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AED _Archives_ Articles > N° 830 - janvier 1985

 

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N° 830 - janvier 1985

Vœux   (Afficher article seul)

Compétitivité ou convivialité ?   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

America, america   (Afficher article seul)

La gauche en décomposition   (Afficher article seul)

« 1985-2000 : Le Futur Aujourd’hui »    (Afficher article seul)

La carte de paiement à mémoire   (Afficher article seul)

Cacophonie et désarroi   (Afficher article seul)

Détruire ou distribuer ?   (Afficher article seul)

Les premières théories socialistes   (Afficher article seul)

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Vœux

par A. CHANTRAINE
janvier 1985

Les années passent vite, trop vite... La pensée demeure et les tristes souvenirs ne peuvent s’effacer. Les mières, les conflits et les guerres continuent à régner sur toute la planète.

Ni les chefs d’état, ni les innombrables organisations n’arrivent à réorganiser une société désaxée par les faux plaisirs et conditionnée aux inégalités criantes. Dans ces moments très difficiles, il est réconfortant de rencontrer de vrais amis qui œuvrent pour la solidarité et l’évolution de la pensée réfléchie. Cela est une prodigieuse satisfaction et un bonheur que l’on ne peut comparer à nul autre.

À tous et à toutes, je vous adresse mon message d’amitié et de réconfort avec mes vœux pour que nous puissions voir s’instaurer dans l’année à venir des actions certaines de Solidarité, de Justice et de Paix.

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Compétitivité ou convivialité ?

par M.-L. DUBOIN
janvier 1985

Les voeux qu’exprime Albert Chantraine sont ceux de toute l’équipe de la Grande Relève, unie avec ses lecteurs pour lutter pour un monde meilleur parce que ce monde est enfin possible, même si trop peu de gens en ont pris conscience.
On aimerait, quand commence une nouvelle année, trouver dans l’actualité au moins l’ombre d’une vague perspective qui ferait entrevoir ne fut-ce qu’un soupçon d’espoir d’une petite évolution de nos responsables, dans le bon sens... Hélas, quelle rage de voir que nos gouvernants, non seulement suivent une politique qui est à l’opposé du socialisme à la Française qu’ils promettaient avant 1987, mais, et c’est bien plus grave, font l’apologie de toute une idéologie arriviste dans laquelle l’idéal est de gagner de l’argent, n’importe comment et à n’importe quel prix, fut-ce au mépris de l’homme. Jean Malrieu dénonce dans nos colonnes l’évolution du Nouvel Observateur qui après avoir été le porte parole de ceux qui rêvaient d’un changement vers un monde plus convivial, donc véritablement socialiste, exalte aujourd’hui cette sordide mentalité de la loi du plus fort, comme dans la jungle.
Parvenu au pouvoir, porteur de tant d’espoirs, le parti socialiste se devait d’utiliser tous les moyens, qui lui étaient donnés, pour tenter de « sortir du capitalisme en crise », comme il l’avait annoncé dans son projet socialiste qui précisait  : « il ne s’agit pas pour nous d’aménager le système capitaliste mais de lui en substituer un autre ». S’il avait été alors démontré que ceci était rendu impossible par la coalition parfaite ( ???) de tous les autres pays refusant désormais (contre leurs propres intérêts commerciaux), tout échange avec nous, alors on aurait compris que le PS changeât sa stratégie, qu’il entreprît de préparer, d’abord, par exemple, avec ses partenaires européens en proie à la même crise, une sortie concertée de cette crise. Mais sans trahir l’idéal de tous les hommes et les femmes de bonne volonté qui n’aspirent qu’à vivre ensemble le plus convivialement du monde.
Au lieu de cela, on assiste à un veule suivisme de l’idéologie dominante, parce qu’agressive. On continue à élever chaque enfant dans une certaine idée du monde, à lui apprendre qu’il doit montrer qu’il est le meilleur en prenant, en toute circonstance, la première place. On présente les Etats-Unis comme le modèle de la réussite économique, en oubliant que ce grand pays a retardé autant qu’il l’a pu l’acheminement de vivres vers ceux qui mouraient de faim en Ethiopie, parce que l’Ethiopie a un gouvernement marxiste. Enfin en France même, face à la montée du chômage et de la pauvreté qui en est la conséquence logique, les médias n’imaginent pas d’autres remèdes que l’appel à la charité que lance l’abbé Pierre. Les médias amplifient cet appel, mais cela ne remet rien en cause. La charité a existé de tout temps, elle soulage mais elle ne résout rien. Ce grand élan de solidarité soulevé par l’abbé Pierre prouve au moins que l’homme peutêtre sensible à la misère d’autrui et donc qu’il est un être sociable. Mais nous ne sommes plus au Moyen-Age. Nous avons, au XXe siècle, d’autres moyens que la charité pour assurer l’épanouissement de tous. Ce n’est pas par des aumônes que nous résoudrons les problèmes de société dans les pays industrialisés et à plus forte raison, ceux du Tiers-Monde. Ce n’est pas en développant l’assistance que nous évoluerons vers la société sans pauvre QUI EST POSSIBLE !

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Au fil des jours

par J.-P. MON
janvier 1985

Bhopal (Inde) : 2500 morts, des milliers de blessés dont beaucoup resteront peut-être aveugles. Nous avons tous vu ces images tragiques à la télé. Ces morts, ces blessés d’un pays en voie de développement ne font que s’ajouter à la longue liste des victimes du capitalisme sauvage. En Inde, l’usine qui utilisait l’isocyanate de méthyle, gaz responsable de la catastrophe, sera définitivement fermée. En France nous avons aussi une usine qui manipule ce gaz pour fabriquer des pesticides essentiellement utilisés pour combattre les parasites des betteraves. Et cette usine, elle est située près de Béziers, c’est-à-dire loin des régions d’utilisation du pesticide en question. Pourquoi ? Parce que les élus locaux se sont démenés pour que Union Carbide, le producteur américain d’isocyanate de méthyle, installe son usine dans leur région pour créer des emplois. Et que croyez-vous qu’il se passe après le petit frisson d’horreur indienne ressenti à Béziers comme ailleurs  ? Eh bien, les syndicats CFDT et CGT ainsi que le personnel de La Littorale (c’est ainsi que s’appelle l’usine en question) s’opposent aux écologistes qui souhaitent l’arrêt de l’utilisation de l’isocyanate de méthyle et la reconversion de l’usine. Une telle catastrophe, ça n’arrive qu’aux autres ! Nous, on n’est pas sous-développés et on sauvegarde nos emplois. Il n’y a que ça qui compte. C’est d’ailleurs le même raisonnement qui conduit ces mêmes syndicalistes à travailler dans des usines d’armements et à manifester... pour la paix !

Mais ça n’est pas pour autant une raison d’approuver les idées du patronat sur la « flexibilité » de l’emploi. Comme si en licenciant plus facilement on pouvait créer plus d’emplois ! Faut vraiment être naïf pour croire une telle énormité, même si elle est parée des plus belles plumes technocratiques. Il est vrai que depuis quelque temps l’entreprise et le patronat deviennent en France les enfants chéris des socialistes. Témoin, entre autres, cette déclaration de M. Rocard à la Convention Nationale du PS qui s’est tenue à Evry les 15 et 16 Décembre derniers : « Si le combat des socialistes a commencé contre les patrons, aujourd’hui la réalisation de leurs espérances sociales dépend de la vitalité de l’esprit d’entreprise » et il a ajouté que les socialistes devaient admettre que l’écrasante majorité des hommes travaillent pour de l’argent. Hélas, trois fois hélas, c’est là l’échec le plus cuisant que l’on doit reprocher aux socialistes. Ils avaient le droit, dans un environnement mondial hostile et en crise, de perdre la guerre économique au sens capitaliste, mais ils n’avaient pas le droit de perdre la guerre culturelle. Et c’est ce qu’ils ont fait en voulant prouver qu’ils savaient gérer aussi bien que la droite.

