne contourne pas le problème en transférant cette plus-value au travail intellectuel, source de l’investissement immatériel ; la valeur de ce travail ne se mesure pas en durée ; le qualitatif y revêt une telle importance que la question du travail simple et du travail complexe devient (si cela est possible) encore plus inextricable et on peut enfin se demander si chaque individu ne se borne pas ici à restituer à la société ce que celle-ci lui a avancé au moment de sa formation (1)".
Comment s’engager dans cette voie ? Constatons d’abord, que 50 à 60 des titulaires de revenus, dans les quatre grands pays de la Communauté, dépendent de l’Etat pour leur subsistance, qu’il s’agisse d’un revenu primaire, s’ils sont salariés d’une entreprise publique, ou d’un revenu secondaire, s’ils sont fonctionnaires, retraités ou chômeurs. C’est utopique d’envisager, dans ces conditions, la distribution à tous les Européens d’un revenu supplémentaire net d’impôt, représentatif des gains de productivité imputables aux connaissances scientifiques appliquées à la production ? A compter de 1992, elle pourrait signifier à chacun à la fois : 1) les progrès accomplis par la recherche dans la Communauté, 2) la volonté de mettre à profit la mutation technologique pour s’acheminer vers une économie au service de l’homme et, 3) l’anticipation d’un état futur de la société européenne où la puissance publique prélèverait sur la réalisation du produit marchand du système de production automatique de quoi financer non seulement la distribution d’un revenu minimum garanti, mais aussi les dépenses publiques. Un "impôt technologique" alimenterait un fonds communautaire et viendrait en déduction de l’impôt sur les sociétés. Une fois que l"impôt technologique" aura été substitué à l’impôt sur les sociétés, la croissance de la production du système de production automatique pourrait s’accompagner d’une désescalade des autres éléments de la fiscalité directe.
Le revenu minimum garanti, allocation universelle augmentée progressivement en fonction de la croissance du produit marchand réalisé du système de production automatique, ferait partiellement double emploi avec la protection sociale actuelle, par exemple les allocations familiales, les indemnités de chômage. En revanche, l’assurance maladie et les compléments de retraite devraient persister.

Qui doit prélever et distribuer ?

La réponse ne va pas de soi. Elle doit obéir à un double impératif de simplicité et de diversification. La simplicité plaide naturellement en faveur de l’Etat, la diversification en faveur de plusieurs niveaux d’organisation de la puissance publique.
Le choix de l’Etat serait dans la logique stricte de l’économie distributive. Mais une démocratie participative et fédérative est une garantie indispensable contre la bureaucratie et le centralisme. Cependant, dans le système de la production automatique, l’autogestion ouvrière est caduque, faute d’ouvriers. La portée d’une participation des salariés d’entreprise ellemême est limitée. Pour représenter l’intérêt populaire des citoyens entre qui le revenu est distribué, la participation doit s’étendre au-delà de l’entreprise, professionnellement à la branche et territorialement à la région.
Pour ménager une transition douce entre la situation présente de sousemploi et cette démocratie économique, il faut non seulement commencer à distribuer ce revenu technologique mais inciter les actifs à réduire leur taux d’activité  : les formes flexibles de contrat de travail, et le travail atypique (temps partiel, travail intérimaire, contrat à durée déterminée, activité de sous-traitance) doivent être entourés des mêmes garanties que le travail à temps plein. Cela équivaut à reconnaitre le droit pour chaque travailleur au libre emploi de son temps sans précarisation.
Enfin, le revenu technologique pourrait être distribué sous la forme monétique d’une carte à mémoire utilisable uniquement pour acheter des produits du système de production automatique ou pour payer des services publics. Le solde non utilisé ne serait pas transférable au-delà du mois ou des mois suivant celui de l’émission.
Le circuit économique en trait plein, celui de l’économie distributive, se superposerait au circuit de l’économie marchande, qui tendrait, au fur et à mesure de la croissance du revenu garanti, à se replier sur le secteur quaternaire non automatisable regroupant toutes les activités communicationnelles et les activités matérielles portant la marque personnelle du producteur ou du créateur. A terme, l’existence de ce circuit ôte toute justification à l’impôt sur le revenu comme à la redistribution : l’égalité des revenus est assurée ex-ante, la répartition n’a donc pas à être corrigée ex-post ; sauf à vouloir détruire toute liberté individuelle, toute initiative économique et toute spontanéité sociale.
L’émergence de l’économie distributive dans la perspective de l’autonomisation accentue le besoin d’une réforme des comptabilités sociales (souvent dites nationales) pour une foule de raisons :
- des flux économiques échappent aux comptes sociaux : le travail au noir et plus largement, l’économie dite souterraine illustrent déjà abondamment cette fuite. Ces phénomènes trahissent cependant une demande sociale réelle d’autonomie. Pour la satisfaire délibérément au lieu de la marginaliser et d’en faire un objet pour la pathologie sociale, il serait préférable d’offrir à un maximum de citoyens la possibilité d’arbitrer librement entre la participation à une activité salariée à temps partiel ou à une activité libérale et le temps libre (activité autonome) ;
- des catégories changent de sens : le prélèvement sur le produit marchand
réalisé du système de production automatique est-il un impôt ? L’investissement intellectuel est-il un coût ou la source d’un revenu primaire, moteur de la croissance ?
- l’emploi salarié est-il homogène eu égard à la formation du revenu social : le salaire d’un informaticien at-il la même signification économique que celui d’un garçon de salle d’un restaurant d’alimentation rapide ?
- les données interritoriales pré-sentent des lacunes, il est difficile d’établir la balance des paiements d’une région  ; si l’achèvement du marché intérieur va de pair avec l’union monétaire complète, cette difficulté va s’étendre aux Etats-membres de la Communauté.
- quand la ressource humaine redevient motrice, peut-on faire allègrement abstraction dans les comptes de son amortissement ou, comme le disait François Perroux, de la couverture des coûts de l’homme  ?
- quid de la rareté, quand les biens réputés libres eux-mêmes (comme l’air, l’eau, l’espace) deviennent rares ?
Enfin, il faudrait écrire au passif - et non plus à l’actif comme on le fait aujourd’hui - tous les coûts qui, pour ne pas être directement imputables, n’en sont pas moins réels, supportés par les individus ou les collectivités pour compenser les dommages causés par les déséquilibres territoriaux à la santé physique et psychique des citoyens, à la paix civile, aux rapports entre l’homme et son environnement...

(1) René Passet, REP, n° 5, 1987.

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Les monnaies

par D. BLOUD
décembre 1989

Je voudrais que le problème de la dette soit posé en termes clairs : l’argent prêté au tiers monde n’est que des écritures de crédit et non pas de la monnaie "banque centrale" d’Etat.
Il y a là une énorme différence : les milliards prêtés n’ont coûté aux banques qu’un peu d’encre et du papier, rien de plus ! L’intérêt, ajouté au capital, double ce qui peut à mon avis être considéré comme une imposture magistrale. Le prix Nobel 1988 d’économie politique, Maurice Allais, considère à ce sujet qu"’il n’y a pas de différence aujourd’hui entre le métier de fauxmonnayeur et celui de banquier" (1). La monnaie des pays développés est elle-même créée "ex-nihilo à 90%" (2). Pourquoi donc brûler les forêts tropicales afin d’éteindre une "dette" qui n’est que comptable et de rembourser un intérêt qui n’est payable que par un nouvel emprunt en monnaie bancaire ?
Le sénateur américain Metcalf pose le problème très nettement : en 1913 le Congrès des Etats-Unis a confié à un groupement privé, appelé "Fédéral Réserve Broad", sa responsabilité constitutionnelle de création de la monnaie. Depuis cette date, c’est cette "corporation bancaire sous contrat privé" qui fabrique les dollars au titre de Banque Centrale et qui les prête contre intérêts au gouvernement des Etats-Unis, le plus endetté du monde.
Seuls Lincoln et Kennedy ont osé faire une monnaie d’Etat : ils ont été assassinés peu de temps après avoir instauré ce système d’argent sans dette, public et non bancaire.
Tant que l’épais dossier relatif à la nature même des monnaies n’aura pas été soigneusement analysé par les responsables politiques, un système injuste et périmé continuera à détruire la vie de la planète, en la privatisant.


