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AED _Archives_ Articles > N° 790 - juin 1981

 

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N° 790 - juin 1981

Et maintenant...   (Afficher article seul)

De la dynamite dans le pot aux roses   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

Le problème de la faim dans le monde   (Afficher article seul)

Comportements aberrants   (Afficher article seul)

Les foins sentent Pechiney   (Afficher article seul)

Le patron surdoué de Polydress   (Afficher article seul)

Ces dames au salon   (Afficher article seul)

Ils y viennent !   (Afficher article seul)

Puissances occultes   (Afficher article seul)

Les ingénieurs E.D.F. en plein vent   (Afficher article seul)

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Et maintenant...

par M.-L. DUBOIN
juin 1981

LA France au fond des yeux, il faillait la regarder le soir du 10 mai, place de la Bastille ou sut les boulevards, ou même sut les Champs-Elysées. Quelle joie dans tous les regards ! Après plus de 20 ans de morosité conservatrice, c’était déjà un changement. Le premier.

*

D’autres nous sont promis, et la nouvelle majorité, calme et confiante, les attend. Toute la gauche, depuis si longtemps réduite à l’impuissance, et les syndicats, condamnés hier avec mépris à l’inefficacité, font preuve de sagesse, de modération et d’espoir.

Les meilleures conditions pour un profond changement sont donc remplies  ? Hélas... il ne faudrait pas oublier que le vrai pouvoir n’est pas celui que le peuple choisit par son vote. Les mouvements de la Bourse l’ont montré dès le 11 mai et les transferts de capitaux vers l’étranger échappent à tout contrôle légal dès lots qu’il existe des sociétés multinationales : il est plus facile à l’une de ces sociétés d’envoyer quelques millions à une de ses filiales à l’étranger qu’à un honnête citoyen de verser quelques centaines de francs à un fils exilé. Et même la nationalisation de toutes les banques de dépôt n’y changera tien. C’est le tôle même de la monnaie qu’il faut remettre en question.

*

La gauche n’étant pas encore parvenue à cette nécessaire remise en cause, va chercher à réduire les injustices tout en maintenant les actuelles règles du jeu économique. Elle va donc s’efforcer d’augmenter le pouvoir d’achat de tous les laissés pour compte, pour cause de non rentabilité, par cette «  élite » qui nous gouvernait. Et elle a fort à faite. On vient d’estimer à 30 millions le nombre de pauvres dans la Communauté Européenne, soit 20 % de la population. Parmi eux, 10 millions ont moins de 40 % du revenu net moyen. La situation s’est particulièrement dégradée en France depuis cinq ou six ans : c’est bien depuis cette époque qu’on note une recrudescence très nette du nombre de suicides ; il atteint le chiffre de 29 pa jour, soit plus de 10 000 en 1980, c’est-à-dire un taux record de 20 pour 100 000 habitants. Or ce taux n’était encore que de 15 il y a dix ans. Comment ne pas le rapprocher, surtout quand on voit les cas décrits par les « faits divers » des journaux, du nombre croissant de chômeurs ou de ceux qui n’ont pas un sort beaucoup plus enviable, les intérimaires ? Il faut comprendre quelle misère morale étreint ceux qui ne trouvant pas à s’employer se sentent rejetés par la société. De belles affiches ont beau proclamer que les intérimaires ont des droits, il n’empêche qu’ils perdent tout ressort, toute possibilité de faite des projets d’avenir et finalement tout élan vital. D’où ce nombre record de suicides : deux fois plus qu’en Angleterre ou en Italie.
Il est un autre record dont R. Batte ne fera probablement pas état dans son bilan, c’est le nombre des détenus en France. Nous en avions 43 000 le 1er mai, soit 15 % de plus que l’an dernier. Quand on a cherché en vain un travail et qu’on a atteint le bout de la période où on peut encore toucher une allocation chômage, que peut-on faite ? Avant d’en arriver au suicide certains mendient, d’autres viennent à commette des larcins, d’abord minimes, puis sombrent dans la délinquance, la drogue ou la révolte des marginaux. Alors on se retrouve avec 1 350 détenus dans 600 places de prison. Voilà la solution qu’a pondue une société qui regorge de moyens potentiels pour faite vivre solidairement tous ses membres, mais qui préfère s’enfoncer dans un système économique complètement dépassé.

*

La gauche a promis de créer des emplois en lançant de grands travaux d’intérêt public et en augmentant le nombre de fonctionnaires nécessaires dans les collectivités locales, l’éducation, la santé, la recherche, les communications. Tout cela est nécessaire surtout après la dégradation subie ces dernières années. On va donc assister à une période faste. Pour l’emploi et pour les travailleurs puisque le SMIC va être remonté, et que tout cela donnera un coup de fouet à l’économie.
Et puis ? Et puis ça s’arrêtera là, pour de sordides raisons dites financières, sauf si la gauche comprend enfin qu’il faut sortir de l’économie de marché. Qu’il faut qu’elle crée une monnaie à usage interne seulement. Qu’il faut qu’elle développe ses échanges d’une manière désintéressée avec les pays en voie de développement.

Puisse alors son exemple « contaminer » l’Europe occidentale. Qu’il fasse naître d’autres gouvernements socialistes : en Hollande, en Belgique, en Italie, en Espagne, en Suède... Et qu’elle donne l’exemple d’un désarmement total. Unilatéral, s’il le faut.

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De la dynamite dans le pot aux roses

par J. MALRIEU
juin 1981

REMERCIONS ces courageux politiciens qui viennent sur le petit écran nous administrer la preuve de leurs incapacités réciproques. A force de se jeter à la face leurs quatre vérités, les guignols de la bande des Quatre vont finir par nous faire découvrir le pot aux roses. Grâce à eux, les Français sont en train de prendre conscience qu’il n’y a pas de solution à la crise et au problème du chômage dans le cadre du système existant.

