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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles > N° 805 - novembre 1982

 

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N° 805 - novembre 1982

Incohérence agricole commune   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

Un vrai changement   (Afficher article seul)

Sans espoir de retour   (Afficher article seul)

Ils y viennent !   (Afficher article seul)

Mais pourquoi cette austérité ?   (Afficher article seul)

Les crédits de mort   (Afficher article seul)

Ne mourez plus pour la patrie   (Afficher article seul)

Libre entreprise ou satisfaction des besoins ?   (Afficher article seul)

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Incohérence agricole commune

novembre 1982

UN très ancien lecteur de la Grande Relève » m’écrit :
« Comment se fait-il que vous ne parliez plus des destructions scandaleuses de produits agricoles, du café brûlé dans les locomotives, des vignes arrachées, du blé dénaturé, du lait versé dans les égouts ? »

*

Nous avons dénoncé, il n’y a pas si longtemps encore, la destruction massive de belles récoltes de choux-fleurs ou de pommes de terre, en Bretagne par exemple. Mais le marché s’est organisé, depuis l’époque où, entre la «  crise de 1929 » et le début de la guerre de 1939, la destruction des récoltes était la première réaction de défense de producteurs préoccupés, avant tout, de maintenir la rareté des produits qu’ils mettaient sur le marché, car c’est la rareté d’un produit qui permet d’en tirer le meilleur prix... en économie libérale.
Depuis, face à l’abondance des récoltes, les producteurs ont renoncé à l’économie libérale. Il faut le souligner, car vouloir supprimer l’économie libérale est le plus violent reproche qu’on nous fait, à nous distributistes. Or c’est pourtant ce qui a été fait de la façon la plus officielle, la plus légale et la plus large, puisqu’à l’échelle de toute la Communauté Européenne, pour les productions agricoles. A croire que toute l’organisation du marché agricole a échappé à l’attention de nos détracteurs  !
Seulement voilà, il y a une différence, et elle est de taille, entre le but que nous poursuivons et celui des organisateurs du Marché Commun. Nous, nous disons : il faut organiser l’économie de façon à ce que tout le monde puisse profiter de la production réalisée répartir équitablement entre tous le travail à faire et le pouvoir d’accès aux biens produits, par un Service Social et un Revenu Social pour tous. Tandis que les législateurs de la Communauté Européenne n’ont aboli les règles de l’économie libérale que dans le seul but de maintenir pour une seule catégorie sociale, celle des producteurs agricoles, la rentabilité de leur travail en leur garantissant des revenus, quels que soient les aléas du marché.

*

Rappelons quelques faits et quelques chiffres éloquents à propos du Marché Commun Agricole. C’est dès 1956, soit une dizaine d’années après la guerre, que les agriculteurs français recommencent à se plaindre « d’excédents  » et à trouver que le marché national est trop étroit. Un an après, le 25 mars 1957, le traité de Rome institue la Communauté Économique Européenne ayant pour objectif d’établir une union douanière et de mettre en oeuvre une politique économique commune à six pays européens. Les difficultés sont telles que « l’Europe verte » n’est achevée qu’en 1968. Quatre ans plus tard, quatre autres pays, dont la GrandeBretagne, s’y associent. Ainsi, en 1977, la Communauté rassemblait- elle 259 millions de consommateurs et 8,5 millions de producteurs. On notera que malgré ces chiffres (plus de 30 consommateurs pour un seul producteur), jamais les consommateurs n’ont eu de représentants quand il s’est agi d’établir la politique agricole commune.
Et quelle est cette politique ? Chaque année, le Conseil des Ministres de la Communauté fixe un prix MINIMUM pour les principales productions agricoles, et ce prix est en général beaucoup plus élevé que le prix pratiqué ailleurs dans le monde. Autrement dit, les importations ne sont pas libres car les prix que nous payons sont plus élevés que ceux que proposeraient les concurrents étrangers. La raison en est simple : les économistes qui ont organisé ce marché, et qui se déclarent les défenseurs du libéralisme économique, ont décidé de taxer les produits importés jusqu’à ce qu’ils soient plus chers que les nôtres. Au besoin, pour annuler la concurrence, certains produits sont interdits (ce fut le cas de la viande de boeuf congelée jusqu’en 1978).
A l’inverse, pour permettre aux producteurs européens de vendre leurs produits à l’extérieur de la C.E.E., un organisme exécutif de la Communauté, le F.E.O.G.A. (Fonds Européen d’Orientation et de Garantie Agricole, créé en 1962), leur verse une aide à l’exportation, égale à la différence entre le prix garanti et le prix pratiqué à l’extérieur. C’est ainsi que la viande vendue en 1975 par les Européens à l’U.R.S.S. au prix de 3,60 F le kilo a été payée aux producteurs au prix garanti du marché européen, ce qui a représenté une charge de 18,250 milliards de francs (et non pas de centimes) pour les pays membres.
A l’intérieur de la Communauté, si le prix du marché est supérieur au prix fixé, tout va très bien, tant mieux pour les producteurs et tant pis pour les consommateurs. Mais si le prix du marché (le prix « libre ») est inférieur, le même F.E.O.G.A. a aussi pour mission de payer aux producteurs la différence avec le prix garanti. Si ce prix du marché devient inférieur à un prix dit de retrait, les organisations de producteurs sont autorisées (et elles le font) à ne pas mettre en vente les produits de leurs adhérents qui, en contrepartie, reçoivent une indemnité. Enfin, pour les fruits et légumes et la viande de porc, il existe un prix fixé auquel les organismes d’intervention achètent ce qu’ils appellent les excédents en cas dé « crise grave », c’est-à-dire lorsque « pendant trois !ours consécutifs les cours ont été inférieurs à ce prix ». On est bien sûr ainsi que plus lamais les prix ne baisseront sur le marché pour la ménagère. Notons qu’à ces sommes s’ajoutent les montants compensatoires monétaires destinés à compenser les disparités de prix entre les États de la Communauté lorsque l’un d’eux dévalue sa monnaie. Ajoutons encore que les États membres aident directement leurs propres agriculteurs : crédits à un taux d’intérêt plus bas de 5% que le taux courant, les contribuables payant cette différence, prise en charge de la Sécurité Sociale, investissements pour l’équipement des campagnes, fiscalité forfaitaire et aides diverses : selon les données de la C.E.E., les États interviennent ainsi pour des montants DEUX FOIS supérieurs à ceux de la Communauté.
Et ce F.E.O.G.A., comment est-il alimenté ? On a dit, au début, que lés taxes sur les produits importés des pays tiers compenseraient les Montants versés aux producteurs pour leur garantir le prix fixé. Il n’en est rien. Les dépenses du F.E.O.G.A., rien que pour garantir les prix, sont passées de 17 milliards de francs en 1967 à 68 milliards en 1980 !
Pourquoi cette augmentation des dépenses ? A cause de la croissance de la production dans le monde qui, bien évidemment, entraîne la baisse des prix sur le marché mondial. Ainsi les contribuables sont amenés à payer de plus en plus cher pour que les consommateurs (c’est-à-dire eux- mêmes) ne puissent pas profiter de la baisse des cours mondiaux !
C’est pour maintenir les prix du sucre et des produits laitiers que nous dépensons le plus. Pour le sucre, dont la production était qualifiée d’excédentaire, le Marché Commun a fixé en 1975-1976 un contingent, au-delà duquel les producteurs doivent verser une cotisation destinée à financer les pertes à l’exportation sur le marché mondial. En 1978, ces cotisations ont constitué 21,3% de l’ensemble du budget de la C.E.E. Mais l’année suivante, le prix garanti aux producteurs était de 2400 F la tonne alors qu’il était descendu à 1 000 F sur le marché libre, parce que la production avait encore augmenté. Pensez qu’en 1900, la production mondiale de sucre n’atteignait pas 10 millions de tonnes. En 1920, elle dépassait 16,8 millions, trente ans plus tard elle avait doublé, en 1970 elle dépassait 72 millions, en 1980, 86 millions.
« Le Monde » du 3 août dernier, dans sa page économique, titrait de façon catastrophique un véritable « effondrement  » du sucre, le cours en ayant baissé de 40% depuis le début de l’année. Le journaliste commentait : « La raison de cet effondrement est simple, c’est la surproduction... la récolte de sucre pour l’exercice 1981-1982 pourrait atteindre 98 millions de tonnes... Par ailleurs, ajoutait-il, de nouveaux producteurs apparaissent  : l’Inde, par exemple, dont la récolte est supérieure de près de 3 millions de tonnes à la précédente, cherche à écouler des quantités importantes de sucre sur le marché mondial, tandis que ses stocks augmentent rapidement ».
L’Inde ! Un des pays du monde où règne la misère la plus noire cherche à vendre son sucre parce qu’elle en a trop  ! Qui peut, devant cette énormité, soutenir une politique économique qui ne raisonne que sur la base financière ? On nous pousse par toutes sortes d’astuces, nous qui avons les moyens de payer, en Europe, et de façon encore plus écoeurante aux États-Unis, à consommer de plus en plus de sucre. Mais les Indiens, !es Africains, les Porto-Ricains, et même les Européens qui ne peuvent pas vendre leur travail, ne sont pas pris en compte par ceux qui établissent les règles économiques miques : pas de moyens de paiements ? Pas de besoins ! La production mondiale peut déborder, elle n’est pas pour eux.