(1) Le Monde du 25 Octobre 1988
(2) J.Riboud, "Controverses sur la Banque et la Monnaie, 1986

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Ancien fonctionnaire de la CNUCED et journaliste bien connu des lecteurs du Monde Diplomatique, Frédéric Clairmonte a bien voulu nous autoriser à reprendre l’essentiel de ses articles pour les présenter dans ces colonnes. Nous nous sommes efforcés, en assimilant ces analyses souvent très "pointues", d’en respecter le contenu sans pour autant nous sentir empêchés de citer d’autres auteurs, le cas échéant. Nous présentons ici les grandes lignes des pages 22, 23 et 24 du "Diplo" de juillet dernier, intitulées "Le dollar sur un himalaya de crédits", dans la série des "chaînes d’un système économique périmé" où figure également une étude du professeur Altvater (Berlin) : "Cette vaine gesticulation des créanciers", à laquelle nous emprunterons quelques passages venant compléter heureusement ceux de F. Clairmonte.

L’économie du profit à crédit

par F. CLAIRMONTE
décembre 1989

Un canevas cynique

La crise mondiale de l’endettement n’est en réalité que le produit d’un système financier international en voie de faillite, d’un mode de développement fondé sur le gaspillage. Les fondements, normes et valeurs des sociétés humaines - et des ordres naturels qui les accompagnent - sont détruits systématiquement pour maintenir en vie un système financier précaire, spéculatif et détache du réel, fonctionnant par le crédit, l’anticipation à outrance, autrement dit par la fuite en avant et le jeu de l’avion institutionnalisé sous les apparences de "l’économie de marché" (profit maximum des plus rapides). Ce système utilise la création abstraite (bancaire) de dollars : 10 milliards par mois sont déversés par les Etats-Unis sur les marchés financiers, bien qu’il ne s’agisse que de papier-monnaie sans nantissement. Le fétichisme de la dollarisation est orchestré savamment afin de faire croire que les autres monnaies - celles des gouvernements de petits pays par exemple - n’ont aucune valeur. Fiduciaire forte contre fiduciaires faibles  : le tout est que la panique et la peur populaires jettent les nations aux pieds du Fonds Monétaire International. La récession économique et sociale, même politique dans certains pays que nous ne citerons pas ici, est instituée alors comme nécessité au service d’une fin "supérieure" : la stabilisation des relations financières internationales. Les "monstres de Washington", ainsi que Hans Magnus Enzenserger a nommé la Banque mondiale et le FMI, ont accompli leur métamorphose  : d’institutions destinées à mettre en place des stratégies de développement, ils se sont mués en une espèce d’huissiers au service des créanciers, chargés du recouvrement des dettes et de la stabilisation financière, au mieux des intérêts des banques du Nord.

Le vampirisme financier organisé

Ce canevas cynique étant posé, rien ne nous étonne plus : l’Amérique latine a transféré environ 150 milliards de dollars au système bancaire international depuis le début de la crise de l’endettement. Ce type de saignée permanente du tiers monde n’est même pas conçu intelligemment, c’est-à-dire de manière à ne pas tuer la poule aux oeufs d’or. La fuite en avant est aveugle et absurde, du type bien connu "après moi le déluge", parce que c’est tout simplement l’extension logique des théories darwiniennes et malthusiennes d’Adam Smith, toujours considérées comme orthodoxes actuellement mais poussées à un absurde que le XVllle siècle n’avait pas pu imaginer. Les charges imposées aux Allemands après la première guerre mondiale n’étaient que de la "petite bière" en comparaison du "vae victis" moderne : le tiers monde paie deux fois plus que l’Allemagne de 1929 en termes de revenu national et trois fois plus en termes d’exportations  ! Mais le pire est le fait que, par le jeu des intérêts qui se composent exponentiellement et qui ne sont créés que par de nouveaux emprunts, le phénomène va en s’accélérant, détruisant tout sur son passage faustien : la démocratie et la vie. L’austérité n’est qu’une stratégie de chute dans la misère.

A l’impossible, nul n’est tenu

C’est ainsi que Fernand Braudel (1) en arrive logiquement à écrire que "le tiersmonde ne pourra réaliser de progrès qu’en détruisant d’une manière ou d’une autre l’ordre actuel du monde". Pour sa part, Elmar Altvater pose nettement le problème de la légitimité des emprunts contractés : de même qu’à l’issue de la guerre de Sécession les Etats-Unis ont refusé de reconnaître les dettes contractées par le Sud esclavagiste et rebelle, de même les dettes contractées par les dictatures militaires ne sauraient être tenues pour légitimes. La dollarisationfétiche organisée par les grandes organisations financières empêche par ailleurs les pays débiteurs de se servir de leur propre planche à billets, comme le Pérou, d’emblée décrétée sans valeur marchande. Alors que la Réserve Fédérale utilise à son propre compte ce système et que la hausse du dollar est due à la spéculation au profit des plus forts. Le tiers monde en est ainsi réduit à se payer en remises de dettes : la Pologne livre au Brésil des machines et le Brésil les paie en rachat de dettes polonaises... C’est l’économie de marché en chiffres rouges, couleur de sang et de révolte en fin de compte.

L’infantilisme de la politique du renard dans le poulailler

Le nouvel ordre économique mondial ne sera pas le fait du G7, estiment Clairmonte comme Altvater, dont finalement le discours est homogène et cohérent dans leur refus d’entrer dans le jeu des "orthodoxes" malthusiens. Le capital est devenu synonyme de perversion d’une économie industrielle fondée sur la dynamique de la dette comptable et bancaire. L’infantile dogme reaganien de la "magie du marché" n’a rien résolu. Comme le disait un jour à l’université de Cambridge, l’économiste Jean Robinson en réponse à un partisan du laissez-faire (le renard dans le poulailler) : "Depuis le XVllle siècle, la révolution industrielle fonctionne comme une chaîne de pétards". Des pétards qui ont explosé en 1867, 1873, 1893, 1907, 1920, 1929, et 1987 sans doute....

Le pétard de 1929

Le pétard de 1929 a été dû à un assèchement du marché financier (environ 50  % de la masse monétaire des Etats Unis était alors entre les mains du trust Morgan) et au remplacement de l’homme par la machine  : en 1933, le quart de la population active était sans emploi. De 1929 à 1939, le taux moyen de chômage est resté supérieur à 18 %. Ce n’est qu’en 1954 que l’indice Dow Jones retrouva son niveau de 1929 et c’est finalement la deuxième guerre mondiale qui a permis de retrouver la prospérité de l’après-guerre précédent ; la rareté des hommes et des stocks (détruits) ayant permis au profit de renaître, selon la loi qui veut que l’abondance tue le profit car ce qui est rare est cher.

