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Éditorial
Le"krach d’octobre dernier a montré les
dangers qu’il y a à laisser les financiers diriger l’économie
mondiale sur des coups de poker, dans ces casinos modernes que sont
devenus les marchés boursiers.
Les conséquences de l’hégémonie du dollar et des
banques américaines sur le commerce international commencent
à être bien dénoncées. Le Président
Mitterrand profite des "réunions au sommet" des pays
industrialisés pour parler de la nécessité d’un
nouvel ordre économique. Quelques rares journalistes, tels ceux
du "Monde Diplomatique" (*) ont le courage de s’attaquer aux
règles du "jeu" financier pour en dénoncer les
effets catastrophiques. L’énorme récession, qui en sera
la conséquence, et que le monde va connaître, très
probablement, dès l’an prochain, va ouvrir encore d’autres yeux.
Comme, dans le même temps, les progrès techniques auront
encore permis de produire plus, l’absurdité du système
sera encore plus évidente.
Nous allons donc avoir encore plus d’arguments à faire valoir,
et l’occasion de montrer la nécessité d’une économie
distributive fondée sur une monnaie non thésaurisable,
gagée sur la production, donc destinée essentiellement
à faire parvenir celle-ci aux consommateurs.
Beaucoup de nos interlocuteurs, comme toujours, seront bien d’accord
avec nous. Mais ils nous objectent, comme on objecte aux pacifistes
: "C’est impossible parce qu’un pays tout seul ne peut pas commencer".
Suivra alors un exposé sur les contraintes de la mondialisation
de l’économie, l’impossibilité de fermer les frontières
et la "loi" de la compétitivité. Autrement dit
: "inutile de lutter, nous sommes condamnés à suivre
dans un monde devenu absurde : on n’a pas le choix : la "loi"
immuable du marché est telle que ce sont les pays où l’être
humain est sacrifié sur l’autel de la rentabilité qui
imposent leur idéologie : les autres doivent s’aligner, faire
mieux, faire pire plutôt, pour GAGNER !". Gagner des marchés,
bien entendu.
Allant à contre-courant, nous continuerons à revendiquer
le droit de choisir. De choisir la qualité de la vie. Alors,
poursuivons plus à fond la discussion et demandons ce qui se
passerait si la France, ou l’Europe, décidait, pour faire un
tel choix, de sortir de la compétition, préférant
la culture à l’esclavage ? D’accord, les fabrications japonaises
et coréennes envahiraient nos propres marchés parce qu’elles
seraient proposées moins cher que les nôtres. Dans un premier
temps, nous les achèterions et notre balance commerciale serait
déficitaire.
Et après ?
C’est à cet "et après" qu’il faut avoir le courage
de réfléchir. Si les Japonais cessaient alors de nous
vendre leurs produits, que se passerait-il ? Est-ce que cela ferait
leur affaire ? Ne serait-ce pas l’occasion de forcer une entente au
plan mondial pour mettre au point un système d’échanges
sur contrats équitables, conviviaux, venant remplacer la loi
de la jungle qui sévit encore ?
Pour faire valoir notre droit de choisir notre mode de vie, réfléchissons-y.
C’est ce que je vous souhaite pour l’an nouveau.
(*) Voir "Le triomphe de la déraison" de C. Julien et encore celui de F. Clairmonte sur "L’art et la manière de convertir une dette en pactole" dans le numéro de décembre.
(Air connu)
Dans notre article de la Grande Relève de Décembre "Ça krach", nous disions : "Il n’est pas facile, en écrivant cet article plus d’un mois avant sa parution, de mesurer quel sera son degré d’actualité lorsqu’il parviendra au lecteur de la Grande Relève... Mais le jeu du yoyo va continuer".
Effectivement, en ce qui concerne la crise boursière, le jeu
du yoyo n’a cessé depuis un mois. C’est un vrai festival en noir
et blanc (quelquefois gris) que nous servent les médias, traduisant
l’état d’esprit de la grande famille boursière. Par exemple :
"Lundi gris (30 nov.) à New-York" titre Le Monde du
2 décembre. Depuis un mois, les valeurs, le dollar se sont souvent
"redressés", mais ça ne dure jamais longtemps.
Ainsi, entendu à la radio, le 4 décembre : "Le dollar
replonge... On est reparti pour un tour de baisse de première
grandeur... Nouveau vendredi noir à la Bourse, la baisse des
taux d’intérêt européens n’a servi à rien...
Les valeurs françaises sont très. très, très
(sic, J.P. Gaillard) touchées, certaines se repliant (le joli
terme) de 8 à 12,5 %, etc.". N’alourdissons pas notre propos
par ces discours insipides dont on nous rebat les oreilles chaque jour
depuis le début de la crise boursière. Il fallait être
bien naïf pour croire à la pérennité de la
remontée qui avait suivi l’amélioration d’un milliard
de dollars du déficit commercial U.S. d’octobre, ou celle consécutive
à l’accord entre Reagan et le Congrès pour réduire
le déficit budgétaire de 75 milliards en 2 ans (une goutte
d’eau dans un océan de dettes !), ou encore celle due à
la baisse concertée des taux d’intérêt européens
(le 4 décembre, on annonce une nouvelle baisse du dollar en précisant
que cet effort des européens a produit l’effet contraire à
celui qu’on escomptait ! ! !). Oculus habent et non videbunt. Le mal
est ailleurs, bien plus profond, "structurel" pour parler
comme les experts. Malheureusement, comme nous le prévoyions
dans l’article déjà cité, la crise financière
va renforcer la crise économique. Depuis un mois, nombreux sont
ceux qui abondent en ce sens, dont Messieurs Barre et Rocard et Madame
Weil (à 7 sur 7). Les salariés vont payer, car, dans les
mois à venir, le yoyo va continuer et la crise économique
s’aggraver. Dans "Le Monde" du le, décembre, Paul Fabra
note que la "crise boursière est encore dans sa première
phase".
Tout le monde stigmatise l’Amérique. Parmi les pays industrialisés,
singulièrement le Japon et l’Allemagne sont sommés par
l’administration Reagan d’aider l’Amérique en baissant leurs
taux d’intérêt : un véritable plan Marshall à
l’envers des vaincus de 1945 ! Exécution et... peine perdue,
nous l’avons vu plus haut.
