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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 874 - janvier 1989

 

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N° 874 - janvier 1989

89 !   (Afficher article seul)

Le tiers-monde et La dette   (Afficher article seul)

La crise est finie !   (Afficher article seul)

Une démocratie sans information ni débat   (Afficher article seul)

Motions pacifistes   (Afficher article seul)

Quand on n’a pas le sou   (Afficher article seul)

L’intoxe bancaire se poursuit   (Afficher article seul)

Enfonçons le clou à propos d’Hayek   (Afficher article seul)

Le Monopoly   (Afficher article seul)

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Éditorial

89 !

par M.-L. DUBOIN
janvier 1989

L’année qui commence va susciter bien des réflexions sur la révolution. Mais, hélas, plus sur celle qui s’est produite avec violence il y a deux cents ans que sur celle que nous sommes en train de vivre, plus importante, plus vaste et plus lourde de conséquences et dont la majorité de nos contemporains ont à peine conscience.
En 89, un petit nombre de privilégiés profitaient seuls des richesses du monde tandis qu’une écrasante majorité était réduite à la misère. Il en est de même aujourd’hui où le pouvoir exorbitant des gens de finances est aussi abusif, aussi injustifié et peut-être encore plus énorme que celui des nobles en 1789. Par contre, ce qui rend ces privilèges encore plus intolérables, c’est l’énormité des potentiels de production. Ils étaient inimaginables il y a deux siècles. Ils nous offrent enfin la possibilité d’abolir la misère. Et nous ne saisissons pas cette possibilité !
La révolution du XXe siècle est accomplie dans les moyens techniques. La révolution des esprits est à peine commencée. Justement la perspective de l’Europe de 1993 se présente, et la lutte est déjà engagée : il y a d’un côté les affairistes qui déploient tous leurs moyens, et ils sont énormes, pour qu’elle leur profite. Et à eux seuls. De l’autre côté il y a nous, les femmes et les hommes de bonne volonté qui ont une chance à saisir pour que l’Europe constitue une société humaine, conviviale, un monde intelligent, respectueux des individus, de leur épanouissement, de leur développement, de leurs cultures, de leur environnement. Une Europe qui offre un espoir entre deux blocs « totalitaires », chacun à leur manière.
La tâche qui nous incombe est énorme. Mais nous sommes nombreux à avoir tout à y gagner. Nous ne réussirons que si chacun d’entre nous, à titre individuel, se sent responsable de sa réussite. Et il ne suffit pas de critiquer les absurdités, ni de dénoncer les abus. Et les discours politiques ont fait la preuve de leur vanité. Il s’agit de faire réfléchir, d’amener nos semblables à prendre conscience des possibilités qui s’offrent, de proposer quelque chose de nouveau.
C’est la tâche que se sont assignée les distributistes, et depuis bien des années. Hélas, même parmi les lecteurs de ce journal, une grande majorité attendent que « les autres » agissent. Beaucoup nous encouragent, nous soutiennent financièrement, et c’est, hélas, indispensable. Mais fort peu, trop peu, collaborent. Nombreux sont ceux qui n’osent pas, alors que notre journal présente cette originalité d’être ouvert au débat, puisqu’il n’est assujetti à aucune force occulte comme c’est le cas, par exemple, de tous les journaux qui, vivant de la publicité, ne sauraient déplaire à leurs annonceurs.
Alors le voeu que je forme au seuil de 89 c’est de voir tous nos lecteurs prendre des initiatives, agir, réfléchir, collaborer par l’intermédiaire de la Grande Relève, pour construire une Europe plus juste, plus humaine, plus ouverte, bref, une Europe distributive.

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Le tiers-monde et La dette

par A. PRIME
janvier 1989

Nous avons participé, aux Rencontres Internationales d’Annecy. Thème : « La dette du Tiers-Monde aujourd’hui. Les O.N.G. (Organisation non gouvernementales) et la dette ». A ces rencontres, on a pu entendre des hommes de terrain, de différents ONG, des professeurs d’économie, des syndicalistes, des hommes politiques et le secrétaire général adjoint de la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement) des séances plénières et des débats riches et éclairants, avec 5 carrefours, dont un sur l’économie auquel nous participions.
Les exposés argumentés, étayés sur des chiffres, certains décrivant des expériences vécues, faisaient plutôt froid dans le dos, car si les pays riches pensent émerger de la crise économique, les pays pauvres s’y enfoncent chaque jour davantage.
Nous connaissons le développement démographique du Tiers-Monde et la faible croissance, lorsque croissance il y a, de la production ; dans l’ensemble, il en résulte un appauvrissement par tête (9% de 1982 à 1987 pour l’Amérique du Sud).
Les responsabilités sont lourdes, aussi bien pour le Nord que pour le Sud (nous gardons ces désignations de Nord et Sud par commodité, bien qu’elles correspondent assez mal à la géographie). Au Sud, nombreux sont les dirigeants qui ont détourné des emprunts à des fins personnelles. Le cas le plus marquant concerne Mobutu : sa fortune personnelle atteint 5 milliards de dollars, soit curieusement la dette du Zaïre. C’est dire qu’il a puisé dans la caisse ! L’argent détourné revient immédiatement se replacer dans les banques prêteuses, du moins quand il en est sorti, ce qui n’est pas toujours le cas, et les banques peuvent placer à nouveau cet argent. Toutes fuites de capitaux confondues, on estime à 70% de l’argent prêté les sommes revenues dans les banques du Nord.
En ce qui concerne le Nord, en dehors de sa complicité dans ces « combines » il y a plus grave : c’est le Nord qui fait la pluie et le beau temps pour les prix des matières premières qui sont décidés dans les Bourses de Londres ou d’ailleurs. Très souvent, ces prix tombent au-dessous des prix de revient. Comment, dans ce cas, les exportations peuvent-elles rembourser la dette ou simplement les intérêts ?

Prévarication des dirigeants plus exportations désastreuses (1)=pays en crise. D’où intervention du FMI, véritable police financière, qui impose des mesures drastiques : économie sur les dépenses indispensables au développement, sur les dépenses de santé, d’éducation ; et exportation à tout prix pour payer au moins le service de la dette. Le résultat de toutes ces pressions ne manque pas d’être surprenant. La dette du Tiers-Monde est de 1200 milliards de dollars, soit 6 fois le budget de la France ou encore 100.000 tonnes d’or. Or depuis des années, les pays pauvres envoient plus d’argent vers les pays riches qu’ils n’en reçoivent : par exemple, 140 milliards de dollars de 1982 à 1987. Voilà où nous en sommes à la veille du bicentenaire de la Révolution Française et de la Déclaration des Droits de l’Homme ! Le Tiers-Monde est endetté, pressuré, marginalisé (au Zaïre, par exemple, le PNB par tête est abaissé de moitié de 1982 à 1985, pour atteindre 80 dollars, même pas le centième de celui de la France).
Lorsqu’on lit le dernier livre de Pierre Péan « L’argent noir-Corruption et son développement » on est abasourdi. Pour exporter à tout prix, à coup de bakchichs, le Nord - et la France n’est pas la dernière - vend au Sud des projets, des usines totalement inadaptées (2) qui souvent ne tournent même pas. Un scandale de plus, au crédit du Nord qui opère sans cesse des « raids » sur les pays déjà démunis.
Ajoutons enfin que le Nord -qui n’a pas de raison de se faire la guerre- a, pour développer ses ventes d’armes, sciemment déplacé au Sud les zones belligènes, même s’il ne s’agit souvent que de guerres intérieures.

