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54% des voix, bravo ! 46% pour Chirac et la droite
dure, quelle claque ! La mort de 2 Français (gendarmes) et de
19 "canaques" (dixit Messmer) - assassinés, les canaques
ne sont plus Français - scandaleux coup de poker joué
pour récupérer les électeurs de Le Pen, n’aura
pas suffi à renverser ou même infléchir ce score.
En 1981, j’avais raté la Bastille. Cette fois - 8 mai 1988 -
je n’ai pas voulu manquer la République. Quelle fête de
la jeunesse ! Un vieux militant abondanciste ne peut y être insensible.
En dehors des traditionnels concerts de klaxons, des "on a gagné",
il y avait la joie spontanée, l’ESPOIR d’un monde meilleur que
celui qu’offrait Chirac, finalement très ringard et dont la langue
de bois n’a rien à envier à celle des Marchais, même
si le contenu diffère.
Dans toutes les rues et avenues menant à la République,
les affiches de Chirac étaient décollées, lacérées,
symbole du rejet du personnage et de la société qu’il
offrait aux jeunes.
Aux Champs-Élysées, c’était la même fête,
en voiture, à pied ; la même fête au fond que lors
du fameux défilé des étudiants contre la loi Devaquet,
que j’avais suivi de la Bastille à la place Denfert.
J’étais à la fois heureux et nostalgique : quel regret
que nous n’ayons pas les moyens, humains et matériels, de nous
faire entendre fut-ce auprès du dixième de cette jeunesse !
Combien de ces jeunes ont une idée des seules solutions susceptibles
de ne pas décevoir leur enthousiasme ? Pour la plupart, ils criaient
leur révolte et se saoulaient d’espoir. En pleine nuit, une jeune
fille lançait "Mitterand, du soleil" repris en choeur
autour d’elle. Dieu le Père ! le miracle ! Ah, si le nouveau
Président, et son premier Ministre, dans les ors de l’Elysée
et de Matignon, pouvaient enfin entendre cette espérance pour
éviter que ne se perpétue la désespérance
qui, comme une chappe, s’abat depuis des années, et chaque année
plus lourde, sur des laissés pour compte, et notamment les jeunes
(bac + 2 pour un TUC !).
Déjà Rocard nous annonce 250.000 chômeurs de plus
à la rentrée, bombe(s) à retardement laissée(s)
par Chirac : on s’en doutait. Tant de jeunes en formation, TUC embauchés
pour 6 mois, SIVP etc... n’étaient que des chômeurs camouflés.
Élections obligent. Mais de toute façon, en régime
de marché, çà s’amplifiera.
Notre lutte continue : éclairer, convaincre que tout cela n’est
pas fatal. Sans doute le minimum garanti d’insertion est une petite
victoire. Demain, pourquoi pas, un nouveau pas : voir l’article de notre
ami Marlin sur la monnaie verte. Et surtout, il fait mener la bataille
pour une diminution du temps de travail sans diminution de pouvoir d’achat.
Même en régime marchand, c’est possible : voir ce qu’a
obtenu l’IG Metall en RFA.
Il faut aussi sans cesse dénoncer la société duale
qui s’aggrave : beaucoup de gens maintenant en parlent, ou sont obligés
d’en parler : des hommes politiques, pas forcément de gauche,
des écrivains, des catholiques. Pour ces derniers, un exemple
de poids, ce que disait Don Camara "Quand je soulage la misère
des pauvres, on dit que je suis un saint ; quand j’essaie d’en expliquer
les causes, on dit que je suis communiste" .
La droite veut bien pratiquer la charité. En france, actuellement,
devant les risques d’explosion et peut être pour certains, la
honte d’une société riches-pauvres, en pleine abondance,
il se trouve que 78 % des patrons sont pour l’octroi d’un mini garanti
aux plus nécessiteux. Combien seront-ils pour le financer par
l’impôt sur les grandes fortunes ? Ils hurleront. Et pourtant,
dans la presse s’étale sans arrêt une situation scandaleuse :
- 8 millions de dollars, soit près de 50 millions de francs,
ont été gagnés l’an dernier par le vice-président
de Ford, Harold Polling (1),
- 41 % de hausse des profits des 500 plus grosses entreprises américaines
en 1987 (1),
- malgré le krach boursier et une concurrence accrue, les 3 sociétés
nationales d’assurances (UAP, AGF, GAN) ont encore réalisé
d’importants bénéfices en 1987 (2).
- en Angleterre, Madame Thatcher est appuyée sur une bourgeoisie
qui désormais s’enrichit (3).
On n’en finirait pas de citer de tels exemples. Et
parallèlement, on peut lire chaque jour que des firmes, qui affichent
bénéfices et augmentation de leur production, licencient
(4) ; on peut lire aussi des "faits divers" comme celui-ci
: "suicide d’un chômeur en fin de droits : Serge Correia
s’est donné la mort à la fin de la semaine dernière
à Roanne. Il avait cinquante et un ans, était père
de deux enfants..." (5).
La vérité d’une société inhumaine éclate
au grand jour et peu de choses bougent. C’est que, comme l’a si bien
dit Einstein qui pouvait parler en connaissance de cause : "il
est plus facile de désintégrer l’atome que de changer
la façon de penser des hommes".
Je viens de lire le supplément du Monde du 28 mai, intitulé
"les Affaires". Très intéressant... et inquiétant.
Une page est consacrée aux progressions des chiffres d’affaires
et des résultats comparés 1986-1987. En 1987, les grandes
firmes ont augmenté en moyenne leurs profits de 18 %. Citons
deux exemples typiques : Saint Gobain, pour une augmentation de 1,5
% du C.A., les profits augmentent de 91 % ; chez Michelin, plus 1,3
% du C.A., plus 27,5 % des profits. Or les dirigeants de Michelin ont
proposé une augmentation des salaires de... 20 centimes de l’heure.
Une véritable provocation.
Autre remarque importante : les patrons ne veulent pas augmenter les
salaires. Le patron des patrons a prévenu le soir de l’élection
présidentielle. Que va faire le gouvernement de Michel Rocard
face aux revendications syndicales, face aux grévistes qui voudront
leur part du "gâteau retrouvé" ? Affaire à
suivre.
(1) Le Nouvel Obs du 25.4.88
(2) Le Monde du 6.5.88
(3) Le Monde du 4.5.88
(4) Voir Peugeot, G.R. de mai, page 10
(5) Le Monde.