DESARMEMENT
Pendant ce temps, on amuse le tapis, en France, avec le "scandale"
des ventes d’armes à l’Iran. Scandaleuse hypocrisie, oui ! Tout
le monde sait ce qu’il en est. Tous les pays vendent des armes à
l’Iran (voir G.R. n° 857, juin 1987). Et, n’en doutons pas, tous
pensent, à propos de la guerre IranIrak : "Pourvu que ça
dure". Et pendant qu’on se livre à ce fabuleux gâchis,
on sollicite le bon peuple pour envoyer une obole pour la recherche
sur le cancer (Alain Delon chaque jour à la télé),
le SIDA (Line Renaud), la myocardie (Jerry Lewis et le téléthon)...
Quand on sait que le prix d’un seul avion de Dassault - qui allait débaucher,
mais vient "heureusement" de prendre une grosse commande pour
l’Irak - représente "n" fois ce que sera la récolte,
on rage d’impuissance à ne pouvoir dénoncer ce vrai scandale
au grand public. Hélas la Grande Relève doit convaincre
avec de faibles moyens, alors que les médias (riches !) se contentent
de séduire. Je ne sais où j’ai lu ou entendu cette très
belle réflexion : "Le monde sera beau quand les canons dormiront
sur des fleurs".
Et puis, voici l’hiver, voici le froid... Noël. Alors, à
nouveau, on fait appel au coeur, à la charité : on médiatise,
comme chaque année, l’Abbé Pierre, les "restos du
coeur". Bien sûr, c’est mieux que rien pour ces pauvres gens
démunis, privés d’emploi, de ressources, voire de logis.
Mais là encore, quel abus, quelle hypocrisie quand on sait ce
qu’on détruit ou neutralise, quand on vient d’apprendre que.
dans les prochaines années, 5 millions d’hectares devront être
abandonnés par l’agriculture car "il y a trop de production"
(sic à la Radio). A notre époque de progrès, les
oeuvres caritatives devraient être reléguées au
musée de l’Histoire (1).
COMMERCE EXTERIEUR
De plus en plus déficitaire, du fait notamment de la balance
industrielle, puisque la balance agricole est excédentaire. C’est
que beaucoup d’industriels, et non des moindres, préfèrent
investir leurs bénéfices en Bourse plutôt que dans
leurs usines. C’est égal, le Ministre Michel Noir ne broie pas
du noir. "Il faut garder le moral" dit-il. Il y a quelques
mois, il affirmait déjà avec conviction ( ?) que le résultat
de 1987 serait plus proche de zéro que des 3 milliards de déficits
prédits par quelques experts sérieux et dérangeants.
Or, à fin octobre, le déficit est de... 31 milliards.
Bravo. Tout va très bien.
PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES (charges sociales + impôts)
On sait qu’ils avaient augmenté en moyenne d’un point chaque
année sous Giscard ; de même sous les Socialistes. On se
souvient des discours de la droite avant les élections de 1986
et même après. Las, depuis quelques mois, il a fallu déchanter,
se rendre à l’évidence. On nous a annoncé, il y
a quelque temps, que les PO allaient augmenter de 0,3 à 0,4 "/o.
Ah ! quand on est aux affaires, on se rend compte que les faits ont
la tête dure.
Nous, distributistes, savons que l’accroissement des prélèvements
obligatoires est la condition sine qua non de la survie du régime
de marché. Dans un monde où la production, de plus en
plus mécanisée, robotisée, supprime des emplois ;
dans un monde où le tertiaire - non productif de biens matériels
- s’est développé en force, comment aurait-on payé
tous ces exclus de la production réelle et fait marcher l’économie
sans ces énormes prélèvements destinés à
être REDISTRIBUES ? Quand comprendra-t-on que les PO représentent
une partie des gains de productivité, l’autre partie étant
destinée au patron (bénéfice + investissement)
? Si ce dernier gardait tout le bénéfice des gains de
productivité, à qui vendrait-il ses produits ? Au cinquième
de la population active que représentent les travailleurs productifs
qui ont gardé leur emploi ?
Il faut s’y résoudre : dans un pays capitaliste industrialisé,
"avancé", en 1987, la plus grande partie des salariés
- et indirectement les professions libérales, les commerçants,
etc... - vivent de la redistribution des PO. Or, on ne peut distribuer
que ce que l’on a d’abord prélevé... précisément
sous forme d’impôts et de cotisations sociales (on est tenté
d’écrire : CQFD, tant c’est simple et évident). Et qu’on
ne s’y trompe pas. Quand on nous objecte qu’en Amérique, les
PO représentent 30 à 35 °% contre près de 50
% en France, c’est que la différence - soins de santé
essentiellement - est à la charge en quelque sorte du salarié.
Et c’est là que l’injustice du "libéralisme"
apparaît : ceux qui ont de l’agent peuvent se soigner sans limites,
tandis que les moins riches, et les pauvres sont contraints de compter.
Société à deux vitesses, santé à
deux vitesses... ce qui nous menace en France si l’on comprend bien
les projets de la droite au cas où elle prendrait tout le pouvoir
pour 5 ans en 1988.
***
Mais à part cela, Madame la Marquise, tout
va très bien, tout va très bien...
Et, amis distributistes, bonne année quand même !
(1) Nous nous réjouissons, bien entendu, de l’accord Gorbatchev-Reagan sur la destruction des armes à moyenne portée en Europe et en Union Soviétique. Mais ce n’est qu’une amorce de désarmement nucléaire : ce qui sera détruit ne représente en effet que 3 % des armes nucléaires dans le monde !
A Toulouse, le 11 novembre dernier, un petit groupe
de militants antinucléaires et non-violents a élevé
un monument aux victimes de la guerre économique (voir photo
en couverture). Les raisons de cette opération médiatique
sont clairement expliquées dans le tract qu’ils ont distribué
autour d’eux lors de la construction du monument et de la cérémonie
qu’ils ont voulue officielle. Nous reproduisons cicontre l’intégralité
de leur texte d’appel.
Grâce aux compagnons d’Emmaüs, qui ont fourni les frigos,
cuisinières et autres objets de récupération, au
PACT-ARIM, association en faveur de la restauration des logements, qui
a fourni le plâtre, et le Secours Catholique, les chiffons nécessaires
à l’édification, le monument a vu le jour face à
l’Ecole de Commerce de Toulouse. Il n’a été autorisé
à y rester que cinq jours, mais l’impact auprès des passants
a tout de’ même été assez grand. Le but de cette
opération était de sensibiliser le public au fait de l’exclusion
sociale due aux difficultés économiques. Celle-ci se traduisant
non seulement dans le chômage, mais aussi dans les "Erzatz"
que sont les Tucs, les Pils et toutes autres contre-façons de
l’emploi.
Cette opération ne s’arrête pas là. Elle souhaite
se poursuivre sous d’autres formes de sensibilisation. Entre autres,
est prévu pour la période de Noël, un spectacle de
rue ayant pour thème l’exclusion sociale pendant les fêtes,
ceci reprenant les symboles de la Crèche et du Réveillon.