Ce qui se fait jour, à travers les polémiques et les condamnations qu’échangent les candidats à la magistrature suprême, c’est l’idée que la crise où s’enfonce la France et le monde est sans remède car elle est consubstantielle à l’économie de marché. C’est notre thèse. Nous disons que la crise existe à l’état endémique en raison du déséquilibre structurel de l’offre et de la demande globales inhérent à l’économie marchande, et qu’elle ira en s’aggravant à mesure que les conditions exceptionnelles dont a bénéficié le capitalisme au cours de l’après-guerre (inégalité des termes de l’échange, pillage intensif de la Nature et du Tiers-Monde) disparaîtront sous l’effet de l’épuisement des ressources et de la révolte des peuples opprimés, et que seront mises en oeuvre les nouvelles technologies issues de l’informatique qui tendent à éliminer radicalement le travail humain du procès de la production.

La logique du système, survoltée et exacerbée par la mondialisation du marché et l’internationalisation des capitaux, conduit inéluctablement au grippage de la machine et à la marginalisation croissante des forces de travail. L’inflation est désormais impuissante à relancer le système.

Les faits parlent d’eux-mêmes. Le chômage atteint aujourd’hui 20 à 40 % de la population active dans les pays sous-développés et 8 à 12 % dans les pays industriels. Et ça ne fait que commencer. Au plan mondial, la situation est aussi grave qu’elle l’était au début des années 30 et les perpectives beaucoup plus sombres.

Des observateurs, très loin d’être hostiles au système, commencent à s’en apercevoir et à le dire. Pierre Drouin, économiste de tendance libérale, parle de « la poussée irrésistible » du chômage » et jette ce cri d’alarme « l’économie marchande ne peut plus assurer l’emploi  » (Le Monde 3-3-81). Alain Cotta, professeur à Dauphine, au terme d’une enquête consacrée à l’impact des nouvelles technologies sur la situation de l’emploi en France, évalue à 3 millions le nombre des chômeurs complets avant la fin de la décennie. Ce chiffre sera atteint bien avant. Si vous en doutez, lisez le dernier numéro du « Nouvel Economiste  » : « Le vrai chômage commence. Entre les secteurs trop vieux et les entreprises robotisées de demain, la France s’installe dans le non-emploi. »

Le gouvernement aux abois ne compte plus que sur le déclin démographique pour réduire la pression des demandeurs d’emploi et s’efforce de rejeter la responsabilité de la crise sur les pays producteurs de pétrole. Comme si !a hausse des prix du pétrole n’était pas due d’abord à l’inflation mondiale entretenue par les pays dominants et ne répondait pas à la hausse continue des prix industriels. Faut-il rappeler que le prix du baril de pétrole est resté inchangé pendant plus d’un demi-siècle 1 dollar 20 de 1900 à 1960.

La meilleure preuve que le prix du pétrole n’est pas la cause de la crise, c’est notre voisine l’Angleterre qui la donne. L’Angleterre de Mme Thatcher ne souffre d’aucun handicap énergétique, puisqu’elle est productrice et même exportatrice de pétrole. Ce qui ne l’empêche pas de compter aujourd’hui 2 500 000 chômeurs et de marcher allègrement vers les 3 millions. Et s ; vous n’êtes pas encore convaincu, allez donc voir les millions de chômeurs qui s’entassent dans les bidonvilles, aux portes mêmes des capitales des plus grands pays producteurs de pétrole, à Mexico, à Caracas ou à Lagos.

Non, les responsables du système et leurs laquais ne réussiront pas encore à brouiller les pistes et à égarer l’opinion. Le constat qui s’impose commence à être perçu de plus en plus clairement : il n’y a pas de solution de fonds à la crise et au problème de l’emploi dans le cadre de l’économie mondiale de marché. Certes les pays les plus compétitifs, ceux qui disposent de la technologie la plus avancée ou qui exploitent le plus férocement leur main-d’oeuvre s’en tireront, au moins provisoirement, mieux que les autres. Mais le diagnostic global est sans appel : la crise est sans issue sauf à déboucher sur la guerre et la catastrophe écologique. Il y a bien une sortie de crise comme le dit Attali, mais c’est une sortie les pieds devant.

En vérité, je vous le dis, il y a de la dynamite dans le pot aux roses. Quand les politiciens, à force de se tirer la bourre, l’auront fait découvrir aux Français, les choses changeront. Les temps sont proches.

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Au fil des jours

par J.-P. MON
juin 1981

L’Europe sous développée ? C’est ce qu’il semble : le déficit de la balance commerciale de la Communauté Européenne Economique dans ses échanges avec les EtatsUnis a doublé en 1980 par rapport à 1979. Ce déficit a atteint plus de 120 milliards de francs. Pour cette même année 1980, l’U.R.S.S. a enregistré un excédent record dans ses échanges avec les pays occidentaux. 60% du déficit commercial de la C.E.E. sont dus aux échanges avec les Etats-Unis, le Japon et le Canada. La Communauté Européenne est la seule zone industrielle dont le commerce soit déséquilibré davantage du fait de ses échanges avec d’autres pays industrialisés que du fait de ses importations en provenance des pays en voie de développement. On explique cela à Bruxelles par la faible compétitivité de l’industrie européenne, le déficit étant du essentiellement aux besoins en produits fabriqués aux Etats-Unis et au Japon.
Malgré cela, on trouve encore des économistes européens qui se désolent sur la faible productivité de l’industrie américaine.
En fait ce n’est qu’un début et les industriels européens ont tout lieu de s’inquiéter devant le montant formidable des investissements industriels qui sont en train de se faire aux Etats-Unis.