Le cancer spéculatif des valeurs non consommées faute de signes

Or actuellement les robots informatisés ont produit des montagnes de biens, proposés à des consommateurs non solvabilisés par le salaire du travail fait à leur place par les machines. Les invendus alourdissent les bilans et les conflits commerciaux se multiplient. L’échec de la conférence du GATT en décembre 1988 à Montréal, accom-pagnée de mesures protec-tionnistes, est annonciateur d’orage. La politique actuelle du sauve-qui-peut rappelle celle des années 30. A défaut de possibilités d’investissements productifs suffisants, le capital financier n’a d’autre choix d’activité qu’une spéculation suicidaire et sans frein sur les marchés de l’argent, désormais détachés de la production réelle de biens et de services, ainsi que de toute autre considération que leur autoreproduction. Ni moraux, ni amoraux, les marchés financiers, comme toute technostructure, sont de massifs complexes de pouvoir économique de plus en plus concentré (principe du jeu de l’avion) (2) uniquement en quête d’un profit maximum.

Réalité ou cauchemar : de l’onirisme des soldes débiteurs

Et pendant ce temps, la dette du tiers monde - qui dépasse déjà les 1.300 milliards de dollars - croît au rythme annuel de 10 %, alors que le dollar est la monnaie d’un pays dont la dette fédérale dépassait en 1988 les 2.600 milliards de dollars, soit le double de la dette du tiers monde, dont on fait considérer les monnaies nationales comme sans valeur par rapport à celle du pays le plus endetté du monde ! Et celui-ci paie ses importations avec la planche à billets et le crédit, et non pas, comme le tiers monde, avec ses exportations réelles. La même dette n’en est pas une pour celui qui fait la monnaie - et les termes - d’échange, mais c’en est une pour les autres parce que c’est le mode (la mode) de paiement imposé pour le plus fort. Et cette dette américaine de 2.600 dollars n’est que la partie visible de cet iceberg creux. A côté de l’endettement fédéral, officiel, se place celui des entreprises : 4.000 milliards de dollars, et celui des particuliers (cartes de crédit ...) : 3.000 milliards ; soit en tout 9.600 milliards, près de 10 fois le montant réclamé à cor et à cri au tiers monde exsangue, en cette monnaie purement comptable et scripturale qui ne coûte aux banques privées (comme la Réserve Fédérale, groupement de droit privé selon le sénateur Metcalf) que de l’encre et du papier... Et grâce au jeu démentiel des intérêts exponentiels, cet endettement croît deux fois plus vite que la production industrielle de biens et services réels (PNB). L’onirisme touche au pathétique, l’impasse est totale et la conjonction de plusieurs facteurs comme une chute des cours à Tokyo, un refus massif du tiers monde de rembourser sa "dette", une récession aux Etats-Unis ou ailleurs, pourrait déclencher le cataclysme.
En conclusion, pour illustrer le cynisme de ceux qui continuent à défendre cet ordre économique périmé, nous citerons ce passage paru dans "The Economist" le 23 septembre 1989, page 1 du dossier "Tiers Monde" sous la plume du rédacteur Clive Crook : "Si la prospérité des nations nanties du nord ne s’écoule pas automatiquement vers le sud, comme la pensée économique conventionnelle prédit que ce devrait être le cas, c’est sans doute que les pays pauvres sont tout simplement condamnés à rester pauvres". Nous ajouterons cette autre possibilité d’explication : c’est peut-être que la pensée économique conventionnelle des pays riches est tout simplement condamnée à rester inapplicable et irrationnelle !

(1) "Civilisation matérielle, économie et capitalisme, le temps du monde" Armand Colin, Paris 1979
(2) NDLR : ou des "chaînes" destinées à rapporter beaucoup d’argent à celui qui les lance, au détriment

des "gogos" qui "marchent".

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Notre journal, à plusieurs reprises, a signalé le dernier livre de Guy Marchand. Mais la meilleure façon d’informer nos lecteurs sur ce livre est encore de laisser l’auteur nous en parler :

Compétitivité, mère du chômage

par G. MARCHAND
décembre 1989

Le capitalisme libéral, basé sur l’initiative, la concurrence et la propriété, permet de créer des richesses et, ce, depuis des millénaires. Ce capitalisme libéral étant initiateur d’abus, l’Etat, au cours des siècles, a essayé de les réduire sans toutefois éviter les exclus, les misères et les guerres. Ainsi vit l’économie mixte.
Un économiste se croyant plus malin que les autres, Karl Marx, essaya de "faire écrouler le capitalisme" et d’éviter les "rafistolages sans espoir’. Ses disciples ont eu le pouvoir absolu sur un tiers de la population mondiale que Karl Marx prit en référence, à la fin du 18e siècle, pour établir sa théorie. Avec 70 ans de pouvoir absolu, ce système économique, basé sur la rupture avec le capitalisme libéral, n’a pas su produire mais il fit plus de 100 millions de morts, des centaines de milliers de torturés, des dizaines de millions de prisonniers du Goulag, des dizaines de millions de morts de faim, sans compter les innombrables guerres locales pendant 40 ans.
Un tel résultat devrait faire penser, aux penseurs, sur la nécessité utile à prôner de nouveau une telle table-rase.
"Compétitivité, mère du chômage" ne propose pas de "table-rase", mais au contraire une réforme progressive. Ayant défendu plus de 40 ans, et défendant toujours, les critiques de Duboin envers le capitalisme, j’ai été amené à réfléchir, face à l’absence absolue d’étapes intermédiaires, à l’établissement de la monnaie fondante dans un seul pays. Comment réaliser ce changement immédiat sans mettre un policier devant chaque boutique et des armées de douaniers aux frontières ? Une habitude millénaire ne se change pas en quelques minutes, voire quelques heures.
Pour moi, il faut aller vers un système monétaire mondial qui atténue consi-dérablement les abus actuels, même s’il ne les supprime pas complètement. On peut, et on doit, trouver une réforme du système monétaire par touches successives pour, face à la production considérable des robots, supprimer l’exclusion de tranches énormes de la population mondiale. "Ils" ne voudront pas, me diton. D’abord , où trouver exactement les personnes qui se cachent sous le "ils" dans la complexité infinie de l’économie mondiale ? La même chose a été dite pour le désarmement, mais la "trouille" peut devenir un mobile d’action. L’affaire de Cuba a été résolue pacifiquement parce que deux hommes ont eu la trouille de mourir par une guerre nucléaire : Kennedy et Kroutchev. Il en fut de même pour les accords de Washington de décembre 87 : Reagan et Gorbatchev. Si tous ces "ils" prennent un jour conscience qu’ils risquent d’être les victimes du terrorisme ou d’une révolution mondiale de la misère, ils pourront prendre la voie raisonnable de la réforme du système financier en essayant de répondre aux 68 questions posées dans mon livre. Il serait donc utile de créer une commission d’une vingtaine de spécialistes inter-nationaux qui pensent dans la direction de Kaldor, Tinbergen, Pierre-Mendès France ou Charles Warin. Ils devraient être détachés et payés par leurs gouvernements pendant deux ou trois ans. Cette commission serait permanente. Ses études pourraient s’étaler sur 15 ou 20 ans. Elle proposerait des corrections aux sujets critiqués. L’application de ces corrections se ferait par étapes, avec possibilité de revenir en arrière si l’effet escompté n’est pas réalisé.
Et finalement, on arriverait vers un système monétaire mondial adapté à la fantastique production des robots. Ce système serait modulable selon les progrès techniques, mais il resterait toujours compatible avec la répartition la plus équitable possible des richesses produites en faveur de tous les citoyens de la planète en commençant par les plus défavorisés.

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Rupture avec le capitalisme ?

par R. MARLIN
décembre 1989

Un nombre de plus en plus grand de socio-économistes sont, en gros, d’accord avec nous sur les objectifs plus ou moins lointains à atteindre, mais se divisent sur la période transitoire. Examinons donc la stratégie ou la tactique à suivre en cette période intermédiaire de crise finale du système capitaliste. Le mot crise n’est pas employé ici, par référence aux difficultés plus ou moins graves et momentanées ressenties par une catégorie ou une autre de la population. Il caractérise le dysfonctionnement général du régime économique depuis 60 ans sauf durant la guerre et ses suites, en raison de son inadaptation de plus en plus évidente aux progrès scientifiques et techniques.