Outre-Rhin l’image du patronat traverse une bien mauvaise passe : des enquêtes effectuées depuis la fin des années 70 par le fisc ont révélé au public tout un écheveau compliqué de relations financières liant directement les firmes aux milieux politiques dont personne ne soupçonnait l’importance. Actuellement plus d’un millier de procédures judiciaires sont en cours aussi bien contre des personnes que contre les plus grandes sociétés du pays accusées d’avoir versé des fonds illicites aux partis, généralement aux partis conservateurs. Les inspecteurs des impôts ont mis à jour de véritables sociétés secrètes qui agissaient en sous-main avec des pouvoirs exorbitants, telles que, par exemple, la Staatsburgerliche Vereinigung qui, sous couvert d’une association pour la défense de l’économie de marché, centralisait les donations d’une cinquantaine des plus grosses entreprises bancaires et industrielles de la R.F.A. Et on retrouve sur le même banc des accusés deux anciens ministres libéraux de l’économie et l’ex-fondé de pouvoir du groupe Flick, accusés de corruption. Faut-il rappeler que le groupe Flick a largement bénéficié sous le IIIe Reich de ses relations privilégiées avec le régime nazi. Même si le groupe Flick est un cas extrême, comme le souligne un député social-démocrate, «  jamais dans l’histoire contemporaine allemande, le patronat ne s’est situé du côté de la démocratie ». De telles réflexions pourraient peut-être inspirer les socialistes français ?

Certains parmi eux ont pourtant de bonnes idées. C’est ainsi que Mme Neiertz, porte-parole du groupe socialiste, a déclaré que de nombreux députés socialistes souhaitent que soit créée une nouvelle allocation constituant « un minimum social garanti » qui permettrait de trouver dans les prestations sociales un moyen de prendre en compte les cas les plus dramatiques de privation d’emploi ou de ressources. Evidemment, ça serait un début. Inutile de rappeler que, pour nous, ce qu’il faut c’est un revenu maximum garanti à tous. Mais pour ça, il faut d’abord changer les mentalités et ce n’est pas à cela que les socialistes s’emploient (voir plus haut).

Certains rocardiens s’interrogent « sur ce qui sera l’un des problèmes fondamentaux des années à venir, celui du partage du travail. Face à une mutation technologique qui fait désormais croitre la productivité plus rapidement que la production, ce partage est inéluctable. Il pose des problèmes redoutables pour les travailleurs (quelle compensation salariale ?) comme pour les entreprises (comment ne pas affecter la production et les coûts ?). Examiner les solutions à apporter, prendre en compte la formidable évolution sociale qui peut en découler (quels loisirs, quelle démocratie nouvelle seront possibles ?) marque une avancée importante dans la pensée des socialistes.  »

C’est, bien sûr, encourageant pour nous mais encore faudrait-il aller plus loin. Pour cela je suggère à ces militants du PS de lire « Les Affranchis de l’An 2000 » de M.L. Duboin et de faire évaluer par les économistes et les statisticiens officiels les implications, financières de cette nouvelle société.