*

Après tout, fera-t-on remarquer, n’est-il pas légitime de vouloir garantir des revenus à ceux qui produisent notre nourriture  ? Bien sûr. Nous prétendons même qu’en gageant la monnaie sur la production, c’est à tout le monde qu’on peut garantir un revenu. Mais ce n’est pas du tout ce à quoi est parvenue la politique agricole commune, car la grande majorité des agriculteurs, malgré ces énormes dépenses et ces destructions inadmissibles, se plaint de voir son niveau de vie se dégrader de plus en plus...
Pourquoi ? Parce que cette politique garantit le même prix par denrée à tous les agriculteurs, du petit producteur qui a dû s’endetter pour s’acheter un tracteur au gros « industriel-agricole  » qui possède tout un parc de machines modernes. Alors quand la Communauté décide, par exemple, de garantir une augmentation de 1% du prix du blé, ceci se traduit, pour l’exploitant qui produit 8 000 quintaux par an, par un apport supplémentaire de 14 000 F, tandis que pour le petit agriculteur qui récolte 200 quintaux, ceci ne fait qu’une somme dérisoire, 360 F par an ! Et comme sur les 600 000 exploitations qui existent en France, moins de 3% fournissent le tiers de la production, on comprend que cette politique faite pour les agriculteurs n’aboutit qu’à creuser l’écart entre le niveau de vie d’une minorité de gros exploitants, qui en sont seuls bénéficiaires et une majorité de petits qui fournissent un gros travail mais ont de plus en plus de mal à vivre.
Alors, est-ce bien pour en conserver ce principe que l’argent va à l’argent et que ceux qui n’en ont pas n’ont qu’à mourir de faim qu’il fallait abandonner le libéralisme économique ?

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Au fil des jours

par J.-P. MON
novembre 1982

Pour les gouvernements de droite comme de gauche un seul mot d’ordre, la rigueur : en Norvège, le gouvernement conservateur présente un budget de rigueur (réduction des investissements publics et de ceux des communes, réduction des impôts sur les profits des entreprises, augmentation du prix de l’électricité, ...) ; au Danemark, il y a un peu plus d’un mois, le gouvernement social-démocrate démissionnait parce qu’il ne pouvait pas faire adopter par le parlement des mesures d’austérité économique et le gouvernement de coalition centre-droite qui lui succède s’empresse de présenter un autre plan d’austérité (économies draconiennes dans les dépenses de l’Etat, taxation des caisses de retraites, ...) ; en R.F.A., le nouveau gouvernement (chrétien-démocrate-libéral) décide la compression de certaines allocations sociales, le gel des augmentations de retraites et des salaires de la fonction publique  ; En France, en présentant le IXe plan, Rocard, avec la bénédiction de Mitterand, annonce une « rigueur confirmée » (il faut « renforcer l’indépendance de la France par une compétitivité nouvelle ») ; en Suède, le nouveau gouvernement (social-démocrate) dévalue de 16 %, prépare un budget très austère (freinage des dépenses de l’Etat et des communes pour limiter le déficit budgétaire, annonce une baisse inéluctable des revenus...) ; même au Japon (d’où, dit-on, viennent tous nos maux) la situation n’est guère brillante (croissance économique ralentie, aggravation du déficit budgétaire qui atteint 400 milliards de nos francs, soit 6% du PNB, stagnation de la demande intérieure, baisse des exportations, ....) ; en Angle terre, là c’est vraiment le délire au congrès des conservateurs (parti du Premier Ministre) on propose de «  dégraisser » les services publics, de privatiser l’éducation et la médecine, de réduire les dépenses publiques, de rétablir la peine de mort et les châtiments corporels, de renforcer la répression sous toutes ses formes...) .
Bref, on est partout dans la plus totale absurdité.