Guy Denizeau a présenté dans "Autogestion
Distributive" et lors d’une conférence de la "Libre
pensée", le 16 mai 1988, sa proposition de franc vert. Nous
ne reviendrons pas, sauf pour quelques chiffres, sur son analyse de
la situation économique puisqu’elle est celle que nos lecteurs
trouvent, mois après mois, dans la Grande Relève : C’est
la misère dans l’abondance, 2,5 millions de Français sans
ressources, plus de 3 millions de chômeurs réels, 5 millions
de nos compatriotes qui vivent d’aumônes et d’aides diverses,
alors que les volumes de produits alimentaires invendus atteignent en
Europe les sommets que nous avons synthétisés, d’après
Newsweek, en couverture de notre n° 866. Afin de préserver
la rareté indispensable au fonctionnement des marchés,
la Communauté européenne a décidé de "geler"
à la production un million d’hectares et a projeté de
le faire pour quatre autres millions dans les dix ans à venir
et pour 10 à 12 millions dans les vingt ans.
Jacques Delors, Président de l’exécutif des Communautés
européennes, a déclaré récemment à
la télévision (1) que 50.000 personnes suffiront, dans
10 ans, à assurer la même production de lait qui requiert
actuellement le travail de 150.000 agriculteurs.
La déclaration universelle des Droits de l’Homme
Notre ami Denizeau place en exergue le premier alinéa de l’article 25 de la déclaration des droits de l’homme adoptée, le 10 décembre 1948, par l’Assemblée générale des Nations Unies et dont il est bon en effet de rappeler les termes : "Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté". Il cite aussi Jacques Duboin : "La lutte contre la misère est la plus noble tâche qui incombe à notre génération".
Le plan
Nous reproduisons ci-dessous le tableau établi par l’auteur afin de résumer sa proposition :
Compléments
Voici quelques précisions données par
Denizeau pouvant servir de réponses aux premières questions
appelées par son projet - Le texte ne s’applique qu’aux productions
alimentaires. Il pourrait évidemment prendre en compte dans une
phase ultérieure les autres invendus.
- Les fruits et légumes sont un bon exemple. Dans un premier
temps, les primeurs (rares donc chers) ne seraient pas produits "verts".
Dans le second temps, (pleine production) ils le deviendraient. Et Denizeau
de comparer ces périodes vertes avec les périodes bleues
de la SNCF. - Des comptes bancaires ou postaux spéciaux pourraient
être ouverts afin de comptabiliser la monnaie verte avant sa conversion
en francs normaux.
- Les billets verts seraient imprimés et diffusés dans
le public par la Banque de France.
- La masse monétaire en francs verts permettrait d’évaluer
avec plus de précision le pouvoir d’achat manquant et de mesurer,
ainsi, l’insolvabilité résultant des progrès foudroyants
de la productivité du travail.
- L’équipement en machines comptables serait réduit ainsi
que le personnel nécessaire. Pour fixer les idées, l’auteur
pense qu’une administration légère, comme celle du Loto,
par exemple, suffirait.
- Les bénéficiaires pourraient être définis,
également, comme ceux qui, par manque d’argent, sont obligés
de s’imposer des restrictions alimentaires.
- Afin d’éviter les difficultés humaines résultant
de la présentation de monnaie verte chez les commerçants,
le porteur se désignant ainsi comme pauvre, il pourrait être
envisagé de spécialiser certains commerces ou entrepôts
"verts" à l’instar des banques de l’alimentation ou
des restaurants du coeur.
- Enfin, concernant le coût global de l’opération, il faut
faire remarquer qu’une économie importante serait faite sur les
charges suivantes devenues inutiles : fonds de soutien des prix agricoles,
frais de stockage (on cite 600 MF par an), de destruction, dénaturation
des céréales, subvention aux non-producteurs, aides à
l’exportation, etc...
Car en effet, les invendus sont déjà financés et il n’y aurait donc que distribution de ces produits. De plus, les restrictions de production n’auraient évidemment plus d’objet ; les quotas laitiers, par exemple, seraient supprimés.
La place du projet
Le franc vert est présenté comme une
mesure de transition vers l’économie des besoins. Il ne prétend
donc point résoudre tous les problèmes, ni les contradictions
inhérentes au système capitaliste. Il est difficile de
se prononcer sur les répercussions qu’une telle réalisation
aurait sur les marchés. Les uns prévoiront une augmentation
des prix normaux dus à la disparition de la pression à
la baisse entretenue, à présent, par l’existence même
des stocks. D’autres penseront que la satisfaction plus aisée
des besoins de certains dévaluera les autres produits. Certains
objecteront que les invendus ne pourront plus être destinés
à nourrir ceux qui ont faim dans le tiersmonde ; mais la libération
de la production agricole permettra, certainement, de poursuivre aussi
cette politique-là.
Les uns seront satisfaits que les aliments soient distribués
sans appel à la charité publique ou à des impôts
supplémentaires ; d’autres regretteront, peut-être sans
l’avouer, que les organisations caritatives et (ou) les édiles
locaux ne puissent plus véhiculer leurs idéologies en
même temps que leur aide.
Certains ne manqueront pas de voir là une action réformiste
risquant de prolonger la vie du système capitaliste abhorré.
Par contre les partisans de l’action déclareront qu’enfin, voilà
une occasion de se placer dans la réalité, eux qui estiment
que ce n’est pas parce que nous avons une doctrine à long terme
qu’il faut excuser notre impuissance dans l’immédiat. Une réalisation,
même partielle, dans ce domaine d’extrême urgence, nourrir
ceux qui ont faim, serait la bienvenue. A noter que faute d’une mise
en oeuvre nationale, ce genre de projet peut se concevoir, il l’a déjà
été en fait, soit au plan local, soit au plan d’une organisation
quelconque.
La monnaie verte
Il s’agit d’une monnaie alternative qui disparait
le mois suivant donc assez analogue sur ce point à la monnaie
distributive. Néanmoins elle en diffère par son introduction
dans une économie de marché. Il faudra beaucoup de ténacité
aux autorités qui auront introduit le franc vert pour que, limité
dans ses utilisations, il résiste au franc ordinaire. Faute de
quoi, l’expérience aura échoué. Il faudra aussi
beaucoup de soutien de tous les hommes de bonne volonté pour
que loin de disparaître, le franc vert s’impose et s’étende
jusqu’à la monnaie que nous préconisons.