*

L’exemple de l’industrie automobile est bien connu mais il y en a beaucoup d’autres c’est ainsi que Général Electric s’intéresse de plus en plus à la robotique. Cette société vient de signer un accord avec Hitachi pour introduire massivement des robots dans ses usines d’assemblage (radio, appareils ménagers, éclairage, matériel électrique...) . Cela se traduira par un gain de productivité de plus de 6 par an... et par la suppression de 37 000 emplois.

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Au lieu d’essayer de concurrencer les Etats-Unis sur les marchés en voie de développement, les Européens devraient songer à mieux approvisionner en produits européens leurs propres marchés intérieurs. La Nouvelle France pourrait peut-être donner l’exemple, dans ce domaine comme dans celui d’une aide véritablement désintéressée aux pays du Tiers-Monde.

*

Il est d’ailleurs grand temps pour l’Europe de prendre ses distances avec l’Amérique de Reagan qui ne rêve que de profits.
Un exemple particulièrement frappant nous en est donné à l’Assemblée Mondiale de la Santé où les Etats-Unis seront vraisemblablement les seuls à s’opposer à l’adoption d’un « code de conduite international » sur la commercialisation du lait en poudre : ce code prévoit notamment d’interdire toute publicité pour le lait en poudre aussi bien dans les pays industrialisés que dans ceux du TiersMonde et celle de la distribution d’échantillons gratuits aux femmes enceintes.
Les défenseurs de ce code (55 pays membres de l’assemblée mondiale de la santé, l’U.N.E.S.C.O., l’U.N.I.C.E.F., l’Organisation Mondiale de la Santé) soulignent que la vente de lait en poudre au Tiers-Monde a largement contribué à la hausse de la mortalité infantile en incitant les femmes de ces pays à abandonner l’allaitement naturel.
Le lait en poudre est souvent mélangé à de l’eau polluée, surtout en Afrique, en Asie et en Amérique Latine. De plus, ce lait coûtant très cher, compte tenu du revenu dont disposent ces populations, les femmes ont tendance à le diluer le plus possible, ce qui réduit encore la ration calorifique des enfants.
Eh bien, l’Amérique s’opposera à l’adoption de ce texte car « il est contraire au principe de la libre entreprise ».
Et tant pis si l’on en meurt !

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Pendant ce temps, le Pape a mis en garde contre « ce type de développement qui a pour seule norme sa propre croissance et sa seule affirmation, comme s’il s’agissait d’une réalité indépendante de la nature et de celle de l’homme ». Il a aussi ajouté qu’il fallait se défier des théories qui consistent « à mettre le développement de la technologie au service de l’utilité économique en accord avec la logique du profit et de l’expansion sans limite, avantageant les uns et laissant les autres dans la misère, faisant de la technologie un instrument au service des possédants ».

*

Aux yeux de Reagan et de ses inspirateurs économiques, comme Milton Friedman, tout comme aux yeux des ex-gouvernants français, le pape doit passer pour un dangereux révolutionnaire, voire pour un agitateur politique, puisqu’il dénonce la tentation qui consiste à mettre la technologie au service du maintien du pouvoir (usages militaires et manipulations des populations). Et que dire de l’appel à la subversion qu’il a lancé à l’Université des Nations Unies lors de son passage à Tokyo : « J’appelle tous les scientifiques à se pencher profondément sur les problèmes éthiques que pose la société technologique. Le moment approche où ii faudra redéfinir les priorités... Pouvons-nous rester passifs quand on nous dit que l’humanité dépense infiniment plus d’argent pour les armes que pour le développement et quand nous apprenons que l’équipement d’un soldat coûte infiniment plus que l’éducation d’un écolier ? ».
Et si c’était la C.I.A. qui avait armé celui qui a tenté d’assassiner Jean-Paul II ?

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La Commission Brandt

Le problème de la faim dans le monde

juin 1981

NOTRE ami Albert Chantraine nous a envoyé un « communiqué de la bonne volonté mondiale », intitulé «  La Commission Brandt : l’interdépendance mûrit ». Son auteur, M. Christophe Laidlaw, rapporte les travaux de la commission des Nations Unies pour le Commerce et le Développement (C.N.U.C.E.D.) concrétisés dans un rapport présenté à M. Waldheim, secrétaire général des Nations Unies.
Cette Commission est composée de délégués de gouvernements du Nord et du Sud, c’est-à-dire des pays industrialisés, des pays en voie de développement et des pays pauvres. Les participants en ont une vue unanime et réaliste des perspectives économiques mondiales et de la catastrophe qui atteint aussi bien les nations riches que les nations pauvres, s’ils échouent dans leur tentative d’union.

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Leurs constatations sont pessimistes. Les injustices de développement, avec les tensions accumulées résultant des écarts entre le Nord et le Sud peuvent conduire à un « holocauste global ». Le Nord a besoin du Sud : ce sont les pays développés qui seront confrontés à une baisse régulière du niveau de vie.
Cette interdépendance constatée, la Commission reconnaît qu’il faudra longtemps pour résoudre tous les problèmes. Elle recommande un programme quinquennal avec ces objectifs :
- transfert massif de ressources aux pays en voie de développement,
- stratégie énergétique internationale,
- programme alimentaire global,
- série de réformes économiques et monétaires internationales.
La Commission concentre son attention sur le caractère compliqué de l’interdépendance, en analysant successivement commerce, marchandises, industrie et multinationales, énergie, désarmement et développement, avant de montrer qu’une réforme monétaire est nécessaire.

Sa recommandation finale est celle d’un sommet des dirigeants mondiaux représentant aussi bien le Nord que le Sud assemblés non pour négocier, mais plutôt pour changer graduellement le climat international avec participation active des présidents et premiers ministres.

Commentaires et remarques

Les responsables de la Commission ont eu le grand mérite d’intéresser à leurs travaux les principaux experts des pays riches et des pays pauvres en leur faisant reconnaître l’interdépendance entre toutes les nations.