*

C’est qu’en effet tout le monde veut être compétitif, et bien sûr, plus compétitif que le voisin afin de pouvoir exporter (« exporter ou mourir » disait déjà le ministre de l’Economie de Hitler). Pour cela, il faut faire serrer la ceinture à ses nationaux pour réduire les coûts de production ; il faut réduire l’inflation car cela entraîne la baisse des taux d’intérêts, donc favorise les investissements et donc les créations d’emplois. On peut aussi dévaluer pour vendre moins cher, etc...
La dévaluation, ça n’est pas du tout du goût des voisins.
C’est ainsi que le Danemark proteste violemment contre la dévaluation suédoise qualifiée par le ministre des Finances de déraisonnable, d’injustifiée et d’antisolidaire : « c’est le début d’une guerre commerciale entre les pays industrialisés, du genre de celle que nous avons connue au moment de la crise de 1930 où chaque pays croit pouvoir se débrouiller au détriment des autres ».
Du coup, le Danemark s’apprête lui aussi à dévaluer. Il n’y a pas de raison de s’arrêter en si bon chemin... A la longue la monnaie ne représentera plus rien.
Autre stupidité : investir pour créer des emplois. Tous les chefs d’entreprises investissent quand ceci leur permet de produire plus avec moins de main-d’oeuvre. La création d’emplois, c’est le cadet de leurs soucis... et comme les machines n’achètent pas ce qu’elles produisent, les producteurs ne peuvent plus vendre : c’est ça la véritable crise, et pas autre chose.

*

Le comble, c’est quand on investit non seulement pour diminuer les emplois mais encore pour réduire les capacités de production.
C’est le cas de la sidérurgie.
Témoin les déclarations de M. Davignon, vice-président de la commission européenne chargée . des affaires industrielles  : La Communauté a mis en place depuis un an un nouveau code des aides très rigoureux ; les subventions publiques qui doivent d’ailleurs disparaître complètement en 1985, ne sont autorisées que si les modernisations qu’elles permettent s’accompagnent d’une réduction des capacités de production
Le taux d’utilisation des capacités de production dans la sidérurgie est de 62 % dans la CEE, de 60 % au Japon et de 40% aux Etats-Unis. Rappelons que dans la CEE, depuis la fin de 1978, 151 000 emplois ont été supprimés.

*

En septembre, aux Etats-Unis, le chômage vient de dépasser le taux de 10,1% (près de 12 millions de chômeurs) ; ce taux est pour la première fois supérieur à celui de la crise de 1929.

*

Ce rapide tour d’horizon nous montre que quelles que soient les politiques menées dans le monde, on ne sait plus que faire contre «  la crise ». Les économistes les plus lucides commencent à l’admettre. C’est ainsi que M. J. Steinberg, de Cambridge, écrivait dans le « Financial Times » du 7 septembre  : « Les gouvernements pendant les quinze années qui viennent vont faire des promesses qu’ils ne pourront tenir et en seront punis. Il est manifeste qu’aucun gouvernement, où que ce soit, n’a la moindre idée de ce qu’il faudrait faire pour sortir de l’actuel stagflation » (le mélange de stagnation et d’inflation).
Et si on faisait l’Economie Distributive ?

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Un vrai changement

par M. DUBOIS
novembre 1982

AVANT DE VOTER DE NOUVELLES LOIS

LA volonté de changement, dans une société comme la nôtre, est plus qu’explicable. C’est à vrai dire une sorte de légitime défense de l’individu inlassablement agressé dans sa vie quotidienne. Encore faut-il que, si changement il y a, ces derniers aillent dans le sens souhaité, et surtout se révèlent efficaces.
A cet égard, on ne peut qu’être surpris de voir avec quelle frénésie sont discutées et votées des dizaines de lois nouvelles alors que les gouvernements s’avèrent incapables de faire appliquer les lois existantes.
Je n’aurai pas le mauvais goût de faire allusion ici aux professionnels de la chienlit qui se défoulent allègrement et sans le moindre risque au nom de la « permissivité », qu’elle soit libérale avancée ou socialiste : brûleurs de feux rouges, motards pétaradeurs, briseurs de lampadaires et de cabines téléphoniques, vandales en tous genres se relaient pour donner aux relations humaines, spécialement dans les grandes villes, un caractère aussi désespérant qu’exaspérant. Il s’agit là d’un phénomène de pourrissement intellectuel et moral dont la disparition progressive exigera, dans la meilleure hypothèse, une ou deux générations.

APPLIQUER LES LOIS EXISTANTES

Mais il existe d’autres exemples, beaucoup plus limitatifs, et par conséquent plus révélateurs, de non application de lois existantes.
C’est ainsi qu’en mars dernier le Directeur du service des fraudes publiait une lettre dénonçant l’introduction frauduleuse des tourteaux d’arachide contaminés d’aflatoxine, pour nourrir à bas prix notre bétail (vaches laitières notamment). Or l’aflatoxine est une moisissure toxique qui naît sur les tourteaux d’arachides stockés dans de mauvaises conditions. On !a tient pour responsable de certaines hépatites, et elle serait même cancérigène. A la suite de cette lettre, le Conseil supérieur de l’hygiène a été saisi... et a nommé un groupe de travail.
En attendant, note le « Figaro » du 25 mars qui publie ces informations « on ne comprend pas pourquoi une série de réglementations limitant les teneurs en aflatoxine des aliments pour animaux d’élevage ne sont pas respectées. Dernier en date, l’arrêté du 19 juillet 1976 stipule catégoriquement  : sont considérés comme impropres à la vente pour l’alimentation des animaux les produits qui contiennent des teneurs d’aflatoxine supérieures à celles fixées par le présent arrêté. Or, les contrôles de dosage d’aflatoxine dans les aliments du bétail seraient aujourd’hui aussi peu efficaces que ceux des oestrogènes avant le boycottage du veau. Ajoutons qu’aucune réglementation n’existe pour les dosages d’aflatoxine dans l’alimentation humaine des adultes : une carence de taille ! Laquelle n’est qu’à peine compensée par la loi sur les produits diététiques et de régime qui protège ce secteur, où figurent les petits pots pour bébés.
Et puis, - c’est un paradoxe de notre réglementation - des antibiotiques sont autorisés pour combattre les moisissures de croûtes de fromages, afin de neutraliser les aflatoxines qui pourraient s’y développer. Mais on laisse, en revanche par camions entiers, les tourteaux porteurs de toxines, en provenance du port d’Anvers, franchir nos frontières ».