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America, america

par A. PRIME
janvier 1985

Après la réélection « triomphale  » (60% des voix) (1) de Ronald Reagan, ce n’est évidemment pas avec l’enthousiasme du jeune héros du film d’Elia Kazan que nous poussons ce cri. L’Amérique de Reagan, il est vrai, n’a pas grand chose à voir avec celle de 1896, époque à laquelle Kazan situe son histoire.
Il nous a semblé important, à l’aube de ce nouveau quadriennat du plus que septuagénaire Président-cowboy, de faire le point sur « son » Amérique. Elle est en effet le plus puissant pays de la planète : son PNB représente le quart du PNB mondial et elle consomme le tiers de l’énergie mondiale. Politiquement et économiquement, socialement, militairement, où en sont les USA ?
" A tout seigneur, tout honneur : Reagan - « Vous n’avez encore rien vu » : C’est par ces mots qu’il terminait son allocution à ses partisans au soir de son élection. Ceux-ci l’avaient accueilli aux cris de « quatre ans de plus ». Notre travail n’est pas fini ; il reste encore beaucoup à faire... La reprise économique sera pour tout le monde », avait dit Reagan.
" Sur Antenne 2, le lendemain, Delors, ne semblait pas lui faire écho en répondant aux questions de Christine Ockrent. Il disait en substance que la « reprise » américaine ne l’épatait pas, qu’elle était basée sur une politique financière discutable, sinon douteuse, que la France ne pouvait se permettre, comme les USA, de combler son déficit commercial par la « planche à billets », bref, que nombre de Français seraient moins enthousiastes s’ils étaient mieux éclairés sur l’économie américaine...
" Le même soir, l’éditorialiste du Monde écrivait  : « Le complexe militaro- industriel, dont le poids dans la reprise américaine est considérable, ne jouera certainement pas dans le sens d’une reprise des négociations sur la limitation des armements... Le Président paraît de plus en plus convaincu de la nécessité de mettre en place un réseau d’antimissiles, le programme dit de « la guerre des étoiles »... Les Américains ont consacré le pouvoir d’un homme pour qui l’égoïsme sacré est un élément constitutif du patriotisme - l’Europe n’a donc a en attendre aucune espèce de cadeau ou d’attention particulière. Demain, comme hier, elle sera entendue à la seule mesure de sa force et de sa résolution ».
" Enfin - c’est le plus important - Reagan à peine confirmé dans son fauteuil présidentiel, les chiffres se mettent à parler, confirmant un ralentissement marqué de l’économie américaine : le taux de croissance du PNB, qui était de 10,1 au 1er trimestre 1984, tombe à 7,1 au 2e trimestre et chute à 1,9 au 3e. Passager ? Voire...
Essayons d’analyser. Pendant sa campagne électorale de 1980, Reagan, entouré de « monétaristes », avait promis d’éliminer le déficit budgétaire, de réduire les impôts, de limiter au strict minimum l’intervention de l’Etat. Or pendant les deux premières années, sa politique économique a plongé l’Amérique dans la pire récession qu’elle ait connue depuis la guerre : chute (2) de la production, augmentation du chômage. On a alors voulu faire croire que c’était l’étape nécessaire pour qu’apparaissent enfin le ciel bleu et la prospérité  ; à preuve un élément significatif la réduction de l’inflation (à quel prix !). Le marasme persistant - sans le crier sur les toits, bien sûr - changement radical de politique  : on passe du monétarisme et de l’ultra-libéralisme à un keynésianisme non avoué, à une intervention de l’Etat. Essentiellement :
1) les crédits militaires connaissent une progression fantastique, passant de 5,2 à 8,5 % du PNB : cela représente un nombre considérable de milliards qui relancent la machine économique ;
2) l’Etat intervient massivement par des subventions qui jouent le même rôle et contribuent à créer un déficit budgétaire colossal. C’est qu’en effet, le Président américain ne bénéficiant pas de la durée d’un septennat, il fallait tout faire pour assurer un deuxième mandat ; après on verrait. (Puisqu’on « n’a encore rien vu » !).
Nous, qui sommes moins optimistes que Reagan, que « voyons-nous  » ? (avec de nombreux économistes, du reste)
" Le déficit budgétaire - qui devait être résorbé en 1984 - atteint des chiffres jamais vus : 195 milliards de dollars en 1983 ; 200 ou plus en 1984. 6 % du PNB (que sont nos malheureux 3 % qui déclenchent les lazzi de la droite béate devant Reagan ?). La dette fédérale atteint 1 500 milliards de dollars presque la moitié du PNB US)  ; le service de la dette 150 milliards (17,5 % du budget). Pour mémoire, 1980, sous Carter, le déficit était de... 60 milliards de dollars.
" Pour subventionner pareil déficit, l’épargne que consacrent les Américains aux emprunts d’état est nettement insuffisante. D’où une politique toute « bête » pour attirer les capitaux étrangers : le dollar - recherché par l’Etat - monte, donc les capitaux affluent. En 1984 près de 100 milliards de dollars viendront de l’étranger alimenter le pays le plus puissant du monde. N’est-ce pas... le monde à l’envers ? Cette « razzia » est dramatique pour les investissements dans le reste du monde : quoi de plus sûr, de plus facile, que de se reposer sur le dollar ? C’est à tel point qu’un économiste US a pu écrire : « En continuant à attirer les capitaux étrangers pour financer nos déficits budgétaires, les Etats-Unis sont engagés dans une forme « d’impérialisme de l’épargne » - ». Mieux, pour éviter tout ralentissement de cette « manne étrangère », surtout à la veille des élections, le congrès, en juin 1984, a supprimé la taxe de 30 % sur les intérêts versés aux investisseurs étrangers en obligations américaines.
On ne répètera jamais assez à tous ces braves gens qui prennent la valeur du dollar pour un signe de bonne santé de l’économie américaine, que c’est précisément le contraire qui correspond à la réalité profonde.
Et que dire du déficit du commerce extérieur (première conséquence en grande partie d’un « dollar fort »  ?) De 28 milliards de dollars en 1981, il passera aux environs de 120 en 1984. Mais, comme le remarquait J. Delors, les Américains, eux, peuvent faire fonctionner la « planche à billets », billets consacrés monnaie internationale à Bretton Woods au lendemain de la guerre.
" Le libéralisme ? Parlons-en. Reagan a battu tous les records : en 1983, les subventions à l’agriculture ont atteint 53 milliards de dollars, soit près de deux fois le revenu annuel des agriculteurs (en France, les subventions de l’Etat ou de la Communauté Européenne représentent 75% du revenu agricole). Electorat oblige... sans compter l’autorisation de vendre du blé à l’URSS, « l’empire de Satan ».
On n’a pas non plus oublié la subvention - équivalent à une nationalisation - de la 8e banque américaine, la Continental Illinois : 4,5 milliards
pour éviter la banqueroute... et les réactions en chaîne. On ne parle jamais dans la presse des nombreuses banques américaines qui font faillite. Quant à la principale subvention - l’armement - nous avons déjà vu de combien elle avait augmenté en 4 ans. Elle atteint 300 milliards de dollars, soit le 1/3 du budget.
" La politique sociale. Il est de notoriété publique que Reagan a diminué le budget social (nouvelle coupe sombre de 9 milliards en 85 pour les allocations « bas revenus  ») ; qu’en 1984, 35 millions d’Américains - 15 % de la population - vit au dessous du seuil de pauvreté (contre 29 millions en 1980) ; que les plus pauvres deviennent encore plus pauvres alors que les plus riches sont de plus en plus riches (10 % de plus en moyenne).
Nous avions, dans la Grande Relève de mars 1984, dans un article intitulé « Sortir de la crise : à gauche ou à droite », essayé de montrer le danger de voir une société duale émerger de la crise, dans la société capitaliste. Cela se vérifie, hélas, aux USA ; et cela se propage dans les autres pays capitalistes qui n’ont d’yeux que pour l’Amérique de Reagan. (Voyez en France, la « découverte » des « nouveaux pauvres »). Quelle conclusion apporter à ce survol ?
Au risque de choquer, nous disons Reagan a été réélu  ? Tant mieux. Pourquoi ? Nous sommes persuadés - compte tenu des faits et des opinions relatés dans cet article - que la reprise américaine est factice, fragile, vouée à l’échec à court terme. Reagan, qui a menti, triché, va maintenant devoir payer pour son premier quadriennat. Imaginons que Mondale ait été élu. Il aurait hérité immédiatement - rappelez-vous : 1,9% de croissance au 3e trimestre - des méfaits des options Reagan et il aurait « porté le chapeau ».
Reagan va devoir assumer son échec. Seul. Et cet échec aurait (« aura », espérons-nous), un formidable retentissement dans les autres pays, chez ses admirateurs notamment ; chez nous, les Chirac, Barre et consorts. C’est sans doute la seule chance de la vraie gauche pour 1986, si l’édifice s’écroule d’ici là. La « fausse sortie » de la crise d’une Amérique tant admirée. encensée, montrerait clairement que la crise du capitalisme est bien structurelle, incontournable, comme nous le soutenons, et non conjoncturelle, liée aux grandes mutations techniques en cours, comme on veut nous le prouver.
Mais il faut demeurer très attentif. Le capitalisme aux abois peut toujours avoir recours au pire : la guerre, des « petites guerres », civiles ou non (voir, dès le lendemain de l’élection de Reagan, le « montage » du cargo de Migs 21 contre Managua) ou, si nécessaire, la Guerre, la « grande ». C’est faire preuve de légèreté - ou d’ignorance - que de balayer le danger d’un revers de main en invoquant la dissuasion, l’équilibre de la terreur. La « guerre des étoiles  » n’est pas un mythe : cette nouvelle stratégie repose sur des études très sérieuses. Les médias nous familiarisent avec cette idée. Le jour où l’un des deux grands aurait trouvé la parade totale - ou presque - aux engins nucléaires de toute sorte, qui sait s’il ne prendrait pas le risque d’essayer d’en finir avec l’adversaire.

(1) : D’après un sondage SOFRES/LE MONDE, 38  % des Français auraient voté pour Reagan contre 25 pour Mondale. Alors...
(2) : Chute et non baisse, comme chez nous, ce qui relativise les 7  % affichés lors de la reprise.