SOLUTION (S)

D’abord, au plus vite effacer la dette, en commençant par les pays les plus pauvres, pour la plupart africains subsahariens ; en attendant, au moins rééchelonner la dette et baisser les taux d’intérêts. Effacer les dettes bancaires devrait être facilité par le fait que les banques prêteuses, pas folles, ont déjà provisionné, en créances douteuses, en moyenne 50% de leurs créances. Quant aux créances des états, elles doivent être effacées, fut-ce par simple solidarité et pour compenser le mal que le Nord a fait au Sud, le pillage auquel il s’est livré depuis des décennies (des siècles même si on inclut la colonisation).
Aider les pays pauvres à former de vraies élites pour construire avec elles des économies viables. Le sous- développement n’est souvent qu’un maldéveloppement. Il faut leur « apprendre à pêcher plutôt que leur donner un poisson ».
Régler le problème agricole : cesser de pousser ces pays à supprimer leurs cultures vivrières pour des cultures d’exportation destinées au seul confort des pays riches ; de même ne plus raser leurs forêts. Etablir des prix de matières premières raisonnables et stables.
Faire le nécessaire pour amener ces pays à freiner leur développement démographique sans heurter cependant leurs modes de pensées et leurs religions.
Cesser de leur vendre à tout prix des usines inadaptées, donc inutiles et surtout des armes : Perez de Cuellar estimait en 1985 que 30 à 40% des emprunts servaient à acheter des armes.
Enfin, ce serait aussi leur rendre un service indirect que de lutter contre la domination du dollar en donnant par exemple beaucoup plus de poids à l’Ecu.
Car même en imaginant -et on en est très loin- une situation « post-dette », le problème du Tiers-Monde resterait presque entier si les pays riches ne se décidaient pas à repenser radicalement le problème Sud et Nord-Sud. Qu’ils le fassent au moins par intérêt et sagesse, à défaut de le faire par générosité, car les gens du Tiers-Monde ont le nombre, ils l’auront de plus en plus, et si le Nord persistait dans son comportement actuel, gare au boomerang qui pourrait faire mal, très mal (3). Pourtant, Susan George, politologue américaine les met en garde dans son dernier livre
« Jusqu’au cou » : « nous sommes tous embarqués sur le même Titanic, même si certains voyagent en première classe. »

(1) La part du Sud dans les échanges mondiaux est tombée de 28% à 18% depuis 1980.
(2) Tout le monde a entendu parler de cette fameuse « cathédrale » que construit Houphouet Boigny.
(3) Déjà la politique des pays riches à l’égard des pays pauvres a fait perdre aux premiers 3 millions d’emplois ; quant aux emplois perdus de notre fait dans le Tiers-Monde, ils sont impossibles à chiffrer.

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La crise est finie !

par A. PRIME
janvier 1989

C’est du moins ce qu’on pourrait croire à la lecture de nombreux articles et statistiques, à entendre certains discours : « L’économie française est en pleine santé » (1) ; « Parfum de sortie de crise » (1) ; « Les entreprises gorgées de bénéfices » (2) ; « Des bénéfices quadruplés en 1988 : UTA bombe le torse » (3) . Même cri de victoire dans tous les pays industrialisés. Mieux : « La Suisse s’inquiète de la faiblesse de son chômage » (4).
De fait, on pourrait supposer que les peuples sont satisfaits puisque partout, lors d’élections majeures, ils reconduisent les « droites » au pouvoir : RDA, Angleterre (3 fois), USA (3 fois), Israël, Canada... L’exception France n’est qu’un trompel’oeil, car, si Mitterrand a été réélu, c’est sans doute que la droite la plus bête du monde a occupé deux ans le devant de la scène en effet, en 1986, la cote du Président battait largement (22/23%) les plus mauvaises cotes atteintes par les présidents de la Ve.
A l’heure où Reagan va quitter le pouvoir, flotte partout dans le « Monde libre » un relent, ou un parfum, c’est selon, de reaganomie, cette « économie de l’offre », cet ultra-libéralisme dont le maître-mot est : déréglementation (Peu importe que cette doctrine ait engendré un individualisme, un égoïsme souvent sordide).
Cause ou coïncidence : l’économie capitaliste est à nouveau florissante. L’OCDE prévoit pour 1988 une expansion moyenne de 4% dans les pays industrialisés. Les entreprises ont retrouvé leurs marges d’avant 1973. Un expert international confiait à une journaliste du Monde (5) qu’il s’agissait d’un « boom digne des 30 glorieuses » (sic). Finalement le krach d’octobre 1987 a eu des résultats bénéfiques : comme nous l’avons analysé dans la Grande Relève de Mai, une partie des investissements boursiers a repris prudemment le chemin de l’industrie, même si c’est à coups de raids ou d’OPA « régulières. ».

Cependant - peut-être pour conjurer le sort, car une rechute est toujours possible - on n’ose pas trop crier « Victoire, la crise est finie. » Pour le moment, on respire un « parfum de sortie de crise. » L’économie des USA connait depuis 6 ans une prospérité continue. Le Japon et l’Allemagne et des NPI (nouveaux pays industriels) comme Taïwan, la Corée du Sud, Hong-Kong, Singapour n’ont cessé d’avoir depuis plusieurs années des balances commerciales hautement bénéficiaires. Et en Angleterre « tout baigne »... ou presque, (nous verrons cela le mois prochain).

On pourrait donc croire qu’après 15 ans de crise-mutation, les économies capitalistes s’éloignent de la crise et même que celle-ci est terminée. La crise économique, stricto sensu, après tout, peut-être, mais, si c’était le cas, comme une victoire militaire chèrement acquise, elle laisserait derrière elle des destructions effroyables : essentiellement une société duale, dont la plaie principale est le chômage, mais aussi la précarité et la déqualification du travail (6).

Autrement dit, à la fois partie intégrante et conséquence, la crise sociale demeure. Elle est impossible à résoudre dans le cadre d’une économie marchande. Elle continue à s’aggraver. Nous rejoignons, à ce stade de la crise, ce que nous avons toujours étudié et craint : une sortie à droite de la crise.

Mais alors, direzvous, quel espoir pour les gens de progrès, pour nous distributistes ?

Il n’est pas possible que la chape qui pèse chaque jour plus lourd sur des individus de plus en plus nombreux, exclus, malheureux, au nord comme au sud, ne provoque pas des craquements, un réveil. L’histoire des luttes, globalement victorieuses, des ouvriers ou des populations du Tiers-Monde, pour plus de bien-être ou de justice, témoigne que rien n’est jamais acquis, ce que peuvent croire les privilégiés, ni perdu, ce que peuvent craindre les défavorisés.

(1) EDJ 27 octobre 1988,
(2) Le Canard 16 novembre 1988,
(3) Le Monde 16 novembre 1988,
(4) Le Monde 16 novembre 1988.
Explication : la raréfaction des chômeurs risque de faire monter le prix de la maind’oeuvre.
(5) 20/21 novembre 1988,
(6) GR de novembre page 5 « Vers 50% de marginaux » : 51% des Français âgés de 18 à 24 ans sont dans ce cas.