En effet, comme nous l’avons explicité dans un article précédent
(2), la monnaie actuelle est tellement imbriquée avec le capitalisme
que toute action dans ce domaine est dangereuse pour le système
lui-même. Attendons-nous donc, comme dans le cas de Wörgl
et de Lignières-enBerry à une résistance acharnée
de ceux qui ont intérêt à la perpétuation
du système et, encore plus grave, de ceux qui croient ou se font
croire qu’ils y ont intérêt. Ne discutant pas nos projets
mais les étouffant, en les ignorant et les passant sous silence,
ils en retarderont le plus possible l’irruption dans les médias.
Puis ne pouvant en contester ni l’opportunité, ni le sérieux,
ni l’urgence, ils s’y opposeront de toutes leurs forces qui sont immenses
et par tous les moyens : défiguration, actions dilatoires, mauvaise
foi, amalgame, etc...
Appliquons nous donc à expliquer et développer nos idées.
Réfléchissons à la manière dont le Revenu
garanti s’est imposé, d’abord localement, puis, par osmose, jusqu’au
plan national. Les banques alimentaires existent. Elles fonctionnent
sur le principe du don et de la charité. Le franc vert montrerait,
en plus, la voie vers un système économique mieux adapté.
Il affirmerait un droit. Celui, pour ceux qui ont faim, de consommer
les aliments existants et tous ceux que l’on pourrait produire. L’espoir
est à l’ordre du jour.
(1) "La Marche du siècle" A2, 18
mai 1988.
(2) Voir "Sommes-nous Géselliens ?" GR n°868.
***
Rappelons que la proposition de G. Denizeau n’est pas différente de celle qu’un autre distributiste, Aimé Barillon, faisait déjà juste après la guerre. Cette allocation en francs Verts par comparaison aux divers "revenu minimum garanti", "revenu minimum d’insertion", etc... actuellement versés ou projetés, a l’énorme avantage à nos yeux, d’être une distribution et non pas une redistribution, et par conséquent de pouvoir être versée en une monnaie gagée sur la production : une monnaie de consommation. Elle permet que de la monnaie soit créée non pas, comme aujourd’hui, au seul profit des banques et pour aider des entreprises, mais bien créée pour aider les consommateurs qui en ont besoin. Elle offre cependant matière à discussion : coexistence de deux monnaies, encouragement à la production non planifiée, etc... Enfin, telle qu’elle est présentée par G. Denizeau, cette allocation est une façon de conserver la société duale : attribuée par famille et sélectivement, après enquêtes administratives, elle n’apparait pas comme la reconnaissance à tout individu de sa part d’une production abondante contrairement à l’allocation universelle (revendiquée, rappelons-le, au plan européen, par l’association B.I.E.N).
M.L D
Mon beau-frère Robert est un pauvre paysan de la riche plaine de la Limagne. Il y a belle lurette qu’il a arraché ses vignes qui lui donnait une piquette indigne d’un gosier civilisé. Avec la prise d’arrachage que lui avait filé le gouvernement Rad-Soc (de charrue) de l’époque, il avait acheté des champs et des vaches. Il mit les unes sur les autres. Ce qui devait arriver arriva. Les pis firent du lait. Liquide blanc que lui achetait la Coopé à un prix fixe, déterminé par des gens que ne sauraient distinguer une montbéliarde d’un toro de Camargue.
Tant va le pot au lait qu’à la fin, il se casse. On lui signifia que son lait, nul n’en voulait. Il est vrai que le bougre n’y était pas allé à petits godets. Sinon à lui seul, dé moins avec des complices ruraux de son espèce, on avait pu, non seulement allaiter les rares nouveaux-nés, mais submerger la moitié dé monde de lait en poudre. L’invendable invendu avait été stocké dans un tank super-géant, construit à Rome, superposé au Colisée, calquant son diamètre et se dressant à 13.000 mètres d’altitude, ce qui représente un obstacle pour la navigation aérienne. Dé beau travail, même pour des Romains !
Le percepteur régla à mon Robert, une somme rubis sur l’ongle contre promesse qu’il assassinerait son troupeau laitier. Mais il lui conseilla d’en garder un peu pour allaiter les veaux. Ce qui était une grande nouveauté nouvelle, puisque jusque là, les veaux étaient nourris de bonnes pictouzes d’hormones et d’un conglomérat bizarre importé des States.
Ce conglomérat et ses pictouzes étaient aimablement fournis, contre menée monnaie, par des philanthropes recevant le joli nom "d’importateurs-exportateurs".
Entre temps, mon Robert, avait consciencieusement arraché ses pommiers dont on lui avait, huit ans plus tôt, assuré l’indispensable présence. C’était la semaine où ses frères de la Terre, cassaient tout en Dordogne, parce que les Ponts et Chaussées, émettaient l’idée, aussi sotte que grenée, de planter le long des routes, pour faire de l’ombre,... des noyers ! Or, chaque femme sait que l’ombre dé noyer est mortelle pour les suicidés. En outre, les noix gratuites sur la route, c’est la mévente garantie dans les échoppes !
Mon Robert, évalue sagement le montant compensatoire qu’il doit percevoir pour l’extermination des veaux, vaches, cochons, couvées. Il se demande combien lui coûteront les oeufs reconstitués des fast-food, le porc anémié et revitalisé au phénocarbonathopétrolobenzène, les poulets de l’Allier aux déchets de pénicilline. Il hésite, pour sa consommation personnelle entre ces volatiles et ceux de Nouvelle-Zemble ionophylisés, hydrocutés et de forme cubique, en raison dé conditionnement, pour tenir moins de place dans les containers aériens.
A tout hasard, Robert vous conseille une visite médicale en prévision de cancers anodins (mais parfois gênants) surtout si vous constatez des protubérances verdâtres dans votre gamelle.
Bon appétit, quand même.
Méditer et rêver est toute symphonie ;
C’est un plaisir de l’âme, un doux ravissement ;
Et tout Etre normal y goûte l’harmonie
Au rythme de son cour, l’épanouissement.Ah ! Que c’est confortant de vouloir s’évader
De la réalité, de la triste aventure,
Asservissant la Vie ; et se persuader
Que l’ataraxie est la clé de la CultureQuel agréable état que celui de l’entente,
De l’Etre et la Nature, unis à l’Univers ;
S’étourdir au Soleil et goûter la détente...