Mais hélas ! les recommandations proposées, intellectuellement séduisantes, sont pratiquement inapplicables dans l’actuel système mondial de l’échange et du profit.
En effet, dans le plan quinquennal envisagé, le principal des objectifs suggérés, c’est-à-dire le transfert des ressources, ne peut pas s’accomplir. Il faudrait pour cela, en effet, que les pays riches ne pratiquent pas le malthusianisme de la production, mais s’efforcent au contraire, d’obtenir des surplus. Et d’autre part, que les pays pauvres offrent suffisamment de matières premières en contrepartie, à défaut de crédits.
Les analyses de la Commission sur le Commerce Mondial, le protectionnisme, les armements, les gaspillages, le comportement des multinationales sont pertinentes. Malheureusement, toutes ces. propositions sont irréalisables dans l’état actuel des économies de marché où le plus fort dévore le plus faible.
Peut-on rêver ? Il faudrait que le « Sommet » préconisé par la Commission, où tous les dirigeants mondiaux siègeraient, décide :

- dans un premier temps, une planification à l’échelle mondiale de la production en se basant sur les besoins réels minima des peuples sous- alimentés,

- dans un deuxième temps, parallèlement à la répartition, l’octroi à ces mêmes peuples d’une aide effective pour qu’ils parviennent à participer eux-mêmes à leur propre subsistance, par l’envoi de volontaires et d’éléments incorporés obligatoirement clans un corps de services civils. Après tout, pendant la durée de la dernière guerre, les U.S.A., à eux seuls, ont réussi à équiper et entretenir des millions d’hommes avec des moyens qui seraient aujourd’hui, grâce aux techniques récentes, multipliés un grand nombre de fois.

L’interdépendance entre les peuples serait ainsi réellement chose faite avec un gouvernement supra-national.

(1) Président de la Ligue internationale des droits de l’homme. Conseiller de François Mitterrand.

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Comportements aberrants

par P. SIMON
juin 1981

L’EXERCICE serein de la démocratie authentique est, sans conteste, plus facile en période de prospérité économique. En effet, les tensions sociales que créent l’inflation et le chômage font ressortir des querelles et des attitudes que l’on croyait périmées. Inquiet de son avenir, mal à l’aise dans le présent, l’individu est en proie aussi à l’égoïsme et à la jalousie qui l’incitent à faire passer son intérêt personnel avant celui des autres.

Prenons l’Espagne, par exemple. Franco est mort en 1975 et, depuis lors, le pays fait le difficile apprentissage de la démocratie, c’est-àdire d’une vie plus juste et plus libre. Malheureusement, cette même période où les Espagnols devraient s’épanouir, est aussi celle de la crise qui n’épargne aucun pays européen. Deux des secteurs privilégiés, l’automobile et la sidérurgie, sont en chute libre. SEAT, qui produit sous licence les modèles Fiat, a fait faillite. La société italienne n’étant pas non plus en excellente posture n’a pu répondre favorablement aux demandes d’aide que lui adressait son homologue espagnole. Restent, bien sûr, les Japonais. Quant à la sidérurgie, elle a vu sa production baisser d’un tiers depuis Franco.

Les chantiers navals, les textiles, et même le tourisme sont en crise. Alors, bien sûr, le chômage monte. Si bien que l’Espagne détient un triste record en Europe avec ses 1 600 000 chômeurs, soit près de 12,5 % de la population active. Trois chômeurs seulement sur quatre reçoivent des secours. En Andalousie, le taux atteint par endroits 30 %. Dans les provinces basques ’il s’est brusquement gonflé l’an dernier.

Les sirènes du passé ont alors beau jeu. Des tracts franquistes circulent rappelant que, de 1960 à 1975, la production industrielle fut multipliée par quatre. C’était l’époque de la modernisation de l’agriculture dans un pays où il n’y avait pratiquement pas de chômage. Plusieurs raisons à cela. D’abord, la plupart des pays du monde industriel étaient alors prospères. A l’intérieur, Franco avait interdit les Iicenciements comme les grèves et l’économie du pays était protégée des rivalités par un protectionnisme quasi total. Rien d’étonnant, donc, si, sur les murs de Madrid apparaissent des affiches invitant Franco, ou plutôt ses émules qui ne demandent que cela ainsi qu’on l’a vu il y a peu, à revenir remettre l’ordre que l’on devine. Il faudrait donc protéger par la force les intérêts d’une minorité nantie et éloigner les « démons  » de la démocratie (charges sociales, aide aux déshérités) qui menacent les privilèges. En période de crise grave, les gens se tourne vers un gouvernement fort dont ils attendent (ô ironie) qu’il les protège. On vous l’a dit dans ces colonnes, la crise mène au fascisme.

LE CONTRASTE NIPPON

Pendant ce temps, les Japonais maintiennent et accentuent leur percée, illustrant à l’échelon mondial le phénomène décrit à l’échelle des pays. Une minorité seule subsiste. Mais à quel prix ! Les Japonais, nous dit-on, n’ont pas, ou presque pas, de couverture sociale. Ils ne profitent même pas des congés qui leur sont alloués, en tout cas pas en entier, et travaillent plus que n’importe quel autre peuple. En moyenne, un Japonais accomplit 2 146 heures par an contre 1 799 pour un Français. Soit, le travail est nécessaire mais le Japonais moyen tire-t-il de son labeur un avantage autre que celui de survive dans un monde si dur, et pour combien de temps ?

En effet, le pays n’investit guère dans les armements ou l’aide au Tiers et au Quart monde. Pourra-t-il en être encore longtemps ainsi ? Les finances publiques sont en déséquilibre. Le remède sera, bien sûr, l’impôt qui va alourdir les coûts.