Mais parallèlement à ces actions, un petit groupe de réflexion
s’est mis en place afin de proposer diverses alternatives à la
société actuelle. Ces propositions doivent être
rédigées et distribuées lors des manifestations,
dans le but premier d’indiquer au public qu’il existe des voies potentielles
au développement de nos sociétés et que le choix
économique est possible au-delà de la dualité capitalisme-communisme.
Il est évident que les thèses de J. Duboin trouveront
un écho très favorable parmi ces militants, sans pour
autant qu’elles deviennent l’unique revendication dominante.
Ce qui paraît intéressant dans cette démarche, c’est
plus la volonté de montrer qu’il existe d’autres pensées
économiques que le militantisme pour une thèse isolée,
et qu’elles demandent réflexion.
Nous essaierons dans la mesure du possible de vous tenir informés
de l’évolution de cette expérience et des actions qui
y seront menées en faveur de l’information et la sensibilisation
du public.
COMBIEN ?
Dans le système qui, vaille que vaille, nous régit actuellement,
la dette internationale constitue une masse énorme de capitaux,
évaluée à plus de mille milliards de dollars, valeur
supérieure au Produit Intérieur Brut annuel de la France.
Cette masse pèse sur les échanges, elle gêne les
banques, les bourses des valeurs, les gouvernements, et menace l’existence
même du capitalisme. Il n’entre pas dans nos intentions de traiter
l’ensemble de la question qui a déjà fait l’objet-le-nombreux
articles et études dans la presse spécialisée dont
ceux-cités en notes, et auxquels nous renvoyons les lecteurs.
Bornons-nous à quelques observations critiques en rapport avec
nos thèses.
Tout d’abord l’estimation qui fait d’ailleurs l’objet de controverses,
ne comprend que les créances sur les pays en développement,
mais y compris les nations en cours d’industrialisation d’Amérique
du Sud. La dette extérieure des EtatsUnis, pourtant de l’ordre
de 370 milliards de dollars, n’y figure pas ! Il est vrai qu’elle pourrait
être soldée assez rapidement si les Américains déployaient
pour ce faire le centième des efforts qu’ils demandent aux autres.
Seuls sont donc comptabilisés les prêts qui sont considérés
comme présentant des risques de nonremboursement au terme convenu.
Curieuse méthode, on en conviendra, qui est révélatrice
du souci principal des comptablesbanquiers et qui explique les difficultés
de chiffrage. Comme il s’agit de multiples contrats, à court,
moyen ou long terme et qui font intervenir des prêteurs et des
emprunteurs très divers, il n’est pas étonnant que les
montants cités par les différentes sources varient (1).
Mais, comme la discussion ne porte que sur 75 à 80 milliards
de dollars, nous en resterons à l’évaluation ci-dessus
qui nous suffit pour la suite de notre raisonnement.
POURQUOI ?
Bien entendu, tout le monde le sait : parce que les grandes banques
ont intérêt à prêter ! C’est même leur
métier et leur source principale de revenu. Lorsqu’il s’agit
de pays producteurs de pétrole et, dans une conjoncture de hausse
de son prix, à partir de 1973, pourquoi hésiter ? C’est
ainsi que, croyant que cette tendance serait perpétuelle l’on
en vient à des extrémités dangereuses : "...Les
créances des grandes banques américaines sur les pays
d’Amérique latine dépassent actuellement leur capital..."
(2). Malgré les efforts obtenus des citoyens de ces pays, y compris
les plus pauvres (pourtant déjà au seuil de la misère
dans le Nordeste brésilien notamment), ils ne parviennent pas
toujours à payer les intérêts de leurs emprunts.
Dans de nombreuses contrées, le service de la dette coûte
plus que les sommes consacrées aux importations. Lors de son
récent voyage en Argentine, François Mitterrand a fait
part de son inquiétude ; le 8 octobre 1987, à Cordoba,
il a expliqué que le carcan de la dette, écrasant, malgré
le travail et l’investissement dans le pays, peut provoquer une crise
économique, donc une crise sociale, dangereuse pour la démocratie.
Le Brésil, le Mexique, la Corée du Sud, l’Indonésie
sont dans la même situation.
ALORS ?
Une solution consisterait évidemment pour ces pays à décréter
purement et simplement la cessation de paiement. C’est le cas de la
Bolivie depuis 1985 ; et le Pérou a réduit sérieusement
ses remboursements. En février 1987, le Brésil avait décidé
unilatéralement d’arrêter le service de la dette à
long et moyen termes, puis, ensuite, à court terme. De même
pour l’Equateur et Cuba. Tandis que le Zaïre ne remboursait qu’à
hauteur de 10 % de ses exportations (3). Dans le passé plusieurs
nations débitrices sud-américaines s’étaient déjà
trouvées en état de cessation de paiement à la
suite de la "crise" de 1929. Sous le titre "Latin America :
why not default ?" la "Monthly Review", de New-York,
a publié un article d’Arthur Mac Evan à ce sujet dans
son numéro de septembre 1986 (4). Le Professeur d’Economie à
l’Université de Boston examine pourquoi cette mesure ne se répand
pas plus largement. Il cite Anatole Kaletsky (5), selon lequel les tribunaux
américains ou britanniques n’offriraient que des recours très
limités contre un Etat ou une société nationalisée
en rupture de paiement. De même, l’arrêt de tout nouveau
prêt ne serait pas une solution puisque, justement, il en est
déjà ainsi. Enfin, une action militaire paraît peu
vraisemblable pour un tel motif, bien que certains "faucons"
l’aient envisagée.
Les chefs d’Etat de huit pays d’Amérique latine (Argentine, Brésil,
Colombie, Mexique, Panama, Pérou, Uruguay, Venezuela) se sont
réunis à Acapulco (Mexique), les 27 et 28 novembre 1987.
Ils ont adopté un accord ne comportant pas de "décisions
opérationnelles" concernant la dette. Convenant seulement
de se réunir, de nouveau, une fois l’an, afin de tenter de définir
une doctrine latinoaméricaine. En fait, ils ont décidé
de ne pas prendre de décision réelle...