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La gauche en décomposition

par J. MALRIEU
janvier 1985

On nous rendra cette justice l’échec du gouvernement de la gauche, nous l’avions prévu et annoncé bien avant les élections de 1981. En acceptant de gérer l’ordre établi, la gauche avait du même coup lié son sort à celui d’un système économique en train de s’effondrer.
Ce que nous n’avions pas prévu, c’est que cette gauche déconfite et désemparée se verrait aujourd’hui bafouée et répudiée par ceux-là mêmes qui s’en étaient servis pour se hisser au pouvoir.
Dans cette course à l’ignominie, l’hebdomadaire de Jean Daniel a une fois de plus une longueur d’avance. « La gauche a-t-elle un avenir ? » titre « Le Nouvel Obs » du 26 octobre 84. « Oui à droite » répond en substance Jacques Julliard dans un éditorial qui restera dans les annales de la presse française comme un des sommets du cynisme et de la dégueulasserie médiatiques.
Electeurs de 81, hommes qui aspiriez légitimement à changer d’existence et qui aviez pris pour argent comptant les promesses du candidat Mitterrand et les rodomontades de Chevènement sur la rupture avec le capitalisme, voyez de quel ton méprisant on parle aujourd’hui de vous dans les sphères du pouvoir « socialiste  ». « Si la gauche a échoué, écrit Julliard, c’est parce qu’elle s’appuie sur des classes sociales en perte de vitesse et pourvues d’un faible dynamisme : ouvriers, employés, fonctionnaires.  » Il ne vous l’envoie pas dire le grand stratège de la rue d’Aboukir. Des débiles et des minables juste bons à défendre des avantages acquis et à réclamer des sous, voilà ce que vous êtes, des ilotes irresponsables qui manifestent leur mécontentement en désertant les urnes. Quant au programme commun, si utile en 81 pour extorquer vos suffrages, savez-vous ce qu’on en pense au Nouvel Obs : du bla-bla-bla, des calembredaines. « Les uns après les autres, écrit Julliard, les ingrédients traditionnels de la gauche ont démontré leur inefficacité. Que reste-t-il aujourd’hui du fameux tryptique socialiste ? La vérité oblige à dire que l’autogestion est à la trappe, à la planification au placard et la nationalisation au pain sec. Quant au Keynésianisme, sous les espèces de la relance par la consommation, il a fait faillite ».
Les candidats de la droite aux législatives de 86 n’auront pas besoin de se fouler pour fermer le bec aux candidats de la gauche. Il leur suffira de ressortir le Nouvel Obs.
« Alors que faire ? » questionne notre censeur : «  C’est simple, la gauche doit changer. Elle doit se moderniser, retrouver une philosophie de la production et une culture de gouvernement ». Pour le cas où vous n’auriez pas bien saisi ce que signifient ces sentences sybillines, notre oracle précise en pontifiant  : « Il s’agit que la gauche se pense et s’affirme de façon permanente comme parti de gouvernement, non comme force d’opposition.  » Autrement dit que la gauche remise aux accessoires ses idéaux et ses valeurs, qu’elle se pose en partenaire responsable de la Droite pour la gestion du système et, bien entendu, pour le partage de l’assiette au beurre. « Qu’elle ose paraître ce qu’elle est » s’écrie Julliard en reprenant l’apostrophe de Bernstein, le pape de la social- démocratie.
Ne croyez pas que le Diafoirus du « Nouvel Obs » ait trouvé cela tout, seul. Il y a un répondant de marque en la personne du Président Mitterrand et ne se fait pas faute de le citer. « Est-il possible de bâtir un nouveau scénario avec les mêmes acteurs ou avec d’autres ? » s’interrogeait le Président le 12 octobre dernier à Agen devant un auditoire médusé. Toute la filouterie et le
machiavélisme naïf du personnage sont dans cette phrase . cauteleuse. Après nous avoir mené en bateau en 81 avec le « scénario » euphorisant du programme commun, voilà aujourd’hui alors qu’il coule à pic dans les sondages, l’aimable suborneur nous en propose un autre, plus austère mais tout aussi illusoire, dans lequel nous sommes invités à jouer à nouveau les figurants. Il prend la peine de nous avertir : si ce rôle de figurants ne nous convient pas, il ira les chercher ailleurs. A droite par exemple comme l’y invitent de façon pressante ses « conseillers » des multinationales et les savants experts de la Nouvelle Gauche. Il ne manque pas d’air le Président Mitterrand  !
Si l’accusation de machiavélisme vous choque, alors lisez le superbe, l’éblouissant article de Claude Julien dans : «  Le Monde Diplomatique » de novembre dernier dont nous reparlerons plus loin : « Le Corset Libéral ». Claude Julien a placé en exergue de son article un extrait du « Prince  » de Machiavel manifestement destiné à éclairer par analogie avec la Florence des Médicis, notre actualité et la trahison de la gauche par les « socialistes » l’avertissement qu’il lance au premier d’entre eux à la fin de son article (in coda venenum), à travers la référence à César Borgia, est dépourvue de toute ambiguïté  : « Le Prince, écrit Julien, peut ne pas, être fidèle à ses engagements et cependant perdre à la fois sa réputation et ses Etats ».
L’accusation reste cependant voilée. Il n’en va pas de même avec le terrible réquisitoire dressé en Septembre dernier par Paul Thibaud dans la revue « Esprit » dont il est le directeur. P. Thibaud, héritier d’Emmanuel Mounier, est un des hommes les plus pondérés et les plus respectés de la presse française. Sa dénonciation précise et circonstanciée de la politique du pouvoir actuel n’en a que plus de poids. Ce à quoi nous assistons, c’est à «  un véritable changement d’identité politique » nous dit Thibaud. Pour rester au pouvoir le nouveau Prince-Président n’envisage ni plus ni moins que de changer d’image et de majorité, de se « délester » (c’est le terme qu’emploie Thibaud) « d’une gauche naïve dont il a encouragé les illusions au temps où elles pouvaient sembler porteuses ». Le directeur d’« Esprit » ne prononce pas les mots de forfaiture ou d’escroquerie, mais le coeur y est. « François Mitterrand, constate Thibaud, se donne les moyens d’utiliser les électeurs de droite pour assommer, voire dissoudre sa propre majorité ». Comme dirait Roro de Bab-el-Oued : « Plus dégueulasse, tu meurs ! » Thibaud, relève « l’empirisme sans principes » du chef de l’Etat et « la désinvolture cynique » de ses lieutenants, Fabius et Chevènement en tête. Sa condamnation finale est sans appel : « Le mitterrandisme a toujours eu de la peine à prendre au sérieux les idées, il a toujours cru qu’on pouvait à volonté s’en servir, les mobiliser ou les congédier, les faire apparaître et disparaître comme les thèmes musicaux au gré du compositeur. Il est tenté aujourd’hui de les rejeter en bloc alors qu’il devrait au contraire commencer à les respecter. En est-il capable ? »
C’est le portrait d’un Frégoli, d’un Arsène Lupin de la politique que nous trace Thibaud. Image consternante que corrobore Louis Colvert dans un article du « Canard Enchaîné » du 31 octobre. Parlant d’André Rousselet, nouveau PDG de Canal-Plus et grand ami du Président Mitterrand, Colvert écrit : « Ce partenaire de golf du Président aime à dire qu’il ne compte aucun socialiste parmi ses amis. Au delà du bon mot que Tonton ne manque jamais d’apprécier, le constat est d’une lucidité qu’il faut saluer ». Le sens de l’humour du Président porte un nom, le cynisme. Le « bon mot » qu’il apprécie tant et le sarcasme de Colvert qui dissimule son mépris écrasant pour notre classe politique en disent long sur l’atmosphère faisandée des milieux « socialistes ». (2) Le terme de socialisme n’a pas seulement disparu de leurs discours. Ils se marrent quand on le prononce devant eux, dans l’intimité de leurs bureaux. Peut-être même, ces joyeux flibustiers se tapent-ils sur les cuisses ! Les électeurs de 81 ont bonne mine. (3)