Cassure

Nous ne sommes pas les premiers à avoir parlé de rupture (1) . Toute cassure dans la société ne provoque-telle pas des dégâts dommageables pour tous ? Ne serait-elle pas assimilable à une révolution brutale et peutêtre sanglante ? Que ceux qui l’ont fait en rendent compte à l’opinion. Elus sur un programme, les responsables du P.S. se trouvant, en 1982, devant le choix de régime économique n’auraient-ils pas dû en appeler aux électeurs ? Il était facile d’organiser un référendum à l’effet de demander une confirmation du choix fait en 1981. Placés devant la question cruciale, les Français auraient pu trancher. L’état de l’opinion donnait à penser qu’ils auraient reculé, en majorité, devant ce qu’ils eussent considéré comme un saut dans l’inconnu. Nos politiques "socialistes" ont, eux, vite choisi la "carrière" et les délices du pouvoir. Au lieu d’une décision claire qui aurait préservé l’avenir, ils ont préféré la gestion quotidienne des affaires et de l’affairisme où ils perdent leur identité. La "lettre à tous les Français" de 1988 a confirmé cette option.

Réforme

Tout n’est évidemment pas dangereux sur le chemin de la réforme. Certes l’institution du Revenu Minimum d’insertion fait apparaître maintenant ses insuffisances. Le fameux "I" de RMI, si cher à la droite, ne se laisse pas si facilement traiter. C’est peut-être regrettable, mais il conviendra de se résigner à admettre que les entreprises ne peuvent pas faire de sentiment et qu’elles sont bien obligées, si elles veulent survivre en ces temps de concurrence sauvage, de ne pas embaucher et de rejeter la maind’oeuvre qui ne leur est pas nécessaire. Si insertion signifie nouvel emploi, même après formation, il faudra déchanter. Néanmoins, le RMI consacre la reconnaissance de la dissociation, désormais nécessaire, entre Revenu et Travail. Le revenu doit être basé sur une production en accroissement et non sur un travail contraint dont la quantité totale s’amenuise. Nous nous étions fixés ce premier objectif. Le voilà largement atteint.
L’économie mixte est en marche. Certains crieront à la redistribution et au dualisme. Bien sûr : tant que nous ne sommes pas hors du capitalisme ... nous sommes encore dedans... La difficulté commence au moment où chacun a sa définition du régime actuel ou, ce qui revient au même, de ses principes essentiels qui sont à condamner. Admettons provisoirement que la monnaie, en premier lieu, et la structure des échanges soient de ceux-là. Tant qu’elles auront conservé leurs attributs, rien n’aura basculé. Mais si l’on admet que le socialisme consiste principalement en la collectivisation des monopoles de production de masse, l’on peut penser que la socialisation de la grande entreprise est l’objectif prioritaire. On remarquera que nous avons employé le mot de socialisation de préférence à celui de nationalisation, le premier, à la différence du second, exprimant bien la primauté souhaitable des intéressés  : personnel et consommateurs et non de l’Etat dans le processus de satisfaction des besoins.
Depuis 1917 et même 1789, les réformateurs "bourgeois" sont honnis par les révolutionnaires "prolétaires". Voyons donc un peu la position actuelle de ces derniers.

Révolution

Même les révolutions ne changent pas fondamentalement les choses du jour au lendemain. Le mythe du "grand soir" a vécu. Personne ne croit plus, comme ce fut le cas de certains abondancistes, qu’un soir, nous nous endormirons capitalistes et que le lendemain, nous nous réveillerons distributistes.
Parmi les ouvrages radicaux, intéressons-nous maintenant à un petit livre intitulé "Crise technique et temps de travail". A grand renfort de rappels et de citations de Karl Marx, Tom Thomas (2) défend l’idée qu’il faudrait travailler "Tous, moins, autrement et sans diminution de salaire. ".. Travailler tous vingt heures (puis dix) par semaine n’est ni une vision utopique, ni une surenchère "gauchiste", simplement une estimation fondée sur une démarche et des choix antagoniques à ceux d’aujourd’hui, aussi bien en ce qui concerne quoi et comment produire que, finalement, le contenu même de l’activité des hommes et de leurs rapports, c’est-àdire leur vie..." peut-on lire dans le résumé. Certes, comme l’a écrit Marx cité par Thomas : "... Le temps libre, qui est à la fois loisirs et activité supérieure, aura naturellement transformé son possesseur en un sujet différent, et c’est en tant que sujet nouveau qu’il entrera dans le processus de l’activité immédiate...". (3) Si l’on ne peut qu’être d’accord avec cette analyse typiquement marxiste de la condition des travailleurs, l’argument ne semble pas suffisant pour nous entraîner à singulariser la revendication de réduction du temps de travail. Oui, elle est libératrice, et il fut toute une période d’après seconde guerre mondiale où les syndicats ont été grandement coupables de l’ignorer, au profit d’une augmentation du salaire souvent illusoire. Mais elle n’est pas forcément unique.
Nous n’entrerons pas ici dans le détail des choix de professions à supprimer que Thomas opère pour montrer, par le calcul, que la semaine de 20 heures est possible. Nous serons d’accord avec lui pour la suppression de parasites de l’immobilier (hors entreprises du bâtiment), d’auxiliaires financiers, de publicitaires (bien que l’information sur les produits reste nécessaire), d’agents commerciaux, des militaires ou fabricants d’armement (4) et d’improductifs divers. Nous ferons néanmoins remarquer à l’auteur que, ce faisant, il se place manifestement hors du système. Jamais le capitaliste n’acceptera de se séparer des professions qui lui permettent de subsister, jamais il ne pourra envisager la multiplication des emplois proposée, car les frais fixes occasionnés diminueraient par trop la plus-value aux termes mêmes du raisonnement de Thomas.

Refus

Nous ne marquerons notre désapprobation complète que sur un point mais capital. Commentant son programme de suppressions d’emplois, soit un sur quatre dans le secteur tertiaire, il craint d’être accusé par les "victimes" de pol-potisme. Il reconnaît alors "... le danger de mesures mal acceptées et entraînant une contrainte d’en haut (qui ?) trop massive... cela n’empêchera pas qu’il y ait violence..." écrit-il. En renvoi, il examine le cas des déplacements forcés de populations des villes

vers les campagnes au Cambodge. Estimant manquer d’informations sur ce point (5) il ne juge pas, ce que l’on peut comprendre étant donné les conditions extrêmes où se trouvait ce pays. Mais il ajoute : "... ce qui est certain, c’est que le fardeau ouvrier devra être allégé, c’est-à-dire le travail réparti autrement, ce qui impliquera aussi la contrainte.. ".
Qu’il soit donc bien clair que nous n’envisageons pas d’en arriver à de telles extrémités. Plutôt rester dans ce système maléfique que d’en imposer un autre par la force. Il est exact que de nombreux cadres commerciaux, fonctionnaires, industriels, enseignants qui ont vécu en permanence dans l’abstraction intellectuelle auraient le plus grand intérêt, pour eux-mêmes et pour ceux qu’ils dirigent, à se ressourcer dans les réalités des champs ou des usines. Nous espérons qu’ils le comprendront. En aucun cas, l’économie distributive ne se fera dans la fureur et les déportations de masse, même s’il est vrai qu’une telle violence s’est exercée et s’exerce encore, nous en sommes tout à fait conscients, à l’encontre des pauvres, des chômeurs et des sous prolétaires du tiers et du quart monde. Le déchaînement de la vengeance n’est pas une solution aux problèmes de notre temps. L’Histoire aurait dû l’apprendre à tous.
L’auteur a pourtant procédé à une analyse très complète de la situation du travail et des technologies nouvelles. Nous lui reprocherons sans trop y insister de sous-estimer la puissance libératrice de l’automatisation qui, c’est vrai, a été en grande partie confisquée jusqu’à présent par les maîtres de l’industrie et surtout de la finance. Thomas a déployé un magnifique arsenal statistique et philosophique. Son livre mérite d’être lu.