MAIS CHANGER LE REGIME ECONOMIQUE

Lorsque Mme Rosemonde PUJOL, signataire de l’article du « Figaro  », prétend ne pas comprendre, elle se calomnie bien inutilement aux yeux de ses lecteurs puisque, sans qu’aucun de nos amis ne le lui ait soufflé, elle résume parfaitement elle-même le fin mot de l’histoire « Tout, dans cette affaire, est de savoir ce qui est le plus rentable : protéger à long terme la santé des consommateurs, ou nourrir à bas prix les animaux quels que soient les risques que peuvent engendrer ces... économies  ».
Bravo, chère Madame, pour cette conclusion cynique mais lucide. Nous nous permettrons d’ajouter que :
- en économie des Besoins un tel dilemme ne se poserait évidemment pas,
- nous scrutons vainement l’horizon sans voir poindre ce vrai changement.

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Sans espoir de retour

par P. SIMON
novembre 1982

ILS sont partis sans espoir de retour les emplois de ceux qu’on appelle les cols bleus, partis avec les industries qui les employaient. Les uns et les autres ont été balayés par le raz-de-marée technologique qui constitue le fond de la crise que nous traversons.
Il s’agit des industries traditionnelles, comme les aciéries, l’automobile, le caoutchouc et les textiles qui, il n’y a pas encore si longtemps formaient la charpente de notre économie. Rien qu’aux EtatsUnis, elles ont perdu, depuis 1978, plus d’un million d’emplois qui ne seront jamais créés à nouveau. Plus de 1 500 d’entre elles ont définitivement fermé leurs portes depuis 1975.
Pourquoi ? Parce que les industriels américains ont de plus en plus recours à l’automatisation des ateliers et aussi parce que, là où elle n’est pas possible ou rentable, mieux vaut laisser les tâches subalternes de fabrication à la main ’à des pays à bas salaires. En Chine, par exemple, la main-d’oeuvre est payée 1,06 francs de l’heure. Aucun ouvrier de pays industrialisé ne peut accepter de travailler à ce tarif.
Quelques chiffres précisent l’ampleur du désastre. Toujours aux Etats-Unis, l’automobile a vu son personnel réduit d’un tiers eh 4 ans. En 20 ans, le nombre des travailleurs du rail a baissé de 68 %. Globalement, les aciéries ont perdu 57 % de leurs ouvriers en 25 ans et le textile 41 %.

Le phénomène est irréversible. Les travailleurs qui accomplissent des tâches« manuelles dans des secteurs où l’automation est possible ou dont les activités peuvent être transférées à l’étranger sont menacés dans leur emploi à court ou à moyen terme. Qu’ils n’espèrent pas se reclasser tous dans les domaines en expansion. Si, au cours des trois dernières années, les emplois des cols blancs ont augmenté de 5 %o en moyenne, ceux des cols bleus ont baissé de 10 %.
Que peuvent faire les travailleurs en présence de cette évolution  ? Certains peuvent se recycler dans des secteurs nouveaux après avoir reçu une formation nouvelle. Pour diverses raisons, tous ne le peuvent pas. Le pourraient-ils qu’ils ne seraient pas sûrs d’être embauchés.
Directement menacés de licenciement d’autres acceptent, ou même proposent, qu’on réduise leurs salaires espérant ainsi permettre à leur entreprise de’ retrouver sa rentabilité en réduisant ses coûts de production. Mais qu’ils ne se fassent pas d’illusions. Ils ne font que retarder l’échéance.
Une autre attitude consiste pour les travailleurs à racheter leur entreprise et à l’exploiter eux-mêmes. Qu’on en juge. En décembre 1981 les employés d’une usine de roulements à billes de la Général Motors ont repris leur usine sur le point de fermer. Leur première mesure a consisté à voter une réduction de 25 % de leurs salaires. En France, M. Krazucki déclarait il y a quelques jours qu’il n’était pas possible d’accepter une baisse de pouvoir d’achat pour 1982. Comment, pourtant y échapper dans un tel contexte ?
Pour remonter le moral de la nation les économistes annoncent l’avènement de l’ère post-industrielle, sorte de nouvel Eden où les usines seront propres et agréables et dont les tâches répétitives auront été bannies. Une étude de l’université Carnegle-mellon prévoit que d’ici l’an 2000, 3 millions d’ouvriers auront été remplacés par des robots. A peu près dans le même temps, ajoute cette étude le chiffre d’affaires de l’industrie américaine de lai robotique aura été. multiplié par près de 50. Soit, mais un chiffre d’affaires ne représente pas des : emplois. Moins optimiste, un dirigeant syndicaliste voit, la nouvelle société coupée en deux par un fossé de plus en plus profond séparant les riches des moins riches. Il a peut-être bien raison.

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Ils y viennent !

novembre 1982

• Extrait d’un entretien avec J. Ellul du « Nouvel Observateur  » du 17-7-82 :

D’un entretien avec J. Ellul dans « le Nouvel Observateur » du 17 juillet :

J.E.- Pousser une politique d’automatisation extrêmement rapide de l’ensemble des entreprises françaises implique une réduction brutale des possibilités de travail, par conséquent une augmentation du chômage. C’est-à-dire qu’il faut réviser les idées que nous avons en tête, à savoir : travailleur avec un salaire ou chômeur avec une indemnité. Ce n’est plus possible. Dans l’O.C.D.E., il y a 28 millions de chômeurs  ; pour 1985., on en prévoit 35 millions. Ce n’est pas en créant trois cents emplois par-ci par-là que l’on va résorber ça. Autrement dit, cela suppose que l’on pense une politique de changement total de répartition du revenu national. Ça ne peut plus fonctionner avec des salaires, ce n’est pas possible. Il y a un gâteau global que l’on partage en tranches approximativement égales ; pas forcément totalement égales ; le travailleur . ne reçoit plus un salaire mais sa part de revenu national, et le non-travailleur aussi...
N.O. - Est-ce que vous ne croyez pas qu’à ce moment-là l’obstacle ne réside pas tellement dans la définition politique, gouvernementale ou administrative du chômeur, mais dans la tête du chômeur lui-même et dans la manière dont il ressent son statut ?
J.E.- Pas si on cesse de distinguer, comme on le fait encore, chômeur et non-chômeur ; pas si le travail n’est plus la valeur suprême de la société et devient une activité parmi les autres pas si on comprend réellement qu’après tout le travail de la ménagère équivaut au travail de la femme dans son bureau ou que le travail de l’artisan qui vend ses bijoux dans la rue équivaut au travail de l’ouvrier en usine, si le travail n’est plus la valeur de la société ! C’est là le retournement mental. Parallèlement, il faudra enfin accepter dans les entreprises une extraordinaire souplesse - rendue possible par l’appareillage moderne - dans le travail, une très grande diversité dans les horaires, etc.