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Écologie :

Une démocratie sans information ni débat

janvier 1989

Le 8 mars 1987, à peine trois mois après avoir atteint son régime de pleine puissance, la centrale nucléaire européenne de démonstration SUPERPHENIX était le siège d’une grave avarie : une fuite de sodium de la cuve du « barillet », l’élément central du système de chargement et déchargement du combustible, un complexe de quinze mètres de hauteur et de dix mètres de diamètre situé dans le bâtiment réacteur. Cette fuite révélait par elle-même deux choses inquiétantes : une qualification insuffisante du matériau employé et de sa mise en oeuvre ; l’inefficacité de la procédure de contrôle qualité. Pire, moins d’un an après la catastrophe de Tchernobyl, il ne fallut pas moins de trois semaines aux responsables de la centrale pour se rendre à l’évidence cesser d’incriminer une défaillance inexpliquée du détecteur et informer les Services de Sûreté que le signal de fuite correspondait à la réalité !... Des examens ont mis en évidence une fissuration généralisée de cette cuve. Certaines des causes de cette fissuration généralisée, dont l’étude est encore en cours, ne pourront être établies avant plusieurs mois.
Ainsi, malgré l’ampleur des moyens consentis (26 milliards de Francs actuels), la centrale SUPERPHENIX semble dépasser les limites de la maîtrise technologique de ses constructeurs et la complexité de sa conduite la vigilance de ses exploitants. En tout état de cause la sûreté de l’installation n’apparaît plus garantie.
Deux options se présentaient alors (hormis l’abandon du projet qui, en la circonstance, signifierait celui de la filière surgénératrice au plutonium) reconstruire un nouveau barillet ou changer de concept pour les transferts de combustible. Jugée trop coûteuse, trop longue, voire quasiment impossible à réaliser selon les termes mêmes de l’exploitant, la première a été rejetée. Une demande de redémarrage de l’installation sans barillet a donc été déposée une première fois en septembre 1987 (rejetée) et de nouveau en septembre 1988. Des bruits courent que la dernière demande pourrait sous peu recevoir une réponse favorable des autorités. S’il en était ainsi, pour la première fois au monde une centrale nucléaire fonctionnerait sans que l’on puisse accéder à son combustible, tant il est vrai que l’adaptation du système de chargement-déchargement ne serait achevée qu’au printemps 1991 et que même en cas d’urgence aucun moyen spécial ne serait disponible avant la fin de l’année prochaine. Une autre grande première serait d’avoir un chantier à l’oeuvre dans un bâtiment réacteur sans interruption de l’exploitation.
Les Français sont tenus dans l’ignorance du dossier. Qu’en est-il de l’état de la cuve principale, celle du réacteur lui-même ? Quelles sont les incidences de l’abandon du barillet comme stockage intermédiaire du combustible sur la sûreté ? Seules des réponses partielles ont été rendues publiques ; elles sont insuffisantes. Pourquoi ferions-nous une confiance aveugle au dispositif d’expertise et de décision officiel, pour qui l’affaire de SUPERPHENIX représente tout bien pesé un échec ?
Nous, citoyens conscients et responsables, exigeons que toutes les informations nécessaires à un examen complet de la sûreté de SUPERPHENIX soient sans délai mise à la disposition d’un groupe international de contre-experts dont nous avons reçu le concours. Comme ce fut le cas dans le passé à propos de grands projets nucléaires controversés -extension de l’usine de retraitement de Windscale en GrandeBretagne, une usine équivalente à Gorleben en RFA, les projets KBS de stockage de déchets radio-actifs en Suède-, nous demandons que sur la base des informations rendues publiques soit financé et rapidement mis sur pied un débat contradictoire équilibré réunissant des experts français et étrangers à propos de l’avenir de la centrale européenne SUPERPHENIX.
Ceux qui nous gouvernent aujourd’hui s’étaient en 1980 solennellement engagés à un tel débat. Le cours des choses a apporté la preuve qu’ils auraient été bien inspirés de respecter leur promesse dès 1981. Il n’est pas trop tard mais il est grand temps. A la veille de fêter le bicentenaire de sa fondation, la République Française se doit, à son tour, de mettre de la démocratie dans les questions nucléaires.

Contact : L. Trussell, 38 rue Taine, 75012 Paris

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Motions pacifistes

janvier 1989

MOTION SPECIALE
Réunis en congrès à Paris, le 6 novembre 1988, les membres de l’Union Pacifiste de France adressent un fraternel salut au peuple kanak.
Ils se prononcent pour l’autodé-termination de ce peuple, sans préjuger de ce qu’il fera de sa liberté.
Les sociétés industrielles comme la notre doivent rompre avec leur passé raciste et colonial, en accordant l’indépendance aux populations extérieures à l’hexagone, là où la dépendance à l’égard de la France n’est justifiée ni par la culture ni par la géographie, mais par des prétentions d’asservissement à des fins militaires.

MOTION FINALE
Les mois écoulés ont été caractérisés par plusieurs démarches positives en faveur de la détente Est/Ouest et de l’apaisement de certains conflits. Malgré leur fragilité, ces différents espoirs créent un climat plus favorable à la paix. Encore faut-il pour cela que cette dynamique soit relayée et élargie. A cet égard, des pays européens et notamment la France ont un rôle important à jouer. Pourtant, la politique suivie par leurs gouvernements ne laisse pas présager une telle orientation, bien au contraire.
Pour l’Union Pacifiste de France, une Europe dont un des soucis majeurs serait la construction d’un troisième bloc militaire ne pourrait que relancer une nouvelle étape de la course aux armements, reproduisant les schémas tracés par les USA et l’URSS.
Une telle perspective, à l’heure où de nombreux experts internationaux s’inquiètent des conséquences économiques et sociales des dépenses militaires, aurait, en outre de perpétuer des rapports inégalitaires avec les pays du tiers monde, tout en freinant, à l’intérieur même des pays industriels, un réel essort économique.
Face à ces contradictions, l’Union Pacifiste de France propose le désarmement unilatéral.
Elle souhaite une meilleure coordination des mouvements de paix autour d’objectifs significatifs dans la voie de la démilitarisation,
- mise en application des décisions de l’ONU en faveur d’un droit réel et non restrictif à l’objection de conscience,
- libération de tous les réfractaires emprisonnés,
- mise en place avec les partenaires intéressés d’un calendrier de reconversion de l’industrie d’armement,
- arrêt des essais nucléaires.
Elle appelle ces mouvements de paix à se regrouper autour de l’idée du désarmement unilatéral.