Transition

Entre ceux dont le but est un certain socialisme, la discussion doit être ouverte et franche et la critique admise. Mais essayons de réserver les coups les plus durs aux profiteurs et aux réactionnaires. Pourquoi ces brutalités verbales remarquées çà et là ? Ceux dont c’est la spécialité de combattre férocement les "réformistes" plutôt que les conservateurs n’ont pas si bien réussi qu’il soit bon de les imiter. Ils sont hélas pour eux et pour l’équilibre politique du pays en voie de marginalisation. La concurrence extrême entre syndicats et partis de "gauche" pour la conquête de la "clientèle" salariée est quelquefois aussi dure et malheureusement aussi néfaste que celle entre puissances financières qu’ils stigmatisent pourtant unanimement. Les extrémistes ne doivent et ne peuvent nullement triompher.
Dans une annexe signée C. Paveigne, au livre que nous venons de commenter, figure une critique acerbe des thèses de Guy Aznar à travers son ouvrage "Tous à mitemps ?". Aznar qui est effectivement un spécialiste de prospective sociale, recherche, tous azimuts, des moyens d’humaniser les conditions de travail partage du temps entre hommes et femmes, équilibrage de la durée sur l’ensemble de la vie, activités à mitemps, auto-production, micro-entreprises, etc....C. Paveigne aurait pu ajouter, maintenant, qu’Aznar envisage également une société des trois revenus : le salaire normal, le second chèque correspondant au travail des robots et le troisième dit autosomique, en fait celui des activités lés plus diverses à domicile. Il n’est pas question d’ignorer qu’Aznar se leurre et égare ses lecteurs en laissant croire que son projet est applicable sans toucher aux bases du système. Néanmoins, les explorateurs tels que lui comme Michel Albert, Yoland Bresson, Eugène Descamps, André Gorz, René Passet, Jacques Robin, Dominique Taddéî sont très utiles. Ils sont tous conscients que la quantité de travail contraint diminue et qu’il convient de rechercher des solutions alternatives. Ils en font prendre conscience à l’opinion jetant ainsi les bases d’une évolution vers la démocratie économique.
En fait, il peut y avoir parmi les différentes thèses des mesures spécifiques qui, un jour, permettront d’avancer. Le RMI n’est-il pas l’exemple d’un tel progrès ? Les hôpitaux publics n’étaient-ils pas encore, au début du siècle, réservés aux indigents ? Les assurances sociales, au manoeuvre de base ? Soyons pragmatiques, observons l’évolution de la société et favorisons l’éclosion des avancées possibles. Voilà la façon de venir en aide d’urgence aux plus dévorîsés, ce qui n’est pas négligeable. Tout en conservant à l’esprit et en affirmant la nécessaire mutation du système. Presque tous les opposants, y compris Tom Thomas, raisonnent comme si le capitalisme avait déjà abandonné l’une au moins de ses caractéristiques principales. Il leur est alors facile de montrer que leur proposition est la meilleure. En fait, l’avenir seul se chargera de les départager.
Au lieu de cela, il est sûrement plus facile de camper sur des positions maximalistes en laissant monter la pression dans la perspective de la révolution prolétarienne. Mais le prolétariat, au sens où Marx l’entendait, n’a-t-il pas déjà éclaté ?

(1) Voir Programme Commun du Gouvernement, page 49. Ed. Flammarion 1977
(2) Pseudonyme - 83, rue de Tolbiac 75013 Paris.
(3) "Fondements" (Grundisse) Tome 2 . Ed. de la Pléïade
(4) 1,5 M de personnes travaillent directement ou indirectement pour l’armée sur 20 M de travailleurs, d’après Thomas, citant le magazine "Défense Nationale"
(5) Beaucoup d’informations sur cette période sont de provenance douteuse : opposants acharnés, agences de presse et journalistes partisans. Des meurtres politiques ont quand
même sans doute été commis.

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Faits et arguments

par A. PRIME
décembre 1990

Le but de la Grande Relève est, me semble-t-il, de donner à ses lecteurs des arguments qui tirent leur force des faits, qu’ils soient politiques, économiques, sociaux ou culturels. Ces faits et arguments doivent accroître notre capacité à convaincre nos interlocuteurs. Rabâcher sans fin les thèses de l’économie distributive ne peut servir à grand chose : nous sommes tous informés. Et le résumé de nos thèses qui parait dans chaque Grande Relève a pour objet de pousser les nouveaux lecteurs à vouloir en savoir plus, en nous écrivant ou en s’adressant au distributiste qui leur a donné à lire un numéro de la Grande Relève.
Les articles de fond ne constituent pas les seules armes pour convaincre  : c’est également le rôle des "Lu, vu, entendu", des encadrés, voire du courrier des lecteurs.
Aujourd’hui, j’aurai recours à une formule intermédiaire  : noter des faits, même divers, sans rapport apparent, pour servir d’arguments à la défense de nos thèses.

Qui a écrit ?

"La misère des citoyens n’est autre chose que le crime des gouvernements... Les abus sont l’ouvrage et le domaine des riches, ils sont les fléaux du peuple. L’intérêt du peuple est l’intérêt général, celui des riches, l’intérêt particulier..."
Question bicentenaire, vous l’avez deviné : il s’agit de Robespierre. C’aurait pu être aussi bien Saint-Just pour qui "le bonheur est une idée neuve en Europe".
A l’heure où les festivités du bicentenaire s’achèvent avec deux films sur la Révolution (comment relateront-ils ces événements cruciaux, notamment le deuxième qui porte sur 92-94 ?), il est triste de constater que pas un seul homme politique, pas un intellectuel ou historien de progrès, et alors que la "gauche" est au pouvoir, n’a pris l’initiative de réclamer pour Paris, une rue Robespierre, Saint-Just, et pourquoi pas Marat, Babeuf. Ah 1 la Terreur, bien sûr : même 200 ans après, il ne faut pas effrayer le bourgeois. Alors que trafiquants et traîtres sont tous honorés : Danton, Fabre d’Eglantine (1), Mirabeau. Mirabeau, gorgé de subsides royaux, a non seulement une rue, mais un pont et une station de métro ; il a même eu droit un temps au Panthéon, jusqu’à l’ouverture de la fameuse "armoire de fer". Bravo Mitterand, Rocard et tous les autres  ! Le nom de Jacques Duboin, il est vrai, après plus d’un demi-siècle, ne figure dans aucun traité d’économie officiel.