C’est rejeter le bruit et ses effets pervers !Je me souviens que jeune aussi je me pâmais,
Jonglant avec ma muse et ma rime à mon aise ;
Et par devant Phoebus créateur je clamais,
Fort de ma certitude, exalté par l’ascèse,Que de s’imaginer sur le dos de Pégase,
Aussi léger que l’air, c’est, à l’instar dAriel,
Joindre le Nirvana, le summum de l’extase !
J’ai cru, reclus sur mon nuage immatériel,Qu’un Etre bien nourri ne l’est que par l’Esprit
Je m’isolais de la réalité démente !
Mais, sursaut de mon cour, mon Ego se surprit
A voir autour de lui le manque et la tourmente.Mes yeux étaient choqués à cet affreux spectacle ;
Mon esprit se meurtrit devant l’iniquité ;
Et mon coeur affligé, sensible réceptacle,
S’ouvrit spontanément à la FraternitéJe venais de comprendre, analysant mes "torts",
Que savourer la Paix, gagner la quiétude
Dépend entièrement d’aussi nourrir le corps
Condition de la Vie et de sa plénitude.C’est alors qu’observant les immenses services
Offerts par le progrès pouvant rayer la faim,
J’abandonnais les "cieux"qui ne sont point propices
A sustanter le corps, donc l’Esprit de l’Humain !Partout et alentours abondent les produits ;
Et partout sur la terre on y voit la famine !
Exhérédés des Biens, les Hommes sont réduits
A la douleur dans l’âme, à la faim qui les mine !Et citant, à propos, un titre d’André Gide,
C’est de "Nourritures Terrestres", et non point
De la prière austère et de substance vide,
Que, pour vivre, l’Humain a le plus grand besoinJ’acquiesce qu’autrefois quelque génie a pu
Créer dans l’infortune, une ouvre immarcescible...
A l’inverse un "auteur", aujourd’hui bien repu,
Flatte le Dieu Profit et se montre insensible !Il faut éradiquer la CAUSE qui provoque,
Avec le dénument, la misère et labus ;
La vieille économie, en laquelle on suffoque,
Au Droit à l’existence, oppose son refus.(Il n’est pas étonnant que Matière et Penser
Recherchent "L’eau-delà", remède épidémique
D’un bien-être fictif, "Paradis" insensé ;
Créés pour compenser la souffrance endémique !)Que de Pensers féconds alors dans notre tête !...
Le Besoin satisfait, l’Esprit, se sentirait
Sur Terre, et réaliste, apparaîtrait moins bête !
L’Unique responsable enfin aboutiraitDans une Société d’Hommes émancipés ;
Libre de toute entrave il ouvrirait la Voie
Menant à la Beauté, vers l Amour et la Paix
Vers la Patrie Humaine, à l’Hymne de la Joie !
Nous croyons pouvoir dire cette fois que nos idéaux
se sont butés, butés contre un mur inéluctable,
celui de la honte.
En effet, les misères les plus atroces du Monde, de notre Monde
d’aujourd’hui, que nous préférerions imaginer civilisé
et humain, sont devenues l’apanage désopilant de la plus efficace
des publicités, celle de la charité spectacle.
Toutes nos soi-disant grandes stars de l’écran
et d’ailleurs font artifice de leurs dons si généreux,
chéquier en main et conscience épurée de toute
culpabilité.
La charité est au menu du jour sans aucune humilité, comme
le gaspillage le plus insensé est au menu de notre surproduction.
Le moyen le plus efficace paraît être celui
d’attendrir le tout-public en lui montrant, réunies sous la même
coupole du capital, richesse et pauvreté.
La première venant en aide le plus généreusement
du monde à la seconde.
Et tous s’imaginent naïvement, la larme à
l’oeil, que le geste est sincère et n’a d’autre but que l’étalage
de la solidarité du porte-monnaie !
Mais, derrière toute cette mascarade abjecte se cache autre chose,
la publicité. Celle-ci règne en dame patronesse sur toutes
les chaînes de nos si médiocres écrans, dans la
course la plus effrénée, celle du pourcentage d’audience,
pour ne pas dire celle du profit !
Cette seule pensée nous répugne, mais combien sont-ils,
ces gens trop conscients pour se taire et réaliser cette si grande
utilisation de la naïveté de vos esprits ? Très peu
à en juger les statistiques !
Il est tout de même malheureux de penser que croire en cette si
dure vérité n’est ni mensonge ni corruption, mais une
navrante réalité.
"Les pompiers maladroits" par Guy Aznar
La vérité du futur est là : le
travail n’est plus la seule source de la richesse, les machines produisent
des richesses sans travail. Il faut donc nécessairement dissocier
le travail et le revenu. Dans l’avenir (proche), chacun, de toute évidence,
touchera deux chèques : l’un lié au travail (réduit),
l’autre constituant une redistribution collective de la richesse produite
par les robots.
Alors, dans le présent, jusqu’aux vacances, d’accord pour le
"revenu minimum garanti". Mais par pitié, ne renforçons
pas bêtement le principe d’une société coupée
en deux !
Saisissons au vol la chance du siècle (la diminution du travail)
pour permettre à chacun de travailler moins, avec un salaire
diminué mais sans perdre de revenus grâce à un deuxième
chèque offert par le robot.
Le Monde 21.5.88 (envoi de M. Buguet, Paris)
***
Le revenu sans le travail par Gérard Adam
Si, pour des raisons évidentes de justice sociale, le revenu
minimum doit être instauré, il est impératif pour
le gouvernement d’expliquer sari’ relâche que désormais
il y a dissociation entre les trois composantes traditionnelles d’un
emploi : un revenu qui est la contrepartie d’un travail, une contribution
à la production’ (c’est la notion d’utilité sociale),
un facteur sinon d’épanouissement personnel du moins de statut
social (peut-on exister socialement en dehors de la vie professionnelle
?)...
Il faudra maintenant admettre que le travail n’est plus le passage obligé
pour l’obtention d’un revenu.