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Quand on n’a pas le sou

par A. CHIFFON
janvier 1989

Il y a les pauvres honteux : ceux qui se réfèrent aux valeurs capitalistes, comme seul modèle de « normalité ».
Il y a les pauvres, résignés, qui faute d’avoir acquis des explications sur leur sort, se croient individuellement frappés d’une sorte de tare.
Il y a les pauvres qui se refusent aux valeurs de leur société et tirent fierté de leur insurmontable inaptitude, comme étant un signe de santé, d’honnêteté, d’échappatoire vers des valeurs autres, différentes, utopiques, d’avenir... qui les conduisent à une révolte thérapeutique.
La pauvreté endémique, chronique, liée à une éthique de vie, se conçoit avec un certain orgueil d’être inapte, dans un monde que l’on désavoue.
Quand on n’a pas le sou, on mange mal et à la longue on a des malaises, des maladies chroniques, des séquelles digestives, affaiblissement, étourdissements, baisse de la tension. Les dents s’abiment, les cheveux tombent, on souffre de douleurs abdominales, et on paie, beaucoup plus tard, les carences en vitamines, en protéines, en oligoéléments, en calcium.
Quand on n’a pas le sou, on n’ose dépenser en chauffage : car il y aura la note de gaz ou d’électricité au bout du compte, le fuel, ou la grosse bouteille de butane. Bref, une échéance où il faut sortir d’un seul coup une grosse somme.
Quand on n’a pas le sou, on est souvent mal logé ce qui devient très perturbant pour les nerfs si on est plusieurs dans un espace exigu : petit espace= gène par le bruit, les vapeurs et odeurs de cuisine, l’humidité, l’absence d’un « coin à soi ». Les enfants y attrapent des bronchites, n’arrivent pas à se concentrer pour faire leurs devoirs, on ne peut isoler celui qui a une maladie infantile, donc les autres l’attrapent aussi. Qui va les garder à la maison ? Le dimanche, dit jour de repos, les petits s’ébattent, pendant que la mère si elle travaille au dehors, fait tout l’arriéré de lavage, ménage, repassage, cuisine d’avance, etc... Alors c’est la nervosité, les menaces, les punitions, les gifles. Gêne pour les voisins qui subissent les discussions et le bruit d’enfants réunis dans une seule pièce.
Quand on n’a pas le sou, on remet de se faire soigner pour des traitements non remboursés, des prothèses, des soins réguliers qui demandent du temps ou des déplacements onéreux. On reporte à plus tard des examens de dépistage parce qu’ils sont trop chers, qu’ils vont immobiliser la mère de famille dont le travail bénévole est précieux et qui ne peut s’offrir une garde d’enfants.

Le manque d’argent, c’est une obsession de chaque instant : on ne peut pas suivre les autres, s’ils vont en vacances, s’ils vont au restaurant, s’ils participent financièrement à une fête, si les collègues vous invitent à faire du lèche-vitrine... C’est une sanction de tout ce qui est culturel : journaux, cinéma, théâtre, concerts, ateliers de formation, artistique, intellectuelle, professionnelle.
On ne peut pousser l’instruction de ses enfants : on a hâte de les voir autonomes, surtout lorsque l’aîné de 3 enfants atteint ses 18 ans et qu’on perd tous les droits de « famille nombreuse » : allocation d’un logement, devenu trop lourd, gratuité des transports ou réduction, allocations familiales. Tout d’un coup il faut réduire le standing et pousser ses enfants à se « débrouiller  » à un âge où ils rêvent de mobylette, de moto, de sorties... Et ils ont besoin de beaucoup de nourriture pour finir leur croissance.
On « place » alors les enfants au maximum dans des institutions où l’Etat peut les prendre en charge, les séparant... Ils ne sont pas dupes et vous en veulent plus tard...
Alors on manque de confiance en soi : on culpabilise : il y a une culpabilité à s’être mise dans une situation que d’autres n’imaginent même pas, sinon comme objet d’étude.
Ce sont souvent les mères, parfois les pères, qui culpabilisent quand du fait de leur « infériorisation » les enfants manquent de l’essentiel, que leur avenir physique, moral, social est en jeu. C’est la mère qui fait des démarches humiliantes pour qu’ils soient placés, pris en charge, bénéficient de réductions diverses. C’est une blessure, pour les parents, que de voir traités leurs enfants en petits assistés. C’est l’obligation de s’en remettre au paternalisme des administrations d’assistanat, qu’il faut affronter dans des lieux publics. Par manque d’argent, il semble qu’on n’ait pas été assez disponible à ses enfants, qu’on les a souvent poussés dehors, puis poussés à étudier « utilement », puis poussés trop tôt à gagner leur propre vie, tout de suite, n’importe comment, à n’importe quel prix, sans pouvoir tenir compte de leurs aptitudes et de leur avis ! On ne leur a pas offert ce qui leur faisait envie chez tel petit copain. On a baissé le nez devant un professeur injuste, parce qu’on craint de les voir mal jugés, ou renvoyés. On a alors doublement honte : de son silence, ou de sa colère, de son impuissance, de voir retomber sur des enfants qui n’ont rien demandé l’opprobe, l’injustice. Trop longtemps apeurée, soumise, craintive, peu assurée, on « loupe le coche », ouvrant la bouche trop tard et avec anxiété : on n’a vraiment pas su y faire. On se compare souvent aux autres, s’interrogeant sur leurs manières de vivre, de dépenser, de penser, en les jalousant ils sont plus malins !

Pour certaines femmes, c’est alors l’acceptation sous leur toit de la violence de celui qui « ramène » un salaire, des injures, des humiliations. Elles se croient « bonnes à rien » alors qu’elles sont précisément « bonnes à tout faire ». C’est progressivement un repli, un complexe d’infériorité sur leur différence, une inhibition à sortir de chez soi, de son rôle, de son mutisme, parce qu’elles savent que toute tentative de libération se heurtera au MANQUE... d’argent, d’instruction, d’expérience... Elles espèrent toute leur vie être un jour comme tout le monde, pouvoir se mêler aux autres.

Etre sans argent, c’est ne plus avoir de repères exacts sur ses propres facultés, sa propre identité. Contrainte de tout supporter, en attendant...

L’idée de culture, d’instruction, est un véritable luxe. Il faut du temps, de la sérénité, de l’argent pour acheter les livres, une disponibilité d’esprit pour oser aller dans les bibliothèques. Dès qu’on s’élève un tant soit peu, on se trouve alors confronté à ceux qui ont pu acquérir des connaissances, bien plus jeunes, se faire au jargon universitaire, comprendre les dédales de l’organisation intellectuelle : il faut grapiller en dehors des heures de bureau ou d’usine et lire, sans guide, dans tous les sens pendant bien des années, avant de pouvoir mettre un peu d’ordre dans ses pensées.

Là où les plus privilégiés sont, depuis l’école primaire, sur des rails, où on leur a enseigné dans un ordre logique l’organisation sociale, l’économie, la politique, les origines du monde, la complexité du système de vie actuel...

On passe toute sa vie pour l’« autodidacte », pour l’amateur, pour quelqu’un qui se pose avec trop de gravité, des questions particulières, qui ne sont pas au programme.
Tout cela paraît un peu ridicule à l’étudiant normal qui est là pour préparer son avenir matériel.

A vouloir sortir de sa condition matérielle ou sociale, on risque d’essuyer des humiliations et des découragements, parce qu’on regarde la vie d’un lieu que les nouvelles personnes fréquentées n’ont pas connu.

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L’intoxe bancaire se poursuit