(Envoi de nombreux lecteurs dont Mme Montanet de Grenoble et M. Couton, de Paris).

• Extrait du « Journal du Centre (27.7.82) :

REPENSER LE TRAVAIL
par Jean-François KESLER

« La France compte environ deux millions de chômeurs. La disparition du chômage ne peut pas être envisagée à court terme. Il faut donc reprendre le travail.
A la vérité, ce qui s’impose c’est une révolution mentale. Il devient nécessaire de distinguer entre rémunération et emploi. L’avènement de l’« Etat-Providence » et l’édification d’un vaste système de sécurité sociale ont déjà constitué une rupture radicale avec la pensée économique libérale. A partir du moment où ont été attribués des allocations en cas d’impossibilité de travailler pour quelque cause que ce soit (maladie, invalidité, maternité, vieillesse, etc.) le lien entre travail et revenu a été rompu. L’assurance chômage procède d’ailleurs du même esprit. Il n’est plus nécessaire, dans nos sociétés développées, de travailler pour percevoir un revenu (étant entendu que les revenus de remplacement n’ont rien à voir avec l’assistance et présentent toutes les caractéristiques d’un salaire).
Il faut aller plus loin. A l’heure actuelle, le travail a une double dimension : une dimension financière (c’est le moyen pour chacun de gagner sa vie, s’il est apte au travail), et une dimension morale (l’homme trouve sa dignité dans le travail). Certes, cette deuxième dimension est battue en brèche par les nouveaux modes de pensée. Pourtant, elle demeure fondamentale.
C’est pourquoi il convient d’adopter le diptyque suivant tout homme a droit à un revenu minimum, lié au niveau de la production nationale, quelle que soit sa situation ; tout homme, s’il est apte au travail, doit travailler.
Mais, il faut ensuite distinguer entre emploi (rémunéré) et occupation (non rémunérée).
Il doit exister des obligations réciproques entre le travailleur sans emploi et la société. A la société d’assurer à tout travailleur sans emploi un revenu de remplacement. Au travailleur sans emploi de contribuer, à la mesure de ses capacités, aux besoins de la société, sans pour autant exiger un salaire, étant donné qu’il est déjà pris en charge par cette société. C’est donc le lien entre rémunération et occupation qu’il faut rompre. L’employeur ne doit pas être forcément le payeur. Le payeur, déjà, n’est pas toujours employeur ».

(Envoi de G. ROTYCOLARD, Paris)

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Mais pourquoi cette austérité ?

par H. MEUNIER
novembre 1982

« L’effort devra être poursuivi durant de longues années  », annonçait dernièrement notre Ministre des Finances revenu dans la foulée de ses prédécesseurs.
Il ne semble guère, pourtant, que la production utile nécessite tellement d’emplois et d’efforts, sinon pour s’écouler, si l’on en juge par l’amoncellement des marchandises à la recherche d’acheteurs, la publicité délirante qui coûte une fortune aux consommateurs, les millions de ’chômeurs qui se croisent les bras, l’ampleur des gaspillages. Disons que la majorité des efforts que l’on nous presse d’accomplir sans répit, la vie durant, ont pour seule fin de nous procurer l’argent nécessaire à écouler ce qui est à vendre avec profit. Il faut donc entretenir la circulation d’une masse monétaire au flux capricieux qui va et vient sans cesse, enfle et désenfle au gré du hasard, de la conjoncture, se répandant à travers mille canaux le long desquels se pressent les multitudes avides d’y prélever leur part, de la disputer à autrui, le temps de former leur revenu et d’en disposer en remettant cette part en circulation.
Système absurde qui subordonne l’approvisionnement des populations à la ronde de l’argent, qui conduit à greffer une effarante organisation financière et comptable sur les activités productrices, à occuper à vide des millions d’emplois gaspilleurs de ressources et d’énergie, à remuer d’himalayennes montagnes de paperasses, enfin et surtout à limiter la production aux étroites limites du marché sans souci des autres besoins auxquels, matériellement et techniquement, cette production serait en mesure de faire face.
Il est d’autres moyens que cette ronde de l’argent pour rétribuer le travail et procurer au consommateur le pouvoir d’achat lui permettant d’en acquérir les fruits. Une distribution des revenus en monnaie de consommation n’a rien d’utopique. II est temps de s’en préoccuper avant qu’une débâcle financière et monétaire ne vienne balayer les derniers vestiges de morale et de sécurité plaqués comme un vernis sur une civilisation pourrie par l’argent.
En fait, la ronde de l’argent avec ses codes, ses procédés pour favoriser l’accumulation des revenus par une minorité, paraît avoir été conçue en vue de satisfaire, sans limite, les besoins de clans privilégiés par la chance. Ainsi les appels à l’effort et à l’austérité visant à rétablir la santé monétaire, à relancer la circulation de l’argent par le biais du profit et de l’investissement, concourent-ils, en dernière analyse, à la sauvegarde d’aberrantes prérogatives.