"Ca devient difficile d’être de gauche, surtout quand on n’est pas de droite"(Guy Bedos)

Ce même gouvernement Rocard n’ose même pas - les patrons se fâcheraient - évoquer un plan de réduction du temps de travail pour faire reculer sérieusement le chômage  ; il préfère aller de TUC en SIVP pour maintenir un chiffre artificiel (autour de 2.500.000 chômeurs). En RDA, par contre, avec un gouvernement de droite, la réduction du temps de travail se poursuit : l’IG Metall, syndicat de la métallurgie, qui a déjà obtenu, en moins d’une décennie, les 37 heures sans diminution de salaire (grâce au partage des gains de productivité entre patrons et salariés), vient de tenir congrès pour étudier le passage aux 35 heures dans des délais réduits.
L’Allemagne n’est pas le seul exemple en Europe. Eugène Descamps, cofondateur et ancien secrétaire de la CFDT, dans "Collectif", rappelait récemment quelques données : en RFA, dans la chimie, 35 heures pour les salariés de plus de 58 ans ; en Belgique, 38 heures légales depuis 1980, 35 heures dans les ports, 36 dans les grands magasins ; en Hollande, la semaine oscille entre 36 et 38 heures ; en Suède entre 35 et 36 heures avec objectif 30 heures sans perte de salaire (2). Des lecteurs de la Grande Relève se sont plaints de notre dureté avec les socialistes. Mais que font ceux-ci de mieux qu’un gouvernement de droite, rétrograde ? (3) Ne pourraient-ils, même en "gérant" une économie de marché, faire ce que font certains de nos voisins capitalistes  ? Ne pourraient-ils mettre une griffe sociale (4) sur leur gestion ? Si nous sommes durs avec eux, c’est la moindre des choses ; dans leur propre camp, des socialistes non gouvernementaux "grognent" (5) : ils déplorent le "déficit social" du gouvernement Rocard, qui conduit - ce sont les carriéristes qui insistent -au "déficit électoral".

Maggie la "révolutionnaire"

C’est le titre d’un article du Monde des 15/16 octobre.
Déjà, venant à Paris pour le 14 juillet et le Sommet des riches, elle avait jeté un froid en brandissant le "Bill of Rights" : "Les Droits de l’homme n’ont pas commencé avec la Révolution Française ... Nous avons eu la Grande Charte de 1215 et la Déclaration des Droits au 17e siècle et notre révolution tranquille de 1688, lorsque le Parlement a imposé sa volonté à la monarchie".
Depuis, elle a fait beaucoup mieux. En Octobre, au Congrès des Conservateurs, elle s’est déchaînée. Le "Monde " rapporte : "On se souviendra de 1989 comme de l’année au cours de laquelle les peuples de la moitié de notre continent ont commencé à se libérer de leurs chaînes". Madame Thatcher s’est attribué un rôle moteur dans ces changements : "En 1979 (l’année de son arrivée au pouvoir), nous savions que nous lancions une révolution en Grande-Bretagne ; en fait, nous étions les pionniers d’une révolution mondiale. Nos mots d’ordre de 1979, liberté, famille, entreprise, propriété, sont ceux que l’on entend aujourd’hui à Leipzig, Varsovie, Budapest et même Moscou. La torche que nous avons allumée en Grande-Bretagne est devenue un phare qui a projeté sa lumière au-delà du rideau de fer".
La Dame de fer enfonçant le rideau de fer ! Une "révolution mondiale", pas moins ! Il est vrai qu’on parle beaucoup - sans rire - de "révolution conservatrice".
Ces rodomontades prêteraient à rire s’ils ne s’appuyaient sur une situation extrêmement grave, voire explosive, comme l’a montré Marie-Louise Duboin, dans son éditorial de la Grande Relève de novembre. Maggie pourrait peut-être balayer devant sa porte : près de 8% d’inflation et 200 milliards de déficit de la balance commerciale, malgré le pétrole de la Mer du Nord.

Boom, krach, boom, mini (s) krach (s).... KRACH ?

Le monde n’en finit pas d’être inquiet à cause de la Bourse de Wall Street. Verra-t-on, au bout du compte, le grand Krach(avec un K majuscule, type 1929) que redoute - on pourrait presque dire "prédit" - notre prix Nobel d’économie  : Maurice Allais ? En fait, tout se tient : ce qui se passe est d’une logique implacable, que l’enchaînement des faits depuis le début de l’ère Reagan permet de comprendre - même si les mécanismes sont complexes à saisir, le principe est simple. Nous ne faisons ci-après que rassembler des réflexions ou études menées depuis des années dans la Grande Relève. - Sous Reagan, homme du lobby militaro-industriel, la part des dépenses militaires passe de 5 à 9% du PIB. Retombées tous azimuts et bientôt boom économique.
- Mais croissance vertigineuse du déficit budgétaire (environ 200 milliards chaque année).
- Pour rendre les emprunts d’Etat attractifs, aussi bien aux Etats-Unis que dans le reste du monde, on offre des intérêts élevés. Du coup, le dollar s’envole, passant de 5,40 F. en 1981 à 10,48 en mars 1985 (+ 94%). Le Dow Jones suit : sa cote passe de 700 à 2772 avant le krach d’octobre 1987.
- Un dollar de 10 F. et plus ralentit fortement les exportations et favorise les importations : Japon, RFA, Corée du Sud, Taïwan, divers , s’en donnent à coeur joie (25% des voitures vendues aux Etats-Unis sont japonaises). D’où déficits records de la balance commerciale, dans le sillage du déficit budgétaire. Tout se tient. Ce déficit commercial, malgré l’accord des Cinq du 22 septembre 1985 de faire baisser le dollar, s’est poursuivi (probablement du fait de l’inertie des habitudes prises).
- Que se passe-t-il alors ? C’est capital.
Fait roi par les accords de Bretton Woods en 1944, le dollar couvre la quasi totalité des échanges internationaux. Pour combler leur déficit extérieur, les Américains font marcher la planche à dollars, privilège exorbitant et unique dans le monde. En d’autres termes, ils paient en "monnaie de singe". C’est très grave pour l’économie, l’équilibre mondial puisque ces dollars sont du "vent", ne correspondent à aucune contrepartie en marchandises. On pourrait les baptiser déficito-dollars. C’est pire que les narco-dollars.
- Ces dollars - et ceux couvrant des achats hors déficit - vont aller remplir les caisses des principaux pays exportateurs vers les Etats-Unis Japon, RFA, Corée du Sud, Taïwan ; tous ces pays ont des balances commerciales hautement bénéficiaires. - Boomerang : avec tout cet argent, les Japonais (essentiellement) deviennent les principaux acheteurs de bons du Trésor US, l’épargne des Américains étant nettement insuffisante et achètent usines ou participations, une université, des immeubles(6), montent des usines, envahissent l’information (rachat par Sony de Columbia après CBS), deviennent les principaux opérateurs de la Bourse de New-York (entre 1984 et début 1987, les Japonais et d’autres étrangers ont acheté 170 milliards d’actions et obligations américaines).
Mais autre conséquence : ils sont devenus si riches, grâce à la politique de Reagan, qu’ils font la même chose dans le monde entier, et singulièrement, dans notre bonne vieille Europe où ils se positionnent fortement en vue de l’ouverture du marché commun : en France, par exemple, vignobles réputés, tableaux, haras, immeubles, haute couture, etc.. tout cela n’étant que des hors-d’oeuvre. Ajoutons, phénomène aggravant, que les Japonais détiennent un quasimonopole mondial dans les appareils photo et caméras, les motos, les magnétoscopes, et qu’ils ont une part prépondérante dans la HIFI et l’électronique en général. Et voilà comment un peuple de 123 millions d’habitants, exploitant habilement les erreurs du grand frère américain, pourtant guidé par son "grand communicateur", a pu acquérir un tel poids mondial. Il est bien temps de se réveiller, notamment aux Etats-Unis, où la nippophobie se développe "Qui sème le vent, récolte la tempête". L’Amérique est le pays le plus endetté du monde. Sa bonne santé -croissance ininterrompue depuis 8 ans financée en fait par des emprunts - n’est qu’apparente et cache des lézardes profondes, dont les à-coups boursiers sont les symptômes. L’activité boursière tente de compenser l’effondrement de pans entiers de l’industrie (en 1986, 45% des investissements ont été réalisés par des étrangers, et c’est, d’après les experts, une des raisons principales de la montée du Dow Jones).
Les Américains semblent réduits à inventer de nouveaux "jeux" boursiers, les "junk bonds", proches de l’escroquerie, et dangereux : obligations à taux élevés, mais à hauts risques, qui ont pour but, pratiquement sans capitaux initiaux, d’acheter des firmes et de les revendre rapidement, dépecées, en faisant d’énormes profits. Ces raiders nouveaux sont soutenus par des banques, appâtées par les hauts profits, mais tenues à l’écart de "l’establishment". Comme des sicaires que l’on paierait pour un crime, sans qu’il soit question de les fréquenter.
En résumé, les Américains vivent, riches - pas tous, 35 millions de pauvres - aux crochets du reste du monde. Le dollar, monnaie mondiale, clé de voûte des échanges, perpétuellement soutenu par les banques centrales, fait peser une lourde menace sur le système monétaire mondial. Le Japon, et les autres pays à balance commerciale fortement excédentaire, peuvent acheter ce qui leur plaît. Face à eux, une Europe à construire, divisée (Angleterre), des pays de l’Est en pleine crise, un tiers monde surendetté, en misère croissante, en pleine explosion démographique. Partout drogue et sida en développement exponentiel... Pas besoin de la guerre des étoiles pour éprouver quelqu’angoisse pendant la dernière décennie du siècle !