par P. VILA
janvier 1989

Le Tableau pessismiste des perspectives de crise financière majeure publié dans The Economist du 7 juillet 1988 (voir « La Grande Relève » de septembre dernier) a dû susciter pas mal d’interrogations angoissées parmi les lecteurs non-banquiers de cet hebdomadaire ; il a dû sembler important aux éditeurs de brouiller un peu le signal d’alarme si clair de l’article de Fred BERGSTEN, « Apprivoiser le Monstre ». C ’est chose faite avec le dernier éditorial sur les traitements financiers de Georges Bush, Martin FELDSTEIN ; il est titré : « FELDSTEIN à propos du DOLLAR, laissons le Marché définir les taux de change »
On y retrouve évidemment, cuisiné à la sauce bancaire, le menu pour gogo international, avec l’arrogance tranquille du financier devenu expert, et des allusions seulement très indirectes aux vérités décrites par BERGSTEN en juillet dernier ; il importe en effet de calmer les curiosités sur le mécanisme réel de la fabrication des taux et du déficit du budget Américain.
FELDSTEIN commence par un exposé objectif des faits, un raccourci de son diagnostic et du traitement qu’il propose :
« Par rapport au Yen, le Dollar a beaucoup varié ces derniers quinze ans : -33% entre 1973 et 1978 ; +60% début 1985 et depuis, une nouvelle chute de 50%. Les conséquences douloureuses à l’extérieur des U.S.A. ont provoqué des pressions sur les gouvernants pour le remplacement de la flotaison des taux bancaires par un encadrement qui positionnerait le Dollar par rapport aux monnaies de base »...
« Les choix d’un traitement économique de la crise ne se ramènent pas à proscrire des mauvaises conduites pour en adopter de bonnes ; mais bien plutôt à décider 1° si la valeur d’échange du Dollar doit être un but en soi, et 2° si on doit sacrifier les autres buts à cette position internationale du Dollar.
Ma réponse est claire : 1° la valeur du Dollar n’est pas en soi un but, 2° les politiques économiques américaines doivent répondre à d’autres impératifs. En résumé, la valeur du Dollar devrait être laissée au verdict du marché. »
Cette analyse est parfaitement correcte dans sa brutale concision. Oui, une bonne monnaie doit être l’expression fidèle du rendement des échanges ( intégrée sur l’espace du marché). Elle doit rester un gadget le plus simple et commode possible pour faciliter et représenter cet échange, donc optimiser l’activité économique : en même temps lubrifiant et ticket de contrôle de l’échange. L’ignorance et la passivité des utilisateurs laissent aux banques le monopole indû de la production de cet outil, et la manipulation abusive du pouvoir que leur confère ce monopole. Comme tous les bénéficiaires de ce monopole, Martin FELDSTEIN se garde de parler de la question de ce diktat bancaire ; il le masque en démontrant que la situation actuelle justifie le laisser-faire et en démontrant les vertus magiques des lois du marché. Mais ce libéralisme est-il respecté dans les relations de dépendance des monnaies européennes vis à vis du Dollar ? Par le biais du Deutschemark nos petites monnaies sont restées captives du système bancaire mondial.
Là, le bât a commencé à blesser sérieusement depuis 1986, et le Président Reagan a failli subir le blâme général pour son soutien inconditionnel du monopole des banques, qui n’a pu être maintenu que grâce à l’approfondissement du déficit budgétaire américain ; comment FELDSTEIN présente t-il le problème ?

Ce fatal déficit budgétaire
« En 1983-1984, ceux qui auraient voulu qu’on inverse la tendance de la hausse persistante du Dollar suggéraient correctement que cette baisse couperait le déficit budgétaire. Mais avec un président qui niait cette relation c’était impraticable. Toute la responsabilité aurait incombé à la banque

de Réserve Fédérale, et la manoeuvre aurait supposé un contrôle vraiment libéral de la monnaie ; l’inflation aurait en fait augmenté, au lieu de céder ; nous avons eu de la chance, ces demandes d’un Dollar stable n’ont pas été écoutées »...
Toujours on nous bouche la seule perspective viable, celle d’un système libéré du monopole bancaire : l’économie soumise aux garrots de la dette et forcément inflationnaire et cela d’autant plus qu’elle évolue rapidement. C’est vrai, l’ultra-libéralisation « dé-règlementaire » du marché couplée avec une honnête stabilité des taux d’intérêt auraient aggravé les déséquilibres financiers aux USA. et chez leurs partenaires industrialisés, et eût entraîné une crise encore plus atroce des peuples appauvris par le système. Pour finir sans trop d’encombres son mandat, R. REAGAN a encore de justesse étouffé le scandale :
« Une banque de Réserve Fédérale qui refuserait la pression à la hausse des prix domestiques pourrait juguler l’inflation. Mais les raisons de ralentir le déclin du Dollar sont justifiées par ailleurs : elles permettraient de gagner le temps nécessaire aux nouveaux investissements. Malheureusement les économistes ignorent trop les mécanismes ( non-linéaires) du système pour pouvoir programmer utilement les vitesses de déclin optimales. Et si le programme de déclin graduel était annoncé, la manoeuvre serait automatiquement inapplicable car elle serait contrée par les opérateurs financiers : les investisseurs internationaux ne pourraient être persuadés de conserver leurs bons en Dollars à des taux d’intérêts constants que si on leur masquait l’intention de baisser la valeur réelle du Dollar ; un traitement qui exige qu’on en déguise l’objectif ne peut tenir longtemps. »
Conclusion archi-classique, et que signeraient aujourd’hui les élèves BARRE et BEREGOVOY : le conseiller FELDSTEIN condamne toute intervention sur les taux de change du Dollar « qui impliquerait un abandon des priorités domestiques à l’intérieur »
Bravo encore une fois pour ce réalisme anti-mondialiste. Dans le même temps qu’il souffle à l’Europe en plein rêve SCHUMANADENAUERien un colossal BANK ZENTRUM qui poursuivrait en toute quiétude le libéral-capitalisme à l’échelle des 20 nations européennes, FELDSTEIN, ce nouveau bon américain, espère soustraire son pays à la monstruosité mondiale ; il ne se préoccupe pas encore de la conséquence inévitable de tels systèmes, qui se reproduit avec une amplitude toujours croissante depuis l’avènement de la Banque d’Angleterre et l’impérialisme international : les grands déséquilibres du système ont toujours mené à des guerres de plus en plus atroces ; non, ami Martin FELDSTEIN, nous ne voulons pas d’un vingt et unième siècle de guerre Amérique contre Europe !
Devançons la grosse ficelle pseudo-économique que nos marchands d’Europe du capital bancaire veulent nous imposer pour un troisième millénaire à la Georges ORWELL !
La condition pour dénoncer ce marché de dupes de la banquisation Européenne, c’est une totale remise en cause de l’iniquité du système de crédit bancaire actuel. Posons et re-posons partout la question primordiale du rôle du crédit bancaire dans l’économie, et lançons une campagne d’étude des modalités pratiques du système du B.I.E.N. Aimons notre belle Europe comme la source de cette libération, et épargnons lui l’immense galère qu’on essaie de nous vendre pour 1993, pour laquelle Georges ORWELL ne se serait trompé que de neuf ans.
Le contrôle soi-disant « libéral » de la monnaie concédé actuellement aux banques c’est le contrôle par leur monopole, qui n’a rien de libéral comme La Grande Relève ne cesse de le clamer. Lorsqu’il cède un peu trop à la facilité de sa jeunesse dorée comme en 1985-87, ce système laisse entrevoir sa totale inadéquation, comme l’a montré l’épisode boursier d’octobre 1987, dissous à la hâte dans un scandale crapuleux. Plus il est crapuleux, plus il est facile de masquer l’iniquité fondamentale du contrôle bancaire. Un système vraiment libéral rendrait immédiatement inacceptables les déficits et les gaspillages (militaires) du modèle américain, et interdirait l’illusion d’une croissance indéfiniment nécessaire des profits économiques pour que le monde puisse continuer à être et prospère. La civilisation est, il est vrai, menacée par la violence économique présente ; la réforme du crédit est le seul remède rationnel.