La Croix l’Événement 12/13.5.88 (transmis par P. Rosset, Clisson)
***
Pour une économie distributive
M. Drouet, St-Jean-de-Boisseau (44), plaide au nom du "Mouvement
pour l’Économie distributive". Suit un article sur 2 colonnes
de 25 lignes :
"Pour une économie nouvelle, où la compétition
sera remplacée par la coopération entre les entreprises,
comme entre les pays (si certains pays refusent, il faudra appliquer
avec eux le troc). Cette coopération permettra :
- de partager le travail entre les entreprises, permettant ensuite le
partage du travail entre tous et diminution de celui-ci, au fur et à
mesure que la technique remplace l’homme,
- d’assurer à tous la distribution de la production par un revenu
social, issu d’une monnaie au service des hommes. L’argent n’ayant aucune
valeur sans les biens, il est logique que celui-ci soit au service de
la production et de la distribution, et non l’inverse,
- de diminuer considérablement la délinquance, le racisme,
les incitations à faire n’importe quoi pour vivre,
- d’arrêter le productivisme et son gaspillage, permettant aux
pays riches d’aider véritablement les pays pauvres afin que leurs
habitants n’aient plus à s’exiler, -d’arrêter le saccage
de la nature, Dans l’immédiat, nous demandons qu’un revenu garanti
soit donné à toutes les victimes de cette économie,
leur assurant l’indispensable pour vivre, la France ayant tout pour
le faire, au lieu de stocker, ou de détruire les biens destinés
à ces exclus, ce qui est indigne d’un pays civilisé".
Bravo !
Ouest-France 27.4.88 (transmis par H.M. Guérande)
Tribune libre
Les grands projets politiques sur lesquels nous vivons
ont des sources multiples et parfois impures. lis reposent en effet,
en même temps, sur l’observation et sur de pseudoévidences
ou de pseudo-valeurs. Ainsi, les différentes formes de socialisme,
quand elles dénoncent l’incroyable richesse d’une minorité
et la détresse du grand nombre, s’appuient sur un constat que
personne ne peut contester ; en revanche, quand elles édifient
un modèle de société sinon idéal, du moins
meilleur, elles se réfèrent à des notions qui me
paraissent extrêmement discutables : il en est ainsi pour la distinction
entre intérêt public et intérêt privé.
Les projets socialistes ou communistes condamnent le profit, l’intérêt
individuel ; non seulement ils l’interdisent, mais ils s’efforcent de
l’empêcher : pour user d’une comparaison, ils ne se contentent
pas de tracer des lignes blanches continues, ils mettent des murs !
lis partent du principe qu’intérêt individuel et intérêt
collectif se tournent le dos, que l’individu doit d’abord travailler
pour la collectivité, et que le profit de son travail ne lui
revient qu’ensuite, quand le résultat de l’activité commune
est équitablement réparti entre tous les individus. Ce
schéma, apparemment très `moral’, inspire la plupart des
législations socialistes. Il arrive que la distance entre l’effort
et la récompense soit extrêmement grande : dans un pays
de 200 millions d’habitants, si l’objet consommable n’est obtenu qu’au
sommet, c’est-àdire au niveau de l’État, la redistribution
peut prendre du temps pour arriver à la base ! L’ouvrier, qui,
à cause de la taylorisation et de l’émiettement du travail,
ne produit rien de vraiment consommable, n’a rien de mieux à
faire qu’à attendre ; mais le paysan, avec ses choux, ses salades,
ses fruits, peut avoir la tentation d’anticiper, de travailler "seul"
! Il est exact que l’agriculture pose des problèmes à
l’économie dite "socialiste". Je voudrais montrer que
ce schéma de vie sociale appliqué depuis un demi-siècle
avec plus ou moins de bonheur dans les pays dits "socialistes" :
1) repose sur une conception erronée de l’intérêt
public et privé ;
2) prive la collectivité d’une part importante de ses énergies
;
3) asservit le corps social à des mécanismes encore mal
connus, difficilement contrôlables, le résultat de tout
cela étant une grande hypocrisie !
INTÉRÊTS INDISSOCIABLES
Du moment où existent des individus, il paraît impossible
de dissocier intérêt public et intérêt privé,
ce sont les deux faces du même comportement : toutes les fois
que quelqu’un fait quelque chose, il en tire immédiatement et
nécessairement un profit : sinon, il agit par contrainte (pour
éviter la souffrance) ; ou il n’agit pas du tout ! Pour comprendre
les mécanismes sociaux, il faut donc toujours aller au-delà
de cette distinction, et se demander ce que recouvre concrètement
ce mot abstrait d’intérêt. Car il existe d’excellents intérêts
"privés", et de catastrophiques intérêts
"publics". Les associations internationales de malfaiteurs,
les hordes d’envahisseurs, pratiquent l’entraide, le dévouement,
le partage (des dépouilles !) ; à l’opposé, il existe
des égoïstes qui créent du bonheur pour tous : le
teigneux qui ne peut se résoudre à mourir sans avoir vendu
cher sa peau devient un héros en temps de guerre ! le savant
qui ne pense qu’à son plaisir égoïste de chercher
devient un bienfaiteur de l’humanité s’il découvre ainsi
les moyens de guérir une maladie mortelle. Dans la mesure où
la nature est semblable chez tous les individus, où il est dans
leur être de communiquer par le langage, ils ne peuvent s’occuper
d’eux, inventer des plaisirs pour eux, sans le faire en même temps
pour les autres ; quand il ne s’agit pas de théorie politique
ces choses-là sont évidentes. Il faut en conclure qu’un
système social qui prétend privilégier l’intérêt
collectif au détriment da l’intérêt individuel,
qui arrête sa réflexion à ce niveau-là, ou
bien ne fait rien, ou bien fait autre chose que ce qu’il croit faire.
On m’objectera que les égoïsmes monstrueux existent, qu’il
y a des gens qui prennent tout pour eux, et arrachent le travail, le
pain de la bouche des autres, que cela se voit ! Je répondrai
que cela n’a qu’un vague rapport avec l’intérêt "privé" :
cela relève du sadisme, de la jalousie, de la vanité,
suppose la sottise, la complicité masochiste. En se contentant
de condamner l’intérêt privé, on retrouvera tous
ces comportements, sous une forme légèrement modifiée,
dans la société que l’on voulait réformer. L’analyse
politique doit aujourd’hui tenir compte de la psychologie ; lorsqu’elle
a défini une fin, elle doit rechercher quels sont les intérêts
individuels et collectifs, qui servent cette fin, et ceux qui la desservent.