LE GACHIS AMERICAIN

Une photo parue dans « Time » du 6 avril nous montre un fermier américain, debout dans son champ. ii tient une orange à la main. Tout autour de lui, à perte de vue, le sol est couvert d’oranges navel qu’on laisse pourrir. Encore une fois, le malheur a frappé. La saison qui s’achève a vu la récolte atteindre un nouveau record. Ces diables de fermiers américains. Plus on cherche à les décourager de produire et plus ils produisent. Alors il suffit de laisser pourrir sur place près de la moitié de la récolte et le tour sera joué. Il est déjà joué puisque, à Chicago, le prix de l’orange navel a augmenté de 40 par rapport à l’année dernière. Allons, tout est bien, les profits sont assurés. Quand même, le président de l’association des consommateurs a dénoncé le système qui, dit-il, « garantit les prix à la production mais prive les pauvres gens d’une nourriture à bon marché ». Le Vice-Président Bush a promis de revoir de près le contrôle des marchés et de desserrer l’emprise de l’administration. En faveur de qui ? Des pauvres ?

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Les foins sentent Pechiney

par H. de JOYEUSE
juin 1981

En matière d’agriculture j’en étais au geste d’Auguste le semeur et au pas tranquille et lent des boeufs du doux pays de Thiérache. J’ai cru pénétrer dans le hall de chez Renault, en feuilletant « La France agricole », un hebdo riche de 84 pages grand format et gros moyens.
Bourré de graphiques, tarifs, cours boursiers de Chicago ou Valparaiso, de marchés, de rendement, de productivité, etc. Et de matériels, donc ! A se demander si les paysans ne meurent pas d’ennui... plus de soixante publicités illustrées, éloquentes, en faveur d’une multitude d’engins, tous plus performants les uns que les autres, pour : abreuver, alimenter, andainer, atteler, biner, broyer, charger, chauffer, creuser, débroussailler, désherber, désiler, distribuer, élaguer, épandre, évacuer, exhumer, faner, faucher, fourrager, éparpiller, ensiler, gratter, herser, hisser, inhumer, irriguer, faucher, manutentionner, nourrir, protéger, pulvériser, scier, souder, raccorder, transporter, tronçonner, nettoyer, etc.
Simultanément, avec la bineuse autoguidée, on a mis au point une race de bêlants, grâce aux premiers bêliers Romanov, importés de chez Brejnev, dont les femelles agnellent à chaque fois deux agneaux dont elles s’occupent elles-mêmes.
C’est le progrès technique en profondeur. Le paysan modèle 81 regarde son armada électrifiée et pétrolante, en mâchonnant son chevingue-gomme.
Mais il y a aussi les produits nobles. Ils s’offrent des pages de pub en quadrichromie. Il est vrai qu’ils sont absolument indispensables à messieurs les exploitants agricoles (comme se nomment présentement tous les tributaires de ces engins et produits ainsi que des décisions de Commissions bruxelloises). Goûtez-moi ça : du Bayleton, du Caltan, de l’Eradicane, du Koril, du Lasso GD, du Peltar, du Primextra, du Sabalan, du Thiovit, du Tyfon, du Zargon, du Zolone, des aflatoxines, etc.
Tous produits dont la toxicité est si faible que la publicité n’en fait pas même mention. Des kyrielles exterminatrices de bestioles et de bubons qui vous laissent l’eau à la bouche et font la joie des écolos.
Mais le plus surprenant de cette lecture, c’est que le rédacteur en chef ait trouvé un petit coin de page pour y glisser... un mot croisé. C’est un sacrifice au prix de
sa pub !

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Le patron surdoué de Polydress

par H. de JOYEUSE
juin 1981

A Lannion, il y a un patron qui vient de s’en prendre plein la gueule pour quelques ronds. « Polydresse », une petite boîte, fabrique des plaques de signalisation, son patron trouve que son personnel n’est pas assez souple. Début 80, il flanque dix employés à la porte (dessinateurs, graveurs, secrétaire, ouvriers).

Prud’hommes : indemnités de licenciement d’usage, etc., le patron laisse des plumes. Qu’importe, il est satisfait, il n’a plus ses emmerdeurs sur le râble.

Erreur. Les dix Bretons pas cons, s’entendent. Ajoutent au fric du patron, leurs petites économies personnelles, celles des copains, plus les indemnités des Assedic, sollicitent les primes d’installation d’entreprise et créent la leur « Armor-sécurité  » !
Production ? Exactement celle de leur ancien singe. Le seul boulot qu’ils connaissent. Moins gourmands que Polydress, ils lui enlèvent peu à peu tous ses marchés.
Furax, le patron cocu, les attaque au tribunal pour concurrence déloyale, exige la fermeture et qu’ils déguerpissent illico.
Manque de vase, le tribunal dans sa sagesse vient de juger qu’il n’y avait pas concurrence déloyale, ne s’agissant pas d’une entreprise venue d’ailleurs, ni de personnes quittant volontairement leur employeur pour lui créer une nuisance, mais au contraire, d’individus mis, par le plaignant lui-même, en situation de s’organiser ou de disparaître. Les nouveaux dommages- intérêts versés par le patron surdoué alourdiront son activité et favoriseront d’autant celle de ses ex- serviteurs (1). Il y a de bons juges en Bretagne.

(1) Voir presse bretonne de début février 1981.

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Ces dames au salon

par G. LAFONT
juin 1981

Rien ne va plus. En ouvrant la campagne électorale, en mars dernier - c’était l’heure du bilan et on jouait « cartes sur table » - le candidat-président a bien été obligé de reconnaître, sans le dire expressément pour ne pas démoraliser ses électeurs, et sans aller jusqu’à prononcer le mot faillite . ses chalengers l’auront fait pour lui - que pour un septennat qui devait apporter la solution aux problèmes de l’inflation et du chômage, c’était plutôt raté.