A travers ces palinodies et les manoeuvres du pouvoir, ce qui se dessine c’est une restructuration du paysage politique français, la préparation à pas feutrés d’un vaste compromis historique entre les cliques dirigeantes de Gauche et de Droite. C’est le sens de la «  decrispation » et de la « cohabitation » tant prônées par les édiles des deux bords. Devant l’aggravation de la crise du système et la montée des périls, un consensus entre les partis de « l’arc constitutionnel » est jugé indispensable. Pour les cas où les politiciens ne le comprendraient pas assez vite, leurs mentors des milieux d’affaires (nous avons failli écrire leurs sponsors) le leur rappelleraient avec insistance.
Ce n’est pas pour rien que l’on trouve tant de représentants du capitalisme international dans les coulisses du pouvoir « socialiste  ». Il n’y a pas qu’en Allemagne que les banquiers arrosent avec une égale sollicitude les paris conservateurs et les partis sociaux- démocrates.
Il va de soi que le compromis avec la Droite n’a de sens et n’est négociable que si la gauche gestionnaire conserve une audience suffisante et le contrôle d’une fraction appréciable du corps électoral. La Gauche politicienne, comme n’importe quelle firme, doit défendre ses parts de marché. D’où, parallèlement aux tractations secrètes avec la Droite au niveau des états-majors, en vue de partager du pouvoir (et du gâteau), un grand effort de propagande pour retenir ou récupérer les électeurs qui ont tendance à filer vers l’opposition ou à se réfugier dans l’abstention. C’est à ce souci que correspondent les campagnes menées depuis la rentrée par « le Nouvel Obs » et les autres officines d’intoxication à la solde du pouvoir, en prévision des prochaines échéances électorales. Il faut en dire un mot.
Un débat ouvert dans « le Nouvel Obs » du 5 octobre sur le thème » La folie du Libéralisme » nous avait mis la puce à l’oreille. Les apprentis-sorciers de la «  Nouvelle Gauche », affolés par le glissement à droite de l’opinion dont ils étaient les premiers responsables, essayaient de redresser la barre. C’était la première manifestation de ce « sursaut idéologique » que réclame aujourd’hui ce triste bouffon de Poperen à la tribune du P.S. Tous les cracks de l’écurie néo-libérale « de gauche » avaient été convoqués sur le pont par le capitaine en second du « Nouvel Obs » assisté de Michel Rocard  : F. de Closets, Alain Minc, Guy Sorman, Priouret. Il n’y manquait que Michel Albert et J.J. le Turlupin qui, visiblement, avaient préféré se planquer. Les efforts déployés par ces branquignols pour tenter de sauver le bateau et d’arrimer la cargaison rappelaient les meilleurs films comiques de Mack Sennett.
Il y a quand même de bons moments dans la vie. Entendre Jacques Julliard qui faisait il n’y a pas longtemps l’apologie à peine déguisée de Hayek, fustiger les « zozos du libéralisme  » dont le plus bel échantillon Guy Sorman s’agitait à ses côtés, Alain Minc champion du capitalisme sauvage tenter de se démarquer des ultra-libéraux de droite, Michel Rocard, ministre d’un gouvernement totalement soumis aux impératifs de l’économie marchande, dénoncer « ces libertés qui nous enchaînent et affament le monde » et faire l’éloge du protectionnisme, çà ne manquait pas de sel.
On avait vite compris que la consigne donnée à ces élégants discoureurs était de rameuter et de regonfler une clientèle électorale fortement traumatisée par les échecs et les embardées du gouvernement « socialiste » et qui s’égaillait dans tous les sens.
Les violons cependant avaient du mal à s’accorder. Comment en aurait-il été autrement avec un chef d’orchestre attrape-tout qui prétendait faire jouer deux partitions à la fois ? Ceux qui étaient chargés de récupérer les électeurs de gauche prônaient une certaine dose d’intervention de l’Etat dans les affaires économiques, les autres qui avaient la tâche délicate de retenir les électeurs centristes attirés par l’opposition, multipliaient les ronds de jambe pour les persuader de la supériorité de leurs produits sur ceux de la concurrence qui n’étaient, selon eux, que de grossières et dangereuses contrefaçons. Julliard, premier violon de l’orchestre de chambre du Nouvel Obs arrivait à jouer sur les deux thèmes à la fois. C’est un virtuose. Le plus désopilant de tous ces clowns cependant était Guy Sorman, impayable dans le rôle de tête à claques que lui avait confié l’organisateur de cette pantalonade. (4).
Si çà marche si fort pour la Droite, disait Juliard dans le rôle de M. Loyal, c’est parce qu’elle nous a volé nos idées. Et Paillasse/Sorman de surenchérir : « C’est un formidable malentendu, se lamentait Sorman. Je suis fasciné par les facultés inouïes de récupération de la classe politique qui en 3 ans a fait du libéralisme son discours dominant ». Il a une belle santé notre marchand de sornettes  ! Ce qui nous fascinait, nous, c’était son incroyable culot.
Comme si ce n’était pas lui, l’apologiste de l’idéologie reaganienne, et ses acolytes du Nouvel Obs, les supporters les plus insidieux du Libéralisme, les secteurs les plus actifs de cette intoxication des masses qu’ils affectaient aujourd’hui de déplorer.
On nageait en pleine imposture. Toutes ces singeries et ces protestations n’avaient d’autre but que de dissimuler une évidence grosse comme une maison : ce ne sont pas les idées de gauche qui ont filé à droite comme l’affirme Julliad avec une insigne mauvaise foi  ; ce sont au contraire les idées et les valeurs de droite qui ont envahi et intoxiqué la gauche. Parallèlement et subsidiairement, pourrait-on dire, à l’infiltration du PS par les puissances d’argent. Les agents de cette colonisation idéologique, ce sont ceux-là même qui font mine à présent de la dénoncer, les histrions du « Nouvel Imposteur ». La 5e colonne de la Droite, le cheval de Troie du reaganisme en France, ce sont eux.
De cet aréopage de faux-jetons, un seul nous inspire jusqu’à un certain point de l’indulgence. C’est ce pauvre Rocard dont l’interview traduisait le cruel embarras, la tragique dichotomie de la gauche schizophrénique. « Pour que la gauche trouve le salut, affirmait Rocard, il faut d’abord qu’elle se souvienne qu’elle est la gauche. « Parce qu’elle l’a oublié ? questionnait ironiquement son interlocuteur, F.O. Giesbert. Vacherie à laquelle Rocard répondait par cette savoureuse considération en forme d’aveu : « Aujourd’hui, nous sommes dans une monstrueuse pagaille sémantique et idéologique. Personne ne sait plus de quoi il parle. » Michel Rocard nous permettra de lui demander : A qui la faute ? Sinon à lui et à François Mitterrand, c’est d’abord au PS qu’on le doit.
Le désastre idéologique et politique de la gauche gestionnaire que nous n’avons cessé d’annoncer se précise chaque jour un peu plus. Un ouvrage récent « La Gauche en voie de disparition  » de Laurent Joffrin en dresse le constat en termes très proches des nôtres qui prouvent que nous sommes lus à défaut d’être cités . « La gauche au pouvoir, écrit Joffrin devait rompre avec le capitalisme. Elle a rompu avec le socialisme  ». Et de pronostiquer lui aussi la débâcle prochaine des socialiste devenus sous la férule de François Mitterrand, les syndicats de faillite du capitalisme français : « Ils doubleront la défaite électorale d’une défaite culturelle et sortiront de l’histoire pour une ou deux décennies.  » Nous sommes beaucoup plus catégorique que Joffrin. Cette défaite, la gauche gestionnaire (communistes compris) ne s’en relèvera pas. Elle est d’ores et déjà entrée dans les poubelles de l’Histoire.
Il y a 10 ans Roger Garaudy prédisait que Georges Marchais serait le fossoyeur du PCF. Il n’avait pas prévu que François Mitterrand deviendrait symétriquement le fossoyeur du Parti Socialiste.
Rendons hommage aux fossoyeurs. Objectivement, sur la longue durée historique ils jouent un rôle positif. En déconsidérant et en enterrant l’idéologie et les organisations gestionnaires, ils auront contribué à déblayer le terrain et a préparer la renaissance de la gauche. Ils auront enterré les illusions et les fausses solutions qui égarent et stérilise depuis plus d’un siècle les forces de changement. Ils auront aidé les hommes à prendre conscience des véritables dimensions et des véritables données de leurs problèmes.