Par exemple, si cette fin est l Abondance, il faut étudier les
comportements d’abondance et les comportements de pénurie, au
niveau de l’individu et au niveau du groupe. Si on ne le fait pas, si
on part du principe que ce que l’on appelle "égoïsme"
engendre la pénurie, tandis que le fait de penser aux autres,
de se dévouer pour les autres, de travailler en collaboration
avec les autres, entraîne obligatoirement l’abondance, on risque
fort d’avoir des surprises désagréables, et d’obtenir
tout... sauf l Abondance : et ce n’est pas étonnant, puisqu’on
ne l’a pas cherchée !
LA TYRANNIE DU GROUPE
En effet, en privilégiant les conduites réputées
"altruistes", que fait-on ? On se borne, dans tous les cas,
à resserrer les liens de dépendance entre les individus,
à diminuer leur marge de manoeuvre par rapport au groupe, à
restreindre l’espace, matériel et moral, dont dispose chacun.
Dans cette perspective, pour nettoyer des casseroles, sarcler un jardin,
déplacer un lit, peindre une porte, il faut toujours demander
quelque chose, quelque autorisation, à quelqu’un ; la solitude
devient un vice ; comme les moines, on doit sans cesse vivre sous le
regard de la communauté, dépendre des autres. Or, depuis
J ’Antiquité, notre espèce découvre que cette tyrannie
du groupe n’est ni nécessaire, ni souhaitable pour le bonheur,
qu’elle est stérilisante, qu’il existe dans chaque individu des
ressources extraordinaires, à condition que la vie commune soit
aérée, qu’il y ait de l’espace pour s’épanouir.
Pour les socialistes, le progrès proviendrait de l’initiative
collective et de l’effacement de l’individu. Il semple bien qu’au contraire
le progrès collectif se soit fait d’abord dans des consciences
individuelles, plutôt que dans une conscience collective mythique.
Le pond en avant de l’Occident s’est fait toutes les fois que des individualités
fortes et novatrices ont pris leurs distances par rapport au groupe.
Depuis le XVI siècle, nos sociétés découvrent
que le bonheur collectif n’exige pas des liens sociaux systématiquement
serrés ; au contraire, plus les liens sont lâches, plus
il y a de bonheur. C’est une expérience quotidienne, banale :
les amis, avec lesquels nous n’avons aucun lien contraignant, nous ne
vivons pas constamment, que nous avons choisis, que nous pouvons quitter
sans drame, sont souvent plus agréables, plus enrichissants que
notre famille ; une crise actuelle du mariage chez les jeunes ne s’explique
pas autrement : c’est le désir d’un mieux-être ; cela s’appelle
la liberté ! Elle s’invente constamment dans la vie collective.
Dans un premier temps, le groupe s’en scandalise, et tout particulièrement
ceux qui vivent en parasites de la vie sociale, qui ne produisent rien
que du collectif. Mais bientôt, ceux-là mêmes comprennent
que la liberté (les libertés !), ce n’est pas la fin du
monde, que le groupe entier bénéficie tôt ou tard
des initiatives individuelles, de ces inventions d’humanité qui
se font chez les plus doués d’entre les hommes. De toutes façons,
il n’y a d’individualité qu’au sein d’un groupe ; l’individu
ne vient pas avant celui-ci, il vient après. Le groupe ne naît
pas, psychologiquement, d’une association entre individus : la horde
est primitive : c’est en son sein que peu à peu émergent
des personnalités, que des énergies individuelles se libèrent,
que des initiatives se prennent, dont les bénéfices rejaillissent
sur tous. En conséquence, le retour à des mentalités,
à des pratiques de horde tourne le dos au progrès, au
bonheur, a fortiori à l Abondance. Il me paraît facile
de montrer que les maux actuellement imputés à des formes
modernes de socialisation comme l’argent ou le capital sont en réalité
imputables à des comportements archaïques, bestiaux, prérationnels
; ce n’est donc pas en supprimant le capital ou l’argent que l’on délivrera
l’humanité de ses misères, au contraire. Le monde contemporain
me semple confirmer ces vues.
L’ÉCUEIL DU VOTE DÉMOCRATIQUE
Les socialismes accordent un privilège absolu aux décisions
collectives, donc aux assemblées délibératives
: le symbole de la démocratie socialiste, c’est le Peuple réuni
décidant souverainement de son destin : c’est Athènes
sans l’esclavage ! Certes, nous avons tous vaguement conscience que
ce régime d’assemblée, qui culmine dans le suffrage universel
et le vote majoritaire, n’est pas la panacée. Un peuple qui,
par référendum et à la majorité écrasante
de 90 % des inscrits, déciderait de dépecer, puis de manger,
les 10 % minoritaires, ne nous paraîtrait pas agir démocratiquement",
bien que ce type de décision soit parfaitement démocratique
! D’une certaine façon, le vote majoritaire n’est que la loi
du plus fort. Pourtant, la théorie persiste à le parer
de toutes les vertus ; dans la pratique, c’est autre chose !... Les
démocraties populaires souffrent particulièrement du système
des élections libres, à tel point qu’elle les ont pratiquement
supprimées ! Elles mettent le corps électoral en condition,
au besoin par la force, frappent d’anathème certaines opinions,
proposent une candidature unique, etc... Il serait facile d’ironiser
sur de telles pratiques ; en fait, elles reposent sur des difficultés
réelles. Car, croire que le peuple assemblé est capable
d’une part, de prendre des décisions, d’autre part de déterminer
ce qui constituerait ’l’intérêt général’ ;
cela est-il si raisonnable ? Comment sait-on si c’est possible ? J estime
que, vu la réalité des faits, ce credo relève du
fantasme et de la nostalgie, plutôt que de l’observation. C’est,
à l’origine, une idée religieuse : Vox populi, vox dei
; mais les historiens des religions savent comment le clergé
s’arrange pour faire parler cette "vox populi", jusqu’à
la prier, au nom de Dieu, de se taire ! C’est aussi une idée
laïque, nous sommes des êtres sociaux, nous attendons énormément
de nos semblables ; c’est que chacun de nous est né (ou devrait
être né) de l’amour, de la tendresse ; la confiance, la
communion sont donc derrière nous, avant d’être projetées
devant nous ; c’est d’abord une nostalgie ; et rien n’est plus fort,
plus têtu, plus invincible qu’une nostalgie ; or ce fantasme, cette
nostalgie se heurtent à la réalité humaine, qui
est le polymorphisme de notre espèce, l’incroyable diversité
d’aspect physique, de psychologie, de réactions, d’opinions,
entre chacun des milliards d’individus qui peuplent la terre. Demander
à des individus si différents de prendre une décision
commune qui respecte le bonheur de tous, ou mieux, qui l’invente, c’est
une gageure ! On comprend que ce pari ne soit qu’exceptionnellement
et aléatoirement tenu ! Empiriquement, personne n’y croit : nous
connaissons tous le déroulement réel des assemblées
délibérantes, les manipulations, les combines, les négociations
occultes, les querelles de clans, les paralysies délibérées,
les impasses. Ceux qui attendent une décision, qui en ont un
besoin urgent, savent que la tâche première consiste à
faire taire, à éliminer ; il s’agit, en tout état
de cause, d’aboutir à deux opinions, la majoritaire (la bonne !)