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Enfonçons le clou à propos d’Hayek

par L. MALLET
janvier 1989

Suite à l’article d’Henri Muller « la société de droit selon F. Hayek » paru dans la Grande Relève de juin, je pense qu’il faut montrer les autres facettes de cet économiste (polémiste) remis au goût du jour.
Né en 1890, il fut le dernier ministre des finances de l’empire austro-hongrois. En 1930, il doit s’exiler une première fois en GrandeBretagne à cause de la montée du nazisme en Autriche. Là, il est le premier opposant sérieux de Keynes, ce qui lui valut son deuxième exil aux Etats-Unis. Il est à l’origine des théories américaines anarchocapitalistes, le nouveau courant néolibertarien. Dans son ouvrage « Droit, législation et liberté », Hayek développe une théorie de la répartition du revenu fort instructive quant à la « philosophie » ( !) sociale libérale.
Hayek affirme qu’il y a une liaison entre la répartition du revenu (national) et la production (le produit national). Dans un système productif, où la répartition du revenu est rigidement déterminée, la production est faible (ex. le système féodal était lié à une production faible). Hayek va tenter de démontrer que le système le plus performant est celui où la répartition personnelle n’obéit à aucune loi. Ce système de revenu indéterminé (pour chacun) est le système capitaliste. Pourquoi l’indétermination individuelle est plus productive que la détermination individuelle ? Au niveau des stimulants matériels, le travail de l’individu serait fonction de l’espoir d’augmentation de son revenu. Si son revenu baissait, cela ne changerait pas son espoir de gains ultérieurs. La société doit éduquer ses membres dans cette perspective. Cet espoir de gains futurs est le moteur de la société capitaliste. Il est le stimulant, le facteur d’efficacité maximum.
Cette indétermination des gains n’empêche pas le calcul économique.
Les lois de Pareto permettent d’apréhender l’indétermination par des courbes dissymétriques de probabilité. Pour Hayek, les prix ne suivent jamais les lois de Gauss (courbe en cloche symétrique) car ils ne sont que l’expression de cette indétermination de la répartition. Un même bien aura un prix différent selon le pouvoir d’achat du demandeur (les prix ont tendance à baisser face à de forts pouvoirs d’achat).
Le principe déterminé, il nous faut voir comment une société doit fonctionner pour satisfaire ce principe. Hayek appelle cette société la « catallaxie »... c’est une société dans laquelle les individus doivent être des joueurs. Il faut que tous les comportements économiques soient axés sur le jeu. Ce jeu suppose une règle du jeu fixe, la même pour tout le monde.
Il est intéressant de voir qu’il faut qu’il y ait indétermination individuelle et détermination sociétale. Mais, ces règles du jeu, les lois ne peuvent émaner de l’Etat, l’Etat ne peut être garant de cet état de catallaxie. L’Etat étant l’émanation d’un pouvoir ne pourra qu’établir la règle à son avantage. Dans ce cas là, la répartition individuelle ne sera plus indéterminée. L’espoir de gagner ne sera plus réparti collectivement. Dans notre catallaxie, chacun va tenter de réunir les conditions les plus favorables pour gagner. La société est ainsi poussée en avant. Un esprit de compétitivité assurera le rendement maximum de chacun.
La répartition individuelle n’est que le résultat du hasard. Il y aura toujours des gagnants et des perdants mais ils ne seront jamais les mêmes (sinon le jeu serait truqué). Dans ce système, les pauvres ont intérêt à jouer. Nous voyons la clairement que le fondement de la catallaxie (représentation idéale du capitalisme) est la pauvreté : la vie politique, économique et sociale n’est qu’un immense jeu dans lequel on peut aussi bien perdre que gagner. Un peu de spéculation, beaucoup de hasard et nous avons là le système idéal ( ?)
Avec ce résumé des thèses d’Hayek, on sent bien un arrière goût de néo-libéralisme : le chef d’entreprise entreprenant, une aide aux pauvres, la plus faible possible... Il est simple de voir le fossé avec l’économie des besoins (réels). Il est amusant de voir la façon dont Hayek théorise le fonctionnement de la société capitaliste, mais on ne perd pas de vue l’hypocrisie avec laquelle il affirme que les gagnants ne doivent
(sans suite)
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Le Monopoly

par R. MARLIN
janvier 1989

Le Monopoly est un passetemps qui, depuis sa création aux Etats-Unis, a gagné le monde entier, y compris certains pays de l’est. Ses règles sont, en gros, les mêmes que celles d’un autre jeu auquel nous allons nous intéresser celui qui se déroule autour des entreprises, de la bourse et des banques.
Il y a envers l’argent une attirance immémoriale en raison de sa rareté pour le plus grand nombre, de son abondance ou de sa surabondance pour quelques-uns. Contrairement aux siècles passés, la production automatisée ne distribue plus le pouvoir d’achat global nécessaire à son écoulement. Le régime capitaliste se meurt. La société est en mutation. Les temps sont donc durs ; les pauvres et les modestes comptent sur des gains inattendus et fabuleux pour changer de catégorie et de vie. D’où la prolifération des jeux. Ils envahissent tous les médias : presse, radio, télévision et tous les loisirs cinéma, théâtres, sport, etc... Les bulletins d’informations rapides sont consacrés presque exclusivement à la bourse, au cours du dollar, aux résultats des courses hippiques et aux jeux radiophoniques. En dehors de cela, il ne se passe rien dans le monde ! Hélas, comme l’on peut s’y attendre, au bout de tout, il y a beaucoup d’appelés mais peu d’élus et certains, les initiés, sont quasiment sûrs de gagner ; tandis que les autres, les profanes, sont quasiment sûrs de perdre. Les dés sont pipés.
La partie de Monopoly cesse à une heure donnée, le gagnant est le plus riche à ce moment-là ; étant entendu que tous les joueurs avaient reçu, au départ, les mêmes moyens. Bien que, comme dans la vie, le jeu comprenne aussi un banquier qui tient le rôle dominant. La bourse, elle, même si elle s’interrompt parfois, au moins dans chaque pays, ne s’arrête jamais, et surtout les joueurs ont des moyens très inégaux au départ.
Les grands capitalistes influents ne cessent d’être sur la brèche.
« ...Quand on a une affaire comme Paribas ou le Suez, on ne fait que cela, matin, midi et soir et même la nuit... » Selon le principe énoncé par le banquier Jean-Marc Vernes très lié au RPR, d’après Stéphane Denis dans son livre « Le Roman de l’Argent » (1).

Le Monopoly des assurances et des banques

Il s’agit là d’une relation étroite entre sociétés dont la raison d’être est presque uniquement financière. « A l’inverse de ce qui se passe dans les pays anglo-saxons,parce que la France est un pays qui n’a pas de vrai marché financier, les banques ont naturellement été amenées à trouver des capitaux importants stables et garantis dans les compagnies d’assurance... » écrit Stéphane Denis. Les Français traditionnellement méfiants et de souche boutiquière ou paysanne ne placent guère leurs disponibilités dans les valeurs mobilières, mais, quand ils en ont, plutôt dans la pierre. Les banques d’affaires manquent donc de fonds. Par contre nos compatriotes, ennemis du risque, s’assurent beaucoup. D’où les rapports qui se sont instaurés, à leur insu, entre les deux institutions. « ...Les groupes financiers privés entretiennent tous des assurances. Les liens entre le Suez et le GAN sont connus et passent par des voies complexes où l’intérêt personnel des hommes s’allie aux intérêts généraux des groupes. Les postes de directeurs financiers des compagnies d’assurances sont éminemment stratégiques. La masse des actionnaires et des assurés qui n’y voient que du feu ignorent, bien entendu, cet état de relations dont la logique est uniquement celle du profit financier. Il arrive cependant que telle ou telle opération attire l’attention des pouvoirs publics, encore que la direction des Assurances ; au ministère des finances, soit un Etat dans l’Etat, et entretienne soigneusement le mystère. Confiée longtemps à des hommes proches des dirigeants politiques -comme Michel Poniatowski.... ou Bertrand Balaresque... (elle)... se trouve, depuis 1896, au cour de la plus grande bataille financière des privatisations... » conclut S. Denis sur ce point. C.Q.F.D.