C’est ce que nous essayerons de montrer dans notre prochain article. Nous avions d’abord pensé l’intituler «  Du bon usage des fossoyeurs ». A la réflexion et pour souligner notre indéracinable optimisme, nous avons finalement choisi ce titre : « Mort et Résurrection de la Gauche ». TODT UND VERKLARUNG.

(2) Cela nous rappelle la réflexion d’un de nos amis : On se demande pourquoi les Présidents de la République et leurs invités vont tirer les faisans à Rambouillet. Il y en a beaucoup plus dans les couloirs de l’Elysée et des ministères circumvoisins. Il est vrai, ajoutait-il, que dans ce cas-là ils risqueraient de s’entretuer.
(3) Pourquoi pensons-nous tout à coup à Pierre Juquin du PCF célébrant la victoire de la gauche à la Bastille en Juillet 81 « Je suis heureux » s’écriait-il en étreigant Michel Rocard. Depuis on ne l’appelle plus au Parti que « l’imbécile heureux du Comité Central ».
Et à Allaize, candidat socialiste miraculeusement élu en Ardèche en 81, auteur de cet impérissable slogan : « Pour vivre à l’aise, votez Allaize. »
(4) Guy Sorman, propagandiste du reaganisme et auteur d’un ouvrage «  la Révolution libérale » qui a bénéficié d’un battage éhonté, vient de se faire étriller de main de maitre, ainsi que toute l’école néo-libérale, par Claude Julien dans un article du « Monde Diplomatique » que nous avons déjà évoqué : « le Corset libéral ». Tous les Français devraient lire cet article.

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Un des premiers distributistes, qui fit, dans sa jeunesse tant de conférences aux côtés de J. Duboin, vient de publier un nouveau livre :

« 1985-2000 : Le Futur Aujourd’hui »

par P. BUGUET
janvier 1985

Le titre du dernier livre du physicien Albert Ducrocq,* est évocateur !
Après une étude approfondie des applications de l’électronique à l’informatique et à la robotique, A. Ducrocq situe les conséquences radicales où nous accule pour un proche avenir le niveau technique atteint.
En homme de science, A. Ducrocq ne codifie pas par le détail notre vie future, mais trace à grands traits les inévitables adaptations économiques contenues dans le fait technique.
« Savez-vous que, clame-t-il : Au cours des 15 ans à venir, le monde va connaître plus de changements que depuis l’homme de Cro-Magnon ? ».
« Les Etats hier gouvernaient les hommes ; ceux-ci auront pour mission d’administrer les choses. »
- « Vous utiliserez une monnaie électronique solide comme l’or, rapide comme la lumière ».
En conclusion Albert Ducrocq s’applique à démontrer que : Comme l’explosion initiale créa les éléments, l’homme crée les techniques qui le transfèrent dans une vie nouvelle.

* Editions Plon (1984).

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La transition

La carte de paiement à mémoire

Son utilisation en monnaie de consommation dans les « banques de nourriture » en faveur des « nouveaux pauvres ».
par H. MULLER
janvier 1985

Destruction ou stockages de denrées alimentaires, « banque du sol », de telles pratiques, exigées par la « règle du jeu », agressent les consciences, narguant l’insatisfaction de tant de nécessiteux.
Que faire des excédents stockés devenus propriété collective de la Nation ? Rappelons qu’en décembre 1968, un ensemble de propositions concrètes avait été soumises au Ministre de l’Agriculture par l’intermédiaire du Directeur des Affaires économiques de l’Assemblée permanente des Chambres d’Agriculture. Etudiées de longue date et de nature à résoudre le problème, ces propositions prennent aujourd’hui un relief tout particulier eu égard à l’ampleur des excédents et au développement d’une « nouvelle pauvreté ». Elles se résument comme suit :
- Ouverture et notification, en faveur des sous-consommateurs notoires ( chômeurs, immigrés, bénéficiaires de l’aide sociale, communautés charitables ) d’un crédit renouvelable mensuellement, utilisable seulement sur carte, de paiement spéciale.
- Remise au ayants-droit d’une carte de paiement du type INNOVATRON à mémoires. Chargée d’un avoir en monnaie électrique, la carte se décharge au fur et à mesure des achats, dans un « lecteur » qui en positionne le solde. La carte «  vidée », son titulaire l’approvisionne à nouveau dans la limite de son crédit mensuel.
- La présentation de cette carte donne accès a des entrepôts spéciaux, DISTINCTS de tout local commercial, exclusivement approvisionnés en excédents et gérés par des personnels communaux ou par des bénévoles s’y relayant. L’acheminement des denrées aux points de distribution est assuré par des transports mis à la disposition des Municipalités, des Associations ou des gérants, par les services des Domaines (ou par l’Armée). Il est essentiel que les lieux de vente soient distincts des établissements commerciaux qui n’interviennent d’aucune manière dans l’opération.
- Les denrées sont mise en vente aux prix courants du commerce local.
La carte remplit la fonction de « bons », de « monnaie-matière  » à usages polyvalants, donnant le choix à consommer. Quand, localement, il n’y a plus d’excédents à répartir, on ferme l’entrepôt et l’on attend de prochaines livraisons pour honorer de nouveaux crédits. L’opération peut être interrompue à tout moment sans perturber l’économie générale. Il n’y a pas de nouvelles quantités de monnaie venant charger la circulation donc ni pesée sur les prix ni risque d’inflation.
Outre l’écoulement des excédents, le procédé offre un autre intérêt. Cette conversion d’excédents jusque-là stériles, en crédits mobilisables, permet la constitution d’un fonds de salaires venant s’ajouter aux allocations de chomage. Elle fait de catégories de sous- consommateurs, jeunes sans emplois et autres chômeurs, des salariés utilisables à tarif plein par les Municipalités, les Associations ou Organisations diverses, pour des travaux d’utilité collective, dénués de rentabilité.
Grâce aux crédits gagés par les excedents, les Municipalités peuvent donc, à leur choix, ou bien réaliser leurs programmes à moindre coût en crédits normaux, ou bien accroître le volume de leur travaux. Sans obérer leur budget. Enfin des entreprises sont également appelées à reconsidérer des embauches à débours réduits sur ces bases nouvelles.
Le système peut s’étendre et intéresser les excédents apparaissant au niveau des producteurs locaux ou des invendus sur les lieux de vente au détail (forans) en ce qui concerne les denrées périssables. Les Municipalités ou des Associations subventionnées jouent alors le rôle de comptoirs d’achat et de vente, achetant aux prix de production, en monnaie « courante » et revendant aux chômeurs contre présentation de leur carte, aux prix du commerce local, en échange de prestations.
A ceux qui objectent le manque à gagner infligé au commerce, il convient de faire observer que le procédé ne fait qu’élargir, pour une durée limitée, le nombre de ces privilégiés qui, propriétaires de jardins potagers, d’exploitations fruitières ou maraichères, font de l’auto-consommation.
D’autre part, le commerce n’a guère à redouter le reflux, temporaire. de ces mini-clients aux ressources insignifiantes, que les cartes de paiement dirigeront vers les magasins communaux ou associatifs. On admettra difficilement que l’on puisse contraindre des consommateurs à se contenter de mini- ration, interdisant aux catégories les plus défavorisées par la malchance de profiter de l’occasion que leur offre la concrétisation d’une monnaie de consommation dans une carte de paiement, de s’approvisionner à part entière durant quelque temps.
Ajoutons enfin que la formule de cette monnaie de consommation, également applicable à l’aide aux pays en voie de développement, est parfaitement connue des organisations européennes et internationales telles la F.A.O., le F.E.O.G.A. et de la plupart des centres de décision qui n’attendent que l’action d’unn groupe de pression pour y souscrire et la généraliser.