et une minoritaire officielle, destinée à se ranger sagement
sous la houlette de la première. En fait, il n’y a place que
pour une opinion : le reste, c’est "pour de rire" ; comme disent
les enfants ! Le résultat, c’est que plus on fait appel au système
des assemblées et du vote démocratique, plus on étrangle
les possibles, plus on restreint les choix. Est-ce vraiment nécessaire
? N’y a-t-il pas d’autres façons pour les hommes de coordonner
leurs comportements ? Est-ce souhaitable ? S’il faut absolument une
"vérité" pour des millions, des milliards d’hommes,
est-on sûr qu’elle sera du côté de la majorité
? Quels sont les rapports entre la vérité et le nombre
? Il me semble que ces questions essentielles sont loin d’avoir obtenu
jusqu’ici des réponses satisfaisantes ! Trop attendre actuellement
de telles pratiques, c’est se condamner soit à l’hypocrisie,
soit à l’échec.
UN TOUT AUTRE POINT DE VUE
Or il me semble que l’Abondancisme permet de contourner la difficulté.
Pour nous en effet, il ne s’agit guère de savoir ce qui est "égoïste"
ou altruiste, ce qui représente l’intérêt individuel
et l’intérêt public. Nous avons à nous demander
ce qui sert l’Abondance et ce qui engendre la pénurie. Ce point
de vue radicalement nouveau aurait le mérite de tirer le débat
politique actuel de l’ornière vaguement moralisante dans laquelle
il s’enlise.
***
Nul doute que l’attaque de M. Pujols contre le vote démocratique suscitera de fortes réactions chez nos lecteurs. Avant que de condamner le vote démocratique ne faudrait-il pas faire le procès de la représentation parlementaire, celui de la possibilité "d’acheter" un vote et enfin, celui de l’éducation "civique".
La rédaction
C’est le maître-mot de toutes les doctrines dites
sociales. Celles-ci s’expriment dans une série de voeux dont
il reste à financer la réalisation. Et chacun de touiller
la même soupe. S’agit-il de l’Etat ? Les membres de la collectivité
concernés par le prélèvement fiscal participent
alors bon gré mal gré aux transferts décidés
à un niveau gouvernemental. S’agit-il d’organisations privées
? Les transferts sont ici plus sélectifs tant en raison du volontariat
auquel il est fait appel en matière de dons ou des prestations,
que parle libre choix des programmes d’aide ou celui des personnes assistées.
Il est clair toutefois que l’essentiel des fonds collectés provient
des milieux fortunés relevant des professions indépendantes,
libérales, industrielles ou commerciales. N’ayons pas la naïveté
d’imaginer que ces gens-là puissent se déssaisir durablement
d’une part de leur avoir en faveur des classes démunies, alors
que, maîtres de leurs prix, il leur est si facile de les majorer
reportant ainsi sur la clientèle le soin de pourvoir à
leurs libéralités. N’en va-t-il pas de même, en
effet, des "pots-de-vin" et autres commissions, dépenses
publicitaires, pareillement inclus dans les prix ? Origine analogue pour
l’argent que recueillent les Fondations associées aux grandes
firmes.-Ces transferts au nom de la solidarité s’alimentent,
en dernière analyse, sur les seuls consommateurs à revenus
fixes rançonnés au fil de leurs achats, tandis que les
privilégiés de l’autorémunération en réchappent.
En fait, les bonnes âmes qui vont prêchant la solidarité
écartent d’emblée l’hypothèse que la "règle
du jeu" puisse changer, que les revenus, cessant de se former au
hasard des impacts d’un flux monétaire, épousent tout
simplement la réalité d’une production dont le volume,
depuis un siècle, s’est vu multiplié par plus de 1.000
sans que pour autant la condition des plus pauvres ait été
notablement améliorée.
La solidarité n’est que caricature lorsque le cadre économique
dans lequel elle s’exerce impose la compétition sauvage, la mise
à mort du concurrent, la course à l’argent qui fait de
chacun le rival de l’autre dont il guigne le revenu pour former le sien.
Lectures
Couronné d’un pris NOBEL, Friedrich HAYEK,
chef de file d’un néo-libéralisme, a fait école
auprès de cette intelligentzia formée et mobilisée
pour combattre les idéologies socialistes afin de préserver
les appropriations/sources de revenus. S’évertuant à justifier
l’injustifiable, HAYEK entend légitimer l’économie de
marché, le système du profit, le gain quelle qu’en soit
l’origine, quelle qu’en soit la finalité, soucieux de donner
bonne conscience aux affairistes, aux spéculateurs, aux fraudeurs,
à tous ces chevaliers du profit férus de prospérité
générale, réconfortés d’apprendre le rôle
éminent dont ils se voient gratifiés.
Prospérité générale ? C’est beaucoup dire.
En fait, le libéralisme fabrique plus d’exclus qu’il ne créé
de gagnants. Combien sont-ils, victimes du chômage, d’accidents
de parcours, de la malchance, à tirer la langue face à
des monceaux de biens inaccessibles à tant et tant de budgets
familiaux, jouets d’une insécurité permanente, en proie
à l’inquiétude, à la peur... ? Mais la masse de
ces exclus, en progression constante, disparaît dans une trappe,
occultée par le clinquant des vitrines qu’illuminent les feus
de la publicité, les vois des récalcitrants étouffée
par le tamtam de la propagande.