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Les crédits de mort

par E. BARREAU
novembre 1982

BREVE, mais meurtrière (comme toute guerre) , la guerre des Malouines est terminée. Vainqueurs et vaincus font les comptes, les premiers exultant, les seconds maugréant, tout en analysant les causes de leur défaite ; tous semblant ignorer que dans toute guerre, il n’y a globalement ni vainqueur ni vaincu (au sens combattant du terme), l’un n’étant que le corollaire de l’autre.
Une réalité : des cadavres ! (2000 aux Malouines). Des blessés par milliers, civils et militaires. Des destructions de toutes sortes I Les véritables vainqueurs (sans risque), n’étant en fait que les marchands de canons, alimentés par ..une finance pléthorique, sorte de vautours invisibles, rôdant silencieux autour des champs de carnage.
Les téléspectateurs qui ont regardé et écouté l’émission du 9 - juillet dernier, intitulée « Les Milliards des Malouines », ont pu, grâce à cette émission courageuse, se faire une idée sur les dessous, homériques et cyniques, concernant ce genre d’activité.
HOMERIQUE : - Lorsqu’on apprend que le missile « BM 40 », (Exocet) qui envoya par le fond le SHEFFIELD (bâtiment de la Royal Navy), est fabriqué en France, lequel fut vendu 5 millions aux Argentins... Qui coulèrent le navire, appartenant à nos amis Anglais ! Et combien d’autres. Pour corser le tout, au nom de croyances dont chacun est libre, il n’apparaît pas moins que l’on «  sacralise » toujours les conflits ! N’a-t-on pas vu (presse écrite) des prêtres catholiques argentins bénissant combattants et armements, avant le départ pour le front... Avant d’aller combattre l’adversaire, qui partait probablement dans les mêmes conditions ?
Pour conclure qu’au nom d’une Divinité ( ?) guerrière et sanguinaire, une fois de plus l’on s’est allègrement étripé  !... Belle civilisation ! God save the King !
CYNIQUE : - Un courtier en armes (quel beau métier !) interrogé sur le cas de conscience que pouvait susciter un tell business, ne fut nullement impressionné, encore moins angoissé. Dans ce monde d’argent, il faut bien gagner sa croûte !... Même si elle a des relents de charogne !...
A propos des surenchères sur l’armement : - Quel pays n’augmente pas son budget de la défense ?- Les conflits, soigneusement entretenus, peuvent-ils, à longue échéance, ruiner un pays  ?
- Non, fut-il répondu, omettant de dire pourquoi ? Et omettant de préciser que les crédits de guerre (crédits de mort) sont inépuisables !... Toutes destructions conduisant à la rareté étant synonyme de profit !...
La guerre étant là façon radicale de détruire l’abondance socialement utile, mais non rentable, pour une économie de profit. Quelle honte...
Interrogé sur la puissance meurtrière de l’« Exocet  », un quidam de l’armement n’hésita pas à faire l’apologie de l’inventeur du missile... Grâce à l’industrie de l’armement, 300 000 emplois sont assurés (salaire lié à l’emploi), esclavagisme moderne.
Gloire à l’inventeur, autrement dit à ceux qui sont financés pour découvrir et fabriquer des armes de plus en plus meurtrières...
Gloire au Dieu-Profit, aux pieds duquel des hommes s’agenouillent.
Civilisation ou sauvagerie ?
L’homme, considéré biologiquement, est la plus formidable de toutes les bêtes de proie, et vraiment la seule qui dévore systématiquement sa propre espèce. (William JAMES).
Présentement, il est bien certain que le désarmement ne peut être unilatéral. Cependant, pour qu’il devienne effectif, il serait nécessaire de commencer par supprimer sa raison d’être contemporainement (guerre économique) ; soit sa rentabilité financière. Une possibilité : - Créer une monnaie de consommation (revenu social), non spéculative, parce que non thésaurisable, faute de quoi l’on devrait inscrire aux frontispices des Monuments aux Morts des guerres (d’hier, d’aujourd’hui et de demain  ?) : « Morts aux champs d’horreurs ». Pour la plus grande gloire des marchands de canons ; ainsi que pour la survie de l’économie de profit... !
L’argent est « le nerf de la guerre » dit-on ? Oubliant que la monnaie n’est qu’un canulard démystifiable. Combattre la guerre, n’est- ce pas avant tout exiger que les crédits fabriqués pour l’industrie de mort doivent se substituer à des crédits de paix, permettant le « Droit à la vie pour tous ». Maintenir des idées et des publicités fausses est une insulte à l’intelligence et à la raison !...

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Ne mourez plus pour la patrie

par A. CHANTRAINE
novembre 1982

Soyez résolument, farouchement contre la guerre.
Il n’y a pas de guerres justes. Vivre c’est aimer et non tuer.
On ne meurt jamais pour sa patrie comme le pensent certains inconscients.
On meurt tout simplement pour défendre les puissances de l’Argent...
Ne tolérez pas que vos enfants s’affublent de vêtements militaires.
Pas de carnavals qui rappellent les tueries...
Refusez de voir dans le drapeau un symbole de gloire...
Suivez la voix de la PAIX !
Suivez la voie de la PAIX !
Parlez du désarmement unilatéral pour préparer le désarmement général.
Et parlez surtout du surarmement de la Pensée Réfléchie.
Ne mourez plus pour la patrie
mais vivez pour elle
vivez pour la Vie.

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Lectures

A l’heure où les tenants de la libre entreprise manifestent leur opposition aux efforts de justice sociale tentés par le gouvernement, H. Muller développe son analyse d’un document publié par l’Institut de l’Entreprise. Il s’attache à démontrer que sous la proclamation de beaux principes (créativité, goût du risque, respect de la liberté, etc...) se cachent la loi implacable du profit et son mépris des besoins d’une immense majorité.

Libre entreprise ou satisfaction des besoins ?

par H. MULLER
novembre 1982

LÉCHÉ avec beaucoup de soin, le document ne semble avoir fait de vagues ni dans les milieux patronaux, ni parmi la gent syndicale, ni sur la place publique. les médias n’ayant guère été prolixes à son sujet. Destiné à redorer le blason de la libre entreprise malmenée par le pouvoir socialo communiste, à restaurer les vertus du libéralisme économique, le Manifeste ré-entonne le crédo des entreprises du style des années 20, crédo d’un capitalisme triomphant des années bénies d’après- guerre, se référant au catéchisme hérité d’A. Smith et de J.B. Say.
Aujourd’hui, les nouveaux droits obtenus par les travailleurs dans leurs entreprises incitent les directions à prêter une meilleure attention au consensus social selon l’exemple japonais, condition devenue essentielle à une meilleure efficacité, à une meilleure productivité, à un meilleur profit, sans qu’il soit question, pour autant, d’y faire participer salariés et clients. Mini—coûts, maxi-prix, telle a toujours été la règle d’or de l’optimum de profit.
Les chefs d’entreprises et leurs administrateurs redoutent dé perdre leurs aberrants privilèges, ceux que la règle du jeu confère aux profits sources de revenus, pour dix pour cent de la population, dix pour cent promus par la chance, par le hasard, plus que par l’effort, le mérite, l’utilité sociale, privilèges dont la légitimité pose éternellement question.