Un million sept cent mille chômeurs officiellement recensés, sans parler de la hausse des prix accélérée et du déficit de la balance des paiements, c’est un beau record. Un record atteint il faut le dire, sa modestie dût-elle en souffrir, grâce à la compétence du premier économiste français, Raymond Barre. Mais ce n’est pas une raison pour pavoiser. Le candidat-président peut toujours se consoler en disant : «  Je ferai mieux la prochaine fois. »

On peut, certes, faire confiance à l’auteur de « DEMOCRATIE FRANÇAISE » qui écrivait à la page 121 de cet immortel chef-d’oeuvre : « Le plein emploi permanent est l’objectif prioritaire de la conduite d’une économie avancée... » Et page 1.22 : « La lutte contre l’inflation est indispensable au progrès de notre société... » Il ira loin ce garçon. Mais il faut lui laisser le temps. Et un nouveau septennat, voire un septennat nouveau ne serait pas de trop pour réaliser cette promesse irréfléchie d’un candidat à court d’idées. Ce n’est pas en sept ans, avec tout le boulot qu’il y a à faire à la boutique, et la pagaille qu’y ont laissée les anciens locataires, qu’on peut faire des miracles. On commence seulement à y voir plus clair. Alors, un peu de patience, que diable...

D’accord, mais la patience a des limites, vous diront les jeunots qui arrivent sur le marché du travail et voient chaque jour, avec l’apparition des nouvelles techniques de production, se réduire leurs chances de trouver un emploi. Ils avaient cru, les naïfs, sur la foi de nos économistes distingués, que la machine crée plus d’emplois qu’elle n’en supprime. Sans blague ? Un million sept cent mille chômeurs, avec les tout jeunes qui n’ont pas encore trouvé de boulot et les moins jeunes mis à la pré-retraite pour cause de « dé. graissage » et qui ne figurent pas dans les statistiques, ça fait déjà beaucoup de monde. Si encore ils ne votaient pas.

Et voilà maintenant que l’électronique, la dernière trouvaille de la science moderne, vient nous compliquer l’existence. Non, décidément. rien ne va plus. L’introduction de plus en plus généralisée du robot dans l’industrie. et de l’ordinateur dans le secteur tertiaire longtemps en expansion, va encore conduire les entreprises, pour rester compétitives, comme on dit, à de nouvelles réductions de leurs effectifs. Mais les plus menacés par cette transformation seront les employés du commerce, de la banque, des services, de l’administration, qui occupent beaucoup de femmes.

Madame Pasquier, qui préside à la « condition féminine  » et se sent elle aussi concernée, s’est inquiétée de cette situation. Selon Le Monde dit 12 janvier dernier, « elle prévoit qu’à partir de 1985 le travail des femmes sera probablement indispensable pour permettre à la collectivité de supporter les inactifs. »

Qu’est-ce à dire ?

Que ces dames, pour sauver la France et la Sécurité Sociale au bord de la faillite, et faute de retrouver le travail qui leur était jusqu’ici réservé dans les bureaux, remplaceront les travailleurs immigrés décidément infréquentables, pendant que, comme en Afrique, les hommes feront la sieste ?

Ou bien, puisque nous sommes des gens civilisés, qu’elles devront reprendre « le plus vieux métier du monde », tant que le robot ne les y aura pas remplacées, mais tous les espoirs restent permis - tandis que les Jules, d’une terrasse de café, surveilleront les opérations et le tiroir-caisse ?

« Ce ne sera pas encore le chaos dont nous a déjà menacés le candidat sortant, mais, comme dirait Coluche, ce mal embouché, déjà le bordel. »

Cela dit, je souhaite bien du plaisir au nouveau président.

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Ils y viennent !

juin 1981

Voici des extraits d’un article signé par Jean Illig et Roger Delaunay dans :

Ingénieurs et cadres de France (avril-mai 1981)

sous le titre :

CRISE OU MUTATION ?

Si un diagnostic de la situation actuelle est fait à partir de théories économiques « classiques », la situation que nous vivons s’appelle une « crise », c’est-à-dire un moment périlleux ou décisif dans une évolution. Les mesures adoptées en France par le gouvernement procèdent d’une certaine logique, mais nous n’en constatons pas moins depuis quatre ans aucune amélioration de la politique économique, ni sur le plan de l’emploi ni sur le plan de la monnaie. Chômage et inflation ne cessent, en effet, de croître de façon désespérément régulière...
Il convient donc de se demander si, après tout, plutôt que de critiquer les mesures appliquées, il ne faudrait pas remettre en cause l’analyse et la théorie économiques sur lesquelles elles s’appuient. Dans ce cas, il s’agit non pas d’une crise déséquilibrant temporairement la société mais, plus fondamentalement, d’une mutation même de cette société rendant inadaptées les solutions classiques. Notre type de société industrielle se modifie en profondeur jour après jour, et ceci à travers l’évolution des comportements économiques et moraux. C’est une nouvelle phase dans l’évolution de notre civilisation qui se précise peu à peu, sans être bien perçue par la grande masse de nos concitoyens. En quelques générations, l’impact de l’invention de la machine à vapeur et de ses développements mécaniques, le développement de la chimie et de ses applications, à l’agriculture notamment, n’ont-ils pas déjà transformé les modes de vie urbains et ruraux ?
Seule une politique cohérente, constante, une politique de prévision, de prévention et d’innovation systématique permettra de maîtriser les problèmes de l’emploi. Aux défis économiques et culturels posés par la nouvelle géopolitique qui se développe, la réponse passe d’abord par l’imagination, face à des situations elles-mêmes inédites.
.........
Chaque jour se creuse l’écart entre les discours des «  politiques » et les réalités du monde du travail, discours inspirés par des dogmes périmés et une position archaïque, car, depuis des années, la politique suivie s’inscrit dans une optique « comptable » ne prenant en compte que le seul aspect économique, qui n’est qu’un élément d’un équilibre de société. Nous avons le privilège de vivre dans une société riche qui doit porter une plus grande attention à son environnement et remettre en question sa quête de richesses sans cesse accrues.
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Tout renversement de tendances et toute amélioration ne peuvent que résulter d’un ensemble de réformes, lesquelles s’inscrivent dans le mouvement régulier de la réduction du temps de travail directement productif, libérant les esprits et créant les conditions pour une meilleure réalisation de l’être humain.
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Un premier axe de réformes a trait à l’aménagement du temps de travail. A la seule notion de « niveau de vie » doit être substituée une conception plus large : celle du « mode de vie ». Au seul critère de « productivité économique » doit être prise en considération une « productivité sociale » intégrant des productions, des services non rentables en termes de comptabilité mais assurant une production sociale, humaine. »