Si les pays concernés n’adoptent pas tous la cessation de paiement,
c’est que malgré, et aussi, à cause, de leur dénuement,
les populations pauvres de ces contrées ne sont pas capables
de mettre en cause le régime économique. Comme de telles
mesures "...sur une grande échelle risqueraient de provoquer
un effondrement du système financier international entraînant
de graves dommages, à la fois au niveau mondial et au sein des
pays défaillants... (4)" les dirigeants qui entretiennent
avec ceux des nations industrialisées de meilleurs rapports qu’en
1930, et qui en sont, en fait, solidaires financièrement, résistent
le plus longtemps possible, au détriment de la population de
leur propre pays. Et nous laisserons, sur ce point, la conclusion à
M. Mac Evan : "Le problème tient à ce qu’il n’existe
pas concrètement d’intérêt national dans une société
de classes. Les intérêts de la classe dominante déterminent
en grande partie les actions menées par un gouvernement sur une
question spécifique. S’agissant du problème des moyens
de rechange pour résoudre la crise de l’endettement, il semblerait
que les programmes orthodoxes mis en oeuvre en Amérique du Sud
servent en fait les intérêts des groupes dominants..."
(4).
NEANMOINS
Le plan Baker (6), soutenu par la Banque mondiale et le Fonds Monétaire
International, qui a été offert au Mexique et à
14 autres pays (lesquels recevront 40 milliards de dollars en 3 ans),
lie cette aide supplémentaire à des incitations à
la croissance et, surtout, à des prix libres et moins d’entreprises
contrôlées par l’Etat avec garantie d’emploi pour le personnel
qu’elles occupent (7). Ce qui met bien en évidence que la dette
est utilisée comme un moyen de pression politique.
Par contre, loin d’exercer de telles pressions, la France et l’Italie
continuent à financer les exportations vers la Libye qui coûtent
pourtant très cher notamment à la COFACE (8). De même,
malgré la décision irakienne de ne payer ses importations
qu’au bout de deux ans (alors que ce pays doit déjà plus
de 30 milliards de francs aux firmes et banques françaises) celles-ci
poursuivent leurs livraisons. Quant au commerce des armes, il se porte
fort bien et entre, pour une bonne part, dans les soldes débiteurs
dont nous parlons. Un sommet d’hypocrisie est atteint par les médias
et les auditeurs et lecteurs qui les soutiennent de leur clientèle.
Parmi ceux qui dénoncent les ventes à l’Irak et l’Iran,
combien accepteraient de devenir chômeurs faute de ces exportations
? Les instituts de sondages, pourtant fort prolixes, se pencheront-ils
un jour sur cette question ? Quoiqu’il en soit, je ne vois, sinon, que
deux façons d’en sortir : ou vendre des armes et des munitions
au Lichtenstein et au Costa-Rica ou passer à l’organisation de
la paix et à l’économie que nous préconisons ici.
POURTANT
Signalons d’étranges pratiques tout-à-fait symptômatiques
des agissements des capitalistes actuels. Vu de manière vertueuse,
il s’agit de transformer les créances douteuses en investissements
productifs (9). Au départ, s’établit un marché
parallèle de rachat des dettes. Une opération multilatérale
s’instaure alors entre une banque créancière, américaine
par exemple, sur un pays comme le Mexique, par exemple, une banque française
intermédiaire, et un industriel également français,
au hasard, Alsthom. La créance étant à 100, elle
vaut 48 sur le marché parallèle. La banque française
la rachète à 47, en devises, à son homologue, heureuse
de s’en défausser. Alsthom la reprend à’ 48, également
en devises, à la banque, qui prélève 1 % au passage.
Comme l’industriel désire installer une usine au Mexique, la
Banque Centrale de ce pays est tenue de racheter cette créance
à sa valeur nominale de 100, en pesos mexicains : Alsthom s’offre
donc son implantation à la moitié de sa valeur ! Tout
le monde est content, sauf les Etats et leurs contribuables, qui supportent
la différence, mais cela n’a aucune importance. Et d’ailleurs,
ils l’ignorent ! Il est entendu que cette affaire est purement imaginaire...
Rien ne s’opposerait évidemment à ce que le racheteur
de la créance soit un riche mexicain ayant fait, autrefois, des
placements sur le marché américain et disposant de devises.
Il aurait fait, lui aussi, un achat de 100 dollars pour le prix de 48.
C’est ainsi que s’effectue, au détriment de l’Etat mexicain,
le rapatriement des fonds placés à l’étranger par
des citoyens qui n’avaient pas confiance dans le peso...
PAR CONTRE
Des solutions plus raisonnables consisteraient en l’adoption
- du G.I.F. (Global Infrastructure Fund), sorte de plan Marshall en
faveur du Tiers-Monde, proposé le 30 avril 1987 par Ronald Reagan
et Nakasone,
- et, ou du projet français prévoyant l’abandon de certaines
créances, qui s’apparente à la demande de moratoire des
24 pays les plus pauvres de l’O.N.U. Soutenu par la Suisse, ce projet
prouverait que les systèmes financiers peuvent supporter le nonrecouvrement
de quelques dettes.
Mais, outre que ces propositions sont partielles, elles sont injustes
pour ceux qui remboursent, elles sont immorales, si l’on peut dire en
cette matière, lorsqu’elles s’appliquent aux capitaux en fuite
des contrées peu développées et, surtout, elles
sont contraires aux règles de la haute banque, ce qui est rédhibitoire
(3). Retenons, quand même, que la production mondiale est capable
de satisfaire les besoins correspondants si l’on tient compte des capacités
non employées et des destructions volontaires de produits. L’inquiétude
des milieux boursiers et financiers est donc assez artificielle. Elle
résulte des réglementations et des mentalités archaïques
façonnées par des siècles de fonctionnement d’un
régime économique tout-à-fait inadapté à
l’état des techniques actuelles. Dans ces circonstances le poids
de la dette n’en est pas moins dangereux. Surtout, et c’est là
qu’il faut insister, il bloque le système en empêchant
les grandes banques de continuer à se livrer, avec ces Etats,
au jeu très lucratif des prêts massifs.
EN OUTRE
Si l’on recherche l’origine des fonds étrangers placés
sur les grands marchés financiers et dans les pays connus pour
être des refuges fiscaux, l’on s’aperçoit en effet qu’ils
proviennent, en partie, des nations endettées. D’après
des recherches de l’Université de Washington, 48 milliards de
dollars ont été expatriés d’Argentine, du Brésil,
du Mexique et du Vénézuela entre 1982 et 1985. Rien que
pour le Mexique, 17 milliards de dollars, à comparer avec sa
dette totale de 98 milliards, seraient entre des mains mexicaines. Selon
une étude du Fonds Monétaire et de la Banque mondiale,
l’hémorragie s’éleverait à 15 ou 30 % de la dette
des pays en développement. "Au lieu de quémander
un nouveau crédit, un rééchelonnement, un don,
ou d’imaginer des combinaisons compliquées pour continuer à
commercer, dit un cadre bancaire parisien, les pays qui se croient insolvables
devraient commencer par conserver chez eux les capitaux qu’on leur envoie,"
(3). Ce cadre ignore évidemment la réflexion de M. Mac
Evan que nous avons citée précédemment, il ne fait
pas la différence entre les riches intérêts financiers
et les pauvres budgets soutenus par les citoyens moyens.