LES POSTULATS DU LIBERALISME

La défense de tels privilèges se fonde sur une série de postulats que les chefs d’entreprises s’efforcent de faire admettre par ceux-là mêmes dont ils exploitent le travail et les besoins, postulats qui leur sont bien commodes pour éviter de remettre quoi que ce soit en question.
Ainsi le progrès social serait-il lié au progrès économique défini a priori comme sa condition nécessaire et SUFFISANTE. Ainsi le respect des lois économiques conditionnerait-il l’efficacité économique et le progrès social. Ainsi la conjonction de quelques intérêts individuels concernant une minorité coïnciderait- elle nécessairement avec les intérêts du plus grand nombre. Ainsi, seule la libre entreprise favoriserait-elle la créativité et l’initiative.
« Exceptionnelle intégration de l’économique et du social, contribution au progrès humain » ? Mais c’est bien le système de la libre entreprise avec ses règles, ses codes, ses conventions, qui a fabriqué deux millions de chômeurs en France, trois en Grande-Bretagne, deux en Allemagne, dix à vingt millions aux Etats-Unis. Mais qui, du patron de choc impitoyable ou du patron social palabreur, a la confiance, la faveur des financiers, des administrateurs ? Avant d’être au service de l’homme, l’entreprise est au service du profit. N’a-t-elle pas obligation de limiter sa production au seuil des besoins hors-marché, d’ignorer ces derniers quelle que soit leur légitimité ou leur urgence ?
La créativité est l’affaire des personnels salariés, ingénieurs et techniciens. On la dit impulsée par le profit  ; mais la recherche est tout aussi féconde dans l’aire du socialisme.
« Initiative et responsabilité » ? L’entreprise, observe le Manifeste, accepte la sanction de l’échec. Elle cultive le goût du risque.
« Le risque » ? Il se manifeste à chacun tout au long de l’existence dans mille et un domaines. Du banquier au clochard, tout le monde cherche à s’en prémunir. L’échec  ? Qui l’accepte ? Pourquoi donc ces interminables procès entre fournisseurs et clients, ces ruses de Sioux pour dissimuler un détournement fiscal, falsifier une comptabilité ? Et lorsque les viticulteurs du midi se voient menacés par la concurrence, acceptent-ils l’échec  ? Non. Ils font sauter les cuves à l’explosif, bloquent les routes et arrêtent les trains. Ou bien ils quémandent des aides à l’Etat, imités par les sidérurgistes et trente six autres professions.
« La compétition se joue sur la performance » ? Encore faudrait-il s’entendre sur le sens du mot. Performance en qualité, à prix et profit élevés, ou performance en nombre de clients satisfaits ?

QUELLE LIBERTE ?

« Laisser à chacun la liberté de choisir ou de modifier son lieu de résidence » ? Croit-on que le salarié, propriétaire de son logement, souhaite vraiment changer de résidence au gré des exigences de l’entreprise qui l’emploie ? Et quand une industrie se transplante de Lorraine à FOS chacun a-t-il liberté de faire choix de son lieu de résidence ? Qui voudrait aller séjourner à Tahiti ou aux Seychelles, est- il libre de le faire ? Mais depuis des lustres, on berne l’opinion avec ce genre de calembredaines.
« La libre entreprise doit veiller à ce que les règles fixées par le Pouvoir et les institutions publiques ne portent pas atteinte aux libertés propres aux chefs d’entreprises ». Ces libertés, le Manifeste les énumère comme suit :
- liberté de disposer à leur gré des profits de l’entreprise. Ainsi nul n’a droit de regard sur la part de profit affectée à la consommation, aux dépenses des administrateurs, à l’accroissement de leur patrimoine personnel. Liberté également de spéculer, de se livrer à toutes sortes de jongleries financières, d’alimenter des caisses électorales, de subventionner des partis politiques ;
- liberté de coopter les administrateurs, d’embaucher ou de débaucher. Libre choix des hommes ? En ce domaine, nul n’a encore contrarié le choix des entreprises. Ce sont tout au plus celles-ci qui se livrent à des surenchères pour débaucher chez un concurrent ses meilleurs éléments ;
- libre choix des investissements. Ils se font selon le critère de l’optimum de profit. Le souci du bilan financier passe avant le souci du consommateur. On investit plus volontiers dans des entreprises étrangères qu’en renouvellement d’outillages dans la firme elle-même. Avant l’intérêt général, c’est la rentabilité du capital qui guide le choix des investissements. Des entreprises préfèrent travailler en Corée ou utiliser la main-d’oeuvre des pays du sud-est asiatique, voire celle des démocraties populaires. D’autres investissent dans les casinos, le commerce des armes et des machines à sous.
L’abus des libertés est une constante en matière de libre entreprise. Les directions affectionnent les voyages et la fréquentation des palaces, les congrès aux antipodes où elles claquent l’argent soustrait à leurs clients, au fisc et à leurs salariés, menant grande vie dans les salles et les cercles de jeux, couvrant épouses et autres de colifichets, bijoux et vêtements de haut luxe. Les efforts de rigueur qui encombrent le vocabulaire patronal ne concernent guère les faramineux traitements que s’octroient les Directions. Ils s’appliquent, en revanche, sans discrimination au monde des petits salariés soumis à une discipline de fer, à un environnement souvent débilitant, inhumain, à ses cadences et à des horaires.
Sur le rôle irremplaçable du profit, les propos patronaux sont invariablement dithyrambiques. Pourtant, le profit est à l’origine de la lutte des classes. Il crée souvent le sentiment d’injustices, d’inégalités mal tolérées. Ceux-là qui, en raison de leur profession ou de leur fonction, tirent du profit le plus clair de leur revenu, se sont construit un code qui leur permet de manipuler les prix à leur guise, c’est-à-dire, de voler autrui de la façon la plus légale. Rien, absolument rien, ne justifie, en effet, l’importance démesurée de cette mainmise sur les droits à consommer d’une clientèle livrée au bon plaisir du marchand, en échange d’une prestation dont la valeur relève de l’arbitraire.

POUR QUI TRAVAILLE L’ENTREPRISE ?

Il faut reprocher à l’entreprise libérale de s’aligner sur la structure du marché national et international plutôt que d’épouser les besoins réels des chefs de famille dont elle utilise la force de travail pour faire du profit en vendant aux mieux nantis des produits de luxe de bon rapport, inaccessibles aux personnels qu’elle emploie.
Avant de viser le marché mondial, l’entreprise ferait mieux de satisfaire les besoins intérieurs dont une minuscule fraction s’exprime sur le marché exclusif de ses attentions. Mais la règle du jeu a fait de la finalité humaine du travail, un sujet tabou dont il ne sied pas de débattre.

QUI TRAVAILLE POUR ELLE ?