Le Monopoly des entreprises

Les entreprises ne sont que des prétextes à spéculations financières entre les mains de ces grands prédateurs. Leur intérêt primordial qui devrait être la satisfaction des besoins de la consommation est relégué bien loin dans leurs préoccupations. Le plus bel exemple de compagnie devenue uniquement financière est celle de « Suez » Après avoir manoeuvré pour ne pas verser l’impôt sur les 34 milliards d’anciens francs reçus en 1958 en dédommagement du canal, elle a basé son nouveau départ sur cette mise initiale. Elle est restée une des premières en France par son chiffre d’affaires bien qu’ayant perdu tout rapport avec sa raison d’être principale d’origine. La bonne santé de la production à la suite du krach boursier de 1987 est restée un mystère pour les économistes orthodoxes. Il s’avère qu’elle serait finalement due, tout simplement, à un fort accroissement des prêts bancaires aux consommateurs qui a relancé les achats des ménages. Les banques ont pris l’habitude de consentir automatiquement à leurs clients un crédit renouvelable de 12.000 à 60.000F. Ceux-ci sont donc à découvert en permanence de 30 à 60% de ces sommes. 15% de la clientèle, considérée comme capable de verser des intérêts élevés serait dans ce cas (2). A quand des emprunts pour faire face au paiement des agios, comme il est pratiqué par les pays du tiers-monde en dette ? Et jusque quand cette fuite en avant durera-t-elle ?
Quoiqu’il en soit nos grands hommes d’affaires continuent à jouer avec les entreprises et tout ce qu’elles contiennent : moyens de production en hommes et en matériel, sans aucun souci humaniste. Spécialistes des participations croisées, des OPA amicales ou inamicales et bientôt des LBO (3), ils ont les yeux fixés sur les indicateurs financiers des grands groupes en vue de les accaparer au moment favorable.

Durant les années 1981 à 1988, le patron des patrons n’est évidemment pas Yvon Gattaz soupçonné de se satisfaire des gouvernements socialistes, ni son successeur à la tête du CNPF Périgot ; mais bien Ambroise Roux, Président de I’AGREF, Association des Grandes Entreprises Françaises, qui groupe, depuis 1976, les principales sociétés faisant appel à l’épargne. Il la saborde en octobre 1982 et la remplace aussitôt par l’AFEP, Association Française des Entreprises Privées, afin de mieux mener la résistance contre les tentatives socialistes. Il réussit d’ailleurs à limiter les nationalisations jusqu’à la « libération » de mars 1986. A. Roux avait fait rentrer habilement Robert Mitterrand, frère du Président, dans le conseil d’administration de la CGE en tant que Président d’une de ses filiales. Malgré cela, et bien que R. Mitterrand lui ait fait part du désir du Président qu’il reste à son poste de PDG, il démissionnera « pour l’honneur » en octobre 1981. En dépit de la privatisation de 1986, atteint par la limite d’âge, il ne reprendra pas son poste, mais restera à la tête d’une quinzaine de conseils d’administration. Et pourtant, ce n’était pas une situation de moindre importance puisqu’il reconnaissait gagner, non pas 12 MF par an comme l’avançait Pierre Mauroy, ni même 10 MF, mais près de 8 MF, soit plus de 650.000F par mois ! Et encore, n’était-il que le second salaire de France : Jean Delorme PDG de l’Air Liquide était mieux payé que lui !
Ainsi, malgré les dires de M. Pebereau qui prend ses lecteurs pour des naïfs, les « coups » se succèdent au gré des événements. Les financiers se prennent pour des constructeurs. Ils s’attribuent l’édification des moyens de production. Dans une interview au journal « Le Monde » du 22 novembre 1988, Pebereau de « Marceau Investissement » qui attaque la « Société Générale » se défend de le faire en liaison avec le gouver-nement socialiste et il plaide « ...Voyez-vous des hommes ayant l’expérience et le passé de François Dalle (l’Oréal) Gustave Leven (Périer) ou Jean-Louis Descours (André) se prêter à une opération politique ? lis sont des industriels qui ont bâti leurs entreprises de leurs mains. Jamais aucun d’entre eux n’a mélangé la politique et les affaires... ». Ces gens doivent avoir les mains bien calleuses ! Le contrôle, non seulement des grosses entreprises mais des groupes de grosses sociétés « pesant » parfois près de 10 milliards de francs change, entraînant des restructurations aveugles, des abandons d’usines, des licenciements irréfléchis, des départs prématurés. L’économie-casino avec son cortège de bruits de couloirs, d’affolements injustifiés, de paniques provoquées, rend impossible une gestion rationnelle des moyens de production.

Le Monopoly de la presse

Jean-Marc Vernes, autre personnage d’importance déjà cité, commençait toujours ses conversations par cette interrogation : « Quoi de neuf ? » Il savait que l’information est la première des marchandises. Comment une démocratie, même ploutocrate, pourrait-elle fonctionner sans l’information ? Les grands hommes d’affaires, dont il est question ici, savent que le pouvoir réside dans l’information.
Tout le monde se souvient de la bataille qui a opposé les groupes Bouygues et Hachette pour le contrôle de TF1. Bataille gagnée par Bouygues. Canal + reste tenu par André Rousselet plutôt mitterrandiste.
Ne parlons plus de l’attribution de la 5 au groupe Hersant-Berlusconi, ni du bouleversement qui a fait de M6 une chaîne généraliste. Les positions continuent, là aussi, à évoluer.
Les grands managers capitalistes se sont de tout temps intéressés à la presse. L’un de leurs grands soucis fut toujours de susciter un concurrent au « Monde », journal admis comme référence au centre gauche et même droit, mais d’esprit relativement indépendant. De nombreuses tentatives eurent lieu depuis « Le Temps de Paris  » des années 50 lancé par la famille Michelin, jusqu’à « J’informe » soutenu par A. Roux et F. Ceyrac. Elles ont toutes échoué.
Alors ils se sont résolus à entrer dans les journaux et hebdomadaires existants. La presse Hersant qui exerce un quasi monopole dans certaines régions, comme Rhône Alpes, leur donne satisfaction. Ils financent, en plus, le « Quotidien de Paris » (4) par Jean Maxime Levêque du CCF, un autre « conjuré », et par
Jean-Louis Descours, Alain Chevalier ou Jean-Louis Giral (Fédération des Travaux Publics) notamment au cours des années 1981-1982. Afin de ne pas se fâcher avec ses patrons et de ne pas « cracher dans la soupe », Stephane Denis précise bien : « ...sans que les sommes atteignent jamais un montant en proportion avec le coût du journal... et sans que cette collaboration financière prenne ... la forme d’une participation occulte ou publique au compte d’exploitation du quotidien. » Mais convainc-t-il ?
Quant à l’hebdomadaire « l’Express » fondé par J.J. ServanSchreiber et Françoise Giroud, puis repris par James Goldsmith le capitaliste de presse anglo-saxon, il tombe du côté d’Ambroise Roux, toujours lui, en 1987, lors de l’acquisition de la Générale Occidentale par la CGE.
Enfin « Libération » de Serge July revenu de son extrême gauche soixante-huitarde a lancé, en octobre 1987, une augmentation de capital de 15 MF souscrite par André Descours et Gustave Leven (Barristes) ainsi que Jérôme Seydoux et Antoine Riboud (Mitterrandistes). Curieuse conjugaison ! mais qui explique bien l’évolution du journal.
On le voit, l’indépendance de la presse, ambition des législateurs de 1945 est devenue presque comme avant-guerre, au temps de la presse pourrie, une proie facile pour le capital.