Ce n’est pas sans raisons qu’on a pu soutenir que l’aide aux pays sous-développés
se résume en cette formule : "Ce sont les pauvres des pays
riches qui donnent aux riches des pays pauvres".
DONC
Tant que la démocratie économique, qui ne peut résulter
que d’une économie du type distributif, ne sera instaurée
dans aucun Etat, il est vain de parler d’intérêt national.
Demandons-nous, alors, puisqu’il n’y a pas d’intérêt économique
collectif à défendre, ce que signifient les sommes énormes
consacrées aux armées nationales, européennes ou
atlantiques ? Y a-t-il aussi une vraie politique étrangère
possible ? Nationale, c’est contestable ; européenne, tout démontre
le contraire ; atlantique, ce serait franchement détestable.
Peut-être faut-il combattre pour une culture commune ? Alors,
pourquoi accepter de brader à des collectionneurs japonais des
toiles qui font incontestablement partie du patrimoine culturel de la
France ? De plus, les armements chimiques, bactériologiques et
nucléaires ne sont-ils pas, au contraire, une menace effroyable
pour la culture ?
En réalité l’intérêt général
des humains, c’est la paix. C’est sur cette base solide qu’il faut construire
les institutions mondiales d’arbitrage seules capables de l’assurer.
(1) "Mesurer la dette extérieure des pays
en développement : présentation des différentes
sources d’information". Rachel Weaving Finances et Développement,
mars 1987.
(2) "La lutte d’influence autour de la dette". Paul Fabra,
Le Monde, 8 septembre 1987.
(3) "La gestion de l’endettement : des solutions provisoires"
Michel Herblay, l’Expansion. 15 mai 1987.
(4) Voir la traduction dans "Problèmes Economiques"
du 8 janvier 1987.
(5) "The Costs of Default", 20th Century Fund, New-York, 1985.
(6) Secrétaire d’Etat au Trésor des EtatsUnis.
(7) "Endettement international : pas de solution en vue" D.W.
Heumann, Eurépargne, mars-avril 1987.
(8) Compagnie Française pour le Commerce Extérieur, chargée
de compenser les "risques de change" en faveur des entreprises.
financée par les cotisations prélevées sur les
contrats à l’exportation et. en cas d’insuffisance, par le Trésor
Public...
(9) "Une étrange alchimie" Françoise Crouigneau.
le Monde, 29 septembre 1987.
Il y avait déjà belle lurette que rien
n’allait plus dans la maison de Marianne.
Elle avait voulu en faire un château. Après s’être
débarrassée du Roi, elle avait pris sa place, son palais,
ses habitudes de ne rien faire, de tout faire faire par ses courtisans,
croyant qu’ils étaient ses serviteurs.
Mais les courtisans ne sont jamais que des courtisans, des ambitieux
qui rêvent d’être à la place du roi ou de la reine.
Ainsi, tout doucement, la maison de Marianne était pillée
par les courtisans, chacun prenant tout ce qui lui tombait sous la main.
Faisant semblant de vouloir le polir, en réalité, chacun
s’emparait de quelque valeur qui ne lui appartenait pas, laissait à
sa place un faux-semblant de la chose, sur lequel s’accumulait la poussière
et les saletés car personne ne faisait jamais le ménage.
Depuis déjà longtemps, Marianne rongeait son frein, du
haut de son piédestal, dans la grande salle des pas perdus, l’ancienne
salle du conseil de la République.
A force de ronger son frein, elle finit par devenir rouge de colère,
et en 81, elle descend de son piédestal, bat le rappel des vieux
grognards, ceux qui rouspètent toujours. parce qu’ils font les
plus sales boulots, mais qui les font quand même.
Il y en avait un parmi eux, un peu plus vieux que les autres, qui paraissait
être leur chef. Il était déjà bien fatigué
; ses oripeaux étaient vieillis, salis par les ans et les sales
boulots, passés au soleil et à la pluie, ce qui avait
été bleu virait au marron, le blanc était devenu
grisâtre, le rouge n’avait plus de couleur. En outre, ils étaient
un peu bouffés par les mites. à force d’avoir été
enfermés dans le vestiaire de la salle d’attente, de sorte que,
un peu par dérision, un peu par affection, tout le monde se mit
à appeler ce vieux grognard "TONTON MITTE".
Marianne le fit sortir du rang, le nomma officiellement chef des vieux
grognards et, pour bien faire voir qu’elle faisait la distinction entre
le chef et les autres, ceux du rang, elle commanda, haut et fort "Mitté
et Rang, vous me ferez le ménage et mettrez de l’ordre dans la
maison : que tout soit net et propre. N’hésitez pas à
jeter tous ces vieux faux semblants poussiéreux qu’on a mis à
la place des valeurs qui ont disparu. Tâchez d’en trouver d’autres,
vraies, pour les remplacer".
Là-dessus, Marianne remonte sur son piédestal, dignement,
comme il sied à une Reine, croyant. bêtement, comme une
Reine, que tout va se faire sans elle, qu’il suffit de donner des ordres
! Manque de pot, Marianne n’est pas une Reine. C’est même tout
le contraire d’une Reine, c’est une fille du peuple qui a foutu la royauté
en bas du trône... C’était fatal que ça tourne mal.
Rien ne peut se faire sans mettre la main à la pâte. Faut-il
qu’ils soient bêtes, le peuple et elle, pour s’imaginer que tout
peut se faire sans eux, qu’il n’y a qu’à nommer des chefs, des
responsables, et puis se rendormir ou remonter sur son piédestal
!
Des responsables ? de quoi ? de qui ? de ceuzes qui rêvent, qui
croient au Père Noël, qui les ont nommés responsables
pour se débarrasser eux-mêmes de ce qui les emmerde ?
Un beau jour, voyant que rien n’avait changé, que la poussière
continuait à s’accumuler sur les vieux faux-semblants qu’on avait
mis à la place des vraies valeurs, Marianne, qui n’en pouvait
plus, descend à nouveau de son piédestal, pousse une gueulante
et fout tout le monde à la porte. Tout le monde, sauf le vieux
TONTON MITTÉ, eu égard à son âge, quoiqu’il
l’aurait bien mérité aussi ; enfin, bref. Ce qui devait
arriver arriva. A force de gueuler, Marianne attire les grandes gueules.