L’idée d’une morale évoque l’honnêteté, le civisme, le souci du bien commun, celui de la qualité, le respect des priorités. Or les entreprises fraudent à qui mieux mieux. Elles exploitent la main-d’oeuvre immigrée et féminine, les apprentis, elles escroquent, trompent leur clientèle à tout propos : qui par de fausses garanties, qui par des astuces de fabrication destinées à réduire les durées d’usage, qui par de fausses apparences visant les contenants et les contenus, qui par de pseudo-calculs de prix intégrant un profit plusieurs fois supérieur au coût.
Le consommateur saigné à blanc, c’est au tour du contribuable d’être pris pour cible. Les entreprises en mal de débouchés se tournent vers l’Etat, quémandant aides, marchés, subventions, dégrèvement, rachat de leurs stocks. Celles qui exportent ou travaillent à l’étranger bénéficient, à la fois, d’un appui diplomatique, de l’action des services officiels chargés de négocier les accords commerciaux, et d’une garantie du COFACE couvrant les risques politiques.
L’entreprise libérale ne respecte ni les minorités constituées des non-solvables qu’elle marginalise, confiant à l’Etat le soin de pourvoir à leur survivance, ni les concurrents malchanceux qu’elle s’acharne à tuer, à achever, ni l’environnement, les sites qu’elle détruit, massacre au nom du profit.
L’abondance de littérature patronale à la gloire du libéralisme économique traduit l’inquiétude des directions mises en cause par un pouvoir a priori hostile. Il s’agit de plaidoyers pro domo visant à préserver le standing des hauts nantis, le pouvoir de l’argent et l’échelle des valeurs propres à la société régentée par le profit.
Une pléiade de professeurs, d’économistes, de studieux jeunes gens nourris des théories classiques n’ont cessé de se relayer pour entendre l’hymne aux vertus de la libre entreprise. Purgée de ses tares, nymbée d’une auréole, celle-ci, devenue le nombril du monde, habilement maquillée, nous est présentée tout vêtue de lin blanc et de propreté candide.

UN DETOURNEMENT...

Cependant, l’entreprise libérale n’est ni plus ni moins qu’un maillon parmi bien d’autres, de la chaîne sans fin dont le rôle est d’approvisionner les besoins des populations. Dévoyée par le système du profit avec ses exigences, cette mission se borne, pour lors, à n’en satisfaire qu’une faible fraction. L’entreprise n’est qu’un champ clos où l’on s’affronte pour la seule conquête de l’argent et du pouvoir qu’il confère.
Liberté, profit, responsabilité ? Disons que ni la liberté ni le profit ne sont pour les personnels astreints aux horaires, aux cadences, à l’encagement, écrasés par la hiérarchie, la bureaucratie, les règlements intérieurs, empêchés souvent de circuler et de parler librement, obligés à quitter leur foyer de bon matin pour aligner des chiffres ou gratter du papier.

... ET LE PARAPLUIE !

Quant à la responsabilité dont se prévalent les chefs d’entreprise, mieux vaut parler dans de nombreux cas de fuite devant les responsabilités. Quoi de mieux qu’un dépôt de bilan assorti d’un règlement judiciaire pour éponger une perte et dégraisser les effectifs sans bourse délier, refilant aux ASSEDIC le soin de pourvoir aux indemnités de licenciement  ? On en voit d’autres filer en Suisse ou à St-Martin lestés de gros sacs d’écus, sans souci pour leur personnel, sans souci de leurs fournisseurs et des sous-traitants victimes d’une mauvaise gestion.
L’entreprise libérale reste un facteur d’insécurité pour les travailleurs qu’elle utilise et rejette au gré des exigences du profit. Les chefs d’entreprises ne sont pas tous, loin s’en faut, des paragons de vertu mais ils se disent outragés, offensés, dès que leur civisme ou leur honnêteté sont mis en doute.
La comparaison de certains services publics avant et après les nationalisations n’est certes pas en faveur de l’entreprise privée  ; témoins : les chemins de fer et les réseaux de distribution d’électricité.

AUTRES PERSPECTIVES

Les valeurs du libéralisme, portées au pinacle par ses ardents thuriféraires, appartiennent à un passé révolu. D’autres perspectives autrement exaltantes s’offrent à l’activité des chefs d’entreprises dans le cadre d’un système à monnaie de consommation qu’il appartient à des élites informés de promouvoir, élites aidées en cela par l’action concertée des consommateurs victimes de la société du profit et soucieux d’échapper aux effets d’une crise née de l’accélération du progrès technique aux prises avec des usages monétaires inadéquats, crise qui ne peut que déboucher sur le chaos et sur la guerre.
Bien sûr, tout n’est pas noir dans l’entreprise. Après tout, c’est à son activité, c’est aux initiatives de ses dirigeants que nous devons d’être approvisionnés. Aux prises avec les réalités financières propres à leur profession, les chefs d’entreprises ne font qu’observer une règle du jeu dont ils sont parfois victimes. Et il existe nombre de dirigeants consciencieux scrupuleux, honnêtes et même sociaux. Disons seulement que ce ne sont pas ceux-là les plus prospères.

EN FINIR AVEC LE MARCHÉ !

Il ne s’agit ni de fustiger les défauts des hommes ni de nier leurs progrès. Les hommes sont victimes d’une règle du jeu dont l’effet tend à dévoyer les progrès accomplis. Les dirigeants sont seulement coupables de s’enfermer pans un rassurant cocon, de s’illusionner sur les vertus supposées d’un système conçu pour satisfaire à 100 % les besoins d’une minorité, en attelant à la tâche la masse de ceux auxquels le système ne sait concéder qu’une infime fraction des fruits de leur propre labeur.
Il est humain de leur part de défendre un système qui leur permet d’accéder à des revenus hors du commun et d’exercer un pouvoir sur autrui par le biais de l’argent. Leur tort est de chercher à faire partager leur foi aux victimes de leurs jongleries financières.
Il faut seulement en finir avec le règne, avec le pouvoir conféré à l’argent, rompre avec un type de monnaie, avec des pratiques monétaires aberrantes qui donnent de nos jours la mesure de leur malfaisance, paralysant le travail, rationnant les multitudes. Il faut pouvoir, non pas adapter la production aux besoins du marché, mais étendre la consommation aux limites matérielles et techniques de l’appareil de production. Plus de malthusianisme, plus de stockages, plus de destructions, plus de ces productions pour l’emploi, pour le profit, détournées de leurs fins naturelles.
Une règle du jeu différente permettra aux dirigeants d’exercer leur fonction dans un cadre différent, pour un objectif différent produire pour les besoins utiles aux familles, aux collectivités, au développement des entreprises, avec d’autres motivations que le profit : la qualité dans l’abondance, le moindre gaspillage, le moindre coût humain, la réussite technologique. La considération viendra de la tâche bien accomplie. Les avantages de revenu n’en seront plus la cause mais l’attribut.

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