Le Monopoly de la politique

Le financement des partis, on le sait, est à la base de bien des revirements, des hold-up inexpliqués et des crimes mystérieux.
Depuis Horace Finaly, ami de Léon Blum, devenu Directeur général de ce que l’on appelait, alors, la Banque de Paris et des Pays-Bas, financier du Cartel des Gauches et du front populaires ; les socialistes ont toujours trouvé, eux aussi, de l’argent. Actuellement, l’homme-clé dans ce domaine est Jacques Attali chargé de toutes les affaires financières délicates et qui en a été quelque peu contaminé. Le Président est lié avec André Rousselet et Jérôme Seydoux déjà cités, mais aussi avec Guillain de Bénouville, François Dalle, Gilbert Trigano, Antoine Riboud, les
Bettencourt, Félix Rohatyn et Patrice Pelat. Les rumeurs ont impliqué des socialistes dans des affaires dont les principales furent Luchaire et le Carrefour du Développement. Mais le Président reste intouchable : « ...On ne me coincera pas sur l’argent. Que l’on trouve autre chose. Mais ce sera dur : mes moeurs sont normales, je ne me suis pas enrichi, mes collaborateurs non plus... » dit-il.
La carrière de Jean-Pierre Chevènement, d’après l’auteur, aurait été en grande partie prise en charge par l’UIMM (Union des Industries Métallurgiques et Minières, successeur du Comité des Forges) ce qui éclaire son itinéraire curieux depuis la gauche du parti jusqu’au Ministère de la Défense, pourvoyeur de commandes très généreuses pour les industries d’armement. Par contre, on ne parle pas de Mauroy, intouchable.
Les financiers sont très surréalistes : « Je sais bien qu’un bilan français est un mensonge organisé, mais j’ai découvert des réserves dont je n’imaginais même pas l’existence... » déclare, sans rire, JeanMaxime Levêque, PDG du Crédit Lyonnais lors de sa prise de fonction.
II en est de même des comptes de la nation. L’ex-banquier franco-suisse Jean-Pierre François raconte que la décision de ne pas sortir du SME (Système Monétaire Européen) fut prise par François Mitterrand principalement au vu d’un rapport de Renaud de la Genière, Gouverneur Général de la Banque de France, repris par Delors, Fabius et Mauroy, selon lequel il ne subsistait, au mieux, que quinze jours de réserve au Fonds d’intervention de la Banque. Or, après enquête ultérieure, il s’avéra qu’il restait 23 milliards de francs disponibles, sans emprunter, ni modifier l’état des réserves. Le président et Jacques Delors s’estimèrent trahis par le gouverneur manipulé par les milieux d’argent, avec la complicité du Trésor.
Si cette histoire est vraie, il ne faut pas oublier qu’elle influença grandement une décision d’où date le retournement spectaculaire du PS vers la droite financière. Toutefois, l’on peut douter que 23 milliards auraient changé la face des choses.
Le PC est soupçonné de rapports avec la Banque Commerciale pour l’Europe du Nord dont les anti-communistes primaires ou secondaires disent qu’elle servirait de relais aux fonds soviétiques. Mais il est vrai que c’est le parti qui s’autofinance le mieux par les cotisations de ses membres et les reversements de ses élus.
A droite, l’argent afflue de toutes parts. La campagne législative de 1981 des candidats de la génération montante du RPR et de l’UDF Barnier, Juppé, Noir, Séguin, Toubon, Alphandéry, Millon, d’Aubert, Léotard, Longuet, Madelin, est financièrement soutenue par les banquiers de l’AGREF. C’est un bon investissement pour l’avenir « ...Mes poulains aiment bien le foin » déclarait Marcel Dassault. Et quand on lui demandait : « Avez-vous donné beaucoup à Giscard ? » Il répondait « Non je l’ai gavé ». Le banquier Claude Bebear est le bailleur de fonds de l’UDF de son parent Michel Pinton. Le budget annuel du RPR, entre 1981 et 1986, est de 300 MF. Son trésorier est Robert Galley qui gère le parti comme une entreprise. En 1988, Chirac nomme à sa place le jeune députémaire de Chalon-sur-Saône, Dominique Perben, invité récemment à la télévision « pour se faire connaître sans y réussir ! » (5). La « banquière » Gilberte Beaux de la Générale Occidentale, soutient à fond Raymond Barre sans grand succès jusqu’à présent, mais qui connaît l’avenir ?

Conclusions

La participation au jeu de Monopoly en vraie grandeur est donc bien réservée à quelques femmes et hommes de grande influence, autant managers que financiers. Elles et ils sont à la tête des grands groupes et les politiciens sont obligés de tenir le plus grand compte de leurs décisions. Là se situe la césure entre les intérêts. Seuls ces grands requins perdraient en cas de changement démocratique de l’économie.
Ne nous trompons pas d’adversaires, la bataille se joue non pas entre communistes et socialistes, ni entre hommes et femmes, encore moins entre distributistes et mondialistes. Elle oppose ces quelques personnages-là et le reste des citoyens et citoyennes.
Cette lutte n’est pas perdue. La mode du libéralisme, éphémère comme les autres modes, est en train de passer. Jean-Louis Bourlanges, ancien membre du cabinet de Jacques Chirac, vient d’écrire un livre « Droite année O » (6) où il cherche pourquoi le RPR est en pleine déroute, passant de 44% des suffrages exprimés pour Georges Pompidou le 1er juin 1969, à 19,9% pour Jacques Chirac le 24 avril 1988, soit une chute beaucoup plus forte que celle du PCF. Il pense que le libéralisme « poujadiste », le rejet de toute intervention même justifiée de l’Etat, l’élitisme qui favorise les « gagneurs » au détriment de tous les autres, ont été à l’origine de cette déconfiture.
Au contraire, la commission sociale de l’épiscopat français a diffusé, le lundi 17 octobre 1988, un document intitulé « Créer et partager » qui s’adresse aux catholiques, mais audelà « ...aux chefs d’entreprise, aux salariés, aux syndicalistes, aux apporteurs de capitaux, aux responsables publics... » (7)
Fruit de six années de réflexion, nous retiendrons seulement de ce travail qu’il faudrait analyser en détail, que les évêques français sont attachés à la gestion financière, à condition qu’elle ne soit pas « l’objectif premier, plus important que la production des biens et des services... ». Nous aussi, mais nous pensons qu’il s’agit là d’un vice rédhibitoire du régime capitaliste et c’est notamment pourquoi nous proposons de le remplacer par une économie distributive.

(1) Editions Albin Michel 1988. Ouvrage d’où sont tirés la plupart des renseignements contenus dans cet article.
(2) Voir « Les nouveaux mexicains » de Paul Fabra dans « Le Monde » du 22 novembre 1988.
(3) Leveraged Buyout : rachat à crédit des entreprises parleurs « managers ».
(4) Stéphane Denis, auteur du livre que nous commentons, est lui-même éditorialiste au Quotidien de Paris. Il est donc bien placé pour savoir d’où vient l’argent ...
(5) Emission « Questions à domicile » sur TF1 le 27 octobre 1988.
(6) Editions Flammarion 1988.
(7) Voir « Le Monde » du 18 octobre 1988.

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