Parmi elles, il y a un jeune loup qu’en a une encore plus grande que
les autres. Fatalement, comme il gueule plus fort, c’est lui que Marianne
choisit. Se prenant toujours pour une Reine, après avoir confié
au jeune loup le soin de faire le ménage, elle remonte sur son
piedestal, comme si de rien n’était, attendant que "les
autres" fassent le boulot pour elle.
Elle, elle se contente de dire au vieux TONTON MITTÉ : "Tu
t’es foutu de moi, ben tu vas en chier ! Tu vas raquer’ ! Chie et raque
! ! Chie-Raque, Chie-Raque ! ! Elle crie ça à tout venant,
d’un bout à l’autre du pays, et tout le monde de reprendre en
choeur, à tue-tête, comme un écho cent fois amplifié
"Chirac... Chirac... Chirac..." Quoique peu de personnes s’en
doutent, il y a une sorte de vérité cachée par
la justice immanente qui fait que les mots expriment en secret, pour
les seuls initiés. et en clair. ce qu’ils cachent aux autres.
Mitté et Rang étaient, par avance, tout comme Chie et
Raque, porteurs des tares dont leurs noms sont teintés.
Comme il fallait s’y attendre, tout un chacun en chie et raque et, dans
son inconscience habituelle, s’en plaint à Marianne, la pauvre
petite fille des rues qui se prend pour une Reine.
Du coup, elle a presque envie d’essayer de rappeler les vieux grognards,
vu que, même s’ils grognent toujours, ils sont toujours prêts
à remettre ça.
Pourtant, prise d’un doute, Marianne décide de réfléchir
un peu.
Sans descendre de son piédestal, sans faire un geste, elle jette
un coup d’oeil par la fenêtre, dans sa cour, histoire de voir
un peu ce qui se passe chez les gens de cour, ses courtisans. Elle n’en
croit pas ses yeux. D’un train d’enfer, ils mènent, tous ensemble,
une ronde infernale.
Le vieux Tonton-Mitté, coiffé d’un bonnet blanc, et le
jeune loup, portant un blanc bonnet pédalent à toute vitesse
sur un tandem, tournant en rond, en se jetant des regards mauvais. Chacun
fait semblant de croire que son bonnet est le plus haut et le plus blanc,
donc le véritable couvre-chef.
Ils tournent en rond sur leur tandem, comme au cirque, et, comme au
cirque, ils sont accompagnés d’une troupe de trompettistes qui
font beaucoup de bruit, à la gloire des vedettes, prétendant
que c’est de la musique.
Comme au cirque, les deux vedettes se font des grimaces et des pieds-de-nez,
font semblant de se quereller, de se menacer, de se battre.
En vrai, les deux vedettes s’amusent comme larrons en foire, ne se sentent
plus de joie, ivres du son des trompettes. On ne sait si c’est elles
qui les entraînent ou le contraire.
Mais ces deux princes fous sont en train, sans s’en rendre compte, à
force de tourner en rond, de creuser avec leur troupe de trompettistes,
une ornière qui s’approfondit de plus en plus et va bientôt
les engloutir tous.
Marianne, perplexe, se demande si elle doit s’inquiéter ou se
réjouir. Sûr, ni l’un ni l’autre ne feront jamais le ménage
dans la maison. Et après ? Ne fallait-il pas s’y attendre ? Ont-ils
jamais cherché autre chose que les honneurs et la gloire pour
eux-mêmes ? Ne se sont-ils pas toujours foutu d’elle ? Alors où
est le malheur ? Le malheur, Marianne commence à en douter.
Marianne commence à douter de tout, même d’elle-même.
Pauvre Marianne. Est-elle vraiment reine ?
Suffit-il qu’elle se regarde le nombril dans le grand miroir aux alouettes
qu’elle a fait placer, pour sa propre gloire, dans la grande salle du
Conseil ; ce grand miroir surmonté d’un frontispice où
figurent les mots ’’LIBERTE-EGALITE-FRATERNITE", suffit-il qu’elle
se regarde pour que cela soit réellement ?
Ne faudrait-il pas qu’elle s’en occupe elle-même ? Qu’elle descende
de son piédestal, qu’elle retrouve sa rue d’origine, qu’elle
redevienne la fille de joie qu’elle était jadis, afin que la
joie soit ? Qu’elle retrousse à nouveau ses manches au lieu de
retrousser ses jupes, comme elle le fait depuis qu’elle s’imagine être
reine ?
Marianne commence à douter aussi du Père Noël. Comme
à regret, Marianne semble sortir de son long sommeil, et descend
dans la rue. Nous sommes le 20 juin 1789, pardon, 1987. Curieux anagramme
de chiffres !
La longue étude de René Marlin "Consommateurs
de tous les pays, unissez-vous !" (1) nous apporte beaucoup de
renseignements mais contient aussi quelques affirmations contestables.
Pour René Marlin, la transformation des aliments par l’industrie
semble aller de soi. Cette transformation est effectivement heureuse
lorsque le produit obtenu maintient ou améliore la santé
du consommateur. Ce n’est pas toujours le cas. L’abandon pur et simple
des fabrications néfastes ou inutiles, très nombreuses,
épargnerait bien davantage de travail que leur automatisation,
sans parler des progrès de la santé générale.
Les résultats obtenus par les gens qui s’efforcent d’éliminer
tout aliment douteux le prouvent amplement. Et parmi les aliments douteux
figurent aussi les produits de l’agriculture chimique. Nous avons même,
à leur égard, plus que des doutes !
Bien sûr, la vie repose sur de la chimie, mais elle n’est pas
que cela. Et pas n’importe quelle chimie !
Les grandes épidémies ont disparu de nos pays. Mais elles
ont été remplacées par les maladies dégénératives
: allergies, arthroses, cancers, maladies nerveuses et surtout cardio-vasculaires...
sans oublier le SIDA. Et leur essor coïncide bizarrement avec celui
de l’agrochimie...
A l’actif de la chimie agricole figurent les records de production.
Mais à quoi bon si ces records s’accompagnent d’une série
de traitements dangereux ; si leur durée même n’est pas
garantie ? Car les rendements augmentent avec l’emploi des engrais chimiques
jusqu’à un certain point. Ensuite, ils deviennent stationnaires,
puis commencent à baisser. Et que dire de la pollution des eaux
par les nitrates ? de la ruine de l’outil de travail, de la disparition
de l’humus, sans lequel il n’est plus de sols ? Ravins d’érosion
de plusieurs mètres, non pas en région tropicale, mais
dans le Nord de la France, département pionnier en matière
d’agriculture "moderne" (2)...