La thèse de HAYEK, telle que l’explicite Ph. NEMO dans son livre,
ne résiste pas à la critique la plus élémentaire,
plus à l’aise, certes, pour dénoncer les défauts
d’un capitalisme d’Etat, que pour encenser le modèle idéalisé
de la société néolibérale. Ce rabâchage
de propos mille fois entendus dissimulant la duplicité d’un clan,
ne saurait convaincre les victimes du libéralisme, ceux-là
qui en subissent les réalités dans leur vécu quotidien.
On observe chez HAYEK’ ce même ensemble de lacunes relevées
chez ses confrères en néo-libéralisme, les FRIEDMANN,
SORMAN, GILDER, ADLER, MINC, ROY et consorts, tous entêtés
à maquiller leur idole, la société libérale,
à travestir en vertus les moeurs d’une catin, ses vices et ses
tares.
Pivot du système, le marché n’est jamais qu’une minuscule
planète perdue dans la nébuleuse des besoins réels
dont moins du millième vient s’y exprimer sous une forme solvable.
Et puis, fait-il la différence entre l’utile, le nuisible, le
superflu ? entre ses genres de clientèle : l’Etat avec ses armements
et sa gabegie, les grandes sociétés au luxe racoleur ?
Enfin les théoriciens du libéralisme trouvent commode
de faire l’impasse sur les productions détruites, stockées
ou gaspillées. Exclue de leur vocabulaire, l’abondance n’a pas
droit de cité dans une économie de marché dont
elle paralyse les rouages les plus essentiels : le profit, l’emploi.
...Impasse également sur les profits de guerre, sur les enrichissements
sans cause, sur les gains spéculatifs, sur ceux qui résultent
de la fraude, d’activités illicites illégales, des escroqueries,
des vols, de l’exploitation des malheurs d’autrui. Tous n’ont-ils pas
la même couleur que le gain du petit boutiquier, de l’artisan
besogneux ?
Impasse sur la finalité du travail, sur les
gaspillages, sur le conflit rentabilité/utilité, sur le
caractère foncièrement amoral et asocial, inhumain, barbare
et cruel du système dont ils se sont fait les héros,,
résolus à le défendre contre vents et marées,
contre l’adversaire socialiste, contre les trublions, contre les factions
révolutionnaires, contre l’abondance.
Impasse sur les entraves à la libre concurrence, sur les ententes
et monopoles, sur les subventions, les aides, les règlementations,
les quotas, les détaxes, sur l’arsenal du protectionnisme de
style reaganien contre les importations à bas pris...
Le marché, ordre spontané ? Posant en postulat que la
loi du marché serait une loi inscrite dans la nature des choses,
HAYEK en tire la conclusion que l’ordre du marché rend possible
la concilation pacifique des projets divergents, que les objectifs des
producteurs s’adaptent nécessairement aux besoins des acheteurs,
que nul ne saurait être accusé d’agir injustement. Mais
pas de droits sociaux, souligne HAYEK, là où prédominent
les libertés individuelles que l’Etat a pour mission de préserver,
sauf à enclencher un processus de dérive totalitaire de
la démocratie. Demander davantage de justice en faveur d’un groupe
donné, ce serait, observe encore HAYEK, privilégier l’intérêt
de certains sur les chances de tous. Du moins, le jeu du marché
est-il globalement profitable à tous puisqu’il accroît
les chances pour chacun de satisfaire ses besoins grâce à
l’augmentation du flux des biens.
...Arrêtons là ces divagations. HAYEK est un visionnaire.
Il n’a pas les pieds sur terre. Il orbite à l’intérieur
d’un bocal, revenu un siècle et demi en arrière au temps
béni de J.B. SAY, un temps dépassé sous l’effet
d’une accélération sans précédent du progrès
scientifique et technologique, source d’abondance, de crues de production
durables, cauchemar pour les théoriciens de l’économie
de marché, férus d’austérité, d’épargne,
de privations.
Le jeu du marché a pour but le profit et rien d’autre. Pas de
production, plus d’échanges, plus de partenaires sans perspectives
de gain quelle que soit la réalité, l’étendue du
besoin en marge du marché. Associé à la rareté,
à l’extension des débouchés, le profit incite à
produite n’importe quoi. Au sein des démocraties fricardes, la
nuée des lobbies organise le siège de l’État-client
tandis que l’industrie publicitaire se charge de la mise en condition
des consommateurs. Enfin les guerres, chaudes ou froides, cultivées
ici et là, procurent les débouchés d’appoint indispensables
à l’assainissement des marchés, au soutien de l’emploi,
à la relance des profits.
On notera que l’URSS n’a pas eu besoin du marché
pour développer sa production et que la contrainte du travail
reste la même dans tous les régimes, un travail soumis
à horaires, à une discipline imposée par les grands
et les petits chefs.
Quant à la liberté personnelle, cheval de bataille traditionnel
des milieux libéraux, HAYEK n’en ignore pourtant pas les entraves :
maladie, contraintes familiales, dictature du fisc, des pris, des banques,
de l’employeur, dispositions des lois, du code pénal avec ses
innombrables interdictions, insécurité du revenu, propagande,
publicité obsédante, irritante, échéances
pour les endettés, attentes, embarras de la circulation, contraventions,
délinquance, quête d’un emploi, voisinage, environnement.
Il en va de même pour la liberté d’expression pareillement
encadrée de tabous, livrée à l’appréciation,
au bon vouloir des médias, de la confrérie de l’Edition,
étranglée par l’argent, par les frais d’un procès.
La liberté n’est que viande creuse pour le troupeau rationné
en loisirs, rationné en argent, contraint de se lever de bon
matin, enrôlé pour couvrir prioritairement à cent
pour cent les besoins de clans privilégiés et participer,
contre son gré, au combat contre l’abondance afin de sauver le
profit.
Langage insolite, déroutant pour HAYEK et ses fans auxquels ce
genre de réflexions devrait ouvrir les yeux. Il leur reste à
se pencher sur la formule d’un socialisme à monnaie de consommation
mieux en mesure que ne le sont les socialismes à enseigne et
toutes formes de libéralisme, de séduire l’ensemble du
corps social, salariés et non salariés, solidaires pour
accueillir l’abondance, sachant s’en distribuer les fruits (2).
(1) Philippe NEMO, Ed. P.U.F.
(2) Cf : L’AN 2000, une révolution sans perdants (H. MULLER)
PLON (1965).
Le Manifeste communautaire (d°). Les Cahiers de la Quinzaine (1968).