(Envoi de P. Lecocq, Boulogne)

Quel dommage de voir ensuite ces auteurs, en contradiction avec ce qui précède, se soucier de trouver l’équilibre du marché de l’emploi en offrant des postes de travail d’une trentaine d’heures par semaine, avec une rémunération proportionnelle, puis de proposer des réformes destinées à améliorer la compétitivité économique
nationale, par exemple en limitant les actions sociales de l’Etat.

Qu’il est dur d’échapper aux modes de pensée de ses ancêtres  !

-« o »-

Sous le titre « Révolutionnique : chômeurs, si vous saviez », les extraits suivants sont signés G. Brissé :

LA CROIX (du 10 avril 1981)

« Il est très possible, aujourd’hui, d’évaluer, grâce au calcul électronique, les stocks réels ou potentiels à court ou moyen terme des biens de grande consommation. Il est également possible de les soustraire très largement aux lois du profit en les distribuant par le truchement d’une monnaie de consommation non thésaurisable, dont la valeur est en prise directe sur les stocks disponibles. Ce revenu social garanti (Resog), inscrit régulièrement au compte de tout individu et indépendant de son activité professionnelle ou de ses autres revenus, pourrait être distribué à l’aide d’une monnaie électronique. Quant aux produits de luxe, ils demeureraient accessibles selon les critères monétaires actuels. Dans ce système, le consommateur conserve son entière liberté de choix. En somme, il dispose d’un circuit monétaire à deux niveaux, l’un en circuit fermé permettant exclusivement la répartition des biens et services dits « de grande consommation », l’autre continuant à assurer les autres transactions. Ce système ne peut fonctionner efficacement que s’il est pris en charge par les consommateurs eux-mêmes regroupés dans un vaste syndicat national (et confédéral) d’usagers et de consommateurs (Snuc). »

(Envoi de H. Muller, Guérande)

Qu’il est dur de renoncer complètement « aux critères monétaires actuels » ! Quoi, utiliser son temps de loisir pour produire gratuitement quelque chose d’humain
non rentable ? Impensable

-« o »-

• dans CHARLIE-HEBDO (n° 542 du 1er avril 1981) sous le titre
- Giscard veut faire travailler les Français comme des nègres  », et signé Cavanna :

« Nous savons très bien que la mécanisation et la robotisation du travail iront croissant, que c’est une loi de la nature aussi immuable que celle de la pesanteur, admettons-le donc et préparons-nous. Exigeons de nos gouvernants, non du « travail pour tous » . entérinant par là même la vieille morale des temps féroces : « Tu gagneras ton pain à
la sueur de ton front » - mais qu’ils étudient sérieusement comment faire face à ce fait : il n’y a pas assez de travail pour tous, il y en aura de moins en moins, cependant il y a autant et même de plus en plus de richesses à répartir. Tous ceux qui lient « survie » et « travail » sont des menteurs ou des imbéciles. Des démagogues ou des fous mystiques. En tout cas pas les gars qu’il faudrait pour mener les affaires, en ces temps de, comme ils se plaisent à dire, mutation. »

-« o »-

Encore sous la plume de Cavanna qui, lui, « y vient » vraiment :

CHARLIE-HEBDO (n° 544 du 22 avril 1981)

« Quand j’étais petit, mon papa, le dimanche, me prenait par la main, et on allait se promener. Sur les chantiers, dans les banlieues, il y avait des engins, des grues, des pelleteuses, alors des nouveautés. Papa regardait les monstres au repos, hochait la tête, crachait un jus de chique et me disait :
- Tou vois, Françva, sta machines-là, i fa semblant coutume si qu’i mangerait la terre, ma c’est pas vrai : i mange les hommes. Ecco. Avant, i fallait dix terrassiers per lare un trou comme ça. Sta salouperie, i le fa toute seule.

Mon papa était un homme simple. Il ne voyait pas plus loin que le jet de son jus de chique. La machine fait le travail, on n’a plus besoin de l’ouvrier, l’ouvrier meurt de faim. Ecco.
Il ne parvenait pas à hisser sa pensée jusqu’à ceci : si la machine crée les richesses sans que l’homme ait à s’en mêler, l’homme n’aura plus qu’à consommer, ce sera le bonheur.
Karl Marx n’était pas un con, lui. Eh bien, Karl Marx non plus n’a pas prévu la machine. Karl Marx avait assisté à une chose bouleversante la transformation brutale du monde artisanal en énorme système industriel. Il avait vu l’artisan relativement prospère se transformer en prolétaire, c’est-à-dire en semi-clochard abruti de travail idiot et maintenu à l’extrême bord du dénuement. Il avait compris que l’énergie qui faisait tourner le système résidait dans les bras des travailleurs, et que seule leur soumission volontaire, leurs désaccords ou leur ignorance les maintenait sous la coupe du capital. Ce qui était tout à fait vrai. « Travailleurs de tous les pays, unissez- vous ! » et le pouvoir est à vous.
Ceci n’est plus vrai. La force du travail n’est plus dans le travailleur (tout au moins là où la technologie existante est employée à plein) mais dans la machine. Même les travaux de surveillance et de contrôle se font sans l’homme. Même les calculs, les prévisions, les programmes... Bientôt, les opérations intellectuelles d’ordre supérieur... Le « travailleur » est de moins en moins un travailleur, de plus en plus un consommateur. C’est là le vrai problème. Il serait temps qu’on y pense sérieusement, au lieu de considérer le chômage actuel comme un accident auquel des astuces politiques peuvent porter remède.  »

(Envoi de P.F., Angers)

-« o »-

QUE CHOISIR ?