1. Danton et Fabre d’Eglantine ont trempé dans le scandale de la Compagnie des Indes alors que le peuple manquait de tout. La vénalité de Danton ne fait pas de doute.
2. En Angleterre, fin octobre, les ouvriers de Rolls-Royce et de British Aerospace ont voté la grève pour obtenir la réduction de la durée de travail de 39 à 35 heures par semaine.
3. Une enquête Figaro Sofres a montré que, pour 61% des Français, il n’y avait aucune différence entre un gouvernement de droite et un gouvernement de gauche, type Rocard.
4. Dans la Grande Relève de Juin 88, nous écrivions : "Le gouvernement socialo-centriste osera-t-il revenir sur l’autorisation des licenciements ? Ce sera un test." Le test est concluant : on n’a pas voulu faire pleurer les patrons !
5. Voir la Grande Relève d’Octobre
6. Mitsubishi vient de s’offrir le Rockefeller Center.

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Lu, vu, entendu

décembre 1989

Privatisation en Pologne
La "fête"risque d’être de courte durée en Pologne. Nous avons pu voir à la Télé, le premier novembre, des ouvriers de l’usine OMIG, privatisée il y a quelques mois, exprimer leurs doléances et inquiétudes :
1. un quart du personnel a été licencié ; 2. alors que l’inflation atteint des chiffres records, contrairement aux espérances, les salaires n’ont pas évolué ;
3. les contremaitres, poussés par la direction, sont devenus beaucoup plus durs avec le personnel.
A voir la tête des intéressés, ce n’était pas la joie.
Le communisme a sans doute eu de nombreuses carences, mais le capitalisme dévoile aux Polonais ses beautés cachées...

(Reportage Antenne 2)

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Salaires comparés
Nous avons déjà révélé dans la Grande Relève que, d’après l’INSEE, le salaire moyen en France n’atteignait que 87% de la moyenne des salaires européens. L’Institut d’économie allemand, proche du patronat, révèle que les charges salariales en Allemagne (salaires plus cotisations sociales payées par l’entreprise) sont de 50% plus élevées qu’en France. La même étude montre que les salaires japonais coûtent 22% de plus à leurs employeurs que les français.

(d’après le Canard enchainé du 1-11-89)

Dans son article sur Peugeot, A. Prime signalait que les ouvriers de l’automobile en Allemagne, interviewés au moment de la grève, avouaient 12.000 F. de salaire mensuel, soit l’équivalent de 10.800 F. si l’on tient compte du coût de la vie dans les deux pays.
Le rapport de l’Institut confirme donc la discordance. Les patrons pleureurs, type Calvet, invoquant la nécessaire compétitivité devront revoir leur copie.

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Mauroy se réveille
Un rapport du FMI, s’appuyant sur le fait qu’en France la redistribution sociale du revenu des Français est passée de 44,5% en 1970 à 62,5% en 1987, parle "d’exagération" et "cela décourage les efforts des salariés pour augmenter leur revenu ... incite certains à l’inactivité, pèse sur les résultats des entreprises, nuit à l’investissement’.
"Comment, répond P. Mauroy dans la Nouvelle Revue Socialiste, ne pas relever le danger d’une telle approche, qui contribue, jour après jour, à distiller dans les consciences l’idée qu’il ne peut exister d’autres alternatives que le plongeon sans transition dans l’économie hyperlibérale ".

(Nouvelle Revue Socialiste n° 6)

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"Culture" US et japonaise pour l’Europe
"il existe une Commission Culture Jeunesse-média au Parlement européen... mais ... dans sa profondeur concrète, la réalité "Culturelle européenne", ce sont les programmes de télévision qui, d’un bout à l’autre de l’Europe, sont dominés par les productions américaines et japonaises, et sur ce point décisif, la Commission de Bruxelles a produit, on le sait, une directive peu contraignante et qui laisse donc chaque Etat libre en fait de programmer ou de ne pas programmer une majorité d’oeuvres européennes".

(Max Gallo, dans un article "L’ombre de Batman’)

Nous n’avons cessé de dénoncer cette "culture" de violence ou sans consistance, ou les deux, coca-cola de l’esprit. Or, il faut savoir que les Américains, dans leurs programmes, n’incluent pas 5% de productions étrangères. Ils sont néanmoins furieux des barrières que nous tentons timidement d’élever. Ils ont juré de contre-attaquer en faisant des sociétés mixtes avec des Européens, ou tout simplement en rachetant des sociétés. " Vous ne pouvez vous passer du savoirfaire des Américains" prétendait l’un d’eux au MIPCOM. Les Américains espèrent aussi "monter sur satellite" (pour plus de détails, voir article du Monde du 15/16 octobre) :"Télévision, les Américains veulent investir la forteresse Europe". Forteresse !!!

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L’emploi capitaliste, ça marche !
Dans la même page du Monde du 25 octobre :
- " Prime Computer licencie 2.500 personnes" (8% des effectifs)
- " 754 licenciements à la Lainière de Roubaix" (sur 2.108 personnes)
Le Gouvernement a beau jeu de nous parler des emplois créés. Il faudrait mettre en parallèle les emplois perdus... puisque le chômage - officiel - tourne toujours autour de 2.500.000.

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Equateur
La France est prête à débloquer 400 millions de crédits à ce pays. Avant le voyage de Mitterand, par voie diplomatique, on fait demander au Gouvernement de l’Equateur de faire connaître les programmes prioritaires auxquels pourraient être consacrés ces 400 millions. Du beurre ? Que non ! Des équipements pour leurs Mirages, la défense antiaérienne, la modernisation des blindés. Contrepropositions de l’Elysée, surpris : chemins de fer, réseaux d’eau potable, centraux téléphoniques. Les Equatoriens ne veulent rien savoir. Leurs dirigeants du moins... Car le PNB/habitant est un des plus faibles de la planète.

(d’après le Canard enchainé du 18 octobre)

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Exporter ou mourir
Les pays développés sont en train de camoufler leurs difficultés en détruisant tout le tiers monde. Je m’explique : la machine remplace peu à peu l’homme et quoi qu’on en dise, on ne créera jamais plus assez d’emploi pour tout le monde. Alors, pour tenir le coup, les pays riches doivent absolument exporter (sinon toutes leurs usines tourneraient à vide). Ils exportent leur déséquilibre. Ils achètent pour rien des matières premières aux pays sous-développés et ils revendent les innombrables engins ou produits qui ne leur servent à rien, de la centrale nucléaire au Burkina-Faso aux technologies de pointe vendues à des pays qui ont surtout besoin qu’on leur creuse des puits  !