Substance noirâtre issue de la décomposition des matières
organiques, l’humus est le matériau indispensable à la
fertilité d’un sol et à la qualité de ses produits.
Un sol fertile est un organisme vivant et doit être traité
comme tel. Il ne saurait davantage se réduire à la fameuse
trilogie NPK (azotephosphore-potasse), ensemble d’éléments
majeurs, certes, mais qui ne saurait faire oublier les autres minéraux,
y compris les nombreux oligo-éléments. Ces derniers agissent
en quantité très faible, mais leur absence peut entraîner
de graves perturbations chez les plantes, les animaux et les humains.
La découverte ne fait sans doute que commencer. Mais on a déjà
identifié un certain nombre d’éléments protecteurs,
par exemple : silice, cuivre, magnésium, etc...
Dans le numéro spécial de "Science et Avenir",
"La ferme de l’An 2000", le Docteur C. Rouaud déplore
la carence de ce dernier dans les sols. Or, elle le cite comme un élément
protecteur essentiel... Ce qu’avait montré Delbet il y a déjà
longtemps. L’équilibre minéral suffirait-il à maintenir
la santé ? Les recherches ultérieures le diront. Mais
il apparaît déjà comme une condition indispensable.
Il faut partir de l’observation de la nature : en l’absence de tout
traitement, on constate la présence de végétaux
indemnes, à côté d’autres attaqués par les
maladies ou les parasites. Certaines plantes bénéficient
effectivement d’une résistance naturelle, qu’elle soit due à
l’équilibre minéral ou à d’autres facteurs. C’est
à partir de ces plantes qu’on a pu créer des lignées
résistantes par sélection et hybridation. Ces techniques
représentent donc un progrès lorsqu’elles ne s’appliquent
pas au seul rendement. De même, la chimie a sa place dans l’analyse
comparative des plantes saines et des plantes malades, comme dans celle
des sols. C’est ainsi que, sans exclure d’autres méthodes d’analyse,
elle servira l’essor d’une agriculture vraiment moderne.
Et les machines ? Bien sûr, elles ont permis une accélération
de la productivité. Mais, selon les agriculteurs, les journées
de travail sont à peine moins longues : l’exode a dépeuplé
les campagnes et il faut rester là pour servir les machines !
Seuls, les grands céréaliers qui ont abandonné
l’élevage et exploitent quelques centaines d’hectares connaissent
vraiment les loisirs, sans parler d’un revenu confortable. Evidemment,
il s’agit davantage d’organisation sociale que de méthodes agricoles.
Mais que ce soit l’une ou les autres, il faut relativiser une fois de
plus ces progrès de la productivité. Pendant que les grands
exploitants s’enorgueillissent de leurs machines, il en est un qui rigole
bien dans sa petite ferme du Japon (encore lui !). En s’abstenant de
tout labour depuis plus de 25 ans et avec 10 jours d’arrosage, il récolte,
affirmet-il, 59 quintaux/hectare de riz et 59 de céréales
secondaires (et même, parfois, 78 quintaux !). Pour fertiliser,
il fait pousser une légumineuse en couverture du sol, le trèfle
blanc, remet la paille battue sur les champs et ajoute un peu de fumier
de volaille. Cet homme, c’est Masanobu Fukuoka (3). Lé travail
se réduit pratiquement aux semailles, à là moisson
et au battage. Et il peut être encore réduit en mécanisant
ces opérations, même sommairement (pas de repiquage).
Il reste à savoir dans quels pays on peut utiliser la méthode
de Fukuoka. Mais elle laisse pantois : de quel côté est
le progrès ? Car ces plantes ne sont guère sujettes aux
attaques.
Cette méthode peut être rangée dans l’Agriculture
biologique.
L’AGRICULTURE BIOLOGIQUE
Nous avons déjà fait une série d’article là-dessus
il y a quelques années. Il est bon d’y revenir. Les disciples
de Jacques Duboin doivent savoir reconnaître le vrai progrès.
En dehors de celle de Fukuoka, il existe plusieurs méthodes.
Mais elles reposent toutes sur le rééquilibrage du sol
par des amendements naturels (poudre de roches, algue calcaire lithothamme,
sable, argile...), l’enrichissement du sol en humus par le compostage
en tas ou en surface de tous les déchets organiques, l’utilisation
des engrais organiques et des engrais verts (végétaux
cultivés pour être incorporés superficiellement
au sol).
Les traitements chimiques sont limités aux moins nocifs et, si
possible, évités, de même que les engrais trop solubles
(certains engrais naturels doivent être employés avec prudence).
Il s’agit de faire pousser des plantes assez robustes pour se défendre
toutes seules et apporter la santé aux animaux et aux humains
qui s’en nourrissent. Ce n’est pas toujours facile. Nous en savons quelque
chose ! Des problèmes subsistent, surtout pour les fruits (mais
la solution est peut-être dans la création de variétés
résistantes). Il reste encore beaucoup à découvrir.
Mais de l’autre côté, c’est l’impasse totale : plantes
et animaux affaiblis, parasites résistants, sols ruinés,
comme la santé des consommateurs. Tandis que plusieurs personnes
ont déclaré avoir rétabli ou amélioré
leur santé rien qu’en mangeant les produits de leur jardinage
biologique. Les rendements de l’agrobiologie peuvent être inférieurs,
tout en restant suffisants. Ils sont souvent comparables ou même
supérieurs et pas seulement chez Fukuoka. Les agriculteurs du
Burkina Faso (l’ancienne Haute-Volta) ont décelé la nocivité
des engrais chimiques plus vite que les Européens et un vaste
programme d’expérimentation et d’enseignement des méthodes
biologiques a aussitôt été mis en place à
la suite de l’expérience de Pierre Rabhi à Gorom-Gorom
(4). Voilà pour la faim dans le Monde... Espérons que
le nouveau Gouvernement du Burkina Faso continuera l’expérience
et l’enseignement.
(N.B. : nous donnons une fois pour toutes à "biologique" le sens de "logique de la vie" ou "conforme à cette logique").
P.S. : c’est pour l’Economie Distributive : il ne s’agit
plus de savoir si on y viendra ou non, mais quand et comment.
En Economie Distributive, l’Agrobiologie constituerait la base d’une
politique générale de santé : la véritable
prévention, avec la pureté de l’eau et de l’air !
Plongez-vous dans le livre de Fukuoka : il se lit comme un roman ! (malgré
quelques imprécisions parfois).
Associant le meilleur de la tradition aux découvertes les plus
récentes, l’agriculture biologique est la véritable agriculture
scientifique et non une méthode passéiste. Curieusement,
Fukuoka l’oppose à l’agriculture scientifique, alors que sa propre
démarche est beaucoup plus rationnelle.