L’ARGENT

La revue « Que choisir ? » vient de publier deux numéros spéciaux consacrés à l’argent et contenant une remarquable analyse de notre système financier.
On y trouve d’abord la confirmation que les banques créent de la monnaie ; ce fait, ignoré ou contesté par tant de gens, J. Duboin fut l’un des premiers à le dénoncer et à en montrer les dangers, ce qui lui valut bien des controverses. «  Que choisir ? » réussira-t-il enfin à le faire admettre  ?
Cette association, courageuse, de consommateurs montre comment la loi a rendu obligatoires des prélèvements dont les modalités sont fixées par... ceux qui en bénéficient ! Elle dénonce le vol d’une partie de l’argent que nous gagnons : la délinquance économique porte sur des montants trente fois plus élevés que ceux de la délinquance réprimée (vol à la tire, hold-up, etc.).
Le second numéro spécial fournit des chiffres sur l’argent que nous dépensons, malgré nous, en publicité. Chiffres éloquents. Par exemple, sur la façon dont certaines marques de produits pharmaceutiques « achètent » des médecins pour les inciter à prescrire leurs produits  : acheter un médicament revient ainsi à payer en publicité 15 % de son prix.
« Que choisir » dénonce, après nous, chiffres à l’appui, la façon dont un produit « en excédent  » sur le marché européen, comme le beurre demeure à un prix artificiellement soutenu par des stockages coûteux (740 millions de francs de stockage public en 1979) et des subventions à l’exportation (2 milliards pour les produits laitiers européens en 1979).
Enfin « Que choisir » fait une excellente analyse des causes de l’inflation : formation des prix sans relation avec les coûts de production (en particulier non répercussion des baisses), fraudes sur la quantité ou sur la qualité (forme redoutable de l’inflation car elle est difficile à déceler et à évaluer), gaspillages en publicité et en « pots de vin », et surtout le rôle des banques puisqu’elles disposent du pouvoir de création monétaire. Enfin cette revue souligne fort bien comment l’inflation favorise les prélèvements opérés par les financiers sur les consommateurs en réduisant le rapport de leur épargne et en allègeant les charges des emprunts.

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Puissances occultes

par A. CHANTRAINE
juin 1981

LES dirigeants du centre de gauche et de droite sont de simples instruments dirigés par les puissances occultes de l’argent. Ces puissances tiennent en mains toutes les richesses de la terre. Aidés par les ordinateurs, les grands financiers savent, en un temps record, tout ce qui se passe sur tous les points du globe.
Ils peuvent ainsi détruire ou instaurer des régimes suivant leurs désirs dans le seul but d’exploiter les hommes. Tous les hommes baissent l’échine devant les maîtres de l’argent. Rares sont ceux qui refusent de subir leurs pensées ataxiques, rares sont ceux qui travaillent à la démystification de l’Argent.
Evidemment, ceux qui se libèrent et disent la vérité ne sont pas bien vus. C’est extrêmement difficile de démystifier et de réussir une percée dans la jungle du mental humain. C’est une rude tâche que de vouloir éveiller des esprits conditionnés, depuis des siècles, à rester esclaves.

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Les ingénieurs E.D.F. en plein vent

par H. de JOYEUSE
juin 1981

La télé a présenté, il y a quelque temps, la réalisation intéressante de gamins d’un lycée technique danois qui, aidés de leurs profs, ont réalisé la plus grande éolienne du monde dans une île de la Baltique, aux vents particulièrement féroces. (Axe horizontal, hélice géante tripale en fibre de verre de 54 m d’envergure, tour en béton de 53 m de haut. Puissance : 2 000 kws, qui assure l’autonomie énergétique du collè
e : 707 galopins et leurs enseignants.)
Un peu vexés (on les comprend). les ingénieurs d’E.d.F. ont décidé de réaliser, à leur tour, une grande éolienne à Ouessant. Plus modeste. Pour ce faire, les ingénieurs ont planché sec. Pour l’édification on n’a pas utilisé des éphèbes, mais la compétence et les services des meilleurs fournisseurs de l’Etat (ceux de la parentèle de Giscard, peut-être ?).
Certes, l’engin ne cherchait à battre aucun record. Il en a cependant battu un ! Celui de descente. Au premier coup de zéphir, le grand machin édéesque décédait en trois tronçons inesthétiques. (Photos publiées dans toute la presse bretonne. Une honte ! Alors que la presse, la radio, la télé française, si prompte à nous (dés)informer n’en a pas soufflé un mot ni une image. L’honneur est sauf, quand on ignore le coup de Trafalgar !)
L’ennui pour les futurs électeurs et abstensionnistes, c’est que ces messieurs les ingénieurs d’E.d.F. sont précisément les mêmes qui tripatouillent les Centrales nucléaires, le Centre de retraitement de La Hague, Marcoules, Super- Phénix, etc. Ils feraient passer des sueurs froides à Hitchkock ces mecs-là  ! Qu’on les plombe dans une nacelle de ballon-libre et qu’on les laisse voter au gré des vents.

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