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La transition

Cacophonie et désarroi

Peut-être une issue
par A. LIAUME
janvier 1985

Dimanche 14 octobre 1984 ! Le journal du Dimanche publie les résultats de son sondage mensuel I.F.O.P. Les Français y apparaissent politiquement démobilisés. Ils semblent avoir pris conscience de ce que, gauche ou droite, n’ont pas de solution à leurs problèmes. Avec le même insuccès, le cinquième de la bande des quatre clame son désir d’entrer dans le jeu.
Devant les jeunes gaullistes, M. Barre, s’opposant à M. Chirac et Giscard d’Estaing, refuse la « cohabitation » et rejoint M. Chevenement.
A 12 heures, sur TF1, M. Bergeron note très sévèrement la copie du « jeune premier ministre » traitant des salaires de la Fonction Publique.
Plus tard, sur RTL, M. Hano expose clairement le plan de sauvetage de la Régie Renault, qu’il présentera demain aux sections syndicales de son entreprise et impose une stricte discipline.
Peu après, sur EUROPE 1, M. Marchelli s’essaie, difficilement, à éviter les pièges de la « politique politicienne  » et se maintient dans un syndicalisme catégoriel imprécis.
Les syndicats reprochent au gouvernement l’insuffisance de ses décisions et de ses projets ; à l’opposition, l’absence d’un plan de société valable. Ils se gardent de rien proposer, pour « juger les politiques à leurs actes ». Position confortable. Facile. Inefficace.

***

Rappelons des certitudes :
- Le plein emploi, au sens où nous l’entendions, ne reviendra plus. Modifier mentalité et structure socio- politique est indispensable.
- Les notions de travail et de revenu doivent être dissociées.
- Aujourd’hui les sans travail sont marginalisés. Nouveaux pauvres, jeunes chômeurs et jeunes-vieux-pré-retraités on perdu leur signification. La vague japonaise des suicides nous menace.
- Le droit au travail, inscrit dans la construction est supprimé, remplacé par une assistance insuffisante et immorale aux «  exclus de la production ».
- Le « temps disponible », étalon de la vraie richesse  » ( Karl MARX ) est là, à la portée de nos mains tendues. L’impuissance des politiques et des syndicats nous empêche de l’atteindre. Prisonniers du système monétariste, ils sont incapables d’aménager le temps libre.

***

Alors ? Il est nécessaire de :
- Reconnaître, franchement, l’existence d’une économie à deux vitesses. Dont une nulle.
- Dissocier le couple travail-salaire pour l’instauration d’un «  revenu social » à chaque individu de sa naissance à sa mort.
- Lier le droit au travail, pour tout individu apte, à l’obligation du devoir de travail dans une occupation d’utilité collective, entraînant un complément au revenu social.
- Constituer, ainsi, une structure d’accueil pour les « dégraissés  » de « l’économie compétitive ». Ils seront de plus en plus nombreux, mais de moins en moins perturbants s’ils retrouvent, par cette occupation, leur signification d’hommes.
- Mettre les entreprises françaises (nationales ou privées) à égalité avec leurs concurrents étrangers du système monétaire international - en voie d’effondrement - par l’allègement des charges et l’assouplissement des contraintes.

***

C’est un schéma de la transition vers l’économie du futur. Nul ne peut la définir. Cette transition durera longtemps  ; 15 ans, dit Albert DUCROCQ. Probablement davantage. Il existe probablement d’autres démarches. Celle-ci est rendue possible par la création d’une monnaie intérieure (le francin) assurant le paiement du revenu social et de ses compléments.
Rattaché, au sommet de l’Etat, à la monnaie internationale, le francin sera l’unité d’une monnaie gagée sur la valeur des biens et services fournis aux collectivités dans tous les domaines négligés, parce que non « rentables » au sens du monétarisme. Ces « occupations d’utilité collective » utiliseront tous les moyens ( locaux, matériel, outillage ) laissés inutiles par les « restructurations  ». Elles produiront des richesses de toutes natures, surtout des services, sans peser sur l’économie de marché au plan international.
Si l’ECU européen existait, il n’y aurait aucun problème. En l’attendant, faisons « comme si », et créons le « francin », unité d’une monnaie interne, fondante, (peu ou pas thésaurisable) qui disparaîtra au fur et à mesure de son utilisation, par ses détenteurs, les « exclus  », remis dans leur dignité par un travail allant en s’amenuisant au fil des ans. C’est une expérience vers la monnaie d’après demain, celle de « l’économie distributive ».
En 1936, les JEUNES étaient encore des utopistes.
en 1984, grâce à « la carte de paiement gérée par ordinateur », ils seraient les vrais réalistes !
C’est le sens de « jevien » ( Jeunes et Vieux Inventent l’Economie Nouvelle ) et des actions JV menées à l’échelon local ( canton, quartier... ) par les organisations locales du vastes Mouvement Associatif, immense richesse, inexploitée, de notre pays.
Une seule crainte : le danger de la bureaucratie inefficace ( A.N.P.E. ). Evitable par la vigilance des organisations de base.

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Détruire ou distribuer ?

par E. BARREAU
janvier 1985

En cette fin du XXe siècle, les fulgurants progrès des techniques de production ont permis à l’abondance de devenir réalité quotidienne, ( axiome maintes fois démontré ) mais aussi aberrant que cela puisse paraître, niant cette évidence, l’on s’entête à vouloir conserver des structures économiques, basées sur la rareté, donc totalement dépassées face à l’abondance. De ce fait, contradictions et antagonismes ne cessent de s’abattre sur le tissu social, dont l’exemple plus frappant, le plus cynique, es> quotidiennement démontré par la pauvreté endémique et galopante, contre laquelle on cherche à enrayer l’évolution, sinon la rendre plus supportable ! se gardant de mettre en cause le vecteur profit. Les secours s’effectueraient par le canal de la «  distribution ». Bonne idée en l’occurrence, mais sachant que ce terme signifie gratuité, antithèse de vente, ce paradoxe conduit à l’interrogation suivante : « comment pourra-t-on distribuer gratuitement, et longtemps des biens et denrées aux nécessiteux, dans une économie où tout s’achète, se vend ? Face à cet antagonisme, tôt ou tard apparaîtra un point de rupture, c’est pourquoi conservera-t-on un bandeau sur les yeux, en traitant « d’utopistes » ceux qui proposent la solution qui satisfasse aux conséquences du progrès, et réponde à la réalité économique contemporaine potentiellement « abondanciste » ? Cette réalité n’est- elle pas « Distributive » ? où Répartitive  ? Le terme importe peu.
Revenant à la pauvreté, qu’envisage-t-on dans l’immédiat  ? Primo ; faire payer. les riches, secundo : accroître les oeuvres charitables, organismes de secours, etc... Que penser de ces solutions  ? Suite aux explications suscitées, elle ne peuvent que soulager momentanément les cas les plus désespérés, sans pour autant supprimer la pauvreté dans son ensemble, ainsi que dans ses causes initiales, sorte de remède empirique face à un cancer !
D’une part, de quels riches s’agit-il ? De ceux qui possèdent de gros capitaux, facteurs de revenus, où de ceux qui perçoivent de gros revenus, sans capitaux ?... en attendant de faire payer les moins pauvres, avant qu’ils le deviennent à leur tour ! Solution aussi mathématique qu’absurde ! car la masse grandissante de pauvres percevra toujours des miettes (pâtée pour chiens  ! ) permettant de survivre. D’autre part, ce cercle vicieux conduira à l’égalité dans la pauvreté, au lieu d’aller vers l’égalité dans l’abondance. Si la guerre n’est pas une fatalité, la pauvreté économique l’est encore moins. Etre pauvre en 1984, alors que des montagnes de produits s’amoncellent... ces invendus que l’on stocke, avant de les détruire, tandis que d’autres sont détruits avant d’être proposés : «  assainissement des marchés... rentabilité exige ! Atteignant le comble de l’absurdité, de la bêtise, pérennisant ce « Babylone économique », pleuvent les subventions, les aides aux destructions ! etc... » Quand pleuvra-t-il ce pouvoir d’achat (monnaie de consommation) qui seul, fait défaut aux deshérités du gâteau-production ?... Ces pauvres ne pouvant acheter ce dont ils ont besoin, de ce fait, ruinent ceux qui ont à vendre ! qui réclame et exige qu’au lieu de subventionner pour détruire, l’on subventionne pour consommer en fonction des besoins réels, en commençant par subventionner les plus démunis ? Ces subventions représentant leur part d’usufruit d’une production collective, escroquée par le biais du profit, en attendant de distribuer à tous, des producteurs aux consommateurs, un «  Revenu social garanti », éliminant radicalement la pauvreté matérielle, artificiellement entretenue, dans le but de satisfaire à une monnaie aussi artificielle, transformant des courants d’air, en d’énormes profits ? Contradicteurs de l’économie distributive, avez-vous une autre solution à proposer ?