(1) G.R. n’ 856, de mai 1987
(2) Science et Avenir, de février 1983
(3) Voir "La Révolution d’un seul brin de paille".
de G. Trédaniel, édit. de la Maisne.
(4) Voir "Nature et Progrès", de septembre 1987.
Lectures
Appel au sacrifice, aux privations, sévère
sélection universitaire, les jeunes dirigés de préférence
vers l’usine à 16 ans avec la moitié du SMIC, abaisser
le pouvoir d’achat en prévision de l’échéance européenne
de 1992, taxer ceux qui profitent de la richesse en rentiers, haro sur
les fonctionnaires, halte aux vues démagogiques prêchant
la culture pour tous, tels sont les points forts du discours d’Alain
MINC, interrogé par Yves MONTAND à propos de son livre
(2).
A. Minc reproche à la classe moyenne de préférer
la consommation à l’investissement, le crédit à
l’épargne, de prêter une oreille complaisante aux sirènes
de la publicité, de vivre au-dessus de ses moyens. Pour un peu,
le salarié serait ce pelé, ce galeux d’où viendrait
tout le mal, cessant de revendiquer, installé dans son chômage
comme un coq en pâte. Une sorte de réécriture du
"Toujours plus" de F. de Closet. Rien, en revanche, sur les
hauts financiers jouant à qui perd gagne sur les marchés
boursiers avec l’argent rafflé à travers les prix ; rien
sur les innombrables parasites vivant en marge du travail productif,
encombrant les canaux, les circuits de la distribution ; rien sur les
grands prédateurs de l’épargne.
Il s’acharne sur le monde des petits fonctionnaires. Il en est, certes,
qui semblent vraiment inutiles. D’autres ont pour mission de traquer
les fraudeurs, de harceler le contribuable, de contrôler, de sanctionner.
Mais que sont leurs minuscules avantages comparés aux gains fabuleux
des vedettes du cinéma, de la télévision, de la
chanson, du sport, à ceux des publicistes cousus d’or ? Que pèsent-ils
au regard des revenus des trafiquants de tout poil, des arnaqueurs,
des escrocs, des braqueurs ? A quoi riment de tels écarts dans
les rémunérations ? Taxer les rentiers ? Alors qu’attend-on
pour taxer les plusvalues boursières, les souscripteurs de l’emprunt-or,
les membres des conseils des grandes sociétés, les gagnants
du loto, des cercles de jeux ? N’oublions pas les rentes de situation
: les monopoles, les "marques", les importateurs de produits
sud-asiatiques "travaillant" jusqu’à 1200 %. Continuons
par les rentes immobilières, celles des locations de bureaux,
de locaux commerciaux, etc...
Il faut ; déclare A. Minc, réduire le nombre des étudiants,
ajoutant que la scolarité obligatoire jusqu’à l’âge
de 16 ans fabrique des chômeurs. Singulière façon
de retourner les données du problème ! Une culture générale
n’est jamais inutile. Pourquoi en priverait-on la grande masse des salariés
? On discerne le genre de société souhaité par
Minc : un peuple d’ilotes travaillant pour assurer le confort de clans
privilégiés en raison de leur fortune, les avantages étant
fonction du revenu.
On retrouve ici l’idéologie libérale dans ce qu’elle a
de plus vicié : l’inégalité légitimée
par le gain. Un socialisme à monnaie de consommation procède
de l’inverse, accordant les avantages, la considération, le revenu,
à la qualité du travail, à la compétence,
aux responsabilités dé .la fonction, à la qualification,
à l’efficacité sociale de l’individu ou d’une équipe.
Un tout autre monde que Minc a choisi d’ignorer. Qui a jamais prôné
l’égalitarisme ? En le prenant pour cible, A. Minc enfonce une
porte ouverte ; ce n’est pas sur ce terrain qu’il lui faut espérer
se signaler par quelque originalité... Autre idée non
moins rabâchée : le partage du travail associé au
partage des salaires. Du moins cette solution simplette au problème
du chômage a-t-elle le mérite de libérer l’employeur
de tout souci. Partager le travail restant utile et nécessaire,
après élimination des emplois parasites, inutiles, nuisibles
ou futiles, accroîtrait l’espace de liberté au sein des
activités du temps de loisir, infiniment plus nombreuses et variées,
source d’enrichissement de la personne, de satisfactions pour soi-même.
Mais pourquoi lier cette diminution du temps de travail à une
perte de revenu, à une baisse de pouvoir d’achat comme si le
potentiel de production, l’immensité des stocks, ne suffisaient
pas à approvisionner les besoins des salariés à
leur taux actuel, ceux des retraités du temps de leur dernière
période d’activité ? En menant combat contre l’abondance,
le système du profit assume la pleine responsabilité d’une
situation aberrante, les fruits d’un siècle de progrès
technologique et scientifique, de la mise en oeuvre de quantités
fantastiques d’énergie multipliant l’effort humain, gaspillés
ou détruits : le travail prostitué au service d’un himalaya
d’inutilités. Ni Alain Minc ni ses pareils, socialistes ou libéraux,
nourris aux "idées reçues", incapables de s’en
libérer, ne semblent conscients de la nécessité
de dissocier les revenus de la durée de l’emploi. N’apparaît-il
pas évident que la machinerie financière s’est détraquée,
aux prises avec les crues de production, empêchant la consommation
de s’ajuster à un niveau de production en constante et rapide
progression ? Que le système du profit a plongé le monde
dans un redoutable merdier duquel il émerge seulement à
la faveur des guerres, leur préparation, et leurs séquelles
? Qu’il faut, enfin, changer la règle du jeu, en évacuer
le profit, ôter à la monnaie son caractère transférable,
origine de la plupart de nos maux ? Se priver ? Se sacrifier ? Afin
de garantir à des clans fortunés le privilège de
puiser dans le flux monétaire, de quoi former, aux dépens
du troupeau des malchanceux, des revenus de nabab ? Les sociétés
ont besoin, avant tout, de se libérer du joug qu’elles subissent
de la part du petit monde de l’argent, seul obstacle à une révolution
monétaire. Atteints de cécité, ces gens de finance
et la cohorte de leurs conseillers récusent cette autre révolution
qui gronde à leurs pieds, dont ils préparent le lit et
qui, un jour, balaiera leurs appropriations. Inconscients de la menace
qui pèse sur leurs biens, voire sur leur personne, ils ont choisi
de se noyer plutôt que de saisir la bouée qui leur est
tendue.
(1) Ed. du Seuil, Alain Minc
(2) Figaro Magazine (octobre 87)