(Télérama du 30 août.
Envoi de J. Brébion, Eragny-sur-Oise)

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Trotsky
Au moment où s’ouvre le processus de réintégration de Léon Trotsky dans les fichiers bibliographiques et bientôt dans les manuels d’histoire, la question se pose de savoir pourquoi l’appareil bureaucratique avait tenté de l’en chasser à jamais, n’hésitant pas à le faire assassiner pour lui fermer définitivement la bouche.
Que retiendra l’histoire de ce compagnon de Lénine ? Le souvenir du révolutionnaire, du chef de l’Armée rouge ou de l’adversaire irréductible du stalinisme,certes. Mais, surtout, ce qui va se perpétuer c’est le contenu de ses écrits qui fait de lui un des plus fins analystes de la société civile et des questions culturelles de son temps. Tel est l’enjeu du livre de Pierre Broué, édité par Fayard. Un ouvrage qui a sa place dans la bibliothèque d’un abondanciste.

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Accusé, levez-vous !

par É. VAISSAIRE
décembre 1989

Sans vouloir lui dénier le bénéfice du progrès technique qui, au travers des siècles, a fait de notre société industrielle ce qu’elle est, j’accuse le système monétaire en vigueur (qu’il est un peu trop facile et, à vrai dire, un peu désuet de baptiser "capitaliste" car il pourrait très bien, à la limite, se passer des capitalistes, les cadres supérieurs du commerce et de l’industrie suffisant, tout en restant des salariés, à perpétuer et à perpétrer ses méfaits) de forfaiture.
Je l’accuse, en premier chef, d’être responsable, au moins en grande partie, de la faim et de la misère dans le monde qui fait plus de victimes chaque année que la dernière guerre mondiale qui a duré cinq ans.
Je l’accuse en second, d’être responsable de la misère grandissante chez nous par son incapacité à mettre en oeuvre la répartition juste et nécessaire de nos potentialités de production. Je l’accuse encore du déracinement culturel et économique des populations des pays en voie de développement, dont le pseudo-développement, sans rapport avec la culture traditionnelle, ne s’est fait que par les investissements capitalistes, dans le but de profits financiers. Je l’accuse d’être responsable, en grande partie, de la misère grandissante et du chômage, dans les pays d’occident, dus principalement à l’importation pour des raisons purement spéculatives de produits fabriqués à la sueur et au sang des populations pauvres du monde.
Je l’accuse de glorifier l’opulence d’une minorité de profiteurs, disséminés de par le monde, opulence qui ne repose que sur l’exploitation des plus pauvres, des plus faibles, des plus démunis d’instruction, de formation et de défense. Et de porter cette opulence honteuse à la hauteur d’une valeur sociale enviable. Je l’accuse encore de toutes ces rivalités militaires internationales dont la raison principale est soit d’étendre la domination économique et financière des pays les plus forts, soit de se défendre contre cette domination pour les pays les plus faibles. Soit, finalement, des guerres en général et de la course aux armements, dans le monde, qui détourne de sa raison d’être une part importante des richesses naturelles et des énergies humaines normalement destinées à la vie, vers des objectifs de destruction et de mort. Je l’accuse de voir s’amonceler des biens matériels, des denrées alimentaires et des richesses naturelles devenues inécoutables, dans des lieux de stockage inutiles, devant le besoin insatisfait et grandissant des populations du monde qui manquent du nécessaire vital.
Je l’accuse encore et toujours de saboter la production en général pour la rendre plus vite périssable et assurer ainsi une production sans objet autre que le profit financier.
Je l’accuse aussi, pour les mêmes raisons, de procéder au pillage des ressources naturelles de la planète, non renouvelables car issues de son histoire cosmique, sans préoccupation des générations à venir.
Je l’accuse encore et toujours de la destruction progressive de l’équilibre écologique mondial par l’exploitation outrancière de ses ressources du sol et du sous-sol et la pollution industrielle des mers, de l’atmosphère et des terres, toujours pour des raisons de rentabilité financière, alors que des moyens techniques existent qui pourraient éviter ces dégâts. Je l’accuse, finalement, de mettre la vie en danger sur la planète, pour des raisons de produits financiers, tant le système, par son vice propre, a insufflé ce désir à un nombre toujours grandissant d’humains. Je l’accuse d’avoir transformé la monnaie "moyen d’échange" en système de blocage des échanges et d’avoir fait confondre le moyen avec la fin, les biens véritables avec leur représentation fictive : la monnaie.

Accusé, levez-vous !
Qu’avez-vous à dire pour votre défense ?

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Et si demain on rasait pour rien ?

par A. CHIFFON
décembre 1989

Pas de dictature ! dit Amélie... Ah non ! Mais est-ce qu’il n’y a pas déjà une dictature pour tant de gens qui n’ont aucune ressource ? Amélie préconise comme étant démocrate, le plus grand choix d’objets possibles, comme autrefois il y avait trois classes dans les transports en commun.
Ca signifie que certaines personnes, parce qu’elles ont cru pouvoir choisir d’être capables, ambitieuses, intégrées, âpres au gain ou au travail, prétendraient acquérir dans le système actuel un objet personnel, plus joli, plus efficace... que l’objet de celles qui, par leur non-choix, devront se contenter d’un objet de qualité très inférieure, voire s’en passer. Quand j’étais gosse, j’ai toujours vu nos grands-pères se servir du fameux "coupechoux", pour se raser. C’était joli, il y avait tout un rituel, ça pouvait être dangereux... Ils ignoraient qu’allait naître le hideux petit rasoir à manche de bakélite, et lame crantée, à placer (attention aux doigts ! ) entre le corps du rasoir et une fine plaque métallique. Puis un autre rasoir apparut, prétentieusement "design", avec une forme aérodynamique, qu’il fallait brancher sur la prise électrique (nucléaire) ou à piles (alcalines et non biodégradables). Ceux qui croient qu’il existe un choix, donc un libre-arbitre, rejoignent ceux qui peuvent payer : ils ont donc sauté sur ce rasoir, sans blaireau, sans mousse, sans "cuir" pour le repasser.. Ils ignoraient qu’un autre rasoir, sans doute plus populaire, le Bic jetable, allait naître : retour à la mousse à raser, mais en bombe aérosol (qui bousille l’ozone).
Les adeptes du plus grand choix possible voudront un rasoir électrique de chez un grand parfumeur pour hommes... Et les adeptes du RMI, de la prison, du SMIC, de la longue maladie, de la famille nombreuse non désirée, les adeptes de l’ignorance ou d’une tare génétique auront, eux, le choix, entre la grosse barbe ou le rasoir moche, dangereux, inefficace, parce que bon marché.
Ainsi, toute une catégorie de gens, parce que leurs moyens leur permettent ce qu’ils croient être un choix, en profitent pour prétendre qu’ils font preuve de goût, de distinction et, bien sur, de mérite. Ce sont les mêmes qui sont absolument contre l’égalité des revenus, tenant à pouvoir se différencier des autres, à faire par leurs achats la preuve qu’ils sont d’une autre essence. Cette idée de la supériorité (sur qui ?) du libre-arbitre de l’humain, et de la supériorité de certains sur d’autres, est une philosophie toujours revendiquée par les mêmes.

Eulalie répond à Augustine :
Ne confonds pas égalité et minimum. L’égalité d’un revenu social maximum, en économie distributive, garanti permettra à tous effectivement de choisir, donc de faire preuve d’astuce ou de distinction. Par contre, avec des revenus minimum, pas de choix, on ne peut acheter que le moins cher et il est donc impossible de manifester son bon goût...

(1) Augustine Chiffon a existé, elle a participé aux luttes de la Commune, auprès de Louise Michel, tout comme Eulalie Papavoine, si vous en entendez parler, et tant d’autres, immatriculées pour le bagne !! (cf. pages 355, 392 et 400 de "La Commune" Ed. Stock Plus).

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