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LES THESES ECONOMIQUES

Nous poursuivons la reproduction d’extraits du livre « Libération » publié en 1936 par Jacques Duboin, afin de passer en revue les principales thèses économiques. Nous abordons aujourd’hui :

Les premières théories socialistes

par J. DUBOIN
janvier 1985

Ce sont encore les premières crises industrielles et la misère qu’elles entraînent qui vont inspirer à des hommes, d’origine très diverses, les premières théories économiques d’inspiration socialiste. Ces novateurs réagissent tous contre le laissez-faire dont ils dénoncent les désordres et les contradictions. En particulier la libre concurrence leur apparaît intolérable ; c’est elle qu’ils vont combattre car ils entrevoient justement qu’elle conduit au monopole de fait qu’exercera le plus fort. Ils s’efforceront donc d’harmoniser les intérêts qui s’opposent si violemment dans le régime capitaliste, et leurs conceptions, heurtant les préjugés et le désordre établi, apparaîtront, en vrac, comme de simples utopies.
Leur pensée généreuse était que, même dans l’ère de la rareté qui, à eux aussi, paraît devoir être éternelle, l’intérêt particulier ne doit pas être le guide unique des actions humaines. De là leur idée de morceler la société en petits groupes économiques où règnera la justice et la fraternité, avec l’espoir que, de la réunion de tous ces petits groupes, finira bien par jaillir une société nouvelle. Il était malheureusement trop tôt pour renverser un courant dont la force était loin d’être épuisée. La révolution de 1848 se chargera de le leur faire comprendre, en les ramenant durement aux réalités.

Fourier (1772-1837) n’est pas un socialiste au sens ordinaire du mot puisqu’il ne fait pas l’effort intellectuel nécessaire pour s’affranchir du régime. Son fameux phalanstère réunit le maximum de confort possible pour les hommes qui y vivent, grâce à la collectivisation des frais généraux qui grèvent le budget familial. Mais il comporte des appartements pour toutes les bourses. Enfin le phalanstère est une autarcie consommant tout ce qu’elle produit. Ce qui lui manque est procuré par l’échange avec d’autres phalanstères. Autre fait curieux : le phalanstère distribue des dividendes répartis, assez arbitrairement d’ailleurs, entre tous les coopérants. Mais Fourier veut que le travail devienne attrayant, et sur plus d’un point, il prévoit les transformations sociales qu’apportera obligatoirement le progrès technique. Signalons enfin qu’il est l’inventeur du minimum vital dont il veut faire bénéficier tous les hommes, et que devait ressusciter Rodrigues, quatre-vingts ans plus tard, sans le transformer en maximum vital comme l’abondance le permettait déjà sans inconvénients (1).

Owen (1771-1858), gros industriel anglais, avait été fortement impressionné par la crise économique de 1815. Il recherche les moyens d’en éviter le retour et, courageusement, tente de s’évader partiellement du régime. Il déclare la guerre au profit qui, pour lui, consiste en tout ce qui dépasse le prix de revient. C’est la recherche effrénée du profit qui déchaîne les méfaits de la concurrence. Mais comme le profit s’exprime en monnaie, c’est la monnaie qu’Owen (2) veut supprimer en la remplaçant par des bons de travail... Il est le fondateur de l’association coopérative, qui rêve de se passer de tous les intermédiaires. William Thompson, son disciple, développera davantage encore cette idée de la coopérative de production, qu’il justifie en montrant que, dans le régime capitaliste, l’ouvrier ne touche qu’une partie du salaire auquel son travail devrait lui donner droit. N’est-ce pas déjà, sous une forme assez vague, la théorie de la plus-value qui trouvera sa place un peu plus loin dès que nous examinerons les théories de Marx ?

Cabet (1788-1856) est connu pour son voyage en /carie, qui fait de lui un précurseur du communisme. Il voulut l’appliquer dans la rareté en fondant, comme Owen, une colonie en Amérique. Celle-ci fut obligée de se transformer afin de pouvoir se maintenir quelques années.

Avec Proudhon (1809-1865) nous retombons d’abord en pleine doctrine saint- simonienne, car son mot fameux : la propreté, c’est le vol ! doit être entendu dans le sens de la dîme prélevée sur le travail d’autrui. Lui, aussi, va chercher une explication de la spoliation de la classe ouvrière. C’est, croit-il, parce que le patron ne paie à l’ouvrier que la valeur de son travail individuel, alors qu’il tire profit de toute la valeur du travail collectif de son personnel. En effet, le travail accompli par une équipe d’ouvriers se servant d’engins mécaniques est beaucoup plus productif que celui qu’accompliraient séparément ces ouvriers dépourvus d’engins mécaniques. Proudhon a mis en relief une part de vérité en faisant cette constatation. Pour qu’elle soit complète, il faut que le patron réussisse à vendre toute sa production à un prix supérieur au prix de revient. Proudhon n’a pas vu, qu’en fin de compte, c’est le consommateur solvable qui joue le rôle principal...
Proudhon est l’auteur de la fameuse banque d’échange, organisation qui doit procurer l’argent nécessaire pour acquérir les terrains, l’outillage, et constituer le fond de roulement dont toute entreprise a besoin pour fonctionner... Il imagine de créer des bons d’échange qu’une banque, sans capital, délivrera à ceux qui veulent escompter leurs effets de commerce... C’est l’idée du crédit gratuit ou tout au moins du crédit mutuel.

Louis Blanc (1811-1882) fut également un grand adversaire de la concurrence dont il fit le procès dans son Organisation du travail, qui eut, en 1841, un très gros succès. On lui doit aussi la conception de l’atelier social, prototype des coopératives ouvrières de production. Dans son esprit, cette cellule doit se développer au point de donner naissance à toute la société nouvelle car l’atelier social, comme il l’imagine, aura une telle supériorité sur l’industrie privée que celle-ci deviendra impossible. C’est donc par la concurrence qu’il aura raison de la concurrence.

J.D.

1) Fichte, disciple de Kant, écrivait en 1800 que l’Etat doit donner à chacun le sien et ensuite le protéger  : le but de toute activité humaine est de vivre, et tous ceux que la nature a introduits dans la vie ont un droit égal à pouvoir vivre. C’est la première proclamation du « droit à la vie » !
2) Il est intéressant de noter que c’est grâce à lui que le Parlement britannique interdit, en 1819, de faire travailler dans l’industrie les enfants de moins de neuf ans.

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